Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour fédérale

Federal Court

Date : 20100629

Dossier : T-1508-05

Référence : 2010 CF 711

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 29 juin 2010

En présence de monsieur le juge Hughes

 

ENTRE :

JANSSEN -ORTHO INC.

ET DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED

demanderesses

et

 

APOTEX INC.

ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

 

motifs de l’ordonnance et ordonnance

 

[1]               La présente instance, qui dure déjà depuis plusieurs années, a été introduite en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), DORS/93‑133, et modifications (le Règlement AC). La Cour est maintenant saisie d’une requête de la défenderesse Apotex Inc. visant à obtenir le rejet de l'instance. Une deuxième requête, pour que le juge Shore examine de nouveau sa décision du 17 juin 2008, a été indéfiniment ajournée sur consentement. Les demanderesses ont présenté une troisième requête pour que cette décision du juge Shore soit réexaminée, mais aucune date d’audition n’a encore été fixée pour cette requête.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ordonnerai qu'il soit mis fin à l'instance et le paiement de dépens de 3000 $ aux demanderesses. Il n’y a en conséquence plus lieu d’examiner les autres requêtes.

 

Demande d’ajournement

[3]               Au début de l’audition de la présente requête en rejet, l’avocat de Janssen-Ortho en a demandé l’ajournement indéfini en attendant l’issue d’une requête et d’un appel que sa cliente a l’intention de déposer en Cour d’appel fédérale. On ne savait pas avec certitude si le dépôt des documents à la Cour d'appel avait eu lieu. Aucune copie n’était disponible au moment où la présente requête a été traitée de sorte que la nature exacte de l'affaire est imprécise. Le fondement de cette demande est exposé dans la lettre que l’avocat a adressée à la Cour le 21 juin 2010; je la reprends en partie :

[traduction]

 

Nous demandons par la présente l’ajournement indéfini des requêtes devant être traitées le jeudi 24 juin 2010.

 

Le juge Shore a rendu le 14 juin des motifs selon lesquels il allait rendre, après avoir lu les observations des parties sur l’examen qu’il s'était vu contraint d’effectuer, la même décision pour les mêmes motifs. Il s’est donc récusé. Ceci a amené Apotex à vous demander que la présentation des requêtes relatives au caractère théorique et au réexamen soit faite le 24 juin, demande à laquelle vous avez fait droit le 18 juin.

 

Pendant toute cette période j’étais en Europe et j’essayais d’obtenir de la cliente des instructions, que j’ai à présent reçues. La demanderesse Janssen-Ortho Inc. nous a demandé de présenter une requête en Cour d’appel fédérale, en vertu de l’alinéa 399(2)b) des Règles, visant à faire annuler son ordonnance, des faits nouveaux étant survenus après que la cour eut enjoint au juge Shore de réexaminer sa décision initiale. Me Charles fait savoir que sa cliente Daiichi se joindra également à cette requête.

 

Précisément, les faits nouveaux sont les motifs du juge Shore datés du 14 juin. Si la Cour d’appel fédérale avait compris que le juge Shore avait vraiment bien examiné les preuves comme il le fallait (sans s’appuyer sur la décision du juge Hughes dans l’affaire de Novopharm et de la levofloxacine), elle ne lui aurait pas enjoint de réexaminer l’affaire.

 

Nous présenterons au plus tôt le dossier de requête. À titre subsidiaire, nous déposerons également un appel de l’ordonnance du juge Shore du 14 juin dans laquelle il se récuse. L’avis d’appel sera déposé au plus tard le jeudi 24 juin. Nous nous inquiétons de ce que l'instance a été quelque peu mal gérée entre les deux paliers des cours fédérales. Pour la bonne marche des choses, la requête en modification présentée à la Cour d’appel fédérale doit selon nous être traitée avant que l’on puisse plaider le caractère théorique de l'affaire et présenter une requête à cet égard.

 

Puisque nous demandons à la Cour d’appel fédérale d’annuler sa décision, les requêtes de jeudi relatives au caractère théorique et au réexamen sont prématurées, et les deux requêtes prévues pour jeudi doivent être ajournées en attendant que la Cour d’appel fédérale tranche la question.

 

[4]               J’ai refusé d’ajourner l’audition de la requête en rejet. Le fait qu’une partie a présenté une requête ou un appel à la Cour d’appel fédérale ou envisage de le faire ne suffit pas à fonder un ajournement. La nature exacte de la requête ou de l’appel est encore imprécise, l’issue est loin d’être certaine, et l’on ne peut connaître l’effet éventuel sur la présente instance. La demande d’ajournement a de surcroît été déposée après la tenue d'une téléconférence préalable aux requêtes entre la Cour et les avocats des parties, juste quelques jours avant l’audition prévue des requêtes, et à ce moment-là, ceux-ci n’ont pas laissé entendre qu’un ajournement allait être demandé. La Cour estime qu’il vaut mieux se prononcer maintenant sur la requête en rejet. Il est bien sûr loisible aux parties de se pourvoir en appel si elles le souhaitent et la Cour d’appel disposera alors de la décision pertinente.

 

Historique de l'affaire

[5]               L'affaire est inhabituelle et complexe, et recoupe un autre litige relatif au même brevet que celui de l'instance, soit le brevet canadien n1,304,080 (le brevet 080). Les faits sont les suivants, en ordre plus ou moins chronologique :

1.  Le brevet 080 a été délivré à Daiichi le 23 juin 1992. La demande de brevet ayant été déposée en 1986, avant l’entrée en vigueur des modifications à la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, le 1er octobre 1989, le brevet a expiré le 23 juin 2009, soit dix-sept (17) ans après la date à laquelle il avait été délivré.

