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Date : 201000628

Dossier : IMM-5356-08

Référence : 2010 CF 703

TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2010

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

RAHELA HAQUE

SHAHIDUL HAQUE

RAFIA HAQUE

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision du 1er octobre 2008 par laquelle un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’agent) a statué que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque de persécution, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités, ou à une menace à leur vie, s’ils devaient retourner au Bangladesh.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent la délivrance d’une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire à un autre agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux directives que la Cour jugera appropriées.

 

Le contexte

 

[3]               Les demandeurs sont Rahela Haque (la demanderesse principale), son époux Shahidul Haque (le demandeur) ainsi que leur fille Rafia Haque (la demanderesse mineure). Ils sont citoyens du Bangladesh. La demanderesse mineure est née aux États-Unis et est aussi citoyenne de ce pays. La demanderesse principale a quitté le Bangladesh à l’origine en 2002 pour aller vivre aux États-Unis. En 2003, elle est retournée au Bangladesh pour s’y marier et, en 2004, elle est retournée vivre avec son époux aux États-Unis, où ils ont vécu avant leur arrivée au Canada en 2005.

 

[4]               Les demandeurs ont demandé l’asile au Canada, prétendant craindre d’être persécutés en raison d’opinions politiques imputées et de l’appartenance à un groupe social, à savoir la famille de la demanderesse principale.

 

[5]               En 2001, le père de la demanderesse principale a été nommé à un poste de premier plan au sein de la Ligue Awami du Bangladesh (la AL). Après les élections de 2001 remportées par le Parti national du Bangladesh (le PNB), le gouvernement a commencé à se venger de ses opposants. En décembre, le père de la demanderesse principale a été enlevé par des militants. Il est retourné chez lui le lendemain et a dit à sa famille qu’il avait promis de verser une grosse somme d’argent à ses ravisseurs pour qu’ils le libèrent. Il a ensuite obtenu des visas américains de visiteurs pour les membres de sa famille, qui ont quitté le Bangladesh en mars 2002.

 

[6]               Le 5 décembre 2007, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile des demandeurs. La Commission a conclu, au vu de la preuve dont elle était saisie, que les éléments centraux du récit de la demanderesse principale n’étaient pas crédibles. Selon la Commission, en outre, le fait que la demanderesse principale se soit de nouveau réclamée de la protection du Bangladesh en 2003 et qu’elle ait longtemps séjourné aux États-Unis sans y présenter de demande d’asile dénotait l’absence de crainte subjective. La Commission a également conclu que la demanderesse principale ne craignait pas avec raison d’être persécutée compte tenu que celle-ci n’avait pas d’attaches politiques et qu’un nouveau gouvernement était en place au Bangladesh. La Commission a finalement conclu que, pour sa part, le demandeur n’était pas un témoin sincère et qu’il n’était pas crédible.

 

[7]               Le 31 mars 2008, la Cour a rejeté la demande d’autorisation (dossier de la Cour IMM‑5404‑07) soumise par les demandeurs pour contester la décision défavorable de la Commission. Les demandeurs ont par la suite présenté une demande d’ERAR.

 

La décision de l’agent

 

[8]               L’agent n’a pas pris en compte l’ensemble de la preuve produite dans le cadre de l’ERAR; il a écarté les documents antérieurs à la décision de la Commission, les demandeurs n’ayant pas expliqué pourquoi ces documents n’avaient pu être présentés à celle-ci.

 

[9]               La décision de la Commission a servi de point de départ à l’agent. La Commission avait complètement mis en doute la crédibilité des demandeurs; ceux-ci, malgré cela, ont tout simplement exposé de nouveau leur cause. L’agent a fait remarquer qu’il ne s’agissait pas dans le cadre d’un ERAR de faire valoir une fois de plus les faits qui avaient été présentés à la Commission, mais seulement d’examiner les nouveaux éléments de preuve dont la Commission n’avait pas été saisie.

 

[10]           À titre de nouvel élément de preuve, les demandeurs ont produit une lettre dans laquelle leur avocat au Bangladesh mentionnait que des policiers en civil avaient visité des membres de la famille immédiate des demandeurs afin de retracer ces derniers. L’avocat déclarait n’avoir trouvé rien d’incriminant contre les demandeurs dans les dossiers qu’il avait pu consulter au poste de police. L’avocat mentionnait aussi que le demandeur était un ami d’enfance d’un politicien maintenant  emprisonné, et émettait l’hypothèse que c’était là le motif de la visite des policiers. L’agent n’a guère reconnu de valeur probante à la lettre, comme sa teneur était de nature hypothétique et n’était corroborée par aucun élément de preuve objectif.

