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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100721

Dossiers : T-488-10

T-692-10

Référence : 2010 CF 774

[TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 21 juillet 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

AIR CANADA

demanderesse

et

 

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TORONTO

et PORTER AIRLINES INC.

défenderesses

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les deux demandes ont été présentées par Air Canada et ont été instruites ensemble sur une preuve commune. Elles traitent toutes deux de certaines mesures prises par la défenderesse, l’Administration portuaire de Toronto, à l’égard de l’exploitation d’un aéroport commercial à l’Aéroport des îles de Toronto, maintenant appelé l’Aéroport Billy Bishop de Toronto. L’autre défenderesse, Porter Airlines Inc., est à l’heure actuelle la seule ligne aérienne commerciale transportant des passagers opérant à cet aéroport.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je juge que les demandes doivent être rejetées.

 

I. Les demandes

1)         T-488-10

 

[3]               Cette demande porte sur ce qu’Air Canada caractérise comme une décision prise par l’Administration portuaire de Toronto, datée du 24 décembre 2009. Ce jour-là, l’APT a publié un bulletin intitulé :

[traduction] L’APT annonce les résultats de l’évaluation de la capacité de l’Aéroport Billy Bishop de Toronto et commence à accepter des propositions officielles de transporteurs

 

Voici le contenu de ce bulletin :

[traduction]

Un coordonnateur de créneaux indépendant, agréé par l’IATA, sera nommé au début de 2010 pour gérer la demande des transporteurs et le processus d’attribution des créneaux

 

Toronto – L’Administration portuaire de Toronto (APT) a confirmé aujourd’hui avoir reçu un résumé préliminaire des résultats d’une étude d’impact sonore et d’une évaluation de la capacité mises à jour pour l’Aéroport Billy Bishop de Toronto (ABBT). Les conclusions de l’étude indépendante seront maintenant précisées pour déterminer le nombre de vols commerciaux quotidiens et la combinaison d’appareils qui peuvent être accueillis à l’aéroport durant les années à venir.

 

L’analyse approfondie a évalué tous les facteurs clés ayant une incidence sur l’exploitation de l’aéroport, notamment :

 

▪     l’Accord tripartite de 1983

▪     les lignes directrices sur le bruit

▪     les heures de fonctionnement à l’ABBT et l’incidence sur la collectivité environnante des vols tôt le matin et tard le soir

▪     les limitations liées à l’infrastructure de l’aérogare, des pistes et du transbordeur de passagers

▪     la disponibilité de stationnement et les options de transport en direction ou en provenance du quai Eireann

▪     la combinaison et les types d’aéronefs commerciaux, privés et de plaisance

▪     les vols d’hélicoptères et d’EVASAN

 

« L’Aéroport Billy Bishop de Toronto est un équipement attrayant pour les passagers comme pour les transporteurs », a dit Mark McQueen, président du conseil d’administration de l’APT, « Mais il a une superficie modeste et il est régi par l’Accord tripartite, qui plafonne le nombre de vols commerciaux par jour que peut accueillir l’ABBT. D’après les demandes inofficielles que nous avons reçues des transporteurs commerciaux, la demande de nouveaux créneaux excède nettement l’offre existante. Cette situation de « contrôle des créneaux » n’est pas différente de celle d’autres aéroports d’Amérique du Nord, comme les aéroports Pearson, de Vancouver, Liberty de Newark, JFK, LaGuardia ou Reagan de Washington. Toutes les grandes lignes aériennes reconnaissent qu’un aéroport ne peut attribuer que les créneaux qui existent, même si cela ne permettra pas de répondre à toutes les demandes des transporteurs – situation que l’on retrouve dans tous les aéroports où existe un contrôle des créneaux. »

 

L’étude indépendante a pris en compte l’utilisation actuelle de l’ABBT par des aéronefs de plaisance et des hélicoptères, en plus des quelque 2 500 opérations d’EVASAN par année, qui sauvent des vies. L’étude a aussi considéré que les opérations existantes des transporteurs commerciaux à l’ABBT utiliseront environ 120 créneaux dans la période allant jusqu’à avril 2010, dont certains sont désignés comme [traduction] « opérations de nuit ». Les opérations de nuit sont définies comme des services fonctionnant entre 6 h 45 et 7 h et entre 22 h et 23 h. Selon l’Accord tripartite actuel, l’ABBT est fermé pour tous les vols non urgents entre 23 h  et 6 h 45.

 

« Maintenant que nous avons les résultats en main, l’Autorité portuaire de Toronto entreprendra la phase suivante du processus », a dit Geoff Wilson, président et chef de direction de l’APT. « Nous solliciterons des propositions officielles de services additionnels de lignes aériennes à l’ABBT, tout en veillant à ce que le processus continue d’être ouvert et transparent. »

 

Au cours de la phase suivante du processus, l’APT nommera un coordonnateur de créneaux indépendant, agréé par l’IATA, chargé de gérer la demande des transporteurs commerciaux à l’ABBT et d’attribuer les créneaux disponibles. Le coordonnateur interviendrait comme une partie neutre dans les négociations avec les transporteurs commerciaux et serait chargé de l’attribution des créneaux sur le fondement de processus reconnus à l’échelle internationale.

 

D’après les résultats initiaux de l’étude, l’APT prévoit qu’une fois la deuxième phase de la nouvelle aérogare de l’ABBT complètement terminée au second semestre de 2010, de 42 à 92 créneaux commerciaux additionnels seront disponibles en vue de l’attribution par le coordonnateur de créneaux agréé par l’IATA en vue de l’utilisation par des transporteurs commerciaux en place et nouveaux, selon un certain nombre de variables et de scénarios. Une réflexion est en cours chez les parties prenantes actuelles de l’ABBT pour mieux préciser les modèles d’utilisation en vue de déterminer le nombre précis de créneaux qui pourraient être attribués aux transporteurs en place et aux nouveaux arrivants éventuels. L’APT prévoit que les données mises à jour seront disponibles en janvier 2010.

 

« Notre objectif est d’augmenter et de diversifier le nombre de destinations desservies par l’aéroport », a ajouté M. Wilson. « Il existe beaucoup de destinations court-courrier attrayantes qui ne sont pas encore desservies par l’ABBT et nous souhaitons continuer d’améliorer les choix et les avantages pratiques pour tous les passagers. »

 

L’APT annoncera un processus en vue de la réception et de l’examen de propositions des transporteurs commerciaux éventuels au début de la nouvelle année. Toutes les propositions devront indiquer : i) les destinations de vol proposées; ii) la fréquence du service; iii) l’équipement proposé; iv) les dispositions particulières qui seront prises pour prendre en charge les passagers des proposants à l’ABBT et v) un engagement à long terme du transporteur commercial à l’égard des passagers de l’ABBT.

 

Comme c’est habituel dans de nombreux aéroports, tous les transporteurs commerciaux opérant à l’ABBT seront tenus de conclure un accord d’exploitation de transporteur commercial (AETC) avec l’APT avant de pouvoir commencer leurs opérations aériennes. Les transporteurs commerciaux doivent aussi s’assurer des locaux appropriés dans l’aérogare auprès de City Centre Terminal Corp. – exploitant de l’aérogare de l’ABBT – qui a le droit exclusif et l’obligation contractuelle de fournir à tous les transporteurs commerciaux l’accès à ses nouvelles installations, une fois le projet de construction achevé en 2010. L’APT croit savoir que, jusqu’ici, aucun transporteur commercial n’a répondu à l’appel public lancé le 9 novembre 2009 par City Centre Terminal Corp. demandant des propositions d’utilisation de la nouvelle aérogare de l’ABBT.

 

« J’encourage tous les transporteurs commerciaux souhaitant atterrir à l’ABBT en 2010 à profiter de la possibilité d’utiliser la nouvelle aérogare », a dit M. Wilson. « On ne voit pas bien comment un transporteur commercial pourrait s’attendre à se voir attribuer des créneaux selon ce processus sans un plan bien défini sur la façon dont il compte gérer le trafic des passagers, le contrôle de sécurité et le passage à la frontière. »

 

Avec l’augmentation rapide du trafic mensuel et du nombre de nouveaux transporteurs cherchant à obtenir l’accès à l’aéroport, l’étude de la capacité de l’ABBT a fait ressortir le besoin pour l’APT d’engager de nouvelles immobilisations. En janvier 2009, le conseil de l’APT a résolu d’acquérir un nouveau transbordeur, plus gros, pour accueillir la croissance prévue des passagers qui a fini par se matérialiser en 2009.

 

« Malgré les difficultés liées à la récession, la croissance continue des passagers de Porter, combinée aux propositions de nouveaux transporteurs, signifie que notre tâche de moderniser l’ABBT n’est pas achevée », a poursuivi M. McQueen. « À court terme, nous examinerons les mesures immédiates que nous devons prendre pour faire en sorte que les passagers continuent de profiter de la réussite qu’est devenu l’ABBT. »

 

[4]               Une copie de ce bulletin a été envoyée à un représentant d’Air Canada par un représentant de l’APT le 24 décembre 2009, avec une lettre d’accompagnement disant notamment :

[traduction] Merci pour votre lettre datée du 23 décembre 2009 et pour la lettre de M. Rovinescu à M. Paul, datée du 18 décembre 2009.

 

Veuillez vous reporter au bulletin ci-joint, publié aujourd’hui, qui décrit l’avancement de notre évaluation de la capacité de l’aéroport et qui donne les grandes articulations du processus qui sera suivi pour évaluer et attribuer la capacité de services réguliers commerciaux.

 

Il serait prématuré de faire des commentaires sur les renseignements qui vous ont été fournis, comme nous sommes en train de préparer un processus officiel en vue de la réception et de l’examen des propositions de transporteurs commerciaux éventuels pour le début de l’année prochaine.

 

S’agissant des dispositions concernant l’aérogare, il vous faudra communiquer avec City Centre Terminal Corp.

 

[5]               À la suite de la réception de cette lettre et du bulletin, Air Canada a déposé la première de ses deux demandes de contrôle judiciaire, dossier T-488-10. Le fondement de la demande était exposé dans l’avis de demande dans les termes suivants :

[traduction]

La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision du 24 décembre 2009 (la décision) de l’Administration portuaire de Toronto (APT) annonçant un processus (le processus projeté) selon lequel elle compte attribuer des créneaux à l’Aéroport Billy Bishop de Toronto (l’Aéroport des îles) à compter de 2010. Dans la décision, l’APT a annoncé que, selon le processus projeté :

 

a)         elle nommera un coordonnateur de créneaux indépendant, agréé par l’IATA, pour gérer la demande des transporteurs commerciaux et attribuer les créneaux à l’Aéroport des îles;

 

b)         les transporteurs commerciaux seront tenus de prendre des arrangements en ce qui concerne l’aérogare exclusivement avec City Centre Terminal Corp. (CCTC), société par actions liée à une ou plusieurs des personnes, ou contrôlée par une ou plusieurs des personnes, qui sont actionnaires, administrateurs ou dirigeants de Porter Airlines Inc. (Porter), en vue des locaux d’aérogare à l’Aéroport des îles.

 

La réparation demandée était ainsi formulée :

[traduction]

a)         une ordonnance annulant la décision et le processus projeté pour l’attribution des créneaux existants et des créneaux additionnels nouvellement disponibles à l’Aéroport des îles;

 

b)         une ordonnance portant que l’APT doit agir dans les limites des pouvoirs qui lui sont attribués par la Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10 et conformément à la common law dans l’attribution des créneaux visés en a);

 

c)         une ordonnance interdisant à l’APT de prendre quelque mesure pour mettre en œuvre le processus projeté;

 

d)         les dépens de la présente requête;

 

e)         toute autre réparation que la Cour juge indiquée.

 

Le reste de l’avis de demande donne un exposé des faits et du droit du genre qu’on trouve habituellement dans une demande introductive d’instance.

 

2)         T-692-10

 

[6]               C’est la seconde des deux demandes d’Air Canada. Elle porte sur ce qu’Air Canada caractérise comme une décision prise par l’Administration portuaire de Toronto, datée du 9 avril 2010. Ce jour-là, l’APT a publié un bulletin intitulé :

[traduction]

L’Administration portuaire de Toronto publie un appel de propositions officiel pour amener des transporteurs additionnels à l’Aéroport Billy Bishop de Toronto

 

Voici de larges extraits de ce bulletin :

[traduction] Nomination de la plus grande organisation indépendante de coordination d’aéroport pour examiner les propositions officielles et veiller à l’attribution des créneaux pour des services aériens additionnels

 

Toronto – L’Administration portuaire de Toronto (l’APT) a annoncé aujourd’hui qu’un appel de propositions officiel (AP) pour amener des transporteurs aériens commerciaux additionnels à l’Aéroport Billy Bishop de Toronto (l’ABBT) a été publié et est maintenant à la disposition des proposants qualifiés intéressés.

 

« Comme l’ABBT se transforme en un aéroport de centre-ville de classe mondiale, nous nous sommes fixé comme objectif de diversifier le nombre de destinations offertes dans une volonté de répondre aux demandes de nos voyageurs d’affaires et d’agrément », a dit Geoff Wilson, président et chef de la direction de l’APT. « La publication de l’AP officiel constitue la prochaine phase majeure du processus transparent que nous avons indiqué en décembre. Nous nous réjouissons des possibilités et des services aériens additionnels que cet AP produira pour la population de Toronto, conforme aux paramètres établis par l’Accord tripartite. »

 

Appel de propositions pour amener des transporteurs additionnels

 

Jusqu’à maintenant, l’APT a reçu des indications d’intérêt inofficielles d’Air Canada (que le transporteur a rendues publiques) et d’un transporteur commercial établi aux États-Unis. L’APT invite toutes les parties de l’industrie qualifiées intéressées à fournir des services de transporteur à l’ABBT à participer au processus de l’AP.

 

« Étant donné que l’AP contient des renseignements commerciaux sensibles et que la procédure judiciaire connexe intentée contre l’APT par Air Canada est en cours, toute partie désirant recevoir l’AP doit d’abord conclure un accord commercial ordinaire de non-divulgation », a ajouté M. Wilson. « Nous sommes résolus à respecter la confidentialité de toutes les parties intéressées et, pour cette raison, l’APT conclura le même type d’accord de non-divulgation avec chaque partie intéressée pour protéger les renseignements exclusifs contenus dans chaque nouvelle proposition. »

 

Un processus détaillé de répartition des créneaux

 

En vue de l’examen des propositions reçues dans le cadre du processus d’AP, l’APT a aussi annoncé la nomination d’Airport Coordination Limited (ACL), cabinet indépendant d’experts-conseils spécialisé dans l’évaluation de la demande et de la capacité et dans la gestion du processus d’établissement des horaires, qui sera chargé de gérer la demande des transporteurs commerciaux et d’attribuer les créneaux disponibles pour l’ABBT.

. . .

Dans le cadre de ses responsabilités en tant que coordonnateur des créneaux indépendant pour l’ABBT, ACL appliquera une méthodologie d’attribution des créneaux similaire à celle qu’on utilise dans les autres aéroports d’Amérique du Nord, comme l’Aéroport Pearson, l’Aéroport de  Vancouver, l’aéroport Liberty de Newark, les aéroports JFK, LaGuardia et Reagan.

 

Facteurs d’évaluation de la capacité

 

L’APT a aussi confirmé avoir reçu les résultats finaux d’une évaluation de la capacité de l’ABBT effectuée par un consultant indépendant, Jacobs Consultancy, organisation ayant un chiffre d’affaires de 11 millions de dollars US et qui est l’un des plus gros fournisseurs de services techniques au monde. L’étude a considéré que les opérations existantes des transporteurs commerciaux à l’ABBT utiliseront environ 112 créneaux dans la période conduisant à l’attribution des créneaux additionnels. Après une analyse approfondie qui a évalué les facteurs clés ayant une incidence sur les opérations d’un aéroport, Jacobs Consultancy a recommandé que le nombre maximal de créneaux commerciaux disponibles à l’ABBT soit de 202, au moment de l’achèvement de la nouvelle aérogare.

 

Selon l’analyse de Jacobs Consultancy, qui est fondée sur l’Accord tripartite de 1983 et sur les obligations contenues dans les accords existants avec les transporteurs en place, environ 90 mouvements additionnels par jour seront disponibles et pourront être attribués par ACL aux transporteurs commerciaux existants et aux nouveaux transporteurs à l’ABBT lorsque le nouveau processus aura été mené à terme. La récente acquisition du Marylin Bell I ainsi que l’achèvement de la nouvelle aérogare rendent possible l’augmentation du nombre de créneaux disponibles en vue de l’attribution. Élément important, le chiffre de 202 créneaux a été établi en fonction de l’Accord tripartite de 1983 et de l’analyse nécessaire des courbes d’ambiance sonore (NEF), qui régissent l’utilisation des installations et le bruit ambiant. Selon l’Accord tripartite, les vols commerciaux et de plaisance ne sont pas permis à l’ABBT entre 23 h et 6 h 45.

 

Les analyses des courbes actuelles et antérieures accordent une forte pondération aux mouvements classés comme opérations de nuit, ce qui a réduit nettement et de façon artificielle le nombre de créneaux dans les années antérieures. Dans la formule de courbe d’ambiance sonore, une seule opération entre 22 h et 23 h (définie comme une opération de nuit) équivaut à environ 16 créneaux d’opérations de jour.

 

« Nous avions un choix à faire en tant qu’organisation : prévoir 90 mouvements additionnels de jour et zéro mouvement de nuit, ou 10 mouvements de jour et 5 mouvements de nuit », a ajouté Mark McQueen, président du conseil d’administration de l’APT. Comme les deux nouvelles lignes aériennes proposantes ont demandé ensemble plus de 100 créneaux, nous n’avions pas d’autre choix que de maximiser le nombre de créneaux disponibles. Nous convenons que cela n’a pas produit le nombre de créneaux recherchés, mais nous sommes limités par la superficie restreinte de l’aéroport et par l’Accord tripartite. La décision d’interdire des opérations de nuit commerciales additionnelles maintiendra notre politique de couvre-feu et minimisera l’impact sur la collectivité du Waterfront. »

 

Efforts de compensation des gaz à effet de serre

 

Pour atténuer encore plus l’impact des opérations de l’ABBT sur l’environnement et sur les collectivités environnantes, l’APT acquerra des crédits compensatoires dans un proche avenir.

. . .

 

[7]               Une copie de ce bulletin a été envoyée à un représentant d’Air Canada par un représentant de l’APT, le 9 avril 2010, avec une lettre d’accompagnement disant :

[traduction] Suite à notre lettre datée du 24 décembre 2009 et à votre lettre de demande de renseignements datée du 13 janvier 2010, nous joignons un bulletin qui a été publié aujourd’hui et qui annonce un processus d’appel de propositions (AP) pour considérer des transporteurs additionnels à l’ABBT.

 

Comme l’AP contient des renseignements commerciaux sensibles, les personnes intéressées devront d’abord conclure un accord commercial ordinaire de non-divulgation (AND). Comme l’APT s’est engagée à respecter la confidentialité à l’égard de votre entreprise, nous allons aussi conclure la même forme d’AND.

 

Comme vous avez indiqué votre intérêt à fournir des services à l’ABBT, nous joignons à la présente lettre l’AND du transporteur pour que vous puissiez en prendre connaissance et le signer. Lorsque nous aurons reçu votre AND signé, nous vous transmettrons l’AP et l’AND signé par l’APT.

