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Date : 20100707

Dossier : T-2221-04

Référence : 2010 CF 731

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le juillet 2010

En présence de  monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

requérante

et

 

MAPLE LEAF SPORTS & ENTERTAINMENT

intimée

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s'agissait d'une requête en jugement sommaire en vertu des anciennes règles de la Cour en matière de jugements sommaires. On a modifié les Règles avant l’audition de la requête afin de prévoir la tenue de procès sommaires, mais ces modifications n’ont eu aucun effet important sur la présente affaire.

 

[2]  L'audition de la requête a donné lieu à trois jours de plaidoiries où on a cherché à établir s’il y avait quelque chose à débattre – en procès. Les parties ont plaidé la requête comme s'il s'agissait du procès sur le fond de la demande et si la preuve présentée en première instance était constituée des affidavits et des contre-interrogatoires sur ceux-ci. Il sera utile de revenir aux principes fondamentaux d'une requête en jugement sommaire.

 

[3]  L'historique de ce litige a été obscurci par des efforts visant à compliquer l’interrogatoire préalable et par des tentatives pour éviter que l'affaire soit instruite malgré les efforts déployés par le juge responsable de la gestion de l'instance. Compte tenu du temps et des efforts consacrés à la présente requête dans l'espoir de régler le litige en évitant le procès, on peut se demander s'il n'aurait pas été plus efficient pour les clients de consacrer le même temps, les mêmes efforts et les mêmes ressources  à la préparation de la cause pour la tenue d'un procès.

 

[4]  On a beaucoup parlé du temps que prendrait un procès. Il a été prétendu qu’il y aurait plus de 80 témoins, 30 jours de témoignages et ainsi de suite. Étant donné les éléments de preuve qui ont été produits à ce jour, on ne peut s'empêcher de se demander si, en se montrant un tant soit peu raisonnable et en se concentrant sur l’efficacité, certaines des estimations de la durée ne pourraient être réduites par une utilisation plus efficiente des éléments de preuve existants.

 

[5]  Comme cette requête sera rejetée, la Cour limitera ses commentaires à ce qui est absolument nécessaire, de manière à éviter toute influence sur l’instruction et sur le juge du procès.

 

II.  CONTEXTE

[6]  La requérante, communément appelée SOCAN, est une société de gestion au sens de l’article 67 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42. Elle administre les droits d’exécution de presque toutes les œuvres musicales protégées par des droits d'auteur au Canada. Cela se fait par le biais d'ententes  par lesquelles les artistes canadiens membres cèdent leurs droits à la SOCAN. La SOCAN a également conclu des ententes de réciprocité avec des organisations de droits d’exécution (ODE) similaires dans d'autres pays. Ces ententes confèrent à la SOCAN le pouvoir d’administrer les droits des membres de ces ODE (essentiellement des artistes étrangers) en leur nom. Même la nature et l'étendue du mandat de la SOCAN et l'ampleur de son champ d’action sont en cause dans ce litige. L'intimée a même contesté l'idée selon laquelle la SOCAN avait conclu des ententes de réciprocité avec pratiquement toutes les autres ODE en faisant valoir que 50 pays n'étaient pas inclus, cela malgré le fait que  tous les principaux pays le sont.

 

[7]  La SOCAN est en mesure, en vertu de ces diverses ententes, d'autoriser l'exécution publique des œuvres qui lui sont cédées lorsque l'exécution se fait au Canada. La SOCAN autorise l'exécution des œuvres (habituellement ex  post facto, c'est-à-dire après l’exécution), perçoit des redevances ou des droits en fonction de tarifs approuvés et verse les redevances aux membres dont les œuvres ont été exécutées.

