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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100719

Dossier : T-1947-09

Référence : 2010 CF 755

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 19 juillet 2010

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

DART AEROSPACE LTD.

demanderesse

et

 

JACQUES DUVAL

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Dart Aerospace Ltd. (Dart), a déposé la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 27 octobre 2009 par un arbitre nommé conformément à l’article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, et modifications (le Code), pour régler une plainte de congédiement injuste déposée par le défendeur, M. Duval.

 

[2]               La société Dart ne demande pas l’annulation de la conclusion de l’arbitre selon laquelle elle a injustement congédié le défendeur; elle dit plutôt que l’arbitre s’est fourvoyé en disant qu’il avait compétence pour régler la plainte, car, selon elle, elle n’exploite pas une entreprise fédérale ni n’exerce d’activités dans le cadre d'une entreprise fédérale, selon ce qu’exige le Code.

 

[3]               Le défendeur n’a pas présenté de conclusions concernant la demande.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

I.          LE CONTEXTE

 

[5]               Les dispositions régissant le congédiement injuste se trouvent dans la partie III, section XIV, du Code. Selon l’article 167 du Code, la partie III s’applique notamment à l’emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale :

167. (1) La présente partie s’applique :

a) à l’emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale, à l’exception d’une entreprise de nature locale ou privée au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest ou au Nunavut;

b) aux employés qui travaillent dans une telle entreprise;

c) aux employeurs qui engagent ces employés;

d) aux personnes morales constituées en vue de l’exercice de certaines attributions pour le compte de l’État canadien, à l’exception d’un ministère au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques;

e) à une entreprise canadienne, au sens de la Loi sur les télécommunications, qui est mandataire de Sa Majesté du chef d’une province.

 

...

 

167. (1) This Part applies

(a) to employment in or in connection with the operation of any federal work, undertaking or business other than a work, undertaking or business of a local or private nature in Yukon, the Northwest Territories or Nunavut;

(b) to and in respect of employees who are employed in or in connection with any federal work, undertaking or business described in paragraph (a);

(c) to and in respect of any employers of the employees described in paragraph (b);

(d) to and in respect of any corporation established to perform any function or duty on behalf of the Government of Canada other than a department as defined in the Financial Administration Act; and

(e) to or in respect of any Canadian carrier, as defined in section 2 of the Telecommunications Act, that is an agent of Her Majesty in right of a province.

...

 

 

[6]               L’article 2 de la Loi définit ainsi l’expression « entreprises fédérales » :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« entreprises fédérales » Les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement, notamment :

...

e) les aéroports, aéronefs ou lignes de transport aérien;

...

 

2. In this Act,

“federal work, undertaking or business” means any work, undertaking or business that is within the legislative authority of Parliament, including, without restricting the generality of the foregoing,

...

(e) aerodromes, aircraft or a line of air transportation,

...

 

 

[7]               Dart est une société dont le principal établissement se trouve à Hawkesbury, en Ontario. Elle développe, fabrique et vend des accessoires pour hélicoptères. La société n’a pas d’aéroports, et aucun de ses employés ne travaille dans un aéroport. Elle est certifiée par Transports Canada, mais régie par les règles de l’Ontario en matière de santé et de sécurité au travail. Elle appartient à Eagle Copters Ltd. (Eagle), dont le siège est à Calgary, en Alberta, qui achète, vend, entretient et loue des hélicoptères à des exploitants. Dart emploie 59 personnes à son centre de production de Hawkesbury, et quatre autres dans les bureaux de Eagle à Calgary.

 

[8]               Les catégories générales d’accessoires d’hélicoptères produites par Dart sont : les trains d’atterrissage (de divers types), les « Bearpaws » et « Ultrapaws » (types d’accessoires de sécurité), les dispositifs d’augmentation de la charge utile, les opérations verticales, les équipements de sécurité et les accessoires intérieurs aussi bien qu’extérieurs.

