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Date : 20100630

Dossier : IMM-5625-09

Référence : 2010 CF 720

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 30 juin 2010

En présence de Monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

MIN JUNG KIM

JI HOON KIM

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, soit une mère, Min Jung Kim, et son fils mineur, Ji Hoon Kim, sont tous deux citoyens de la Corée du Nord, qu’on appelle par euphémisme la République populaire démocratique de Corée. Ils ont demandé l’asile au Canada, mais cette demande a été refusée par une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 26 octobre 2009. Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai cette demande, j’annulerai la décision de la Commission et je renverrai la présente affaire à un autre commissaire pour nouvel examen.

 

[2]               La demanderesse Min Jung Kim est une mère monoparentale d’origine et de nationalité nord-coréenne. Le père de son fils, Ji Hoon Kim, est un citoyen de la Corée du Nord d’origine chinoise. Le père n’a pas de relation continue avec les demandeurs. Étant donné que la demanderesse est une mère monoparentale d’un enfant issu de parents d’origines différentes, elle est effectivement mise à l’écart en Corée du Nord tant sur le plan social qu’économique. Elle a été incapable de se trouver un emploi et donc incapable de se procurer de la nourriture par les voies normales en Corée du Nord.

 

[3]               Les demandeurs ont traversé la frontière pour aller en Chine où leurs conditions de vie n’étaient pas meilleures. Seuls des emplois marginaux étaient disponibles. Les demandeurs ont subvenu aux besoins de la vie courante principalement grâce à la générosité occasionnelle d’autres personnes. Parce qu’ils ont fui la Corée du Nord, leur retour dans ce pays les aurait exposés à des représailles, à de plus grandes difficultés et possiblement à des risques d’exécution. Par l’entremise de personnes qui offrent de tels services, les demandeurs ont fui la Chine et se sont rendus au Canada pour demander l’asile.

 

[4]               D’après le dossier, il est manifestement impensable que les demandeurs retournent en Corée du Nord, ni même en Chine, où ils seraient exposés à de grandes difficultés et seraient marginalisés sur le plan social. La seule question qui doit être examinée compte tenu des présentes circonstances est de savoir si la Corée du Sud peut donner l’asile aux demandeurs et, dans l’affirmative, selon quelles conditions. De plus, il pertinent de se demander si le fait d’entamer des procédures pour demander l’asile en Corée du Sud empêche les demandeurs de déposer une demande d’asile au Canada.

 

[5]               Pour examiner cette question, il est nécessaire de commencer par une analyse de la décision de la Cour fédérale dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 F.C.R. 429. Le juge Décary, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit aux paragraphes 19 à 23 que lorsque l’acquisition de la citoyenneté dans autre pays est une question de « simples formalités » ou consiste à déterminer si le demandeur a le « pouvoir » d’obtenir la citoyenneté, le Canada refusera de lui accorder la qualité de personne à protéger. Voici ce qu’il a dit :

19     Il est acquis aux débats que la qualité de personne à protéger est refusée s'il est démontré qu'au moment de l'audience le demandeur a le droit, par de simples formalités, d'acquérir la citoyenneté (ou la nationalité, les deux termes étant employés de façon interchangeable dans ce contexte) d'un pays déterminé à l'égard duquel il n'a aucune crainte fondée d'être persécuté.

20     Ce principe découle d'une longue suite de décisions commençant par les arrêts rendus par notre Cour dans les affaires Canada (Procureur général) c. Ward, [1990] 2 C.F. 667 (C.A.), et Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Akl (1990), 140 N.R. 323 (C.A.F.), dans lesquels il a été jugé que, si un demandeur d'asile possède la citoyenneté de plusieurs pays, il doit démontrer qu'il a raison de craindre d'être persécuté dans chacun des pays dont il a la citoyenneté avant de pouvoir demander l'asile dans un pays dont il n'est pas un ressortissant. Notre décision dans l'affaire Ward a été confirmée par la Cour suprême du Canada (au paragraphe 12 des présents motifs) et ce principe a finalement été consacré par la Loi, à l'article 96, qui parle de « tout pays dont elle a la nationalité » .

