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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100630

Dossier : IMM-4641-09

Référence : 2010 CF 717

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2010

En présence de monsieur le juge Mainville

 

 

ENTRE :

 

BERTA CELIA GARCIA DE LEIVA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée le 16 septembre 2009 par Mme Berta Celia Garcia De Leiva (la demanderesse), dans laquelle la demanderesse a contesté une décision datée du 3 septembre 2009 rendue par une agente d’immigration agissant pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (l’agente), qui a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse de l’intérieur du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire.

 

Le contexte

[2]               La demanderesse est une femme âgée née au Guatemala et citoyenne de ce pays. Elle est arrivée au Canada en juillet 2008 en tant que visiteuse et elle est restée ici depuis ce temps. Elle a d’abord obtenu des prolongations de son statut de visiteur jusqu’à la fin de l’année 2000, où elle a présenté une première demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été refusée en novembre 2001.

 

[3]               La demanderesse a par la suite présenté une demande d’asile qui a également été rejetée le 19 avril 2004 par la Section de la protection des réfugiés qui n’a pas cru que la demanderesse avait été persécutée au Guatemala.

 

[4]               La demanderesse a donc de nouveau présenté une demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire; cette demande a été signée en novembre 2004, mais elle a été déposée ultérieurement. Cette seconde demande soulevait des faits et des arguments semblables à ceux soulevés dans la première demande, à savoir principalement que la demanderesse ne pouvait pas être parrainée par ses filles canadiennes parce que ces dernières ne respectaient pas le critère financier lié au parrainage, qu’elle vivait avec une de ses filles qui souffre d’un handicap afin de l’aider et qu’elle avait fui son ex­époux violent avec qui elle avait eu une longue relation.

 

[5]               Le traitement de la seconde demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires a pris près de cinq ans et a nécessité de nombreuses demandes de renseignements et de mises à jour supplémentaires. Cette demande a été rejetée dans une décision rendue le 3 septembre 2009, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

 

La décision

[6]               Dans la décision défavorable rendue le 3 septembre 2009, l’agente a noté que la demanderesse avait deux filles adultes qui vivaient au Canada et qui étaient citoyennes du Canada, trois autres enfants adultes qui vivaient au Guatemala, un fils adulte qui vivait à New York et une fille adulte qui vivait en Argentine. La demanderesse avait également deux frères et une sœur qui vivaient au Guatemala.

 

[7]               Les motifs pour lesquels l’agente a rejeté la demande sont énoncés dans le dernier paragraphe de sa décision :

[traduction]

Après examen de l’ensemble des renseignements du dossier de la cliente, je ne suis pas convaincue qu’il existe des motifs d’ordre humanitaire justifiant le traitement de la demande de l’intéressée de l’intérieur du Canada. L’intéressée bénéficie des services sociaux depuis 2003. En outre, les renseignements fournis par sa fille Haydee Laiva avec qui la demanderesse demeure ne me convainquent pas que Haydee Laiva est disposée à aider financièrement sa mère au Canada ni qu’elle en est capable, car elle bénéficie depuis longtemps de prestations d’invalidité du ministère responsable des services sociaux. L’intéressée a un fils aux États­Unis, trois autres enfants au Guatemala, une fille en Argentine ainsi que deux frères et une sœur au Guatemala qui peuvent l’aider financièrement au lieu d’avoir recours à l’aide sociale au Canada. En outre, elle a fait des voyages entre 1988 et 1998 pour aller voir ses enfants au Canada, son fils aux États­Unis, sa fille en Argentine ainsi que ses enfants, ses frères et sa sœur au Guatemala. Je ne suis donc pas convaincue qu’il existe des motifs d’ordre humanitaire justifiant de permettre à l’intéressée de rester au Canada afin qu’elle puisse y présenter sa demande de résidence permanente. L’intéressée peut retourner au Guatemala auprès de ses trois enfants et de ses deux (sic) frère et sœur qui peuvent lui fournir les soins et le soutien nécessaires. D’ailleurs, l’intéressée a vécu au Guatemala la plus grande partie de sa vie et elle serait vraisemblablement capable de s’adapter à un environnement et à une culture avec laquelle elle était très familière.

 

 

La position de la demanderesse

[8]               La demanderesse soutient que l’agente n’a pas tenu compte des difficultés auxquelles ferait face sa fille Haydee, qui a besoin de son aide en raison de son handicap. La demanderesse a également avancé que l’agente avait négligé l’essentiel de la preuve déposée, qui révélait que ses enfants ainsi que ses parents à l’étranger ne pourraient pas lui fournir les soins et le soutien dont elle a besoin. L’affirmation de l’agente selon laquelle les parents de la demanderesse pourraient lui fournir des soins et du support n’était que pure conjecture. La demanderesse allègue donc que la décision de l’agente était déraisonnable.

 

[9]               La demanderesse a également allégué que l’agente s’était fondée sur la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés qui avait rejeté sa demande d’asile afin de conclure que la demanderesse ne serait pas exposée à des risques si elle retournait au Guatemala. Cependant, le critère applicable à une demande d’asile n’est pas le même que celui applicable à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire : l’une porte sur le risque alors que l’autre porte sur les difficultés. L’agente a donc confondu l’analyse du risque avec l’analyse des difficultés et elle n’a pas effectué l’analyse liée aux difficultés.

 

La position du défendeur

[10]           Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas s’immiscer à la légère dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré aux agents d’immigration. Une décision portant sur des motifs d’ordre humanitaire ne suppose pas une simple application de principes juridiques, mais commande la pondération de facteurs au regard de faits précis; le décideur a un grand pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne cette décision qui vise l’octroi d’une dispense spéciale d’une obligation légale.

