Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100707

Dossier : IMM-6235-09

Référence : 2010 CF 732

Montréal (Québec), le 7 juillet 2010

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

GUILLERMO ANTONIO PEREZ GRANADOS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision datée du 16 novembre 2009 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le tribunal), qui a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi, rejetant ainsi sa demande d’asile.

 

Contexte factuel

[2]               Le demandeur est un citoyen du Salvador âgé de 48 ans, qui craint d’être persécuté et exposé à une menace à sa vie en raison de ses opinions politiques parce qu’il a été un participant actif du Movimiento Estudiantiles Revolucionario Salvadoreno (MERS), un groupe qui dénonce l’oppression du gouvernement de droite qui était au pouvoir ainsi que les paramilitaires associés à ce gouvernement, lorsqu’il étudiait en architecture à l’Université Nationale d’El Salvador à Santa Lucia en 1981.

 

[3]               Le demandeur aurait assisté à des réunions, distribué des dépliants et informé la population des abus du gouvernement. Il allègue qu’un de ses compagnons fut assassiné par des paramilitaires et qu’il était lui-même recherché.

 

[4]               Par conséquent, le demandeur a quitté son pays en mars 1984 pour se rendre au Mexique. Il est resté au Mexique jusqu’en avril 1985 et s’est ensuite rendu aux États-Unis, où il a demeuré jusqu’en décembre 1986, après quoi il est arrivé au Canada le 19 décembre 1986 et a revendiqué le statut de réfugié. Suivant les règles en vigueur à l’époque, il a fait une demande de résidence permanente le 29 octobre 1990. Le 20 juin 2001, le volet dispense pour considérations humanitaires a été approuvé. Toutefois, en raison des infractions criminelles dont le demandeur s’est rendu coupable en 1990, 1992 et 1996, et son défaut d’obtenir son pardon auprès de la Commission nationale des libérations conditionnelles, sa demande de résidence permanente a été rejetée. Le 14 décembre 2006, le demandeur a été interdit de territoire pour criminalité. Le 7 février 2007, le demandeur a été convoqué afin de réactiver l’étude de sa revendication du statut de réfugié.

 

[5]               Le demandeur allègue qu’il craint encore aujourd’hui les militaires et les paramilitaires de son pays ainsi que les gens de sa génération qui, à l’époque, avaient des opinions politiques diamétralement opposées aux siennes, car s’il retournait dans son pays, ils pourraient le reconnaître et se venger.

 

[6]               Le demandeur reconnaît que pendant les 23 dernières années qu’il a passées au Canada, la situation de son pays a changé, mais il craint tout de même que les persécutions soient possibles vu que les mêmes personnes qu’il craint (militaires et paramilitaires) s’y trouvent encore aujourd’hui.

 

La décision contestée

[7]               Le tribunal a reconnu que la demande d’asile du demandeur était bel et bien reliée à un des critères de la Convention, tel qu’énuméré à l’article 96 de la Loi. Toutefois, le tribunal a souligné qu’il était d’avis que si le demandeur retournait dans son pays d’origine, il avait peu de chance d’être persécuté, car il y a eu un changement de circonstances.

 

[8]               Le tribunal a conclu que les conditions que le demandeur craignait n’existent plus aujourd’hui éliminant donc la possibilité sérieuse pour celui-ci d’être persécuté advenant un retour au Salvador.

 

[9]               Le tribunal s’est toutefois montré sensible par rapport à la situation du demandeur en soulignant que celui-ci n’avait pas réussi à obtenir un statut permanent au Canada malgré le fait qu’il y vit depuis 23 années, mais que malheureusement, elle n’avait pas la juridiction en ce qui concerne les motifs humanitaires.

 

Dispositions législatives pertinentes

[10]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Question en litige

[11]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la seule question en litige est celle de savoir si la décision du tribunal à l’effet que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi en raison du changement de circonstances réel et durable survenu au Salvador depuis 1984, est raisonnable.