 

Nous comptons sur votre participation à ce processus.

 

[8]               Le 4 mai 2010, Air Canada a déposé sa seconde demande de contrôle judiciaire, dans le dossier T-692-10, dont le fondement est exposé dans l’avis de demande de la façon suivante :

[traduction]

1.         La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision du 9 avril 2010 (la décision d’avril) de l’Administration portuaire de Toronto (l’APT) annonçant un appel de propositions (le processus d’AP) pour attribuer des créneaux et accorder autrement l’accès aux transporteurs commerciaux cherchant à obtenir l’accès à l’Aéroport Billy Bishop de Toronto (l’Aéroport des îles).

 

2.         La décision d’avril prétend mettre en œuvre la décision de l’APT concernant un processus (le processus projeté) pour l’attribution de créneaux et de l’accès à l’Aéroport Billy Bishop de Toronto (l’Aéroport des îles) annoncé le 24 décembre 2009 (la décision de décembre).

 

3.         Le processus projeté est décrit dans l’avis de demande de contrôle judiciaire déposé par la demanderesse à l’égard de la décision de décembre dans la procédure portant le n° du greffe T‑488‑10 (la demande de décembre).

 

4.         La décision d’avril de l’APT :

 

a)         prend des mesures pour que l’APT conclue un contrat pour attribuer des créneaux de vol et donne autrement accès à l’Aéroport des îles aux transporteurs commerciaux participant au processus d’AP;

 

b)         permet aux transporteurs commerciaux de conclure des accords de non-divulgation en vue de conclure des accords d’exploitation de transporteur commercial (AETC) avec l’APT;

 

c)         nomme Airport Coordination Limited (ACL) comme « coordonnateur de créneaux indépendant » pour gérer la demande des transporteurs commerciaux et attribuer les créneaux à l’Aéroport des îles;

 

d)         permet à ACL de mettre en œuvre une attribution de créneaux similaire à celle qui se pratique aux « autres aéroports d’Amérique du Nord, comme l’Aéroport Pearson, l’Aéroport de Vancouver, l’aéroport Liberty de Newark, les aéroports JFK, LaGuardia et Reagan »;

 

e)         permet à l’APT de recevoir des indications d’intérêt, notamment d’un transporteur commercial établi aux États-Unis, et invite les intéressés à participer au processus d’AP.

 

[9]               La réparation demandée par Air Canada dans le second avis de demande est la suivante :

[traduction]

a)         une ordonnance annulant la décision d’avril et le processus d’AP pour l’attribution des créneaux existants et des créneaux additionnels nouvellement disponibles à l’Aéroport des îles;

 

b)         une ordonnance annulant les accords contractuels qui ont pu être conclus conformément à la décision d’avril ou au processus d’AP, ou qui en découlent, notamment ceux qui attribuent les créneaux ou donnent autrement accès à l’Aéroport des îles;

 

c)         une ordonnance portant que l’APT doit agir dans les limites des pouvoirs qui lui sont attribués par la Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10 et conformément à la common law dans l’attribution des créneaux visés en a);

 

d)         une ordonnance interdisant à l’APT de prendre quelque mesure pour mettre en œuvre la décision d’avril ou le processus d’AP;

 

e)         les dépens de la présente demande;

 

f)          toute autre réparation que la Cour juge indiquée.

 

[10]           Contrairement au premier avis de demande, qui donnait un récit des faits du genre de ce qu’on trouve dans une demande introductive d’instance, le second avis expose les motifs de la demande de façon concise :

 

[traduction]

LES MOTIFS DE LA DEMANDE SONT LES SUIVANTS :

 

5.         Dans le cadre de la demande de décembre, l’avocat de l’APT a formulé certaines observations à la Cour les 23 et 24 mars 2010 et à une conférence de gestion d’instance tenue le 12 avril 2010 concernant la mise en œuvre du processus projeté pendant que la demande de décembre était pendante. Par conséquent, Air Canada cherche à faire en sorte que la mise en œuvre du contrôle judiciaire projeté soit assurée.

 

6.         Air Canada, dans la demande de décembre, expose les motifs de sa demande comme étant d’annuler la décision de décembre et d’interdire sa mise en œuvre.

 

7.         La décision d’avril met effectivement en œuvre le processus projeté exposé dans la décision de décembre.

 

8.         Air Canada reprend et invoque dans la présente demande attaquant la décision d’avril les motifs exposés dans la demande de décembre.

 

[11]           Bien que la défenderesse Administration portuaire de Toronto ait été le « décideur » dans les faits exposés dans les deux demandes, Porter était également nommée comme défenderesse et a participé pleinement à la procédure.

 

3)         À l’audience

 

[12]           Au cours des plaidoiries à l’audience sur ces demandes, l’avocat d’Air Canada, Me Finkelstein, a reformulé la réparation demandée par son client de la façon suivante :

[traduction]

1.         Une déclaration que le processus suivi par l’Administration portuaire de Toronto était entaché d’un vice fatal;

 

2.         Que l’accord d’exploitation de transporteur commercial de 2010 (AETC de 2010) conclu entre l’Administration portuaire de Toronto, Porter et Porter Aviation Holdings Inc. soit annulé;

 

3.         Que le processus en vue de l’attribution de créneaux à l’Aéroport Billy Bishop de Toronto soit repris de façon « correcte », ce qui comprend des consultations avec Air Canada.

 

II. Les parties, l’ABBT, les créneaux et l’IATA

 

[13]           La demanderesse, Air Canada, est la ligne aérienne nationale et internationale la plus importante du Canada. Sont affiliées à son groupe, d’une manière ou d’une autre, Jazz Air et, auparavant, Air Ontario, qui sont et étaient des lignes aériennes régionales plus petites opérant au Canada et, dans une certaine mesure, à l’échelon international. À l’heure actuelle, Air Canada dessert la région du Grand Toronto dans ses installations situées à l’Aéroport international Pearson. La défenderesse Porter Airlines Inc. n’a pas d’installations à l’Aéroport Pearson.

 

[14]           La défenderesse Administration portuaire de Toronto (APT) se décrit de cette façon dans les bulletins qu’elle a publiés, comme le bulletin du 9 avril 2010 :

[traduction] L’Administration portuaire de Toronto est une société d’État, constituée le 8 juin 1999, en vertu de la Loi maritime du Canada, comme remplaçante des commissaires du havre de Toronto. Elle est un organisme public fédéral qui fournit aux entreprises des services de transport, de distribution, d’entreposage et de conteneurs. L’APT est propriétaire et exploitante de l’Aéroport Billy Bishop de Toronto, des terminaux portuaires 51 et 52 et de la Marina de l’avant-port. De plus, elle effectue des contrôles réglementaires et fournit des services de travaux publics afin d’améliorer la sécurité et l’efficacité de la navigation maritime et de l’aviation dans le port et le havre de Toronto.

 

[15]           La défenderesse Porter Airlines Inc. (Porter) est une ligne aérienne commerciale établie à l’Aéroport Billy Bishop de Toronto (l’ABBT). Elle a été créée à partir de sociétés qu’elle a remplacées, notamment Regional Holdings (Regco), à partir de 2002 environ. Porter fait partie d’un groupe, dont font aussi partie d’autres sociétés, notamment Porter Aviation Holdings Inc., City Centre Terminal Corp., qui s’occupent toutes d’une façon ou d’une autre des opérations de cette ligne aérienne à cet aéroport. La défenderesse Porter a commencé à opérer comme ligne aérienne commerciale vers 2006 avec deux appareils et des itinéraires régionaux limités et possède maintenant un nombre plus grand d’appareils exploitant des liaisons avec de nombreuses villes en Ontario, au Québec, dans les Maritimes et aux États-Unis.

 

[16]           L’aéroport situé à l’extrémité ouest des îles de Toronto, près du cœur du centre-ville de Toronto, n’est pas une partie à la présente procédure, bien qu’il y joue un rôle central. On y accède par un transbordeur assurant la navette sur le passage ouest. L’aéroport a été connu sous des noms qui ont changé, Aéroport des îles de Toronto, Aéroport du centre-ville de Toronto et Aéroport Billy Bishop de Toronto (l’ABBT). Le terrain appartient à la Ville de Toronto, qui l’a loué à la défenderesse Administration portuaire de Toronto. Au cours des années, cet aéroport a rempli diverses fonctions, notamment fournir des installations pour les appareils d’urgence médicale et pour l’« aviation générale » (AG), terme indiquant les petits aéronefs privés et nolisés. Des activités de lignes aériennes commerciales de transport de passagers ont été exercées à un moment ou à un autre à cet aéroport par City Express (qui n’existe plus), Air Ontario, Jazz Air et, plus récemment, Porter.

 

[17]           Un autre terme dont il faut discuter au départ, c’est « créneau ». Parfois, on parle plutôt de « mouvement ». En termes d’aviation commerciale, un « créneau » désigne la plage horaire allouée pour le décollage ou l’atterrissage d’un aéronef; chaque plage horaire est un « créneau ». Dans le contexte de la présente procédure, il y a des créneaux en « période calme », c’est-à-dire entre 6 h 45 et 7 h et entre 22 h et 23 h. On emploie aussi le terme créneaux « en période de pointe » pour désigner les créneaux attribués aux heures où le trafic passagers est le plus grand, comme les voyages d’affaires en début de matinée et en fin d’après-midi.

 

[18]           IATA est l’acronyme de l’Association du Transport Aérien International, fondée en 1945. C’est une association formée de lignes aériennes qui représentent plus de quatre-vingt-dix pour cent (90 %) du trafic aérien international régulier dans le monde. Air Canada en est membre, mais non Porter. Aucun aéroport n’est membre; toutefois, de nombreux aéroports obtiennent auprès de l’IATA le statut de « conseiller aéroport ». L’ABBT n’est pas un conseiller aéroport. L’IATA publie des lignes directrices qui ne sont pas obligatoires, mais que les aéroports peuvent décider d’appliquer, notamment pour la gestion des créneaux. Certains aéroports, comme l’Aéroport Pearson, ont adopté ces lignes directrices. D’autres aéroports les suivent dans une certaine mesure. Parmi ces lignes directrices, on trouve celles qui concernent la gestion des créneaux, dans lesquelles les aéroports sont classés en trois catégories, la catégorie 1, la catégorie 2 et la catégorie 3. La catégorie 1 signifie essentiellement que les créneaux sont gérés sur une base de coopération. La catégorie 3 signifie que la demande de créneaux excède l’offre et qu’un coordonnateur de créneaux a été nommé pour gérer les créneaux et imposer aux utilisateurs les décisions prises. Pour passer dans une catégorie plus élevée, il faut un certain degré de consultation entre les utilisateurs et, à l’occasion, ceux qui comptent devenir utilisateurs, de l’aéroport.

 

III. La preuve

 

[19]           Toutes les parties ont déposé une preuve dans la présente procédure. Étant donné que la procédure a été engagée par la voie de demandes, aucun témoin n’a comparu en personne devant la Cour. Aucune des parties n’a soulevé de question sérieuse concernant la crédibilité d’un témoin et la Cour n’a pas non plus tiré de conclusions à cet égard. Tous les témoins sont considérés comme crédibles. Chaque partie a présenté une preuve d’expert. Porter a formulé des objections à certains éléments de preuve présentés par Air Canada, que je noterai ci-dessous.

 

[20]           Dans chacune des demandes, des ordonnances ont été prononcées portant qu’une partie de la preuve resterait scellée et serait confidentielle jusqu’à ce qu’une autre ordonnance de la Cour soit prononcée à cet égard. Les audiences ont été publiques.

 

[21]           En particulier, ont été produits en preuve :

            A)        Pour la demanderesse Air Canada

1.         Les affidavits de Leslie Allan Lupo, souscrits le 3 février 2010 et le 14 mai 2010, accompagnés des pièces qui y sont indiquées (dossier de la demanderesse, p. 79 à 564). M. Lupo a été contre-interrogé le 9 juin 2010 et certaines pièces ont été identifiées à ce moment-là (dossier de la demanderesse, p. 2757 à 2793). Il est conseiller juridique principal à l’Association du Transport Aérien International (IATA). Il n’est pas clair s’il témoignait seulement au sujet des pratiques suivies par l’IATA ou s’il se situait à un niveau plus général en parlant de « normes internationales ». Dans la mesure où son témoignage va au-delà de ce qui concerne l’IATA, je lui accorderai peu de poids étant donné que son expertise au sujet de ce qui va au-delà de l’IATA n’a pas été établie.

2.         Les affidavits de Gustavo Baumberger souscrits le 5 février 2010 et le 18 août 2010, accompagnés des pièces qui y sont indiquées (dossier de la demanderesse, p. 565 à 822). M. Baumberger a été contre-interrogé le 15 juin 2010 et une pièce a été identifiée à ce moment-là (dossier de la demanderesse, p. 2906 à 2961). Il est premier vice-président de Compass Lexicon, cabinet d’experts-conseils spécialisé dans l’application de l’économie à des questions juridiques et réglementaires. Aucune objection n’a été formulée au sujet de son expertise.

3.         Les affidavits de Marcel Forget souscrits le 8 février 2010, le 19 mai 2010 et le 7 juin 2010, accompagnés des pièces qui y sont indiquées (dossier de la demanderesse, p. 823 à 1235). M. Forget a été contre-interrogé le 14 juin 2010 et une pièce a été identifiée à ce moment-là (dossier de la demanderesse, p. 2794 à 2905). Une réponse écrite à un engagement a ensuite été fournie (dossier de la demanderesse, p. 2962 à 2969). M. Forget est vice-président - Planification du réseau d’Air Canada. Il a été présenté comme un témoin des faits. L’avocat de Porter s’est inquiété de ce qu’une partie du témoignage de M. Forget ne reposait pas sur une connaissance directe ou constituait essentiellement une argumentation de l’avocat. J’accorderai peu de poids à cette partie de son témoignage.

4.         L’affidavit d’Alain Boudreau souscrit le 8 février 2010, accompagné des pièces qui y sont indiquées (dossier de la demanderesse, p. 1236 à 1389). M. Boudreau a été contre-interrogé le 7 juin 2010, et des pièces ont été identifiées à ce moment-là (dossier de la demanderesse, p. 2521 à 2682). Une réponse écrite à un engagement a été produite (dossier de la demanderesse, p. 2962 à 2969). M. Boudreau est premier directeur Air Canada Jetz et Produits spécialisés chez Air Canada. Il a été présenté comme témoin des faits. L’avocat de Porter a formulé une objection portant qu’une partie du témoignage de M. Boudreau ne provenait pas d’une connaissance directe. J’attribuerai peu de poids à cette partie de son témoignage.

5.         Les affidavits d’Elize LeGraw, souscrits le 26 mars 2010 et le 30 avril 2010, accompagnés des pièces qui y sont indiquées (dossier de la demanderesse, p. 1390 à 1394 et 2486 à 2520). Il n’y a pas eu de contre-interrogatoire. Mme LeGraw est une stagiaire au cabinet d’avocats de la demanderesse. Ses affidavits ont servi à produire certains documents.

6.         L’affidavit de Janet Jones souscrit le 19 mai 2010, accompagné des pièces qui y sont indiquées (dossier de la demanderesse, p. 1395 à 2312). Il n’y a pas eu de contre-interrogatoire. Mme Jones est une stagiaire au cabinet d’avocats de la demanderesse. Son affidavit a servi à produire certains documents.

B)        Pour la défenderesse APT

1.         Certains documents fournis en réponse à la requête de la demanderesse en vertu de la règle 318 (dossier de la demanderesse, p. 2314 à 2485).

2.         L’affidavit d’Alan J. Paul souscrit le 26 avril 2010, accompagné des pièces qui y sont indiquées (dossier de l’APT, p. 1 à 1423). M. Paul a été contre-interrogé le 8 juin 2010 et une pièce a été identifiée à ce moment-là (dossier de la demanderesse, p. 2970 à 3135). Une réponse écrite à des engagements a été fournie (dossier de la demanderesse, p. 3233 à 3325). M. Paul est vice-président et chef des finances de l’Administration portuaire de Toronto (APT). Il a été présenté comme un témoin des faits.

3.         L’affidavit de Michael Tretheway souscrit le 29 avril 2010, accompagné des pièces qui y sont indiquées (dossier de l’APT, p. 1424 à 1648). M. Tretheway a été contre-interrogé le 28 mai 2010 et une pièce a été identifiée à ce moment-là (dossier de la demanderesse, p. 3326 à 3369). M. Tretheway est vice-président exécutif et chef économiste d’InterVISTAS Consulting Inc., possédant une expertise en économie du transport. Son témoignage a été présenté comme celui d’un expert. On n’a pas contesté son expertise.

4.         Les affidavits de Geoffrey Wilson souscrits le 30 avril 2010 et le 27 mai 2010, accompagnés des pièces qui y sont indiquées (dossier de l’APT, p. 1649 à 2013). M. Wilson a été contre-interrogé le 11 juin 2010 et une réponse écrite à certains engagements a été fournie (dossier de la demanderesse, p. 3136 à 3325). M. Wilson est le président et chef de la direction de l’Administration portuaire de Toronto (APT). Il est le successeur du témoin M. Paul. Il a été présenté comme un témoin des faits.

C)        Pour la défenderesse Porter

1.         Les affidavits de Michael Deluce souscrits le 29 avril 2010 et le 26 mai 2010, accompagnés des pièces qui y sont indiquées (dossier de Porter, p. 1 à 1313). M. Deluce a été contre-interrogé le 4 juin 2010, et une pièce a été présentée, sous réserve d’une objection, à ce moment-là (dossier de la demanderesse, p. 3370 à 3468). Une réponse écrite à des engagements a été fournie (dossier de Porter, p. 1359). M. Deluce est le vice-président exécutif et le délégué commercial principal de la défenderesse Porter Airlines Inc. (Porter) et de plusieurs des sociétés de son groupe. Il a été présenté comme un témoin des faits.

2.         Les affidavits de Roger Ware souscrits le 29 avril 2010 et le 2 juin 2010, accompagnés des pièces qui y sont indiquées (dossier de Porter, p. 1315 à 1356). M. Ware a été contre-interrogé le 4 juin 2010 et une pièce a été identifiée à ce moment-là (dossier de la demanderesse, p. 3370 à 3502). M. Ware, titulaire d’un doctorat, est professeur d’économie à l’Université Queen’s; son expertise est centrée sur l’organisation industrielle, notamment l’économie antitrust, la politique de la concurrence et le comportement stratégique. Il a été engagé pour critiquer certains éléments de la preuve d’experts présentée par la demanderesse. Son témoignage a été présenté à titre de preuve d’expert. Aucune objection n’a été formulée au sujet de son expertise.

 

IV. Les questions en litige

 

[22]           Air Canada formule les questions en litige dans son mémoire simplement de la façon suivante :

[traduction]

1.         Les décisions sont-elles susceptibles de contrôle judiciaire?

2.         Les décisions sont-elles invalides?

 

[23]           L’Administration portuaire de Toronto expose les questions en litige de façon plus détaillée dans son mémoire :

[traduction]

a)         Air Canada peut-elle invoquer comme motifs le déni de l’équité procédurale et le « caractère déraisonnable quant à la forme et au fond » et des violations de lois, aucun de ces motifs n’ayant été énoncés dans les avis de demande de contrôle judiciaire?