 

[9]               Dart vend 85 p. 100 de ses produits à Dart Helicopter Services (Dart Helicopter), une société de distribution établie aux États-Unis qui, quant à elle, vend les pièces qu’elle achète à Dart (et autres fabricants) à des exploitants ou des « centres d’aménagement » s’occupant d’achever les hélicoptères en vue de leur utilisation future. Environ 10 p. 100 des produits restants de Dart sont vendus directement à Eurocopter, le reste étant vendu à plusieurs autres entités, notamment Transports Canada et le ministère de la Défense nationale.

 

[10]           Dart n’installe pas ses produits; elle ne les répare pas non plus, que ce soit sur les hélicoptères mêmes ou autrement. Les produits sont plutôt installés par des mécaniciens brevetés qui travaillent pour les exploitants. Dart n’entretient pas non plus ni n’exploite les hélicoptères, et aucun de ses employés n’est accrédité par Transports Canada.

 

[11]           Dès le début de l’audience d’arbitrage où devait être examinée l’allégation de congédiement injuste, Dart a soulevé une exception préliminaire, affirmant que l’arbitre n’était pas compétent pour juger l’affaire, Dart n’étant pas une entreprise fédérale, et n’étant pas non plus exploitée dans le cadre d'une entreprise fédérale. L’arbitre n’avait donc pas la compétence requise pour régler la plainte. Devant l’arbitre, M. Beckett, le directeur général de Dart, a témoigné au nom de Dart.

 

II.        LA DÉCISION DE L’ARBITRE

 

[12]           Affirmant qu’il avait bel et bien la compétence requise pour juger l’affaire, l’arbitre a passé en revue la jurisprudence, puis a conclu ainsi :

 

[traduction]

[...] L’alinéa 2e) est l’unique alinéa de l’article 2, hormis l’alinéa introductif, qui puisse théoriquement s’appliquer à la présente affaire [...] les « aéronefs » constituent une entreprise fédérale selon l’article 2 du Code. La version française de la définition de « entreprises fédérales » apporte sans doute un éclairage additionnel. Il y est question des « secteurs d’activité » qui relèvent de la compétence législative du Parlement. L’expression « secteurs d’activité » s’entend des domaines d'opération d'une entité. Le mot « aéronefs », dans l’alinéa 2e) de la définition (et le mot « aircraft », qui signifie « aéronefs » dans la version anglaise), constitue sans doute davantage un secteur d'activité qu’une installation, un ouvrage ou une entreprise. En tout état de cause, il ressort clairement de la version française et de la version anglaise de l’article 2 du Code que les « aéronefs » constituent une installation, un ouvrage, une entreprise ou un secteur d’activité qui est de nature fédérale.

 

Le mot « aéronefs » est manifestement l’entreprise fédérale ou le secteur fédéral d’activité qu’il convient ici d’avoir à l’esprit puisque le travail de Dart Aerospace se rapporte aux pièces et accessoires d’hélicoptères et qu’un hélicoptère est un genre d’aéronef.

 

            Le secteur d’activité de Dart Aerospace Ltd. est-il vital, essentiel ou fondamental pour l’entreprise fédérale (ou le secteur fédéral d’activité) constituée par les aéronefs? Ainsi que l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Telecom 1, précité, la question de savoir si une entreprise est une entreprise fédérale dépend de la nature de ses activités et, pour déterminer la nature des activités, il faut considérer les activités normales ou habituelles de l’entreprise. Après examen de la preuve, je dois conclure que les activités commerciales normales de Dart Aerospace Ltd. sont essentielles et fondamentales pour l’entreprise fédérale, ou le secteur fédéral d’activité, constituée par les aéronefs. M. Beckett a témoigné que la société développe, fabrique et vend des accessoires pour hélicoptères. Le document de huit pages qu’il a produit et qui énumère divers produits conçus, certifiés et fabriqués par Dart Aerospace montre selon moi que la société conçoit et produit de nombreuses pièces et composantes qui peuvent être qualifiées d’essentielles au bon fonctionnement du genre d’hélicoptère pour lequel elles ont été conçues, et peuvent être qualifiées de partie intégrante de tout hélicoptère [...]

