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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100614

Dossier : IMM-5714-09

Référence : 2010 CF 640

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2010

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

ALEXEY GOLBOM, NADIA GOLBOM,

MARINA GOLBOM, YULIA GOLBOM,

(représentée par ses tuteurs à l’instance ALEXEY GOLBOM et MARINA GOLBOM)

et STANISLAV GOLBOM 

(représenté par ses tuteurs à l’instance ALEXEY GOLBOM et MARINA GOLBOM)

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 14 octobre 2009, qui leur a refusé le statut de réfugié au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Les demandeurs ont avancé plusieurs arguments à l’encontre des conclusions de la Commission, qui a estimé qu’ils ne seraient pas exposés à la persécution en cas de renvoi en Israël et qu’ils n’étaient pas des personnes à protéger. J’ai informé les avocats durant l’audience que je ne modifierais pas sur ces moyens la décision de la Commission. Appliquant la norme de la raisonnabilité, je suis d’avis que la décision de la Commission appartient, pour ce qui est des arguments susmentionnés, « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. n° 9, aux paragraphes 47 et 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. n° 12, au paragraphe 46; Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 417, [2010] A.C.F. n° 487, au paragraphe 14.

 

[3]               Les demandeurs ont aussi prétendu dans leurs observations écrites que leurs droits à l’équité procédurale avaient été violés par le un refus de la Commission d’ajourner l’audience et par une interprétation fautive dans le traitement de leurs objections durant l’audience. Ces questions doivent être contrôlées d’après la norme de la décision correcte : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. n° 2056, aux paragraphes 53 et 54; Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] A.C.S. n° 28, au paragraphe 100.

 

[4]               L’avocat des demandeurs n’a pas insisté sur la question de l’interprétation durant l’audition de la présente demande. J’observe qu’il y a eu, avant l’audience de la Commission, renonciation explicite à une interprétation en hébreu et que l’audience de la Commission s’est déroulée avec interprétation en russe. Après lecture de la transcription de l’audience, je suis d’avis que les services d’interprétation ont été acceptables et qu’il n’y a eu, sur ce moyen, aucun manquement aux principes de justice naturelle.

 

[5]               Le point qui est déterminant dans la présente demande est de savoir si la commissaire a manqué à la justice naturelle en refusant d’ajourner l’audience pour que les demandeurs puissent être représentés par un avocat.

 

LE CONTEXTE

[6]               Le demandeur principal, Alexey Golbom, sa mère, Nadia Golbom, son épouse, Marina Golbom, sa fille, Yulia Golbom, et son fils, Stanislav Golbom, sont tous nés dans l’ancienne URSS, dans ce qui s’appelle aujourd’hui l’Ukraine. Ils sont chrétiens orthodoxes et russes de souche. Le père d’Alexey était d’origine juive et les demandeurs étaient donc considérés comme Juifs. Ils ont affirmé avoir été victimes de haine antisémite en Ukraine. Ils ont immigré en Israël en 1992, sauf Nadia, qui y a immigré en 1994, et ils sont devenus Israéliens par l’effet de la loi sur le retour.

 

 

[7]               Les demandeurs ont allégué avoir été, en Israël, victimes de discrimination, d’humiliations et de violences verbales et physiques parce qu’ils étaient d’origine russe et des chrétiens orthodoxes. Leur décision de quitter Israël a pris forme lorsque Yulia eut terminé son service militaire et que Stanislav fut considéré apte à servir, après avoir passé une visite médicale en juillet 2006 à la suite d’un deuxième avis l’informant qu’il devait se soumettre au service militaire obligatoire. Les demandeurs ont quitté Israël et sont arrivés au Canada le 31 août 2006. Ils ont présenté une demande d’asile peu après leur arrivée.

 

[8]               Leur audience devant la Commission fut d’abord fixée au 16 juin 2009. Cependant, leur ancien avocat s’est présenté à cette date pour demander un ajournement pour raisons médicales se rapportant à deux des demandeurs. L’audience fut ajournée, au 14 octobre 2009, date à laquelle elle devait sans faute se tenir.

