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Cour fédérale 

 Federal Court

 

 

 

Date : 20100722

Dossier : IMM‑3774‑10

Référence : 2010 CF 775

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2010

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

FAVIO CRUZ UGALDE

ALEJANDRA GUTIERREZ BARBA

ALEXA BERENICE CRUZ GUTIERREZ

FAVIO CRUZ GUTIERREZ

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

  ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  Aperçu

[1]  Dans chaque affaire d’immigration ou de demande d’asile, le contexte du pays d’origine peut être compris uniquement grâce aux conditions du pays. Ce qui signifie que la compréhension d’une encyclopédie de références, d’un dictionnaire des termes, d’une galerie de portraits et même d’une musique de fond de la vie d’un pays est fondamentale. C’est le moyen nécessaire pour établir si une harmonie ou un minimum d’harmonie existe dans ce pays ou si une cacophonie recouvre certaines voix individuelles qui crient à l’aide sans résultat.

[2]  Afin de comprendre la voix d’un pays à travers son peuple, les voix individuelles, si elles sont authentiques à la lumière de la preuve, doivent être entendues. Ce qui signifie reconnaître comment elles résonnent dans le contexte des conditions du pays. Afin de s’assurer que les décideurs, tribunaux et cours entendent ces voix individuelles précisément, sans idées préconçues, une compréhension du contexte des conditions du pays, qui est essentielle à chaque cas est indispensable; autrement, les conditions du pays tombent dans des oreilles sourdes et rien ne sera entendu ni compris. C’est le seul moyen pour que la condition humaine soit comprise par la jurisprudence; et ce n’est qu’à ce moment-là qu’une décision peut être considérée comme raisonnable s’appuyant sur les éléments de preuve.

 

[3] La Cour d’appel fédérale, dans un jugement rédigé par la juge Karen Sharlow, a manifestement tiré une conclusion significative à cet égard :

[12] La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile.  Néanmoins, il peut exiger l’examen de certaines ou de l’ensemble des mêmes questions factuelles et juridiques que dans le cadre d’une demande d’asile.

 

(Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 162 A.C.W.S. (3d) 1013).

 

II.  Remarques préliminaires

L’intitulé est modifié pour changer le nom de la troisième demanderesse, Alejandra CRUZ GUTIERREZ, pour Alexa Berenice CRUZ GUTTIEREZ.

 

[5] Aussi bien, dans l’intitulé, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est ajouté comme défendeur avec le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

III.  Introduction

[6] Les demandeurs sont citoyens du Mexique. Leur unité familiale est composée d’un époux et son épouse et de deux enfants mineurs. Leur renvoi au Mexique est prévu pour le 24 juillet 2010 à 5 h 30. La présente requête est accessoire à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision défavorable d’une demande de protection en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) en vertu du programme de l’examen des risques avant renvoi (ERAR). Ils sollicitent une ordonnance de notre Cour d’un sursis de leur renvoi avant la décision au sujet de cette demande.

 

IV.  Faits

[7] La famille se trouve au Canada parce qu’elle pense que sa vie est menacée au Mexique. 

 

[8] M. Favio Cruz Ugalde, le demandeur principal (en ce qui concerne les allégations du risque) est bijoutier de profession. Il a travaillé comme bijoutier au Mexique et au Canada.

 

[9] Au Mexique, le demandeur était employé par M. Jack Aeso Gottlieb. Ensemble, ils avaient travaillé sur une commande spéciale de bijoux faits sur mesure pour l’épouse et la mère du gouverneur de l’état de Guanajuato, M. Juan Manuel Oliva Ramirez.

 

[10] M. Oliva Ramirez a payé pour les bijoux avec de la monnaie contrefaite.

 

[11] L’employeur de M. Cruz Ugalde a décidé de contacter les médias au sujet de cette affaire.

 

[12] La décision de M. Aseo Gottlieb de rencontrer un journaliste a été fatale. Des hommes armés sont arrivés au magasin.  M. Cruz Ugalde, qui y était seul à ce moment-là, a pu s’échapper par une porte secrète.

 

[13] Un journaliste a pris contact avec M. Cruz Ugalde afin de le prévenir que des agents de sécurité de l’État étaient à sa recherche. Il l’a également informé que quelqu’un était entré par effraction dans son magasin et l’avait dépouillé de son contenu.

