Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100616

Dossier : T-361-09

T-363-09

 

Référence : 2010 CF 645

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2010

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

1772887 ONTARIO LIMITED

s/n WHERE CANADA

demanderesse

et

 

 LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCES

et

 MIKIT FRANCE, SOCIÉTÉ ANONYME

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Where Canada, porte en appel les décisions du registraire des marques de commerce qui a rejeté, en vertu de l’article 38(4) de la Loi sur les marques de commerces, L.R.C. 1985, ch. T-13, modifiée (la Loi), ses déclarations d’opposition aux marques de commerce numéros 1,334,958 et 1,334,960 et déposées le 12 février 2007 par Mikit France, qui sollicite l’enregistrement de la marque « MIKIT maisons prêtes à finir (& dessin) » et de sa traduction anglaise « MIKIT ready to finish houses (& design) » (les marques proposées).

 

[2]               Les paragraphes 38(2) et (3) énoncent les exigences relatives au contenu de la déclaration d’opposition et aux motifs qui peuvent la fonder.

38. (2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;

c) le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement;

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

Teneur

(3) La déclaration d’opposition indique :

a) les motifs de l’opposition, avec détails suffisants pour permettre au requérant d’y répondre;

b) l’adresse du principal bureau ou siège d’affaires de l’opposant au Canada, le cas échéant, et, si l’opposant n’a ni bureau ni siège d’affaires au Canada, l’adresse de son principal bureau ou siège d’affaires à l’étranger et les nom et adresse, au Canada, d’une personne ou firme à qui tout document concernant l’opposition peut être signifié avec le même effet que s’il était signifié à l’opposant lui-même.

38.(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

(b) that the trade-mark is not registrable;

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade-mark; or

(d) that the trade-mark is not distinctive.

Content

(3) A statement of opposition shall set out

(a) the grounds of opposition in sufficient detail to enable the applicant to reply thereto; and

(b) the address of the opponent’s principal office or place of business in Canada, if any, and if the opponent has no office or place of business in Canada, the address of his principal office or place of business abroad and the name and address in Canada of a person or firm on whom service of any document in respect of the opposition may be made with the same effect as if it had been served on the opponent himself.

 

[3]               Les 13 et 14 janvier 2009, le registraire a rejeté les déclarations d’opposition sur la base du paragraphe 38(4) qui prévoit :

Opposition futile

(4) Si le registraire estime que l’opposition ne soulève pas une question sérieuse pour décision, il la rejette et donne avis de sa décision à l’opposant.

Frivolous opposition

(4) If the Registrar considers that the opposition does not raise a substantial issue for decision, he shall reject it and shall give notice of his decision to the opponent.

 

 

[4]               Bien que la demanderesse ait déposé auprès de la Cour des avis distincts de demande pour chacune des marques proposées, les motifs d’opposition, les motifs invoqués par le Registraire pour les rejeter et les moyens d’appel de la demanderesse sont tous identiques. Par conséquent, les deux appels seront tranchés dans les présents motifs.

 

[5]               La demanderesse est propriétaire des marques suivantes, qui sont enregistrées au Canada et qui portent les numéros d’enregistrement 368,571; 496,282; 408,695; 463,529; 520,864; 677,534; 674,494; 727,342 et 725,344, soit : WHERE, WHERE MAGAZINES INTERNATIONAL, WHERE FAMILY, WHERE ON-LINE, WHERE THE FINDS ARE, WHERE LOCALS HIKE, WHERE TELEVISION et WHERE TELEVISION & DESIGN. Ces marques de commerce sont enregistrées en liaison avec une série de marchandises, dont : des logiciels de communication, des logiciels informatiques, des publications imprimées, des services d’exploitation et de gestion fournis à des détaillants et des restaurateurs ainsi que d’autres services de divertissement, d’information et d’éducation, y compris des services de publicité pour des produits de divertissement et de l’information touristique.