21     Dans un autre jugement rendu avant que la Cour suprême du Canada ne rende l'arrêt Ward, le juge Rothstein (alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale) a, dans l'affaire Bouianova c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993), 67 F.T.R. 74, élargi la portée de l'arrêt Akl de notre Cour. Il a déclaré que si, au moment de l'audience, le demandeur a le droit d'acquérir la citoyenneté d'un pays déterminé en raison de son lieu de naissance et que cette acquisition peut se matérialiser par l'accomplissement de simples formalités, ne permettant pas ainsi à l'État en question de refuser de lui accorder la qualité revendiquée, le demandeur est censé se réclamer de la protection de cet État et se verra refuser la qualité de réfugié au Canada sauf s'il démontre qu'il craint avec raison d'être persécuté également dans cet autre pays dont il a la nationalité.

22     Je souscris entièrement aux motifs du juge Rothstein et en particulier au passage suivant, au paragraphe 12 :

Le fait de ne pas avoir de nationalité ne doit pas relever du contrôle d'un [demandeur].

Le véritable critère est, selon moi, le suivant: s'il est en son pouvoir d'obtenir la citoyenneté d'un pays pour lequel il n'a aucune crainte fondée d'être persécuté, la qualité de réfugié sera refusée au demandeur. Bien que des expressions comme « acquisition de la citoyenneté de plein droit » ou « par l'accomplissement de simples formalités » aient été employé[e]s, il est préférable de formuler le critère en parlant de « pouvoir, faculté ou contrôle du demandeur », car cette expression englobe divers types de situations. De plus, ce critère dissuade les demandeurs d'asile de rechercher le pays le plus accommodant, une démarche qui est incompatible avec l'aspect « subsidiaire » de la protection internationale des réfugiés reconnue dans l'arrêt Ward et, contrairement à ce que l'avocat de l'intimé a laissé entendre, ce critère ne se limite pas à de simples formalités comme le serait le dépôt de documents appropriés. Le critère du « contrôle » exprime aussi une idée qui ressort de la définition du réfugié, en l'occurrence le fait que l'absence de « volonté » du demandeur à accomplir les démarches nécessaires pour obtenir la protection de l'État entraîne le rejet de sa demande d'asile à moins que cette absence s'explique par la crainte même de persécution. Le paragraphe 106 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, [Genève, 1992] précise bien que « [c]haque fois qu'elle peut être réclamée, la protection nationale l'emporte sur la protection internationale » . Dans l'arrêt Ward, la Cour suprême du Canada fait observer, à la page 752, que « [l]orsqu'il est possible de l'obtenir, la protection de l'État d'origine est la seule solution qui s'offre à un demandeur » .

23     Le principe énoncé par le juge Rothstein dans la décision Bouianova est suivi et appliqué depuis au Canada. Il importe peu que la citoyenneté d'un autre pays ait été obtenue de naissance, par naturalisation ou par succession d'États, pourvu que le demandeur ait la faculté de l'obtenir. (Les dernières décisions à cet égard sont celle du juge Kelen dans l'affaire De Barros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 283, et celle de la juge Snider dans l'affaire Choi c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 291.)

 

[6]               Cette décision exige que la Commission examine le degré de contrôle qu’un demandeur pourrait avoir sur le processus de demande de citoyenneté dans un autre pays. Voici ce que j’ai écrit dans Crast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 146, [2007] F.C.J. no 195, au paragraphe 24 :

24     Ensuite, la Commission ne traite pas de la question du degré de contrôle qu’un demandeur cherchant à recouvrer sa citoyenneté doit avoir sur la réussite du résultat final. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Williams, indique que, si le recouvrement de la citoyenneté est une simple question de formalités, le contrôle est certain. En l’espèce, on exige davantage que de simples formalités, car la résidence et une demande à la cour fédérale sont exigées. La preuve indique que le résultat ne peut être prévu avec certitude. Dans ses motifs, la Commission n’a pas évalué le degré de certitude. Rien n’indique que l’on a tenu dûment compte de la preuve. Les conclusions de la Commission ne sont pas raisonnables.

