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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100722

Dossier : IMM-5550-09

Référence : 2010 CF 771

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2010

En présence de Monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

MARTHA ELENA CORZAS MONJARAS et

JOSE LUIS ROMAN CORZAS, LUSIA FERNANDA

ROMAN CORZAS, représentés par leur tutrice à l’instance,

MARTHA ELENA CORZAS MONJARAS

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), en date du 15 octobre 2009, qui leur a refusé la qualité de réfugiés au sens de la Convention et la qualité de personnes à protéger, en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), L.C. 2001, ch. 27, au motif qu’ils pouvaient obtenir la protection de l’État.

LES FAITS

Le contexte

[2]               Les demandeurs sont Mexicains. Mme Martha Elena Corzas Monjaras est la mère. Elle a deux enfants, qui sont également demandeurs dans la présente affaire, Luisa Fernanda Roman Corzas, âgée de treize ans, et Jose Luis Roman Corzas, âgé de sept ans .

 

[3]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 16 août 2006, avec M. Gustavo Roman, le mari de la mère demanderesse depuis 1996. Ils ont demandé l’asile en prétendant que M. Roman craignait les membres de gangs criminels organisés qui sévissaient au Mexique. La SPR a rejeté leur demande d’asile le 28 février 2008. Ils n’ont pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision, mais une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a été déposée le 28 octobre 2008 au nom de la famille.

 

[4]               M. Roman avait commis des violences verbales et psychologiques envers la mère demanderesse lorsqu’ils vivaient au Mexique. Après leur arrivée au Canada, M. Roman a commencé de se livrer à des brutalités physiques et sexuelles contre elle. La mère demanderesse a tenté de se tenir à l’écart de son mari en quittant leur chambre commune, tout en restant dans le même appartement, mais les violences n’ont fait que s’accentuer. La police est intervenue au moins une fois, et des charges ont été portées contre M. Roman. Peu après que M. Roman eut déposé sa demande d’ERAR, les demandeurs ont quitté le domicile familial pour se réfugier dans un foyer d’accueil et ont déposé leur propre demande d’ERAR, fondée sur des moyens différents. La demande d’ERAR des demandeurs a été rejetée le 16 janvier 2009, et une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été déposée le 8 avril 2009.

 

[5]               Les demandeurs et M. Roman sont présentement sans statut au Canada et sont susceptibles d’expulsion vers le Mexique. Les demandeurs craignent que M. Roman ne les trouve au Mexique après que tous auront été expulsés, et ils craignent qu’il ne se remette à les pourchasser. La demande d’asile repose donc sur des violences anticipées, pour le cas où les demandeurs seraient expulsés et M. Roman le serait également.

 

[6]               Les demandeurs ont sollicité l’autorisation de rouvrir leur demande d’asile le 5 février 2009 pour y faire valoir, à l’encontre de M. Roman, une allégation de violence familiale à caractère sexiste. La SPR a autorisé les demandeurs à rouvrir leur demande d’asile le 7 avril 2009, et les demandeurs se sont désistés de leur demande de contrôle judiciaire à l’encontre du rejet de leur demande d’ERAR. La SPR a entendu la nouvelle demande d’asile le 14 septembre 2009.

 

La décision contestée

[7]               Le 15 octobre 2009, la SPR a rejeté l’allégation de violence à caractère sexiste. Elle a estimé que les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l’État au Mexique pour le cas où M. Roman les trouverait au Mexique et se remettrait à les tyranniser.

 

[8]               La mère demanderesse a témoigné que, si elle n’avait jamais tenté d’obtenir la protection de l’État au Mexique, c’était parce que M. Roman n’avait pas été aussi violent au Mexique qu’il l’était devenu au Canada, et parce qu’ils vivaient au Mexique avec ses parents à elle. Elle affirmait, à la page 17 de la transcription, qu’il ne lui serait pas possible d’obtenir une protection policière au Mexique pour le cas où M. Roman recommencerait à la harceler :

[traduction]

Q :       Si vous vous adressiez à la police au Mexique en cas de retour dans ce pays, et si vous lui disiez « Gustavo m’a violentée », que pensez-vous qu’il arriverait?

[…]

 

R :        J’imagine que la police me demanderait des preuves, des preuves qu’il m’a violentée ou qu’il m’a rendu la vie impossible.

 

Q :       Et si la police portait des accusations contre lui, pensez-vous qu’elle pourrait vous protéger?

 

R :        Non.

 

[…]

 

R :        Il est impossible de comparer la police d’ici avec celle du Mexique, parce qu’ici il y a des ordonnances restrictives. Gustavo vit avec son frère ici, et son frère est maintenant son gardien. Au Mexique, s’il devait aller en prison, il en sortirait et retournerait chez lui, et il ne serait l’objet d’aucune ordonnance lui interdisant de me voir ou de se trouver avec moi.

