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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100628

Dossier : T-1205-09

Référence : 2010 CF 700

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

 

et

 

 

KAM YUET LEE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre fait appel, en application du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, et de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, de la décision d’un juge de la citoyenneté datée du 29 mai 2009, qui a approuvé l’octroi de la citoyenneté au défendeur en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté. Approuvant l’octroi de la citoyenneté, le juge de la citoyenneté écrivait ce qui suit dans ses motifs, en plus du formulaire réglementaire renfermant des cases à cocher : [traduction] « Anglais faible, mais suffisant (+connaissances) ». Pour les motifs qui suivent, cet appel doit être accueilli.

 

I.  Le contexte

[2]               Le défendeur, Kam Yuet Lee, est devenu résident permanent du Canada le 20 novembre 2001. Le 9 juillet 2008, il a demandé la citoyenneté canadienne.

 

[3]               Il a été interrogé par une agente de Citoyenneté et Immigration le 15 décembre 2008. Il est devenu rapidement évident à l’agente que le défendeur ne comprenait pas les questions élémentaires posées en anglais et qu’il n’avait pas une connaissance suffisante de la langue anglaise. Il ne comprenait pas les questions telles que « quel est votre nom? » et n’y répondait donc pas. Néanmoins, l’agente a laissé le défendeur passer le test de connaissances. N’ayant répondu correctement qu’à six questions sur un total de vingt, le défendeur a échoué.

 

[4]               L’agente a renvoyé le demandeur devant un juge de la citoyenneté avec la notation suivante :

[traduction] A ÉCHOUÉ AU TEST. Le client ne comprenait aucune des questions que je lui ai posées. Il ne comprenait pas les questions : « Quel est votre nom? Comment vous êtes-vous rendu au bureau? Ni aucune des questions que je lui ai posées. APTITUDES LINGUISTIQUES ET CONNAISSANCES À ÉVALUER.

 

[5]               Le juge de la citoyenneté a invité le défendeur à un entretien le 13 février 2009, mais le défendeur ne s’y est pas présenté. Sa fille a parlé à l’agente et l’a informée que son père ne parlait pas l’anglais et qu’il aurait besoin d’un interprète pour l’entretien. Un deuxième entretien a eu lieu le 29 mai 2009 devant le juge de la citoyenneté. L’auteur de l’affidavit déposé au nom du demandeur y fait plusieurs déclarations sur la foi d’autrui concernant le résultat de cet entretien, c’est-à-dire essentiellement que la fille du défendeur lui avait servi d’interprète, que le juge de la citoyenneté avait dit à celle-ci que son père avait réussi, mais tout juste, et que le défendeur avait été prié de s’exercer à parler anglais à la maison parce qu’il « était près d’y arriver ».

 

[6]               Le juge de la citoyenneté a approuvé l’octroi de la citoyenneté au défendeur.

 

II.  Les points litigieux

[7]               Le ministre soulève les points suivants dans cet appel :

1.         Le juge de la citoyenneté a-t-il motivé suffisamment sa décision?

2.                  Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en concluant que le défendeur remplissait les conditions des alinéas 5(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté?

 

III.  Analyse

[8]               Le défendeur n’a déposé aucune pièce et, bien qu’il ait comparu à l’audience et présenté de brèves conclusions, il l’a fait par l’entremise de sa fille qui lui servait d’interprète. Il m’est apparu évident que le défendeur est très loin d’être à l’aise dans la langue anglaise.

 

[9]               Selon le demandeur, le juge de la citoyenneté a manqué à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas motivé suffisamment sa décision. Il dit que le juge de la citoyenneté était tenu d’expliquer en quoi le défendeur répondait aux exigences linguistiques fixées par la Loi sur la citoyenneté, compte tenu qu’il avait eu besoin d’un interprète au cours de l’entretien.

 

[10]           Le point de savoir si la décision du juge de la citoyenneté était suffisamment motivée est une question d’équité procédurale. La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est la décision correcte : arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[11]           « L’obligation de produire des motifs est salutaire » : arrêt Via Rail Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, au paragraphe 17 (C.A.). Comme l’écrivait la Cour d'appel, « le décideur doit […] exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ces conclusions […] il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents » : arrêt Via Rail, paragraphe 22.