 

[11]           Comme nouvel élément de preuve présenté, il y avait aussi la copie d’une lettre dans laquelle un représentant de la AL déclarait que la demanderesse principale et le demandeur étaient tous deux des membres actifs de la AL et qu’il était très probable que, advenant leur retour, les demandeurs courraient un risque de persécution. L’agent n’a guère reconnu de valeur probante non plus à cette lettre; on n’y désignait pas les éventuels agents de persécution, et les allégations formulées n’étaient étayées par aucun élément de preuve objectif. L’agent a finalement relevé que, même si l’auteur de la lettre était un représentant de la AL, celui-ci n’avait mentionné avoir fait l’objet d’aucun acte de harcèlement ni d’aucune menace du fait de ses opinions politiques.

 

[12]           L’agent a également pris en compte les observations sur la situation régnant au Bangladesh  soumises par les demandeurs, faisant toutefois remarquer que ceux-ci n’avaient pas établi de lien entre cet élément de preuve et l’existence de risques personnalisés. En d’autres termes, les demandeurs n’avaient pas présenté une preuve suffisante pour démontrer que leur situation au Bangladesh ressemblait à celles des personnes décrites, dans les documents sur ce pays, comme courant actuellement un risque. La preuve ne démontrait pas la moindre participation des demandeurs à des activités politiques. À l’audience devant la Commission, il avait été établi que plusieurs frères et sœurs de la demanderesse principale vivaient au Bangladesh sans y rencontrer de difficultés.

 

[13]           L’agent a conclu qu’il existait moins qu’une simple possibilité que les demandeurs seraient exposés à de la persécution s’ils devaient retourner au Bangladesh.

 

La question en litige

 

[14]           Les parties s’entendant sur le fait que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité, la seule question qu’il reste à la Cour à trancher est de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

 

Les observations écrites des demandeurs

 

[15]           Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent était déraisonnable et soulignent, au soutien de leur prétention, quatre erreurs que l’agent aurait commises.

 

[16]           Les demandeurs font premièrement valoir que l’agent n’a pas pris en compte le fait que le père de la demanderesse principale, reconnu être un réfugié par la Commission, était une personne dans une situation semblable à la leur, de telle sorte que les événements qu’il avait vécus auraient dû suffire pour démontrer la possibilité de persécution.

 

[17]           Les demandeurs soutiennent, deuxièmement, que l’agent a commis une erreur en ne traitant pas le rapport psychologique et le rapport sur la santé mentale établis à leur endroit. Ils affirment que les actes de persécution subis par le père de la demanderesse principale ont eu et continuent d’avoir sur eux des conséquences psychologiques.

 

[18]           Les demandeurs font valoir, troisièmement, que l’agent a commis une erreur en procédant à un examen sélectif de la documentation sur le pays. Les documents en cause faisaient état de violations des droits de la personne, de faiblesse des institutions ainsi que d’inobservation du principe de la primauté du droit au Bangladesh; or, même si la demanderesse principale était la fille d’un membre de l’opposition s’exprimant ouvertement, l’agent n’a pas envisagé la possibilité que les adversaires de ce dernier puissent prêter à la fille les opinions politiques du père. La demanderesse principale fait d’ailleurs remarquer que ses plus jeunes frères et sœurs avaient obtenu protection par le biais de la demande d’asile du père, et ce, même s’ils n’avaient pas d’opinions politiques particulières.

 

[19]           L’agent aurait commis une erreur, quatrièmement, en ne prenant pas en compte l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure, cet intérêt commandant que les parents de celle-ci ne soient pas exposés à un risque de préjudice.

 

Les observations écrites des défendeurs

 

[20]           Les défendeurs soutiennent pour leur part que la décision de l’agent était raisonnable et que les motifs de contestation des demandeurs ont trait, essentiellement, à la valeur probante accordée à la preuve.