 

 

[9]               La SPR a examiné les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et a jugé que la question principale était de savoir si les demandeurs avaient réfuté la présomption d’existence de la protection de l’État. Elle a passé en revue la jurisprudence de la Cour faisant autorité en matière de protection de l’État et a conclu que le critère obligeait les demandeurs à apporter une preuve claire et convaincante de l’incapacité du Mexique à les protéger. La SPR s’est fondée sur la décision Flores c. Canada (MCI), 2008 CF 723, rendue par le juge Mosley, pour dire que l’efficacité de la protection de l’État au Mexique est un facteur pertinent, mais non déterminant, pour savoir s’il existe ou non une protection de l’État. Elle a relevé que la demanderesse s’était formée sa propre opinion sur la protection de l’État, en se fondant sur l’expérience de personnes qui s’étaient trouvées dans la même situation qu’elle, ainsi que sur sa propre situation, et plus précisément sur ce qui suit :

1.      la protection de l’État au Mexique n’est pas la même que la protection de l’État au Canada;

2.      la tante et l’amie de la mère demanderesse lui avaient rapporté leurs propres mauvaises expériences au chapitre de la violence familiale, et l’impossibilité pour elles d’obtenir de l’État une protection;

3.      la mère demanderesse s’était abstenue à plusieurs reprises déjà de signaler à la police les violences commises par M. Roman, préférant la réconciliation;

4.      le père de M. Roman a des relations en haut lieu qui pourraient faire obstacle aux tentatives de la mère demanderesse d’obtenir la protection de l’État.

 

[10]           La SPR a estimé que les documents concernant les conditions ayant cours dans le pays confirmaient certains aspects du témoignage de la mère demanderesse, mais elle a jugé, au paragraphe 17 de sa décision, que la demanderesse n’avait pu réfuter la présomption d’existence de la protection de l’État compte tenu des circonstances particulières de sa demande d’asile :

17      […] Dans l’État de Puebla, où les demandeurs d’asile ont vécu, il existe une loi pour prévenir, traiter et punir la violence conjugale et une loi pour protéger les victimes d’actes criminels. Ces lois comprennent également des dispositions pour lutter contre la violence faite aux femmes. L’institut de la femme de l’État de Puebla a une ligne d’assistance téléphonique et distribue des feuillets d’information concernant cette ligne d’assistance téléphonique et les services qu’elle offre, qui comprennent une aide juridique et psychologique ainsi qu’une intervention en cas de crise. Il informe également les femmes victimes de violence conjugale sur les différents services offerts par les organismes qui travaillent auprès de ces femmes. Le programme de développement intégral de la famille de l’État de Puebla (DIF Puebla) et le bureau du procureur général (PGJ) offrent la gamme de soins et de services la plus complète. Le DIF Puebla gère les programmes de 24 cliniques de prévention des mauvais traitements et d’aide aux victimes (dix dans la ville de Puebla et 14 dans le reste de l’État). Les centres ont traité 3 543 cas de dénonciation, en fournissant une aide juridique, ainsi qu’une aide médicale et psychologique aux femmes et aux enfants. Le nombre d’interventions réalisées par ces cliniques est passé de 26 233 en 2005 à 29 501 en 2006. Le DIF Puebla offre également une assistance et de la formation au moyen d’unités itinérantes. En 2006, 15 541 personnes ont assisté aux activités offertes par les unités itinérantes (conférences, ateliers, etc.).

 

La SPR écrivait aussi qu’il existait, dans l’État d’où était originaire la demanderesse, sept refuges gérés par l’État à l’intention des femmes battues, de même que des programmes de formation et de sensibilisation sur la question de la violence familiale. Il y avait aussi trois refuges gérés par des organisations civiles. Pour ces motifs, la SPR a conclu que l’État, au Mexique, assure une protection suffisante et elle a rejeté la demande d’asile.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[11]           L’article 96 de la LIPR confère une protection aux réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[12]           L’article 97 de la LIPR confère une protection à certaines catégories de personnes :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

LE POINT LITIGIEUX

[13]           Les demandeurs soulèvent le point suivant :

1.      La SPR a-t-elle commis une erreur en disant que les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l’État?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[14]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada écrivait, au paragraphe 62, que la première étape d’une analyse relative à la norme de contrôle consiste à « vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi l’arrêt Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[15]           Il est clair que, en conséquence des arrêts Dunsmuir et Khosa, les conclusions de la SPR touchant l’existence ou non de la protection de l’État doivent être revues selon la norme de la décision raisonnable : voir la décision Perez c. Canada (MCI), 2009 CF 1029, au paragraphe 25, rendue par le soussigné; la décision Velasquez c. Canada (MCI), 2009 CF 109, rendue par le juge de Montigny, au paragraphe 13; la décision Eler c. Canada (MCI), 2008 CF 334, rendue par la juge Dawson, au paragraphe 6; enfin la décision Pacasum c. Canada (MCI), 2008 CF 822, rendue par le juge de Montigny, au paragraphe 18.

