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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20100715

Dossier : T-2032-09

Référence : 2010 CF 748

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 juillet 2010

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

ALVAR RICHARD ANDERSON

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, à l’encontre de la décision d’un juge de citoyenneté, datée du 7 octobre 2009, par laquelle la demande de citoyenneté canadienne de Alvar Richard Anderson a été approuvée.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le défendeur est citoyen du Royaume-Uni. Il a obtenu le statut de résident permanent du Canada en 1975. Son épouse et ses enfants sont des citoyens canadiens.

 

[3]               En 1992, le défendeur a commencé à travailler comme missionnaire au Guatemala. Il a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 4 juin 2008. Dans sa demande, il a affirmé que, dans la période comprise entre le 4 juin 2004 et le 4 juin 2008, il avait été absent du Canada durant 776 jours, qu’il a surtout passés au Guatemala.

 

LA DÉCISION FRAPPÉE D’APPEL

 

[4]               Le juge de la citoyenneté a fait référence au critère établi par la juge Reed dans le renvoi Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286, (1992) 19 I.L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.), qu’il a appliqué pour déterminer si le Canada était le « pays où [le défendeur] a centralisé son mode d’existence ».

 

[5]               En ce qui concerne le premier volet de ce critère, qui porte sur la présence physique au Canada préalable aux périodes d’absence plus récentes, le juge de la citoyenneté a conclu que le défendeur [traduction] « a vécu et travaillé au Canada pendant 17 ans avant sa première longue période d’absence. Ses absences périodiques en tant que missionnaire, qui précèdent la période prévue par la loi puis coïncident avec cette période, contrastent vivement par rapport au solide enracinement au Canada dont il a fait preuve auparavant. »

 

[6]               En ce qui a concerne le deuxième volet, qui a trait à l’endroit où résident la famille proche et la famille étendue du défendeur, le juge de la citoyenneté a souligné que l’épouse, les enfants et les petits enfants du défendeur sont des citoyens et résidants du Canada, bien que son épouse l’accompagne lors de ses missions. Le juge a conclu que ses [traduction] « liens familiaux sont solides et que ses proches sont presque tous Canadiens ».

 

[7]               À l’égard du troisième volet, qui porte sur la forme de présence physique de la personne au Canada, le juge de la citoyenneté a conclu : [traduction] « le domicile du défendeur se trouve au Canada depuis 1975; c’est là où il retourne entre ses missions à l’étranger ». Il n’a décelé [traduction] « aucun indice d’une intention du [défendeur] d’établir sa résidence ailleurs qu’au Canada ou d’une mesure prise à cette fin ».

 

[8]               À l’égard du quatrième volet, qui concerne l’étendue des absences physiques du défendeur du Canada, le juge de la citoyenneté a reconnu que ces absences étaient [traduction] « considérables ».

 

[9]               Au cinquième volet, qui a trait à la cause de l’absence physique, le juge de la citoyenneté a conclu, quant au travail missionnaire du défendeur : [traduction] « le travail missionnaire, de par sa nature, est un travail temporaire. Rien ne donne à penser qu’il aurait pris des mesures pour établir son domicile ailleurs qu’au Canada ou qu’il a l’intention de prendre de telles mesures. Son intention de prendre sa retraite dans la vallée de Creston est parfaitement crédible et compatible avec son comportement antérieur et avec ses liens sociaux et familiaux actuels. »

 

[10]           Finalement, en ce qui concerne le sixième volet du critère, qui porte sur la qualité des attaches du défendeur avec le Canada, le juge de la citoyenneté a conclu que le travail missionnaire du défendeur [traduction] « comporte un volet humanitaire important » et représente ainsi une [traduction] « contribution exemplaire aux régions moins fortunées tenue pour caractéristique de la citoyenneté canadienne ». Il a souligné plus loin que le défendeur payait l’impôt sur le revenu au Canada, contribuait au Régime de pensions du Canada, avait des comptes bancaires actifs, une carte d’assurance-maladie et un permis de conduire canadiens. Le juge de la citoyenneté a conclu que le défendeur avait [traduction] « des liens familiaux et sociaux au Canada solides établis de longue date, liens que le temps ne fera que renforcer alors que sa famille continuera de s’accroître et qu’il prendra sa retraite du travail missionnaire et humanitaire ».

 

[11]           Ainsi, le juge de la citoyenneté a conclu que [traduction] « malgré des périodes d’absence considérables au cours de la période prévue par la loi, le [défendeur] a suffisamment centralisé son mode d’existence au Canada pour satisfaire aux exigences de la Loi sur la citoyenneté ».

 

ANALYSE

 

[12]           Il est de jurisprudence constante que du moment qu’un juge de la citoyenneté applique l’un des critères de résidence établis par la Cour, son application de ce critère aux faits d’une demande de citoyenneté est susceptible de révision selon la norme de raisonnabilité (par exemple, voir Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 164 F.T.R. 177, [1999] A.C.F. no 410; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mueller, 2009 CF 1066).