 

[7]               Le juge Russell, de notre Cour, a examiné plus récemment ces questions dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigraton) c. Ma, 2009 CF 779, où il semble que le ministre (qui était le demandeur dans cette affaire) désirait approfondir les questions et imposer au demandeur d’asile (le défendeur dans cette affaire) le fardeau de prouver qu’il était [traduction] « plus probable qu’improbable » que la demande de citoyenneté soit rejetée. Le juge Russell a rejeté cet argument au motif qu’il imposait un fardeau intolérable à un demandeur d’asile. Bien qu’un demandeur ait le pouvoir de demander la citoyenneté, l’État a le pouvoir ultime de l’accorder ou non. Voici ce que le juge Russell a écrit aux paragraphes 117 à 120 :

[traduction]

 

117     La preuve dont a été saisie la Commission démontre que les défendeurs n’avaient pas le pouvoir d’obtenir la citoyenneté chinoise, soit le critère établi dans Williams. Les enfants seraient exposés à divers problèmes et Shirley a démontré qu’elle serait probablement forcée de subir une stérilisation.

 

118     Le demandeur désire approfondir la question afin que les défendeurs soient tenus de prouver qu’il était plus probable qu’improbable que leur demande de citoyenneté en Chine soit refusée. En fait, lors de l’audience relative à la demande d’asile et dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur allègue également que les défendeurs étaient tenus de prouver qu’ils avaient fait une demande d’asile en Chine et que cette demande avait été refusée.

 

119     Selon moi, c’est à bon droit que la Commission a rejeté cet argument au motif qu’il était contraire à la décision Williams. Or, cette allégation démontre que le demandeur veut approfondir la question. À mon avis, étendre notre examen au-delà de la décision Williams afin de faire ce que le demandeur sollicite aurait pour effet d’imposer un fardeau intolérable à des personnes qui sont dans la même situation que les défendeurs.

 

120     Les défendeurs ont certainement le pouvoir de déposer une demande d’asile en Chine, mais, selon la preuve, ceux-ci n’avaient pas le pouvoir de l’obtenir et la Commission a constaté, d’après la preuve, qu’ils ont éprouvé de grandes difficultés dans le cadre de ce processus.

 

[8]               Par conséquent, le degré de contrôle qu’un demandeur d’asile peut avoir à l’égard de l’acquisition de la citoyenneté dans un autre pays devient une question fondamentale. Une telle question exige donc qu’on examine les lois, la jurisprudence, les pratiques et les politiques de ce pays. Dans un monde idéal, un tel examen devrait se faire en se fondant sur l’avis de juristes pouvant pratiquer dans le pays en question et possédant une expertise dans ce domaine. Ces avis sont considérés comme des questions de fait, mais comprennent des questions de droit.

 

[9]               Dans un monde imparfait, où le demandeur d’asile dispose habituellement de fonds et de ressources limités pour préparer sa cause, on doit se référer à d’autres sources pour obtenir des informations sur la situation réelle dans l’autre pays. En l’espèce, les demandeurs n’ont été avisés que quelques jours avant l’audience qu’on examinerait la question de savoir s’ils pouvaient obtenir la citoyenneté sud-coréenne.

 

[10]           Les éléments de preuve dont a été saisie la Commission comprenaient un article de journal, un article de doctrine, une « réponse aux demandes d’information » ainsi que d’autres documents. Certains de ces documents ont été mentionnés dans les motifs de la commissaire. Elle a conclu, au paragraphe 13, que l’octroi de la citoyenneté sud-coréenne à des citoyens de la Corée du Nord est automatique en vertu de la constitution de la Corée du Sud.