2.  Janssen-Ortho, titulaire d’une licence, a inscrit le brevet 080 sur la liste que tient le ministre en vertu des dispositions du Règlement AC, obligeant par là les fabricants de produits génériques tels qu’Apotex à invoquer ces dispositions en signifiant un avis d’allégation.

3.  Le 18 juillet 2005, Apotex a envoyé un avis d’allégation à Janssen-Ortho, alléguant l’absence de contrefaçon et l’invalidité du brevet 080 pour plusieurs motifs. Les demanderesses ont de ce fait engagé la présente instance afin d’empêcher Apotex de recevoir du ministre un avis de conformité en vue de vendre le médicament en cause au Canada.

4.  Janssen-Ortho et Daiichi ont en tant que demanderesses fait valoir le brevet 080 dans une autre instance, introduite par voie d’action (T-2175-04), contre un autre fabricant de produits génériques, Novopharm Limitée. Le jugement du 17 octobre 2006 a conclu que la revendication 4 du brevet était valide et avait été contrefaite. L’appel de cette décision a été rejeté le 7 juin 2007 (A-500-06).

5.  Dans la présente instance, une audience a eu lieu en mai 2008 devant le juge Shore, de la Cour. Le paragraphe 37 de ses motifs (2008 CF 744) expose les questions qu’il devait trancher :

37    La présente demande soulève les questions suivantes :

 

A.     La présente demande constitue-t-elle un abus de procédure?

 

B.     Le fait qu’Apotex mette en marché sa lévofloxacine administrée par voie orale en comprimés de 250 mg, de 500 mg et de 750 mg contrefait-il la revendication 4 du brevet 080 de Janssen?

 

C.     S’il y a contrefaçon, les allégations d’Apotex selon lesquelles le brevet 080 est invalide sont-elles justifiées pour les raisons suivantes :

i) antériorité;

ii)   évidence;

iii) portée excessive des revendications par rapport à l’invention             et absence de prédiction valable.

D.            L’allégation d’Apotex selon laquelle le brevet 080 est nul en application des alinéas 40(1)a) et c) de la Loi sur les brevets est-elle justifiée?

 

 

Dans son jugement rendu le 17 juin 2008, le juge Shore a accordé l’ordonnance d’interdiction et les dépens :

LA COUR ORDONNE :

 

1)         l’ordonnance d’interdiction que sollicitaient les demanderesses est accordée;

 

2)         les demanderesses ont droit aux dépens, qui seront taxés conformément aux présents motifs.

 

6.  La décision du juge Shore a fait l’objet d’un appel devant une formation de la Cour d’appel fédérale composée des juges Nadon, Trudel et Layden-Stevenson.

7.  Le 22 juin 2009, la Cour d’appel fédérale a rendu son jugement dans l’appel A‑373‑08, les motifs étant répertoriés sous 2009 CAF 212. Le jugement initialement rendu était le suivant :

JUGEMENT

[traduction]

L’appel est accueilli avec dépens, la décision du juge Shore du 17 juin 2008, 2008 CF 744, est infirmée, et l’affaire lui est renvoyée pour qu’il rende une nouvelle décision sur le fondement qu’il n’y a pas eu d’abus de procédure de la part d’Apotex Inc. quand elle a fait les allégations figurant dans son avis d’allégation et quand elle s’est opposée à la demande d’ordonnance d’interdiction introduite par les intimées. Le juge Shore devra, indépendamment des conclusions du juge Hughes dans Janssen-Ortho c. Novopharm Limitée, 2006 CF 1234, 300 F.T.R. 166, apprécier la preuve dont il a été saisi. Il n’y a pas d’ordonnance sur les dépens en ce qui concerne l'instance devant la Cour fédérale.

 

 

8.  À la réception du jugement et des motifs, les avocats de Janssen-Ortho et de Daiichi ont adressé des courriels à la Cour d’appel fédérale lui demandant que soient apportées certaines modifications et de rendre un jugement déclaratoire sur le caractère théorique, afin d’empêcher Apotex de prendre des mesures au titre de l’article 8.

9.  Le 25 juin 2009, dans une lettre aux avocats signée par un étudiant, la Cour d’appel fédérale a révisé ce jugement et les motifs, uniquement en remplaçant « décision » par « jugement » :

[traduction]

 

Les révisions sont les suivantes :

 

7) Page 1 :

-           « L’appel est accueilli avec dépens, la décision […] » est remplacé par « L’appel est accueilli avec dépens, le jugement […] »

 

8) Page 27 :

-           « […] j’infirmerais la décision du juge et lui renverrais […] » est remplacé par « […] j’infirmerais le jugement du juge et lui renverrais … »

 

 

10. Les motifs rendus par la Cour d’appel fédérale révèlent que celle-ci n’a pas été unanime. La juge Trudel a souscrit aux motifs rédigés par le juge Nadon. La juge Layden-Stevenson a été dissidente en partie. Il faut souligner que le jugement du juge Shore n’a pas été « annulé » selon les termes de l’article 8, mais lui a été renvoyé pour qu’un nouveau jugement soit rendu.

11. L’affaire a été renvoyée au juge Shore pour qu’il rende un nouveau jugement en suivant les directives données par la Cour d’appel fédérale. Le 14 juin 2010, le juge Shore s’est récusé quant à l’affaire et a rendu des motifs répertoriés sous 2010 CF 643. Il a affirmé au paragraphe 7 des motifs et dans l’ordonnance :

Par conséquent, après avoir longuement réfléchi, et après avoir reçu les nouvelles plaidoiries écrites des parties, je reconnais que, en mon âme et conscience, je n’ai pas la disposition d’esprit me permettant de statuer en toute indépendance; je ne saurais donc entendre à nouveau la présente cause sans rendre la même décision, et ce, pour les mêmes motifs. Ainsi, par souci d’équité pour les parties, la décision suivante est rendue dans l’ordonnance qui suit.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que le juge soussigné soit récusé d’entendre la présente affaire et que l’affaire soit renvoyée au juge en chef de la Cour pour que celle-ci soit entendue par un autre juge.