 

[9]               Les demandeurs disent que, quelques jours avant la nouvelle date d’audience, leur avocat les a informés qu’ils ne bénéficiaient plus de l’aide juridique et qu’il ne les représenterait pas à moins de recevoir au préalable une somme substantielle. Il ne semble pas que l’avocat ait demandé à cesser d’occuper pour les demandeurs ou ait informé la Commission qu’il ne les représenterait plus.

 

[10]           Les demandeurs se sont présentés sans avocat à l’audience fixée et ont sollicité un autre ajournement pour pouvoir lever des fonds, peut-être à la faveur d’une entente de paiement partiel avec l’Aide juridique de l’Ontario, et pour engager un avocat. La commissaire a considéré que les demandeurs avaient eu amplement de temps pour se préparer en vue de l’audience, que leur ancien avocat avait déjà en partie préparé le terrain, qu’ils avaient communiqué leurs éléments de preuve et qu’un agent du tribunal expérimenté se trouvait là, et, selon la commissaire, cela suffisait pour que l’audience se déroule comme prévu sans que les demandeurs en subissent un préjudice.

 

ANALYSE

[11]           Le droit à un avocat n’est pas absolu dans les dossiers d’immigration, et les tribunaux administratifs sont maîtres de leur procédure, mais un tribunal administratif se doit de respecter l’équité procédurale lorsqu’il statue sur une demande d’ajournement motivée par l’absence d’avocat : Austria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 423, [2006] A.C.F. n° 597, au paragraphe 6; Siloch c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) A.C.W.S. (3d) 570, [1993] A.C.F. n° 10 (C.A.F.); Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, [1989] A.C.S. n° 25, aux pages 568 et 569.

 

[12]           Les facteurs dont il faut tenir compte pour statuer sur une demande d’ajournement sont exposés au paragraphe 48(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2002‑228), qui est ainsi rédigé :

Éléments à considérer

 

(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment:

 

a) dans le cas où elle a fixé la date et l’heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

b) le moment auquel la demande a été faite;

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

d) les efforts qu’elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

e) dans le cas où la partie a besoin d’un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d’aller de l’avant en l’absence de ces renseignements sans causer une injustice;

f) si la partie est représentée;

g) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l’expérience de son conseil;

h) tout report antérieur et sa justification;

i) si la date et l’heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

j) si le fait d’accueillir la demande ralentirait l’affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice;

k) la nature et la complexité de l’affaire.

 

Factors

 

(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

 

 

(a) in the case of a date and time that was fixed after the Division consulted or tried to consult the party, any exceptional circumstances for allowing the application;

(b) when the party made the application;

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

(d) the efforts made by the party to be ready to start or continue the proceeding;

(e) in the case of a party who wants more time to obtain information in support of the party’s arguments, the ability of the Division to proceed in the absence of that information without causing an injustice;

(f) whether the party has counsel;

(g) the knowledge and experience of any counsel who represents the party;

(h) any previous delays and the reasons for them;

(i) whether the date and time fixed were peremptory;

(j) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings or likely cause an injustice; and

(k) the nature and complexity of the matter to be heard.

 

 

[13]           Outre ces facteurs, la jurisprudence considère d’autres éléments comme pertinents, par exemple l’effort fait par un demandeur pour être représenté, et le point de savoir si le demandeur peut être tenu pour responsable de son impréparation : Siloch, précité; Modeste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1027, [2007] A.C.F. n° 1290, au paragraphe 15; Sandy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1468, [2004] A.C.F. n° 1770, au paragraphe 52. Il a été conclu que le fait pour un tribunal administratif de ne pas considérer tous les facteurs pertinents, favorables ou défavorables, avant de statuer sur une demande d’ajournement motivée par l’absence d’avocat constitue un manquement à la justice naturelle : Sandy, précitée, paragraphe 54; Modeste, précitée, paragraphes 18 et 19; Siloch, précité.