 

[21]           Contrairement à ce qu’ont affirmé les demandeurs, la Commission aurait explicitement pris en compte et rejeté leur prétention de persécution en raison de l’appartenance à leur famille. Les assertions des demandeurs étaient également sans fondement en ce qui a trait aux conséquences psychologiques des actes de persécution perpétrés à l’endroit du père de la demanderesse principale. La Commission a mis en doute la crédibilité des demandeurs et a rejeté leur prétention selon laquelle ils seraient exposés à un risque du fait de leurs liens familiaux. Malgré cela, l’agent a manifestement bien compris que l’allégation de risque formulée était fondée sur la situation du père de la demanderesse principale.

 

[22]           Quant au rapport psychologique, c’est à juste titre que l’agent l’a rejeté au motif que la Commission l’avait pris en compte et qu’il ne s’agissait pas là d’un nouvel élément de preuve.

 

[23]           Les défendeurs soutiennent finalement que l’agent n’a commis aucune erreur en ce qui concerne l’intérêt de la demanderesse mineure. Les agents d’ERAR ne sont pas tenus de prendre en considération dans chaque cas l’intérêt supérieur de l’enfant et, quoi qu’il en soit, la demande de la demanderesse principale était fondée sur le risque couru par ses parents et n’était étayée par aucun élément de preuve individualisé.

 

Analyse et décision

 

Fardeau incombant aux demandeurs

[24]            Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, [2008] A.C.S. n° 9 (QL), la Cour suprême s’est exprimée comme suit quant au contenu de la norme de la raisonnabilité :

47     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[25]           En vertu de l’arrêt Dunsmuir, la cour de révision n’interviendra en fonction de la norme de la raisonnabilité, face à une décision rejetant une demande d’ERAR, que dans les deux situations suivantes :

              1.           aucun mode d’analyse raisonnable n’aurait pu conduire à la conclusion tirée par l’agent;

              2.           la conclusion n’appartient pas aux issues possibles acceptables.

 

[26]           Pour tenter d’établir l’existence d’une des conditions susmentionnées, un demandeur peut en premier lieu faire ressortir ce qu’il perçoit être une erreur ou une interprétation erronée dans les motifs écrits énoncés par l’agent. Les motifs écrits des agents d’immigration n’ont toutefois pas à être parfaits ni à résister à une analyse juridique effectuée à la loupe (Boulis c. Canada (Ministre de la Main d’œuvre et de l’Immigration), [1974] R.C.S. 875). Si une erreur ou une omission entache la rédaction des motifs, cela n’est qu’indicatif de l’existence d’une véritable erreur.

 

[27]           Les demandeurs ne se seront pas acquittés de leur fardeau, toutefois, du simple fait qu’existe  véritablement une erreur, une omission ou une interprétation erronée. Il n’y a pas erreur susceptible de contrôle, en d’autres termes, de par la seule présence d’une erreur. Certaines erreurs peuvent miner directement le fondement même d’une décision, alors que d’autres peuvent s’avérer de peu de conséquence. Selon le passage précité de l’arrêt Dunsmuir, la cour de révision doit se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité ». Avant que la cour de révision n’intervienne, les demandeurs doivent en dernière analyse établir l’existence d’une des conditions susmentionnées.

 

[28]           Je vais maintenant examiner les prétendues erreurs qui, selon les demandeurs, rendent la décision de l’agent déraisonnable.

 

Le père de la demanderesse principale était-il une personne dans une situation semblable à celle de cette dernière?

 

[29]            Le principe bien établi en droit des réfugiés qui permet à un demandeur de se fonder sur la persécution subie par des personnes dans une situation semblable à la sienne a été énoncé avec justesse dans la décision Fi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125, [2007] 3 R.C.F. 400 :

14     Cela dit, il est bien établi en droit que l’existence de la persécution en vertu de l’article 96 de la LIPR peut être établie par un examen du traitement de personnes qui sont dans une situation semblable à celle du demandeur et que celui-ci n’a pas à prouver qu’il a été persécuté dans le passé ou qu’il serait persécuté à l’avenir. Lorsqu’il s’agit de revendications fondées sur des situations où l’oppression est généralisée, la question n’est pas de savoir si le demandeur est plus en danger que n’importe qui d’autre dans son pays, mais plutôt de savoir si les manœuvres d’intimidation ou les mauvais traitements généralisés sont suffisamment graves pour étayer une revendication du statut de réfugié. Si une personne comme le demandeur est susceptible de faire l’objet d’un préjudice grave de la part des autorités de son pays et si ce risque est attribuable à son état civil ou à ses opinions politiques, alors elle est à juste titre considérée comme une réfugiée au sens de la Convention. (Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.), à la page 259; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 63 (C.A.) (QL)).