 

12.  Dans l’intervalle, le 23 juin 2009, le brevet 080 avait expiré et le ministre a délivré à Apotex un avis de conformité, lui permettant de vendre au Canada sa version générique du médicament en cause. De ce fait, l’interdiction demandée dans la présente instance est sans objet.

 

Les questions en litige

[6]               La Cour doit, étant donné l'historique de l'affaire, trancher les questions suivantes :

a.       puisque le brevet 080 a expiré et qu’Apotex a reçu son avis de conformité, faut-il rejeter la demande en raison de son caractère théorique?

2.      même si l’affaire est de nature théorique, faut-il la trancher dans le cadre du pouvoir discrétionnaire de la Cour ou parce que la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il fallait la trancher?

 

Le caractère théorique

[7]               Dans des circonstances normales, un tribunal n’instruit pas une instance n’ayant plus d’objet du fait d’événements qui sont survenus subséquemment à son introduction en cour. Il n’y a plus de conflit ouvert à résoudre et les ressources du tribunal sont mieux utilisées ailleurs. Les demanderesses ont cherché en l'espèce à empêcher qu’Apotex reçoive un avis de conformité pour vendre au Canada un médicament protégé par le brevet 080. Le temps a passé, le brevet a expiré et Apotex a reçu son avis de conformité. À première vue, il n’y a plus rien à décider, l’affaire est sans objet.

 

[8]               Un point a toutefois été soulevé dans plusieurs instances de même nature dans le cadre de l'application du Règlement AC; c’est celui de l’article 8, dont la version actuelle, identique à cet égard à celle qui était en vigueur quand la présente instance a été introduite, prévoit ce qui suit :

8. (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

 

[]

 

 

[9]               Ainsi, si la présente demande est rejetée, Apotex aurait le droit, en application de l’article 8, de présenter une demande pour des pertes subies pendant une période donnée. Toutefois, rien au dossier n’indique qu’Apotex pourrait introduire une instance au titre de l’article 8 ou, si elle le faisait, qu’elle serait en mesure de revendiquer le dédommagement de ses pertes ou que celles-ci seraient considérables ou négligeables. Le point de savoir si la Cour devrait néanmoins instruire l’affaire relève de son pouvoir discrétionnaire.

 

[10]           Janssen-Ortho et Daiichi font valoir que conformément aux principes exposés par la Cour suprême du Canada dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, la Cour devrait instruire une affaire, qui peut sembler théorique, sur le fondement que ses conclusions peuvent avoir des effets pratiques, à savoir quant au droit d'Apotex d’engager une action en indemnisation au titre de l’article 8 du Règlement AC.

 

[11]           Les demanderesses Janssen-Ortho et Daiichi allèguent ensuite que le jugement de la Cour d’appel fédérale exige une nouvelle décision à certaines conditions, soit l'exclusion de certains aspects découlant de l’action Novopharm dont il a été question précédemment, et qu’il faut donc rendre une nouvelle décision.

 

Analyse

[12]           Les questions en litige sont à analyser dans le contexte du libellé du Règlement AC, de celui de l’article 8 en particulier. Il y est question d’une demande « rejetée par le tribunal qui en est saisi » :

8. (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

(i) soit que la date attestée est devancée en raison de l’application de la Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique), chapitre 23 des Lois du Canada (2004), et qu’en conséquence une date postérieure à celle-ci est plus appropriée,

(ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

 

(2) La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

 

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action pour contrefaçon du brevet visé par la demande.

 

(4) Lorsque le tribunal enjoint à la première personne de verser à la seconde personne une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1), il peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts à l’égard de cette perte.

 

(5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

 

(6) Le ministre ne peut être tenu pour responsable des dommages-intérêts au titre du présent article.

DORS/98-166, art. 8 et 9; DORS/2006-242, art. 5.

 

8. (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

 

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

(i) the certified date was, by the operation of An Act to amend the Patent Act and the Food and Drugs Act (The Jean Chrétien Pledge to Africa), chapter 23 of the Statutes of Canada, 2004, earlier than it would otherwise have been and therefore a date later than the certified date is more appropriate, or

(ii) a date other than the certified date is more appropriate; and

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

 

(2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

 

(3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

 

(4) If a court orders a first person to compensate a second person under subsection (1), the court may, in respect of any loss referred to in that subsection, make any order for relief by way of damages that the circumstances require.

 

(5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

 

(6) The Minister is not liable for damages under this section.

SOR/98-166, ss. 8, 9; SOR/2006-242, s. 5.

 

 

 

[13]           Il aurait été facile que le Règlement AC prévoie simplement « rejetée » ou même « rejetée par le tribunal », mais il précise « rejetée par le tribunal qui en est saisi » [non souligné dans l'original].

 

[14]           Le Règlement AC marque clairement la différence entre la demande et l'instruction de celle-ci. La « première personne » peut, en vertu du paragraphe 6(1), « demander au tribunal » de rendre une ordonnance d’interdiction. Dans certaines circonstances, la demande peut être rejetée en vertu du paragraphe 6(5). Le ministre peut, en vertu des alinéas 7(1)e) et f), délivrer un avis de conformité 24 mois après le dépôt de la demande ou à l’expiration du brevet pertinent, sauf dans les cas prévus à l’alinéa 7(2)b), si le tribunal a déclaré que le brevet n’est pas contrefait ou valide. Aux termes du paragraphe 7(4), l’alinéa 7(1)e) cesse de s’appliquer à l’égard de la demande si celle-ci est rejetée par le tribunal qui en est saisi.