 

            À mon sens, des composantes telles que couplemètres, portes et hublots verticaux, baies de batterie, échelles de secours et trousses d’amélioration de la sécurité sont essentielles au bon fonctionnement des hélicoptères. Un système d’avis de circulation serait essentiel pour un hélicoptère destiné à l’information sur la circulation. Des composantes telles que hublots d’hélicoptère, consoles avioniques, trains d’atterrissage, sièges et bâtis-moteurs sont des parties intégrantes de tout hélicoptère. Le fait de pouvoir voler n’est pas l’unique nécessité pour les hélicoptères. Ils doivent être contrôlables, sécuritaires, aptes à atterrir convenablement, et aptes à accomplir certaines manœuvres spécialisées, par exemple lutte contre les feux de forêt ou la surveillance de la circulation routière. Les activités de Dart Aerospace Ltd. en matière de conception, de fabrication et de vente des composantes susmentionnées d’hélicoptère sont essentielles et fondamentales pour l’entreprise fédérale constituée par les aéronefs. Le mot « fondamental » signifie « nécessaire pour que le tout présente un aspect complet ». Les fenêtres et portes d’hélicoptère, les consoles avioniques, les trains d’atterrissage et les sièges sont nécessaires pour que l’aéronef soit complet.

 

            Dans l’affaire TCA-Canada, précitée, le Tribunal des services financiers de l’Ontario a jugé, au paragraphe 13, que les tribunaux peuvent conclure, sur deux moyens, à l’existence d’une compétence fédérale dans les relations de travail et relations d’emploi : lorsque l’employeur est lui-même engagé dans une entreprise fédérale principale, par exemple une banque ou un service postal, ou lorsque l’entreprise de l’employeur, tout en n’étant pas en elle-même une entreprise fédérale, est vitale, essentielle ou fondamentale pour une entreprise fédérale principale. Le Tribunal des services financiers énonçait, au paragraphe 15 de sa décision, les quatre facteurs exposés dans l’arrêt Telecom 1, qu’il importe de prendre en compte pour l’application du critère de « lien intégral ».

 

            Le premier de ces facteurs est « la nature générale de l’activité de l’employeur en tant qu’entreprise en exploitation ». La nature générale de l’activité de Dart Aerospace est la conception, la fabrication et la vente de composantes d’hélicoptère, dont j’ai conclu que nombre d’entre elles sont essentielles et fondamentales pour le bon fonctionnement d’hélicoptères. Ce travail est une partie habituelle et normale de l’activité de l’employeur.

 

            Le deuxième facteur est « la nature du rapport entre les directions de l’employeur et de l’entreprise fédérale principale ». En l’espèce, ce facteur ne peut être évalué parce que l’entreprise fédérale concerne des « aéronefs », qui sont un secteur d'activité, non une personne morale. Le Tribunal des services financiers écrivait, au paragraphe 32 de la décision TAW-Canada, que « la jurisprudence indique clairement que les liens de direction ne sont pas indispensables pour conclure à l’existence de « liens intégraux » : voir l’arrêt Northern Telecom Ltd [...]. »

 

            Le troisième facteur concerne « l’importance du travail effectué par l’employeur pour l’entreprise fédérale principale, par comparaison aux autres clients ». Encore une fois, il est difficile d’appliquer ce facteur ici, parce que l’entreprise fédérale constituée par les « aéronefs » n’est pas une entreprise des clients de Dart Aerospace. Qu’il suffise de dire que le secteur fédéral d’activité constitué par les « aéronefs » est l’unique secteur d'activité, ou l’unique entreprise, de l’employeur. Tous les produits de Dart Aerospace sont destinés à des aéronefs.