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[30]           Les demandeurs ont produit en l’espèce des éléments de preuve démontrant que leur demande d’asile avait un lien avec le père de la demanderesse principale, puis ont fait valoir que celui-ci était une personne dans une situation semblable et que la Commission avait accueillie sa propre demande d’asile.

 

[31]            Tout en semblant avoir parfaitement compris la mesure dans laquelle la persécution subie par le père servait de fondement à la demande d’asile de la demanderesse principale, l’agent n’a pas estimé que le père était dans une situation semblable à celle de cette dernière. La Commission, d’ailleurs, avait reconnu combien différait la situation de ces deux personnes. Aucun des demandeurs n’a prétendu avoir les mêmes opinions ou attaches politiques que le père de la demanderesse principale, opinions et attaches qui avaient servi de fondement à sa demande d’asile. La Commission a déclaré ce qui suit sur le sujet :

Aucun d’eux n’est affilié à un parti ou se livre à des activités politiques. Leur crainte est fondée sur celle du père de la demanderesse d’asile principale, qui avait présenté une demande d’asile au Canada ayant été acceptée.

 

 

[32]           Les demandeurs ne lui ayant présenté aucune nouvelle preuve réfutant cette conclusion de la Commission, l’agent était tenu de l’accepter (Saadatkhani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 614, [2006] A.C.F. n° 769 (QL)).

 

[33]           Bien que les demandeurs puissent être en désaccord avec la conclusion de fait de l’agent sur cette question, il ne manquait dans les motifs de l’agent aucun élément nécessaire d’analyse. Les demandeurs n’ont pas non plus démontré que l’agent avait tiré cette conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte d’éléments dont il disposait. La Cour ne peut donc conclure qu’une erreur a été commise sur ce point.

 

L’agent a-t-il à tort fait abstraction du rapport psychologique et de la santé mentale des demandeurs?

 

[34]           Dans ses observations présentées à l’agent, le demandeur a fait état du traumatisme vécu par les demandeurs ainsi que de leurs importants problèmes psychologiques, et il a joint à titre de preuve le rapport d’un psychologue. L’agent n’a aucunement mentionné ces observations ou ce rapport dans sa lettre de décision.

 

[35]           Je ne puis admettre qu’en l’espèce cette omission ait constitué une erreur susceptible de contrôle. Il est bien établi que les agents d’ERAR sont présumés avoir examiné l’ensemble de la preuve et qu’ils n’ont pas à traiter dans leurs motifs écrits de chaque élément de preuve dont on les a saisis (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. n° 1425 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[36]           Il semble en outre que l’omission ait été intentionnelle et qu’elle était également justifiée. L’agent a déclaré avoir examiné la totalité de la preuve, et il a indiqué avec justesse au début de la décision, en conformité avec l’alinéa 113a) de la Loi, qu’il ne tiendrait pas compte – faute d’explication quant au défaut d’avoir produit des éléments de preuve à l’audience de la Commission – des éléments antérieurs à la décision de celle-ci.

 

[37]           Le rapport psychologique, daté du 18 avril 2007, était antérieur à la décision de la Commission. La Commission était en fait saisie de ce rapport, mais elle a choisi de ne lui reconnaître aucune valeur probante non plus qu’au témoignage des demandeurs au sujet de leur santé mentale (dossier certifié du tribunal, page 218).

 

[38]           Il est bien établi que les examens des risques avant renvoi ne constituent pas des appels ni des réexamens des décisions de la Commission. Il ne s’agit que d’une évaluation de l’effet que de nouveaux éléments de preuve auraient pu avoir sur une telle décision. Il n’y a pas lieu de revenir sur les conclusions de fait et les conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission ni d’en débattre à nouveau (Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, [2006] A.C.F. n° 1101 (QL), paragraphes 20 et 21; Kaybaki c. Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 32, [2004] A.C.F. n° 27 (QL), paragraphes 11 à 13; Mooketsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1401, [2008] A.C.F. n° 1814 (QL), paragraphes 10 et 11).