 

[14] Le journaliste a informé le demandeur que la mère du gouverneur était tombée malade et était décédée à la suite du stress en raison de la divulgation potentielle des actes de corruption aux médias. C’était un facteur aggravant. Étant donné que M. Cruz Ugalde travaillait très étroitement avec M. Aseo Gottlieb, les agents avaient l’impression qu’il était aussi derrière le projet de contacter les médias. Le journaliste a également informé le demandeur que son employeur avait été « neutralisé ».

 

[15] Les demandeurs, bien qu’ils fussent habitués à des risques de sécurité importants au Mexique, avaient décidé que cet événement était extrêmement grave. Ils se sont cachés jusqu’à ce qu’au moment où ils ont quitté le Mexique en direction du Canada.

 

[16] Depuis leur arrivée au Canada, les membres de la famille des demandeurs partout dans le Mexique ont constamment été interrogés et ont reçu des menaces de personnes qui recherchaient le demandeur.

 

[17] L’audience des demandeurs devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) s’est achevée par une conclusion de manque de crédibilité. La Commission n’a pas tiré de conclusions sur la protection de l’État ni une possibilité de refuge intérieur.

[18] La conclusion de la SPR concernant la crédibilité était fondée sur quatre facteurs qui étaient précisément contestés dans une demande de contrôle judiciaire déposée auprès de la Cour fédérale. Notre Cour en a néanmoins refusé l’autorisation.

 

[19] Tout en respectant la décision de la Cour, les demandeurs ont déposé une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, et ensuite ils ont déposé une demande d’ERAR.

 

[20] Dans les demandes, les demandeurs ont soutenu, tout au long, que leur histoire était crédible et ils ont expliqué les circonstances de leurs efforts continus pour trouver des éléments de preuve à l’appui de leurs prétentions.

 

[21] Il est important de mentionner que les éléments de preuve au dossier confirment que l’agent persécuteur est un gouverneur d’état, accusé d’avoir commis des abus, et qui envisage de se présenter comme candidat à la présidence.

 

[22] Les demandeurs étaient en mesure de produire des preuves auprès du ministre de menaces continues à leurs vies s’ils étaient obligés de retourner au Mexique. Notamment des témoignages de :

La mère d’Alejandra GUTTIEREZ BARBA (l’épouse du demandeur principal) qui habite à Leon (Guanajuato). Dans sa lettre de 2009, elle mentionne avoir vu, à plusieurs reprises, des agents d’États stationnés devant son domicile. Quelqu’un est entré par effraction dans sa résidence. Elle avait communiqué avec la police, qui a suggéré qu’on paie à la police locale pour obtenir une protection. La mère, en raison de sa crainte, n’a pas déposé de plainte officielle auprès de la police. Des éléments de preuve photographiques de l’entrée par effraction ont également été produits;

b) Dans une lettre de 2009, la mère du demandeur principal qui habite à Acapulco a déclaré qu’elle a reçu des appels téléphoniques suspects et menaçants d’une personne non identifiée qui recherchait son fils;

c) La sœur du demandeur principal qui habite la ville de Mexico, dans une lettre de 2009 également, précise avoir reçu des appels téléphoniques suspects et menaçants d’une personne non identifiée qui recherchait son frère;

d) Une lettre d’un juge mexicain qui a déclaré, en novembre 2009, que les personnes qui recherchent le demandeur principal sont à la fois puissantes et dangereuses et que le demandeur principal ne pouvait être protégé nulle part dans le pays;

e) Une lettre d’un avocat au Mexique qui déclarait en novembre 2009 que les demandeurs seraient en danger partout dans le Mexique;  

f) Un deuxième avocat a déclaré en août 2009 qu’il ne serait pas possible de protéger la famille.

 

[23] Au moyen d’éléments de preuve datant d’août 2009, le demandeur principal :

a) A déposé de nouveau la déclaration qu’il avait faite dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), ainsi que les pièces-jointes qui avaient été déposées auprès de la Commission. Il a été clair qu’il soutient que son récit est véridique.

b) A également expliqué qu’il avait consulté un avocat au Mexique concernant sa situation et on lui a dit que rien ne pouvait être fait pour le protéger.

c) A expliqué qu’il n’était pas en mesure de trouver des renseignements concernant l’emplacement ni de son ancien employeur ni du journaliste avec qui il avait communiqué;

d) A expliqué qu’il comprenait les dangers auxquels il était exposé au Mexique, mais que ces événements très récents l’ont forcé à quitter le pays avec sa famille.

