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Date : 20100712

Dossier : T‑949‑05

Référence : 2010 CF 741

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

FREDERICK L. NICHOLAS

demandeur

et

 

ENVIRONMENTAL SYSTEMS (INTERNATIONAL) LIMITED,

BRIAN G. COOK,

REIF WINERY INC.

(exerçant son activité sous la dénomination de REIF ESTATE WINERY),

KLAUS REIF

et RE/DEFINING WATER INC.

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LES PRÉTENTIONS ET RÉCLAMATIONS DU DEMANDEUR

 

[1]               Le demandeur a d’abord sollicité diverses mesures de réparation pour la violation par les défendeurs du droit d’auteur et des droits moraux attachés à un document intitulé « Technical Evaluation and Report on the Patented ESIL Process » (Rapport d’évaluation technique du procédé breveté d’ESIL), que le demandeur a rédigé entre le 30 mai et le 3 juin 2003 (le Rapport).

 

[2]               Le Rapport est une évaluation du système breveté de purification d’eau de la défenderesse Environmental Systems (International) Limited (ESIL). Le demandeur l’a établi pour M. Charles Vollmer et la société VII Inc., qui ne sont ni l’un ni l’autre parties à la présente action.

 

[3]               Le demandeur affirme que les défendeurs ESIL et/ou Cook ont reproduit, publié et mis en circulation la version originale et/ou des versions modifiées du Rapport dans le cadre de dossiers d’information qu’ils ont communiqués à des personnes qu’ils souhaitaient voir investir dans la technologie de purification d’eau d’ESIL ou prendre des licences d’exploitation de cette technologie.

 

[4]               Le demandeur a aussi d’abord affirmé que les défendeurs Cook et/ou ESIL avaient modifié la version originale du Rapport en changeant l’expression de ses opinions personnelles, en remaniant légèrement le texte et en substituant à la nomenclature chimique normale des termes inhabituels et inconnus. Étant donné qu’il continuait d’être considéré comme l’auteur du Rapport et de ses versions modifiées, soutenait‑il, ces changements avaient amené, ou amèneraient, les lecteurs bien informés à mettre en question sa compétence technique, de manière préjudiciable à son honneur et à sa réputation. À l’instruction, cependant, le demandeur a reconnu qu’aucun élément de preuve n’étayait cet aspect de son action.

 

[5]               Le demandeur affirme en outre que les défendeurs Reif et le Braun Group (celui‑ci étant constitué par les défendeurs Reif, Reif Estate, Sabine Reif, ainsi qu’Alfred Braun et l’établissement vinicole du même nom, tous deux allemands) ont reproduit et mis en circulation la version originale et des versions modifiées du Rapport.

 

[6]               Quant à la défenderesse Re‑defining Water Inc. (Re‑defining Water), le demandeur fait valoir qu’elle a publié et mis à la disposition du public la version originale du Rapport sur son site Web, afin de soutenir ses ventes de sous-licences de technologie, ainsi que d’eau traitée, embouteillée et distribuée à son établissement de St. Catherines (Ontario).

 

[7]               Enfin, le demandeur soutient que tous les défendeurs ont illégalement utilisé son Rapport ou des versions modifiées de celui‑ci pour vendre leurs systèmes brevetés ou licenciés de purification d’eau et la technologie connexe, ventes qui leur ont rapporté plus de 23 millions de dollars américains, soit 27 millions de dollars canadiens.

 

[8]               Le demandeur a d’abord sollicité les mesures suivantes de réparation des activités supposées contrefaisantes des défendeurs :

                                       i.                              des injonctions permanentes interdisant aux défendeurs, ainsi qu’à leurs employés, mandataires, dirigeants, administrateurs ou ayants droit, selon le cas, d’accomplir les actes suivants, seuls ou avec quiconque, directement ou indirectement :

i.                     violer le droit d’auteur sur le Rapport;

ii.          produire, reproduire, publier, communiquer au public par télécommunication, utiliser ou mettre en circulation la totalité ou une partie importante du Rapport, sous une forme matérielle quelconque, ou autoriser quiconque à le faire;

                                     ii.                              un jugement déclaratoire comme quoi un droit d’auteur existe sur le Rapport et le demandeur est le titulaire de ce droit;

                                    iii.                              un jugement déclaratoire comme quoi les défendeurs Cook et ESIL ont violé son droit d’auteur et ses droits moraux sur le Rapport en le copiant, reproduisant, mettant en circulation, déformant et modifiant, sans son autorisation, son consentement ou une licence de sa part;

                                   iv.                              un jugement déclaratoire comme quoi les défendeurs Reif Estate et Reif ont violé son droit d’auteur et ses droits moraux sur le Rapport en en reproduisant et mettant en circulation la version originale ou des versions modifiées sans autorisation ou licence et en liaison avec son nom;

                                     v.                              un jugement déclaratoire comme quoi la défenderesse Re‑defining Water Inc. a violé son droit d’auteur et ses droits moraux sur le Rapport en le reproduisant, mettant en circulation, mettant à disposition et communiquant au public par télécommunication en liaison avec son nom;

                                   vi.                              des dommages-intérêts pour violation du droit d’auteur et des droits moraux;

                                  vii.                              une comptabilisation des profits des défendeurs;

                                viii.                              la restitution au demandeur de tous les exemplaires du Rapport et de toutes les versions modifiées de celui‑ci;

                                   ix.                              des dommages-intérêts préétablis par la Loi sur le droit d’auteur, à l’option du demandeur;

                                     x.                              des dommages-intérêts punitifs, exemplaires et majorés;

                                   xi.                              des intérêts avant et après jugement;

                                  xii.                              la taxe sur les produits et services applicable aux indemnités prononcées;

                                xiii.                              les dépens de la présente action;

                                xiv.                              toutes autres mesures de réparation que la Cour estimerait légitimes.

 

[9]               Cependant, au cours de l’instruction, le demandeur a opté pour la réclamation de dommages-intérêts préétablis sous le régime de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur au lieu de dommages-intérêts et du recouvrement de profits qu’il ne pouvait justifier par des preuves. En outre, au lieu de réclamer des dommages-intérêts pour violation de ses droits moraux, le demandeur a prié la Cour de prendre en considération les modifications apportées au Rapport par les défendeurs au moment de fixer les dommages punitifs.

 

LES CONCESSIONS ET CHOIX

 

[10]           Dans le cadre de la présente action, les défendeurs ont concédé ce qui suit :

a.                   Le Rapport est protégé par le droit d’auteur.

b.                  Le demandeur est le titulaire du droit d’auteur sur le Rapport.

c.                   Dans la mesure où des droits moraux sont attachés au Rapport, le demandeur en est le titulaire.

 

[11]           Au cours de l’instruction, le demandeur a concédé que, pour ce qui concerne les droits moraux, il ne pouvait produire d’éléments de preuve établissant que les modifications apportées au Rapport par l’un quelconque des défendeurs avaient porté préjudice à sa réputation, quelle qu’elle soit, en tant que consultant. Par conséquent, il a retiré sa réclamation en dommages-intérêts pour violation de ses droits moraux, mais a prié la Cour de prendre en considération la conduite des défendeurs constituée par la modification du Rapport aux fins de fixation des dommages punitifs auxquels il aurait droit.

 

[12]           Le demandeur n’a pas non plus produit, à l’instruction, d’éléments de preuve établissant qu’il a subi un préjudice, ou que les défendeurs ont réalisé des profits, par suite d’une violation de son droit d’auteur sur le Rapport. Par conséquent, il a opté pour la réclamation de dommages-intérêts préétablis sous le régime de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur.

 

LA PREUVE RELATIVE À LA VIOLATION DU DROIT D’AUTEUR

 

[13]           D’une manière générale, la preuve produite concernant la violation du droit d’auteur donne à penser que les prétentions et réclamations du demandeur sont disproportionnées et motivées par l’opportunisme.

 

[14]           Se fondant sur les modifications apportées au Rapport par M. Cook et ESIL, le demandeur a d’abord fait valoir la violation de ses droits moraux, mais il s’est révélé incapable de démontrer ou de prouver en quoi ces modifications auraient porté ou pourraient porter atteinte à la réputation, quelle qu’elle soit, dont il jouit en tant que consultant. Il s’est contenté d’affirmer que tout spécialiste compétent qui lirait la version modifiée du Rapport mettrait en doute la compétence technique de son auteur. Cependant, la preuve établit sans ambiguïté que la version du Rapport que Re‑defining Water a affichée sur son site Web en était la version originale; or la lecture par quiconque de la version originale du Rapport ne pourrait aucunement porter préjudice à la réputation du demandeur, si ce n’est par la faute de ce dernier. Pour ce qui concerne les versions modifiées du Rapport, la preuve produite par le demandeur lui-même établit que personne ne l’a contacté pour contester sa compétence technique, et il s’est avéré incapable de montrer à la Cour en quoi les modifications en cause auraient le moindrement porté atteinte à sa réputation ou auraient eu sur elle le moindre effet. Cela n’est guère surprenant, étant donné que, selon la preuve, toutes les versions modifiées du Rapport n’ont été communiquées que dans une mesure extrêmement restreinte.

 

[15]           En ce qui concerne la violation du droit d’auteur, le demandeur sollicitait au commencement de l’instruction une indemnité de 27 millions de dollars canadiens pour des actes qui, même prouvés, resteraient des formes de violation passablement limitées et/ou sans grande conséquence. Le demandeur affirme que les défendeurs ont utilisé le Rapport sans son consentement afin d’effectuer des ventes et d’obtenir des investissements considérables, mais, là encore, il n’a pu produire d’éléments prouvant en quoi, même si l’on accepte ses allégations de violation de son droit d’auteur sur le Rapport, les défendeurs lui auraient causé un préjudice ou auraient réalisé des profits du fait de l’exploitation non autorisée de ce droit. Comme dans le cas de ses allégations de violation de ses droits moraux, le demandeur n’a pas mis ses affirmations dans leur contexte intégral ni n’a présenté à la Cour la preuve dont elle a besoin pour se prononcer en toute connaissance de cause sur l’indemnisation et les autres mesures de réparation qu’il sollicite. Par conséquent, le demandeur a modifié cet aspect de son action à l’instruction, pour réclamer la somme de 20 000 $ à titre de dommages-intérêts préétablis sous le régime de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, à laquelle il a essayé de faire ajouter des dommages-intérêts punitifs de 750 000 $, aussi exagérés que dénués de fondement probatoire, pour sanctionner une conduite des défendeurs qui n’était tout compte fait qu’une réaction plutôt normale à sa réclamation opportuniste d’indemnités considérables et disproportionnées.

 

[16]           La preuve fait apparaître, en filigrane des prétentions et réclamations du demandeur, des liens d’affaires et d’amitié entre lui et M. Cook qui ont tourné au vinaigre. C’est grâce à M. Cook que le demandeur a pu établir le Rapport et entrer en relation avec M. Vollmer de la société VII Inc. Afin d’obtenir l’aide de M. Vollmer dans sa recherche d’investisseurs pour ESIL, M. Cook lui a recommandé d’avoir recours au demandeur pour produire le Rapport, qui traite comme on l’a vu de la technologie de purification d’eau d’ESIL. Mais les liens unissant le demandeur et M. Cook sont entre-temps devenus conflictuels, et, au moment de l’instruction, il était évident que les allégations de violation du droit d’auteur et des droits moraux étaient symptomatiques d’une frustration et d’une déception plus profondes, qui allaient bien au‑delà des faits et des concepts juridiques invoqués par le demandeur. Les autres défendeurs se sont trouvés pris dans les retombées d’une brouille ayant mis fin à une relation qui n’avait pas produit les fruits auxquels le demandeur estimait avoir droit. Que le demandeur ait ou non raison de se plaindre de la conduite de M. Cook envers lui, rien ne l’autorise à exagérer une violation de ses droits moraux et de son droit d’auteur sur le Rapport pour obtenir réparation d’autres griefs, quelle qu’en soit la nature. C’est ainsi que le demandeur s’est trouvé amené lors de l’instruction à prier la Cour de punir les défendeurs d’une conduite à son égard qu’il jugeait abusive et déraisonnable, mais qui, en réalité, n’était guère plus qu’un moyen pour eux de se défendre contre la nature excessive de ses réclamations.