 

[8]  L'intimée, Maple Leaf Sports Entertainment Ltd. (MLSE), est propriétaire-exploitante du Centre Air Canada. En plus de parties de sports, il se tient au Centre Air Canada  des concerts et autres divertissements. La plupart des concerts sont promus par des tiers qui concluent des ententes avec MLSE. La nature et le type de ces ententes, ainsi que les obligations qui en découlent, notamment en ce qui concerne l'obligation de payer des redevances, constituent un élément important du présent litige.

 

[9]  La SOCAN a intenté une poursuite contre MLSE à la fin de 2004 pour défaut de payer des redevances à l'égard de plus de 40 concerts. Le nombre de concerts en question est quelque peu une « cible mouvante » et a changé au fil du temps. La SOCAN a allégué être propriétaire des œuvres exécutées lors de ces concerts et soutenu que MLSE avait autorisé leur exécution sans obtenir de licence (avant ou après l'exécution) et n'avait pas payé les droits exigibles aux termes du  tarif applicable, soit le tarif 4A.

La SOCAN demande une déclaration de défaut de déclarer et payer et de violation, ainsi qu'une ordonnance de paiement de redevances (majorées des intérêts), de dommages-intérêts, de dommages-intérêts préétablis et de mesures de réparation accessoires.

 

[10]  L'intimée invoque de nombreux moyens de défense, y compris des délais de prescription. Elle nie que la SOCAN a les droits revendiqués, nie avoir eu connaissance des œuvres exécutées et nie être responsable des paiements puisqu'elle n'exécute pas d'« œuvres » ni n’en autorise l'exécution, affirmant que toute responsabilité incombe aux promoteurs des concerts.

Essentiellement, MLSE prétend qu’elle ne fait que louer l'espace pour la tenue des concerts et qu'elle n'a donc pas à obtenir une licence ou à payer des redevances.

 

[11]  D'après les actes de procédure et les documents présentés à la Cour relativement à la présente requête, il semble y avoir trois questions fondamentales dans le présent litige :

1)  Parmi les concerts donnés avant le 16 décembre 2002, y en a-t-il qui sont visés par un délai de prescription?

2)  La SOCAN peut-elle démontrer les éléments requis pour établir la violation du droit d'auteur, y compris, mais sans s'y limiter, la propriété, l'exécution des œuvres en question, l'absence de consentement du propriétaire et l'applicabilité des tarifs au concert?

3)  MLSE a-t-elle autorisé ou permis des exécutions portant atteinte au droit d'auteur d'une manière qui l'a rendue redevable de droits d'auteur?

 

[12]  Dans le cadre de la présente requête, la Cour doit examiner ce qui suit :

a)  s’il y a de véritables questions litigieuses;

b)  s’il y a des questions qui doivent être décidées par voie de procès sommaire;

c)  s’il des ordonnances devraient être rendues à l'égard du procès, qu'il soit tenu par voie sommaire ou autrement.

 

III.  ANALYSE

A.  Question véritable

[13]  Comme il a été indiqué précédemment, les parties ont eu tendance à axer leurs arguments sur le fond du litige et non sur la question plus restreinte de la « question véritable », qui est la pierre angulaire d'une requête en jugement sommaire.

 

[14]  Les procédures afférentes aux jugements sommaires, et maintenant aux procès sommaires, constituent des outils importants qui permettent aux tribunaux de contrôler leur charge de travail. Dans le cas particulier des jugements sommaires, la Cour suprême du Canada a confirmé leur importance dans l’administration de la justice.

[...] La règle du jugement sommaire sert une fin importante dans le système de justice civile. Elle permet d’empêcher les demandes et les défenses qui n’ont aucune chance de succès de se rendre jusqu’à l’étape du procès. L’instruction de prétentions manifestement non fondées a un prix très élevé, en temps et en argent, pour les parties au litige comme pour le système judiciaire. Il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et avantageux pour les parties, que les demandes qui n’ont aucune chance de succès soient écartées tôt dans le processus. Inversement, la justice exige que les prétentions qui soulèvent de véritables questions litigieuses susceptibles d’être accueillies soient instruites.