 

b)         Air Canada peut-elle former régulièrement ces demandes de contrôle judiciaire, étant donné qu’elle n’est pas « directement touchée », et compte tenu du pouvoir discrétionnaire de la Cour dans ces matières et des cas où elle a présenté les mêmes demandes ou des demandes similaires?

 

c)         À l’égard des mesures dont il est fait grief dans ces demandes, l’APT est-elle un office fédéral assujetti au contrôle judiciaire?

 

d)         Si les mesures de l’APT dont il est fait grief sont susceptibles de contrôle judiciaire, l’APT avait-elle l’obligation de consulter Air Canada?

 

e)         Le bulletin du 24 décembre 2009 et l’annonce qui y est faite du futur processus d’attribution de créneaux constituent-ils une ordonnance ou une mesure susceptible de contrôle judiciaire?

 

f)          Air Canada est-elle hors délai pour demander le contrôle judiciaire de la décision d’attribuer à Porter les créneaux « protégés par des droits acquis »?

 

g)         Les mesures de l’APT dont il est fait grief peuvent-elles être révisées sur le fondement de leur « caractère déraisonnable quant à la forme et au fond »?

 

h)         Les décisions en litige ont-elles été prises en vue d’une fin étrangère ou inappropriée?

 

[24]           Porter, dans son mémoire, formule les questions en litige plus simplement :

[traduction]

a)         Air Canada peut-elle former régulièrement ces demandes de contrôle judiciaire?

 

b)         L’APT a-t-elle manqué à une obligation d’équité qu’elle pouvait avoir?

 

c)         Les « décisions » attaquées de l’APT sont-elles raisonnables?

 

d)         L’APT a-t-elle agi en vue d’une fin inappropriée?

 

[25]           Certaines questions ont été laissées de côté, d’autres ont été reformulées ou regroupées et de nouvelles questions se sont posées au cours des plaidoiries. De la façon dont les choses se sont passées, à la fin de l’audience, les questions suivantes se sont dégagées comme celles que je dois traiter :

1.         À l’égard des « décisions » en litige, l’Administration portuaire de Toronto agissait-elle en tant qu’« office fédéral », de sorte qu’elle était assujettie au contrôle judiciaire de ces décisions devant la Cour?

2.         Air Canada est-elle une « personne intéressée », ayant la qualité pour demander le contrôle judiciaire de ces « décisions » devant la Cour?

3.         Les « décisions » du 24 décembre 2009 et du 9 avril 2010 étaient-elles d’un type susceptible de contrôle judiciaire devant la Cour?

4.         Air Canada a-t-elle plaidé correctement certains des motifs qu’elle invoque maintenant au soutien du contrôle judiciaire?

5.         L’Administration portuaire de Toronto avait-elle l’obligation de consulter Air Canada avant de prendre les « décisions » du 24 décembre 2009 et du 9 avril 2010?

6.         Les « décisions » étaient-elles raisonnables quant à la « forme » et au « fond »?

7.         L’APT avait-elle l’obligation de donner des « motifs » de ses décisions et, si elle a donné des motifs, étaient-ils suffisants?

8.         Les « décisions » ont-elles été prises en vue d’une fin inappropriée?

 

V. Chronologie des événements

 

[26]           L’historique des événements concernant l’Aéroport des îles de Toronto, la Ville de Toronto, les parties à la procédure et les personnes qu’elles ont remplacées et celles qui font partie de leur groupe et les autres personnes est long et complexe. Il serait impossible d’exposer chaque événement de manière détaillée. Je me contenterai d’en énumérer quelques-uns dans un ordre plus ou moins chronologique :

1.         L’Aéroport des îles de Toronto (que j’appellerai parfois l’ABBT) a été construit au début des années 1930 sur un terrain situé à l’extrémité ouest des îles de Toronto. Ce terrain appartenait, et appartient toujours, à la Ville de Toronto. Le service de transbordeur donnant accès à l’ABBT à partir de la rive a commencé en 1964.

2.         Le 30 juin 1983, un accord a été conclu entre la Ville de Toronto, les Commissaires du havre de Toronto (remplacés par la défenderesse Administration portuaire de Toronto) et le ministre des Transports au sujet de l’Aéroport des îles de Toronto. Cet accord est habituellement appelé l’Accord tripartite. Il accorde aux Commissaires du havre de Toronto (remplacés par l’Administration portuaire de Toronto) un bail de 50 ans de l’Aéroport des îles et des installations connexes selon un certain nombre de modalités, dont le paiement d’un loyer. Notamment, le locataire (les Commissaires du havre de Toronto) était obligé de réglementer la fréquence globale des mouvements d’aéronefs de manière à respecter certaines restrictions en matière de bruit. En cas de défaut du locataire, si celui-ci ne remédiait pas au défaut dans un délai raisonnable, le ministre des Transports avait le droit d’intervenir et d’exploiter l’aéroport, sans quoi l’aéroport devait revenir à la Ville de Toronto.

3.         Dans les années 1980, une entité dénommée City Express a établi et exploité avec succès des liaisons aériennes commerciales à l’ABBT. Cette entité ne faisait pas partie du groupe de l’une des parties à la présente procédure et n’était pas non plus liée à l’une d’elles. Des liaisons ont été établies entre l’ABBT, Ottawa, Montréal, Newark et d’autres aéroports.

4.         En 1991, City Express a cessé ses activités.

5.         Vers 1990, Air Ontario, filiale d’Air Canada, avait commencé des activités à l’ABBT. Cette entité et une autre société du groupe d’Air Canada, Jazz, ont exercé de façon continue des activités à l’ABBT jusqu’en 2006, date où ces entités y ont cessé toutes leurs activités. Au départ, ces activités ont été couronnées de succès, desservant diverses destinations à partir de l’ABBT; toutefois, avec les années, le nombre de destinations desservies, la fréquence des vols et le soin et l’attention portée aux installations ont diminué considérablement.

6.         Le 11 juin 1998, la sanction royale a été donnée à la Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10. Cette loi abrogeait la loi antérieure concernant la navigation et le transport, dont la Loi de 1989 sur les commissaires du havre de Toronto, 33‑34‑35 Eliz II, ch. 10. La Loi maritime du Canada prévoyait la délivrance de lettres patentes pour établir une administration portuaire (article 8); ces lettres patentes n’étaient pas considérées comme constituant des textes réglementaires, mais seraient publiées dans la Gazette du Canada (paragraphe 8(3)).

7.         Le 8 juin 1999 ont pris effet les lettres patentes établissant l’Administration portuaire de Toronto et exposant certaines activités que devait exercer cette administration. Ces lettres ont été publiées dans la Gazette du Canada, Partie 1, le 5 juin 1999. L’alinéa 7.2j) autorisait l’APT à exploiter l’ABBT conformément à l’Accord tripartite. En juin 1999, les lignes aériennes faisant partie du groupe d’Air Canada étaient les seules lignes aériennes commerciales opérant à cet aéroport.

8.         L’ABBT fonctionnait à perte pendant que les sociétés du groupe d’Air Canada y opéraient. En 2002, ces opérations avaient diminué considérablement. L’APT avait des discussions constantes avec Jazz, lui demandant de prendre un engagement à l’égard des opérations à l’aéroport. Dans l’intervalle, l’APT avait aussi entrepris des discussions avec les sociétés remplacées par Porter au sujet de la possibilité pour elle d’établir des liaisons aériennes à l’ABBT et d’y revitaliser les services et les installations.

9.         Le 18 juillet 2002, le Bureau de la concurrence a écrit une lettre à l’APT, avec copie à Transports Canada, concernant les propositions faites par RAH (l’une des sociétés remplacées par Porter) à l’APT sur l’inauguration d’un nouveau service de ligne aérienne à l’ABBT (qui était alors appelé l’Aéroport du centre-ville de Toronto (ACVT)). La lettre indiquait que le Bureau croyait comprendre que RAH comptait accroître ses opérations de façon importante sur une période de quatre ans et voulait notamment obtenir des droits exclusifs à 143 des 167 créneaux disponibles. Elle disait notamment :

[traduction]

Au sujet de la proposition de RAH, je tiens à vous faire trois observations.

 

Premièrement, l’Aéroport international Lester B. Pearson (l’Aéroport Pearson) et l’ACVT sont des proches substituts l’un de l’autre pour les passagers de la Ville de Toronto qui ont les mêmes destinations. L’ACVT n’est pas un marché en lui-même. Le fait qu’un transporteur domine les services sur une liaison donnée comme Toronto-Ottawa à partir de l’ACVT est seulement une partie de l’analyse de la concurrence. Il faudrait considérer la concurrence qui existerait de la part de transporteurs opérant à l’Aéroport Pearson. Pour les passagers de la région du Grand Toronto et de sa périphérie, d’autres aéroports comme Hamilton et Buttonville seraient aussi pertinents étant donné qu’ils se trouvent dans la zone desservie par l’Aéroport Pearson. AC domine les services à l’Aéroport Pearson, et l’Aéroport Pearson est de loin l’aéroport le plus important desservant la Ville de Toronto et sa périphérie. Par conséquent, même si un transporteur autre qu’AC fournissait la majorité des services à l’ACVT, il est peu probable que ce transporteur domine sur une liaison qui est aussi offerte à l’Aéroport Pearson.

 

Deuxièmement, en règle générale, l’exclusivité ne pose problème dans le cadre de la Loi sur la concurrence que lorsqu’elle aurait pour conséquence d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Étant donné la domination actuelle d’AC, l’exclusivité des créneaux à l’ACVT accordée à un autre transporteur ne satisfera probablement pas à ce critère.

 

Troisièmement, du point de vue de la politique de la concurrence, l’exclusivité et les autres restrictions contenues dans la proposition de RAH ne sont peut-être pas souhaitables ou nécessaires pour encourager une concurrence nouvelle. La véritable préoccupation de RAH est qu’AC adoptera un comportement prédateur en augmentant considérablement la capacité à court terme en vue d’éliminer RAH. Nous sommes d’avis qu’on pourrait répondre à ces préoccupations en plafonnant AC à son utilisation ou son lot actuel de créneaux pendant une période suffisante pour voir si RAH peut exécuter son plan d’entreprise. Il semble qu’AC utilisait 24 des 44 créneaux qui lui étaient attribués jusqu’à l’annonce publique de RAH, puis s’est mise à utiliser 38 créneaux en mai de cette année. Il semblerait donc qu’AC a répondu, dans une certaine mesure, à la menace potentielle de nouvelle entrée à l’ACVT en augmentant le service.

 

Étant donné ce fait, combiné à la domination existante à l’Aéroport Pearson, un plafonnement imposé à AC à 38 ou 44 créneaux pourrait être justifié comme mesure provisoire pour voir si RAH ou d’autres nouveaux arrivants pourraient être trouvés pour offrir le service à l’ACVT. Nous ne croyons pas que l’exclusivité d’itinéraires ou des restrictions au changement de gabarit sont nécessaires pour apporter une réponse aux préoccupations notées ci-dessus. Si l’Administration portuaire de Toronto souhaite accorder à RAH l’exclusivité sur tous les créneaux qui ne sont pas utilisés par AC, nous suggérons de mettre en place des jalons précis pour encourager RAH à mettre en œuvre son plan d’entreprise dans un délai raisonnable.

 

10.       Le 6 septembre 2002, l’APT et RAH ont conclu un protocole d’entente concernant l’établissement d’un service aérien par RAH à l’aéroport. Un communiqué a été publié à ce sujet le 4 octobre 2002.

11.       Le Bureau de la concurrence a envoyé une lettre à RAH (Regco) datée du 10 février 2003, donnant une évaluation, du point de vue de la concurrence, des propositions contenues dans le protocole d’entente. Cette lettre disait notamment :

[traduction]

L’accord projeté

 

Nous croyons comprendre que Regional Airlines Holdings Inc. (Regco) et l’Administration portuaire de Toronto (APT) ont conclu un protocole d’entente (PE) le 6 septembre 2002. Voici comment nous comprenons les faits pertinents relatifs au PE :

•     Toutes les restrictions indiquées dans le PE sont limitées dans le temps à une durée totale de 30 mois suivant l’achèvement de la Phase 2 ainsi qu’il est exposé à l’Annexe A du PE, défini comme la date d’achèvement du pont liant l’île du centre-ville de Toronto et la rive (le pont). Selon ce que nous comprenons, la date cible actuelle pour l’achèvement du pont est mai 2004.

 

•     L’APT accordera à Regco une option irrévocable pouvant être levée jusqu’au 28 février 2003 en vue de l’acquisition de l’APT de droits exclusifs d’utilisation de 115 créneaux de mouvement quotidien de gros avions à turbopropulseurs (au sens défini à l’Annexe A du PE) à l’ACVT sur une base d’achat ferme.

 

•     Regco commencera à exploiter une ligne aérienne régionale établie à l’Aéroport du centre-ville de Toronto (ACVT) à l’achèvement du pont.

 

•     L’APT ne mettra à la disposition d’Air Canada et des entreprises associées à Air Canada (au sens défini dans le PE) qu’entre 22 et 32 créneaux de mouvement de gros avions à turbopropulseurs.

 

•     L’APT ne louera à Air Canada ou aux entreprises associées à Air Canada des locaux dans la nouvelle aérogare que si Air Canada ou les entreprises associées à Air Canada ne peuvent renouveler leurs baux actuels dans leurs locaux actuels.

 

•     L’APT limitera Air Canada et les entreprises associées à Air Canada aux destinations actuellement desservies par elles collectivement à l’ACVT.

 

•     L’APT gardera en réserve de 20 à 30 créneaux pour gros avions à turbopropulseurs. L’APT ne mettra pas à la disposition d’un autre transporteur ou n’attribuera pas à un autre transporteur l’un des 20 à 30 créneaux gardés en réserve, à Air Canada et aux entreprises associées à Air Canada, ou à tout autre transporteur pour lui permettre de fournir une liaison à destination ou en provenance des mêmes aéroports que Regco.

 

•     Dans le cas où avant l’expiration de la période de déploiement, l’APT augmente les créneaux de mouvement disponibles pour les gros avions à turbopropulseurs à l’ACVT au-delà de 167, ou l’un des 22 à 32 créneaux pour gros avions turbopropulseurs attribués ou à attribuer à Air Canada ou aux entreprises associées à Air Canada devient disponible, l’APT n’accordera pas ces créneaux additionnels à une personne quelconque sans d’abord les offrir à Regco.

 

•     Les créneaux attribués pour les petits avions à turbopropulseurs ne font pas l’objet de restrictions pour les itinéraires qui ne sont pas desservis par Regco.

 

•     L’accord ne semble pas avoir d’incidence sur la capacité de l’APT de répondre aux demandes de transporteurs transfrontaliers.

. . .

 

Évaluation du point de vue de la concurrence

 

                   L’affaire a été examinée en fonction des articles 75, 77 et 79 de la Loi sur la concurrence.

 

Le marché de produits pertinent

 

                   Le point de départ pour apprécier la demande de Regco est de définir le marché pertinent (marché de produits et marché géographique) et de considérer la preuve prima facie fournie par les parts de marché et tous les autres facteurs qui peuvent être pertinents pour l’interprétation de la Loi.

 

                   À notre avis, le marché de produits pertinent touché par le PE est la fourniture de services aériens.

 

                   S’agissant de la dimension géographique du marché, le marché géographique pertinent, à notre avis, englobe la fourniture de services aériens à destination et en provenance de la région du Grand Toronto. À cet égard, nous considérons que l’ACVT et l’Aéroport Pearson attirent des passagers de la même zone desservie et que les services de ces deux aéroports se complètent les uns les autres.

 

                   Nous comprenons que chaque aéroport possède certains avantages géographiques et d’autre nature que ne possède pas l’autre aéroport. Par exemple, en raison de la grande échelle et de l’ampleur de ses installations, l’Aéroport Pearson peut accueillir le trafic en correspondance alors que l’ACVT dessert essentiellement les passagers point à point. Toutefois, il semblerait d’après la preuve que nous avons examinée que l’un ou l’autre des transporteurs aériens peut fournir un service concurrentiel pour les passagers voyageant à destination ou à partir de la région de Toronto, y compris aux passagers situés près du cœur du centre-ville.

 

                   C’était le cas dans les années 1980 lorsque City Express faisait concurrence à Air Canada sur un certain nombre de liaisons offertes à la fois à l’ACVT et à l’Aéroport Pearson et nous ne voyons pas pour quelle raison la situation serait différente dans l’environnement d’aujourd’hui. Nous notons également la preuve provenant de l’enquête qui a été faite, montrant que même avec une fréquence limitée et sans différence de prix significative entre les services disponibles à l’Aéroport Pearson et à l’ACVT, certains passagers continuent d’utiliser les services aériens offerts aux deux aéroports. Il nous semblerait très peu probable que même un transporteur monopoliste à l’ACVT puisse exercer une emprise sur le marché compte tenu des possibilités concurrentes de vols à Pearson et peut-être à d’autres aéroports (Hamilton et Buttonville) dans la région. Compte tenu de la proximité des deux aéroports et de la preuve de substitution et d’interaction concurrentielle sur des périodes antérieures, nous concluons que les services aériens offerts à Pearson ou à l’ACVT font partie du même marché géographique.

 

                   Étant donné cette définition du marché pertinent, il est clair que Regco ne sera pas dominante en matière de services aériens.

 

Articles 77 et 79

 

                   Ces articles s’appliquent aux sociétés dominantes qui exploitent leur emprise sur le marché d’une manière qui empêche ou diminue sensiblement la concurrence sur le marché. Les contrats exclusifs lorsqu’ils sont conclus par des entreprises dominantes ou lorsqu’ils sont répandus sur le marché ont le potentiel d’empêcher l’entrée de nouveaux concurrents. Pour que cela constitue une préoccupation dans le cadre de la Loi sur la concurrence, il faudrait établir que Regco est un fournisseur important selon l’article  77 ou qu’elle a une position dominante selon l’article 79. Compte tenu de la définition du marché pertinent, ce n’est pas le cas. Il faudrait aussi établir que le contrat exclusif avait l’effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur le marché. Étant donné la position dominante d’Air Canada, il est peu probable qu’une exclusivité limitée des créneaux à l’ACVT accordée à un nouvel arrivant satisfasse à ce critère.

 

Article 75

 

                   L’un des éléments de la disposition sur le refus de vendre auxquels il faudrait satisfaire en l’espèce concerne la question de savoir si une personne serait sensiblement gênée dans son entreprise ou serait empêchée d’exploiter son entreprise par suite de son incapacité d’obtenir des créneaux. Le Bureau a noté que l’ACVT mettra à la disposition d’Air Canada de 22 à 32 créneaux. Nous notons aussi que, depuis de nombreuses années, Air Canada n’utilise qu’un nombre limité de créneaux à l’ACVT. En outre, compte tenu du nombre de créneaux à la disposition d’Air Canada et d’autres transporteurs à l’Aéroport Pearson, on pourrait difficilement soutenir qu’Air Canada ou un autre transporteur a été sensiblement gêné dans son entreprise ou empêché d’exploiter son entreprise, par suite des arrangements exposés dans le PE.

 

Conclusion

 

                   À la lumière de ce qui précède, nous sommes d’avis que la proposition exposée dans le PE ne contreviendrait pas aux articles 75, 77 et 79 de la Loi et que le commissaire n’aurait pas de motifs de faire étudier une question en vertu de l’alinéa 10(1)b) de la Loi.