 

[17]           Selon mon examen de la preuve, les défendeurs ont soumis le Rapport aux usages, restreints et peu nombreux, dont la liste suit :

a.                   Une fois le Rapport achevé en juin 2003, le demandeur en a communiqué un exemplaire à ESIL/M. Cook.

b.                  En février 2004, M. Cook a fait savoir au demandeur qu’il avait besoin d’un autre exemplaire du Rapport. Le demandeur a accédé à sa demande en lui en expédiant un exemplaire sur support électronique par courriel.

c.                   M. Cook a apporté, toujours en février 2004, des modifications au texte du Rapport qu’il avait reçu du demandeur.

d.                  Peu après avoir remanié le Rapport en février 2004, M. Cook en a communiqué une version modifiée à M. Klaus Reif, l’un des défendeurs, qui détenait à l’époque une participation dans ESIL et envisageait d’y placer de nouveaux capitaux, ce qu’en fin de compte il n’a pas fait. M. Cook avait d’abord pensé que M. Reif avait transmis cet exemplaire du Rapport en Allemagne, mais celui‑ci a précisé que ce n’était pas le cas.

e.                   M. Reif a tiré une copie du Rapport modifié et l’a communiquée à son ami et relation d’affaires Wayne Cardiff, qui avait lui aussi investi dans ESIL et souhaitait trouver d’autres investisseurs éventuels. Aucun élément de preuve ne tend à établir que M. Cardiff ait tiré des copies du Rapport, et il paraît certain que l’exemplaire communiqué à M. Cardiff a été renvoyé à M. Reif après très peu de temps et a en fin de compte été rendu au demandeur. M. Reif a déclaré qu’il avait aussi téléchargé un exemplaire du Rapport à partir du site Web de Re‑defining Water le 3 juin 2005, après le commencement du présent litige. Il affirme ne pas avoir utilisé cet exemplaire et l’avoir conservé pour montrer, après le début du procès, que le Rapport était [TRADUCTION] « dans le domaine public ».

f.                    En 2004, la défenderesse Re‑defining Water, qui sous-licencie la technologie d’ESIL aux fins de production et de distribution d’eau embouteillée, a affiché la version originale (non modifiée) du Rapport sur son site Web, où elle est restée jusqu’à son retrait au commencement du présent litige. Aucun élément de preuve ne tend à établir que, mis à part M. Reif, quiconque ait téléchargé ou même visualisé, de tout le temps où elle y est restée, la version du Rapport proposée sur le site Web de Re‑defining Water.

 

[18]           Le demandeur conjecture que le Rapport a été soumis à d’autres usages, mais je ne dispose d’aucun élément de preuve qui étaierait quoi que ce soit de plus que les usages restreints énumérés plus haut. Par exemple, je ne vois aucun élément qui tendrait à établir que Reif Winery Inc. (exerçant son activité sous la dénomination de Reif Estate Wineery) ait fait du Rapport un usage quelconque qui pourrait être interprété comme un acte contrefaisant.

 

[19]           Je ne vois pas non plus d’élément qui tendrait à prouver qu’on ait tiré et diffusé de nombreuses copies du Rapport. Celles qu’on a tirées ont soit été remises par M. Reif au demandeur quand celui‑ci l’a exigé (exception faite de l’exemplaire que M. Reif a téléchargé dans le cadre du procès), soit été établies pour les besoins de la communication préalable. Le demandeur a attiré l’attention sur un passage, qu’il a consigné en preuve, de l’interrogatoire préalable de M. Cook, où ce dernier déclare que [TRADUCTION] « ESIL ou moi en avons fait quelque chose comme quatre ou cinq », mais il me paraît évident, à en juger par l’ensemble du contexte, que M. Cook veut dire par là quatre ou cinq [TRADUCTION] « modifications à un exemplaire du Rapport », et non pas plusieurs copies de celui‑ci.

 

[20]           Le seul acte qui aurait pu entraîner une diffusion plus large est celui qui a consisté pour Re‑defining Water à afficher la version originale du Rapport sur son site Web, mais je ne dispose d’aucun élément de preuve tendant à établir que, mis à part le téléchargement d’un seul exemplaire par M. Reif pour les besoins de la présente instance, quiconque ait visualisé le Rapport sur ce site Web ou l’ait téléchargé.

 

[21]           Je ne vois pas non plus dans la preuve d’élément tendant à établir que les défendeurs aient retiré des avantages pécuniaires ou autres de la reproduction ou de l’usage du Rapport, ou d’une version modifiée de ce dernier, ni qu’ils aient privé ou pourraient priver le demandeur de profits rendus possibles pour lui par ledit Rapport. En fait, le demandeur ne soutient même pas que les défendeurs aient vendu des exemplaires du Rapport ni que leur conduite l’ait empêché de le vendre à d’autres ou de l’exploiter autrement avec d’autres, et l’on voit mal comment de telles activités pourraient rapporter de l’argent au demandeur, étant donné les fins restreintes de ce document et le contexte dans lequel il a été établi.

 

[22]           Aucun élément de la preuve n’établit qu’ESIL ou M. Cook aient pu utiliser le Rapport pour vendre des licences d’exploitation de la technologie d’ESIL ou le portefeuille de brevet de cette dernière. Les négociations avec le Braun Group, par exemple, n’ont pas donné lieu à la vente de ce portefeuille.

 

[23]           Re‑defining Water a certes affiché la version originale du Rapport sur son site Web, mais la Cour ne dispose d’aucun élément tendant à prouver que quiconque y en ait pris connaissance, ou ait décidé d’investir dans cette société et/ou ESIL ou de traiter avec elles en se fondant sur le Rapport, ni que Re‑defining Water et/ou ESIL ou M. Cook aient gagné de l’argent ou vendu des droits sur la technologie d’ESIL en liaison avec ce document. Le demandeur a conjecturé à l’instruction que l’affichage du Rapport sur le site Web de Re‑defining Water avait permis à cette dernière d’obtenir des investissements et des prêts, mais il n’a produit aucun élément pour prouver que qui que ce soit ait lu le Rapport sur ce site ou pris des décisions d’investissement en se fondant sur lui, ni que Re‑defining Water ait gagné tant soit peu d’argent du fait que quelqu’un aurait lu le Rapport ou se serait fondé sur celui‑ci.

 

[24]           À en juger par ce qui précède, la violation des droits moraux étant maintenant exclue, il me paraît que les actes prouvés susceptibles d’être considérés comme contrefaisants qui entrent dans le champ des prétentions et réclamations du demandeur sont les suivants :

a.                   l’affichage du Rapport par Re‑defining Water sur son site Web;

b.                  la communication d’une version modifiée du Rapport par M. Cook à M. Reif;

c.                   le fait pour M. Reif d’avoir tiré une copie du Rapport pour la donner à M. Cardiff.

 

[25]           M. Reif a en fin de compte rendu au demandeur la version modifiée du Rapport qu’il avait communiquée à M. Cardiff.

 

[26]           Malgré le caractère restreint de ces usages du Rapport, le demandeur persiste à soutenir qu’on a porté atteinte à son droit d’auteur. Pour voir accueillir cette prétention, il doit prouver que c’est sans son consentement que MM. Cook et Reif ont reproduit le Rapport et que Re‑defining Water l’a affiché sur son site Web. Les défendeurs soutiennent que la reproduction du Rapport aussi bien que son affichage sur le site Web se sont faits avec le consentement du demandeur, ce que nie celui‑ci.

 

LE CONSENTEMENT

MM. Cook et Reif

 

[27]           La question du consentement se trouve compliquée dans la présente espèce par la manière indirecte dont le Rapport a été produit pour M. Vollmer et VII Inc., et par le fait que le demandeur n’a pas spécifié dans les documents contemporains les restrictions auxquelles il voulait en soumettre l’usage. Il soutient que ses intentions à cet égard étaient [TRADUCTION] « sous-entendues », mais l’examen des documents et de l’ensemble du contexte donne à penser le contraire. Les plaideurs ont marqué leurs positions respectives sur cette question au fur et à mesure du déroulement de l’instruction. Par ailleurs, la Cour a accordé la plus grande attention aux documents contemporains, ainsi qu’au contexte dans lequel le demandeur a produit le Rapport et l’a communiqué à M. Volmer aussi bien qu’à M. Cook.

 

[28]           Le demandeur a établi le Rapport à l’intention de M. Charles Vollmer et de sa société d’experts-conseils, dénommée VII Inc. M. Vollmer. Ce dernier vit aux États-Unis, plus précisément en Virginie, et a commencé à s’intéresser à la technologie de purification d’eau d’ESIL en 2003.

 

[29]           Selon sa preuve, M. Vollmer a décidé de travailler avec M. Cook [TRADUCTION] « pour établir si cette technologie intéresserait le gouvernement américain ». M. Vollmer connaissait [TRADUCTION] « aussi certaines personnes au Moyen-Orient qui avaient désespérément besoin de purification [...] d’eau, et cette technologie pouvait représenter une possibilité pour elles également ».

 

[30]           M. Vollmer explique qu’il avait besoin du Rapport pour des raisons assez évidentes :

[TRADUCTION] J’essayais de monter un dossier à l’intention de clients éventuels : des investisseurs, le gouvernement américain et – et mes contacts à l’étranger. Et pour cela j’avais besoin d’une – d’une analyse technique confirmant que cette – cette technologie était bien ce qu’elle était, que du point de vue technique elle était bien telle qu’on la représentait, et qu’elle était en fait aussi exceptionnelle que M. Cook l’avait déclarée être.

 

 

[31]           M. Cook a adressé M. Vollmer au demandeur, que M. Vollmer et/ou VII Inc. ont alors chargé d’établir le Rapport contre une rémunération de 500 $. M. Vollmer n’a jamais rencontré le demandeur, mais ils se sont parlé une ou deux fois au téléphone et ont communiqué par courrier électronique.

 

[32]           Le demandeur affirme qu’il a produit le Rapport à l’intention de M. Vollmer et de VII Inc. aux seules fins d’évaluation par ce dernier de la possibilité d’investir dans ESIL, ce que M. Vollmer nie dans son témoignage :

[TRADUCTION]

R.       [M. Vollmer] Eh bien, il m’avait envoyé l’énoncé de travail par courrier électronique – c’est‑à‑dire d’abord par télécopieur, puis par courriel. J’ai répondu en disant : Allez‑y, vous pouvez commencer le travail. Comme je vous l’ai dit, je cherche des arguments convaincants pour les investisseurs éventuels; je veux leur montrer en quoi la technologie d’ESIL est exceptionnelle, n’est-ce pas? en quoi elle est valable, pourquoi elle n’a pas déjà été mise en œuvre et les applications mobiles, et je voudrais avoir ce document d’ici une semaine ou deux et – parce que j’avais des entretiens avec des investisseurs éventuels au programme.

                  Et par « investisseurs éventuels » j’entends également le gouvernement américain. Nous envisagions d’investir nous aussi dans le programme, n’est‑ce pas? comme argument de négociation.

Q.      En – en plus d’entreprises privées.

R.       Oui.

Q.      D’accord.

R.       Mais en lui disant cela, je lui disais que j’avais besoin – que j’allais – que j’allais communiquer ces renseignements pour les besoins de ma recherche d’investisseurs, que j’allais les communiquer à beaucoup de gens.

Q.      Et dans vos échanges avec lui, avez-vous jamais parlé de l’usage que vous alliez faire du Rapport?

R.       J’avais précisé dans le courriel que j’allais l’utiliser pour – qu’il s’agissait d’un contrôle préalable, et que j’allais l’utiliser pour – avec les investisseurs éventuels et divers groupes pour voir si je pourrais recueillir des capitaux pour – pour cette – pour cette technologie.

 

[33]           M. Vollmer a utilisé le Rapport, avec d’autres renseignements sur ESIL provenant d’autres sources, dans le cadre d’un exposé PowerPoint destiné aux personnes qu’il aurait pu intéresser d’investir dans la technologie de purification d’eau d’ESIL et/ou dans ESIL même.

 

[34]           Le demandeur affirme maintenant qu’il a bien précisé à M. Vollmer qu’il ne devait montrer le Rapport à personne d’autre, ce que nie catégoriquement M. Vollmer :

[TRADUCTION]

Q.      Et M. Nicholas vous a‑t‑il jamais dit que vous ne pouviez montrer le rapport à personne d’autre?

R.       Absolument pas. Je veux dire qu’il – le rapport, quand il me l’a envoyé, ne portait aucune mention de propriété, de confidentialité ni de droit d’auteur. Je lui avais expressément dit que j’en avais besoin pour le distribuer à des gens comme – comme document, n’est‑ce pas? comme document confirmant l’intégrité du – du système et – comme brève description technique de ce que c’est réellement – de ce que veut vraiment dire l’électrolyse.

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Q.      Pas de restrictions pour ce qui est de – de la reproduction?