 

            Le quatrième facteur concerne « le lien matériel et opérationnel entre l’employeur et l’entreprise fédérale principale ». S’agissant du lien matériel, même s’il est vrai que les employés de Dart n’ont pas un contact direct avec les aéronefs, il y a un lien matériel entre la société et les « aéronefs », au sens où les pièces et composantes produites par la société influent matériellement sur les hélicoptères qui reçoivent les pièces, et influent sur la performance des hélicoptères. Des composantes telles que les coupoles d’observation, les trains d’atterrissage à hauteur accentuée, les patins, les échelles d’évacuation d’urgence et les sièges en sont de bons exemples. Il ne saurait y avoir le même lien « opérationnel » entre une société et un secteur d'activité tel que les « aéronefs », qu’entre une société et une autre personne morale, telle que la Société canadienne des postes. Le lien entre Dart Aerospace et les aéronefs est le fait que les composantes fabriquées et vendues par Dart sont, dans bien des cas, essentielles et fondamentales pour l’opération et le fonctionnement des hélicoptères qui reçoivent les composantes. Ce lien montre, à mon sens, que, même si Dart Aerospace n’est pas une entreprise fédérale en tant que telle, son secteur d’activité est essentiel et fondamental pour l’entreprise fédérale constituée par les aéronefs. Par conséquent, ses relations de travail et relations d’emploi relèvent de la compétence fédérale.

 

            Finalement, pour les motifs susmentionnés, j’arrive à la conclusion que les activités de Dart sont suffisamment essentielles et fondamentales pour l’entreprise fédérale constituée par les aéronefs pour que l’on soit autorisé à dire que ses employés sont compris dans cette entreprise fédérale [...]

 

III.       ANALYSE

 

[13]           Avant d’exposer les motifs qui me conduiront à rendre une décision sur la présente demande de contrôle judiciaire, il convient de noter que, au moment de déposer ladite demande, Dart n’a pas demandé copie des documents qui avaient été soumis à l’arbitre ou dont l’arbitre avait tenu compte pour rendre sa décision (voir l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106). En fait, Dart n’a pas déposé de documents devant la Cour si ce n’est la décision de l’arbitre ainsi que des observations écrites.

 

[14]           Dans l’arrêt Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1980] 1 R.C.S. 115 (l’arrêt Northern Telecom), le juge Dickson (plus tard juge en chef) écrivait que le dépôt devant la Cour d’une preuve adéquate était essentiel pour qu’elle soit en mesure de statuer sur des affaires de cette nature portant sur l’applicabilité du Code. S’il en est ainsi, c’est pour deux raisons : d’abord parce que, pour savoir si les activités d’une entité font partie intégrante d’une entreprise fédérale, la Cour doit procéder à une analyse qui mène à « une décision à la fois fonctionnelle et pratique sur le caractère véritable de l’entreprise active » (arrêt Northern Telecom, précité, au paragraphe 46, citant la décision Arrow Transfer Co., [1974] B.C.L.R.B.D. no 4 (QL)), ou, en d’autres termes, pour déterminer la nature de l’exploitation, « il faut considérer les activités normales ou habituelles de l’affaire en tant qu’“entreprise active”, sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels » (arrêt Québec (Commission du salaire minimum) c. Construction Montcalm Inc., [1979] 1 R.C.S. 754 (l’arrêt Montcalm)). La Cour a donc besoin d’un ensemble assez complet de conclusions factuelles (arrêt Northern Telecom, précité, au paragraphe 46). Deuxièmement, puisque dans ces conditions la conclusion touchant l’applicabilité du Code concerne une importante question de compétence constitutionnelle, la Cour a besoin d’un ensemble de « faits constitutionnels » sur lesquels fonder sa décision (arrêt Northern Telecom, au paragraphe 47).

 

[15]           Dans l’arrêt Northern Telecom, les circonstances étaient telles que la Cour suprême n’était pas disposée, en l’absence des faits pertinents, à répondre à la question touchant la compétence. Je souscris pleinement aux observations faites dans l’arrêt Northern Telecom, mais je crois que l’arbitre a commis ici d’importantes erreurs de droit qui sont évidentes à la lecture de sa décision et qui justifient l’intervention de la Cour. Pour les motifs qui suivent, la décision de l’arbitre sera annulée.

 

[16]           La compétence en matière de relations de travail est une question constitutionnelle. La règle générale, c’est que les provinces exercent une compétence exclusive en la matière. À titre exceptionnel, le législateur fédéral peut exercer une compétence en matière de relations de travail s’il est démontré qu’elles font partie intégrante de la compétence fédérale sur un sujet énuméré à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Victoria, ch. 3 (la Constitution) (arrêt Northern Telecom, au paragraphe 31; Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53 (l’arrêt Fastfrate)).

