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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20100707

Dossier : IMM-6345-09

Référence : 2010 CF 729

Montréal (Québec), le 7 juillet 2010

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

NIKOLETTA KALLAI

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision datée du 4 novembre 2009 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le tribunal), selon laquelle le tribunal a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

Le contexte factuel

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Hongrie et elle est gitane (Rom). Elle allègue être victime de persécution et de discrimination en raison de son origine Rom.

 

[3]               La demande d’asile de la demanderesse est essentiellement basée sur l’événement suivant : en novembre 2007, la demanderesse allègue avoir été victime d’une agression dans le métro au cours de laquelle des skinheads l’ont entouré, menacé et frappé.

 

[4]               Après s’être échappée, la demanderesse est allée au poste de police pour dénoncer l’événement. On lui aurait dit que la police ne pouvait rien faire puisqu’elle n’était pas en mesure d’identifier ses agresseurs.

 

[5]               En mars 2008, la demanderesse est venue rejoindre son père au Canada et a demandé l’asile en septembre de la même année.

 

La décision contestée

[6]               Le tribunal a décidé que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de repousser au moyen d’une preuve claire et convaincante que la Hongrie était incapable d’assurer sa protection. Après avoir examiné la preuve documentaire et testimoniale, le tribunal a noté que même si la situation des Roms n’est pas idéale, car de nombreux préjugés persistent à leur égard, le gouvernement hongrois a pris des initiatives pour enrayer les stéréotypes et pour venir en aide aux victimes d’actes de discrimination.

[7]               D’ailleurs, le tribunal a rapporté que selon la preuve documentaire, la Hongrie, pays membre de l’Union européenne, a un gouvernement qui respecte de façon générale les droits de ses citoyens.

 

[8]               Le tribunal a ajouté qu’au mois de mai 2008, le premier ministre hongrois a désigné un Commissaire spécial chargé de présider le nouveau comité interministériel qui coordonne la politique gouvernementale au sujet des Roms auprès de qui toute personne peut déposer une plainte si elle croit qu’une violation de ses droits en tant que membre d’une minorité nationale ou ethnique a eu lieu. Le tribunal a souligné que le site internet du Commissaire présente des instructions détaillées sur la procédure à suivre pour déposer une plainte et que cette dernière peut viser le corps policier, le service national de sécurité et les forces armées.

 

[9]               Par ailleurs, le tribunal a mentionné que le ministère de la Justice gère désormais un réseau qui procure de l’aide juridique gratuite aux Roms qui prétendent avoir été victimes de discrimination en raison de leurs origines. Le tribunal a aussi souligné qu’il était possible d’obtenir de l’aide de la part d’organisations non gouvernementales comme le Bureau de défense juridique des minorités nationales et ethniques (NEKI) qui entame des procédures judiciaires et représente les personnes victimes de discrimination ethnique ou nationale devant les autorités hongroises.

 

[10]           En ce qui a trait à l’événement particulier rapporté par la demanderesse, le tribunal a évalué que la plainte a été traitée par les policiers. La demanderesse a déclaré qu’elle s’attendait à ce que les policiers arrêtent les agresseurs, mais le tribunal a souligné qu’il pouvait être difficile pour les policiers de procéder aux arrestations si la demanderesse ne connaissait pas l’identité de ses agresseurs.

 

[11]           Le tribunal a également indiqué que malgré le fait que la demanderesse ait été victime de discrimination, elle a pu poursuivre ses études. De plus, le fait qu’elle n’ait jamais rapporté d’autres incidents à la police ou fait appel à d’autres mécanismes ou organismes démontre qu’elle n’a pas épuisé les recours qui s’offraient à elle. Le tribunal a donc conclu que (i) même si la demanderesse a été victime de discrimination, cela n’équivaut pas à de la persécution au sens de l’article 96 de la Loi et, (ii) la demanderesse n’a pas établi qu’il existait un risque sérieux qu’elle soit personnellement exposée à de la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruelles et inusitées au sens de l’article 97 de la Loi.

 

Dispositions législatives pertinentes

[12]           Les dispositions suivantes de la Loi s'appliquent en l’espèce :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Question en litige

[13]           Dans le présent contrôle judiciaire, la seule question en litige est celle de savoir si la décision du tribunal à l’effet que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi est raisonnable.

 

 

 

Norme de contrôle

[14]           La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au par. 51, reconnaît « qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement ».

 

[15]           De plus, cette Cour a reconnu que l’application des articles 96 et 97 de la Loi est une question mixte de droit et de fait qui doit être revue d’après la norme de la décision raisonnable (Acosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, [2009] A.C.F. n270 (QL)).