 

                   La présente opinion suppose que les faits sont exacts et qu’aucun fait important n’a été omis ou dénaturé dans votre exposé des faits. Enfin, elle continuera d’être valide aussi longtemps que les faits sur lesquels elle est fondée restent inchangés et que la conduite ou la pratique est exercée de la manière projetée. Elle continuera aussi d’être valide à moins d’une modification des dispositions législatives sur lesquelles elle est fondée. Si vous n’étiez pas certain de l’incidence d’une modification sur l’opinion que vous avez reçue, vous devriez demander une opinion juridique ou communiquer à nouveau avec le Bureau de la concurrence. Il va de soi qu’en cas de changement des faits importants, notre opinion devrait être revue.

 

12.       Les opérations de Jazz à l’ABBT ont diminué. Son bail expirait en novembre 2004 et Jazz a continué d’opérer sur une base de mois en mois. À la fin de 2005, Jazz avait cessé ses services de navette et n’utilisait plus que six (6) créneaux par jour à l’ABBT.

13.       En février 2006, l’Accord d’exploitation de transporteur commercial (AETC) en vertu duquel Jazz avait opéré à l’ABBT est arrivé à expiration. L’APT a proposé à Jazz un nouvel AETC, mais celui-ci n’a jamais été signé. Porter a annoncé le lancement de son  service aérien à l’ABBT. Air Canada a annoncé des plans de rétablir son service et, dans l’intervalle, a intenté une action en Cour supérieure de l’Ontario contre l’APT, dans laquelle elle demandait des dommages-intérêts considérables. Elle a fini par se désister de cette action. Le bail de mois en mois de Jazz a pris fin.

14.       En mars 2006, Jazz a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, dossier T-431-06. Cette demande a été transformée en une action. Une deuxième demande a été déposée par Jazz le 8 août 2006, dossier T-1427-06. Depuis, les deux procédures ont été abandonnées.

15.       Le 3 mai 2005, l’APT et Porter (Regco et l’ACVT) ont conclu un accord de transporteur commercial (l’AETC de 2005). L’accord stipulait qu’il était subordonné à la Loi maritime du Canada et à l’Accord tripartite. Il prévoyait une période initiale de [traduction] « mise en œuvre », au cours de laquelle Porter recevrait un nombre garanti de créneaux, à la suite de laquelle Porter continuerait d’avoir droit à ces créneaux selon la règle « utiliser ou perdre ». Porter avait aussi le droit de [traduction] « participation sur une base équitable » à l’égard de tous les créneaux additionnels qui pourraient devenir disponibles.

16.       En juillet 2006, Air Canada a annoncé la reprise de ses services à l’ABBT et a accepté des réservations. Ces services n’ont jamais été repris et les réservations ont été annulées. En août 2006, le Bureau de la concurrence a annoncé que, s’il avait des préoccupations au sujet des activités d’Air Canada, ces préoccupations avaient été résolues du fait de l’engagement pris par Air Canada de cesser cette publicité et ces réservations.

17.       Le 23 octobre 2006, Porter a lancé son service à l’ABBT avec deux aéronefs assurant la liaison avec Ottawa. Depuis ce moment-là, Porter a acquis plusieurs autres aéronefs et dessert maintenant beaucoup plus de destinations au Canada et aux États-Unis. En 2008, l’ABBT était devenu rentable. Aucun bénéfice n’avait été réalisé dans la période où City Express, Air Ontario ou Jazz opéraient à cet aéroport.

18.       En 2008, Jacobs Consultancy, cabinet possédant une expertise en matière de capacité des aéroports et de créneaux, a été engagé par APT pour la conseiller et rédiger un rapport sur la capacité à l’ABBT compte tenu des limitations du bruit imposées par l’Accord tripartite et d’autres contraintes. Un rapport a été remis en 2008 qui a conduit, notamment, à l’achat d’un nouveau transbordeur en 2009 pour desservir l’aéroport.

19.       Le 28 septembre 2009, Air Canada a écrit à l’APT pour indiquer qu’elle était intéressée à commencer le service à l’ABBT au début de 2010. C’était la première demande de créneaux formulée par Air Canada ou les sociétés de son groupe depuis février 2006.

20.       Le 16 octobre 2009, l’APT a publié un bulletin public indiquant qu’elle avait reçu des demandes de renseignements de personnes intéressées à participer à l’expansion des services offerts à l’ABBT. L’APT indiquait qu’elle était engagée dans un processus où elle obtenait des conseils sur la capacité compte tenu des restrictions en matière de bruit imposées par l’Accord tripartite.

21.       Le 22 octobre 2009, des représentants de l’APT et d’Air Canada ont eu une rencontre pour discuter du souhait d’Air Canada de participer à l’expansion des installations à l’ABBT. Air Canada ne précisait ni le type d’aéronef utilisé ni le participant projeté, Air Canada ou Jazz. Air Canada a indiqué son intérêt pour 60 créneaux. L’APT a invité Air Canada à participer une fois qu’on aurait reçu plus d’information au sujet du processus d’attribution.

22.       En octobre 2009, l’APT a eu une réunion avec Transports Canada, qui lui a recommandé de communiquer avec un coordonnateur de créneaux à l’Aéroport Pearson. On ne sait pas très bien à quel moment la communication avec cette personne a eu lieu ni ce qui a été discuté avec elle. Il semble que la personne en question soit M. Smith, qui se trouve à être un employé d’Air Canada. Il n’y a pas de document faisant état de ces discussions.

23.       En novembre 2009, une société du groupe de Porter, CCTC, qui construisait les installations de la nouvelle aérogare à l’ABBT, a annoncé qu’elle allait recevoir des demandes de renseignements d’autres personnes au sujet de l’utilisation de ces installations.

24.       Des représentants d’Air Canada ont rencontré des représentants de l’APT le 17 décembre 2009. Le 18 décembre 2009, Air Canada a écrit une lettre à l’APT dans laquelle elle demandait qu’on lui attribue soixante-quatorze (74) créneaux.

25.       En décembre 2009, Jacobs Consultancy a remis à l’APT un projet de rapport concernant la disponibilité d’un certain nombre de créneaux additionnels à l’ABBT compte tenu des contraintes en matière de bruit et d’autres contraintes comme le transbordeur, la gare maritime et le stationnement. Il était notamment proposé que l’APT envisage de nommer un coordonnateur de créneaux, chargé de gérer l’attribution des créneaux disponibles à l’ABBT.

26.       Le 24 décembre 2009, l’APT a publié le bulletin qui fait l’objet de la première demande de contrôle judiciaire, dossier T-488-10; elle en a transmis une copie à Air Canada. La substance de ce bulletin a déjà été exposée de façon détaillée dans les présents motifs.

27.       En janvier 2010, Jacobs Consulting a remis à l’APT la version définitive de son rapport; le texte n’est pas identique à celui du projet de décembre 2009. La recommandation de nommer un coordonnateur de créneaux y est maintenue.

28.       Le 7 janvier  2010, Air Canada a eu une rencontre avec l’APT pour discuter des créneaux existants de Porter, des créneaux additionnels et des installations à l’Aéroport des îles.

29.       Le 21 janvier 2010, Air Canada a communiqué avec CCTC pour s’informer au sujet de locaux dans la nouvelle aérogare. CCTC a répondu le 25 janvier 2010, en invitant Air Canada à engager une discussion officielle. Les sociétés ont eu une rencontre le 5 février 2010.

30.       En février 2010, l’APT a parlé à une personne à l’aéroport du centre-ville de Londres, en Angleterre; cet aéroport prenait en charge, depuis des années, des problèmes de créneaux avec l’assistance d’une société dénommée Airport Coordination Limited (ACL). ACL a été par la suite engagée pour aider l’APT en matière de coordination des créneaux. ACL était agréée par l’IATA.

31.       Le 22 mars 2010, ACL a fourni à l’APT un rapport formulant un certain nombre de recommandations concernant la gestion des créneaux à l’ABBT.

32.       Le 9 avril 2010, l’APT a publié le bulletin qui fait l’objet de la seconde demande de contrôle judiciaire, dossier T-692-10. Ce bulletin invitait les personnes intéressées à acquérir des créneaux à l’ABBT à présenter des propositions officielles. Les détails en ont déjà été exposés.

33.       Le même jour, soit le 9 avril 2010, Porter et l’APT ont conclu un nouvel AETC – l’AETC de 2010. Air Canada n’en était pas informée à ce moment-là.

34.       Le 20 avril  2010, l’Accord d’exploitation de transporteur commercial de 2005 (l’AETC de 2005) intervenu entre Porter et l’APT a expiré.

35.       Le 4 mai 2010, Air Canada a déposé la seconde demande de contrôle judiciaire, dossier T-692-10.

36.       Air Canada a répondu à l’appel de propositions de l’APT le 14 mai 2010, en disant notamment qu’elle acceptait le mandat, les objectifs et les principes directeurs de l’APT, exposés à l’article  1.2 de l’appel de propositions de l’APT. L’article 1.2 est trop long pour qu’on le reprenne intégralement, mais dit notamment qu’un coordonnateur de créneaux a été nommé (ACL), pour :

[traduction] … attribuer les créneaux aux transporteurs conformément à la méthodologie d’attribution de créneaux et aux lignes directrices concernant l’établissement des horaires de l’APT.

          .        

[27]           Je n’ai pas cherché à rappeler tous les événements, ni exposé en détail ce qu’on a discuté ou consigné par écrit, selon le cas. J’ai cherché à mettre en relief les événements les plus importants.

 

 

VI. Position des parties

 

[28]           Les demandes ont été bien présentées et plaidées par tous les avocats. Je les remercie de leur courtoisie et de leur professionnalisme au cours de toute la procédure. Tous les avocats ont plaidé avec énergie et de belle manière pour leurs clients respectifs. Aussi, de nombreux points ont été soulevés qui doivent être décidés. Toutefois, pour commencer, je vais présenter un aperçu de la position de chaque partie.

 

[29]           Air Canada est la demanderesse. Elle veut que l’APT annule son processus d’attribution de créneaux et recommence à zéro, en consultation avec elle. Elle veut que le contrat d’exploitation de transporteur commercial de 2010, signé avec Porter, soit annulé et que ces parties, dans l’intervalle, se conforment à l’AETC de 2005. Air Canada est consciente du fait que Porter et peut-être l’APT ne l’aiment guère; toutefois, son avocat soutient que les demandes n’ont pas pour objet Air Canada, mais l’APT et les décisions qu’elle a prises. Elles portent sur ce qu’Air Canada caractérise comme le défaut de l’APT de procéder de manière équitable, en permettant la pleine participation de tous, non seulement du partenaire préféré de l’APT, Porter, dans l’attribution de [traduction] « permis » pour des créneaux à l’aéroport. L’avocat d’Air Canada soutient que l’APT agit en tant qu’office fédéral dans ce rôle et qu’elle est, dans ce rôle, assujettie au contrôle judiciaire de la Cour.

 

[30]           L’APT fait valoir qu’à l’égard de ses opérations à l’ABBT, elle agit en tant qu’entité commerciale  et n’est pas assujettie au contrôle judiciaire de la Cour à cet égard. Elle soutient que les « décisions » visées ne sont pas des « décisions », mais des annonces et un appel de propositions, et qu’Air Canada n’est pas une « personne intéressée » et n’a donc pas la qualité pour demander le contrôle judiciaire. L’APT fait valoir qu’elle a souvent consulté Air Canada au sujet de l’aéroport. L’APT devrait être libre de prendre les décisions opérationnelles normales qu’une entité commerciale ordinaire peut prendre, sans ingérence par la voie du contrôle judiciaire.

 

[31]           Porter soutient qu’elle est la cible réelle des attaques judiciaires d’Air Canada. Elle fait valoir qu’Air Canada et les sociétés de son groupe ont laissé l’Aéroport des îles se détériorer, préférant opérer à l’Aéroport Pearson; et que c’est seulement au moment où Porter, qui assumait la totalité du risque, a rendu cet aéroport viable, qu’Air Canada a voulu imposer son retour par tous les moyens. Air Canada ne devrait pas se plaindre de la position dominante de Porter à l’ABBT, étant donné qu’Air Canada est la ligne aérienne dominante à l’Aéroport Pearson et à la plupart des autres aéroports commerciaux du Canada.

 

[32]           Ce que la Cour doit garder à l’esprit, c’est qu’on lui a présenté deux demandes distinctes concernant certaines « décisions » prises par l’APT et les processus qu’elle a suivis à l’égard de ces « décisions ». Pour traiter ces deux affaires distinctes, la Cour doit traiter un certain nombre de questions soulevées par les parties.

 

VII   Question 1 :       L’Administration portuaire de Toronto est-elle un « office fédéral » de sorte qu’elle serait assujettie au contrôle judiciaire?

 

[33]           Les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 donnent à la Cour fédérale le pouvoir de prononcer une injonction et d’autres formes de brefs de prérogative, d’effectuer le contrôle judiciaire d’une décision ou d’une ordonnance d’un « office fédéral » et d’accorder une réparation à l’égard d’une telle décision ou ordonnance.

 

[34]           L’Administration portuaire de Toronto (APT) a remplacé les Commissaires du havre de Toronto en vertu de la Loi maritime du Canada, et en particulier, du paragraphe 12(1) et de la partie I de l’Annexe de cette loi. Des lettres patentes ont été délivrées à l’APT, prenant effet le 8 juin 1999. L’objet de la Loi maritime du Canada est exposé aux alinéas a) à h) de l’article 4 :

4. Compte tenu de l’importance du transport maritime au Canada et de sa contribution à l’économie canadienne, la présente loi a pour objet de :

 

a) mettre en œuvre une politique maritime qui permette au Canada de se doter de l’infrastructure maritime dont il a besoin, qui le soutienne efficacement dans la réalisation de ses objectifs socioéconomiques nationaux, régionaux et locaux aussi bien que commerciaux, et l’aide à promouvoir et préserver sa compétitivité;

 

a.1) promouvoir la vitalité des ports dans le but de contribuer à la compétitivité, la croissance et la prospérité économique du Canada;

 

 

b) fonder l’infrastructure maritime et les services sur des pratiques internationales et des approches compatibles avec celles de ses principaux partenaires commerciaux dans le but de promouvoir l’harmonisation des normes qu’appliquent les différentes autorités;

 

c) veiller à ce que les services de transport maritime soient organisés de façon à satisfaire les besoins des utilisateurs et leur soient offerts à un coût raisonnable;

 

d) fournir un niveau élevé de sécurité et de protection de l’environnement;

 

e) offrir un niveau élevé d’autonomie aux administrations locales ou régionales des composantes du réseau des services et installations portuaires et prendre en compte les priorités et les besoins locaux;

 

f) gérer l’infrastructure maritime et les services d’une façon commerciale qui favorise et prend en compte l’apport des utilisateurs et de la collectivité où un port ou havre est situé;

 

g) prévoir la cession, notamment par voie de transfert, de certains ports et installations portuaires;

 

h) favoriser la coordination et l’intégration des activités maritimes avec les réseaux de transport aérien et terrestre.

 

4. In recognition of the significance of marine transportation to Canada and its contribution to the Canadian economy, the purpose of this Act is to

 

(a) implement marine policies that provide Canada with the marine infrastructure that it needs and that offer effective support for the achievement of national, regional and local social and economic objectives and will promote and safeguard Canada’s competitiveness and trade objectives;

 

 

(a.1) promote the success of ports for the purpose of contributing to the competitiveness, growth and prosperity of the Canadian economy;

 

(b) base the marine infrastructure and services on international practices and approaches that are consistent with those of Canada’s major trading partners in order to foster harmonization of standards among jurisdictions;

 

 

 

(c) ensure that marine transportation services are organized to satisfy the needs of users and are available at a reasonable cost to the users;

 

 

(d) provide for a high level of safety and environmental protection;

 

(e) provide a high degree of autonomy for local or regional management of components of the system of services and facilities and be responsive to local needs and priorities;

 

 

 

(f) manage the marine infrastructure and services in a commercial manner that encourages, and takes into account, input from users and the community in which a port or harbour is located;

 

(g) provide for the disposition, by transfer or otherwise, of certain ports and port facilities; and

 

(h) promote coordination and integration of marine activities with surface and air transportation systems.

 

 

[35]           L’article 5 de la Loi définit un certain nombre de termes, dont « aéroport » et « utilisateur » :

5. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.


« aéroport »
“airport”

« aéroport » Aéroport situé dans un port.

 


« lettres patentes »
“letters patent”

« lettres patentes » Les lettres patentes telles que modifiées par lettres patentes supplémentaires, le cas échéant.


« port »
“port”

« port » L’ensemble des eaux navigables qui relèvent de la compétence d’une administration portuaire ainsi que les immeubles et les biens réels dont la gestion lui est confiée, qu’elle détient ou qu’elle occupe en conformité avec les lettres patentes.


« utilisateur »
“port”

« utilisateur » À l’égard d’un port, personne qui utilise le port à des fins commerciales ou y fournit des services.

 

 

[36]           L’article 2 définit le terme « administration portuaire » :

« administration portuaire »
“port authority”

« administration portuaire » Administration portuaire constituée ou prorogée en vertu de la présente loi.

 

[37]           L’article 7 de la Loi précise dans quels cas une administration portuaire est ou n’est pas mandataire de la Couronne :

7. (1) Sous réserve du paragraphe (3), les administrations portuaires ne sont mandataires de Sa Majesté du chef du Canada que dans le cadre des activités portuaires visées à l’alinéa 28(2)a).

 

Non-mandataire de Sa Majesté

 

(2) Les filiales à cent pour cent des administrations portuaires ne sont pas mandataires de Sa Majesté du chef du Canada sauf si, sous réserve du paragraphe (3) :

 

(a) d’une part, elles l’étaient au 10 juin 1996;

 

(b) d’autre part, elles le sont en vertu d’une loi autre que la présente loi.

 

Réserve

 

(3) Ni les administrations portuaires ni les filiales à cent pour cent des administrations portuaires ne peuvent emprunter de fonds à titre de mandataires de Sa Majesté du chef du Canada.

 

[38]           Le paragraphe 28(1) de la Loi prévoit, notamment, que l’APT a la capacité d’une personne physique :

28. (1) Une administration portuaire est constituée pour l’exploitation du port visé par ses lettres patentes et a, à cette fin et pour l’application de la présente loi, la capacité d’une personne physique.

 

[39]           L’alinéa 28(2)a) de la Loi est la disposition à laquelle renvoie l’article 7 de la Loi en vertu de laquelle une entité comme l’APT agirait en qualité de mandataire de la Couronne. L’alinéa 28(2)b) porte sur les activités à l’égard desquelles elle n’est pas un mandataire de la Couronne :

(2) L’autorisation donnée à une administration portuaire d’exploiter un port est restreinte aux activités suivantes :

 

a) les activités portuaires liées à la navigation, au transport des passagers et des marchandises, et à la manutention et l’entreposage des marchandises, dans la mesure prévue par les lettres patentes;

 

b) les autres activités qui sont désignées dans les lettres patentes comme étant nécessaires aux opérations portuaires.