R.       De la reproduction ou – aucune restriction quelle qu’elle soit.

Q.      D’accord.

R.      Il m’a donné le – le document en Word, et il était entendu qu’en me le donnant il me laissait libre de – de faire ce que – je veux dire que j’avais spécifié dans mon énoncé de travail que je communiquerais ce document à beaucoup de gens et – mais je n’ai jamais modifié aucun de ses – mis à part la suppression de ces sept paragraphes. Tout – tout s’est passé comme – comme il – comme nous en avions convenu.

[35]           Bien que le demandeur affirme maintenant le contraire, la Cour accepte la version que donne M. Vollmer des faits, pour diverses raisons :

a.                   M. Vollmer n’est pas partie à la présente espèce, et rien ne donne à penser qu’il ait des motifs de ne pas dire la vérité.

b.                  Aucun document contemporain n’étaye la version du demandeur. M. Vollmer a raison quand il rappelle que sa correspondance avec le demandeur ne porte aucune mention de droit d’auteur, de confidentialité, de propriété ni d’autres restrictions. Le demandeur affirme maintenant que son droit d’auteur sur le Rapport est un [TRADUCTION] « bien qui [lui] est cher », mais il a omis au moment pertinent de prendre même la plus élémentaire des précautions, soit celle de revendiquer par écrit le droit d’auteur, la confidentialité et l’usage restreint.

c.                   D’après l’ensemble du contexte, il est très peu vraisemblable que M. Vollmer ait été censé ne pas se servir du Rapport dans le dossier d’information qu’il destinait aux investisseurs éventuels. Les investisseurs ont besoin de renseignements de sources indépendantes.

d.                  Si la version du demandeur était la bonne, M. Vollmer aurait à la fois violé le droit d’auteur et rompu son contrat. Or, bien que le demandeur l’ait menacé de poursuites, il n’a pas mis sa menace à exécution.

e.                   Le demandeur a refusé d’assister à l’interrogatoire sur commission rogatoire de M. Vollmer pour mettre à l’épreuve la véridicité ou l’exactitude du témoignage de ce dernier. En fait, le demandeur a systématiquement refusé de rencontrer M. Vollmer en personne.

 

[36]           M. Vollmer n’a réussi à vendre aucune licence d’exploitation de la technologie d’ESIL, il n’a pas investi dans cette société, et rien n’indique non plus que qui que ce soit d’autre y ait investi par suite de ses efforts.

 

[37]           Même si M. Vollmer n’est pas partie à la présente instance, alors que le Rapport a été à l’origine produit pour lui et VII Inc., son témoignage, pour les raisons exposées plus haut, présente une grande pertinence relativement à la manière dont M. Cook, ESIL et Re‑defining Water ont utilisé ce document.

 

[38]           Bien que les droits moraux ne soient plus en litige, si ce n’est dans la mesure où ils pourraient influer sur les dommages-intérêts punitifs que réclame le demandeur, il est bon de noter que M. Vollmer dit explicitement dans son témoignage que M. Nicholas l’a autorisé à modifier le Rapport et le lui a envoyé par courrier électronique, en Word, de manière que cela soit possible.

 

[39]           Il ressort également à l’évidence du témoignage de M. Vollmer que le demandeur n’a revendiqué le droit d’auteur, la confidentialité et d’autres restrictions qu’après coup, et qu’il n’en a pas été question dans l’entente contractuelle.

 

[40]           En outre, après que le demandeur ait de son plein gré communiqué à M. Cook un exemplaire du Rapport en février 2004 et ait ensuite menacé de le poursuivre, ainsi qu’ESIL, pour leur utilisation de ce document, M. Cook a contacté M. Vollmer pour établir si cette utilisation était ou non illicite. Voici ce que M. Vollmer affirme avoir répondu à M. Cook :

[TRADUCTION]

Q.        [S’adressant à M. Vollmer :] Je vais vous montrer une copie de ce qui paraît être un courriel adressé par vous à Klaus Reif de la société Reif Winery, Inc. Avez-vous déjà vu ce document?

R.         Oui.

Q.                Et quelle en est la nature?

R.         Un certain temps après que – que j’aie reçu un appel de Brian Cook, comme quoi Fred Nicholas allait le poursuivre et – et il m’a demandé si je l’avais autorisé à utiliser ce dossier d’information, y compris ceci. Je lui ai répondu que oui : je l’ai donné aux – je l’ai donné aux investisseurs; je vous l’ai donné. Alors il m’a dit : Auriez-vous l’obligeance d’envoyer à Klaus, que je n’ai pas rencontré, un courriel comme quoi – comme quoi j’avais autorisé l’utilisation – du dossier sur l’électrolyse que je – dont j’avais élaboré certains éléments et acheté d’autres.

 

[41]           Le courriel de M. Vollmer à M. Reif (pièce D‑10) est daté du 15 mars 2004 et rédigé comme suit :

[TRADUCTION] Brian Cook m’a demandé de vous envoyer le présent courriel. Vous êtes libre d’utiliser tout ou partie du rapport rédigé par Fred Nichols [M. Vollmer a précisé dans son témoignage qu’il voulait dire : Nicholas] en exécution d’un contrat avec VII Inc.

 

[42]           Il ressort à l’évidence de la preuve de M. Vollmer que, selon lui, son entente contractuelle avec le demandeur lui donnait toute liberté d’utiliser le Rapport pour recueillir des capitaux auprès d’investisseurs que pourraient intéresser ESIL et sa technologie, ainsi que d’autoriser MM. Cook et Reif à l’utiliser à la même fin.

 

[43]           Pour les motifs déjà exposés, rien ne donne à penser – mis à part les affirmations contraires formulées par le demandeur après coup – que M. Vollmer ait mal interprété l’entente contractuelle et les usages du Rapport qu’elle permettait. À tout le moins, donc, l’interprétation de M. Vollmer explique que MM. Cook et Reif aient cru comprendre qu’il avait effectivement le droit de les autoriser à utiliser le Rapport auprès d’investisseurs éventuels et que le demandeur ne détenait pas de droits de propriété ou contractuels qui pouvaient les en empêcher.

[44]           M. Vollmer répète dans son témoignage ce qu’il a dit à M. Cook :

[TRADUCTION] Lorsqu’il a m’a interrogé au sujet – au sujet de la manière dont je comprenais les restrictions afférentes à ce document, M. Cook m’a demandé des renseignements que je lui ai communiqués et a dit – voici la facture que je viens de – dont nous venons de parler et que je lui ai envoyée, et je lui ai dit que j’avais bien précisé à M. Nicholas que je voulais utiliser la technologie pour – afin de vendre le système à un certain nombre de mes clients, et que le document ne portait aucune mention de propriété ni de conditions ou de restrictions d’usage. Il n’y avait dans le rapport aucune mention de restrictions quelles qu’elles soient et il – et j’avais l’intention de l’utiliser à des fins de commercialisation sans conditions ni restrictions.

 

 

[45]           La preuve de M. Vollmer, sur laquelle le demandeur a refusé de le contre-interroger, semble autoriser les conclusions suivantes :

a.                   Le demandeur savait très bien que M. Vollmer et/ou VII Inc. distribueraient largement le Rapport qu’il allait établir et le montreraient à des investisseurs éventuels pour les inciter à placer des capitaux dans ESIL et/ou sa technologie.

b.                  Le demandeur n’a pas formulé de restrictions sur l’usage du Rapport à cette fin.

c.                   M. Vollmer estimait pouvoir autoriser MM. Cook et Reif à utiliser le Rapport à la même fin et il les y a effectivement autorisés.

d.                  Quand le demandeur a menacé M. Cook de poursuites, celui‑ci a pris la précaution de s’assurer auprès de M. Vollmer que l’entente conclue par ce dernier avec M. Nicholas au moment de la production du Rapport en permettait bien l’utilisation par lui-même et M. Reif en liaison avec ESIL et la technologie de cette société.

 

[46]           Le 18 septembre 2006, le demandeur a envoyé à M. Vollmer un courriel où il lui demandait de signer un document dont j’extrais le passage suivant :

[TRADUCTION]

 

M. Nicholas n’a cédé son droit d’auteur sur le rapport susdit par aucune convention écrite de services. En fait, il n’existe pas entre M. Nicholas et moi de convention écrite et signée de services.

 

Je n’ai communiqué d’exemplaire du rapport susdit ni à Brian G. Cook, ni à aucun des défendeurs nommés dans l’action en violation de droit d’auteur intentée par M. Nicholas devant la Cour fédérale du Canada (dossier no T‑949‑05).

 

 

[47]           M. Vollmer a refusé de signer ce document. Considéré après coup, son contenu ne prête pas à contestation. En effet, les défendeurs reconnaissent maintenant que le demandeur est effectivement titulaire du droit d’auteur sur le Rapport, et ledit demandeur en a lui-même communiqué un exemplaire à M. Cook. Mais il ne s’ensuit pas pour autant que soient moins vraies les déclarations de M. Vollmer selon lesquelles le demandeur savait très bien à quelle fin le Rapport devait être utilisé, et lui-même (M. Vollmer) avait autorisé MM. Cook et Reif à s’en servir de manière conforme à cette fin.

 

[48]           Le demandeur a menacé dans les termes suivants M. Vollmer pour le cas où il ne signerait pas comme il le lui demandait le document de confirmation susdit (signature que M. Vollmer lui a refusée) :

[TRADUCTION]

 

En échange de votre signature du document susdit, je vous enverrai une lettre vous dégageant de toute responsabilité civile ou pénale à l’égard de ce rapport.

 

Si vous refusez de signer le document susdit, je me verrai dans l’obligation de modifier ma déclaration introductive d’instance conformément aux conseils de mon avocat, de manière à vous inclure vous-même et VII Inc. parmi les défendeurs de l’action susdite en violation de droit d’auteur exercée devant la Cour fédérale du Canada. Évidemment, comme nos échanges antérieurs vous l’ont donné à comprendre, mon intention n’était pas ni n’est maintenant de vous mettre en cause.

 

 

[49]           M. Vollmer n’a pas signé le document prérédigé par le demandeur, et ce dernier n’a pas mis sa menace à exécution. Le demandeur a ainsi révélé qu’il est tout à fait capable d’adopter une position juridique comme moyen tactique d’arriver à ses fins. Comme on le verra plus loin, d’autres éléments de preuve manifestent le même trait. Ni M. Vollmer ni VII Inc. n’ont été joints comme défendeurs à la présente instance. Si les affirmations du demandeur concernant les restrictions auxquelles il aurait soumis l’utilisation du Rapport sont vraies, rien n’explique de manière satisfaisante que M. Vollmer et VII Inc. ne soient pas aussi défendeurs à la présente action ou à une autre intentée aux États-Unis. En fait, le demandeur a refusé d’assister à l’interrogatoire sur commission rogatoire de M. Vollmer pour le contre-interroger et, à ce jour, il ne s’est jamais trouvé en présence de celui‑ci. La conduite du demandeur révèle chez lui une répugnance marquée à mettre ses menaces à exécution, ainsi qu’à affronter M. Vollmer et à contester en sa présence sa version de leur entente contractuelle et son interprétation de l’usage prévu du Rapport. Le demandeur s’est contenté de nier devant la Cour qu’il ait consenti à un tel usage. Or la Cour ne peut considérer le demandeur comme crédible sur cette question et elle retient de préférence la version donnée par M. Vollmer de l’entente contractuelle, de même que son interprétation de la manière dont les parties envisageaient que le Rapport soit utilisé. Il paraît s’ensuivre que tout usage fait du Rapport par MM. Cook et Reif pour recueillir des capitaux entrait dans le champ des usages prévus par M. Vollmer et le demandeur au moment où ce dernier a établi le Rapport et reçu 500 $ en contrepartie de ce travail. Le demandeur n’a pas cédé, il est vrai, son droit d’auteur sur le Rapport, mais il ne peut maintenant affirmer ne pas avoir consenti aux usages du Rapport faits par MM. Cook et Reif dans le cadre de leur recherche d’investisseurs et/ou de leurs efforts en vue de conclure un marché touchant le portefeuille de brevet d’ESIL. Et même si le demandeur n’avait pas consenti à l’usage auquel MM. Cook et Reif ont soumis le Rapport, il ressort à l’évidence du témoignage de M. Vollmer que ni M. Cook ni M. Reif ne s’en sont servi d’une manière abusive ou déraisonnable qui justifierait l’attribution d’un montant considérable en dommages-intérêts préétablis suivant les critères énoncés au paragraphe 38.1(5) de la Loi sur le droit d’auteur, ou l’attribution de dommages-intérêts punitifs.