 

[6]               Le 17 décembre 2008, la demanderesse a déposé des déclarations d’opposition relatives aux marques proposées, prétendant qu’elles devraient être rejetées car (1) elles créent une confusion avec la famille de marques de commerce de la demanderesse aux termes de l’alinéa 12(1)d), des alinéas 16(3)a) et c) de la Loi, (2) Mikit France ne peut être convaincue de son droit d’employer les marques proposées tel que la prévoit le sous-alinéa 30(i) puisqu’elle était consciente, ou aurait dû l’être, de l’existence et de la notoriété de la famille de marques de commerces appartenant à la demanderesse, (3) les marchandises désignées par le mot anglais « plans » dans les demandes d’enregistrement des marques proposées sont trop générales et ne sont pas exprimées dans les termes ordinaires du commerce tel que l’exige l’alinéa 30a) de la Loi, et (4) les marques ne comportent aucun caractère distinctif.

 

[7]               Selon le registraire, la demanderesse n’a pas invoqué de motif acceptable d’opposition parce que (1) la connaissance qu’avait Mikit France de la demanderesse, de ses marques de commerce et de ses noms commerciaux ne l’a pas empêchée d’affirmer en toute sincérité qu’elle a le droit d’utiliser les marques proposées en liaison avec les marchandises et services décrits dans sa demande, comme elle est tenue de le faire en application de l’alinéa 30i) de la Loi, et (2) l’argument de la demanderesse voulant que le mot anglais « plans » ne constitue pas un terme ordinaire du commerce conformément à l’alinéa 30a) n’est pas fondé puisqu’il s’agit d’une traduction du français, langue utilisée pour rédiger les demandes d’enregistrement et, que, par conséquent, ce terme ne revêt pas nécessairement la même signification que celle du mot employé dans les demandes. En outre, l’allégation n’est étayée par aucun fait; elle ne contient pas suffisamment de détails selon ce qu’exige l’alinéa 38(3)a). En dernier lieu, le registraire a estimé que les allégations au sujet de la confusion entre la famille de marchandises offertes par la demanderesse et les marques proposées ne reposent sur aucun fondement compte tenu de [traduction] « l’absence quasi totale de ressemblance entre les marques proposées et les marques de commerce ainsi que les noms commerciaux employés par la demanderesse ».

 

[8]               Bien que la demanderesse soulève plusieurs questions dans son mémoire, la seule qui doit être résolue par le présent appel consiste à déterminer si le registraire a agi raisonnablement en rejetant la déclaration d’opposition de la demanderesse parce qu’ « elle ne soulève aucune question sérieuse à trancher ». Il s’agit essentiellement d’une question mixte de fait et de droit.

 

[9]               Lorsqu’il s’agit de décider s’il existe une question sérieuse à trancher, la jurisprudence est claire : le registraire ne doit pas considérer les chances ou les probabilités qu’a l’opposant d’avoir gain de cause. Le registraire doit plutôt se demander si, « en supposant que tous les faits allégués dans la déclaration d’opposition sont vrais, la réclamation de l’opposante est soutenue. » Aucune preuve ne doit être examinée pour trancher cette question; le registraire doit limiter son examen à la demande proprement dite et aux allégations contenues dans la déclaration d’opposition. Voir Koffler Stores Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1976] 2 C.F. 685, au paragraphe 3; Canadian Tampax Corp. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1975), 24 C.P.R. (2d) 178, [1975] A.C.F. no. 1110, au paragraphe 20 (C.F.1re instance) (QL), qui cite Pepsico Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1976] 1 C.F. 202 au paragraphe 12 (C.F.1re instance).