 

[40]           L’article 29 de la Loi vise les chemins de fer et les aéroports. Le paragraphe 29(3) traite en particulier des aéroports :

(3) Sous réserve de ses lettres patentes, des autres lois fédérales et de leurs règlements d’application ou d’une entente contraire avec le gouvernement du Canada, l’administration portuaire qui exploite un aéroport doit le faire à ses frais.

 

[41]           Les lettres patentes délivrées à l’APT en vertu de la Loi maritime du Canada établissent une liste distincte des pouvoirs exercés par l’APT en vertu de l’alinéa 28(2) a) de la Loi (mandataire de la Couronne) à l’article 7.1 des lettres patentes et de ceux qui sont exercés en vertu de l’alinéa 28(2)b) (non-mandataire de la Couronne) à l’article 7.2 des lettres patentes.

 

[42]           Les alinéas 7.1c), e) et p) des lettres patentes disposent :

7.1 Activités de l’Administration liées à certaines opérations portuaires. Pour exploiter le port, l’Administration peut se livrer aux activités portuaires mentionnées à l’alinéa 28(2)a) de la Loi dans la mesure précisée ci-dessous :

 

c) sous réserve des restrictions prévues aux paragraphes 8.1 et 8.3, gestion, location ou octroi de permis relativement aux immeubles fédéraux décrits à l’Annexe « B » ou dans des lettres patentes supplémentaires comme étant des immeubles fédéraux, à condition que la gestion, la location ou l’octroi de permis vise ce qui suit :

 

(i) les activités décrites aux paragraphes 7.1 et 7.2;

 

(ii) les activités décrites au paragraphe 7.3 pourvu qu’elles soient menées par des Filiales ou des tierces parties conformément aux arrangements de location ou d’octroi de permis;

 

(iii) les utilisations suivantes dans la mesure où elles ne figurent pas dans les activités décrites aux paragraphes 7.1, 7.2 ou 7.3 :

 

(A) utilisations liées à la navigation, au transport des passagers et des marchandises et à la manutention et à l’entreposage des marchandises;

 

(B) prestation de services ou d’installations municipaux relativement à ces immeubles fédéraux;

 

(C) utilisations qui ne sont pas prévues aux divisions 7.1c)(iii)(A), (B) ou (D) mais qui sont décrites dans des lettres patentes supplémentaires;

 

(D) projets de développement économique émanant du gouvernement et approuvés par le Conseil du Trésor;

 

pourvu qu’elles soient menées par des tierces parties, à l’exception des Filiales, conformément aux arrangements de location ou d’octroi de permis;

 

e) octroi d’emprises routières, de servitudes ou de permis pour des droits de passage ou d’accès ou des services publics visant des immeubles fédéraux décrits à l’Annexe « B » ou dans des lettres patentes supplémentaires comme étant des immeubles fédéraux;

 

p) exécution des activités décrites au paragraphe 7.1 sur des immeubles, autres que des immeubles fédéraux, décrits à l’Annexe « C » ou décrits dans des lettres patentes supplémentaires comme étant des immeubles autres que des immeubles fédéraux;

 

7.1 Activities of the Authority Related to Certain Port Operations. To operate the port, the Authority may undertake the port activities referred to in paragraph 28(2)(a) of the Act to the extent specified below:

 

 

(c) management, leasing or licensing the federal real property described in Schedule B or described as federal real property in any supplementary letters patent, subject to the restrictions contemplated in sections 8.1 and 8.3 and provided such management, leasing or licensing is for, or in connection with, the following:

 

(i) those activities described in sections 7.1 and 7.2;

 

(ii) those activities described in section 7.3 provided such activities are carried on by Subsidiaries or other third parties pursuant to leasing or licensing arrangements;

 

 

(iii) the following uses to the extent such uses are not described as activities in section 7.1, 7.2 or 7.3:

 

 

(A) uses related to shipping, navigation, transportation of passengers and goods, handling of goods and storage of goods;

 

 

(B) provision of municipal services or facilities in connection with such federal real property;

 

(C) uses not otherwise within subparagraph 7.1(c)(iii)(A), (B) or (D) that are described in supplementary letters patent;

 

 

 

(D) government sponsored economic development initiatives approved by Treasury Board; provided such uses are carried on by third parties, other than Subsidiaries, pursuant to leasing or licensing arrangements;

 

 

 

(e) granting, in respect of federal real property described in Schedule B or described as federal real property in any supplementary letters patent, road allowances or easements, rights of way or licences for utilities, service or access;

 

 

(p) carrying on activities described in section 7.1 on real property other than federal real property described in Schedule C or described as real property other than federal real property in any supplementary letters patent;

 

[43]           Il faut noter que l’Annexe B, à laquelle renvoie l’alinéa 7.1c) des lettres patentes, a été supprimée intentionnellement des lettres patentes. L’Annexe C des lettres patentes classe l’aéroport dans les « immeubles autres que fédéraux ».

 

[44]           L’article 7.2 des lettres patentes définit les activités tombant sous l’alinéa 28(2)b) de la Loi maritime du Canada, c’est-à-dire les activités de non-mandataire de la Couronne. L’alinéa 7.2 j), modifié par lettres patentes supplémentaires le 3 janvier 2004, vise expressément les activités à l’Aéroport du centre-ville de Toronto.

7.2 Activités de l’Administration liées à certaines opérations portuaires. Pour exploiter le port, l’Administration peut se livrer aux activités portuaires mentionnées à l’alinéa 28(2)a) de la Loi dans la mesure précisée ci-dessous :

 

(j) exploitation et entretien de l’aéroport du centre-ville de Toronto conformément à l’accord tripartite conclu entre la Corporation of the City of Toronto, Sa Majesté la Reine du chef du Canada et les Commissaires du havre de Toronto le 30 juin 1983, et service de traversier, et construction, exploitation et entretien du pont ou tunnel au lieu dit Western Gap du port de Toronto pour permettre l’accès à l’aéroport du centre-ville de Toronto;

 

[45]           Air Canada plaide que l’APT est un « office fédéral » soit parce qu’elle est un mandataire de la Couronne en vertu de l’alinéa 28(1)a) de la Loi maritime du Canada du fait que, comme l’article 7.1 des lettres patentes lui en confère le pouvoir, elle pratique l’octroi de « permis » à l’égard de créneaux, soit parce que la source du pouvoir en vertu duquel l’APT agissait était une loi fédérale, la Loi maritime du Canada, et que les décisions de l’APT dans l’exercice de ce pouvoir sont par conséquent susceptibles de contrôle judiciaire.

 

[46]           Je traiterai d’abord de l’argument fondé sur la qualité de mandataire de la Couronne. Il est clair qu’en édictant les alinéas 28(2)a) et b) de la Loi maritime du Canada, le législateur voulait qu’une distinction soit établie entre les activités qu’une personne morale comme l’APT pourrait exercer à titre de mandataire de la Couronne et celles qu’elle ne pourrait pas exercer à ce titre. Ces activités ont été énumérées aux articles 7.1 et 7.2 des lettres patentes de l’APT.

 

[47]           Les alinéas 7.1c) et e) des lettres patentes se rapportent seulement aux « immeubles fédéraux », tels qu’ils sont décrits à l’Annexe B des lettres patentes ou dans des lettres patentes supplémentaires. L’Annexe B a été supprimée intentionnellement et il n’y a pas de lettres patentes supplémentaires qui traitent de la question. En fait, l’Annexe C classe l’aéroport dans les immeubles « autres que » fédéraux. Donc, les alinéas 7.1c) et e) ne peuvent faire de l’APT un mandataire de la Couronne.

 

[48]           L’alinéa 7.1p) traite des « immeubles autres que fédéraux », décrits à l’Annexe C. L’Annexe C inclut l’Aéroport du centre-ville de Toronto. Donc, plaide Air Canada, cet alinéa est applicable pour faire de l’APT un mandataire de la Couronne si l’attribution de créneaux est considérée comme une activité d’octroi de permis.

 

[49]           L’alinéa 7.2j), qui fait partie de l’activité de « non-mandataire » de la Couronne, traite directement de l’exploitation et de l’entretien de l’aéroport. Il est clair que l’attribution de créneaux constitue une partie fondamentale de cette exploitation. Vu ce texte clair, il est indubitable que, selon l’intention exprimée dans la Loi maritime du Canada et les lettres patentes délivrées en vertu de cette loi, l’APT, en ce qui concerne l’exploitation et l’entretien de l’aéroport, y compris l’attribution des créneaux, n’agit pas à titre de mandataire de la Couronne.

 

[50]           L’avocat d’Air Canada a plaidé que les créneaux ressemblaient à un permis et devaient être considérés comme une activité d’octroi de permis relevant de l’article 7.1 prévue dans les lettres patentes. Je rejette cet argument. L’alinéa 7.2j) englobe clairement l’aéroport et son exploitation. On ne trouve ni loi ni lettres patentes décrivant un « créneau » comme un « permis ». Les rédacteurs du texte n’ont pu vouloir détacher l’attribution de créneaux de l’exploitation et de l’entretien de l’aéroport de manière à faire de l’APT un mandataire de la Couronne dans cette mesure restreinte. Selon le principe maintes fois répété par les tribunaux, « selon la règle d’interprétation habituelle, une disposition précise doit l’emporter sur une disposition générale », p. ex., Canada c. McGregor (1989), 57 D.L.R. (4th) 317, le juge Urie, pour la Cour d’appel fédérale.

 

[51]           Passant au second argument présenté sur le point de savoir si l’APT est un « office fédéral », la Cour doit examiner quels pouvoirs étaient exercés par l’APT et la source de ces pouvoirs. La Cour d’appel fédérale dans un arrêt récent, Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52, modifié le 29 avril 2010, a indiqué qu’il fallait procéder à une analyse en deux étapes. En premier lieu, il faut déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer. Deuxièmement, il faut déterminer la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer. Le juge Nadon, au nom de la Cour, a écrit aux paragraphes 29 et 30 :

[29] Les mots clés de la définition d’« office fédéral » que donne l’art. 2 précisent que l’organisme ou la personne a exercé, exerce ou est censé exercer une compétence ou des pouvoirs « prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale [...] ». On doit donc procéder à une analyse en deux étapes pour déterminer si un organisme ou une personne constitue un « office fédéral ». Il est ainsi nécessaire en premier lieu de déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer. Deuxièmement, il y a lieu de déterminer la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer.

 

[30] Au paragraphe 2:4310 de leur ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol. 1, édition sur feuilles mobiles (Toronto, Canvasback Publishing, 1998), les éminents auteurs, D.J.M. Brown et J.M. Evans, ont écrit que lorsqu’il s’agit de déterminer si un organisme ou une personne est un « office fédéral », il convient d’examiner [traduction] « la source de la compétence du tribunal ». Voici ce qu’ils écrivent à ce sujet :

 

[traduction]  

En fin de compte, la source de la compétence d’un tribunal – et non pas la nature du pouvoir exercé ou de l’office l’exerçant – est le premier facteur déterminant quant à savoir si elle fait partie de la définition. Le test consiste à chercher à savoir si l’office détient les pouvoirs en vertu d’une loi fédérale ou d’une ordonnance prise en vertu d'une prérogative de la Couronne fédérale. […]

 

 

[52]           Deux décisions antérieures de la Cour fédérale ont considéré la nature des pouvoirs exercés par une administration portuaire; dans les deux cas, il s’agissait de l’Administration portuaire de Halifax. La première de ces décisions est Halterm Ltd. c. Halifax Port Authority (2000), 184 F.T.R. 16. Dans cette affaire, l’Administration portuaire de Halifax, comme l’APT, avait été constituée en vertu de la Loi maritime du Canada. La demanderesse Halterm était un exploitant de terminal qui fournissait des services et du matériel pour charger et décharger les navires. Elle souhaitait renouveler ses baux, mais trouvait inacceptables les conditions offertes par l’Administration portuaire de Halifax et a formé une demande de contrôle judiciaire. Le juge O’Keefe a statué que l’administration portuaire exerçait un pouvoir fédéral. Il a écrit au paragraphe 29:

[29] En l’espèce, lorsque l’Administration portuaire cède à bail un immeuble fédéral ou négocie un tel bail en faveur de Halterm, elle exerce les pouvoirs qui lui sont attribués par la Loi maritime du Canada. Elle n’exerce pas les pouvoirs particuliers dont est investie une société au sens où ces termes sont utilisés dans la décision Cairns, précitée. Elle exerce les pouvoirs qui lui sont expressément conférés par la Loi maritime du Canada et elle constitue donc un « office fédéral » au sens de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu’elle négocie des baux. Par conséquent, la Cour a compétence pour connaître la demande de contrôle judiciaire déposée par Halterm. Ce moyen invoqué à l’appui de la requête est donc rejeté.

 

[53]           Par la suite, la juge Mactavish de la Cour fédérale a aussi traité de l’Administration portuaire de Halifax dans la décision DRL Vacations Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, 2005 CF 860, [2006] 3 R.C.F. 516. Dans cette affaire, la demanderesse cherchait à louer des locaux de l’administration portuaire pour exploiter une boutique de souvenirs et alléguait un déni d’équité procédurale. La juge Mactavish a statué que l’administration portuaire n’agissait pas à titre d’« office fédéral ». Elle a établi une distinction avec la décision Halterm et, de toute façon, a refusé de suivre cette décision. Elle a écrit aux paragraphes 53 à 62 :

[53] Je suis convaincue que l’APH est une organisation qui a des responsabilités publiques, mais cela ne tranche pas pour autant la question. Il faut en outre examiner si les pouvoirs particuliers qui ont été exercés dans ce cas‑ci sont d’une nature publique, ou s’ils se rapprochent davantage d’une activité commerciale privée.

 

[54] En l’espèce, le litige porte sur l’octroi d’un permis concernant un local du port pour ce qui a été désigné de diverses façons dans la présente instance comme étant une [traduction] « boutique de cadeaux », un [traduction] « marché » et un [traduction] « point de vente au détail ». L’avocat a affirmé que la boutique était destinée à [traduction] « rendre plus agréable le séjour » des passagers et membres de l’équipage des navires de croisière qui accostaient dans le port de Halifax.

 

[55] À mon avis, une boutique de ce genre constitue purement une entreprise commerciale, qui est accessoire à la responsabilité principale de l’APH, à savoir gérer les activités portuaires liées à la navigation, au transport des marchandises et des passagers, et à l’entreposage des marchandises. Cela étant, je conclus que l’APH n’agissait pas à titre d’« office fédéral » lorsqu’elle a pris la décision ici en cause.

 

[56] Je suis donc convaincue que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire.

 

[57] En arrivant à cette conclusion, je suis également influencée par le fait qu’en édictant la Loi maritime du Canada et en créant l’APH, le législateur voulait clairement s’assurer que le port de Halifax soit géré d’une façon viable sur le plan commercial. Permettre aux parties de demander le contrôle judiciaire de chaque décision qui est prise à l’égard d’un bien du port appartenant au gouvernement fédéral, aussi accessoire soit‑elle à l’exploitation du port lui‑même, entraînerait, à mon avis, le genre de résultat absurde et très embarrassant envisagé par le juge Thurlow dans la décision Wilcox; de plus, cela irait à l’encontre de l’intention du législateur lorsqu’il a créé l’APH.

 

[58] À mon avis, le fait que le local en question est situé sur une terre fédérale n’est pas déterminant. Certaines décisions susmentionnées portaient sur l’utilisation ou sur la gestion des deniers publics – c’est‑à‑dire l’argent des contribuables. Or, les sociétés privées ordinaires n’auraient pas accès à de tels fonds. Néanmoins, dans des décisions telles que Wilcox, Cairns et Toronto Independent Dance Enterprises, les tribunaux ont conclu que les institutions en question n’agissaient pas à titre d’office fédéral lorsqu’elles prenaient les décisions en cause.

 

[59] Dans l’affaire Halterm, il était question de la location d’immeubles pour un terminal portuaire à conteneurs, alors qu’en l’espèce, c’est l’octroi d’un permis concernant un local à exploiter comme boutique de cadeaux qui est en cause.

 

[60] Il est donc probablement possible de faire une distinction entre l’affaire Halterm et le cas qui nous occupe en ce sens que l’opération en question dans cette affaire‑là se rattachait d’une façon beaucoup plus directe à l’entreprise de l’APH en tant que port. À mon avis, l’exploitation d’une boutique de cadeaux à l’intention des passagers et des membres de l’équipage des navires de croisière constitue beaucoup plus un accessoire de l’entreprise du port de Halifax.

 

[61] Toutefois, pour les motifs qui ont été donnés, dans la mesure où il est impossible de faire une distinction entre l’affaire Halterm et la présente espèce, je dois avec égards refuser de suivre la décision rendue dans cette affaire‑là.

 

[62] Enfin, je tiens à faire remarquer que ma décision ne doit pas être interprétée comme voulant dire que l’APH ne pourrait jamais être considérée comme un « office fédéral » au sens de la Loi sur les Cours fédérales. Il est clair que la question de savoir si une institution agit à titre d’« office fédéral » dans un ensemble donné de circonstances doit être réglée sur une base individuelle, compte tenu du statut de l’organisation en cause et de la nature du pouvoir exercé dans ce cas particulier.

 

 

[54]           En l’espèce, je reviens aux lettres patentes, qui ont été rédigées en vertu de la Loi maritime du Canada et publiées à la Gazette du Canada. On a pris soin, dans les lettres patentes, de séparer l’exploitation et l’entretien de l’aéroport des autres activités qu’allait exercer l’APT. Le paragraphe 29(1) de cette loi constitue l’APT comme personne morale ayant la capacité d’une personne physique. Il faut avoir à l’esprit la distinction faite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Aeric, Inc. c.  Président du conseil d’administration, Société canadienne des postes, [1985] 1 C.F. 127 entre l’exercice de pouvoirs expressément conférés par une loi et l’exercice de pouvoirs généraux de gestion d’une personne morale. Lorsqu’une loi prévoit expressément qu’une enquête doit être faite ou une décision doit être prise, il s’agit d’un pouvoir susceptible de contrôle par la Cour, tandis que les pouvoirs généraux de gestion ne le sont pas. Le juge Ryan, au nom de la Cour, a écrit à la page 138 :

La décision du président du conseil examinée en l’espèce n’a pas été rendue en vertu d’un pouvoir général de gestion conféré à la Société canadienne des postes. Il a rendu sa décision en vertu d’un pouvoir qu’il tient d’un règlement approuvé par le gouverneur en conseil conformément à la Loi sur la Société canadienne des postes. Il s’agit du pouvoir de connaître d’un « appel » et de le trancher. D’après l’intimé, cet « appel » est analogue au genre de procédure qu’une maison de commerce adopte souvent pour répondre aux plaintes des clients. Mais la procédure prévue à l’article 6 du Règlement (que j’examinerai en détail) diffère vraiment d’un simple système de règlement des plaintes. L’« appel » visé à l’article 6 est un appel proprement dit. Je suis persuadé que, en connaissant de l’appel en l’espèce et en le tranchant, le président est une « personne » au sens de ce mot employé dans la définition de « office, commission ou autre tribunal fédéral » donnée par la Loi sur la Cour fédérale.