[24] En janvier 2010, le demandeur a déposé un autre affidavit pour expliquer ce qui suit :

a) qu’avec l’aide de son avocat actuel, il a essayé de trouver des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de son allégation, mais qu’un grand nombre de personnes ont toujours très peur de lui fournir des éléments de preuve concernant M. Oliva Ramirez à cause de sa position de pouvoir.

b) que les membres de sa famille au Mexique continuaient de recevoir des appels téléphoniques menaçants de personnes qui étaient à sa recherche;

 

[25] À la lumière de ces nouveaux éléments de preuve, les demandeurs ont déposé de nouveaux éléments de preuve convaincants pour réfuter les conclusions antérieures de la Commission concernant la crédibilité (comme il a été énoncé dans Raza, précitée, au paragraphe 13(3), par la juge Sharlow pour la Cour d’appel fédérale, les nouveaux éléments de preuve peuvent être déposés afin de réfuter une conclusion défavorable antérieure touchant la crédibilité). Par conséquent, les demandeurs ont demandé une protection d’un renvoi au Mexique.

 

[26] La même agente d’ERAR a refusé à la fois la demande d’ERAR et celle pour motifs d’ordre humanitaire. Les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire ont été déposées le 2 juillet 2010.

 

[27] Par conséquent, les demandeurs sollicitent une ordonnance de notre Cour pour un sursis du renvoi jusqu’à ce que la demande d’autorisation soit examinée et, si elle est accordée, jusqu'à ce que la demande de contrôle judiciaire soit tranchée par notre Cour.

 

[28] Les renseignements sur les conditions du pays démontrent bien que certains fonctionnaires corrompus sont en mesure de créer le type de situation dans laquelle se trouvent les demandeurs. C’est-à-dire que, dans un récit qu’ils ont soutenu tout au long de l’affaire, le récit lui-même, à la lecture attentive, témoigne des conditions du pays.

[29] L’agente a refusé la demande des demandeurs. Dans ses motifs, elle reconnaît que des graves problèmes de corruption et d’abus des droits de la personne existent bien au Mexique (dernier paragraphe, à la p. 8 des motifs, p. 142 du dossier de la requête (DR)).Les préoccupations de l’agente demeurent à l’égard des conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité. Elle a conclu que les éléments de preuve présentés ne suffisent pas pour accorder une valeur probante au récit des demandeurs.

 

[30] En analysant simplement le caractère véritable des motifs de l’agente, la préoccupation principale de l’agente est la relation entre les témoins et les demandeurs.

 

[31] L’agente a un pouvoir discrétionnaire, et le mandat de décider de façon indépendante si les demandeurs satisfont aux exigences pour accorder une demande de protection. Ainsi, une retenue est due aux conclusions factuelles des décideurs. Les Cours ont toujours affirmé que si le raisonnement factuel d’un décideur de première instance suit une logique fondamentale, même si la Cour n’y souscrit pas, la décision peut tout de même demeurer raisonnable. Pour les mêmes raisons, toutefois, s’il existe une erreur dans le raisonnement du décideur, l’intervention de la Cour s’impose.

 

[32] La crédibilité est devenue le facteur significatif dans la présente demande. Pourtant, le déroulement des faits des preuves subjectives en l’espèce, propre à l’espèce (cas d’espèce), semble bien avoir une logique inhérente lorsqu’on l’examine avec le dossier de preuve sur les conditions du pays que l’agente de l’ERAR accepte. (Mykhaylov c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CPFI 1189, 118 A.C.W.S » (3d) 704 au paragraphe  29). Le témoignage personnel des demandeurs, fondamentalement soutenu tout au long, ne contredit d’aucune manière la preuve de la condition du pays. Au contraire, ces deux éléments sont constamment en harmonie.

 

[33] Par conséquent, la question déterminante que soulève la demande de contrôle judiciaire est de savoir si le traitement par l’agente de la valeur probante des éléments de preuve était raisonnable ou non.

 

V. Question en litige

[34] Afin d’accueillir une demande de sursis d’un renvoi, la Cour doit être convaincue de ce qui suit :

a) les demandeurs soulèvent une question sérieuse dans la demande sous-jacente de contrôle judiciaire;

b) un préjudice irréparable adviendrait si les demandeurs étaient renvoyés du Canada;

c) l’octroi du sursis est justifié selon la prépondérance des inconvénients, compte tenu de la situation globale des deux parties.

(Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté d’Immigration) (1988), 56 N.R. 302 (C.A.F.))

 

IV  Discussion

[35] En raison de son bien-fondé intrinsèque (cas d’espèce), la Cour souscrit totalement à la position des demandeurs.