 

[12]           Le contenu de l’obligation de motiver une décision varie selon les circonstances de l’affaire considérée : arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Pour mesurer le contenu de cette obligation, il faut en particulier se demander si les motifs permettent aux parties « de faire valoir tout droit d’appel ou de contrôle judiciaire à leur disposition » : arrêt Via Rail, précité, paragraphe 19.

 

[13]           À mon avis, les motifs exposés par le juge de la citoyenneté, bien qu’extrêmement minces, étaient suffisants. Le formulaire avec cases à cocher utilisé par le juge de la citoyenneté montre qu’il a passé en revue chacune des conditions de l’octroi de la citoyenneté et qu’il a tiré la conclusion que chacune d’elles était respectée. Il explique, dans ses motifs écrits additionnels, la raison pour laquelle, selon lui, le défendeur répondait aux critères d’attribution de la citoyenneté. Les motifs en question permettaient au demandeur d’interjeter appel. Ils ne laissaient voir aucun manquement à l’équité procédurale, mais cela ne signifie pas qu’ils attestaient le caractère raisonnable de la décision.

 

[14]           Selon le demandeur, [traduction] « il est tout à fait illogique pour le juge de dire que, le 29 mai 2009, le défendeur avait des aptitudes linguistiques suffisantes alors qu’il est évident, à la lecture du dossier, que, en décembre 2008, le défendeur ne parlait pas anglais ». Le demandeur dit que les motifs du juge de la citoyenneté ne l’autorisaient pas à dire que le défendeur avait une connaissance suffisante de l’une des langues officielles et une connaissance suffisante du Canada pour pouvoir obtenir la citoyenneté.

 

[15]           Les alinéas 5(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté sont ainsi rédigés :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

...

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship;

 

[16]           Ces dispositions obligent le candidat à la citoyenneté à justifier d’une connaissance suffisante du français ou de l’anglais, et d’une connaissance suffisante du Canada, avant de pouvoir obtenir la citoyenneté canadienne.

 

[17]           Le Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246, donne des renseignements plus détaillés sur la manière de dire si un candidat à la citoyenneté a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles et une connaissance suffisante du Canada. Les articles 14 et 15 du Règlement sont ainsi formulés :

14. Une personne possède une connaissance suffisante de l’une des langues officielles au Canada si, à l’aide de questions rédigées par le ministre, il est établi à la fois :

a) qu’elle comprend, dans cette langue, des déclarations et des questions élémentaires;

b) que son expression orale ou écrite dans cette langue lui permet de communiquer des renseignements élémentaires ou de répondre à des questions.

 

15. Une personne possède une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et privilèges attachés à la citoyenneté si, à l’aide de questions rédigées par le ministre, elle comprend de façon générale, à la fois :

 

a) le droit de vote aux élections fédérales, provinciales et municipales et le droit de se porter candidat à une charge élective;

b) les formalités liées au recensement électoral et au vote;

c) l’un des sujets suivants, choisi au hasard parmi des questions rédigées par le ministre :

(i) les principales caractéristiques de l’histoire sociale et culturelle du Canada,

(ii) les principales caractéristiques de l’histoire politique du Canada,

(iii) les principales caractéristiques de la géographie physique et politique du Canada,

(iv) les responsabilités et privilèges attachés à la citoyenneté autres que ceux visés aux alinéas a) et b).

14. The criteria for determining whether a person has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada are, based on questions prepared by the Minister,

(a) that the person comprehends, in that language, basic spoken statements and questions; and

(b) that the person can convey orally or in writing, in that language, basic information or answers to questions.

 

 

15. The criteria for determining whether a person has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship are that, based on questions prepared by the Minister, the person has a general understanding of

(a) the right to vote in federal, provincial and municipal elections and the right to run for elected office;

 

(b) enumerating and voting procedures related to elections; and

(c) one of the following topics, to be included at random in the questions prepared by the Minister, namely,

(i) the chief characteristics of Canadian social and cultural history,

 

(ii) the chief characteristics of Canadian political history,

 

(iii) the chief characteristics of Canadian physical and political geography, or

 

(iv) the responsibilities and privileges of citizenship, other than those referred to in paragraphs (a) and (b).