 

[15]           Le Règlement AC marque donc une différence entre la demande et son instruction. Celle­ci impose au tribunal l’obligation de procéder à une appréciation valable de l’affaire. Les circonstances sont semblables à celles analysées par la juge en chef McLachlin, de la Cour suprême du Canada, au paragraphe 25 de l’arrêt États-Unis d’Amérique c. Ferras, [2006] 2. R.C.S. 77 :

25 Une étape judiciaire indépendante et un juge impartial sont des éléments du troisième et ultime droit — le droit à une « audience ». Le droit à une audience entraîne l'application des garanties procédurales pertinentes quant au contexte : voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Essentiellement, ce droit impose aux tribunaux au moins l'obligation de procéder à une appréciation valable de l'affaire en fonction de la preuve et du droit. Le juge examine les droits respectifs des parties et, d'après la preuve, tire des conclusions de fait auxquelles il applique le droit. Il doit examiner autant les faits que le droit pour arriver à une conclusion valable. Depuis l'affaire Bonham, l'essence d'une audience judiciaire est de traiter les faits révélés par la preuve selon les droits substantiels que la loi confère aux parties. Le juge d'extradition doit donc examiner les faits et le droit et être convaincu qu'ils justifient l'incarcération avant d'ordonner l'extradition. Il doit agir en tant que juge et ne pas se contenter d'entériner d'office.

 

[16]           Les circonstances analysées par la Cour d’appel fédérale dans Salinas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 C.F. 247, sont elles aussi semblables; à la page 252, le juge Stone écrit au nom de la cour que l’audience est une étape distincte dans une procédure de portée plus grande :

En général, les dispositions de l'article 68 confèrent à la section du statut de réfugié des pouvoirs et lui impose des obligations se rapportant à toutes « proceedings » (procédures) intentées devant elle. Il est manifeste que le législateur a ainsi fait une distinction entre « proceedings » (procédures) et une « audience » tenue devant la section du statut, laquelle audience doit être tenue de la manière requise par l'article 69.1 de la Loi. Une « audience » n'est qu'une étape, si importante soit-elle, dans une « proceeding » (procédure) qui est un terme d'une portée plus grande embrassant l'affaire tout entière dont est saisie la section du statut, notamment l'audition de la revendication elle-même.

 

 

[17]           Ce n’est donc pas un rejet seul qui déclenche une demande en indemnisation de pertes au titre de l’article 8, mais bien le rejet par le tribunal qui a été saisi de l’affaire.

 

[18]           Il s’agit donc de savoir si, malgré que l’affaire soit théorique, le tribunal doit l'instruire.

 

[19]           La Cour d’appel fédérale s’est demandé dans plusieurs arrêts si elle devait instruire les affaires où intervient l’article 8 du Règlement AC, lorsqu'elles avaient un caractère théorique. Les principes directeurs sont ceux que la Cour suprême du Canada a établis dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, et qu’elle a résumés comme suit au paragraphe 18 de son arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse, [2003] 3 R.C.S. 3 :

(1) l'existence d'un débat contradictoire;

 

(2) le souci d'économie des ressources judiciaires;

 

(3) la nécessité pour les tribunaux d'être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique

 

[20]           Le juge en chef Isaac, siégeant à Cour d’appel fédérale, a rendu dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 245, la première décision fondamentale à l’égard de l’existence d’une question au titre de l’article 8 et du caractère théorique; il y écrit aux paragraphes 23 et 24 que le simple fait d’alléguer que l’article peut ou non entrer en jeu ne suffit pas pour l’emporter sur la question du caractère théorique :

23        Contrairement à ce que les appelantes soutiennent, je ne crois pas que la présente Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à entendre des appels qui sont par ailleurs devenus théoriques afin de préciser la responsabilité en dommages-intérêts à laquelle elles sont exposées en vertu de l'article 8 du Règlement. Voici le texte de cette disposition qui était en vigueur à la date pertinente :

 

8.(1) La première personne est responsable envers la seconde personne de tout préjudice subi par cette dernière lorsque, en application de l'alinéa 7(1)e), le ministre reporte la délivrance de l'avis de conformité au-delà de la date d'expiration de tous les brevets visés par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1).

(2) Le tribunal peut rendre toute ordonnance de redressement par voie de dommages-intérêts ou de profits que les circonstances exigent à l'égard de tout préjudice subi du fait de l'application du paragraphe (1).

 

L'argument ne m'apparaît pas fondé, parce que son acceptation donnerait lieu à une modification du régime établi par le Règlement.

 

24       À mon sens, il y a toujours un facteur qui incite la première personne ayant présenté sans succès une demande d'interdiction à tenter d'éliminer la responsabilité en dommages-intérêts à laquelle elle est exposée. Ce stimulant s'appliquerait tout aussi bien à la seconde personne qui reconnaît que l'annulation d'une ordonnance d'interdiction en appel pourrait donner lieu à une condamnation à des dommages-intérêts. Si la présente Cour décidait d'entendre l'appel pour ce motif, le stimulant universel qui consiste à tenter d'obtenir ou d'éviter une décision accordant des dommages-intérêts en application de l'article 8 l'emporterait toujours sur la question du caractère théorique. Ce résultat irait à l'encontre de l'intention avouée de l'autorité réglementaire, qui est exprimée comme suit

 

Le présent règlement est nécessaire si on veut éviter que cette nouvelle exception en matière de contrefaçon soit mal utilisée par les fabricants de produits génériques désireux de vendre leurs produits au Canada pendant que le brevet original est encore valide. En vertu du règlement, ces fabricants peuvent toutefois entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir l'approbation réglementaire et ainsi commercialiser leurs produits dès que les brevets pertinents arrivent à expiration.