 

[16]           Examinant la décision de la Commission en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

ANALYSE

Le point litigieux : La SPR a-t-elle commis une erreur en disant que les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l’État?

 

[17]           Les demandeurs disent que la SPR s’est fourvoyée dans son analyse relative à la protection de l’État, parce que, en ce qui concerne les conditions ayant cours dans le pays, elle n’a fait aucun cas de documents objectifs qui contredisaient sa conclusion.

 

[18]           Dans la décision Flores, précitée, le juge Mosley écrivait, au paragraphe 10, que la SPR n’a pas à se demander si la protection de l’État est d’une efficacité douteuse, et il exposait d’une manière succincte l’obligation qu’a le demandeur d’asile de réfuter la présomption d’existence de la protection de l’État au Mexique :

10     Bien que cet argument soit intéressant, j’estime qu’il ne fait pas partie de l’état actuel du droit au Canada. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Carrillo, l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 précise que la protection aux réfugiés est une protection supplétive fournie en l’absence de protection par l’État dont le demandeur a la nationalité. Lorsque cet État est une société démocratique, telle que le Mexique, même si le demandeur fait face à des problèmes importants, dont la corruption et autres formes de criminalité, la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption sera plus élevée. Il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

 

[19]           La Cour d’appel fédérale a récemment explicité la présomption d’existence d’une protection de l’État dans l’arrêt Carrillo c. Canada (MCI), 2008 CAF 94, 69 Imm. L.R. (3d) 309, rendu par le juge Létourneau. La Cour d’appel a fait, aux paragraphes 16 à 30, un examen détaillé de ce qui distingue « le fardeau de la preuve, la norme de preuve et la qualité de la preuve ». Aux paragraphes 33 à 35 de son arrêt, elle a examiné si l’évaluation par la SPR du niveau de la protection de l’État au Mexique dans un contexte de violence familiale était ou non raisonnable :

33     La Commission a conclu que l’intimée n’avait pas déployé d’efforts soutenus pour obtenir la protection de l’État. Pendant quatre années de prétendus mauvais traitements, elle n’avait eu recours à la police qu’une seule fois […]

 

34     En outre, la Commission a conclu, sur le fondement de la preuve produite devant elle, que l’intimée n’avait pas fait d’efforts additionnels pour obtenir la protection des autorités lorsqu’il se fut avéré, selon ses dires, que la police locale ne lui offrirait pas la protection qu’elle recherchait. Elle aurait pu alors s’adresser à la Commission nationale ou d’État des droits de la personne, au Secrétariat de l’administration publique, au Programme contre l’impunité ou à la Direction de l’assistance du Contrôleur général, ou encore recourir à la procédure de plainte offerte par le Bureau du procureur général de la République […]

 

35     Enfin, la Commission fait observer que l’intimée n’avait pas porté plainte contre le frère de son agresseur, qui serait un agent de la police judiciaire fédérale, alors que la preuve indique que les autorités fédérales ont déployé, souvent avec succès, des efforts concrets et considérables pour combattre le crime et la corruption […]

 

La Cour d’appel a jugé que la SPR pouvait raisonnablement conclure, au vu des faits présentés, que l’intéressée pouvait obtenir de l’État, au Mexique, une protection suffisante.

 

[20]           Il est constant en droit que les motifs exposés par la SPR ne doivent pas être examinés à la loupe par une cour de justice et que la SPR n’est pas tenue de faire état de chaque élément qui lui a été soumis et qui va à l’encontre de sa conclusion, ni d’expliquer le poids qu’elle lui a accordé : décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (MCI) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264 (C.F. 1re inst.), rendue par le juge Evans (maintenant juge à la Cour d’appel), au paragraphe 16. La SPR est présumée avoir examiné toutes les preuves, cependant, plus les preuves qui ne sont pas mentionnées explicitement et analysées dans les motifs de la SPR sont importantes, plus une cour de justice sera encline à en déduire que la SPR a tiré sa conclusion sans tenir compte de la preuve : décision Cepeda-Gutierrez, précitée, au paragraphe 17.