 

 

 

[18]           Il est possible, dans certaines collectivités du Canada, de vivre en se servant d’une langue autre que le français ou l’anglais, et sans avoir une vaste connaissance du Canada, mais les citoyens du Canada, par l’entremise du Parlement, ont décidé que, pour pouvoir obtenir la citoyenneté canadienne, il faut justifier d’une certaine connaissance de l’une des langues officielles et d’une certaine connaissance du Canada. C’est pourquoi la Loi sur la citoyenneté prévoit que, avant de pouvoir obtenir la citoyenneté canadienne, le candidat doit justifier d’une connaissance suffisante du français ou de l’anglais et d’une connaissance suffisante du Canada.

 

[19]           En l’espèce, le juge de la citoyenneté a estimé que le défendeur avait une connaissance suffisante de l’anglais et une connaissance suffisante du Canada pour pouvoir obtenir la citoyenneté. Les motifs additionnels du juge de la citoyenneté, en dehors du formulaire avec cases à cocher, consistent dans l’unique phrase suivante : [traduction] « Anglais faible, mais suffisant (+connaissances) ». La conclusion du juge de la citoyenneté n’était donc pas suffisamment étayée, et elle est donc déraisonnable.

 

[20]           Moins de six mois avant que le juge de la citoyenneté s’entretienne avec le défendeur, le défendeur n’avait pu répondre en anglais aux questions les plus élémentaires, par exemple « quel est votre nom? » Le défendeur n’avait pu répondre correctement qu’à 30 p. 100 des questions du test portant sur la connaissance du Canada. Il a été renvoyé devant le juge de la citoyenneté précisément en raison de sa connaissance très insuffisante de la langue anglaise et du Canada, et il a été informé explicitement des raisons pour lesquelles il devait se présenter devant le juge de la citoyenneté.

 

[21]           Dans ce contexte, le juge de la citoyenneté devait expliquer un tant soit peu en quoi un candidat, qui moins de six mois auparavant n’avait pas même une connaissance élémentaire de l’anglais et du Canada, encore moins une connaissance « suffisante » de l’un ou l’autre, avait soudainement atteint les niveaux nécessaires pour pouvoir obtenir la citoyenneté. Le juge de la citoyenneté n’a donné aucune explication du genre. Il ne suffit pas d’exhorter les candidats à la citoyenneté à se perfectionner dans l’une des langues officielles et/ou acquérir une meilleure connaissance du Canada après qu’ils auront obtenu la citoyenneté; la Loi sur la citoyenneté dit qu’ils doivent justifier d’une connaissance suffisante avant d’obtenir la citoyenneté.

 

[22]           En l’espèce, le juge de la citoyenneté n’a pas exposé de motifs étayant sa conclusion selon laquelle le défendeur avait une connaissance suffisante de l’anglais (ou du français) ou une connaissance suffisante du Canada. Sa décision est donc déraisonnable et doit être annulée.

 

[23]           M. Yuet Lee doit être félicité d’aspirer à devenir un citoyen du Canada, et je ne doute nullement qu’il ferait honneur au pays; cependant, il doit améliorer sa connaissance de la langue anglaise. C’est une tâche qu’il trouvera sans doute difficile, étant donné ses obligations professionnelles, mais il existe, en plus de sa fille, des ressources qui peuvent l’aider à y parvenir. La Cour lui souhaite bonne chance.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que l’appel est accueilli et que la décision du juge de la citoyenneté est annulée. Il n’est pas adjugé de dépens.

 

 

                                                                                                             « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1205-09

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. KAM YUET LEE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 juin 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DEMANDEUR

Kam Yuet Lee

 

EN SON PROPRE NOM

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

s.o.

 

DÉFENDEUR NON REPRÉSENTÉ

PAR UN AVOCAT

 

 

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