 

[13]           Le ministre soutient que la décision qu’a prise en l’espèce le juge de la citoyenneté est déraisonnable. Le défendeur n’a déposé ni avis de comparution ni mémoire des faits et du droit, et il n’a pas comparu à l’audience.

 

[14]           Le ministre conteste la conclusion du juge de la citoyenneté selon laquelle le défendeur était [traduction] « bien enraciné » au Canada. Il souligne qu’au cours de la période comprise entre le 4 juin 2000 (soit quatre ans avant le début de la période pertinente utilisée pour établir la résidence en application du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté) jusqu’à la fin de la période pertinente, le défendeur n’a été présent au Canada que pendant 903 jours – ce qui est bien en deçà des 1095 jours qu’exige la Loi sur la citoyenneté.

 

[15]           Le ministre conteste aussi la conclusion du juge de la citoyenneté que la forme de présence physique du défendeur au Canada dénotait que ce dernier revenait dans son pays. Il souligne à cet égard que le défendeur ne possède pas de maison au Canada, où il séjourne habituellement chez sa belle-mère, mais qu’il [traduction] « possède effectivement une petite maison au Guatemala ».

 

[16]           Quant à l’étendue des absences du défendeur du Canada, le ministre soutient que le juge de la citoyenneté a [traduction] « omis d’effectuer une analyse et de fournir des motifs à l’appui de la conclusion que les liens du [défendeur] au Canada suffisent à combler cette lacune importante, » commettant ainsi une erreur susceptible de révision.

 

[17]           Le ministre allègue en outre que la conclusion du juge de la citoyenneté quant au caractère temporaire des absences du défendeur est déraisonnable. Il estime que les absences du défendeur étaient des absences [traduction] « d’ordre structurel » « en vue de vivre et de travailler au Guatemala » et qu’aucune preuve documentaire ne témoigne du contraire. Le juge de la citoyenneté a commis une erreur en tenant compte de l’intention du défendeur de revenir au Canada.

 

[18]           Le ministre fait aussi valoir que le juge de la citoyenneté a commis une erreur dans son évaluation de la qualité des liens du défendeur avec le Canada. Le ministre estime que la nature du travail qu’effectue le défendeur au Guatemala est dénuée de pertinence en l’espèce. Posséder un compte bancaire canadien et payer des impôts au Canada ne suffisent pas à établir l’existence d’un lien important avec le Canada : il s’agit de simples [traduction] « indices passifs » de résidence qui ne prouvent en rien que le défendeur est en communication avec la communauté canadienne.

 

[19]           Finalement, le ministre soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en permettant au défendeur [traduction] « d’asseoir sa situation sur celle des membres de sa famille pour fonder sa résidence ».

 

[20]           Je ne puis souscrire aux prétentions du ministre pour les motifs qui suivent.

 

[21]           Le juge de la citoyenneté était raisonnablement en mesure de conclure que le défendeur s’était bien établi au Canada, y ayant vécu 17 ans avant d’entreprendre son travail missionnaire au Guatemala. C’est avec raison que le juge de la citoyenneté a tenu compte de l’ensemble des faits et je ne vois aucune raison de modifier la conclusion qu’il a tirée sur ce point.

 

[22]           Je rejette également l’argument du ministre voulant que le [traduction] « domicile » du défendeur se trouve au Guatemala et non au Canada du fait qu’il possède une maison au Guatemala mais n’en possède pas au Canada, bien qu’il eût été préférable que le juge de la citoyenneté aborde cette question dans ses motifs. Le juge de la citoyenneté a manifestement conclu que le travail du défendeur au Guatemala était temporaire. Il ne m’apparaît pas déraisonnable de conclure que la propriété de ce que le ministre décrit lui-même comme [traduction] « une petite maison » ne permet pas d’imputer au défendeur l’intention de faire de cette maison son [traduction] « domicile ». Il ne m’apparaît pas non plus déraisonnable de conclure qu’une personne est [traduction] « chez elle » lorsqu’elle séjourne chez un proche parent qui lui offre gratuitement le gîte pour appuyer son travail de bienfaisance. La Loi sur la citoyenneté ne prévoit pas de critère de propriété pour la naturalisation, et le juge de la citoyenneté n’a commis aucune erreur en n’imposant pas un tel critère au défendeur.

