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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100722

Dossier : IMM-6659-09

Référence : 2010 CF 772

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

FATIMA MORENO HERNANDEZ

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), concernant la décision rendue le 2 décembre 2009 par la Section de la protection des réfugiés (la Commission), qui a conclu que Fatima Moreno Hernandez (la demanderesse) n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger.

 

[2]               La présente demande sera accueillie pour les motifs suivants.


Le contexte

[3]               La demanderesse est une citoyenne mexicaine qui résidait dans l’État de Guanajuato. Elle prétend avoir peur de son ex-époux, Juan Luis Hernandez, affirmant que leur relation a longtemps été marquée par des agressions psychologiques et physiques. La demanderesse a épousé M. Hernandez en 1994. Elle a eu deux enfants. Tout au long de leur mariage, M. Hernandez a eu un comportement agressif sur les plans physique et psychologique. M. Hernandez est agent de police municipale et il s’est servi de son poste pour menacer la demanderesse, lui affirmant que toutes les plaintes qu’elle pourrait déposer contre lui demeureraient sans suite et qu’il ferait en sorte qu’elle soit accusée d’un crime et qu’elle aille en prison. Le couple s’est séparé en décembre 2000, mais les agressions et les menaces ont perduré.   

 

[4]               En mars 2006, M. Hernandez s’est rendu chez la demanderesse parce qu’il souhaitait que les enfants l’accompagnent à une fête familiale. Les enfants ont refusé de partir avec lui. M. Hernandez a alors donné un coup de poing à la demanderesse en plein visage. À la suite de cela, la demanderesse a déposé une plainte et a reçu des soins médicaux. Elle a aussi présenté une requête de divorce, laquelle lui a été accordée en même temps qu’une injonction interdisant à M. Hernandez de l’approcher.

 

[5]               En dépit de cette injonction, M. Hernandez a continué de menacer et de harceler la demanderesse. Le 3 juin 2008, M. Hernandez s’est présenté chez elle, prétendant qu’il souhaitait voir ses enfants. Il est alors entré dans une rage folle et a essayé de violer la demanderesse. La mère et la sœur de cette dernière sont arrivées sur ces entrefaites et M. Hernandez s’est calmé et est parti. La demanderesse n’a pas déposé de plainte pour tentative de viol. Le 14 juin 2008, elle est arrivée au Canada et peu de temps après, elle a présenté une demande d’asile. 

 

La décision contestée

[6]               La Commission a établi que la crédibilité de la demanderesse et la protection offerte par l’État étaient des questions déterminantes en l’espèce.

 

[7]               En ce qui concerne la crédibilité, la Commission a souligné que la demanderesse n’avait pas obtenu de copie de la plainte qu’elle avait déposée à l’encontre de M. Hernandez, tout en faisant référence à des éléments de preuve montrant que le processus visant à obtenir la copie d’une plainte est relativement simple. La Commission a également souligné que la demanderesse n’avait pas fourni de copie de l’injonction. La Commission a affirmé qu’il incombait à la demanderesse de présenter des éléments de preuve confirmant ses allégations, concluant que les explications que la demanderesse avait données n’étaient pas raisonnables et qu’elle n’avait pas fait d’efforts diligents en vue d’obtenir les documents requis. La Commission a conclu que la crédibilité de la demanderesse s’en trouvait affectée en ce qui avait trait à ces aspects de son témoignage.

 

[8]               En ce qui a trait à la protection de l’État, la Commission a affirmé que la demanderesse avait déclaré dans son témoignage ne pas avoir parlé des actes de violence commis par M. Hernandez au juge saisi de sa requête de divorce. En outre, la demanderesse n’avait pas déposé de plainte auprès de la police après que le divorce lui eut été accordé et que l’injonction eut été rendue. La Commission a souligné que même si M. Hernandez est un agent de police municipale, ce titre ne lui confère pas l’immunité en cas d’acte criminel.