 

[11]           Toutefois, la commissaire semble avoir changé d’avis au paragraphe 15 de ses motifs où elle souligne que la Corée du Sud a le « pouvoir discrétionnaire » d’accorder la citoyenneté ou non selon que les demandeurs ont « la volonté et le désir » de vivre en Corée du Sud. Néanmoins, la commissaire a conclu au paragraphe 21 de ses motifs que l’octroi de la citoyenneté est « automatique » :

[21]     Le tribunal estime que l’élément de preuve selon lequel un représentant de l’ambassade de la Corée du Sud a dit que « la volonté et le désir » du demandeur constituaient des critères appuyant l’octroi de la citoyenneté qui ne l’emportent pas sur les éléments de preuve voulant que l’octroi de la citoyenneté soit automatique. Une interprétation franche de l’exigence selon laquelle les demandeurs doivent « exprimer leur intention d’être protégés », tel qu’il est indiqué ci‑dessus, ne sous-entendrait rien de plus que le fait que la personne doit solliciter la protection. Tout demandeur doit montrer une intention; le tribunal estime, en réalité, que cela signifie que la personne doit présenter une demande. Comme il a été souligné précédemment, aussitôt fait, le processus d’acceptation automatique est lancé.

 

[12]           L’avocate du ministre fait valoir que cette conclusion doit être acceptée à condition qu’elle soit « raisonnable ». Je ne suis pas d’accord – cette conclusion peut seulement être acceptée si elle est correcte. Le droit de demander la citoyenneté dans un pays étranger est, comme je l’ai dit précédemment, une question qui met en jeu les lois, les pratiques, la jurisprudence et les politiques de ce pays; de tels renseignements sont obtenus auprès de juristes qui connaissent le droit de ce pays et qui ont une expertise dans ce domaine. De tels avis sont déposés devant les tribunaux à titre d’éléments de preuve et lorsque les opinions divergent, les tribunaux doivent alors résoudre le conflit. Le règlement d’un tel conflit peut être examiné par un tribunal d’instance supérieure. Or, il ne s’agit pas simplement de déterminer si la décision rendue par la cour d’instance inférieure était « raisonnable ». La norme « déférente » de la raisonnabilité énoncée par la Cour suprême au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, lorsqu’il s’agit de statuer sur une loi étrangère, doit être examinée selon la norme de la décision correcte, suivant la distinction faite par la Cour suprême au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir.

 

[13]           Il ne s’agit pas d’une situation où les questions juridiques et factuelles sont entrelacées à un tel point qu’elles ne peuvent aisément être dissociées, tel qu’il est énoncé au paragraphe 53 de Dunsmuir. La loi d’un pays étranger est une question de fait, mais une décision fondée sur de tels faits n’est pas entrelacée de la façon décrite au paragraphe 53 de Dunsmuir. Je reproduis les paragraphes 47, 50 et 53 :

47     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[…]

 

50     S’il importe que les cours de justice voient dans la raisonnabilité le fondement d’une norme empreinte de déférence, il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit.  On favorise ainsi le prononcé de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit.  La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur.  En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose.  La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

[…]

 

53     En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Mossop, p. 599‑600; Dr Q, par. 29; Suresh, par. 29‑30).  Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.

 

[14]           Je souligne que dans la décision Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 583, au paragraphe 15, le juge Lemieux était également d’avis que la norme de contrôle est celle de la décision correcte :

15          Dans l’arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126, la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de la décision correcte s’applique lorsqu’il s’agit de déterminer si la possibilité de se réclamer de la protection d’un État constitue une raison valable de refuser d'accorder la qualité de réfugié, ce qui exige une interprétation de l'article 96 de la Loi; une question de droit de cette nature doit être tranchée suivant la norme de la décision correcte (voir également le récent arrêt de la Cour suprême du Canada relativement à la norme de contrôle dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 55).