 

[11]           Le défendeur ajoute qu’il incombe au demandeur de convaincre le décideur que sa situation personnelle est telle que les difficultés qu’il éprouverait s’il devait obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives. La demanderesse n’a pas convaincu l’agente que sa situation justifiait une dispense. Cette décision de l’agente doit faire l’objet de retenue, et la Cour ne devrait pas intervenir si l’agente a tenu compte des facteurs pertinents. Le défendeur a également soutenu que l’agente avait tenu compte des facteurs pertinents en l’espèce. Il n’appartient donc pas à la Cour de substituer sa propre appréciation à celle de l’agente à qui le ministre a confié la responsabilité de trancher de telles affaires.

 

 

Les dispositions légales

[12]           Le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) dispose que la personne qui souhaite présenter une demande de résidence permanente au Canada doit la présenter de l’étranger. Cependant, le paragraphe 25(1) de la Loi prévoit que l’on peut déroger à cette exigence; ce paragraphe est ainsi rédigé :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un

étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

La norme de contrôle judiciaire

[13]           La norme de contrôle applicable à une décision portant sur une demande de résidence permanente présentée de l’intérieur du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire est la raisonnabilité. Comme l’a noté la Cour d’appel fédérale au paragraphe 18 de l’arrêt Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] A.C.F. no 713 :

 

Il n’est pas nécessaire de se lancer dans une analyse complète lorsque la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 62). Les parties conviennent que la norme applicable à une décision relative à des raisons d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable, ainsi que le confirment tant la jurisprudence antérieure que la jurisprudence postérieure à l’arrêt Dunsmuir (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Thandal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489; Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 613, (2008), 73 Imm.L.R. (3d) 1)).

 

 

Analyse

[14]           Dans le contexte d’une demande de résidence permanente présentée de l’intérieur du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire, il est de jurisprudence constante qu’il incombe au demandeur d’établir que la dispense est justifiée et que l’agent n’est pas tenu de relever les lacunes de la demande ni de réclamer d’autres observations : Kisana, précité, paragraphe 45; Thandal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489, [2008] A.C.F. no 623, paragraphe 9.

 

[15]           En outre, une dispense fondée sur le paragraphe 25(1) de la Loi est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. no 457, paragraphe 15; Abdirisaq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 300, [2009] A.C.F. no 377, paragraphe 3; Kawtharani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 162, [2006] A.C.F. no 220, paragraphe 15; Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, [2006] A.C.F. no 425, paragraphe 20.

 

[16]           Enfin, il est clair qu’il appartient au ministre ou à son délégué d’apprécier les facteurs pertinents et de déterminer le poids qui doit être accordé à chaque facteur dans les circonstances de toute affaire : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précitée, paragraphe 11; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, paragraphe 34.

 

[17]           En l’espèce, la demanderesse a fourni peu de renseignements sur la nature et la gravité du handicap de sa fille et sur l’ampleur de l’aide qu’elle lui offre ou sur le type d’aide offerte.

 

[18]           En outre, la preuve portant sur la capacité des autres enfants de la demanderesse de lui offrir de l’aide ou du soutien était mince. La demanderesse a de nombreux enfants qui vivent au Canada, aux États­Unis, en Argentine et au Guatemala et elle n’a guère fourni d’explication quant à savoir pourquoi ses enfants ne pourraient pas prendre soin d’elle ou bien ne pourraient pas aider à prendre soin d’elle d’une façon ou d’une autre au Canada ou ailleurs.

 

[19]           L’agente a tenu compte de l’âge de la demanderesse, mais elle a noté que les problèmes médicaux dont elle souffrait étaient dus à son âge.

 

[20]           Enfin, l’agente a examiné les allégations soulevées par la demanderesse concernant les difficultés auxquelles cette dernière ferait face si elle retournait au Guatemala, mais l’agente a conclu que ces allégations n’étaient pas fondées parce que la demanderesse avait vécu au Guatemala la plus grande partie de sa vie et que nombre de ses parents et de ses enfants y vivaient.

 

[21]           La demanderesse ferait certainement face à une situation difficile en raison de son âge. Cependant, l’agente a estimé que la preuve déposée par la demanderesse ne justifiait pas d’accorder une demande de résidence permanente présentée de l’intérieur du Canada. Cette décision était en grande partie fondée sur le fardeau supposé que la demanderesse représenterait pour les services sociaux et les services de santé du Canada, lequel fardeau l’emporte sur les motifs d’ordre humanitaire invoqués.

 

[22]           La décision que devait prendre l’agente était difficile. Les autorités de l’immigration se sont longuement penchées sur cette décision et ont demandé des renseignements supplémentaires à la demanderesse. Il s’agissait d’un dossier épineux, et l’agente l’a traité à la lumière des renseignements dont elle disposait.

 

[23]           À cet égard, comme je l’ai mentionné ci­dessus, la dispense prévue au paragraphe 25(1) de la Loi constitue une mesure exceptionnelle et discrétionnaire. En outre, tel que je l’ai aussi mentionné ci‑dessus, il incombe clairement au ministre agissant par l’entremise de son délégué d’apprécier la preuve et de déterminer le poids à accorder à chaque facteur dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La Cour aurait pu apprécier différemment la preuve ou accorder plus de poids à certains facteurs, mais ce n’est pas son rôle.

 

[24]           Vu ce qui précède, la décision de l’agente en l’espèce « [appartient] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47).

 

[25]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[26]           La présente affaire ne soulève aucune question de portée générale justifiant une certification au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et aucune question ne sera donc certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4641-09

 

 

INTITULÉ :                                                   BERTA CELIA GARCIA DE LEIVA c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 9 JUIN 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MAINVILLE

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 30 JUIN 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Wells

 

POUR LA DEMANDERESSE

Suran Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kiran

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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