 

[17]           Afin de savoir si l’arbitre s’est validement déclaré compétent pour régler une plainte déposée en vertu du Code, la Cour doit, la jurisprudence est claire sur ce point, se demander si l’arbitre a appliqué correctement les principes constitutionnels; seules les conclusions factuelles de l’arbitre, indépendamment de l’analyse constitutionnelle, appellent une retenue (Fastfrate, au paragraphe 26).

 

[18]           Cette position s’accorde avec l'arrêt de la Cour suprême du Canada Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 58 et 59, où l’on peut lire que pour les questions constitutionnelles se rapportant au partage des pouvoirs entre le Parlement fédéral et les provinces, tout comme pour les questions touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité, la norme de contrôle qui s'applique est la décision correcte.

 

[19]           La décision correcte oblige la juridiction de contrôle à faire sa propre analyse de la question qui est l’objet du contrôle, et la juridiction de contrôle n’acquiescera pas au raisonnement du décideur, mais se demandera plutôt si elle souscrit ou non à sa décision (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 50).

 

[20]           Il y a deux cas où une cour de justice pourra conclure à l’existence d’une compétence fédérale : (1) lorsque l’employeur en cause est lui-même engagé dans un ouvrage fédéral principal, ou dans une entreprise fédérale principale, relevant de l’article 91 de la Constitution, et (2) lorsque l’entreprise de l’employeur, même si elle n’est pas une entreprise fédérale en tant que telle, est vitale, essentielle ou fondamentale pour un ouvrage fédéral principal ou une entreprise fédérale principale (décision TCA-Canada et leurs sections locales 112 et 673 c. Ontario (Surintendant des services financiers) (2007), 64 C.C.P.B. 44, au paragraphe 13 (Tribunal des services financiers) (la décision TCA)). Cette règle est pour l’essentiel inscrite dans le Code, qui prévoit, à l’article 167 (parmi d’autres dispositions, notamment l’article 108) qu’il ne s’applique qu’à l’emploi (ou, de la même manière, uniquement aux employés et à leurs employeurs) dans le cadre d’une entreprise fédérale.

 

[21]           Ce qui constitue une entreprise fédérale est décrit au moyen d’une énumération non limitative apparaissant à l’article 2 du Code. Cette disposition énumère les rubriques de compétence fédérale que l’on peut trouver dans l’article 91 et le paragraphe 92(10) de la Constitution, outre celles qui, tels « les aéroports, aéronefs ou lignes de transport aérien », résultent de la jurisprudence (Re Regulation and Control of Aeronautics, [1932] A.C. 304 (C.P.)).

 

[22]           Comme je l’ai dit plus haut, l’arbitre écrit que l’entreprise fédérale applicable à la présente affaire est celle qui concerne les « aéronefs », dont il est question dans l’alinéa  2e) du Code. Pour arriver à cette conclusion, l’arbitre semble s'appuyer sur un quatrième fondement possible, à savoir celui d’un « secteur d'activité » fédéral mieux à même d’englober la notion d’« aéronefs ». Selon les mots employés par l’arbitre, [traduction] « il ressort clairement de la version française et de la version anglaise de l’article 2 du Code que les « aéronefs » constituent une installation, un ouvrage, une entreprise ou un secteur d'activité qui est de nature fédérale » [non souligné dans l'original].

 

[23]           Selon l’arbitre, ce quatrième fondement découle de la version française de l’expression « federal work, undertaking or business », c’est-à-dire « les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement » [non souligné dans l'original].

 

[24]           Il est généralement admis que, pour l'interprétation d’une loi, [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21 (l’arrêt Rizzo)). Il est de droit constant que la version française et la version anglaise d’une loi fédérale font toutes deux autorité. Cependant, « lorsque le sens des mots utilisés dans les deux versions officielles diffère, il faut chercher à dégager un sens commun aux deux versions qui soit conforme au contexte de la loi et à l’intention du législateur » : Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, au paragraphe 54 (l’arrêt Schreiber).