 

Répercussions prévisibles

 

Ce règlement et le paragraphe 55.2(1) favoriseront l'investissement dans le domaine de l'innovation parce qu'ils permettront aux titulaires d'un brevet de bénéficier de la protection complète conférée par les brevets tout en donnant aux concurrents la possibilité de mettre leurs produits sur le marché dès que les brevets pertinents seront arrivés à expiration.

 

[21]           Dans Bayer AG c. Apotex Inc. (2004), 32 C.P.R. (4th) 449, la Cour d’appel fédérale avait devant elle une version révisée de l’article 8. Le juge Rothstein (maintenant juge de la Cour suprême du Canada) a rédigé l'arrêt de la cour. Il a distingué l'affaire Bayer de l'affaire Pfizer en faisant valoir que, dans Pfizer, la décision du juge en chef Isaac était une opinion incidente et qu'elle portait sur une version antérieure de l’article 8. Il a écrit que le fabricant de produits génériques en cause avait droit à ce que son appel soit instruit en dépit de l’expiration du brevet afin de préserver le droit à indemnisation en vertu de l’article 8. Je reprends ci-après les paragraphes 12 à 16 de ses motifs :

12            Je ne crois pas que l'opinion judiciaire incidente du juge Isaac dans l'arrêt Pfizer s'applique au cas en l'espèce ou, en réalité, qu'elle s'applique dans aucun cas en vertu de la version actuelle de l'article 8 du Règlement. Premièrement, contrairement à un breveté, un fabricant de produits génériques ne peut intenter une action en contrefaçon s'il se voit refuser un recours en vertu de l'article 8. La seule façon qu'un fabricant de produits génériques peut recouvrer des dommages-intérêts ou des gains manqués causés par une ordonnance d'interdiction erronée consiste à demander à la Cour d'appel d'infirmer la décision de la Cour fédérale, puis de réclamer des dommages-intérêts en vertu de l'article 8.

 

13            Deuxièmement, l'article 8 du Règlement auquel s'est reporté le juge Isaac dans l'arrêt Pfizer (DORS/93-133) a été remplacé depuis (DORS/98-166). L'étude d'impact de la réglementation portant sur le Règlement actuel mentionne dans la section pertinente :

 

[traduction] Une indication plus claire est donnée à la Cour relativement aux circonstances dans lesquelles les dommages-intérêts peuvent être accordés à un fabricant de produits génériques pour compenser la perte subie en raison du retard dans la commercialisation de son médicament, et des facteurs qui peuvent être pris en considération dans le calcul des dommages-intérêts.

 

Contrairement à l'ancien article 8, l'article 8 actuel mentionne expressément le renversement de la décision de l'appel relativement à une ordonnance d'interdiction donnant lieu à la responsabilité d'un breveté devant un fabricant de produits génériques.

 

14            L'article 8 ne mentionne aucunement que l'annulation en appel doit survenir avant l'expiration du brevet en question ou à la délivrance d'un avis de conformité au fabricant de produits génériques. De plus, il n'y a aucune justification à cette exigence. Si un fabricant de produits génériques a été indûment exclu du marché pendant la durée d'un brevet, le fait qu'un appel soit jugé après l'expiration du brevet ne devrait avoir aucune incidence sur le droit du fabricant de produits génériques à réclamer des dommages-intérêts. À mon humble avis, ce serait contraire à l'objet du Règlement actuel de priver un fabricant de produits génériques de la possibilité de se prévaloir de l'article 8 du Règlement simplement parce qu'un brevet a expiré ou qu'un avis de conformité a été délivré. La responsabilité mentionnée à l'article 8 se rapporte à la période précédant l'expiration du brevet ou découle de la délivrance de l'avis de conformité au fabricant de produits génériques, et le simple fait que l'appel soit jugé après cette date n'a aucune incidence sur l'application de l'article 8.

 

15            Bayer allègue également qu'Apotex aurait dû tenter de faire accélérer le processus d'appel afin que la décision soit rendue avant l'expiration du brevet 067 et la délivrance de l'avis de conformité à Apotex. Elle mentionne que l'omission d'Apotex constitue un retard démesuré qui devrait inciter la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire pour ne pas entendre l'appel.

 

16            Je n'accepte pas l'allégation de Bayer selon laquelle il y aurait eu un retard démesuré. Qu'un appelant ne cherche pas à faire accélérer le processus d'appel ne constitue pas, en soi, un retard démesuré en l'absence d'autres circonstances. Par exemple, lorsqu'un appelant demande et obtient une suspension de la décision en attendant l'appel, une demande d'accélération du processus sera toujours appropriée et le refus de l'appelant de présenter une telle demande et d'agir avec diligence peuvent faire en sorte que la Cour juge qu'il y a eu un retard démesuré. Toutefois, il n'y a aucune circonstance atténuante en l'espèce. Il n'y a aucun lien entre l'expiration du brevet ou la délivrance d'un avis de conformité à un fabricant de produits génériques, d'une part, et la préservation du droit d'indemnisation pour perte en vertu de l'article 8, d'autre part.


[22]           Vient ensuite l'arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2006), 53 C.P.R. (4th) 447. Les faits sont complexes. La juge Simpson, de la Cour, avait rendu contre Apotex dans une décision antérieure une ordonnance d’interdiction concernant le même brevet. Puis, la juge Tremblay-Lamer, de la Cour, a rejeté une deuxième demande pour le même brevet. La titulaire du brevet, Aventis, a interjeté appel de la décision de la juge Tremblay-Lamer; le brevet avait toutefois expiré à ce moment-là. Aventis a fait valoir que l’appel devait malgré tout être entendu, car une responsabilité pouvait se trouver engagée en vertu de l’article 8. La Cour d'appel a refusé d’entendre l’appel, la possibilité de responsabilité étant trop éloignée et conjecturale. Le juge Noël a écrit pour la cour aux paragraphes 15 à 21 :

15           Aventis ne saurait non plus faire valoir qu’elle avait également demandé à la juge Tremblay‑Lamer de rendre un jugement déclaratoire invalidant l’avis d’allégation. Le jugement déclaratoire devait empêcher Apotex d’entrer sur le marché avant l’expiration du brevet 457. Le brevet en question ayant expiré, un jugement d’appel sur ce point ne serait d’aucun effet.