 

[10]           Ni le registraire, ni Mikit France n’ont déposé de mémoire des faits et du droit dans le cadre des présents appels. Toutefois, lors de l’audience, l’avocate du registraire a déclaré qu’elle souhaitait que la Cour apporte des éclaircissements au principe de « question soutenable » mentionné dans la jurisprudence. L’avocate a également soutenu qu’en l’espèce il n’était pas approprié pour le registraire d’user de son pouvoir discrétionnaire pour donner à la demanderesse la possibilité de modifier sa déclaration d’opposition.

 

[11]           Selon moi, compte tenu de l’expertise du registraire, il convient généralement de faire preuve de retenue à l’endroit des conclusions qu’il tire conformément au paragraphe 38(4) de la Loi, à moins qu’on ne puisse démontrer qu’il a clairement mal compris ou mal appliqué le critère juridique applicable. Par conséquent, la question en l’espèce consiste à savoir s’il était raisonnable pour le registraire de conclure que la déclaration d’opposition produite par la demanderesse ne soulève pas une question sérieuse à trancher.

 

[12]           À l’audience, l’avocat de la demanderesse a soutenu devant la Cour que le registraire avait rendu des décisions prématurées et qu’il avait tiré des conclusions sur le bien-fondé de l’opposition sans le bénéfice de quelque preuve que ce soit. En d’autres termes, le registraire ne s’est pas contenté d’examiner les allégations contenues dans les déclarations d’opposition. En conséquence, la demanderesse prétend que la Cour doit éviter de commettre la même erreur en rejetant les présents appels. Simplement dit, la demanderesse sollicite la possibilité de prouver les allégations faites dans les déclarations d’opposition. Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse. Les présents appels doivent être rejetés pour un certain nombre de motifs.

 

[13]           D’abord, il appert, après examen des déclarations d’opposition et des motifs du registraire, que celui-ci n’a ni mal compris ni mal appliqué le critère prévu au paragraphe 38(4) de la Loi. Premièrement, le registraire n’a pas évalué les probabilités que la demanderesse ait gain de cause ni la suffisance de ses éléments de preuve, et, même s’il l’avait fait, ce que la Cour ne croit pas, les déclarations ne soulèvent aucune question sérieuse à trancher.

 

[14]           Deuxièmement, le registraire était fondé à souligner que la simple affirmation selon laquelle Mikit France connaissait ou aurait dû connaître les marques de commerce et noms commerciaux appartenant à la demanderesse ne suffisait pas à établir le caractère trompeur de la déclaration voulant que Mikit France est convaincue qu’elle a le droit d’employer la marque de commerce en liaison avec les marchandises ou services décrits dans la demande d’enregistrement. Comme aucun autre fait n’a été invoqué à l’appui de cette allégation, il n’était pas déraisonnable pour le registraire de conclure qu’elle ne constitue pas un motif valable d’opposition.

 

[15]           Troisièmement, l’allégation selon laquelle le mot anglais « plans » ne constitue pas un terme commercial ordinaire suscite des difficultés. En premier lieu, il ne peut s’agir du terme employé par Mikit France dans sa demande d’enregistrement des marques proposées puisque celle-ci a été rédigée en français. Par conséquent, il est impossible d’établir qu’il s’agit de la bonne traduction du mot retrouvé dans le document original. En outre, la demanderesse n’a pas expliqué en quoi ce terme contrevient aux exigences de la Loi, se contentant d’affirmer qu’il est trop vaste. Encore une fois, comme l’allégation ne contient pas suffisamment de détails pour permettre à Mikit France de la réfuter, la conclusion du registraire voulant que cette allégation ne représente pas un motif valable d’opposition n’était pas déraisonnable.