 

[25]           La définition de l’expression « entreprises fédérales » (« federal work, undertaking or business ») est la suivante : « les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement ». Il est clair que les mots « installations » et « ouvrages » correspondent aux termes anglais « work » et « undertaking » respectivement. Selon Le Petit Robert, 1992, le mot « entreprises » est défini comme étant des « opérations de commerce », c’est-à-dire, en anglais, « commercial dealings » [traduction du juge soussigné]. Comme le dit l’arbitre, les « secteurs d’activité » sont en anglais des « areas of activity ». Par déduction nécessaire, et comme cela ressort de la manière dont la disposition est rédigée en français (les mots « entreprises » et « secteurs d’activité » étant accolés), l’expression « secteurs d’activité » doit être lue conjointement avec le mot « entreprises ».

 

[26]           Les propos qui précèdent s’accordent avec l’interprétation du mot « business », dans la version anglaise. Dans la décision Service de police de Treaty Three [2005] C.C.R.I. n° 338, au paragraphe 9, le mot anglais « business » a été interprété d’une manière libérale, pour inclure non seulement une activité commerciale de caractère général, mais également d’autres significations, par exemple « une occupation, une profession ou un métier », en plus d’une « entreprise ou activité ». Aux fins de cette affaire-là, le mot « entreprise » ou « business » a été interprété comme comprenant les services policiers. Au vu de l’interprétation libérale du mot « business » ou « entreprise », il serait conforme aux principes de l’interprétation de lois bilingues d’interpréter l’expression « secteurs d’activité » comme comprenant les autres significations du mot « entreprise », ou de son équivalent anglais « business », par exemple les occupations, les métiers, les activités, etc.

 

[27]           En disant qu’un aéronef était un « secteur d’activité » au sens de l’article 2 du Code, l’arbitre a erronément élargi la portée de la disposition. Cela dit, l’erreur fatale dans la présente affaire est la conclusion de l’arbitre selon laquelle la demanderesse fait affaire dans le cadre d’une entreprise fédérale.

 

[28]           Il convient de rappeler que ce n’est qu’exceptionnellement que le Parlement fédéral exerce une compétence en matière de relations de travail.

 

[29]           Comme l’a fait observer la demanderesse, les circonstances de la présente affaire ne laissent voir aucune entreprise fédérale. Les hélicoptères ne relèvent pas en tant que tels de la compétence fédérale, contrairement à ce que semble avoir conclu l’arbitre. En outre, il est clair que Dart ne s’occupe pas de l’exploitation d’hélicoptères, et ses opérations ne sont pas non plus fondamentales pour l’exploitation d’hélicoptères. Cela est évident, sans même qu’il faille prendre en compte le critère de lien intégral exposé par le juge Dickson (plus tard juge en chef) dans l’arrêt Northern Telecom, précité, au paragraphe 38.

 

[30]           Comme je l’écrivais plus haut, pour savoir si un objet de compétence fédérale entre en ligne de compte, il faut considérer la nature de l’exploitation de l’employeur, et, ce faisant, « il faut considérer les activités normales ou habituelles de l’affaire en tant qu’“entreprise active” sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels » (arrêt Montcalm, précité); il s’agit là principalement d’un point de fait.

 

[31]           Selon l’arbitre, la nature générale de l’exploitation de l’employeur est la conception et la fabrication d’accessoires d’hélicoptère. Plus simplement, Dart est un fabricant. Cela n’est pas contesté. Cependant, l’arbitre va plus loin et affirme que [traduction] « les activités commerciales normales de Dart Aerospace Ltd. sont essentielles et fondamentales pour l’entreprise fédérale, ou le secteur fédéral d’activité, constitué par les aéronefs ». Cette conclusion traduit une incompréhension de la nature de l’exploitation de Dart.