 

  Question grave

[36] Les tribunaux, dans le contexte d’une requête en sursis, ont constamment établi un seuil peu élevé pour une conclusion d’une « question sérieuse à trancher ». Notre Cour doit évaluer si les questions sérieuses soulevées par les demandeurs, à première vue, sont soit futiles soit vexatoires :

  La jurisprudence de la présente Cour indique qu’il est suffisant de démontrer que la requête du demandeur n’est ni frivole ni vexatoire, pour pouvoir obtenir une suspension du renvoi. Le principe est illustré dans Turbo Resources Ltd. c.  Petro-Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451, arrêt unanime de la Cour d’appel.

 

(Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 851, 107 A.C.W.S. (3d) 838).

 

[37] Des graves erreurs ont bien été commises dans le traitement des éléments de preuve.

 

Le motif principal donné par l’agente pour le rejet des éléments de preuve dans les observations écrites est que leurs auteurs ont des liens étroits avec les demandeurs :

 [...] Je considère ces lettres partisanes et en raison des liens étroits qui unissent les auteurs aux demandeurs, je considère que ces documents ne sont pas désintéressés et je leur accorde peu de valeur probante pour appuyer les risques allégués par le demandeur.

[...]

Il est à constater que les documents ont été produits à la requête du demandeur et ainsi ne sont pas désintéressés, pour cette raison je leur accorde peu de valeur probante pour appuyer les risques avancés au sein de cette demande. (Non souligné dans l’original).(EN FRANÇAIS DANS L’ORIGNIAL)

 

(Décision à la p. 141 du DR).

 

[39] La jurisprudence de notre Cour est absolument évidente : les décideurs ne peuvent accorder un poids exagéré de sorte à diminuer la valeur probante d’un témoin en raison d’une relation avec un demandeur dans des situations précises où ce témoignage semble valable.

 

[40] La Cour suprême du Canada, dans une décision unanime, a précisé :

[11] Le bon sens veut que l’intérêt d’un témoin dans l’issue de l’instance soit un élément pertinent à prendre en compte, parmi d’autres, dans l’évaluation de la crédibilité de son témoignage. Le juge des faits ne devrait cependant pas accorder un poids exagéré à la situation d’une personne dans l’instance comme facteur de crédibilité.  Il serait erroné, par exemple, de faire reposer une conclusion relative à la crédibilité du témoignage d’un parent ou d’un conjoint uniquement sur la relation entre ce témoin et le plaignant ou l’accusé.  Il faut tenir compte de tous les éléments pertinents lorsqu’on évalue la crédibilité. (Non souligné dans l’original)

 

(R. c. Laboucan, 2010 CSC 12, par la juge Louise Charron).

 

[41] Le même raisonnement est valable pour la déclaration du décideur selon laquelle le témoignage des témoins a été produit à la demande du demandeur. Les demandeurs ont le droit logiquement de demander le témoignage de personnes qui sont prêtes à témoigner concernant des facteurs liés à leur cas. Dans tous les cas juridiques, qu’il s’agisse d’un particulier ou de la couronne, une preuve doit être présentée afin de démontrer sa validité au moyen d’éléments de preuve disponibles ou à venir (Coitinho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1037, 1312 A.C.W.W. (3d) 1154 aux paragraphes  6 et 7 par la juge Judith Snider). Reconnaissant que, dans le contexte des conditions du pays, une grande crainte atténue certains témoignages en raison du danger auxquels s’exposent les témoins volontaires.

 

[42] L’idée que c’est ce qui était le motif principal pour diminuer la valeur probante de la preuve démontre qu’il existe bien une question sérieuse.

 

[43] En outre, dans une décision fréquemment citée, la Cour fédérale a été parfaitement claire que, lorsqu’un décideur ne renvoie pas à des éléments de preuve significatifs qui contredisent ses conclusions, la décision sera annulée :

[17] Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.) Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

(Cepeda-Guttierez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264; Bautista c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 126, [2010] A.C.F. no 153 (QL) au paragraphe  12, analyse des éléments qui contredit les conclusions du Tribunal).

 

[44] Il existe quelques autres commentaires de l’agente qui contredisent les éléments de preuve présentés. Ces commentaires, bien que secondaires au motif principal précisé, doivent néanmoins être expliqués, étant donné qu’ils démontrent qu’ils contredisent ce qui existe au dossier.