 

Analyse

[16]           La question déterminante que devait analyser le tribunal portait sur la disponibilité de la protection de l’État en Hongrie. À ce sujet, la demanderesse a exposé les principes de la protection de l’État en citant l’arrêt Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 359, [2006] A.C.F. no 439, au par. 27, selon lequel mon collègue, le juge Martineau, s’est exprimé de la manière suivante sur la question de la protection de l’État :

[27] Pour déterminer si le revendicateur d'asile a rempli son fardeau de preuve, la Commission doit procéder à une véritable analyse de la situation du pays et des raisons particulières pour lesquelles le revendicateur d'asile soutient qu'il « ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection » de son pays de citoyenneté ou de résidence habituelle (alinéas 96a) et b) et sous-alinéa 97(1)b)(i) de la Loi). La Commission doit considérer non seulement la capacité effective de protection de l'État mais également sa volonté d'agir. À cet égard, les lois et les mécanismes auxquels le demandeur peut avoir recours pour obtenir la protection de l'État peuvent constituer des éléments qui reflètent la volonté de l'État. Cependant, ceux-ci ne sont pas en eux-mêmes suffisants pour établir l'existence d'une protection à moins qu'ils ne soient mis en oeuvre dans la pratique : voir Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1081, [2003] 2 C.F. 339 (C.F. 1re inst.); Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 429, [2003] 4 C.F. 771 (C.F. 1re inst.).

 

[17]           Le défendeur soutient pour sa part que la demanderesse n’a pas été en mesure de réfuter la présomption, par une preuve claire et convaincante, qu’il y a eu effondrement complet de l’appareil étatique hongrois ou que la protection accordée par la Hongrie est insuffisante (Canada (Procureur général) c. Ward [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74).

 

[18]           Dans l’arrêt Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. no 399, au par. 38, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée de la façon suivante quant à la charge, la norme et la qualité de la preuve d’une allégation d’insuffisance ou d’inexistence de la protection de l’État envers un de ses citoyens :

[38] […] Le réfugié qui invoque l'insuffisance ou l'inexistence de la protection de l'État supporte la charge de présentation de produire des éléments de preuve en ce sens et la charge ultime de convaincre le juge des faits que cette prétention est fondée. La norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités, sans qu'il soit exigé un degré plus élevé de probabilité que celui que commande habituellement cette norme. Quant à la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption de la protection de l'État, cette présomption se réfute par une preuve claire et convaincante de l'insuffisance ou de l'inexistence de ladite protection.

 

 

[19]           En l’espèce, la décision du tribunal démontre qu’il a apprécié et analysé la preuve documentaire qui lui a été soumise en référant notamment aux documents suivants vu la situation en Hongrie dans le cadre de son analyse : États-Unis. 25 février 2009. Department of State. « Hungary ». Country Reports on Human Rights Practices for 2008; Conseil de l’Europe. 29 mars 2006. Commissaire aux droits de l’homme. Rapport de suivi sur la Hongrie (2002-2005); HUN100494.EF. 22 septembre 2005. Information sur les recours à la disposition d’une personne désirant porter plainte pour inaction policière devant un crime ou dans une affaire de harcèlement ou de discrimination; organismes qui offrent leur aide dans de tels cas (janvier 2003-août 2005).

 

[20]           La demanderesse soutient toutefois que sa plainte ne s’est jamais rendue devant un tribunal parce que les policiers n’ont pas poursuivi l’enquête. Cette Cour est en désaccord avec les prétentions de la demanderesse et est plutôt d’avis qu’il était raisonnable pour le tribunal, dans les circonstances, de conclure qu’il ne pouvait s’agir de mauvaise volonté de la part des policiers. En effet, la demanderesse n’a fait appel à la police qu’à une seule reprise. La demanderesse a été de plus dans l’incapacité d’identifier ses agresseurs. Tout au plus, n’a-t-elle donné qu’une description très générale de ces derniers. Quant à la preuve documentaire, elle ne démontre aucunement que la police ait refusé de l’aider. La police a en effet traité la plainte et la demanderesse en a reçu copie (Dossier du Tribunal à la p. 152). La police a toutefois été dans l’impossibilité d’arrêter qui que ce soit étant donné le manque d’informations au sujet de l’identité des agresseurs.

 

[21]           Comme l’a clairement souligné la procureure du défendeur à l’audience devant cette Cour, la demanderesse avait l’obligation de solliciter la protection de son pays de nationalité avant de demander la protection internationale, ce qu’elle n’a pas fait en admettant avoir porté plainte auprès de la police qu’une seule fois sans solliciter l’aide d'aucun autre organisme mis en place pour aider les victimes de discrimination Roms dans la société hongroise.

 

[22]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la décision du tribunal selon laquelle la demanderesse n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante et qu’elle n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que si elle retournait en Hongrie, elle serait personnellement exposée à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruelles et inusitées, est raisonnable. Cette demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée. La présente demande ne soulève aucune question importante de portée générale.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE CE QUI SUIT :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

  1. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6345-09

 

INTITULÉ :                                       NIKOLETTA KALLAI  c.  M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 5 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      le 7 juillet 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrizia Ruscio

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Émilie Tremblay

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patrizia Ruscio

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

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