 

[50]           Le demandeur affirme que la version donnée par MM. Volmer et Cook de la manière dont le Rapport devait être utilisé se trouve démentie par le fait que, par lettre en date du 27 février 2004, M. Cook a révélé qu’ESIL était en train de négocier la vente de son portefeuille de brevet au [TRADUCTION] « groupe allemand Braun » et a offert au demandeur une somme considérable pour le cas où cette vente serait conclue (voir la pièce P‑9). J’extrais le passage suivant de cette lettre :

[TRADUCTION]

 

Bien que les documents ne soient pas encore signés, l’opération est déjà bien engagée dans la phase du contrôle préalable, pour laquelle a été mise en œuvre une version « légèrement » modifiée de votre rapport indépendant sur la technologie d’ESIL en date du 3 juin 2003.

 

Fred, vous et moi sommes amis depuis longtemps, et vous êtes mieux placé que quiconque pour savoir que j’ai fait de mon mieux pour assurer la reconnaissance de cette technologie. Or je suis maintenant à bout de ressources financières, et je n’ai plus la santé ni rien d’autre de ce que cette tâche exige.

 

Si cette vente de brevet se concrétise et lorsqu’elle se concrétisera, je vous verserai la somme de 225 000,00 $, en plus des 25 000 $ US que j’estime vous devoir, soit un montant total de 250 000,00 $.

 

J’allais le faire de toute façon, mais la présente lettre officialise mon intention.

 

[51]           Au cours de son interrogatoire préalable, que le demandeur a consigné en preuve, M. Cook a expliqué qu’il avait fait cette offre [TRADUCTION] « en gage de bonne volonté » et [TRADUCTION] « afin de mettre fin aux ingérences du demandeur, susceptibles de faire obstacle à la conclusion du marché ».

 

[52]           Donc, l’offre d’argent faite au demandeur à ce moment ne vaut pas reconnaissance que l’utilisation par M. Cook du Rapport en liaison avec le Braun Group ou d’autres investisseurs était exclue des usages envisagés de ce document au moment de sa rédaction. Le demandeur a commencé à faire valoir son droit d’auteur lorsqu’il a appris que M. Cook négociait avec le Braun Group la vente du portefeuille de brevet d’ESIL pour une somme considérable. On comprend bien l’offre faite par M. Cook de verser de l’argent au demandeur [TRADUCTION] « [s]i cette vente de brevet se concrétise et lorsqu’elle se concrétisera », étant donné la situation dans laquelle il se trouvait. La tranche de 25 000,00 $ se rapportait à une vieille dette, et la promesse de 225 000,00 $ visait de toute évidence à apaiser quelqu’un qui pouvait faire obstacle aux négociations à une étape cruciale. On pourrait difficilement penser que M. Cook reconnaissait ainsi croire qu’il n’utilisait pas le Rapport de manière légitime ou que la version donnée par M. Vollmer de son entente avec le demandeur était fausse ou inexacte.

 

[53]           On se persuade de ce qui précède à la lecture de la nouvelle rédaction que propose le demandeur de l’offre de M. Cook, par laquelle il essaie d’obtenir de meilleures conditions (pièce P‑11) :

[TRADUCTION] Si cette vente de brevet, ou une vente de brevet à tout autre acheteur éventuel, se concrétise et lorsqu’elle se concrétisera, je vous verserai, dès réception du paiement de l’acheteur, la somme de 225 000 dollars américains en contrepartie des services et des conseils techniques et spécialisés que vous m’avez fournis au cours des quelque dix dernières années, plus la somme de 25 000 dollars américains au titre du billet impayé établi à votre ordre, soit un montant forfaitaire total de deux cent cinquante mille (250 000) dollars américains, sous forme de traite bancaire, de chèque certifié ou de chèque tiré. Le transfert de ces fonds sera effectué dans un pays des Caraïbes de votre choix.

 

 

[54]           M. Cook n’a pas accepté cette contre-offre et a retiré l’offre qu’il avait faite au départ. Cependant, la nouvelle rédaction du demandeur établit à l’évidence qu’il savait très bien que M. Cook lui offrait la somme en question [TRADUCTION] « en contrepartie des services et des conseils techniques et spécialisés [...] fournis au cours des quelque dix dernières années ». La contre-offre ne fait pas même mention du Rapport, et le demandeur y révèle que, à cette époque où M. Cook essayait de trouver un acheteur pour la technologie d’ESIL, le centre de son attention n’était pas son droit d’auteur sur le Rapport, mais la rémunération des services qu’il avait fournis pendant dix ans. Tout cela étaye la thèse des défendeurs selon laquelle le demandeur n’a soulevé les questions de son droit d’auteur et de ses droits moraux sur le Rapport que comme prétexte pour obtenir de M. Cook ou d’ESIL une part du produit de toute vente qu’ils parviendraient à conclure de la technologie de cette société.

 

[55]           Le demandeur n’a pas cité M. Cook comme témoin à l’instruction, mais il a choisi de consigner dans sa propre preuve un passage de l’interrogatoire préalable de M. Cook où ce dernier dit expressément que le demandeur l’a autorisé à apporter toutes modifications qu’il voudrait à la version originale du rapport établi par ledit demandeur à l’intention de M. Vollmer et de VII Inc. Or le demandeur soutient qu’il n’a pas donné une telle autorisation et qu’il a envoyé des exemplaires du Rapport à M. Cook en 2003 et 2004 aux seules fins d’utilisation par ce dernier et ESIL dans leurs négociations avec M. Vollmer et VII Inc. Le demandeur a été minutieusement contre-interrogé sur cette question.

 

[56]           Il ressort clairement du propre témoignage du demandeur que, au moment où il a communiqué des exemplaires de la version originale du Rapport à M. Vollmer et à M. Cook, il n’a prévu par écrit aucune restriction relative à l’usage de ce document. Le Rapport ne portait pas de mention de droit d’auteur, la confidentialité n’en était pas revendiquée, et il n’était pas spécifié par écrit de restrictions sur son usage. Le demandeur se contente maintenant d’affirmer que toutes ces restrictions étaient sous-entendues et que c’est la qualité de titulaire du droit d’auteur sur le Rapport qui lui confère une complète autorité sur ses usages :

[TRADUCTION]

Q.        Vous pensez que le droit d’auteur interdit à quelqu’un de montrer à quelqu’un d’autre un document dont vous êtes l’auteur?

R.         Cela dépend du but visé par la personne qui le montre.

Q.        Ce n’est pas le droit d’auteur en soi, ce sont les autres aspects de la convention qui vous lie à la personne en question?

R.         Non, c’est le droit d’auteur, et je ne vois pas ce que vous entendez par les autres aspects de la convention.

 

[57]           Le demandeur ne paraît donc pas bien comprendre que, s’il voulait établir des restrictions de confidentialité et/ou limiter le nombre de personnes à qui il autorisait MM. Vollmer et Cook à montrer le Rapport, il devait le faire au moment où il leur en a communiqué des exemplaires. Sa position actuelle est qu’il ne l’a pas fait à ce moment parce que les restrictions de confidentialité et d’usage étaient sous-entendues et/ou font partie intégrante de son droit d’auteur sur le Rapport. C’est là un sérieux problème pour le demandeur dans la présente espèce, parce que ni M. Vollmer ni M. Cook ne contestent maintenant (c’est‑à‑dire depuis le début de l’instruction) son droit d’auteur sur le Rapport, mais qu’ils affirment que, au moment où ils en ont reçu des exemplaires, il était clair que, étant donné à la fois ce que le demandeur leur avait dit et les inférences découlant nécessairement de l’ensemble du contexte, ainsi que la fin pour laquelle le Rapport avait été produit et des exemplaires de celui‑ci leur avaient été communiqués, ils avaient toute liberté de l’utiliser de la manière dont ils l’ont fait.

 

[58]           Le demandeur soutient qu’il ressort à l’évidence des échanges explicites et du contexte que le Rapport communiqué à VII Inc. ne pouvait être utilisé que par cette dernière, aux seules fins du contrôle préalable à un éventuel investissement dans ESIL. En ce qui concerne les autres investisseurs, le demandeur fait valoir que M. Vollmer ne pouvait utiliser le Rapport que pour [TRADUCTION] « rendre ses arguments plus convaincants », par quoi il semble vouloir dire que M. Vollmer n’était pas autorisé à faire lire à d’autres le Rapport, ni même un extrait de celui‑ci, mais devait s’en tenir à présenter aux investisseurs sa propre argumentation touchant ESIL et la technologie de cette dernière. M. Vollmer affirme le contraire, et j’ai exposé plus haut les raisons pour lesquelles la Cour retient de préférence sa version des faits concernant l’autorisation d’apporter des modifications au Rapport et l’entente selon laquelle il en communiquerait des exemplaires à des investisseurs éventuels.

 

[59]           La position de M. Cook, à en juger par les extraits de son témoignage que le demandeur a consignés en preuve, paraît être la même que celle de M. Vollmer. Il déclare que le demandeur l’a autorisé à apporter des modifications au Rapport et à l’utiliser, non seulement dans les négociations avec VII Inc., mais aussi de manière générale comme instrument pour trouver des investisseurs prêts à placer des capitaux dans ESIL ou des acheteurs pour la technologie de cette société.

 

[60]           Il ressort clairement du dossier que, comme dans le cas de M. Vollmer, le demandeur n’a expressément ni fait valoir un droit d’auteur ni fixé de conditions de confidentialité ou de restrictions d’usage lorsqu’il a communiqué des exemplaires du Rapport à M. Cook.

 

[61]           Le demandeur a affirmé ce qui suit au cours de son contre-interrogatoire :

a.                   Le ou vers le 6 juin 2003, il a envoyé à M. Cook et à ESIL une version corrigée du Rapport.

b.                  Il a [TRADUCTION] « probablement » discuté du Rapport avec M. Cook le 3 juin 2003, avant de le lui envoyer le 6 du même mois.

c.                   Le seul souvenir qu’il ait gardé de cet entretien est qu’il [TRADUCTION] « portait probablement sur les paramètres de conception et autres choses de ce genre ».

d.                  Il a parlé avec M. Cook du fait qu’il travaillait à la rédaction du Rapport.

e.                   Il a bien précisé à M. Cook qu’il ne l’autorisait à utiliser un exemplaire du Rapport que dans ses négociations avec VII Inc.

 

[62]           Le demandeur affirme qu’il ne savait pas que M. Cook, en plus de ses négociations avec M. Vollmer, essayait de vendre des licences à d’autres :

[TRADUCTION]

Q.        Vous ne pensiez pas qu’il essayait de vendre des licences à d’autres personnes?

R.         Non.

Q.        Vous ne saviez absolument pas qu’il essayait de vendre des licences à diverses personnes physiques et morales?

R.         Non, non. Je n’étais au courant que des négociations avec VII Inc. J’habite au Texas, Maître, pas à St. Catherines. 

 

[63]           Afin d’étayer cette position, le demandeur a essayé à l’instruction de minimiser le degré de ses relations avec M. Cook et sa connaissance de ce que celui‑ci s’efforçait de faire relativement à ESIL et à la technologie d’ESIL. Mais l’insincérité de cette position est devenue de plus en plus évidente :

[TRADUCTION]

Q.        Vous saviez que M. Cook parlait de sa technologie à beaucoup de gens afin de la promouvoir : est‑ce exact?

R.         Oui, et alors –

Q.        Je veux dire que c’est la raison pour laquelle il détient les droits de propriété intellectuelle. Le but était d’intéresser les gens à la technologie de manière qu’ils achètent une licence, n’est‑ce pas?

R.         Il faudrait demander cela à M. Cook.

Q.        Vous ne comprenez absolument pas pourquoi il parlait de sa technologie aux gens?

R.         Non. Ce que je comprenais, c’est que – restons-en là.

Q.        Vous n’avez aucune idée de la raison pour laquelle il parlait aux gens de sa technologie?

R.         Non, aucune, aucune pour l’instant.

[64]           De ce qu’il savait que M. Cook essayait d’exploiter la technologie d’ESIL entre autres par la vente de licences, il ne suit pas nécessairement, bien sûr, que le demandeur ait consenti à ce qu’il utilise le Rapport à de telles fins en dehors des négociations prévues avec VII Inc. Mais il semble très peu vraisemblable – et bien peu sincère de sa part de l’affirmer – que le demandeur, sachant depuis 20 ans que M. Cook promouvait la technologie d’ESIL, ignorait pourquoi celui‑ci parlait aux gens de cette technologie.

 

[65]           On éprouve la même impression d’invraisemblance et d’insincérité lorsque l’avocat attire l’attention du demandeur sur ce qu’il a lui-même écrit dans le Rapport (pièce P‑5) et sur ce que cela révèle de sa connaissance des efforts d’exploitation de la technologie d’ESIL déployés par M. Cook :

[TRADUCTION]

Q.        D’accord. Au moment où vous avez écrit cela, vous croyiez que M. Cook et ESIL essayaient de conclure un marché et de faire de l’argent avec cette technologie : est‑ce exact?