 

[45] Premièrement, l’agente a formulé des remarques concernant le fait que les membres de la famille au Mexique n’ont pas avisé les autorités en bonne et due forme :

Cependant les auteurs de ces lettres n’ont pas trouvé bon d’en aviser les autorités policières en bonne et due forme. (EN FRANÇAIS DANS L’ORIGINAL)

 

(Décision à la p. 141 du DR).

 

[46] Cette remarque ne fait aucune allusion au fait que des éléments de preuve ont été présentés pour démontrer que les membres de la famille soit avaient trop peur pour de porter plainte soit avaient été informés que les éléments de preuves étaient considérés comme insatisfaisants.

 

[47] Les affirmations de l’agente sont incongrues par rapport au dossier de la preuve (la vraisemblance du témoignage des demandeurs s’accorde avec les affirmations de l’agente elle-même en ce qui concerne le niveau de la corruption au Mexique selon les éléments de preuve documentaire et testimoniale à cet égard. Pour une discussion sur la vraisemblance, une allusion est faite à Valtchev c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, 2008 F.T.R. 267 aux paragraphes 6 et suivants).

 

[48] En ce qui concerne les lettres présentées par les avocats et le juge mexicain, l’agent a conclu qu’elles étaient vagues et n’expliquaient pas quelles mesures étaient prises pour protéger les demandeurs. La lettre entière d’un juge mexicain qui met sa vie en danger doit être lue attentivement et dans le contexte des conditions du pays afin de comprendre son importance (DR à la p. 80).

 

La décision de l’agente est déraisonnable étant donné que l’agente n’a pas tenu compte du contexte permettant de savoir qui est le responsable, et la crainte que les témoins pouvaient ressentir à le nommer. Les deux facteurs sont clairement mentionnés par les auteurs des lettres. Il est également manifeste que cette preuve appuie la crédibilité de la crainte des demandeurs d’un retour au pays, en raison du manque de protection d’État et de possibilité de refuge intérieur (comme il est précisément indiqué dans la preuve objective des conditions du pays).

 

[50] La crédibilité des auteurs ne peut être rejetée aussi facilement par l’agente. Il est manifeste, d’après leur situation sociale et compte tenu de qui est le responsable, qu’ils parlent avec une discrétion réfléchie, mais en même temps avec une certaine visée, reconnaissant le contexte et le pays en question (les éléments de preuve des conditions du pays, que l’agente accepte, le précisent bien).

 

Pour ce qui est des mesures prises pour demander la protection pour les demandeurs, ces lettres se passent d’explication.

 

[52] L’agente mentionne également qu’une lettre à cet égard contient des contradictions étant donné qu’elle révèle que les demandeurs se sont cachés entre le 3 et le 23 septembre 2007 et que cela n’a « pas été mentionné ni au PIF ni à la SPR » (EN FRANÇAIS DANS L’ORIGINAL).

 

[53] Cependant, c’est manifestement contradictoire aux éléments de preuve au dossier, qui démontrent que c’était en fait présenté devant la Commission (comme on a pu le voir dans la décision de la SPR).

 

[54] La seule autre « contradiction » soulevée par l’agente est qu’une lettre faisait allusion au fait que le demandeur avait été agressé en 2001, fait qui n’a jamais été divulgué auparavant.

 

[55] Il n’y a pas de contradiction. L’agression en 2001, bien qu’il ait été mentionné qu’elle a eu lieu, n’a rien à voir avec les raisons pourquoi les demandeurs sont au Canada aujourd’hui; ce n’est pas pertinent pour la question à trancher pourquoi ils craignent de retourner à leur pays en ce moment.

 

[56] Les demandeurs ont bien témoigné et ont démontré qu’ils étaient exposés à des dangers par le passé au Mexique.

 

[57] Il est évident du témoignage des demandeurs que les événements qui ont mené à l’exil de la famille ont commencé en 2007.

[58] Enfin, l’agente conclut que la preuve photographique manque d’éléments de preuve probants parce qu’« on ne sait pas à quel endroit ces photos ont été prises ni qui est le propriétaire des immeubles montrés ». (EN FRANÇAIS DANS L’ORIGINAL)

 

[59] Cet élément contredit la preuve au dossier qui manifestement affirme le contraire.

[60] Aucune discussion n’est effectuée par l’agente de cette preuve elle-même, et c’est précisément ce qui semble déraisonnable. (À la fin du même paragraphe en question, l’agent conclut également que le propriétaire de la maison aurait pu déposer une plainte auprès de la police. Une fois de plus, l’agente ne fait aucune allusion aux éléments de preuve à ce sujet).

 

[61] Il existe des contestations importantes et graves à l’égard de l’analyse de l’agente.