 

[21]           La demanderesse a énuméré plusieurs jugements récents de la Cour où les conclusions de la SPR sur la protection de l’État ont été infirmées parce que la SPR avait analysé d’une manière sélective, voire laissé de côté, la preuve qui attestait une insuffisance de la protection de l’État : décision Gilvaja c. Canada (MCI), 2009 CF 598, rendue par le juge O’Keefe, au paragraphe 38; décision Mendoza c. Canada (MCI), 2008 CF 387, rendue par la juge Dawson, au paragraphe 15; décision Mejia c. Canada (MCI), 2010 CF 530, rendue par le juge Near, au paragraphe 17; décision Villicana c. Canada (MCI), 2009 CF 1205, rendue par le juge Russell, aux paragraphes 70 et 71. Dans tous ces précédents, la SPR avait négligé d’expliquer pourquoi elle privilégiait certaines preuves documentaires plutôt que des preuves documentaires et testimoniales substantielles et dignes de foi qui attestaient les lacunes de la protection de l’État.

 

[22]           En l’espèce, la SPR a reconnu, au paragraphe 14 de sa décision, que la violence contre les femmes était endémique au Mexique et que le dispositif de répression mis en place contre les abuseurs était cruellement déficient :

14      Dans ses observations soigneusement préparées, la conseil a mentionné plusieurs manquements de la part des autorités mexicaines relativement au traitement de la violence fondée sur le sexe, dont la culture d’acceptation de cette pratique, même parmi les personnes chargées d’appliquer les lois contre cette violence, la culture d’impunité à l’égard des auteurs de tels actes et les obstacles à la protection, comme la corruption, la situation financière des femmes, la discrétion des juges lorsqu’ils décident des mesures à prendre, et les aspects pratiques, comme les ordonnances qui ne prennent pas effet avant d’être signifiées aux agresseurs. Il ressort manifestement de la preuve documentaire que le Mexique mène une lutte constante contre la violence faite aux femmes, le crime et la corruption. Même si la preuve documentaire corrobore certaines craintes de la demandeure d’asile, elle comprend également de l’information sur les efforts actuellement déployés par le Mexique pour lutter contre le crime, la corruption et la violence faite aux femmes.

 

Au vu de l’extrait susmentionné, il est impossible de dire que la SPR a laissé de côté la preuve contraire. Sans doute n’a-t-elle pas fait état de documents précis, mais il ressort clairement de ses motifs qu’elle a lu et étudié les conclusions écrites des demandeurs, ainsi que les références documentaires qui y apparaissaient.

 

[23]           La SPR a examiné le cadre législatif qui détermine la position officielle du Mexique en matière de violence familiale et considéré la manière dont le Mexique applique ses lois existantes à l’endroit des auteurs de violence familiale et de ceux qui s’en font les complices par la corruption. En l’espèce, la SPR a explicitement analysé la qualité de la protection de l’État à Puebla et pris en compte le témoignage de la mère demanderesse, avant d’arriver à sa conclusion. Puisque les demandeurs n’ont jamais cherché à obtenir la protection de l’État au Mexique, la SPR devait comparer le témoignage de la demanderesse relatif à la protection de l’État à Puebla, avec la preuve documentaire elle-même qui décrivait la protection de l’État à Puebla. Cette méthode était tout à fait raisonnable, au vu des faits, et, selon moi, la SPR n’a pas fait une analyse sélective de la preuve.

 

[24]           La SPR a jugé que, selon la preuve documentaire, les moyens pris contre la violence familiale sont relativement plus énergiques à Puebla et les autorités ont consacré d’importantes ressources aux refuges pour femmes abusées, à la formation des policiers et aux services médicaux et de santé mentale pour les victimes. La protection de l’État à Puebla n’atteint sans doute pas le niveau de celle qui existe au Canada, mais la Cour a dit maintes fois que la protection de l’État n’a pas à être parfaite, il suffit qu’elle soit acceptable. Un demandeur d’asile ne saurait devenir un réfugié au Canada parce que la police au Canada est plus efficace que celle du Mexique. La SPR pouvait raisonnablement conclure, se fondant sur la preuve, que les demandeurs étaient à même d’obtenir la protection de l’État au Mexique si M. Roman parvenait à les trouver au Mexique et décidait de sévir à nouveau contre la demanderesse. Sur ce moyen, la demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[25]           Les deux parties ont informé la Cour que la présente affaire ne soulève pas de question grave de portée générale susceptible d’être certifiée en vue d’un appel. La Cour partage leur avis.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5550-09

 

INTITULÉ :                                       Martha Elena Corzas Monjaras et al.

                                                            c.

                                                            Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 22 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sayran Sulevani

 

POUR LES DEMANDEURS

Suran Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sayran Sulevani

Avocat

Barbra Schlifer Commemorative Clinic

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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