 

 

[55]           En l’espèce, l’APT a été expressément dotée par ses lettres patentes du pouvoir d’exploiter et de gérer l’aéroport. C’est là une activité commerciale normale. Je renvoie à l’arrêt Irving Shipbuilding Inc.  c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, 314 D.L.R. (4th) 340, où la Cour d’appel fédérale a mis en garde contre l’intervention judiciaire dans des situations où, même si la Couronne peut intervenir, une activité commerciale normale est exercée. Le juge Evans, au nom de la Cour, a écrit au paragraphe 21 :

[21] Le fait que le pouvoir du ministre, un fonctionnaire, d’attribuer le contrat est prévu par la loi et que cet important contrat d’entretien et de réparation de sous-marins de la Marine canadienne constitue une question d’intérêt public, démontre que l’attribution du contrat peut être susceptible de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1, une procédure de droit public visant à contester l’exercice d’un pouvoir public. Toutefois, le fait que le vaste pouvoir du ministre conféré par la loi est une délégation de la capacité contractuelle de la Couronne, en sa qualité de personne morale individuelle, et que son exercice par le ministre représente un pouvoir discrétionnaire considérable et est régi essentiellement par le droit privé en matière de contrats, pourrait limiter les circonstances dans lesquelles la Cour ferait droit à une demande de contrôle judiciaire portant sur la légalité de l’attribution d’un contrat.

 

[56]           En l’espèce, je conclus que l’APT n’agissait pas, à l’égard des « décisions » visées par le contrôle, à titre d’« office fédéral ». Elle exploitait et entretenait l’aéroport à titre d’activité commerciale normale. La Cour n’a pas la compétence de contrôler les « décisions » en litige.

 

[57]           Néanmoins, je traiterai les autres questions soulevées, au cas où il y aurait appel.

 

VIII   Question 2 :      Air Canada est-elle une « personne directement touchée » ayant la qualité pour demander le contrôle judiciaire des « décisions » en litige?

 

[58]           J’examinerai cette question en supposant que l’APT est, contrairement à ce que j’ai statué, un « office fédéral ».

 

[59]           L’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales est muet sur les personnes ayant le droit de demander le contrôle judiciaire, si ce n’est au paragraphe 18(3), qui indique que les recours sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article  18.1. Les paragraphes 18.1(1) et (2) disposent qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée seulement par le procureur général du Canada ou par quiconque est « directement touché ».

 

[60]           Pendant un certain temps, on a considéré qu’un intérêt commercial à lui seul n’était pas suffisant pour qu’une personne soit « directement touchée », de sorte qu’elle ait la qualité pour demander le contrôle judiciaire. L’arrêt de principe souvent invoqué est Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1976] 2 C.F. 500. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision en matière de taxe d’accise concernant certaines configurations de cigarettes fabriquées par des concurrents de la demanderesse, mais non par la demanderesse. Le juge LeDain a écrit, au nom de la Cour, aux paragraphes 12, 13, 14 et 16 :

12 Les appelantes se plaignent que le Ministère a adopté, sans leur donner la possibilité d’être entendues, un changement de politique qui a eu pour effet de favoriser les compagnies intimées, avec lesquelles elles sont en concurrence, en leur permettant de vendre une cigarette plus longue tout en payant les mêmes droits d’accise que les appelantes. Ces dernières ne prétendent pas être intéressées à vendre des cigarettes contenant une fraction de tabac inférieure à 4 pouces, mais d’une longueur totale de plus de 4 pouces avec le bout filtre, et rien ne permet de penser qu’elles le sont. Elles ne demandent pas l’interprétation qu’elles prétendent exacte pour être en mesure de faire quelque chose qu’elles ne peuvent faire maintenant, mais plutôt pour empêcher les compagnies intimées d’entreprendre quelque chose qui, à leur avis, leur confère un avantage commercial.

 

13 Comme le savant juge de première instance, je pense qu’un tel intérêt ne suffit pas à donner aux appelantes qualité pour exercer l’action ou le droit de requérir un des brefs demandés. Les appelantes n’ont pas de grief réel leur permettant de contester par des poursuites judiciaires l’interprétation donnée par les fonctionnaires intimés à la définition du mot « cigarette » à l’article 6 de la Loi sur l’accise pour l’application administrative de la Loi. Cette interprétation ne porte pas atteinte aux droits des appelantes et ne leur impose aucune obligation légale supplémentaire. De même on ne peut soutenir qu’elle porte directement atteinte à leurs intérêts. Si elle permet aux compagnies intimées de faire quelque chose que les appelantes ne peuvent faire, c’est parce que celles-ci ont décidé de ne pas le faire.

 

14 Les appelantes ne tirent aucun droit, procédural ou autre, des suppositions qu’elles ont pu faire quant à l’application de l’article 6 de la Loi sur l’accise aux cigarettes dont la fraction de tabac est inférieure à 4 pouces mais dont la longueur totale avec le bout filtre, dépasse 4 pouces. Avant mai ou juin 1975, aucun fonctionnaire n’avait été appelé à étudier cette question; par conséquent, leur attitude ne permettait aucune supposition. On ne peut considérer cette interprétation comme un « changement » de politique administrative qu’en se référant aux notes de service distribuées par Horner au début de juin. Lorsque les compagnies intimées ont soulevé la question en mai ou juin, les fonctionnaires n’étaient pas tenus d’en aviser les compagnies appelantes ni de leur donner la possibilité de faire des observations. À ma connaissance, lorsqu’est envisagé un changement de politique administrative applicable à des cas particuliers, il n’existe aucune obligation générale d’informer tout intéressé et de lui permettre de faire des observations.

 

. . .

 

16 Les circonstances de la présente affaire sont tout à fait différentes et ne me permettent pas de conclure que les fonctionnaires n’ont pas agi équitablement à l’égard des appelantes. Celles-ci n’avaient présenté aucune observation antérieure quant à l’application de l’article 6 de la Loi sur l’accise à la catégorie de cigarettes lancées sur le marché par les compagnies intimées. Aucun engagement n’a été pris vis-à-vis des appelantes en ce qui concerne cette question. De même la pratique relative à la représentation de l’industrie ne permettait pas de penser que les observations des compagnies intimées, sur une question de concurrence, provenaient de l’industrie dans son ensemble ou seraient communiquées rapidement à l’industrie dans son ensemble. De toute façon, les compagnies appelantes ont eu connaissance de la politique proposée peu après son adoption et ont eu la possibilité de présenter des observations.

 

[61]           J’ai suivi cet arrêt, et d’autres, dans la décision Aventis Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1396, 45 C.P.R. (4th) 6. J’ai aussi cité Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social) (1997), 146 F.T.R. 249, où le juge Hugessen a écrit, au paragraphe 11 :

11 Dans certaines des décisions, on invoque à titre d’expédients des notions comme l’absence de qualité pour agir et la non-justiciabilité, pour décrire cette limitation des droits du breveté. Partant, les requérantes s’appuient sur des arrêts tels Canada c. Finlay, [1986] 2 R.C.S. 607, Canada c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575 et Opération Dismantle c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441 pour faire valoir qu’elles ont la qualité requise pour agir et que les questions qu’elles soulèvent sont en fait justiciables. Les requérantes confondent la forme et le fond. Ce n’est pas l’absence de qualité pour agir ou de justiciabilité qui, au sens strict, les empêche de soulever l’inobservation des objectifs de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application en matière de santé et de sécurité; ces questions ne les concernent tout simplement pas et ne peuvent être soulevées par elles pour contester la décision du ministre de délivrer un avis de conformité. Il incombe au ministre de veiller lui-même à la protection de la santé et de la sécurité publiques, et sa prétendue omission de s’acquitter de ses obligations vis-à-vis d’autres personnes ne confère aucun droit d’ordre privé aux requérantes.

 

[62]           Par la suite, dans la décision Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, [2008] 1 R..C.F. 19, j’ai jugé qu’un simple intérêt économique était insuffisant pour établir la qualité pour agir. J’ai écrit aux paragraphes 99 et 100 :

[99] L’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], accorde à quiconque est « directement touché » par toute décision d’un office fédéral le droit de demander un contrôle judiciaire de la décision. Comme nous l’avons exposé au sujet du paragraphe 3(1) du Règlement AC, le fabricant du générique n’a pas la possibilité d’intervenir dans la procédure pour faire inscrire ou supprimer un brevet sur la liste du fait qu’à ce stade, aucun fabricant de générique particulier ne peut être déclaré « directement affecté ». Cette position est conforme à la jurisprudence exposée dans l’arrêt Rothmans of Pall Mall Canada Limited c.  Ministre du Revenu national (no 1), [1976] 2 C.F. 500 (C.A.), selon lequel la personne qui est simplement membre d’une catégorie généralement affectée par une décision, sans plus, n’a pas qualité pour demander un contrôle judiciaire (voir également la décision Apotex Inc. c.  Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CF 232).

 

[100] Il a été établi qu’un simple intérêt économique ne suffit pas à établir la qualité requise pour demander le contrôle judiciaire (Aventis Pharma Inc. c.  Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1396, au paragraphe 13). Cette décision a été attaquée en appel, mais on n’a pas donné suite à l’appel. Dans cette affaire, il semble que l’innovateur, Aventis, n’avait pas inscrit un brevet sur la liste de brevets en temps opportun. Novopharm, fabricante du médicament générique, a obtenu un avis de conformité du ministre. Aventis a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Le ministre a cherché à faire radier les parties de la demande d’Aventis qui contestaient la délivrance de l’avis de conformité.

 

[63]           J’ai été infirmé sur ce point par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 276, 370 N.R. 263, où le juge en chef Richard a écrit, au nom de la Cour, au paragraphe 5 :

[5] Nous divergeons d’opinion avec le juge Hughes sur un seul point. À titre de raison subsidiaire de rejeter la demande de Ferring Inc., le juge Hughes a conclu que Ferring Inc. n’avait pas l’intérêt requis pour déposer une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du ministre. Nous ne partageons pas ce point de vue. D’après nous, Ferring Inc. avait bien l’intérêt requis pour contester cette décision, parce qu’elle a été prise par le ministre dans le cadre de ses fonctions d’application du Règlement. Cependant, cela ne modifie pas le résultat, étant donné que le juge Hughes a rejeté sur le fond la demande de Ferring Inc.

 

[64]           La Cour d’appel fédérale est revenue sur la question récemment dans l’arrêt Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, 314 D.L.R. (4th) 340. Dans cette affaire, un sous-traitant a contesté l’attribution d’un contrat. Le sous-traitant faisait valoir qu’il aurait été engagé par l’entrepreneur qui n’avait pas obtenu le contrat. La contestation se fondait sur un manquement à l’équité procédurale. Le juge de première instance avait statué que le sous-traitant n’avait pas la qualité pour agir. En Cour d’appel, le juge Evans, écrivant au nom de la Cour, a examiné la question de la qualité pour agir en se fondant sur le principe qu’il fallait la traiter en contexte, en l’espèce, dans le contexte de l’équité procédurale, et que le tribunal ne devrait se laisser entraîner dans un vide sémantique ni tenter de formuler ou d’appliquer divers « critères ». Il a écrit, aux paragraphes 28, 32 et 33 :

[28] Selon moi, la question de la qualité pour agir des appelantes devrait être tranchée, non dans l’abstrait, mais dans le contexte du motif de contrôle sur lequel elles s’appuient, soit, le manquement à l’obligation d’équité procédurale. Ainsi, si les appelantes ont droit à l’équité procédurale, elles doivent également avoir le droit de soumettre la question à la Cour afin de tenter d’établir que le processus en vertu duquel le contrat pour le soutien des sous-marins a été attribué à CSMG viole leurs droits procéduraux. Si TPSGC avait une obligation d’équité envers les appelantes et qu’il avait attribué le contrat à CSMG en violation de cette obligation, les appelantes seraient « directement touchées » par la décision contestée. Si elles n’ont pas droit à l’équité procédurale, le débat devrait, en règle générale, être clos. À mon avis, il n’est pas nécessaire d’analyser distinctement la question, mais j’examinerai brièvement deux questions découlant des observations des parties.

 

[32] En accordant l’importance défendue par les intimés aux mots « directement touché » choisis par le législateur plutôt que de s’appuyer sur l’une ou l’autre des exigences relatives à la qualité pour agir tirées de la common law (« personne lésée » ou « particulièrement touchée », par exemple) on ne tiendrait pas compte du contexte et de l’objectif du libellé du paragraphe 18.1(1) de la Loi. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Khosa (paragraphe 19) :

 

[…] la plupart des dispositions législatives relatives au contrôle judiciaire, sinon toutes, sont rédigées comme s’inscrivant dans le contexte de la common law en matière de contrôle judiciaire.  Même les lois les plus exhaustives […] ne peuvent être interprétées sensément que dans le contexte de la common law […]

 

[33] De plus, puisque tous ces termes ne sont sensiblement pas définis, le choix du législateur doit être considéré comme ayant relativement peu d’importance. Voir également Thomas A Cromwell, Locus Standi : A Commentary on the Law of Standing in Canada (Toronto : Carswell, 1986), pages 163-164 (Locus Standi), plus particulièrement sa très juste description (à la page 163) du [traduction] « vide sémantique » avec lequel les tribunaux doivent composer pour appliquer les divers critères liés à la qualité pour agir, qu’il soient prévus par la loi ou tirés de la common law. Même s’il traite des différences entre les libellés anglais et français du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, l’extrait suivant de l’arrêt Khosa (paragraphe 39) semble s’appliquer tout aussi bien à l’interprétation des mots « directement touché » du paragraphe 18.1(1) :

 

Une vision étroite des différences entre les deux textes risque de mener à une interprétation incompatible avec la règle moderne parce que, isolément, les considérations linguistiques ne doivent pas élever un argument sur le texte au‑dessus du contexte pertinent et de l’objet du régime législatif […]

 

[65]           De tout ce qui précède, je conclus qu’il n’existe pas de formule simple permettant de dire qu’une personne ayant un intérêt commercial n’a pas la qualité d’agir sur ce seul fondement. Il faut prendre en compte le contexte de la situation et le motif du contrôle judiciaire.

 

[66]           En l’espèce, Air Canada a des rapports avec l’ABBT et l’APT depuis fort longtemps. Air Canada, par l’entremise de sociétés de son groupe, a opéré à cet aéroport. Elle a participé à des discussions continues avec l’APT, qui est chargé d’exploiter et d’entretenir l’aéroport. Le motif du contrôle judiciaire consiste en un manquement à l’équité procédurale. Je juge qu’Air Canada a la qualité pour former ces demandes, mais seulement si l’APT était un « office fédéral », et j’ai jugé que ce n’était pas le cas.

 

IX   Question 3:          Les « décisions » du 24 décembre 2009 et du 9 avril 2010 sont-elles d’un type susceptible de contrôle judiciaire par la Cour?

 

[67]           L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales permet le contrôle judiciaire d’une « décision » ou d’une « ordonnance » d’un  « office fédéral ». Pour traiter cette question, je supposerai que, contrairement à ma conclusion, l’APT constitue bien un « office fédéral ».

 

[68]           Lorsqu’il s’agit d’un organisme qui est manifestement un « office fédéral », les tribunaux ont été très stricts dans l’examen de la loi appropriée et de la question de savoir si l’acte visé constitue bien une « décision », prévue par cette loi. Si ce n’est pas le cas, il ne peut y avoir de contrôle judiciaire. On en a un exemple dans la décision Démocratie en surveillance c. Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, 387 N.R. 365 (C.A.F.), où le juge en chef Richard a écrit, au nom de la Cour, aux paragraphes 10 et 11 :

[10] Les actes administratifs qui ne portent pas atteinte aux droits des demandeurs ou n’entraînent pas de conséquences juridiques ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire (Pieters c. Canada (Procureur général)), [2007] A.C.F. n° 746, 2007 CF 556, paragraphe 60; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), (1998), 148 F.T.R. 3, paragraphe 28; voir aussi Institut canadien des compagnies immobilières publiques et privées c. Bell Canada, [2004] A.C.F. n° 1103, 2004 CAF 243, paragraphes 5 et 7).

 

[11] Légalement, la demanderesse ne dispose pas du droit de faire examiner sa plainte par le commissaire et le commissaire n’est pas habilité à donner suite à la plainte. Rien dans la Loi ne confère à un membre du public le droit de saisir le commissaire d’une demande d’étude. De fait, la Loi prévoit expressément comment doit procéder un membre du public qui souhaite présenter des renseignements au commissaire :

 

44. ...

(4)  Dans le cadre de l'étude, le commissaire peut tenir compte des renseignements provenant du public qui lui sont communiqués par tout parlementaire et qui portent à croire que l'intéressé a contrevenu à la présente loi. Le parlementaire doit préciser la contravention présumée ainsi que les motifs raisonnables qui le portent à croire qu'une contravention a été commise. [...]

           

* * *

 

44. [...]

(4)  In conducting an examination, the Commissioner may consider information from the public that is brought to his or her attention by a member of the Senate or House of Commons indicating that a public office holder or former public office holder has contravened this Act. The member shall identify the alleged contravention and set out the reasonable grounds for believing a contravention has occurred. ...

 

 

 

[69]           Toutefois, les tribunaux ont adopté une attitude plus libérale lorsque les fonctions en question se situaient dans la portée globale de la loi habilitante. Une situation de ce genre a été examinée par la juge Mactavish, de la Cour, dans la décision Shea c. Canada (Procureur général) (2006), 296 F.T.R. 81, où la demande de contrôle judiciaire portait sur des procédures de sélection de personnel pour des postes de cadres. La juge a écrit aux paragraphes 42 à 44 :

[42] L’absence d’une « décision » n’est pas un obstacle à une demande de contrôle judiciaire selon la Loi sur les Cours fédérales, puisque l’article 18.1 confère à la Cour le pouvoir d’accorder une réparation à quiconque est touché par un « objet » faisant intervenir un office fédéral : Société du Musée canadien des civilisations c. Alliance de la fonction publique du Canada, section locale 70396, [2006] A.C.F. no 884, 2006 CF 703, au paragraphe 47.

 

[43] Le rôle de la Cour va donc au‑delà du contrôle de décisions au sens propre, pour englober le contrôle d’« une grande diversité d’actions administratives qui ne sont pas pour autant des "décisions ou ordonnances", par exemple les règlements, rapports ou recommandations relevant de pouvoirs légaux, les énoncés de politique, lignes directrices et guides, ou l’une quelconque des formes multiples que peut prendre l’action administrative dans la prestation d’un programme public par un organisme public » : Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28 (QL) (1re inst.), au paragraphe 11, décision infirmée pour d’autres motifs, [2001] A.C.F. no 696, arrêt lui‑même infirmé pour d’autres motifs, [2003] A.C.S. no 8. Voir aussi la décision Nunavut Tunngavik Inc. c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 138, 2004 CF 85, au paragraphe 8.

 

[44]  Une foule d’actions administratives ont été jugées relever de la compétence de la Cour : voir par exemple Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694; Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30 (C.A.), et Larny Holdings (exploitant une entreprise du nom de Quickie Convenience Stores) c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 1 C.F. 541 (1re inst.), 2002 CFPI 750.

 

[70]           La juge Mactavish a rejeté cette demande au motif qu’elle était prématurée.