 

[32]           Il importe de rappeler que la Cour n’a pas connaissance de la preuve présentée à l’arbitre, mais cette conclusion de l’arbitre (selon laquelle les pièces fabriquées par Dart sont essentielles à l’exploitation d’hélicoptères) n’est pas autorisée par ses propres constatations factuelles. Avant d’arriver à sa conclusion, l’arbitre, résumant la preuve qu’il avait devant lui, écrivait que [traduction] « selon le témoignage de M. Beckett, Dart Aerospace développe, fabrique et vend des accessoires pour hélicoptères, accessoires qui permettent de mieux rentabiliser les hélicoptères ». Il écrit aussi plus loin que [traduction] « M. Beckett a déclaré que les produits fabriqués par [Dart] sont tous des compléments et ne sont pas essentiels pour le vol des hélicoptères ». Nulle part l’arbitre ne fait état d'une preuve contraire, ni de failles pouvant amoindrir le témoignage de M. Beckett. Pour arriver à sa conclusion, il écrit plutôt : [traduction] « À mon sens, des composantes telles que couplemètres, portes et hublots verticaux, baies de batterie, échelles de secours et trousses d’amélioration de la sécurité sont essentielles au bon fonctionnement des hélicoptères. » Comme l’avait affirmé le défendeur, rien ne permettait de supposer que, sans des accessoires comme ceux que fabriquait Dart, les hélicoptères ne pourraient pas fonctionner convenablement. Plus exactement, il est évident que l’arbitre s’est à tort focalisé uniquement sur le fait que les produits fabriqués par Dart étaient utilisés dans des hélicoptères.

 

[33]           La Commission des relations de travail de l’Ontario écrivait, dans une opinion incidente, dans sa décision U.A. c. KMT Technical Services, [1993] O.L.R.B. Rep. 344, au paragraphe 37, que, bien qu’une compagnie aérienne soit une entreprise fédérale et ne puisse pas fonctionner sans ses aéronefs, les relations de travail du fabricant des aéronefs relèvent de la compétence provinciale. Dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Haynes (1983), 144 D.L.R. (3d) 734, la Cour d'appel fédérale écrivait qu’il n’existe aucune présomption selon laquelle, du seul fait qu’une société fabrique des articles qui sont essentiels pour une entreprise fédérale et qui sont fabriqués en accord avec des spécifications rigoureuses, ladite société fait partie intégrante de l’exploitation de l’entreprise qu’elle approvisionne.

 

[34]           S’il est admis que les relations de travail du fabricant d’un aéronef ressortissent au législateur provincial, alors les relations de travail du fabricant d’accessoires d’hélicoptères doivent elles aussi ressortir au législateur provincial.

 

[35]           Comme Dart l’a dit, en acceptant le raisonnement de l’arbitre, la Cour élargirait la portée de la compétence fédérale au-delà de ce qui est envisagé par la Constitution ou par la jurisprudence. De façon analogue, il faudrait admettre la compétence fédérale sur les relations de travail du fabricant de pièces de camion dont les produits sont ensuite installés (par une autre entité) sur des camions servant au transport intraprovincial. Ainsi que l’écrivait la Cour suprême du Canada au paragraphe 68 de l’arrêt Fastfrate, précité, vu la compétence première des provinces en matière de relations de travail, seule « une catégorie limitée de travaux et d’entreprises devr[ait] être qualif[iée] comme étant de nature fédérale ». Il s’agissait dans cette affaire d’une société d’expédition de marchandises qui concluait des marchés par-delà les frontières provinciales, mais qui en réalité ne faisait aucun transport interprovincial (elle sous-traitait ce service). La Cour suprême du Canada a jugé que l’alinéa 92(10)a) de la Constitution, qui confère aux provinces la compétence en matière de travaux et entreprises d’une nature locale, « envisage les travaux et entreprises de transport interprovincial eux-mêmes, et non pas [...] les services liés [seulement] par contrat à ces travaux ou entreprises ». Selon ce raisonnement, les relations de travail d’une entreprise d’expédition de marchandises qui exerçait des activités au-delà les frontières provinciales ne ressortissaient pas au législateur fédéral.