 

[9]               La SPR a ensuite examiné les éléments de preuve documentaire concernant la situation au Mexique, constatant que 30 États mexicains sur 32 avaient adopté la loi générale sur le droit des femmes à vivre une vie sans violence et que le gouvernement fédéral avait adopté des règlements exigeant l’intervention immédiate de la police en cas de violences. La Commission a également fait référence à des éléments de preuve relatifs au processus régissant le dépôt d’une plainte déposée à l’encontre d’un fonctionnaire fédéral au Mexique. Ces éléments de preuve montrent également que dans l’État de Guanajuato, il existe un service gratuit pour les citoyens souhaitant déposer une plainte à l’encontre d’un fonctionnaire pour tout type d’infraction liée aux droits de la personne; entre avril 2003 et mars 2004, 1 119 plaintes ont été déposées, parmi lesquelles 334 visaient des agents de police municipale.

 

[10]           La Commission a énoncé les principes juridiques applicables à la question de la protection de l’État, soulignant que le Mexique est un État démocratique, ce qui impose à la demanderesse un lourd fardeau lorsqu’il s’agit pour elle de réfuter la présomption selon laquelle l’État lui offre une protection adéquate. La Commission a alors conclu que, compte tenu des circonstances de l’espèce, la demanderesse n’avait pas accompli toutes les démarches raisonnables et que les démarches qu’elle avait effectivement entreprises n’étaient pas suffisantes. La Commission a également adopté sur la question le raisonnement convaincant qui avait été conduit dans le dossier TA6‑07453. La Commission a conclu que la demanderesse n’était pas parvenue à réfuter la présomption selon laquelle l’État lui offrait une protection adéquate, rejetant ainsi sa demande.

 

[11]           L’examen de la preuve par la Commission est une question de fait à laquelle s’applique le principe de retenue (Villicana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1205, 357 F.T.R. 139, aux paragraphes 35 à 39). La Cour a également conclu que la norme de raisonnabilité devait s’appliquer à l’examen des décisions de la Commission en ce qui concerne les questions de crédibilité et de protection de l’État (Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] A.C.F. n° 732, au paragraphe 14; Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 490, [2008] A.C.F. n° 624, au paragraphe 10).

 

[12]           Par conséquent, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[13]           À l’audience, les parties ont convenu qu’en l’espèce la principale question était celle de la protection de l’État. 

 

[14]           La demanderesse a soulevé trois motifs qui, selon elle, font en sorte que la décision de la Commission est déraisonnable.

 

[15]           Il existe un principe bien établi selon lequel la Commission est réputée avoir examiné l’ensemble de la preuve dont elle disposait et selon lequel elle n’a pas à commenter chaque élément de preuve. Cela étant dit, quand la Commission s’appuie largement sur les éléments de preuve allant de le sens de sa conclusion tout en ne faisant aucune mention des éléments de preuve menant à la conclusion opposée, il est facile d’en déduire que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 17 (QL)).

 

[16]           En l’espèce, en ce qui concerne l’analyse de la situation au Mexique, la SPR a largement renvoyé à un document intitulé Information sur la mise en application de la loi générale sur le droit des femmes à vivre une vie sans violence (Ley General de Acceso de las Mujeres a una Vida Libre de Violencia) (26 mai 2009). Ce document fait état des ressources mises à la disposition des femmes victimes de violence sous le régime de la nouvelle loi. La Commission a cité le début du second paragraphe, où on peut lire que 30 États sur 32 ont adopté la loi, mais elle a omis de reproduire les lignes suivantes, extraites du même paragraphe :

[…] toutefois, un certain nombre d’entre eux n’ont toujours pas mis en application les dispositions principales, qui prévoient notamment la création de [traduction] « mécanismes de mise en œuvre », d’un mécanisme de coordination des organisations et la construction de nouveaux refuges. Malgré tout, selon l’ex-législatrice et co-auteure de la loi générale, Angélica de la Peña Gómez, on constate des résultats positifs sur deux plans : premièrement, la loi générale a obtenu l’approbation de presque tous les États du pays, [traduction] « brisant l’inertie » (ha roto la inercia) avec laquelle d’autres lois fédérales ont été accueillies dans les congrès d’État; deuxièmement, des subventions budgétaires de 3 millions de pesos [1 $CAN = 10,62 MXN (Canada 22 avr. 2009)] ont été accordées à chaque État afin de permettre sa mise en application (CIMAC 3 févr. 2009).