 

Canada (Procureur général) c. Lameman, 2008 CSC 14, paragraphe 10

 

[15]  Ces procédures sommaires ont toutefois leurs limites. L’instruction constitue la façon de régler les litiges véritables. Les gens ont le droit de s’adresser aux tribunaux pour faire trancher des réclamations légitimes. Les tribunaux doivent être conscients du fait qu’une requête en jugement sommaire peut priver une partie de l’exercice de ce droit.

 

[16]  Dans l’affaire Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. (1re instance.), [1996] 2 R.C.F. 853, notre Cour a souligné les principes généraux applicables aux jugements sommaires.

8  J'ai examiné toute la jurisprudence se rapportant aux jugements sommaires et je résume les principes généraux en conséquence :

 

1.  ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al, [1994] A.C.F. n° 1631);

 

2.  il n'existe pas de critère absolu (Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] A.C.F. nº 866), mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie.  Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;

 

3.  chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien (Blyth et Feoso);

 

4.  les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario  [R.R.O. 1990, Règl. 194]) peuvent faciliter l'interprétation (Feoso et Collie);

 

5.  saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario) (Patrick);

 

6.  le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire (Pallman et Sears);

 

7.  lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès (Forde et Sears). L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit « se pencher de près » sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher (Stokes).

 

[Je souligne.]

 

[17]  Les parties doivent « présenter leur cause sous son meilleur jour » dans une requête en jugement sommaire. Cela ne signifie pas qu’il faille transformer une requête en jugement sommaire  en procès en exigeant la présentation de toute la preuve du procès. Cela exige toutefois de présenter la meilleure preuve qui soit pour satisfaire au critère applicable à une requête en jugement sommaire et de ne pas laisser courir la promesse que de meilleurs éléments de preuve seront disponibles au procès pour montrer qu'il existe une véritable question à trancher.

Nous ajouterons ceci. Devant la Cour d’appel et devant notre Cour, la cause des demandeurs a été plaidée sur le fondement, non seulement de la preuve effectivement produite dans le cadre de la requête en jugement sommaire, mais aussi des éléments de preuve qui pourraient éventuellement être produits ou des modifications susceptibles d’être apportées advenant la tenue d’un procès. Une requête en jugement sommaire ne peut être rejetée sur la base de vagues allusions à ce qui pourrait être déposé en preuve ultérieurement si l’instance suit son cours jusqu’à l’instruction. Accepter cela irait à l’encontre de la raison d’être de la règle. Une requête en jugement sommaire doit être jugée sur la base des actes de procédure et des éléments de preuve dont le juge est véritablement saisi, et non en fonction de suppositions quant à ce qui pourrait être plaidé ou établi plus tard. […]

 

Canada (Procureur général) c. Lameman, 2008 CSC 14, paragraphe 19

 

[18]  On a beaucoup parlé du fait que la SOCAN s’appuie sur des ouï-dire et, en particulier, du fait qu’elle y a recours dans une requête en jugement sommaire, alors que l'article 81 des Règles exige une connaissance personnelle des faits énoncés dans les affidavits. La requérante a dû déposer à nouveau certains éléments de preuve et en restreindre la portée pour respecter cette exigence.

 

[19]  L’article 81 des Règles a été interprété de telle manière à permettre des exceptions fondées sur des principes établis. L’article 55 des Règles donne à la Cour cette souplesse. Il serait contraire à l'objectif des règles relatives aux jugements sommaires d'exclure toute preuve par ouï-dire, particulièrement lorsque cette preuve peut être admissible en procès. Adopter une vision trop restrictive de cet article des Règles donnerait lieu à un méfait involontaire. Une partie pourrait, dans le cadre d’une requête, être privée du droit à un procès en fonction d’une formalité sur le plan de la preuve, mais obtenir gain de cause dans un procès où le ouï-dire serait admissible.