 

[62] Les demandeurs ont satisfait à la condition de démontrer qu’il existe bien une question sérieuse dans la demande sous-jacente.

 

B. Préjudice irréparable

[63] Les demandeurs subiraient un préjudice irréparable s’ils retournaient au Mexique avant la décision finale de notre Cour sur leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[64] L’admission par l’agente elle-même en ce qui concerne l’existence de la violence et du danger au Mexique aussi bien que la preuve au dossier atteste la preuve de l’existence de préjudice irréparable. Je renvoie ici à Moktari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1948 (QL), 76 A.C.S.W. (3d) 396 au paragraphe  13, rédigé par le juge en chef Allan Lutfy), certaines personnes au Mexique sont exposées à un danger. Certaines personnes ne peuvent être protégées. L’agente n’a pas traité adéquatement les éléments de preuve à l’appui des allégations selon lesquelles les demandeurs seraient exposés à un risque. Un renvoi au Mexique exposera les vies de toute la famille au risque (Charlton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1355, 78 Imm. L.R. (3d) 114, le juge François Lemieux).

 

[65] Dans Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] 4 R.C.F. 387, le juge Luc Martineau a tenu qu’une présomption d’une question sérieuse, déterminée dans la demande sous-jacente d’un contrôle judiciaire d’un ERAR, démontre une présomption qu’un préjudice irréparable adviendra.

 

[66] Tous les facteurs susmentionnés démontrent qu’un préjudice irréparable adviendra.

 

C. La prépondérance des inconvénients

Notre Cour a défini la prépondérance des inconvénients comme étant une évaluation de quelle partie subirait le préjudice le plus grand en raison de la décision : « Autrement dit, il faut déterminer si le demandeur subira un préjudice plus grand que l’intimé si la mesure de redressement provisoire ne lui est pas accordée ». (Copello c. Canada (Minister of Foreign Affairs), [1998] A.C.F. no 1301 (T.D.) (QL), 152 F.T.R. 110, rédigé par le juge James K. Hugessen.

 

[68] La prépondérance des inconvénients milite en faveur des demandeurs et ne fait pas obstacle aux intérêts du ministre dans l’attente de la réponse prévisible et en temps opportun de notre Cour concernant sa décision au sujet de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[69] Les demandeurs ne posent pas de danger au Canada. Ils sont très bien intégrés et appréciés par la communauté de Saint-Jean-sur-Richelieu où ils résident. En effet, une part des éléments de preuve inclus dans la demande pour motifs d’ordre humanitaire le démontrent. (Ces éléments de preuve ne tiennent pas compte des centaines de signatures que la famille a reçues des membres de leur collectivité pour soutenir leur demande de demeurer au Canada. Une lettre de leur député local est jointe également; aussi bien que des lettres d’enseignants concernant les enfants des demandeurs. Bien que la composante de l’intérêt public appuie les demandeurs, ce n’est bien entendu pas du tout décisif du contexte de la preuve. Lettres de soutien du public pour la famille aux pp.  146 sq. du D.R. et dans les inscriptions de « Facebook » à la p. 173 du DR).

 

[70] Il est reconnu qu’un danger palpable existe bien en ce qui concerne le préjudice que peuvent subir les enfants des demandeurs s’ils devaient être renvoyés (Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1341, 127 A.C.W.S. (3d) 121, aux paragraphes 10 et suivants, par la juge Simpson et par analogie : Mann c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 612, 169 A.C.W.S. (3d) 395 au paragraphe, par le juge Michael Phelan).

 

[71] Les demandeurs ont soulevé des questions sérieuses.

 

[72] La prépondérance des inconvénients milite bien en faveur des demandeurs.

 

VII. Conclusion

[73] Le statu quo doit être maintenu jusqu’à la décision de la Cour concernant la demande des demandeurs d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que le sursis du renvoi est accordé et qu’il demeure en vigueur jusqu’à la décision concernant la demande d’autorisation et, si l’autorisation est accordée, jusqu’au moment où il est statué sur la demande.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

DOSSIER :   IMM‑3774‑10

 

 

INTITULÉ :  FAVIIO CRUZ UGALDE

  ALEJANDRA GUTIERREZ BARBA

  ALEXA BERENICE CRUZ GUTIERREZ

  FAVIO CRUZ GUTIERREZ

  c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Ottawa (Ontario) via téléconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 21 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :  LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :  Le 22 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Peter Shams

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Alexandre Tavadian

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PETER SHAMS, avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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