 

16           La seule question qui subsiste est par conséquent celle de savoir si la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’appel. Sur ce point, Aventis soutient que, si son appel n’est pas accueilli, elle s’expose, en vertu de l’article 8 du Règlement, à des dommages‑intérêts et qu’elle se trouve donc dans la situation qui était celle d’Apotex dans l’arrêt Bayer. Cela étant, Aventis demande à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de la même manière.

 

17           Signalons en premier lieu qu’à l’inverse d’Apotex dans l’arrêt Bayer, Aventis, en tant que titulaire du brevet, a le droit d'engager une action en contrefaçon de brevet (si les circonstances s’y prêtent) et, si elle obtient gain de cause, de toucher des dommages‑intérêts ou d’être indemnisée de ses pertes.

 

18           De plus, le risque pour Aventis d’être condamnée à des dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 est trop éloigné et conjectural pour que la Cour décide d’entendre l’appel.

 

19           En vertu de cette disposition, la première personne est responsable de toute perte subie au cours de la période débutant à la date à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du Règlement. Cette disposition a pour but de permettre à la seconde personne d’être indemnisée si la demande déposée par la première personne est rejetée parce que la demanderesse est déboutée en première instance ou parce que l’ordonnance d’interdiction obtenue en première instance est infirmée en appel.

 

20           En l’espèce, Apotex a décidé de commencer par soumettre son allégation conditionnelle à la juge Simpson. Elle n’a pas tenté d’accélérer l’appel qu’elle a interjeté de cette décision et, par conséquent, en ce qui concerne cette même décision, aucun des événements prévus à l’article 8 n’est survenu. L’ordonnance d’interdiction rendue par la juge Simpson est demeurée en vigueur jusqu’à l’expiration du brevet 457. Au vu du dossier partiel dont nous disposons et sans préjuger de la question, au cas où elle serait soulevée dans le contexte d’une action intentée au titre de l’article 8, le risque encouru aux termes de l'article 8 nous paraît conjectural.

 

21           Pour nous convaincre qu’il convient d’entendre l’appel malgré son caractère théorique, il incombait à Aventis d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que le jugement d’appel aurait une incidence pratique sur les droits des parties (Borowski, pages 358 à 362, tel qu’appliqué dans l’arrêt Bayer, précité). Or, cela n’a pas été démontré.

 

[23]           La Cour d’appel fédérale s’est de nouveau penchée sur la question, non plus dans le contexte d'une instance engagée en vertu du Règlement AC, mais dans celui d'une action introduite par un fabricant de produits génériques, Apotex, pour faire invalider un brevet qui selon Apotex l'empêchait d'intenter une instance fondée sur l’article 8 qu’elle envisageait d’introduire si le brevet était invalidé. Celui-ci avait expiré. La Cour d'appel a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire, celle-ci étant théorique. Le juge Sexton a rédigé au nom de la cour les motifs de l'arrêt Aktiebolaget Hassle c. Apotex Inc. (2008), 65 C.P.R. (4th) 5. Aux paragraphes 17 à 19 :

17           L’existence d’un débat contradictoire en l’espèce dépend de l’intimée qui pourrait intenter dans le futur une poursuite en dommages-intérêts en application de l’article 8 du Règlement AC. L’intimée prétend que la poursuite fondée sur l’article 8 ne sera engagée que si elle obtient gain de cause dans la présente action ainsi que dans une autre action relative au brevet canadien no 1 292 693 (portant aussi sur l’oméprazole) et arrive à faire infirmer ab initio les ordonnances d’interdiction correspondantes.  Faisons remarquer qu’il n’y a à l’heure actuelle aucune autre procédure judiciaire en cours qui pourrait être touchée par une décision de la Cour autorisant l’instruction de la présente action. Dans Sanofi Aventis c. Apotex (2006), 53 C.P.R. (4th) 447, la Cour a jugé qu’une revendication éventuelle en vertu de l’article 8 du Règlement AC était trop spéculative pour justifier qu’une cour entende un appel relatif à un brevet expiré. Nous avons donc des doutes quant à l’existence d’un débat contradictoire en l’espèce, mais nous n’avons pas besoin de fonder notre décision sur cette question compte tenu des motifs de rejeter la procédure en raison de l’économie des ressources judiciaires.

 