 

[14]           Le défendeur soutient que, pour savoir si la Commission a pris en compte tous les facteurs pertinents avant de rejeter une demande d’ajournement fondée sur l’absence d’avocat, la Cour doit évaluer la décision de la Commission d’après l’ensemble du dossier. Il n’est pas nécessaire que les motifs de la commissaire soient aussi détaillés si, par exemple, la transcription de l’audience permet au lecteur de comprendre la décision de la Commission : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Shwaba, 2007 CF 80, [2007] A.C.F. n° 119, paragraphe 15.

 

[15]           En l’espèce, après lecture des motifs de la commissaire et de la transcription de l’audience, il ne semble pas que la commissaire ait pris en compte tous les facteurs pertinents. Elle ne paraît pas s’être attardée aux efforts faits par les demandeurs pour être représentés par un avocat, ni s’être demandé si l’absence d’avocat pouvait leur être imputée. Les demandeurs ont expliqué qu’ils avaient été mis au fait trois jours ouvrables avant l’audience du problème avec l’Aide juridique et qu’il leur avait alors été impossible d’engager un nouvel avocat.

 

[16]           La commissaire ne s’est pas informée de la durée de l’ajournement que souhaitaient les demandeurs, ni du temps qu’il leur faudrait pour arriver à un compromis avec l’Aide juridique, tel un plan de remboursement, comme ils l’avaient proposé. Elle était assez préoccupée de constater que les demandeurs attendaient depuis près de trois ans que soit fixée la date de l’audience les concernant.

 

[17]           Il ne semble pas que la commissaire a pris en compte la nature et la complexité de l’affaire qu’elle devait instruire. Il s’agissait d’une demande d’asile présentée de concert par cinq personnes, qui toutes souhaitaient témoigner, laquelle soulevait des points tels que la persécution religieuse et ethnique ainsi que le statut d’objecteur de conscience. Un avocat aurait organisé les témoignages et les arguments. L’importance de ce facteur est confirmée par une lecture de la transcription. À plusieurs reprises, la commissaire a exprimé son inquiétude et son apparente irritation devant la difficulté de composer avec cinq témoins demandeurs d’asile.

 

[18]           La commissaire a accordé un poids considérable à la présence d’un agent du tribunal à l’audience. Ce n’était pas là, selon moi, un facteur pertinent qui lui permettait de statuer sur la demande d’ajournement. Le rôle de l’agent, comme l’a justement décrit la commissaire elle-même, était de s’assurer qu’elle disposait de toute l’information nécessaire pour rendre une décision dans le dossier des demandeurs, que ce soit en l’absence ou en la présence d’un avocat : voir Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 101, [2009] A.C.F. n° 101, au paragraphe 47.

 

[19]           Après lecture de la transcription, j’ai le sentiment que le refus de la commissaire d’accorder l’ajournement s’expliquait surtout par les doutes sérieux qu’elle avait devant l’explication donnée par les demandeurs à l’appui du précédent ajournement qu’ils avaient sollicité et obtenu en juin 2009. Il s’agit là d’un facteur pertinent selon l’alinéa 48(4)h) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, mais un refus d’ajournement doit prendre en compte tous les autres facteurs pertinents, ce qui n’a pas été le cas ici.

 

[20]           En définitive, je suis d’avis que la commissaire a manqué à son obligation de justice naturelle envers les demandeurs quand elle a refusé d’ajourner l’audience pour permettre aux demandeurs d’engager un avocat. En conséquence, la présente demande sera accordée, et l’affaire sera renvoyée à la Commission pour nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée, et aucune n’est certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accordée, et l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5714-09

 

INTITULÉ :                                       Alexey Golbom, Nadia Golbom, Marina Golbom,

                                                            Yulia Golbom (représentée par ses tuteurs à l’instance Alexey Golbom et Marina Golbom) et Stanislav Golbom (représenté par ses tuteurs à l’instance Alexey Golbom

                                                            et Marina Golbom)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 juin 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brouwer

 

POUR LES DEMANDEURS

Adrienne Rice

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrew Brouwer

Jackman et Associés

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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