R.         Avec M. Vollmer. C’est tout ce que je savais.

 

[66]           Le contenu du Rapport, le témoignage de M. Vollmer, ainsi que les relations antérieures du demandeur avec M. Cook, laissent tous supposer le contraire. Le demandeur aurait pu soutenir qu’il était au courant des efforts déployés par M. Cook pour exploiter la technologie d’ESIL, mais qu’il n’avait pas pour autant autorisé l’utilisation du Rapport à cette fin en dehors des négociations avec VII Inc. Mais ce n’est pas là ce qu’il affirme. Il soutient en fait qu’il n’est pas possible qu’il ait consenti à l’utilisation du Rapport par M. Cook aux fins d’exploitation de la technologie d’ESIL parce qu’il ne savait pas ce que celui‑ci essayait de faire de cette technologie en dehors des négociations avec VII Inc. Considérée dans le contexte intégral du dossier, cette affirmation n’est tout simplement pas crédible, et amène à se demander de manière générale dans quelle mesure le demandeur a gauchi sa preuve en fonction de la position particulière qu’il a adoptée dans la présente espèce, à savoir qu’il a communiqué le Rapport à M. Vollmer à la seule fin que ce dernier puisse s’en servir dans le cadre de son contrôle préalable à un investissement éventuel dans ESIL, qu’il n’avait pas autorisé M. Vollmer à montrer le Rapport, ne serait‑ce qu’en partie, à d’autres investisseurs, et qu’il en avait donné un exemplaire à M. Cook seulement pour usage relatif au marché envisagé avec VII Inc. Si on y réfléchit bien, pourquoi M. Cook aurait‑il eu besoin d’un exemplaire du Rapport à cette fin? Il connaissait déjà la technologie d’ESIL. Ainsi que le demandeur l’a lui-même reconnu, il savait que M. Cook [TRADUCTION] « parlait depuis un certain temps de sa technologie à beaucoup de gens afin de la promouvoir ».

 

[67]           Dans le Rapport même, le demandeur a écrit : « Il [M. Cook] a reçu de nombreuses offres du Moyen-Orient et de grandes firmes d’ingénierie, mais il déclare qu’il ne bradera pas cette technologie. » Ce passage donne à penser que le demandeur en savait plus qu’il ne veut bien l’admettre maintenant sur les efforts d’exploitation de la technologie d’ESIL déployés par M. Cook.

 

[68]           On éprouve la même impression d’invraisemblance et d’insincérité tout au long du contre-interrogatoire du demandeur :

[TRADUCTION]

Q.        Il n’y a pas ici de mention « Confidentiel », si je ne m’abuse?

R.         Non.

Q.        On n’y trouve pas la mention « Pour votre seul usage », n’est‑ce pas?

R.         Non.

Q.        Le document ne porte pas la mention « Ne pas diffuser »?

R.         Non, parce qu’il était déjà entendu, d’après nos discussions, qu’il ne servirait qu’à faciliter les négociations avec VII Inc. visées dans les conclusions écrites des défendeurs.

Q.        Vous n’avez pas écrit ici que l’usage du document était strictement restreint aux négociations avec Vollmer : je me trompe?

R.         Ce n’était pas nécessaire. Nous en avions convenu dans nos discussions.

 

[69]           Le demandeur manque remarquablement de précision touchant le contenu de l’entretien qu’il a eu avec M. Cook le 3 juin 2003, avant de lui donner un exemplaire du Rapport le 6 du même mois, et pourtant, à ce moment de son témoignage, il affirme qu’il avait été expressément convenu « dans nos discussions » qu’il n’autorisait l’usage du Rapport qu’aux fins de négociation avec M. Vollmer.

 

[70]           Le demandeur change donc de version dans ses réponses, essayant d’abord de faire admettre l’existence d’une entente tacite (fondée sur son droit d’auteur), pour alléguer ensuite une convention explicite : [TRADUCTION] « Ce n’était pas nécessaire. Nous en avions convenu dans nos discussions. »

 

[71]           Ses réponses à d’autres questions suscitent des doutes semblables :

[TRADUCTION]

Q.        Mais si la question de la confidentialité vous préoccupait tant, n’aurait‑il pas été logique de votre part d’inscrire un avis de confidentialité dans le rapport?

R.         Maître, dans les relations d’affaires, on aime en général supposer l’honnêteté de ses partenaires.

 

 

Q.        Est-ce que je me trompe en disant qu’on ne trouve nulle part dans vos communications avec M. Vollmer ou M. Cook d’indications comme quoi il y aurait eu de quelconques restrictions, même si vous avez écrit aux deux?

R.         Ce n’était pas nécessaire.

 

 

Q.        Vous croyez qu’il y avait réellement entre vous et M. Cook une convention selon laquelle il ne communiquerait le contenu de votre rapport à personne d’autre qu’à Chuck Vollmer : est‑ce là ce que vous affirmez?

R.         Je sais qu’il y avait une convention entre nous.

Q.        L’avez-vous poursuivi pour manquement à l’obligation de confidentialité?

R.         Non.

 

[72]           Il est également à noter que le demandeur n’a pas esté en justice contre M. Vollmer ni VII Inc. pour avoir communiqué le Rapport à des investisseurs éventuels, ni pour l’avoir utilisé en dehors de leur contrôle préalable à la conclusion d’un marché avec ESIL, ni pour avoir autorisé MM. Cook et Reif à s’en servir à des fins d’investissement.

 

[73]           Le demandeur a dû en fin de compte admettre qu’il n’avait pas spécifié par écrit de restrictions sur l’usage du Rapport :

[TRADUCTION]

Q.        Je veux parler des mots sur la page.

R.         C’est exact, en effet.

Q.        Il n’y a pas de restrictions?

R.         Vous avez raison.

Q.        Vous n’avez spécifié de restrictions dans aucun des courriels ou des lettres que vous avez envoyés à ce sujet non plus, n’est‑ce pas?

R.         C’est exact. Ce n’était pas nécessaire.

 

[74]           Donc, le demandeur admet que, lorsqu’il en a communiqué des exemplaires à MM. Vollmer et Cook, il n’a pas explicitement essayé de limiter l’usage du Rapport au moyen des précautions habituelles : mentions ou avis de droit d’auteur, de confidentialité ou de restrictions d’usage. En dernière analyse, tout ce qu’il peut dire est que sa présente version touchant l’usage restreint qu’il autorisait était tout simplement, soit [TRADUCTION] « sous-entendue » entre lui et MM. Vollmer et Cook, soit explicitement convenue dans des entretiens antérieurs qu’il ne se rappelle pas avec tant soit peu de précision. Contre cette position, nous avons les déclarations de M. Vollmer comme quoi il n’existait pas de telles restrictions, le demandeur savait parfaitement que le Rapport serait distribué à plusieurs investisseurs éventuels, et il avait autorisé MM. Cook et Reif à s’en servir dans leurs négociations parce que c’était là la raison pour laquelle ledit Rapport avait été établi. En outre, nous avons les déclarations de M. Cook, consignées en preuve par le demandeur, selon lesquelles ce dernier a autorisé les modifications qu’il a fallu apporter au Rapport pour l’utiliser dans d’autres négociations. Évidemment, aucune modification ne se serait révélée nécessaire si le Rapport devait être utilisé seulement en liaison avec VII Inc. En fait, on voit mal pourquoi M. Cook aurait même eu besoin d’un exemplaire du Rapport s’il était censé se servir de celui‑ci seulement dans ses négociations avec VII Inc.  

 

[75]           Même sur la question des modifications apportées au Rapport, la preuve du demandeur n’est pas convaincante. Il commence par formuler assez clairement sa position :

[TRADUCTION]

Q.        Vous vous êtes entretenu avec Brian Cook le 23 février 2004, c’est bien cela?

R.         Brian Cook m’a appelé ce jour‑là, oui.

Q.        Il vous a téléphoné au sujet du rapport, n’est‑ce pas?

R.         Oui.

Q.        Il vous a demandé si vous consentiriez à modifier le rapport?

R.         Non. Il m’a dit au téléphone qu’il avait besoin du rapport pour des discussions avec VII Inc. et qu’il ne pouvait en trouver un exemplaire parce que son adjoint administratif, Collin Noonan, était absent du bureau.

 

 

Q.        Vous dites qu’il vous a demandé s’il pouvait modifier le rapport?

R.         Oui.

Q.        Vous avez répondu que non, qu’il ne pouvait pas le modifier?

R.         C’est exact.

Q.        C’est seulement parce qu’il a dit : « D’accord, je ne le modifierai pas », que vous avez accepté de lui envoyer un autre exemplaire du rapport?

R.         C’est bien cela.

 

[76]           Néanmoins, M. Cook a apporté des modifications au Rapport et les a communiquées au demandeur. Celui‑ci lui a répondu par courriel le matin du vendredi 27 février (pièce P‑7) :

[TRADUCTION]

Q.        Le texte porte : « N’aurai pas le temps d’examiner les modifications que vous [M. Cook] avez apportées au rapport destiné à VII Inc. ». Est‑ce exact?

R.         C’est exact.

Q.        Vous n’avez pas écrit : « Ça, par exemple! comment avez-vous pu apporter des modifications à ma version Word chiffrée? », n’est‑ce pas?

R.         Le texte ne dit pas cela.

 

 

Q.        Vous n’avez pas écrit : « Je ne vous avais pas autorisé à apporter des modifications », n’est‑ce pas?

R.         Oui, en fait : à la phrase suivante.

Q.        La phrase suivante est rédigée comme suit :

Pour éviter toute confusion : je n’ai donné à personne l’autorisation d’inscrire mon nom sur aucun rapport ou autre document que je n’aurais pas moi-même rédigé ou modifié.

 

Est‑ce exact?

R.         Oui, Maître. À ce moment‑là, à dire la vérité, j’étais en quelque sorte en état de choc.

 

[77]           Donc, si l’on en croit le témoignage du demandeur, il avait convenu avec M. Cook que, s’il lui communiquait un exemplaire du Rapport, aucune modification n’y serait apportée, et il avait expressément interdit de le modifier en quoi que ce soit.

 

[78]           Pourtant, M. Cook a apporté des modifications au Rapport et les a communiquées au demandeur. Or celui‑ci n’a pas réagi en demandant comment elles avaient été faites ou en rappelant qu’il avait expressément interdit d’en faire. Il a plutôt dit qu’il n’avait pas le temps d’examiner les modifications apportées et précisé qu’il ne voulait voir inscrire son nom « sur aucun rapport ou autre document [qu’il n’aurait pas lui-même] rédigé ou modifié ».

[79]           Il explique pourquoi il ne s’est pas plaint comme on s’y serait attendu de ce que M. Cook a modifié le Rapport (de toute évidence sans s’en cacher) en faisant valoir qu’il était [TRADUCTION] « en quelque sorte en état de choc ». Cette réponse cadre si peu avec le caractère explicite que le demandeur attribue à son interdiction de modification qu’elle n’est guère crédible. Elle donne plutôt à penser que les modifications pouvaient être acceptables pour lui, mais qu’il avait besoin de temps pour les examiner, et qu’il voulait bien préciser qu’il n’avait pas – encore – autorisé l’inscription de son nom sur le Rapport ainsi modifié.

 

[80]           Ce qui précède donne aussi à penser que le demandeur devait très bien savoir avant de communiquer un exemplaire du Rapport à M. Cook que ce dernier songeait à le modifier et à l’utiliser dans d’autres négociations que celles qu’il menait avec VII Inc. Cette question a été examinée dans le contre-interrogatoire du demandeur :

[TRADUCTION]

Q.      D’accord, et c’est la pièce P‑8. Pourriez-vous jeter un coup d’œil là‑dessus? Alors vous répétez ici que vous ne voulez pas voir votre nom associé à un rapport modifié, c’est bien ça?

R.       Oui.

Q.      D’accord. Votre préoccupation, telle que vous l’exprimez dans deux courriels adressés à M. Cook n’est pas : « Ne faites pas de modifications », mais plutôt : « Je ne veux pas voir mon nom associé à une version modifiée » : est‑ce exact?

R.       M. Cook avait toute liberté de faire des modifications pour son propre usage. Mais une fois que la version modifiée est sortie de son bureau et qu’il en a distribué des exemplaires, cela est devenu un problème.

Q.      Vous saviez à ce moment‑là qu’il l’avait distribuée?

R.       Non.

Q.      Pourquoi n’avez-vous pas dit : « Veuillez cesser et vous abstenir de distribuer une version modifiée du rapport »?