 

[17]           Dans ce même document, on trouve également le passage suivant :

Cependant, en mars 2009, le président de INMUJERES, Rocío García Gaytán, a affirmé qu’uniquement six États au pays avaient approuvé les règlements correspondants inclus dans la loi générale (Milenio 9 mars 2009). À ce propos, Rocío García Gaytán a souligné qu’alors que l’harmonisation des lois fédérales avançait, des dispositions concernant notamment le [traduction] « meurtre par honneur » (homicidio por razón de honor) faisaient toujours partie du code criminel dans des États comme le Campeche, le Tamaulipas et le Michoacán (ibid.). L’ex‑législatrice Angélica de la Peña Gómez a également souligné le fait qu’il est urgent que les États qui ont adopté la loi générale appliquent les règles qui y sont rattachées de sorte que le système puisse commencer à fonctionner efficacement à l’échelle locale (CIMAC 3 févr. 2009). Angélica de la Peña Gómez a affirmé que, pour que les règles soient mises en pratique, les cadres juridiques des États doivent néanmoins être approuvés (ibid.). L’information susmentionnée a également été donnée par AI, qui souligne ce qui suit :

 

[traduction]

 

Les répercussions à l’échelle des États et des municipalités de la nouvelle législation visant la lutte contre la violence à l’égard des femmes constitueront le véritable critère d’évaluation de son efficacité. Dans la grande majorité des cas, ce sont les 32 gouvernements d’État qui ont la responsabilité de s’assurer que les femmes victimes de violence ont accès à la justice, à de la protection et à des indemnités. Afin de garantir son efficacité à cet égard, la législation établie dans les 32 États doit clairement prévoir les responsabilités, la hiérarchie de celles-ci et le budget alloué (1er août 2008, 13).

 

[18]           Je remarque également que le même document contient un tableau réalisé par Amnesty International, lequel montre que l’État de la demanderesse – le Guanajuato – n’a adopté ni la loi ni les règlements afférents (Amnesty International, Information sur la mise en application de la Loi générale sur le droit des femmes à vivre une vie sans violence (27 janvier 2009)).

 

[19]           La Commission n’a mentionné aucun de ces éléments de preuve, pas plus qu’elle n’a fait référence aux articles présentés par la demanderesse concernant l’inefficacité de la mise en œuvre de la loi et des règlements en général. De tels éléments de preuve étaient tout à fait pertinents en l’espèce et ils vont à l’encontre de la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse bénéficiait d’une protection adéquate de l’État.

 

[20]           Comme le juge Martineau l’a déclaré dans la décision Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, 295 F.T.R. 35, au paragraphe 27, « […] les lois et les mécanismes auxquels le demandeur peut avoir recours pour obtenir la protection de l’État peuvent constituer des éléments qui reflètent la volonté de l’État. Cependant, ceux-ci ne sont pas en eux-mêmes suffisants pour établir l’existence d’une protection à moins qu’ils ne soient mis en œuvre dans la pratique ». Ainsi, les éléments de preuve relatifs à la mise en œuvre de la loi et des règlements afférents, censés constituer les ressources disponibles, sont d’autant plus essentiels.

 

[21]           La SPR disposait également d’éléments de preuve montrant qu’en dépit des mécanismes de plainte concernant les fonctionnaires, les agents de police agissaient toujours en toute impunité. Une fois encore, il s’agit de la protection de l’État dans la réalité dont la Commission doit tenir compte dans son analyse. La Commission n’a pas l’obligation d’accepter les éléments de preuve contradictoires, mais elle doit les examiner et expliquer les raisons pour lesquelles elle s’appuie sur d’autres éléments de preuve pour motiver sa conclusion.

 

[22]           La certification d’une question n’a pas été demandée et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué en fasse un nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Alya Kaddour-Lord, traductrice


ANNEXE

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6659-09

 

INTITULÉ :                                       FATIMA MORENO HERNANDEZ

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack C. Martin

 

POUR LA DEMANDERESSE

Neal Samson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jack C. Martin

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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