 

Norme de contrôle

[12]           Selon la Cour suprême du Canada au paragraphe 53 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, lorsque le tribunal entreprend un examen de questions de faits et de droit qui ne peuvent être dissociées aisément, la cour de révision fera preuve de déférence à l’égard du tribunal. La norme de contrôle applicable dans la présente affaire est la raisonnabilité. Au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

[47] [...] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[13]           De plus, cette Cour a reconnu qu’en tant que tribunal administratif spécialisé, le tribunal bénéficie d’une expertise dans les affaires où s’exerce sa juridiction. Les cours doivent traiter avec déférence les décisions de ces tribunaux lorsque basées sur l’application des articles 96 et 97 de la Loi, car il s’agit d’une question mixte de faits et de droit qui doit être revue d’après la norme de la décision raisonnable (Acosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213 [2009] A.C.F. no 270 (QL)).

 

[14]           En ce qui concerne les changements de circonstances, cette Cour a déjà déterminé que les changements de circonstances étaient une question de faits et qu’il devait donc y avoir déférence (Voir Sahiti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 364, [2005] A.C.F. no 450).

 

Analyse

[15]           La question que soulève une demande d’asile n’est pas celle de savoir si le demandeur d’asile a déjà eu, dans le passé, des motifs de craindre d’être persécuté, mais plutôt s’il a aujourd’hui, au moment où l’on statue sur sa demande, des motifs sérieux de craindre de l’être à l’avenir.

 

[16]           À cet égard, le demandeur allègue que ses problèmes seraient les mêmes aujourd’hui qu’au moment de son départ en 1984. Le défendeur, quant à lui, soutient que le tribunal a eu raison de mentionner qu’il y a eu plusieurs changements importants depuis, car la preuve indique que la signature des accords de paix en février 1992 a mis fin à la guerre civile qui sévissait depuis 1981.

 

[17]           Le demandeur allègue que le tribunal aurait dû développer son analyse davantage. La Cour est en désaccord. Dans sa décision, le tribunal a évalué la preuve documentaire – dont The Europa World Year Book 2009. 2009. « El Salvador » et États-Unis. 25 février 2009. Department of State. « El Salvador » Country Reports on Human Rights Practices for 2009 - et a conclu ce qui suit : « la documentation dans son ensemble, ne rapporte pas que des gens impliqués dans la gauche militante des années quatre-vingt, dont le groupe du demandeur, le MERS, seraient aujourd’hui à risque pour des raisons d’opinions politiques » (Décision du tribunal au para 9). Le tribunal a également souligné qu’il y a eu des changements considérables et durables puisqu’il n’y a eu aucun autre conflit guérilla gouvernement depuis 1992 et que le parti qui est maintenant au pouvoir depuis 2009, le Frente Farabundo Marti para la Liberacion Nacional (FMLN), est un parti politique légal dont les combattants ont intégré la vie civile.

 

[18]           Ayant spécifiquement abordé l’évolution politique du Salvador dans son analyse, la Cour voit difficilement comment le tribunal a commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire. Le tribunal a non seulement déterminé qu’il y a eu un changement, mais il a également souligné que ce changement, sur la base de la preuve documentaire au dossier, n’a pas eu pour conséquence que les individus liés à la gauche militante des années quatre-vingt étaient aujourd’hui à risque.

 

[19]           Comme l’a souligné cette Cour à maintes reprises, il appartient au demandeur de démontrer que sa crainte de persécution est bien fondée (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74, au par. 47).

 

[20]           Dans le cas qui nous occupe, la preuve documentaire confirme que des changements significatifs et durables sont survenus au Salvador et que la crainte du demandeur n’a plus de fondement. Par ailleurs, la conseillère du demandeur à l’audience devant le tribunal a confirmé que la menace appréhendée par le demandeur « [n’] est plus là aujourd’hui » (Dossier du Tribunal à la p. 102).

 

[21]           Pour toutes ces raisons, cette Cour conclut que le tribunal n’a commis aucune erreur qui justifie l’intervention de cette Cour. Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale et ce dossier n’en contient aucune.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE ce qui suit :

 

1.    La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6235-09

 

INTITULÉ :                                       GUILLERMO ANTONIO PEREZ GRANADOS

                                                            c.  M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 6 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      le 7 juillet 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chantal Ianniciello

 

POUR LE DEMANDEUR

Mireille-Anne Rainville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chantal Ianniciello

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.