R.       Parce que, de toute évidence, c’est alors ce qu’il allait en faire.

Q.      Il avait l’intention de distribuer une version modifiée? C’est ce qu’il vous a dit lorsqu’il vous a téléphoné le 23 février 2004, n’est‑ce pas?

R.       Non, il ne m’a pas dit ça.

Q.      C’est pourquoi vous n’avez pas dit – vous ne lui avez pas envoyé une version qu’il ne pourrait pas modifier, vous lui avez plutôt envoyé une version qu’il pouvait modifier?

R.       Non. Je croyais que la version que je lui envoyais était chiffrée et ne pouvait être modifiée.

Q.      Pourtant ici, même si vous aviez eu le temps de vous calmer, vous ne dites pas : « Comment vous a‑t‑il été matériellement possible de faire ça? Comment avez-vous fait pour modifier mon rapport chiffré? »

R.       Il ne s’agissait pas d’une leçon de technologie de l’information, Maître; il s’agissait de lui dire : « Arrêtez de faire ce que vous faites. »

Q.      Je veux bien. Mais vous ne saviez pas alors qu’il avait fait autre chose que de vous envoyer une version modifiée du rapport en pièce jointe à un courriel qui portait : « Veuillez trouver ci‑joint une version légèrement modifiée de votre rapport. »

R.       C’est exact. Maintenant je le mettais en garde : « Vous semblez avoir modifié mon rapport. Il faut que les choses en restent là : ne le communiquez à personne. »

Q.      Vous voulez dire : « Ne communiquez la version modifiée à personne »?

R.       C’est ça.

Q.      D’accord. Vous ne lui avez pas dit : « Permettez-moi de vous rappeler que vous vous étiez engagé à ne pas le modifier », n’est‑ce pas?

R.       Je n’avais pas envie d’écrire une lettre de deux pages. Je pense que l’avis de cessation et d’abstention est la seule chose vraiment nécessaire ici, ou l’était alors; c’était l’élément moteur ou l’objet de cette lettre : de mettre fin à la chose.

Q.      Examinons cela d’un peu plus près. Vous avez eu un entretien avec M. Cook le 23 février, n’est‑ce pas?

R.       Oui.

Q.      Vous affirmez qu’il s’est engagé à ne pas modifier le rapport, malgré le fait qu’il avait exprimé son intention de le modifier : c’est bien cela?

R.       Il s’était engagé à ne pas le modifier.

Q.      D’accord. Il avait d’abord dit : « J’aimerais le modifier », et vous avez dit non. C’est bien votre version?

R.       Oui.

Q.      Alors il s’est engagé à ne pas le modifier, selon vous?

R.       Oui.

Q.      Et vous lui avez envoyé un gentil courriel qui disait : « Il semble que vous ayez besoin de cela tout de suite, alors le voici. »

R.       Pour des discussions avec mon client, encore une fois.

Q.      Ce n’est pas ce que dit le courriel. Le courriel ne dit‑il pas : « Il semble que vous en ayez besoin tout de suite, alors le voici »?

R.       Oui, mais vous ne tenez pas compte de l’entretien que nous avons eu.

Q.      Je parle du courriel.

R.       D’accord.

Q.      À ce moment‑là, donc, vous le lui avez envoyé, vous ne lui avez pas rappelé qu’il s’était engagé à ne pas le modifier, et vous le lui avez envoyé : c’est bien ça?

R.       Oui.

Q.      Alors il vous renvoie une version modifiée le 23 février?

R.       Oui.

Q.      Vous dites que vous l’avez examinée le 26 ou le 27 : c’est exact?

R.       Oui. Je travaillais alors sur mon logiciel.

Q.      À ce moment‑là, que ce soit à 2 h 16 ou à 8 h 47 du matin, vous ne lui avez pas dit : « Minute, Brian : nous avions convenu que vous n’alliez pas le modifier. » Je me trompe?

R.       Ce n’était pas nécessaire.

Q.      Ce n’était pas nécessaire?

R.       Non. Ce n’était pas l’objet de ce courriel. L’objet était de lui dire : « Cessez de faire ce que vous faites. »

Q.      Mais vous ne saviez pas qu’il avait fait quoi que ce soit d’autre que de vous renvoyer une version modifiée du rapport, n’est‑ce pas?

R.       C’est exact, et je ne voulais pas le laisser faire quoi que ce soit d’autre. Il était alors devenu évident qu’il n’allait pas utiliser le document pour ses négociations avec VII Inc.

Q.      Il était évident qu’il voulait le communiquer à d’autres lorsqu’il vous a demandé de le modifier.

R.       Non, je veux dire à cette date. Après l’avoir ouvert, il est devenu évident pour moi qu’il n’allait pas s’en servir dans ses discussions avec VII Inc. –

Q.      Parce qu’il l’avait modifié?

R.       Oui.

Q.      Parce qu’ils disposaient déjà de la version originale, n’est‑ce pas?

R.       Oui.

Q.      Alors à quoi cela aurait‑il servi?

R.       Exactement.

Q.      C’était évident pour vous lorsque vous avez vu la version modifiée : c’est bien ça?

R.       Oui. C’est à ce moment que j’ai compris que le document n’était pas destiné aux discussions avec VII Inc.

Q.      De même, lorsqu’il vous a dit le 23 février qu’il voulait modifier le rapport, vous saviez qu’il voulait le modifier pour le communiquer à d’autres, parce que cela n’aurait pas eu de sens de le modifier pour en parler à VII Inc. : est‑ce exact?

R.       Non.

Q.      Quelle est la différence? Vous venez de dire qu’il est devenu évident pour vous, lorsque vous avez constaté qu’il avait modifié le rapport, qu’il n’allait pas l’utiliser seulement pour ses discussions avec VII Inc. Donc, lorsqu’il vous a dit le 23 février qu’il voulait le modifier, n’aurait‑ce pas dû être également évident pour vous qu’il voulait communiquer le rapport à d’autres personnes?

R.       Non. Non, cela montrait seulement l’absurdité de sa demande. C’est la raison pour laquelle, encore une fois, je n’ai pas pensé qu’il allait le modifier, parce que cela n’avait pas de sens, et puis il –

Q.      Qu’est‑ce qui n’avait pas de sens?

R.       Le fait qu’il veuille le modifier pour s’en servir dans ses négociations avec VII Inc. alors que celle‑ci en avait déjà un exemplaire et qu’ils en avaient déjà discuté.

Q.      Exactement, c’est là la raison. Cela n’avait pas de sens parce que, en fait, il vous avait dit : « Je veux le modifier pour pouvoir le communiquer à d’autres personnes. »

R.       Non, ce n’est pas ce qu’il m’a dit.

Q.      Parce que cela n’aurait eu aucun sens qu’il le modifie afin de le montrer à VII Inc., n’est‑ce pas?

R.       Je n’ai pas réalisé cela à ce moment. Comme je l’ai dit, lorsqu’il a appelé, j’étais en train de travailler sur mon logiciel : j’avais la tête ailleurs, loin d’ESIL.

Q.      Vous ne vous rappelez pas vraiment la conversation?

R.       Oui, je me rappelle la conversation.

Q.      Vous vous rappelez qu’il a dit qu’il voulait le modifier, que vous avez dit non et qu’il a convenu de ne pas le faire?

R.       Oui.

Q.      Mais vous n’avez pas allumé?

R.       Non.

Q.      Il ne vous est pas venu à l’idée de lui demander pourquoi il voulait le modifier?

R.       Je n’ai pas « allumé », comme vous dites : j’étais plutôt en panne de courant à ce moment‑là. Je ne sais pas si vous avez déjà travaillé sur un logiciel.

 

[81]           Autrement dit, M. Cook ayant exprimé en 2004 le désir d’apporter des modifications au Rapport, le demandeur devait savoir qu’il ne l’utiliserait pas dans ses négociations avec VII Inc., mais envisageait un autre usage. La seule explication du demandeur est que la chose ne lui est pas venue à l’idée sur le moment. Je ne peux pas accepter cette explication. M. Cook ayant demandé des modifications, le demandeur ne pouvait qu’en conclure que celui‑ci et ESIL voulaient utiliser le Rapport pour d’autres négociations que celles qu’ils menaient avec VII Inc. et M. Vollmer. Aucune autre explication n’a de sens.

 

[82]           Moins évidente est la réponse à la question de savoir si, lorsqu’il a envoyé les modifications au demandeur pour examen, M. Cook savait qu’il avait besoin du consentement de ce dernier à ces modifications avant de pouvoir utiliser le Rapport modifié, ou s’il se pensait libre de modifier le Rapport et de l’utiliser, à condition de retirer le nom du demandeur de toute version modifiée qu’il n’aurait pas approuvée.

 

[83]           Le demandeur n’a produit aucun élément de preuve sur cette question parce qu’il a adopté la position selon laquelle il avait interdit toute modification du Rapport et n’en avait communiqué un exemplaire de la version originale à M. Cook que pour usage dans les négociations avec VII Inc. et M. Vollmer. Or cette position ne peut être conciliée avec le fait admis que M. Cook a demandé l’autorisation de faire des modifications, l’envoi par celui‑ci au demandeur des modifications proposées et la réaction immédiate de ce dernier à la réception d’un exemplaire du Rapport modifié par M. Cook.

 

[84]           Le demandeur a lui-même versé au dossier les déclarations de M. Cook selon lesquelles le demandeur l’avait autorisé à modifier le Rapport à son gré.

 

[85]           En conséquence, bien que la situation ne soit pas entièrement claire pour les raisons exposées plus haut, je ne peux pas accepter la version que donne maintenant le demandeur de ses discussions avec M. Cook sur ce sujet. En outre, j’estime devoir conclure, vu l’ensemble de la preuve, que le demandeur n’a prouvé l’absence de consentement ni aux modifications apportées au Rapport par M. Cook et ESIL ni à l’usage restreint qu’ils ont fait dudit Rapport dans leurs relations avec des investisseurs éventuels.

 

[86]           Il y a d’autres passages de son contre-interrogatoire où le demandeur refuse de confirmer des réponses et des conclusions évidentes et adopte une position insincère, par exemple celui qui concerne la lettre de M. Cook en date du 27 février 2009 (pièce P‑9) et sa réponse à cette lettre (pièce P‑11). J’ai examiné plus haut la signification de ces pièces et ce qu’elles révèlent des positions relatives des parties. Il m’a paru manifeste au cours de son contre-interrogatoire que le demandeur ne veut tout simplement pas reconnaître les conclusions évidentes qui découlent de ces documents ni expliquer pourquoi il a répondu comme il l’a fait dans la pièce P‑11. En dernière analyse, la seule véritable réponse que le demandeur a donnée en contre-interrogatoire est qu’il avait [TRADUCTION] « suivi les conseils de [son] avocat ». Cette réponse n’explique pas de manière convaincante les anomalies de la position du demandeur, et, en tout état de cause, rien n’indique que l’avocat du demandeur ait fait quoi que ce soit d’autre que ce que son client voulait qu’il fasse ni que le demandeur se soit mépris véritablement sur la signification de ses actions. Tout cela milite pour la position des défendeurs selon laquelle le demandeur était tout à fait au courant du projet de vente du portefeuille de brevet et qu’il fallait l’apaiser ou acheter son silence par la promesse d’une prime dans le cas où cette vente se conclurait. Rien n’indique que M. Cook essayait d’obtenir une licence d’utilisation du Rapport aux fins de vente ni qu’il a évalué à 225 000,00 $ US une telle licence ou le consentement du demandeur à une telle utilisation.

 

Re-defining Water Inc.

 

[87]           Re-defining Water a affiché la version originale du Rapport sur son site Web, où elle est restée environ un an. Aucun élément de preuve ne tend à établir que, mis à part le téléchargement d’un exemplaire par M. Reif dans le cadre de la présente instance, quiconque ait jamais visualisé le Rapport sur ce site, ni investi dans Re‑defining Water, ou acheté ses produits ou ses services, du fait dudit Rapport.

 

[88]           Cependant, on ne trouve dans la preuve de M. Vollmer aucun élément donnant à penser que l’utilisation du Rapport par Re‑defining Water sur son site Web pour vendre des produits et des services était prévue dans l’entente conclue avec le demandeur au moment où celui‑ci a établi ce document pour M. Vollmer et VII Inc. C’est M. Cook qui a communiqué le Rapport à Re‑defining Water pour qu’elle l’affiche sur son site Web. M. Cook semble avoir pensé que, en payant 500 $ au demandeur en contrepartie du Rapport, M. Vollmer ou VII Inc. avait acquis le droit d’auteur sur ce texte, ainsi que le droit de l’autoriser lui-même et ESIL à l’utiliser comme bon leur semblerait. Rien ne laisse supposer que cette conviction de M. Cook n’était pas sincère, mais, en droit, elle était manifestement erronée. Aucun élément de la preuve de M. Vollmer ne donne à penser que, dans le cadre de l’établissement du Rapport, lui-même ou le demandeur avaient prévu que Re‑defining Water l’afficherait sur son site Web et l’utiliserait en liaison avec la vente de ses produits et services : le Rapport a été produit afin d’être présenté à des personnes qu’il pourrait intéresser d’investir dans ESIL et/ou sa technologie.