Certaines parties de la thèse de la SOCAN dépendent de la preuve par ouï-dire quant aux œuvres qui ont été exécutées parce qu'aucune partie n'a de preuve personnelle directe sur ce point. Il serait injuste dans le cadre de la présente requête de faire fi de cette preuve par ouï-dire ou de son existence alors qu'elle pourrait être admissible en procès.

 

[20]  Au cœur de ce litige, il y a le régime associé au mandat de la SOCAN et les droits et obligations découlant de l'interprétation de ce régime. Ce régime contrôle ou influence une bonne partie, sinon la plupart, des questions en cause dans le présent litige, y compris peut-être l'admissibilité du ouï-dire. La SOCAN part du principe  que dans un régime  de redevances fondé sur l’autodéclaration, la responsabilité de la déclaration et donc de la tenue de registres incombe à ceux qui peuvent être tenus d'obtenir une licence et de payer des redevances. Dans ce cas, cette responsabilité incombe à MLSE.

MLSE nie que la SOCAN soit tenue d'avoir un système d'autodéclaration et soutient que la SOCAN a l'obligation de prouver tous les éléments de sa thèse, et qu'il n'y a pas de place pour des inférences défavorables ou l'inversion du fardeau de la preuve ou des concepts semblables qui imposent le fardeau ultime à MLSE.

 

[21]  La grande question primordiale peut être décomposée en un litige plus facile à gérer sur la question de savoir si une violation a été démontrée, si MLSE est responsable parce qu'elle a autorisé l'exécution, et si, même dans le cas où MLSE est responsable, les réclamations ou certaines des réclamations sont prescrites.

 

[22]  La SOCAN a formulé trois allégations distinctes qui tendent nécessairement à interagir les unes avec les autres et rendent ainsi les différents aspects de l'affaire difficiles à examiner isolément. Les allégations concernent une violation du droit d'auteur, l’autorisation et le défaut de paiement.

 

[23]  L'interrelation des questions en litige est illustrée par la relation entre la responsabilité quant à la violation et les délais de prescription. L'allégation de responsabilité éventuelle de MLSE repose en partie sur le paragraphe 27(5) de la Loi.

27.(5) It is an infringement of copyright for any person, for profit, to permit a theatre or other place of entertainment to be used for the performance in public of a work or other subject-matter without the consent of the owner of the copyright unless that person was not aware, and had no reasonable ground for suspecting, that the performance would be an infringement of copyright.

27.(5) Constitue une violation du droit d’auteur le fait, dans un but de profit, de permettre l’utilisation d’un théâtre ou d’un autre lieu de divertissement pour l’exécution en public d’une oeuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur sans le consentement du titulaire du droit d’auteur, à moins que la personne qui permet cette utilisation n’ait ignoré et n’ait eu aucun motif raisonnable de soupçonner que l’exécution constituerait une violation du droit d’auteur.

 

[24]  La disposition, dans le contexte de ce litige, soulève la question de la connaissance de MLSE, ou des « motifs raisonnables de soupçonner » que la violation se produirait parce que les redevances ne seraient probablement pas payées.

 

[25]  La connaissance, les attentes ou les croyances raisonnables de MLSE sont liées à son moyen de défense fondé sur la prescription en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi, qui traite également de la connaissance et des attentes raisonnables.

41. (1) Subject to subsection (2), a court may not award a remedy in relation to an infringement unless

 

 

(a) in the case where the plaintiff knew, or could reasonably have been expected to know, of the infringement at the time it occurred, the proceedings for infringement are commenced within three years after the infringement occurred; or

 

(b) in the case where the plaintiff did not know, and could not reasonably have been expected to know, of the infringement at the time it occurred, the proceedings for infringement are commenced within three years after the time when the plaintiff first knew, or could reasonably have been expected to know, of the infringement.

 

 

 (2) The court shall apply the limitation period set out in paragraph (1)(a) or (b) only in respect of a party who pleads a limitation period.

41. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le tribunal saisi d’un recours en violation ne peut accorder de réparations que si

 

 

a) le demandeur engage des procédures dans les trois ans qui suivent le moment où la violation a eu lieu, s’il avait connaissance de la violation au moment où elle a eu lieu ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait eu connaissance à ce moment;

 

b)  le demandeur engage des procédures dans les trois ans qui suivent le moment où il a pris connaissance de la violation ou le moment où il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait pris connaissance, s’il n’en avait pas connaissance au moment où elle a eu lieu ou s’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait eu connaissance à ce moment.

 

 

 (2) Le tribunal ne fait jouer la prescription visée aux alinéas (1)a) ou b) qu’à l’égard de la partie qui l’a invoquée.

 

[26]  Ces questions soulèvent celle de l'obligation de déclaration de MLSE ainsi que des obligations de la SOCAN quant à la surveillance de l’exécution. La résolution de ces enjeux est au moins partiellement guidée par les faits et dépend de la qualité de la preuve et de la crédibilité des positions respectives.

 

[27]  En ce qui concerne les concerts précis en cause, les questions liées à la violation et au paiement sont rendues plus complexes par le refus de la SOCAN d'accepter les offres de paiement faites par MLSE pour certains des concerts.

 

[28]  Dans le cadre de la requête, l'intimée a présenté à la Cour les détails de chacun des concerts en question. MLSE prétend que la SOCAN n'a pas [traduction] « présenté sa cause sous son meilleur jour » parce qu'elle s'appuyait sur des preuves par ouï-dire (des prestations filmées sur des vidéos granuleux affichés sur YouTube  et des articles de Wikipédia décrivant des artistes et leurs chansons).

 

[29]  Il s'agit d'une affirmation quelque peu fallacieuse étant donné les efforts que MLSE a déployés pour empêcher la communication de la preuve avant l’instruction. Certaines des lacunes minant la preuve de la SOCAN sont imputables à son incapacité à obtenir de façon utile les éléments de preuve de MLSE, y compris la [traduction] « liste des morceaux joués » que MLSE a récemment découverte lorsqu’elle a finalement accepté de poser des questions aux anciens employés au sujet des concerts en question.

 

[30]  Il y a indubitablement des difficultés sur le plan de la preuve pour la SOCAN. La SOCAN semble s'appuyer sur le ouï-dire pour faire valoir ses arguments sur le fond. Elle devra convaincre le juge du procès que cette preuve est fiable et nécessaire. Pourra avoir une incidence sur ces deux critères  la question de savoir qui était la personne à qui incombait l'obligation de conserver des preuves de l’exécution, ce qui  en retour, est lié au type de régime imposé pour la SOCAN ou par celle-ci. Ce sont des questions qu'il vaut mieux laisser au juge de première instance pour qu’il fasse toute la lumière.

 

[31]  La Cour a visionné les bandes vidéo et, même si elles ne sont pas susceptibles de gagner un prix pour la cinématographie, elles ne sont vraisemblablement pas pires, par exemple, que  certaines vidéos de surveillance utilisées dans les procès. Un juge pourra être prêt à admettre cette preuve et à évaluer son poids à mesure que les circonstances de l'affaire évolueront. Il serait prématuré de tirer une conclusion définitive sur l'admissibilité de ces éléments de preuve et d'exclure la tenue d’un procès pour ce motif.

 

[32]  Une autre question cruciale qui concerne tous les concerts en question est celle de l'autorisation par MLSE de l'exécution d'œuvres dont la SOCAN détient le droit d'auteur. MLSE adopte la position selon laquelle elle loue simplement l'espace aux promoteurs et n'autorise pas l'exécution d'œuvres en particulier. L'intimée s'appuie en grande partie sur l'arrêt De Tervagne c. Beloeil (Ville) (1re inst.), [1993] 3 C.F. 227.