18           Le souci d’économie des ressources judiciaires s’oppose fortement à l’autorisation d’instruction de la présente action. À cet égard, on peut notamment prendre en considération les facteurs suivants. Le règlement de cette affaire serait‑il dans l’intérêt public (Borowski, paragraphe 37)? Y a‑t‑il un élément de cette affaire qui soulève des questions importantes qui risquent d’échapper à l’examen judiciaire (Doucet, paragraphe 20; Borowski, paragraphe 36)? L’affaire sera‑t‑elle de « courte durée » (Borowski, paragraphe 36)? En l’espèce, toutes ces considérations justifient le rejet de l’action. Pour savoir si le règlement de la présente affaire est dans l’intérêt public, il faudrait souligner que, dans sa déclaration, l’intimée ne réclame qu’une [traduction] « déclaration indiquant que chacune des revendications du brevet ‘751 est invalide, nulle et sans effet ». Étant donné que la présente affaire ne porte que sur une demande d’invalidité d’un brevet expiré et rien d’autre, les intérêts en l’espèce se limitent aux parties. En outre, rien dans la présente affaire ne laisse croire qu’il y a des questions importantes qui risquent d’échapper à l’examen judiciaire. Tous les motifs d’invalidité invoqués – antériorité, évidence, double brevet et inutilité – sont des questions juridiques qui sont souvent examinées dans d’autres procédures. La présente affaire ne serait pas non plus de courte durée : même si l’on écarte la possibilité d’appel, l’action devrait durer dix jours. L’intimée n’a fourni aucun motif impérieux justifiant le gaspillage inacceptable des ressources judiciaires qu’occasionnerait l’autorisation d’instruire cette action. En fait, on pourrait faire valoir que si la présente affaire était aussi urgente que le laisse croire l’intimée, il est sûr qu’il y aurait déjà eu un procès puisque l’affaire a commencé en 2003.

 

19           Pour ces motifs, la Cour refusera d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour autoriser la poursuite de l’action théorique. Étant donné que nous avons conclu que l’affaire est théorique que l’appel portant sur ce point devrait être rejeté, il n’y a pas lieu d’examiner la question de la qualité pour agir.

 

[24]           En l’espèce, l’avocat d’Apotex tente de dégager un principe de ces décisions, selon lequel les fabricants de produits génériques se verraient toujours accorder une instruction en dépit du caractère théorique alors qu’elle serait toujours refusée aux détenteurs de brevet. Une série d'arrêts de la Cour d’appel fédérale ont été invoqués, dont l’arrêt Biovail Corporation c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2006), 46 C.P.R. (4th) 413, est représentatif; la juge Sharlow y a écrit pour la cour au paragraphe 5 :

5                    Une jurisprudence volumineuse et constante de notre Cour a établi que l'appel d'une ordonnance rejetant une demande en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction aux termes du Règlement AC devient théorique à compter du moment où l'avis de conformité est délivré : Merck Frosst Canada Inc. c. Ministre de la Santé et Apotex Inc. (1999), 240 N.R. 195 (C.A.F.) (autorisation de pourvoi refusée, [1999] C.S.C.R. no 313); Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2001), 266 N.R.371 (C.A.F.), (autorisation de pourvoi refusée, [2001] C.S.C.R. no 111); Novartis A.G. c. Apotex Inc., 2002 CAF 440; AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2004 CAF 224, (autorisation de pourvoi refusée, [2004] C.S.C.R. no 391); Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2005 CAF 6.

 

[25]           L’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd. (2007), 62 C.P.R. (4th) 161, a également été invoqué, dans lequel la Cour d’appel fédérale a été partagée, les juges Sexton et Ryer ayant rejeté l’appel du fait de son caractère théorique, alors que le juge Pelletier l’aurait accueilli dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la cour. Le juge Sexton a conclu que le titulaire de brevet qui demandait l’instruction avait d’autres recours, l’action en contrefaçon par exemple. Il a écrit au paragraphe 45 :

45        Encore une fois, les innovateurs comme Eli Lilly disposent de recours. Ils peuvent toujours intenter une action en contrefaçon. Ainsi, même si Eli Lilly ne peut aller de l’avant avec le présent appel, elle peut certainement demander une injonction, des dommages‑intérêts ou une indemnité pour perte de profits en intentant une action en contrefaçon. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait. Elle dispose des mêmes recours contre les autres fabricants de médicaments génériques si elle estime être victime de contrefaçon.

 

[26]           Le juge Pelletier n’a pas été du même avis et a écrit au paragraphe 53 :

53        Même si les instances régies par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement), ne donnent pas lieu à une conclusion in rem d’invalidité, les principes du droit des brevets appliqués dans le cadre des instances relatives à un AC sont nécessairement les mêmes que ceux qui s’appliquent dans le cadre des actions en contrefaçon. Il n’y a qu’un droit des brevets. Les arrêts dans lesquels la Cour traite des principes du droit des brevets dans le contexte des instances relatives à un AC sont régulièrement et continuellement cités à titre de précédents dans d’autres instances relatives à un AC. Ces arrêts sont également cités à titre de précédents dans d’autres types de litiges en matière de brevets. Voir, par exemple, Calgon Carbon Corp. c. North Bay (Ville), 2006 CF 1373, [2006] A.C.F. no 1719, aux paragraphes 125 et 126; Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientific Ltd., 2004 CF 1672, [2004] A.C.F. no 2040, aux paragraphes 52, 75 et 97; Jay‑Lor International Inc. c. Penta Farm Systems Ltd., 2007 CF 358, [2007] A.C.F. no 688, aux paragraphes 74 et 77; Wessel c. Energy Rentals Inc., 2004 CF 791, [2004] A.C.F. no 952, au paragraphe 21; Varco Canada Ltd. c. Pason Systems Corp., 2006 CAF 100, [2006] A.C.F. no 375, au paragraphe 4.

 

[27]           Étant donné l’abondance des arrêts de la Cour d’appel fédérale sur la question de savoir si une affaire, même théorique, devrait être instruite quand l’article 8 du Règlement AC entre en jeu, je ne souscris pas à l’opinion d’Apotex que la réponse est aussi automatique que son avocat voudrait bien qu’elle soit. Ce n’est pas simplement que les fabricants de produits génériques obtiennent une instruction quand ils le veulent et que les titulaires n’en obtiennent pas. Curieusement, dans la requête dont j’ai été saisi, c’est Apotex qui soutient qu’il n’est besoin d’aucune instruction, tandis que les demanderesses, qui détiennent le brevet, en veulent une. Si cela était aussi automatique, l’instance en pareilles circonstances serait simplement close sans qu’Apotex ait la possibilité d’invoquer l’article 8.