 

[15]           Dans la présente affaire, j’estime, selon les meilleurs éléments de preuve dont j’ai été saisi, que les demandeurs n’obtiendront pas de façon « automatique » la citoyenneté sud‑coréenne et qu’ils n’ont pas le « pouvoir » de l’obtenir. Dans des « réponses  aux demandes d’information » que la Commission a reçues le 3 juin 2008, il était indiqué que les Nord‑Corréens pourraient peut-être obtenir la citoyenneté sud-coréenne suivant une interprétation stricte de la constitution de la Corée du Sud. Toutefois, les Nord-Coréens ne sont pas automatiquement acceptés; il est nécessaire d’établir l’existence d’une [traduction] « volonté et d’un désir » de vivre en Corée du Sud et les personnes ayant résidé dans un pays tiers pendant une longue période ne sont pas admissibles (les demandeurs ont habité en Chine et au Canada). La réponse est rédigée comme suit :

Information indiquant si les Nord-Coréens sont automatiquement acceptés à titre de citoyens sud-coréens

Tant les Country Reports on Human Rights Practices for 2007 du Département d’État (Department of State) des États-Unis (É.-U.) qu’un article paru le 19 février 2007 dans le New York Times affirment que les réfugiés nord‑coréens ont droit à la citoyenneté sud-coréenne (É.-U. 11 mars 2008, sect. 2.d; New York Times 19 févr. 2007). L’article du New York Times explique que le droit à la citoyenneté sud-coréenne repose sur les articles 2 et 3 de la Constitution de la République de Corée (19 févr. 2007; voir aussi HRW janv. 2008). La Constitution énonce ce qui suit :

[traduction]

Article 2 [Nationalité]

1.En République de Corée, la nationalité est prévue par la loi.

2.Il incombe à l’État de protéger ses citoyens à l’étranger comme le prévoit la loi.

Article 3 [Territoire]

Le territoire de la République de Corée est composé de la péninsule coréenne et des îles adjacentes (Corée 29 oct. 1987).

Cependant, selon le représentant de l’ambassade, les Nord-Coréens ne sont pas automatiquement acceptés comme citoyens sud-coréens (Corée 20 mai 2008). Les Nord-Coréens doivent démontrer qu’ils ont [traduction] « la volonté et le désir » de vivre en Corée [du Sud] et doivent se présenter à une ambassade ou à un consulat de la République de Corée pour demander la protection, à la suite de quoi le processus d'obtention de la citoyenneté est enclenché (ibid.).

Le représentant de l’ambassade a signalé que certaines personnes ne sont pas admissibles à la citoyenneté sud-coréenne, à savoir les [traduction] « faux » transfuges, les personnes ayant résidé dans un tiers pays pendant une longue période et les criminels internationaux comme les meurtriers, les pirates de l’air, les narcotrafiquants et les terroristes (ibid.).

 

[16]           Dans un article de doctrine, écrit par deux professeurs de droit et publié dans l’International Journal of Refugee Law 2007, intitulé « North Korean Refugees and International Refugee Law », les auteurs ont tiré la conclusion suivante à la page 234 :

[traduction]

Par conséquent, la possibilité d’obtenir la citoyenneté sud‑coréenne en vertu de la constitution de la République de Corée et de la loi sur la nationalité sud-coréenne ne devrait pas empêcher les transfuges de la Corée du Nord de bénéficier de la protection en vertu du droit international des réfugiés.

 

[17]           Dans une analyse, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a exprimé un doute quant à la question de savoir si tous les Nord-Coréens, particulièrement ceux qui ont transité par la Chine (comme les demandeurs en l’espèce), recevraient automatiquement la citoyenneté sud-coréenne, chaque cas devant être examiné selon ses propres faits :

[traduction]

Tel qu’elle est interprétée par le HCR, la disposition exclut la plupart des Nord-Coréens de la protection internationale du fait que la Corée du Sud octroie la citoyenneté à tous les Nord-Coréens, leur accordant ainsi une double nationalité. Étant donné que la plupart des Nord-Coréens n’ont aucune raison valable fondée sur une crainte justifiée de ne pas se prévaloir de la protection de la Corée du Sud, le HCR estime que la disponibilité de cette « protection nationale a préséance sur la protection internationale », même si, en pratique, il est souvent impossible pour les Nord-Coréens de s’en prévaloir puisque cette protection semble n’être que théorique, le gouvernement sud-coréen étant très éloigné des lieux où la protection est nécessaire.