 

[33]  Il est évident que chaque concert fait l’objet d’une négociation distincte et qu’un contrat est rédigé à l’égard de chacun. Dans certains cas, MLSE paie des redevances au nom du promoteur, et dans d'autres non. La SOCAN considère qu'il faut examiner chaque contrat en détail en se concentrant sur des aspects comme le contrôle ou l'influence de MLSE sur l’exécution, ses intérêts financiers dans l’exécution, ses efforts en vue de se libérer de ses responsabilités en les refilant aux promoteurs et son indifférence à l’égard des droits de la SOCAN et de ses membres.

 

[34]  L'autorisation et le contrôle sont des questions mixtes de droit et de fait. Elles dépendent souvent d’un ensemble de facteurs qui nécessitent une analyse détaillée. Les facteurs sont liés à des questions déjà soulevées en rapport avec les paragraphes 27(5) et 41(1) de la Loi. Il s'agit d'un cas parmi d'autres où la complexité de la loi et des faits est telle qu'il y a une véritable question à trancher.

 

[35]  Une autre question, quelque peu unique celle-là, est celle de savoir si la SOCAN a le droit d’invoquer une violation lorsque l'artiste assurant la prestation est également le créateur de l'œuvre. MLSE affirme qu'il y a manifestement consentement de l'artiste ou de l’interprète pour l’exécution de l'œuvre et que, par conséquent, la SOCAN n'a aucun droit de réclamer des redevances.

 

[36]  Est pertinente la question de savoir si des redevances sont payables à la SOCAN dans le contexte d’une cession exclusive à la SOCAN ou lorsque d'autres parties peuvent avoir un intérêt dans les œuvres. Il est clairement défendable de faire valoir qu'un cessionnaire a le droit d'intenter des poursuites pour des redevances dans de telles circonstances.

 

[37] Enfin, l'intimée a soulevé la question des délais de prescription, soit en vertu des lois de l'Ontario (deux ans), soit selon la Loi sur le droit d'auteur (trois ans). Indépendamment de cette question assurément susceptible d'être instruite, la situation est compliquée par le principe de la « possibilité de découverte ». Les parties reconnaissent que ce principe s'applique ici.

 

[38]  Une question importante dans ce contexte est le moment où les actes de violation sont devenus susceptibles de découverte. La réponse à cette question mène à la question des responsabilités respectives des parties en matière de tenue de dossiers, de surveillance des prestations et d'obtention de licences. La question boucle la boucle quand nous revenons à la question générale de la nature et du fonctionnement du régime de la SOCAN et des droits et obligations qui en découlent.

 

[39]  Il y a une foule d'autres questions soulevées dans ce litige. Ce qui précède suffit à convaincre la Cour qu'elle ne peut pas être persuadée que les questions en litige ne justifient pas la tenue d’un procès. Entrent ici en jeu des questions juridiques complexes et des décisions difficiles en matière de preuve, y compris des questions d'admissibilité et de crédibilité qui font que la présente affaire ne se prête pas à une détermination par voie de jugement sommaire.

 

B.  Détermination par voie de procès sommaire

[40]  Bien qu'aucune des parties n'ait fortement fait valoir l'argument selon lequel une ou plusieurs questions devraient être isolées et décidées par voie de procès sommaire, la Cour a le devoir d'examiner la question.

 

[41]  Dans l’affaire Inspiration Management Ltd. c. McDermid St. Lawrence Ltd. (1989), 36 B.C.L.R. (2d) 202, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a énoncé un certain nombre de facteurs qu'un juge devrait prendre en considération pour décider si un procès sommaire est indiqué : [traduction]

·  la somme en cause;

·  la complexité de l’affaire;

·  le coût d’un procès traditionnel par rapport à la somme réclamée;

·  le déroulement de l’instance.