 

[89]           La question est compliquée par le fait que Re‑defining Water paraît opérer en vertu d’une sous-licence d’ESIL et/ou de M. Cook.

[90]           Le demandeur soutient que Re‑defining Water a affiché le Rapport sur son site Web afin d’appuyer ses ventes d’eau embouteillée et de sous-licences de technologie. Aucun élément de preuve n’indique que tel ne soit pas le cas.

 

[91]           M. Cook a admis qu’il avait communiqué à Re‑defining Water un exemplaire du Rapport pour affichage sur son site Web.

 

[92]           Le demandeur a adressé un avis de cessation et d’abstention à Re‑defining Water en février 2005 après avoir appris que cette société affichait le Rapport sur son site Web. Cependant, Re‑defining Water n’a retiré le Rapport de son site qu’après avoir reçu signification de la déclaration introductive d’instance du demandeur.

 

[93]           À mon sens, bien que le demandeur ne puisse prouver l’existence d’un lien entre l’utilisation du Rapport par Re‑defining Water et ses produits d’exploitation ou ses bénéfices, il y a eu là, quoique purement formelle, une violation du droit d’auteur que M. Cook a encouragée, facilitée et autorisée. La preuve me paraît aussi établir que le demandeur n’a pas donné son consentement (tacite ou exprès) à l’usage que Re‑defining Water a fait du Rapport sur son site Web en liaison avec la vente de ses produits et services, ni aux actes d’encouragement, de facilitation ou d’autorisation de M. Cook à cet égard. Il se peut fort bien que M. Cook ait cru qu’il lui était loisible d’agir ainsi, mais je pense qu’un tel usage outrepassait ce qui aurait pu selon toute vraisemblance être prévu au moment où le demandeur a établi le Rapport pour M. Vollmer ou lorsqu’il a lui-même communiqué un exemplaire du Rapport à M. Cook le 23 février 2004 (pièce P‑2).

 

La violation du droit d’auteur

 

[94]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a bien précisé aux paragraphes 39 et 40 de Positive Attitude Safety Systems Inc. c. Albian Sands Energy Inc. (2005), 43 C.P.R. (4th) 418 (CAF), il faut prouver l’absence de consentement pour établir la violation du droit d’auteur :

39     Cependant, à supposer même que le juge des requêtes ait eu raison d’examiner la question, il reste que la violation du droit d’auteur se définit par l’absence de consentement du titulaire de ce droit :

 

27. (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir. [Non souligné dans l’original.]

 

27. (1) It is an infringement of copyright for any person to do, without the consent of the owner of the copyright, anything that by this Act only the owner of the copyright has the right to do. [Emphasis added.]

* * *

 

Par conséquent, pour établir la violation du droit d’auteur, il faut prouver l’absence de consentement. Il est donc illogique de conclure qu’il y a eu violation sous réserve de la détermination de l’effet d’une licence supposée. Il se peut qu’une partie ait fait quelque chose qui, selon la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, n’est permis qu’au titulaire du droit d’auteur. Mais, avant que cette action puisse être définie comme une violation, le juge doit constater que le titulaire du droit d’auteur n’y a pas donné son consentement.

 

40     Par conséquent, le juge des requêtes n’était pas en mesure de conclure, ainsi qu’il l’a fait, que les appelants ont violé le droit d’auteur des intimés sous réserve de la détermination de l’effet d’une licence supposée. La violation ne pouvait être établie avant qu’il ne fût répondu à la question du consentement.

 

[95]           Il est également bien établi que la sorte de licence dont les faits de la présente espèce soulèvent la question ne doit pas nécessairement revêtir la forme écrite et peut découler d’une convention orale des parties considérée dans l’ensemble du contexte. L’arrêt Ritchie c. Sawmill Creek Gold & Country Club Ltd. et al. (2004), 35 C.P.R. (4th) 163 (C. div. Ont.) propose dans les termes suivants un résumé utile du droit sur cette question :

[TRADUCTION]

 

18     En droit, la licence équivalant à une simple autorisation d’accomplir un certain acte, par opposition à la licence qui concède un intérêt de propriété, n’a pas à revêtir la forme écrite. Le moyen de l’appelant repose sur le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur, ainsi libellé :

(4) Cession et licences. Le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d’une façon générale ou avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par son agent dûment autorisé.

 

19     Il est significatif que les licences visées dans ce paragraphe se limitent à celles portant « concession [...] d’un intérêt ». Certaines catégories de licences, par exemple les licences exclusives, peuvent concéder un intérêt de propriété. Les licences non exclusives, quant à elles, ne transfèrent pas d’intérêt de propriété, mais donnent plutôt l’autorisation d’accomplir des actes déterminés; voir Sunny Handa, Copyright Law in Canada, Markham, Butterworths, 2002, page 337.

 

20     La « concession par licence d’un intérêt » dont il est question au paragraphe 13(4) est le transfert d’un droit de propriété par opposition à l’autorisation d’accomplir un acte déterminé. Dans le premier cas, le titulaire de la licence peut intenter en son nom une action en violation du droit d’auteur; dans le second, il ne peut que contester une telle action. Dans la mesure où le sens de l’expression « concession par licence d’un intérêt » était incertain et où se posait la question de savoir si l’article 13 s’appliquait aux licences non exclusives, cette incertitude a été dissipée en 1997 lorsqu’on a modifié la Loi sur le droit d’auteur en y ajoutant le paragraphe 13(7) :

(7) Il est entendu que la concession d’une licence exclusive sur un droit d’auteur est réputée toujours avoir valu concession par licence d’un intérêt dans ce droit d’auteur.

 

21     La licence verbale concédée à Sawmill Creek d’utiliser les photographies comme bon lui semblerait était une licence autorisant à accomplir un acte déterminé. Les licences de cette nature n’entrent pas dans le champ d’application du paragraphe 13(4), et il n’est pas nécessaire qu’elles revêtent la forme écrite; voir John S. McKeown, Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4e éd., feuilles mobiles, Toronto, Thomson Canada Ltd., 2003, pages 19 à 26; et Robertson c. Thomson Corp. (2001), 15 C.P.R. (4th) 147, page 186 (C.S.J. Ont.).

 

22     Les licences non exclusives, telles que celle concédée à Sawmill Creek, peuvent revêtir n’importe quelle forme, y compris la verbale. Il n’est pas nécessaire que les licences non exclusives soient signées ou établies en la forme écrite; voir Handa, op. cit., page 338. Le juge de première instance a conclu que l’appelant avait concédé une licence expresse à Sawmill Creek. Cette licence était une autorisation et peut à ce titre être invoquée pour contester une action en violation du droit d’auteur. Le juge de première instance n’a donc pas commis d’erreur de droit en concluant que la licence concédée à Sawmill Creek constituait un moyen de contestation d’une prétention en violation du droit d’auteur.

 

[96]           Les observations formulées aux pages 377 et 378 de l’arrêt Netupsky et al. c. Dominion Bridge Co.Ltd., [1972] R.C.S. 368 sont également utiles pour l’examen des faits de la présente espèce :

La jurisprudence sur le point précis en litige ici est limitée. Je fais mienne la déclaration de principe de la Cour suprême de New South Wales dans Beck v. Montana Constructions Pty. Ltd.[(1963), 5 F.L.R. 298], aux pp. 304‑5 :

 

[TRADUCTION] …que l’engagement que prend une personne de produire moyennant rémunération une chose susceptible de faire l’objet d’un droit d’auteur implique l’utilisation de la chose avec la permission ou le consentement ou la licence de celui qui a pris cet engagement, en la manière et pour les fins qu’au moment de l’engagement les parties avaient à l’esprit au sujet de son utilisation.

 

Et plus loin :

 

[TRADUCTION] …le paiement versé pour des plans sommaires couvre leur utilisation avec la permission ou le consentement de l’auteur, aux fins pour lesquelles ils ont été établis, savoir aux fins de construire un bâtiment qui s’y conforme de près et aux fins de faire tous les dessins nécessaires, cela faisant partie du travail requis pour la construction du bâtiment.

 

* * *

 

     Reste alors à savoir s’il devrait y avoir un droit implicite de cession et ici je crois qu’il faut inévitablement inférer que le propriétaire, après avoir commandé un plan sommaire et obtenu le droit de l’utiliser aux fins de construire sur cet emplacement un bâtiment qui s’y conforme de près, devrait avoir le droit de céder ce droit à un nouveau propriétaire du bien-fonds.

 

    L’arrêt Beck a été suivi dans une récente décision de la Cour d’appel d’Angleterre : Blair v. Osborne and Tomkins ([1971] 2 W.L.R. 503).

 

[97]           Il ressort à l’évidence de la preuve de M. Vollmer que le Rapport a été produit et payé afin d’attirer des investissements dans ESIL et sa technologie. Il n’a pas été prévu au moment pertinent, c’est‑à‑dire lorsque le contrat de rédaction du Rapport a été passé, de restrictions quant à la manière dont cela devait se faire. En outre, le demandeur était disposé à permettre à M. Vollmer d’apporter des modifications au Rapport dans le but d’attirer des investisseurs. Il a été produit devant la Cour des éléments tendant à établir que le demandeur avait consenti à ce que M. Cook modifie aussi le Rapport dans le même but. Le demandeur a lui-même versé au dossier ces éléments, qui consistent en un extrait de l’interrogatoire préalable de M. Cook et en une lettre rédigée par ce dernier, non expédiée, confirmant que le demandeur l’avait autorisé à modifier le Rapport comme bon lui semblerait. Le demandeur nie avoir donné son consentement aux modifications apportées par M. Cook, mais, comme je l’ai expliqué plus haut, son démenti n’est pas convaincant, étant donné le fait qu’il était disposé à autoriser M. Vollmer à apporter des modifications, le fait qu’il n’ait formulé aucune restriction par écrit et le fait qu’il ne se soit pas opposé aux modifications de M. Cook lorsque celui‑ci les a portées à son attention. La preuve contemporaine donne à penser que le demandeur voulait du temps pour examiner ces modifications en vue de décider s’il devait retirer son nom de la version modifiée du Rapport. Selon cette preuve, il ne s’est pas opposé catégoriquement aux modifications en soi, ni à l’utilisation du Rapport par M. Vollmer ou M. Cook et ESIL pour attirer des investisseurs.

 

[98]           Je dois en conclure que les défendeurs étaient autorisés par une licence, ou à tout le moins par un consentement tacite de l’auteur, à soumettre le Rapport aux usages auxquels ils l’ont soumis, à l’exception du fait pour Re‑defining Water de l’afficher sur son site Web et d’essayer de s’en servir en liaison avec la vente de ses produits et services. La preuve n’établit pas à mon sens l’existence d’une licence ou d’un consentement tacite concernant cette utilisation particulière du Rapport par Re‑defining Water, de sorte que le demandeur me paraît avoir prouvé que Re‑defining Water, par cette utilisation particulière, et M. Cook, qui l’a autorisée et en est à l’origine, ont violé son droit d’auteur.

 

Les dommages-intérêts préétablis

 

[99]           Le demandeur a opté pour les dommages-intérêts préétablis que prévoit l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, libellé comme suit :

38.1 (1) Sous réserve du présent article, le titulaire du droit d’auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l’ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages-intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), des dommages-intérêts préétablis dont le montant, d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence, pour toutes les violations — relatives à une œuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur — reprochées en l’instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsables.

38.1 (1) Subject to this section, a copyright owner may elect, at any time before final judgment is rendered, to recover, instead of damages and profits referred to in subsection 35(1), an award of statutory damages for all infringements involved in the proceedings, with respect to any one work or other subject-matter, for which any one infringer is liable individually, or for which any two or more infringers are liable jointly and severally, in a sum of not less than $500 or more than $20,000 as the court considers just.

 

[100]       Pour rendre sa décision relativement aux dommages-intérêts préétablis, la Cour doit prendre en considération les facteurs énumérés au paragraphe 38.1(5) :

(5) Lorsqu’il rend une décision relativement aux paragraphes (1) à (4), le tribunal tient compte notamment des facteurs suivants :

 

a) la bonne ou mauvaise foi du défendeur;

 

b) le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle-ci;

 

c) la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question.