 

Les Nord-Coréens peuvent obtenir la citoyenneté sud-coréenne si Séoul leur accorde la protection normalement accordée aux Sud‑Coréens. Ils peuvent obtenir la citoyenneté sud-coréenne encore plus rapidement lorsqu’une demande d’asile a été refusée ou ignorée. Ceux qui se rendent dans des pays où leur demande d’asile est entendue peuvent rapidement se prévaloir de la protection de la Corée du Sud. Toutefois, la vaste majorité des Nord-Coréens en Chine et dans quelques pays de transit sont incapables de présenter une demande d’asile. Conscients qu’ils risquent de mettre en péril leur liberté, leur sécurité et parfois leur vie, chaque année, des milliers de Nord‑Coréens tentent de s’intégrer à des missions diplomatiques hautement surveillées ou de s’enfuir dans un ou plusieurs pays afin de demander l’asile ou d’être transférés en Corée du Sud.

 

Même si les Nord-Coréens ne sont pas considérés comme ayant la double nationalité, chaque demande d’asile doit être jugée selon ses propres faits. Ce ne sont pas tous les Nord-Coréens qui peuvent prétendre demander l’asile à bon droit. Or, compte tenu de la persécution dont sont victime les dissidents en Corée du Nord, des citoyens religieux, des membres de la classe « hostile », des gens qui traversent la frontière et peut-être même plusieurs « criminels » ont des causes convaincantes et méritent d’être protégés sur le plan international.

 

Les Nord-Coréens qui sont en Chine sont rarement en mesure de faire valoir le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale. En conséquence, le HCR reconnaît qu’il revient à « l’examinateur, en examinant les faits de l’affaire, de déterminer les motifs de crainte de persécution et de décider si la définition de la Convention de 1951 est respectée à cet égard ». Ceux qui ont besoin d’une protection internationale devraient être avisés de leurs droits et de toutes les options possibles.

 

[18]           La commissaire a commis une erreur en présumant que la question à trancher était de savoir si les Nord-Coréens pouvaient « automatiquement » obtenir la citoyenneté sud-coréenne et qu’elle était tenue d’y répondre par l’affirmative ou la négative. La question pertinente en l’espèce est de savoir si, selon la preuve dont a été saisie la Commission, il existe suffisamment de doute après avoir examiné les lois, les pratiques, la jurisprudence et les politiques de la Corée du Sud pour justifier que la citoyenneté ne puisse être considérée comme étant automatique ou pour justifier que les demandeurs n’ont pas le pouvoir d’obtenir cette citoyenneté.

 

[19]           En l’espèce, rien dans la preuve n’établit que les demandeurs en question obtiendront automatiquement la citoyenneté sud-coréenne ou qu’ils ont le pouvoir de l’obtenir compte tenu des circonstances de leur cas. La « volonté et le désir » de vivre en Corée du Sud doivent être examinés par des représentants officiels ou même par les tribunaux de ce pays et il est également nécessaire de tenir compte de la période où les demandeurs ont résidé en Chine et au Canada. Il n’y a aucune certitude relativement à l’issue de la cause

 

[20]           Suivant l’arrêt Williams et les autres décisions citées en l’espèce, la présente demande doit être accueillie et renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

 

[21]           L’avocate du ministre a demandé à la Cour d’examiner la possibilité de certifier une question. J’estime que la présente affaire n’est pas de nature à justifier la certification d’une question.

 


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS exposés;

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.                  La demande est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

3.                  Aucune question ne sera certifiée

4.                  Aucuns dépens ne sont adjugés

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5625-09

 

INTITULÉ :                                                   MIN JUNG KIM et al. c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (C.-B)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 29 juin 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 30 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Judith Boer

POUR LES DEMANDEURS

 

Caroline Christiaens

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (C.-B)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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