 

[16]           Quatrièmement, après examen de la copie certifiée du dossier afférent aux marques de commerces, il n’était pas déraisonnable pour le registraire de conclure que la demanderesse n’a pas avancé un argument soutenable à l’appui de son allégation de confusion. Comme le souligne le registraire, il n’existe aucune ressemblance entre les marques proposées et la famille de marques de commerce et de noms commerciaux appartenant à la demanderesse. Compte tenu des critères utilisés pour déterminer si une marque crée de la confusion, parmi lesquels figurent le caractère distinctif inhérent des marques, la notoriété dont jouit la marque, le genre de marchandises, de services ou d’entreprise, la nature du domaine d’activité commerciale et la ressemblance visuelle ou phonétique entre les marques ou entre les idées suggérées par celles-ci, il n’était pas déraisonnable pour le registraire de conclure qu’étant donné l’absence totale de ressemblance entre les marques, il n’existe aucun argument soutenable militant en faveur de la confusion. De plus, bien que le registraire ne l’ait pas mentionné, il convient de faire remarquer qu’outre l’absence de similitude entre les aspects physiques des deux marques proposées, ces dernières ne sont aucunement associées à des marchandises ou des services qui relèvent du même domaine d’activité que la famille de marques de commerce et de noms commerciaux appartenant à la demanderesse. Comme il ressort plutôt clairement des marques proposées en tant que telles, les marchandises et les services décrits comme afférents à celles-ci sont associés à la construction de maisons. De plus, bien que, de façon générale, la demanderesse allègue dans ses déclarations d’opposition que les marques proposées ne comportent aucun caractère distinctif, elle ne formule aucune allégation factuelle pour étoffer cet argument, ce qui contrevient à l’exigence prévue à l’alinéa 38(3)a) de la Loi.

 

[17]           Enfin, la Cour estime que les conclusions du registraire sont raisonnables. Cela dit, même si l’on accepte la prétention faite par l’avocat de la demanderesse à l’audience selon laquelle la Cour doit jeter un regard nouveau sur la question et tirer ses propres conclusions, j’estime aussi que l’opposition ne soulève aucune question sérieuse à trancher. En effet, selon la Cour, les oppositions sont si évidemment futiles qu’elles n’ont aucune chance d’être accueillies. En conséquence, elles ne soulèvent pas d’argument soutenable, pour reprendre le critère formulé dans la jurisprudence.

 

[18]           Avant de conclure, la demanderesse a affirmé dans son mémoire écrit et à l’audience que, subsidiairement, le registraire aurait dû lui permettre de modifier ses déclarations d’opposition. Cet argument doit également être rejeté. Accorder l’autorisation de modifier un document est une question purement discrétionnaire. Le paragraphe 38(4) de la Loi ne prescrit aucune obligation de cette nature. La demanderesse et son avocat connaissent bien la Loi, et la Loi exprime clairement les exigences minimales auxquelles doit répondre une déclaration d’opposition. En outre, la jurisprudence est claire : si le registraire peut inviter la personne qui a produit l’opposition à la compléter ou à en expliquer certains points obscurs, il n’a pas l’obligation de le faire (Koffler Stores Ltd., précitée, au paragraphe 12). Étant donné les circonstances propres à l’espèce, je conclus que le registraire a convenablement exercé son pouvoir discrétionnaire en s’abstenant d’inviter la demanderesse à modifier ses déclarations d’opposition avant d’exercer le pouvoir prévu au paragraphe 38(4) de la Loi.

 

[19]            Pour tous ces motifs, les appels sont rejetés. Comme aucun mémoire des faits et du droit n’a été déposé par l’un des défendeurs désignés, aucuns dépens ne seront adjugés.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que les appels de la demanderesse dans les dossiers T-361-09 et T-363-09 sont rejetés sans frais.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Emmanuelle Dubois, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      T-361-09

                                                            T-363-09

 

INTITULÉ :                                       1772887 ONTARIO LIMITED

                                                            s/n WHERE CANADA

                                                            c.

                                                            LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE et

                                                            MIKIT FRANCE, SOCIÉTÉ ANONYME

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 JUIN 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 JUIN 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kenneth D. McKay

 

POUR LA DEMANDERESSE

Abigail A. Browne

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

AVOCATS AU DOSSIER :

 

Sim, Lowman, Ashton & McKay LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.