 

[42]  À cette liste viennent s'ajouter d’autres facteurs soulevés dans l’affaire Dahl c. Royal Bank of Canada, 2005 BCSC 1263 : [traduction]

·  le litige est-il vaste et un procès sommaire prendra-t-il beaucoup de temps?

·  la crédibilité est-elle un facteur crucial et y a-t-il eu un contre-interrogatoire sur les affidavits?

·  le procès sommaire risque-t-il fortement d'entraîner un gaspillage de temps et d'efforts et de compliquer les choses inutilement?

·  le processus du procès sommaire aboutit-il à un morcellement du litige?

 

[43]  Après avoir examiné ces facteurs, la Cour n'est pas convaincue que des procès sommaires portant sur une ou plusieurs questions soient indiqués dans ces circonstances.

 

[44]  La complexité des questions n'est pas en soi une raison d'éviter les procès sommaires ou les jugements sommaires. Cependant, dans ce cas, il n'y a pratiquement aucune question de droit pur, et les faits sous-jacents à la plupart des autres questions sont contestés.

 

[45]  Sans vouloir m’immiscer dans les questions qui relèvent du juge du procès, je soulignerai que la crédibilité et la vraisemblance seront vraisemblablement en jeu. Cela ressort clairement d’une partie du contre-interrogatoire. Les explications quant à la négociation des contrats, aux attentes des parties et à la fiabilité de la preuve par ouï-dire sont toutes des questions qui seront mieux résolues dans le cadre d’une instruction où le juge a une vue d’ensemble de la situation.

 

[46]  Compte tenu de la façon dont le litige s'est déroulé jusqu'à maintenant, même dans le cadre de la présente requête, la Cour estime qu’il y a peu de chances de réaliser des économies importantes de temps, d'argent ou d'efforts si certaines des questions sont décidées par voie de procès sommaire. Il y a aussi la question de l'incidence d'un jugement sommaire sur le reste de l'affaire et sur le juge du procès qui en est saisi.

 

[47]  En raison de l'interrelation entre les questions, le recours à un procès sommaire ne serait pas efficace ou efficient et entraînerait un « morcellement du litige ». Il n'y a pas de question particulière qui puisse être facilement isolée et qui puisse être déterminante de l’affaire. Même la défense concernant les délais de prescription ne s'applique qu'à certaines des prestations en cause.

Par conséquent, un procès sommaire ne sera pas ordonné. Il est plus efficace et efficient d'aborder toutes les questions en même temps en fonction de l’ensemble des éléments de preuve.

 

C.  Autres ordonnances

[48]  La Cour est d'avis que, compte tenu de l'ensemble des circonstances, la solution la plus efficace et efficiente consiste à renvoyer l'affaire au juge responsable de la gestion de l'instance, qui peut désormais forcer les parties à « aller de l’avant » d'une façon ou d'une autre. Des échéanciers pourront être fixés, et des méthodes d'utilisation des éléments de preuve ou  d'abrégement des témoignages pourront être explorées.

 

[49]  Il pourra être utile de fixer d'abord une date pour l’instruction, puis d'établir l’échéancier préalable à l’instruction de manière à respecter cette date d’instruction.

 


IV.  CONCLUSION

[50]  La requête sera rejetée, avec dépens adjugés à la requérante immédiatement.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée, avec dépens adjugés à la requérante immédiatement.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-2221-04

 

INTITULÉ :  SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE

 

  et

 

  MAPLE LEAF SPORTS & ENTERTAINMENT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto et Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Les 14 et 15 avril 2010 (Toronto)

  Le 1er juin 2010 (Ottawa)

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

ET ORDONNANCE :  Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS
ET DE L’ORDONNANCE :
  Le 7 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Madame D. Lynne Watt

Gilles M. Daigle

Roger S. Tam

 

POUR LA REQUÉRANTE

 

Monsieur Glen A. Bloom

Madame Diane Cornish

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA REQUÉRANTE

 

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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