 

[71]           Point encore plus important, il faut considérer l’arrêt Irving Shipbuilding. Le juge Evans, au nom de la Cour, a examiné la question de savoir s’il existait une « décision susceptible de contrôle » dans le contexte de la loi habilitante. Dans cette affaire, la loi conférait au ministre le pouvoir d’attribuer des contrats portant sur des sous-marins. Le juge Evans a dit que, lorsque la loi accorde un pouvoir discrétionnaire considérable au ministre, la Cour devrait être réticente à intervenir. Toutefois, lorsqu’un processus d’acquisition est lié étroitement à un pouvoir conféré par une loi, la probabilité du contrôle judiciaire est d’autant plus grande. Le juge Evans a écrit, aux paragraphes 21 à 25:

[21] Le fait que le pouvoir du ministre, un fonctionnaire, d’attribuer le contrat est prévu par la loi et que cet important contrat d’entretien et de réparation de sous-marins de la Marine canadienne constitue une question d’intérêt public, démontre que l’attribution du contrat peut être susceptible de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1, une procédure de droit public visant à contester l’exercice d’un pouvoir public. Toutefois, le fait que le vaste pouvoir du ministre conféré par la loi est une délégation de la capacité contractuelle de la Couronne, en sa qualité de personne morale individuelle, et que son exercice par le ministre représente un pouvoir discrétionnaire considérable et est régi essentiellement par le droit privé en matière de contrats, pourrait limiter les circonstances dans lesquelles la Cour ferait droit à une demande de contrôle judiciaire portant sur la légalité de l’attribution d’un contrat.

 

[22] La Cour a tiré une conclusion semblable dans la décision Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [1995] A.C.F. n° 735, [1995] 2 C.F. 694 (C.A.), aux paragraphes 7-17 (Gestion Complexe). La Cour a conclu que l’exercice par un ministre du pouvoir conféré par la loi de lancer un appel d’offres et de conclure des contrats pour la location de locaux par la Couronne pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de l’ancien paragraphe 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale puisqu’il s’agit d’une décision d’un « office fédéral ».

 

[23] Le juge Décary, s’exprimant au nom de la Cour, n’a pas traité précisément de la question en litige en l’espèce, mais il a également mis l’accent sur les difficultés qu’un demandeur devrait surmonter pour établir un motif de contrôle qui justifierait l’intervention de la Cour dans le processus d’acquisition par l’entremise de sa compétence en matière de contrôle judiciaire. Ainsi, il a déclaré ce qui suit au paragraphe 20 :

 

Le contrôle judiciaire visant par définition la légalité des actes de l’Administration fédérale, et le processus de demande de soumissions n’étant assujetti à aucune exigence de forme ou de fond législative ou réglementaire, il ne sera pas facile, là où les documents de soumission n’imposent pas de restrictions sévères à l’exercice par le ministre de sa liberté de choix, de démontrer à quelle illégalité s’adonne le ministre lorsque, dans le cours normal des choses, il compare les offres reçues, détermine si une soumission est conforme ou non aux documents ou retient une soumission plutôt qu’une autre.

 

[24] Cette interprétation de la compétence de la Cour est conforme à celle qui est généralement adoptée par les autres tribunaux au Canada : voir Paul Emanuelli, Government Procurement, 2e éd. (Markham, Ontario : LEXISNEXIS, 2008) aux pages 697 à 706, où l’auteur tire la conclusion suivante (page 698) :

 

[traduction] En règle générale, plus le lien entre un processus d’acquisition et l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi est étroit, plus la probabilité que cette activité soit susceptible de contrôle judiciaire est grande. En revanche, lorsqu’une acquisition ne relève pas du champ d’application d’un pouvoir conféré par la loi et relève de l’exercice d’un pouvoir exécutif résiduel du gouvernement, il est moins probable que l’acquisition soit susceptible de contrôle judiciaire.

 

La jurisprudence anglaise en matière de contrats publics et de contrôle judiciaire est examinée dans l’ouvrage de Harry Woolf, Jeffrey Jowell et Andrew Le Sueur, de Smith’s Judicial Review, 6e éd. (London : Sweet & Maxwell Ltd., 2007), pages 138-145. On précise que les tribunaux exigent généralement un [traduction] « élément public additionnel » avant de conclure que l’exercice du pouvoir contractuel d’une autorité publique est susceptible de contrôle judiciaire, même si le pouvoir est prévu par la loi.

 

[25] Par conséquent, d’après la jurisprudence et les principes, je conviens que l’attribution du contrat pour le soutien des sous-marins par le ministre des TPSGC est susceptible de contrôle en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales puisqu’il s’agit de la décision d’un « office fédéral » rendue dans l’exercice des « pouvoirs prévus par une loi fédérale » (paragraphe 18.1(2)).

 

[72]           En l’espèce, la Loi attribue à l’APT un large mandat concernant l’exploitation et l’entretien de l’aéroport. Elle ne fixe aucune règle procédurale particulière. Ainsi que je l’ai conclu, l’APT agit comme toute autre société commerciale du secteur privé et non à titre d’« office fédéral ».

 

[73]           Les « décisions » en litige ne sont pas vraiment des « décisions ». Elles ne décident rien. Le bulletin du 24 décembre 2009 est une annonce que certaines études ont été faites et que [traduction] « [m]aintenant que nous avons les résultats en main, [l’APT] solliciter[a] des propositions officielles » et [traduction] qu’« un coordonnateur de créneaux indépendant, agréé par l’IATA » sera nommé. Le bulletin disait que d’autres annonces allaient être faites.

 

[74]           Dans le contexte, il n’y a pas de « décision » prise ou d’« ordonnance » prononcée. On annonçait que l’APT lancerait bientôt un appel de propositions. En fait, c’est ce qui s’est passé et Air Canada a présenté une proposition. En fait, ACL, coordonnateur de créneaux agréé  par l’IATA, a été engagée. Air Canada ne s’est pas plaint de cette nomination. Il n’y a tout simplement pas de « décision » ou d’« ordonnance » dans le bulletin de décembre 2009.

 

[75]           Le bulletin d’avril 2009 invitait les parties intéressées (comme Air Canada) « à participer au processus de l’AP [appel de propositions] » et annonçait la nomination d’ACL comme coordonnateur de créneaux. Encore ici, il n’y a pas de « décision » ou d’« ordonnance » touchant Air Canada. En fait, Air Canada a présenté une proposition et ne s’est pas plainte de la nomination d’ACL. En présentant sa proposition, Air Canada a accepté les principes directeurs de l’APT et la nomination d’ACL comme coordonnateur de créneaux, ainsi qu’il est indiqué dans sa réponse datée du 14 mai 2010.

 

[76]           Les mesures prises par l’APT, annoncées dans ses bulletins de décembre 2009 et d’avril 2010, sont des mesures concernant l’exploitation commerciale normale de l’aéroport. Ce ne sont pas des mesures expressément prévues par une loi, ni des mesures visant particulièrement Air Canada. Ce ne sont pas des « décisions » ou « ordonnances »  du type susceptible de contrôle judiciaire par la Cour.

 

X   Question 4 :          Air Canada a-t-elle plaidé correctement les motifs qu’elle invoque maintenant pour le contrôle judiciaire?

 

[77]           Les deux affaires ont été engagées par la voie d’une demande. L’article 301 des Règles des Cours fédérales précise le contenu de l’avis de demande :

301. La demande est introduite par un avis de demande, établi selon la formule 301, qui contient les renseignements suivants :

 

a) le nom de la cour à laquelle la demande est adressée;

 

b) les noms du demandeur et du défendeur;

 

c) s’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire :

 

(i) le nom de l’office fédéral visé par la demande,

 

(ii) le cas échéant, la date et les particularités de l’ordonnance qui fait l’objet de la demande ainsi que la date de la première communication de l’ordonnance au demandeur;

 

d) un énoncé précis de la réparation demandée;

 

e) un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable;

 

f) la liste des documents qui seront utilisés en preuve à l’audition de la demande.

 

[78]           Le défendeur n’a rien d’autre à déposer qu’un avis de comparution, ainsi qu’il est prévu à l’article 305 des Règles.

305. Dans les 10 jours après avoir reçu signification de l’avis de demande, le défendeur, s’il entend s’opposer à la demande, signifie et dépose un avis de comparution, établi selon la formule 305.

 

[79]           La jurisprudence est disparate au sujet de ce que l’avis de demande doit exposer et du degré de détail qu’il doit comporter. Cette jurisprudence disparate s’explique par la diversité des affaires qui sont examinées par la voie d’une demande : immigration, différends concernant la fonction publique, contestation par les citoyens de décisions gouvernementales, contrefaçon du droit d’auteur et, comme en l’espèce, affaires commerciales complexes. Le paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales dispose que la Cour fédérale statue sur les demandes à bref délai et selon une procédure sommaire. Toutefois, le paragraphe 18.4(2) permet la conversion d’une demande en une action, si la Cour l’estime indiqué. Une demande antérieure présentée par Air Canada a été convertie en une action et a été ensuite abandonnée.

 

[80]           L’article 301 des Règles prévoit un énoncé précis de la réparation demandée et un énoncé complet et concis des motifs invoqués. L’article 75 des Règles permet qu’un document, par exemple un avis de demande, soit modifié. La justification d’un énoncé précis de la réparation demandée et des motifs invoqués est non seulement que les autres parties connaissent la nature de l’instance et ne soient pas prises au dépourvu, mais aussi que la cour chargée d’instruire l’affaire sache quelles questions elle devra examiner et trancher. La Cour ne souhaite pas se trouver, à l’audience, devant un argument nouveau ou une demande d’une réparation différente. Une cour d’appel ne devrait pas se retrouver devant une partie qui affirme que le juge de première instance n’a pas examiné l’argument non plaidé ou n’a pas pris en compte dans les motifs et le jugement les arguments nouveaux ou une nouvelle réparation demandée.

 

[81]           La Cour a adopté, par exemple dans les affaires complexes intentées dans le cadre du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, une position stricte concernant non seulement l’avis d’allégation, qui n’est pas un document judiciaire, mais aussi l’avis de demande, qui introduit l’instance. Par exemple, dans la décision AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2006 CF 7, 46 C.P.R. (4th) 418, la juge Layden-Stevenson (tel était alors son titre) a écrit aux paragraphes 11, 18 et 19 :

[11] Astra a soutenu, tant dans ses observations écrites que dans sa plaidoirie, qu’elle s’appuyait sur la doctrine de l’irrecevabilité à remettre en cause la question, mais elle ne l’a pas fait dans ses actes de procédure. Après avoir entendu les deux parties, j’ai invité Astra (avant sa réponse) à examiner si elle souhaitait abandonner sa position. Elle ne l’a pas fait. J’examinerai donc la question.

 

 

[18] Je rejette l’argument d’Astra selon lequel la condition prévue à l’alinéa 301e) des Règles peut être qualifiée d’argument technique privilégiant la forme sur le fond. Cette règle prévoit que la demande est introduite par un avis de demande qui doit contenir un énoncé complet et concis des motifs que le demandeur entend invoquer. Je rejette également l’observation portant qu’on ne trouve pas en jurisprudence de cas d’application de la règle dans les procédures engagées en vertu du Règlement. À cet égard, je renvoie spécifiquement à la décision Pharmacia Inc. et al. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al. (1995), 60 C.P.R. (3d) 328 (C.F. 1re inst.), aux pages 339 et 340, conf. par (1995), 64 C.P.R. (3d) 450 (C.A.F.), au paragraphe 1. Voir également : Bayer AG et al. c. Apotex Inc. et al. (2003), 29 C.P.R. (4th) 143 (C.F.), et Pfizer Canada Inc. et Pfizer Inc. c. Apotex Inc. et le ministre de la Santé, 2005 CF 1421.

 

[19] Si l’arrêt de la Cour d’appel qui est intervenu a cristallisé l’argumentation d’Astra sur l’irrecevabilité à remettre en cause la question, comme elle l’allègue, elle aurait pu invoquer l’article 75 des Règles qui prévoit que la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties. L’article 75 s’applique à toutes les instances. Une demande est une instance (voir les articles 61 et 300 des Règles). Astra était parfaitement au courant de l’article 75 puisqu’elle l’avait invoqué dans le dossier de la Cour n° T-1747-00, affaire qui concernait les mêmes comprimés et les mêmes parties, dans sa demande d’ordonnance d’interdiction en vertu des Règles. S’agissant du moment, comme le note M. Radomski, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale a été rendu le 3 novembre 2003. Les éléments de preuve en l’espèce étaient loin d’être complets à cette date. Le deuxième affidavit de M. Lindquist (témoin expert d’Astra) n’a pas été signé avant le 15 avril 2004. Apotex a déposé quatre affidavits après cette date et le troisième affidavit de M. Lindquist n’a pas été signé avant le 24 septembre 2004. Or Astra n’a, à aucun moment, cherché à modifier son avis de demande.

 

[82]           Toutefois, les tribunaux ont adopté une attitude plus souple, particulièrement lorsqu’aucune partie n’a été prise au dépourvu et qu’une formulation générale contenue dans les motifs peut être invoquée comme fondement des arguments présentés à l’audience. À titre d’exemple, on peut citer l’attitude adoptée par le juge de Montigny dans la décision Kinsey c. Canada (Procureur général), 2007 CF 543, 313 F.T.R. 88, où il a écrit aux paragraphes 31 à 34 :

[31] Avant d’examiner les questions de fond, je dois trancher deux objections préliminaires présentées par les défendeurs. Premièrement, leur avocat prétend que les demandeurs n’ont pas énoncé les principaux motifs sous-tendant leur demande ni dans leur avis de demande ni dans les affidavits déposés au soutien de leur demande. C’est plutôt dans leur dossier de demande que ces motifs ont été exposés pour la première fois. L’avocat a cité l’arrêt Williamson c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 1186, 2005 CF 954, pour faire valoir qu’une partie ne peut soulever dans une demande de contrôle judiciaire des questions dans l’avis de demande initial et dans les affidavits y afférents.

 

[32] Selon l’alinéa 301e) des Règles de la Cour fédérale, DORS/98‑106 (les Règles), une demande est introduite par un avis de demande qui contient notamment « un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable ». Cette règle a pour but de donner au défendeur la possibilité de répondre aux motifs de contrôle dans son affidavit et de faire en sorte que personne ne soit pris par surprise.

 

[33] En l’espèce, les demandeurs ont indiqué dans leurs avis de demande que le commissaire avait commis une erreur de fait et de droit, et qu’il avait violé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale. Il s’agit sans aucun doute d’une façon sibylline d’énoncer les motifs de contrôle qui reflète une pratique malheureusement de plus en plus courante, celle de simplement reprendre le texte de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pour motiver une demande. Une telle pratique doit absolument être évitée, et les avocats devraient prendre les moyens de préciser davantage les motifs qu’ils entendent invoquer pour que l’esprit des Règles soit respecté. Un tel exercice permettrait certainement aux deux parties d’énoncer leurs arguments avec plus de précision dès le début et éventuellement de mieux cerner le débat.

 

[34] Cela dit, je ne suis pas disposé à ne pas tenir compte des arguments des gendarmes pour ce motif. Tout d’abord, les défendeurs n’ont présenté aucune preuve qui pourrait laisser croire qu’ils ont été pris par surprise ou que cela a nui à la préparation de leur dossier ou de leurs observations. Compte tenu que la carrière des gendarmes est en jeu, je serais aussi extrêmement réticent à les empêcher de présenter toutes les observations qu’ils ont exposées dans leur mémoire initial. Un délai supplémentaire aurait pu être accordé aux défendeurs s’ils l’avaient jugé nécessaire, mais aucune demande n’a été présentée en ce sens. L’avocat des défendeurs n’a pas réellement insisté sur ce point à l’audience.

 

[83]           Dans la présente affaire, l’avocat d’Air Canada a formulé la réparation demandée, à l’audience, d’une manière différente de celle qu’on trouve dans l’un ou l’autre des avis de demande. Air Canada veut maintenant que le processus d’attribution des créneaux tout entier soit annulé, y compris l’AETC de 2010 conclu entre l’APT et Porter. Elle veut maintenant qu’un nouveau processus soit ouvert dans lequel l’APT [traduction] « consulte » Air Canada. Les motifs de cette réparation, selon l’argumentation présentée à l’audience, étaient qu’Air Canada a le droit d’être consultée essentiellement parce qu’elle avait une [traduction] « expectative légitime » d’être consultée et que les décisions d’attribution de créneaux prises en son absence sont nulles. De plus, Air Canada fait valoir qu’elle n’était pas au courant, jusqu’à ce que la preuve en soit fournie par les défenderesses dans la seconde demande, qu’un nouvel accord, l’AETC de 2010, avait été conclu.

 

[84]           Les défenderesses, dans leurs documents écrits et dans leurs plaidoiries, ont répondu aux arguments d’Air Canada concernant son droit d’être consultée et son expectative légitime de l’être. J’en traiterai donc.

 

[85]           Air Canada a fait valoir d’autres arguments, notamment l’absence de motifs adéquats et le caractère déraisonnable quant à la « forme » ou au « fond ». Ces motifs n’ont pas été exposés dans son avis de demande et seulement le second, le caractère déraisonnable quant à la « forme » et au « fond », a été soulevé et discuté dans les observations écrites et orales. Je traiterai de ces arguments au cas où il y aurait un appel, mais je les rejetterai néanmoins parce qu’ils n’ont pas été correctement plaidés.

 

XI   Question 5 :         L’Administration portuaire de Toronto avait-elle l’obligation de consulter Air Canada avant de prendre les « décisions » du 24 décembre 2009 et du 9 avril 2010?

 

[86]           L’argument présenté par Air Canada au soutien de son allégation que l’APT aurait dû la consulter avant de prendre l’une ou l’autre de ses deux « décisions »  est compliqué.

 

[87]           Air Canada invoque les Lignes directrices pour l’établissement des horaires au niveau international (Worldwide Schedule Guidelines) établies par l’IATA, qui contiennent des dispositions comme l’article 4.6, prévoyant que, dans le cas où on envisage un changement de catégorie pour la manière dont les créneaux doivent être attribués, [traduction] « les parties intéressées doivent être consultées ». Air Canada dit que l’annonce de décembre de l’APT indiquant [traduction] qu’« un coordonnateur de créneaux agréé par l’IATA » « serait nommé sous peu » constituait une indication que l’APT respecterait les lignes directrices de l’IATA. De plus, Air Canada dit qu’un projet d’AETC a été proposé (mais n’a jamais été signé) à une société de son groupe, Jazz, en 2006, lequel contenait une disposition, l’alinéa 5.4f), prévoyant que Jazz reconnaîtrait que l’aéroport est un [traduction] « aéroport assujetti aux contraintes de l’IATA ». On trouve une formulation analogue dans l’AETC de 2005 entre Porter et l’APT, mais non dans l’AETC de 2010 conclu entre ces parties.

 

[88]           Selon les défenderesses, il serait excessif d’affirmer que l’APT était obligée de quelque façon de suivre le protocole de l’IATA. L’APT n’est pas membre de l’IATA et l’aéroport n’est pas un aéroport affilié à l’IATA. De plus, les défenderesses font valoir que le protocole de l’IATA ne constitue que des lignes directrices et que, dans ces circonstances, il est recommandé de consulter seulement les utilisateurs, et non les utilisateurs éventuels, de l’aéroport. À un degré plus éloigné encore, la mention de l’IATA dans un projet d’accord, qui n’a jamais été signé, avec une société du groupe d’Air Canada il y a plusieurs années et la mention dans le bulletin de décembre d’un coordonnateur de créneaux agréé par l’IATA ne font  aucunement naître une obligation à la charge de l’APT de suivre le protocole de l’IATA, ni une expectative raisonnable de la part d’Air Canada que l’APT le ferait.