 

(5) In exercising its discretion under subsections (1) to (4), the court shall consider all relevant factors, including

 

 

(a) the good faith or bad faith of the defendant;

 

(b) the conduct of the parties before and during the proceedings; and

 

(c) the need to deter other infringements of the copyright in question.

 

 

[101]       La jurisprudence relative au paragraphe 38.1(5) donne à penser que, même si tous les actes potentiellement contrefaisants recensés plus haut avaient été accomplis sans le consentement de l’auteur, l’attribution de dommages-intérêts importants ne se justifierait pas dans la présente espèce. Or, comme je l’ai déjà établi, le demandeur n’a pu prouver la violation du droit d’auteur ou l’absence de consentement à propos d’aucun autre acte que l’affichage du Rapport par Re‑defining Water sur son site Web. Si tous les usages auxquels il a soumis le Rapport n’ont pas été faits avec le consentement de l’auteur, M. Cook semble avoir sincèrement mal compris dans quelle mesure il lui était permis d’utiliser ce document, erreur qui l’a même conduit à dénier en un premier temps le droit d’auteur au demandeur.

 

[102]       L’examen de la preuve en fonction des facteurs énumérés au paragraphe 38.1(5) me mène aux conclusions suivantes :

                                       i.                              M. Cook peut s’être mépris en croyant que le demandeur avait cédé son droit d’auteur sur le Rapport à M. Vollmer ou VII Inc., mais aucun élément de la preuve ne donne à penser qu’il ait ainsi agi de mauvaise foi. Le demandeur doit assumer sa part de responsabilité dans toute erreur d’interprétation de M. Cook, étant donné que, aux moments pertinents où il a communiqué des exemplaires du Rapport à M. Vollmer et à M. Cook, il n’a pas spécifié par écrit les restrictions usuelles ni pris la précaution habituelle d’insérer des avis écrits dans le document.

                                     ii.                              Le fait pour les défendeurs d’avoir refusé d’admettre le droit d’auteur du demandeur dans leurs conclusions écrites ne relève pas de la mauvaise foi et n’est rien d’autre qu’une réaction normale à la tentative du demandeur, motivée par l’opportunisme, d’obtenir d’eux une somme de 27 000 000,00 $.

                                    iii.                              On ne peut reprocher aux défendeurs de s’être conduits de manière abusive ou d’autre manière répréhensible avant ou durant l’instance. Ils se sont simplement défendus du mieux qu’ils pouvaient contre la réclamation à l’évidence douteuse d’une somme considérable.

                                   iv.                              Aucun élément de preuve ne laisse supposer que l’utilisation du Rapport par Re‑defining Water ait le moindrement lésé le demandeur.

 

[103]       Re‑defining Water n’a pas vendu de nombreux exemplaires du Rapport, pas plus que sa violation du droit d’auteur ne lui a rapporté de bénéfices ou produits d’exploitation importants. Même étant donné l’absence de consentement établie par la Cour, l’ensemble des actes contrefaisants, vu la preuve dont je dispose et compte tenu des critères énoncés au paragraphe 38.1(5) de la Loi sur le droit d’auteur, ne suffit pas à justifier l’attribution d’un montant élevé en dommages-intérêts préétablis.

 

[104]       Les défendeurs m’ont demandé d’appliquer le paragraphe 38.1(2) aux faits de la présente espèce et de n’accorder pas plus de 200 $ en dommages-intérêts préétablis à l’égard de toute violation que je constaterais. Il faudrait pour cela que je conclue que M. Cook et Re‑defining Water « ne [savaient] pas et n’[avaient] aucun motif raisonnable de croire » qu’ils avaient violé le droit d’auteur du demandeur sur le Rapport. Il se peut que M. Cook et Redefining Water aient cru de bonne foi que M. Vollmer et VII Inc. détenaient le droit d’auteur sur le Rapport et les avaient autorisés à s’en servir de la manière dont il a été utilisé sur le site Web. Cependant, je ne peux trouver aucun motif raisonnable à une telle conviction. M. Vollmer n’a pas dit qu’il avait acquis le droit d’auteur, il n’y avait pas de licence ou de consentement tacite permettant cet usage, et le demandeur s’est bel et bien opposé à celui‑ci par un avis de cessation et d’abstention dont il n’a pas été tenu compte. Cela dit, pour les raisons déjà exposées, je ne pense pas que ces faits justifient l’attribution de dommages-intérêts préétablis qui dépasseraient 500 $.   

 

[105]       En effet, aucun élément de la preuve n’indique que le demandeur ait subi un quelconque préjudice, ou que les défendeurs aient réalisé de quelconques bénéfices, par suite de l’acte contrefaisant. Il s’agit ici d’une violation purement formelle, qui ne justifie pas que le demandeur reçoive une indemnité importante. La fixation de dommages-intérêts préétablis exige une appréciation de la réalité de l’affaire et un résultat juste. Voir Telewizja Polsat S.A. c. Radiopol Inc., 2006 CF 584, [2007] 1 R.C.F. 444 (1re inst.), paragraphes 37 et 41 à 45.

[106]       Aucun élément de la preuve ne laisse supposer l’existence d’un marché pour le Rapport, et le comportement des défendeurs durant l’instance paraît se réduire aux efforts de plaideurs désireux de ne pas céder à un demandeur qui leur réclamait la somme exorbitante de 27 000 000,00 $. Les défendeurs ont reconnu le droit d’auteur du demandeur sur le Rapport, celui‑ci a été retiré du site Web de Re‑defining Water, et la preuve ne révèle pas de comportement qui exigerait des mesures de dissuasion.

 

[107]       En conséquence, j’estime que le demandeur n’a pas droit à plus de 500 $ en dommages-intérêts préétablis, et seulement de la part de M. Cook et de Re‑defining Water, solidairement responsables.

 

Les dommages-intérêts punitifs

 

[108]       Le demandeur réclame aussi 750 000,00 $ en dommages-intérêts punitifs, soit selon son raisonnement trois fois 250 000,00 $, somme que M. Cook lui avait offerte le 27 février 2004 (pièce P‑9). Cependant, cette offre et son contexte n’ont rien à voir avec les dommages-intérêts punitifs.

 

[109]       Les dommages-intérêts punitifs ont pour objet de sanctionner une conduite abusive méritant d’être condamnée (voir Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] A.C.S. no 19). Or les faits de la présente affaire ne me paraissent pas révéler de conduite de cette nature.

 

[110]       Le demandeur n’a pas réussi à prouver de violation du droit d’auteur, sauf la violation purement formelle que représente de la part de M. Cook et Re‑defining Water l’affichage du Rapport sur le site Web de cette dernière. Le demandeur reproche à M. Cook d’avoir nié qu’il détenait le droit d’auteur sur le Rapport et à Re‑defining Water d’avoir attendu l’introduction de la présente action pour le retirer de son site Web. Il ne s’agit pas là de la sorte d’actes scandaleux qui justifie la condamnation à des dommages-intérêts punitifs. Aucun élément de la preuve ne donne à penser que M. Cook et/ou Re‑defining Water n’aient pas cru de bonne foi à l’époque pertinente que M. Vollmer et VII Inc. détenaient le droit d’auteur sur le Rapport, et l’on ne voit rien de scandaleux ou d’abusif dans le comportement suivi par les défendeurs une fois le procès commencé, étant donné le caractère considérable de la somme réclamée par le demandeur. En outre, ce dernier n’a pu prouver non plus qu’il n’avait pas autorisé les modifications apportées au Rapport ni qu’elles avaient le moindrement entaché son honneur ou sa réputation.

 

[111]       Étant donné la condition d’une conduite abusive et choquante à laquelle est subordonnée l’attribution de dommages-intérêts punitifs, il s’en faut de beaucoup que le demandeur ait établi ici le bien-fondé d’une telle décision contre l’un ou l’autre des défendeurs. Il en irait de même s’il n’y avait pas eu l’absence de consentement que la Cour a constatée. En conséquence, la Cour refuse de prononcer des dommages-intérêts punitifs.

 

Les dommages-intérêts majorés

 

[112]       Le demandeur a aussi sollicité des dommages-intérêts majorés, mais il n’a ni établi ni expliqué en quoi les faits de la présente espèce justifieraient de tels dommages-intérêts. En conséquence, la Cour refuse de prononcer des dommages-intérêts majorés.

 

[113]       Alors que les dommages-intérêts punitifs sont de nature pénale et exemplaire, les dommages-intérêts majorés visent l’indemnisation des préjudices immatériels. Voir McKinley c. BC Tel, 2001 CSC 38, [2001] 2 R.C.S. 161. Comme l’explique la Cour suprême du Canada dans Vorvis c. Insurance Corp. of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 085, [1989] A.C.S. no 46, les dommages-intérêts majorés « s’appliquent souvent à une conduite qui aurait pu donner lieu à des dommages‑intérêts punitifs, mais les dommages‑intérêts majorés demeurent indemnitaires ». Toujours dans le même arrêt, la Cour suprême invoque ensuite un passage de Waddams, The Law of Damages, 2éd., 1983, page 562, où l’on peut lire ce qui suit :

[TRADUCTION] (...) les dommages-intérêts majorés désignent des dommages-intérêts qui visent à indemniser, mais qui tiennent compte pleinement du préjudice moral, comme l’anxiété et l’humiliation, que le comportement injurieux du défendeur a pu causer.

 

[114]       La Cour suprême du Canada a aussi examiné la question des dommages-intérêts majorés au paragraphe 188 de Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, [1995] A.C.S. no 64 (QL), où elle note qu’« [o]n peut accorder des dommages‑intérêts majorés lorsque le comportement des défendeurs est particulièrement abusif ou opprimant, et accroît l’humiliation et l’anxiété [du] demandeur ». On lit aussi dans le même arrêt que, « [p]our accorder des dommages‑intérêts majorés, le jury doit conclure que le défendeur était motivé par une malveillance véritable et a ainsi accru le préjudice subi par le demandeur ».

 

[115]       Il est évident que le demandeur en l’espèce n’a pas établi le bien-fondé de sa réclamation en dommages-intérêts majorés, puisqu’il n’a pas prouvé que les défendeurs étaient motivés par la malveillance ou que leur comportement était particulièrement abusif.

 

            Les autres mesures de réparation demandées

 

[116]       Le demandeur a sollicité diverses autres mesures de réparation, dont une grande partie est maintenant inapplicable, étant donné l’évolution de la présente instance, ainsi que les concessions et les choix faits par les parties.

 

[117]       Les défendeurs ont reconnu sans réserve que le demandeur conserve tout droit d’auteur et tous droits moraux qui existent sur le Rapport. Re‑defining Water a retiré le Rapport de son site Web. Toutes les autres activités relatives au Rapport soit relèvent de l’objet de sa production, soit ont de toute façon cessé. Le demandeur a admis l’inexistence d’éléments de preuve tendant à établir que son honneur ou sa réputation aient subi un préjudice. Il n’a pas non plus prouvé l’existence de dommages ou de profits et, en tout état de cause, il a opté pour les dommages-intérêts préétablis.

 

[118]       En conséquence, rien ne justifie que la Cour prononce les jugements déclaratoires ni les injonctions sollicités par le demandeur. La seule mesure de réparation qui convient est la condamnation de M. Cook et de Re‑defining Water, solidairement responsables, à des dommages-intérêts préétablis de 500 $.

 

[119]       Les parties présenteront à la Cour des observations écrites sur la question des dépens, qui fera ultérieurement l’objet d’une ordonnance spéciale.

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

1.                  Les défendeurs Brian Cook et Re‑defining Water Inc. seront solidairement tenus de payer au demandeur la somme de 500 dollars canadiens en dommages-intérêts préétablis, à laquelle s’appliquera un intérêt annuel de 5 % qui commencera à courir à la date du présent jugement.

2.                  L’action du demandeur est rejetée sous les autres rapports.

3.                  Les parties présenteront à la Cour des observations écrites sur la question des dépens.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑949‑05

 

INTITULÉ :                                                   FREDERICK L. NICHOLAS c. 

                                                                        ENVIRONMENTAL SYSTEMS (INTERNATIONAL) LIMITED, BRIAN G. COOK, REIF WINERY INC. (exerçant son activité sous la dénomination de REIF ESTATE WINERY), KLAUS REIF et RE‑DEFINING WATER INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                         Du 12 au 16 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 12 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Frederick L. Nicholas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Wilcox

Sarah Huggins

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Frederick L. Nicholas

Friendswood (Texas), É.-U.

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Wilcox

Sarah Huggins

Torys, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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