 

[23]           Je ne puis non plus souscrire à l’allégation du ministre suivant laquelle le juge de la citoyenneté aurait commis une erreur en tenant en compte l’intention du défendeur de prendre sa retraite au Canada pour conclure au caractère temporaire de ses absences. Je soulignerai que dans la décision Koo, précitée, à la page 294, la juge Reed a donné le fait « [d’]avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire » comme exemple précis d’une « situation manifestement temporaire ». Dans les deux décisions sur lesquelles s’appuie le ministre, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ntilivamunda, 2008 CF 1081, 302 D.L.R. (4th) 345, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ryan, 2009 CF 1159, la Cour a clairement précisé que la perspective du demandeur de citoyenneté de s’établir de nouveau au Canada était lointaine, voire hypothétique. En l’occurrence, il ne s’agissait effectivement que d’une intention qui était, à ce titre, dénuée de pertinence. (Voir également Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Xia, 2002 CFPI 453, [2002] A.C.F. no 613, au paragraphe 23, où le juge Gibson a soutenu que « les “espoirs” de la demanderesse ne sont pas réellement pertinents ».) En l’espèce, le défendeur avait toutefois non seulement l’intention ou l’espoir de revenir au Canada, mais avait également établi un plan en conséquence. Il a fourni au juge de la citoyenneté une note dans laquelle il expliquait que lui et son épouse offraient de la formation à leurs remplaçants désignés, et qu’ils planifiaient un retour définitif au Canada à l’automne 2009 (voir le dossier du tribunal, à la page 12). Il était loisible au juge de la citoyenneté de conclure que [traduction] « son intention de prendre sa retraite dans la vallée de Creston est parfaitement crédible et compatible avec son comportement antérieur et avec ses liens sociaux et familiaux actuels. »

 

[24]           Par conséquent, la conclusion du juge de la citoyenneté que l’absence du défendeur était temporaire n’est pas déraisonnable. Les faits de l’espèce se distinguent de ceux de l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Chatterjee, 2009 CF 1069, [2009] A.C.F. no 1327, dans laquelle la conclusion du juge de la citoyenneté que « la défenderesse revenait toujours au Canada pour y passer ses vacances sembl[ait] être le seul fondement de sa conclusion selon laquelle la défenderesse avait continué durant sa longue absence de considérer le Canada comme étant son pays » [souligné dans l’original] (au paragraphe 19). En l’espèce, les retours du défendeur au Canada n’étaient pas de simples vacances et ses liens avec le Canada étaient beaucoup plus importants que ceux de Mme Chatterjee.

 

[25]           Je conclus également que l’appréciation qu’a faite le juge de la citoyenneté de la qualité des liens du défendeur avec le Canada est raisonnable. L’argument principal du ministre sur ce point est que le défendeur n’avait pas démontré une certaine communication avec la collectivité canadienne. Le juge de la citoyenneté a pourtant conclu que le défendeur [traduction] « a participé aux activités de la Wyndell Community Church » et il était effectivement saisi d’une lettre de l’église attestant que le défendeur fréquentait cette église et qu’il lui arrivait d’y participer à titre de prédicateur (voir le dossier du tribunal, à la page 54). En ce qui concerne la position qu’a exprimée le juge Gibson au paragraphe 26 de la décision Xia, précitée, quant au fait que le « juge de la citoyenneté devrait être saisi d'un certain nombre d'éléments de preuve qui démontreraient une certaine communication avec la collectivité canadienne », il s’avère en l’espèce que le juge de la citoyenneté était effectivement saisi de tels éléments de preuve.

 

[26]           Ainsi, le juge de la citoyenneté était saisi d’éléments de preuve qui lui permettaient raisonnablement de conclure que le défendeur avait satisfait au critère établi dans le renvoi Koo, précité, et qu’il avait établi et maintenu sa résidence au Canada de manière à être admissible à la citoyenneté canadienne. Contrairement à ce qu’affirme le ministre, nul n’était besoin [traduction] « d’asseoir » la demande du défendeur sur la citoyenneté canadienne des membres de sa famille. En bref, le ministre demande à la Cour de réévaluer la preuve pour parvenir à une conclusion différente de celle du juge de la citoyenneté. En gardant à l’esprit la prudence à laquelle appelle la Cour suprême, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, à l’égard du fait que « certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables », j’en conclus que je ne puis en l’espèce procéder à un nouvel examen.

 

CONCLUSION

 

[27]           Il m’est d’avis que la décision du juge de la citoyenneté est justifiée et témoigne d’un processus décisionnel intelligible et transparent, et qu’elle appartient ainsi aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : il s’agit en somme d’une décision raisonnable (l’arrêt Dunsmuir, ibid.) Pour ces motifs, l’appel sera rejeté.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2032-09

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. ALVAR RICHARD ANDERSON

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 JUILLET 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 15 JUILLET 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ms. Hilla Ahron

POUR LE DEMANDEUR

 

Aucune comparution

 

POUR LE DÉFENDEUR

(pour son propre compte)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

s/o

POUR LE DÉFENDEUR

(pour son propre compte)

 

 

 

 

 

 

 

 

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