 

[89]           Je n’ai pas exposé de façon détaillée d’autres mentions de l’IATA énumérées par l’avocat d’Air Canada dans d’autres documents de l’APT. Ces documents, ni Air Canada ni une société de son groupe ne les avaient vus avant que la preuve soit présentée dans la présente procédure et les mentions sont aussi vagues que celles qu’on trouve dans les documents indiqués ci-dessus.

 

[90]           Il n’y avait manifestement aucune obligation imposée à l’APT, ou souscrite par elle, de suivre rigoureusement ou même si peu que ce soit un protocole de l’IATA. Air Canada avait-elle une « expectative raisonnable » que l’APT le ferait?

 

[91]           La Cour suprême du Canada a examiné récemment la doctrine de l’expectative raisonnable ou légitime dans deux arrêts. Dans le premier, Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281, le juge Binnie, au nom de la Cour, a écrit que l’autorité qui délivre un permis a l’obligation d’observer l’équité à l’endroit de celui qui possède déjà un permis lorsqu’elle accorde des permis modifiés. Le droit d’une partie à l’équité procédurale dépend de la nature de l’intérêt de la partie et de la nature du pouvoir exercé par l’autorité. La réparation, toutefois, consiste à accorder la réparation procédurale, même si elle peut entraîner une réparation substantielle. Le juge Binnie a écrit aux paragraphes 18, 29, 30, 35 et 36 :

18 Si les intimés n’avaient pas « droit » à un permis modifié, ils avaient néanmoins, dans l’issue de leur demande, un intérêt financier direct suffisant pour déclencher une obligation d’équité procédurale. Après tout, ils possédaient déjà un permis. Ils demandaient que leur permis soit modifié. Comme l’a précisé le juge Le Dain dans Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, précité, p. 653 :

 

Cette Cour a confirmé que, à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne ...

 

 

29 Selon notre jurisprudence, la possibilité d’invoquer l’équité procédurale et le contenu de cette forme d’équité dépendent généralement de la nature de l’intérêt du demandeur et de la nature du pouvoir exercé par l’autorité publique relativement à cet intérêt : Brown et Evans, op. cit., p. 7-13 et suiv.; D. J. Mullan,  “Confining the Reach of Legitimate Expectations” Case Comment :  Sunshine Coast Parents for French v. School District No. 46 (Sunshine Coast) » (1991), 44 Admin. L.R. 245, p. 248. Par contre, la théorie de l’expectative légitime s’attache à la conduite de l’autorité publique dans l’exercice de ce pouvoir (Vieux St‑Boniface, précité, p. 1204) et notamment aux pratiques établies, à la conduite ou aux affirmations qui peuvent être qualifiées de claires, nettes et explicites (Brown et Evans, op. cit., p. 7-41). Les expectatives ne doivent pas entrer en conflit avec le mandat légal de l’autorité publique.

 

30 La théorie de l’expectative légitime est parfois considérée comme une forme de préclusion, mais il ressort amplement de la jurisprudence, de la doctrine et des principes que le demandeur qui invoque la théorie de l’expectative légitime peut mais ne doit pas nécessairement démontrer qu’il était au fait de la conduite en cause ou qu’il s’y est fié à son détriment. Cela s’explique par le fait que l’accent est mis sur la promotion de [traduction] « la régularité, [de] la prévisibilité et [de] la certitude des rapports du gouvernement avec le public » : S. A. de Smith, H. Woolf et J. Jowell, Judicial Review of Administrative Action (5e éd. 1995), p. 417, ce à quoi les éditeurs ajoutent, à la p. 426, qu’insister sur l’existence de conditions semblables à celles qui justifient la préclusion

 

[traduction] entraînerait une discrimination injuste entre ceux qui connaissaient et ceux qui ignoraient l’existence de l’affirmation et avantagerait ceux qui étaient bien informés. Les pratiques administratives malencontreuses seraient aussi encouragées en raison de la trop grande facilité avec laquelle les décideurs échapperaient aux conséquences normales de leurs actes.

 

La Haute Cour d’Australie adopte un point de vue similaire :

 

[traduction] Mais, qui plus est, la notion d’expectative légitime ne repose sur aucun principe de préclusion. La question de savoir si le ministre peut être empêché d’exercer son pouvoir discrétionnaire est une autre question, qui n’a pas été soulevée par l’appelant. L’expectative légitime ne dépend pas de la connaissance et de l’état d’esprit de l’individu concerné, bien qu’elle puisse découler de la conduite d’une autorité publique à l’égard d’un individu ...

 

(Haoucher c. Minister for Immigration, Local Government and Ethnic Affairs (1990), 19 A.L.D. 577, le juge Toohey, p. 590)

 

Voir également Minister of State for Immigration and Ethnic Affairs c. Teoh (1995), 183 C.L.R. 273 (H.C.).

 

 

35 En confirmant que la théorie de l’expectative légitime est restreinte à la réparation procédurale, il faut reconnaître qu’il est parfois difficile de différencier ce qui est de nature procédurale et ce qui est de nature substantielle. Par exemple, dans Bendahmane c. Canada, précité, les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale ont considéré comme étant de nature procédurale la demande présentée par le requérant en vue de bénéficier d’un programme de réduction de l’arriéré des revendications du statut de réfugié (p. 33), alors que le juge dissident estimait que la réparation demandée était de nature substantielle (p. 25). Une décision tout aussi serrée a été rendue dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada), [1996] 3 C.F. 259 (1re inst.). L’insistance trop grande sur une qualification et une catégorisation officielles des pouvoirs aux dépens d’une application souple des principes généraux peut être nuisible en l’espèce. Il vaut mieux poser la question sous l’angle du principe sous-jacent mentionné précédemment, à savoir que l’établissement des politiques générales d’intérêt public relève d’abord et avant tout du ministre et non pas des tribunaux.

 

36 La qualification de la réparation comme étant « de nature substantielle » doit être effectuée en fonction des fondements de principe sur lesquels repose son exclusion plutôt que d’être traitée comme une question de forme. Lorsque, comme dans l’arrêt Bendahmane c. Canada, la réparation peut raisonnablement être qualifiée de procédurale compte tenu du principe de retenue applicable aux questions de politique substantielle, il y a généralement lieu de la qualifier ainsi.

 

[92]           La Cour suprême du Canada est revenue sur la question deux ans plus tard dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539. Au nom de la majorité (il y avait plusieurs dissidents), le juge Binnie a écrit que la doctrine de l’expectative légitime rendait nécessaire pour la Cour d’examiner s’il existe des pratiques établies, une conduite ou des affirmations qui peuvent être qualifiées de claires, nettes et explicites. Il a écrit au paragraphe 131 :

131 La règle de l’expectative légitime est « le prolongement des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale » : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557. Elle s’attache à la conduite d’un ministre ou d’une autre autorité publique dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire – y compris les pratiques établies, la conduite ou les affirmations qui peuvent être qualifiées de claires, nettes et explicites – qui a fait naître chez les plaignants (en l’espèce, les syndicats) l’expectative raisonnable qu’ils conserveront un avantage ou qu’ils seront consultés avant que soit rendue une décision contraire. Pour être « légitime », une telle expectative ne doit pas être incompatible avec une obligation imposée par la loi. Voir : Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; Baker, précité; Mont‑Sinaï, précité, par. 29; Brown et Evans, op. cit., par. 7:2431. Lorsque les conditions d’application de la règle sont remplies, la cour peut accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative « légitime ».

 

[93]           En l’espèce, je juge qu’il n’y a pas de pratiques établies, de conduite ou de déclarations de l’APT qui soient claires, nettes et explicites. En dépit de l’argumentation fort habile de l’avocat d’Air Canada, il n’existe tout simplement pas de preuve suffisante pour que la Cour puisse conclure qu’Air Canada avait une expectative légitime d’être consultée par l’APT avant que celle-ci prenne des décisions au sujet de l’attribution de créneaux.

 

[94]           J’ajoute deux points. Premièrement, la preuve établit nettement que, pendant toute la période pertinente, il y a eu des réunions et des échanges de correspondance entre l’APT et Air Canada. Air Canada n’a jamais hésité à faire connaître ses positions à l’APT.

 

[95]           Deuxièmement, Air Canada n’a fourni aucun témoignage sur la façon dont elle réagirait si une consultation plus vaste était ordonnée. Nous savons qu’elle veut plus de créneaux, dont des créneaux aux heures intéressantes. Elle l’avait déjà dit à l’APT. L’avocate d’Air Canada, Me Batner, a fait une présentation élaborée sur la façon dont il serait possible, à son avis, d’augmenter le nombre de créneaux, particulièrement si des ajustements étaient apportés aux créneaux en « période calme ». Je ne suis pas en mesure d’évaluer ces observations, même si elles étaient pertinentes. Il n’y a pas de preuve à l’appui de ces observations. Je n’ai pas d’idée si ces observations prennent en compte tous les facteurs et contraintes pertinents. Air Canada n’a pas fourni de preuve à l’appui de ces observations, ni de preuve que ce sont les observations qu’elle aurait présentées à l’APT ou qu’elle ait été empêchée de quelque façon de faire ces observations.

 

XII   Question 6 :       Les « décisions » de l’APT sont elles déraisonnables quant à la « forme » ou au « fond »?

 

[96]           L’avocat d’Air Canada soutient que chacune des « décisions » de l’APT en litige est déraisonnable quant à la « forme » et quant au « fond ». J’ai rejeté cet argument parce qu’on ne l’avait pas plaidé, mais je le traiterai au cas où il y aurait appel.

 

[97]           L’avocat fait valoir que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a établi de nouveaux motifs (non de nouvelles normes) de contrôle judiciaire : une décision doit être raisonnable à la fois quant à la « forme » et au « fond ». On renvoie à la décision de la majorité, rédigée par les juges Bastarache et LeBel, au paragraphe 47 :

[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[98]           Je suis en désaccord. La cour examine une norme, non un motif. Le paragraphe 47 commence par les mots « La norme déférente du caractère raisonnable ». Le paragraphe 48 commence par les mots « L’application d’une seule norme de raisonnabilité ».

 

[99]           Ce que visait la cour au paragraphe 47 en parlant de raisonnabilité « quant à la forme » est exprimé dans la deuxième phrase, « ... la justification de la décision, … la transparence et … l’intelligibilité ». Ce que visait la cour en parlant d’« issues », c’est, comme il est dit dans la dernière phrase du paragraphe 47, « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[100]       Dans les présentes demandes, le bulletin de décembre est clair, comme l’est aussi le bulletin d’avril. Les deux exposent ce que l’APT a l’intention de faire et pour quelle raison : elle avait l’intention de nommer, et elle a ensuite nommé, un coordonnateur de créneaux. Elle avait l’intention de recevoir, et elle a ensuite reçu, des propositions d’utilisateurs éventuels, dont Air Canada.

 

[101]       La validité de l’AETC de 2010 conclu entre l’APT et Porter n’a pas été articulée dans les actes de procédure, mais a été traitée dans les plaidoiries. Air Canada n’avait pas été informée auparavant que cet accord serait conclu par ces parties. Elle n’avait pas de droit ou d’expectative d’être informée. Il s’agissait d’une décision commerciale d’entreprise que l’APT avait le droit de prendre. Les actes de l’APT font partie de l’éventail acceptable d’actes raisonnables et ne devraient pas être annulés sur le fondement, dont j’ai conclu qu’il n’existait pas, que l’APT est susceptible de contrôle judiciaire.

 

XIII   Question 7 :      L’APT avait-elle l’obligation de donner des «  motifs » de ses décisions et, si des motifs ont été donnés, étaient-ils adéquats?

 

[102]       En abordant cet argument, je répète qu’il a été rejeté parce qu’il n’a pas été « plaidé » et parce que l’APT n’est pas susceptible de contrôle judiciaire à cet égard. Néanmoins, au cas où il y aurait un appel, je vais le traiter.

 

[103]       L’« obligation » de donner des motifs repose sur ce qu’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, où la juge L’Heureux-Dubé, au nom de la Cour, a écrit aux paragraphes 43 et 44 :

43 À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l’espèce où la décision revêt une grande importance pour l’individu, dans des cas où il existe un droit d’appel prévu par la loi, ou dans d’autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l’espèce, à mon avis, constituent l’une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L’importance cruciale d’une décision d’ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l’obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l’égard d’une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

 

44 J’estime, toutefois, que cette obligation a été remplie en l’espèce par la production des notes de l’agent Lorenz à l’appelante. Les notes ont été remises à Mme Baker lorsque son avocat a demandé des motifs. Pour cette raison, et parce qu’il n’existe pas d’autres documents indiquant les motifs de la décision, les notes de l’agent subalterne devraient être considérées, par déduction, comme les motifs de la décision. L’admission de documents tels que ces notes comme motifs de la décision fait partie de la souplesse nécessaire, ainsi que l’ont souligné Macdonald et Lametti, loc. cit., quand des tribunaux évaluent les exigences de l’obligation d’équité tout en tenant compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d’assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de l’équité procédurale. Cela confirme le principe selon lequel les individus ont droit à une procédure équitable et à la transparence de la prise de décision, mais reconnaît aussi qu’en matière administrative, cette transparence peut être atteinte de différentes façons. Je conclus qu’en l’espèce les notes de l’agent Lorenz remplissent l’obligation de donner des motifs en vertu de l’obligation d’équité procédurale, et qu’elles seront considérées comme les motifs de la décision.

 

[104]       Ce qu’il faut reconnaître, c’est que l’« obligation » de donner des motifs ne prend naissance que dans « certaines circonstances » et que cette obligation peut être remplie, par exemple, par la simple remise de notes. Ces circonstances peuvent se présenter lorsqu’il existe une disposition législative portant qu’il faut donner des motifs et aussi lorsque la procédure est juridictionnelle ou quasi juridictionnelle. Toutefois, les circonstances sont fort différentes lorsqu’il s’agit d’opérations commerciales normales, comme celles qui sont en cause en l’espèce. Il n’y a pas d’« obligation » de fournir aux personnes potentiellement intéressées des « motifs » de chaque « décision » prise. Les opérations s’arrêteraient progressivement.

 

[105]       Il n’y avait pas de motifs à donner en l’espèce.

 

 

XIV Question 8 :        Les « décisions » ont-elles été prises en vue d’une fin inappropriée?

 

[106]       Air Canada soutient que l’APT, au cours de tout le processus, a favorisé Porter et que les décisions de l’APT ont été prises pour donner à Porter un avantage indu en ce qui concerne l’utilisation de l’ABBT.

 

[107]       Air Canada signale que les lettres fournies par le Bureau de la concurrence en 2003 étaient fondées sur la prémisse que l’on donnerait à Porter l’exclusivité à l’ABBT pour une période limitée seulement, et que cette période est maintenant expirée. Au départ, on a accordé à Porter jusqu’à 112 créneaux, lesquels sont devenus, dans l’AETC de 2010, des droits acquis. On a aussi donné à Porter, dans l’AETC de 2005, une [traduction] part « équitable » des nouveaux créneaux. On a donné à Porter 45 des 90 nouveaux créneaux dans l’AETC de 2010. Porter continue de jouir de presque tous les créneaux aux heures de pointe.

 

[108]       L’APT fait valoir qu’elle a pris une décision opérationnelle appropriée. Elle a demandé conseil à diverses sources, notamment Jordan et ACL, et sur la base de ces conseils; bien qu’elle n’ait pas suivi en tout point les conseils reçus, elle a pris des décisions opérationnelles rationnelles, impartiales.

 

[109]       Porter soutient qu’Air Canada ou les sociétés de son groupe ont essentiellement abandonné l’ABBT, préférant mener leurs opérations de Toronto à l’Aéroport Pearson où Air Canada est la ligne aérienne la plus importante et où Porter n’opère pas. C’est seulement quand Porter a commencé à faire de l’ABBT une réussite qu’Air Canada a voulu y revenir. Porter prévient qu’il faut être prudent en traitant avec Air Canada, étant donné son attitude passée de négligence de l’ABBT et d’élimination de la concurrence à cet aéroport.

 

[110]       Il n’était pas déraisonnable pour l’APT de conférer à Porter des droits acquis sur les créneaux existants, ou d’interpréter une part [traduction] « équitable » dans l’attribution des nouveaux créneaux comme signifiant la moitié de ces créneaux. On ne m’a pas présenté de preuve qui donne à penser que l’APT et Porter faisaient plus qu’exercer une activité commerciale raisonnable, normale. Ainsi que j’ai conclu, il n’y a pas d’expectative qu’Air Canada aurait dû de quelque façon être consultée pendant le processus.

 

[111]       La situation se rapproche, sans y être identique, de celle qu’a examinée la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Irving Shipbuilding , où le juge Evans, au nom de la Cour, a écrit au paragraphe 46 :

[46] Le contexte du présent litige est essentiellement de nature commerciale, même si le gouvernement est l’acheteur. TPSGC a établi un contrat conformément à un pouvoir conféré par la loi et les biens et services acquis sont liés à la défense nationale. Selon moi, il serait en règle générale inapproprié d’incorporer une obligation provenant du droit public conçue dans le contexte de l’exécution des fonctions gouvernementales conformément à des pouvoirs conférés uniquement par la loi dans une relation de nature principalement commerciale, régie par un contrat.

 

[112]       Il n’appartient pas à la Cour de refaire ou d’annuler ce qui est en réalité un contrat commercial simplement parce que l’une des parties éventuelles pense qu’elle aurait dû faire une meilleure affaire.

 

CONCLUSIONS ET DÉPENS

 

[113]       En conclusion, les deux demandes seront rejetées. L’APT n’agit pas à titre d’« office fédéral » dans les circonstances de la présente affaire; elle n’a pas pris de « décision » qui soit susceptible de contrôle judiciaire. Air Canada n’avait pas de droit ou d’expectative légitime d’être consultée avant que l’APT s’engage à attribuer des créneaux à Porter ou autrement.

 

[114]       Les avocats à l’audience ont indiqué qu’il se peut que les parties s’entendent sur l’adjudication des dépens. Je les laisse donc s’occuper de la question, à condition, toutefois, que s’ils ne peuvent s’entendre dans un délai raisonnable, l’un ou plusieurs d’entre eux me demande, dans une courte lettre adressée à moi, une nouvelle ordonnance et de nouvelles directives au sujet des dépens.


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS,

LA COUR STATUE :

 

1.                  Les demandes sont rejetées;

 

2.                  Les parties doivent s’entendre au sujet des dépens dans un délai raisonnable, à défaut de quoi l’une ou l’autre d’entre elles peut, au moyen d’une courte lettre, demander à la Cour une ordonnance et des directives à ce sujet.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-488-10/T-692-10

 

INTITULÉ :                                                   AIR CANADA c. ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TORONTO et

                                                                        PORTER AIRLINES INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Du 6 au 8 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   le 21 juillet 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Finkelstein

Sarit E. Batner

Brandon Kain

Byron Shaw

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Peter K. Doody

Colleen M. Shannon

Christiaan A. Jordaan

 

Robert L. Armstrong

Orestes Pasparakis

Greg Sheahan

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Administration portuaire de Toronto

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Porter Airlines Inc.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Borden Ladner Gervais s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Ogilvy Renault s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

Administration portuaire de Toronto

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Porter Airlines Inc.

 

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