 

[36]           Dart fait valoir que ce même raisonnement peut être appliqué dans la présente affaire, et je partage cet avis. Il se trouve que Dart vend la majorité de ses produits à une tierce partie, qui les vend à son tour à des exploitants et fabricants d’hélicoptères. Le législateur fédéral ne saurait avoir eu l’intention d’inclure de telles opérations dans l’entreprise fédérale représentée par les aéronefs.

 

[37]           Il est d’ailleurs admis que les employés de Dart n’installent pas ni ne réparent de pièces, que ce soit sur les hélicoptères ou autrement, et qu’aucun des employés de Dart n’est accrédité pour faire de telles réparations. La société n’a aucun emplacement dans des aéroports, et elle vend la grande majorité de ses produits à Dart Helicopters, une société de distribution, qui elle non plus ne s’occupe pas de l’exploitation d’hélicoptères.

 

[38]           Le fait que Dart doit être accréditée par Transports Canada ne permet pas non plus de valider la décision de l’arbitre. La jurisprudence est claire : le fait que les opérations de l’employeur soient régies au niveau fédéral n’est pas déterminant (décision Re Saskatoon (Ville) (1997), 39 C.L.R.B.R. (2d) 161, au paragraphe 48). Il a été jugé, dans plusieurs affaires, que les employeurs, ou leurs employés, dont les activités consistent à entretenir ou réparer des aéronefs ressortissent effectivement au législateur fédéral (voir la décision Field Aviation Co. c. Alberta (Board of Industrial Relations), [1974] A.J. no 101 (QL); International Aeroproducts Inc. c. Sommer, [2007] C.L.A.D. no 444 (QL)). Cela dit, lorsque les opérations consistent dans la réparation et l’entretien de pièces et de composantes, cette compétence n’est pas tout à fait aussi nette (décision Lylyk c. H-S Tool and Parts Inc., 2008 BCHRT 116, au paragraphe 18).

 

[39]           Il est clair que, bien que les produits de Dart soient utilisés sur des hélicoptères, ils ne font pas partie intégrante de l’exploitation des hélicoptères. Il n’est pas établi que les hélicoptères ne fonctionneraient pas sans les pièces de Dart, et Dart ne joue aucun rôle dans l’installation, la réparation ou l’entretien de ses produits, encore moins des hélicoptères sur lesquels ils ont été installés. Par conséquent, l’exploitation de Dart ne relève pas de la compétence fédérale, et le Code ne lui est donc pas applicable. L’arbitre s’est fourvoyé en disant qu’il avait compétence pour statuer sur la plainte de congédiement injuste.

 

IV.       CONCLUSION

 

[40]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et la décision de l’arbitre sera annulée au motif qu’il n’avait pas compétence pour régler la plainte.

 

[41]           La demanderesse voudrait que lui soient adjugés des dépens se chiffrant à 1 000 $. La Cour a toute latitude pour adjuger les dépens. En général, les dépens suivent l'issue de la cause à moins que les circonstances justifient une entorse à ce principe. Ici, en dépit de cette issue, et compte tenu de la conduite des parties et autres facteurs pertinents, notamment le fait que, dans la présente affaire, la demande de contrôle judiciaire n’a pas véritablement été contestée, que le défendeur n'est pas représenté par un avocat, que la compétence est une question de droit, que l’arbitre n’est pas intervenu dans la procédure pour défendre sa décision, qu’il est manifeste et évident que l’arbitre s’est fourvoyé et aurait dû d’emblée refuser d’entendre la plainte, enfin que Dart n’a pas contesté sur le fond la conclusion de l’arbitre selon laquelle le défendeur avait été injustement congédié, je suis d’avis que la présente affaire ne se prête pas à une adjudication de dépens en faveur de la demanderesse.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l’arbitre est annulée au motif qu’il n’avait pas compétence pour régler la plainte; il n’est pas adjugé de dépens.

 

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1947-09

 

INTITULÉ :                                       DART AEROSPACE LTD. c.

                                                            JACQUES DUVAL

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 juillet 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dave J.G. McKechnie

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jacques Duval

(en son propre nom)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

McMillan s.a.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

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