 

[28]           Je conclus que le tribunal confronté à des circonstances telles que celles de l’espèce ne doit pas rendre une décision automatique. Il doit tenir compte des circonstances telles qu’elles sont exposées au dossier. En l’espèce, la Cour ne peut, pour rendre une telle décision, s’appuyer sur rien au dossier. L’avocat d’Apotex reconnaît de bonne foi qu’il n’est pas certain que celle-ci engagerait en fait une instance au titre de l’article 8, si une nouvelle instruction de l’affaire aboutissait à une conclusion différente de la première décision du juge Shore ou, si elle le faisait, qu’elle aurait des chances d’obtenir gain de cause ou, si elle gagnait, que le dédommagement serait négligeable, donc n'en valant pas la peine, ou bien considérable. À l’instar de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Aventis, précité, je considère que l’affaire est sans intérêt immédiat et conjecturale. Je refuse d’exercer le pouvoir discrétionnaire de la Cour pour l’instruire.

 

[29]           J’aborde à présent l’autre point, celui du jugement de la Cour d’appel fédérale enjoignant que soit rendue « une nouvelle décision » et établissant certaines conditions restrictives.

 

[30]           Les avocats des parties ont cité les motifs de la Cour d’appel fédérale et les messages électroniques échangés entre celle-ci et eux-mêmes après le dépôt des motifs et du jugement de la cour, d’où il s’est finalement ensuivi une correction apportée aux motifs et au jugement, remplaçant « décision » par « jugement », ainsi que je l’ai précédemment exposé dans les présents motifs. Apotex souligne, à la lecture de la correspondance des avocats des demanderesses, que la Cour d’appel a été priée de trancher la question de l’article 8 et du caractère théorique, et que le fait que la version révisée de son jugement et de ses motifs ne le fait pas indique qu’elle a refusé de trancher. Les demanderesses font valoir en revanche que la Cour d'appel dit de façon implicite dans ses motifs et dans son jugement, notamment dans la partie du jugement précisant au juge Shore ce qui ne doit pas être pris en considération, que l’affaire n’est pas théorique et qu’elle doit être instruite.

 

[31]           J’ai examiné cet échange de correspondance, les motifs et le jugement initiaux et leurs révisions. Je conclus qu’Apotex tout autant que les demanderesses en font une interprétation trop large. La Cour d’appel fédérale n’a pas annulé la décision du juge Shore; l’affaire a été renvoyée à la Cour pour qu’une nouvelle décision soit rendue. La Cour d'appel a enjoint à la Cour, pour rendre cette nouvelle décision, de ne pas tenir compte de certains points concernant la décision rendue dans l’action Novopharm T-2175-04. Il n’existe aucune obligation, implicite ou explicite, qu’il y ait instruction ou nouvelle instruction. Si une nouvelle décision peut être rendue sur le fondement d’une requête en rejet, cela est tout à fait compatible avec le jugement de la Cour d’appel fédérale.

 

[32]           Décider une affaire ne signifie pas qu’il y ait forcément instruction. Il peut y avoir « décision » ou « nouvelle décision » sans qu’il y ait instruction. Selon Le Petit Robert, « décider » s’entend simplement du fait d'« adopter une conclusion définitive sur (un point en litige) ». C’est ce qu’a souligné le juge Wachowich (plus tard juge en chef) dans O’Brien c. Non-Marine Underwriters, Lloyds, London (1991), 85 Alta. L.R. (2d) 358 :

[traduction]

 

Le législateur a considéré au paragraphe  235(1) et dans la condition légale 11 que la procédure d’évaluation prévue à l’article 204 fait partie des polices d’assurance en Alberta. Le caractère définitif de cette procédure, qui lie les parties, est compatible avec l’objet de la législation.

 

Le fait de conclure que la décision de l'arbitre est définitive et qu'elle lie les parties ne prive pas les O’Brien d'une cause d’action. L’action demeure; c’est l’appréciation de la perte qui a été décidée (« determined » dans le texte anglais).

 

Le fait de conclure que la procédure d’évaluation lie les parties n’est pas incompatible avec l’emploi du terme « determine » ([traduction] « décider ») au paragraphe 204(3). L’Insurance Act n’a pas de définition de ce terme. Selon l’Oxford Dictionary, « determine » s’entend de [traduction] « mettre fin ou mettre une limite, régler ou décider ». La législation est claire. La procédure d’évaluation est définitive et elle lie les parties.

 

Après avoir examiné la jurisprudence, le libellé de la législation et l’objet de l’article 204 de l’Insurance Act, je conclus que la procédure d’évaluation lie les parties.

 

[33]           Je conclus que le jugement de la Cour d’appel fédérale ayant ordonné que l’affaire fasse l’objet d’une « nouvelle décision » voulait simplement dire que la Cour est autorisée à appliquer toutes les considérations habituelles, y compris à mettre fin à une instance en raison de son caractère théorique, sans devoir nécessairement instruire plus avant.

 

[34]           Je ferai ainsi droit à la requête en rejet de l'instance; cependant, ce rejet ne survenant pas alors que le tribunal « saisi » de la demande en a fait une« instruction », il ne déclenchera pas les dispositions de l’article 8 du Règlement AC. Pour éviter toute confusion, je « mettrai fin » à l'instance.

 

[35]           Dans les circonstances, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres requêtes.

 

[36]            Les avocats ont convenu que la partie qui obtiendrait gain de cause recevrait des dépens de 3 000 $. Je vais donc rendre une ordonnance en ce sens.


ORDONNANCE

Pour les motifs qui précèdent,

LA COUR ORDONNE :

1.         il est mis fin à l'instance;

2.         Apotex doit payer 3 000 $ de dépens aux demanderesses.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.