 

[39]           Les demandeurs n’ayant présenté aucun nouvel élément de preuve mettant en doute les conclusions tirées par la Commission, la question du rapport n’avait pas à être mentionnée.

 

[40]           Il y a également lieu de souligner que bon nombre des observations soumises à l’agent semblent l’avoir été comme s’il s’était agi d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

L’agent a-t-il commis une erreur en procédant à un examen sélectif de la documentation sur le pays?

 

[41]           Les demandeurs affirment que l’agent a mal interprété la documentation sur le pays, et n’a pas pris en compte le fait qu’il s’ensuivait de la violence politique abordée dans ces documents que la demanderesse principale pouvait être exposée à un grave risque en tant que fille d’une personne critiquant ouvertement le gouvernement.

 

[42]            J’estime, après examen de la décision, que l’assertion des demandeurs est sans aucun fondement. L’agent a parfaitement compris que la demande des demandeurs s’appuyait principalement sur les activités politiques du père de la demanderesse principale et sur les situations vécues par ce dernier. Il était donc compréhensible qu’en traitant de la situation régnant au Bangladesh l’agent ait concentré son attention sur la violence à fondement politique. Ce type d’examen sélectif est nécessaire et rationnel, et il a permis aux demandeurs de constater que l’agent avait compris la pertinence de la documentation sur le pays. Les motifs écrits de l’agent ont porté pour bonne part, d’ailleurs, sur l’examen de la situation politique mouvementée au Bangladesh. Les demandeurs n’allèguent aucunement que l’agent a passé sous silence une partie importante de l’information ou un aspect quelconque de la documentation sur le pays particulièrement pertinent aux fins de leur demande. Il n’y a par conséquent aucune raison de modifier la conclusion éclairée, reproduite ci-après, de l’agent :

[traduction]

On ne fait état dans les observations d’aucun nouvel élément de preuve pertinent quant à un changement important de la situation dans le pays depuis l’audience des demandeurs devant la SPR. Je conclus que les documents ont trait à des conditions auxquelles est exposée la population générale, ou à des conditions ou événements particuliers auxquels sont exposées des personnes qui ne sont pas dans la même situation que celle des demandeurs. La demanderesse principale n’est pas allée au Bangladesh depuis janvier 2004, et le demandeur depuis mars 2004. La preuve dont je suis saisi ne démontre pas que les demandeurs ont participé à des activités politiques quelconques au Bangladesh. Je n’estime pas raisonnable de croire, objectivement, que les adversaires politiques du père de la demanderesse principale seraient toujours à la recherche des demandeurs, alors que quatre années se sont écoulées et que la situation politique a changé au Bangladesh. Je reconnais que les demandeurs craignent pour leur sécurité; la situation politique actuelle au Bangladesh est toutefois la même pour la population générale, et il ne ressort pas de la preuve dont je suis saisi que cette situation fait courir un risque personnalisé aux demandeurs dans leur pays d’origine.

 

Les demandeurs n’ont donc pas démontré que cette partie de la décision était entachée d’erreur.

 

L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure?

 

[43]           Sauf lorsque des dispositions prescrivent expressément la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, il n’existe aucune obligation générale pour les agents d’immigration de procéder à l’analyse de cet intérêt (quant à cette question générale, voir Maskini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 826, [2008] A.C.F. n° 1039).

 

[44]           S’exprimant au nom de la Cour d’appel dans l’arrêt Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 394, [2007] 4 R.C.F. 3, 277 D.L.R. (4th) 762, le juge Evans a statué que les agents d’ERAR, en particulier, n’étaient pas tenus en droit de tenir compte de l’intérêt supérieur d’un enfant né au Canada. Il a formulé les commentaires suivants dans ses motifs :

            1.          Les articles 96, 97, 112 et 113 de la Loi (les dispositions relatives aux réfugiés et à l’ERAR) ne prévoient pas que l’intérêt supérieur des enfants fasse l’objet d’un examen poussé. Cet examen doit plutôt être effectué dans le cadre des demandes sollicitant, en vertu du paragraphe 25(1), que le demandeur reste au Canada pour des circonstances d’ordre humanitaires (paragraphes 7 à 10).

            2.         Bien que ce puisse être parfois le même agent qui procède à l’ERAR et qui juge la demande pour circonstances d’ordre humanitaire, les deux procédures ne doivent pas être confondues ni faire double emploi (paragraphe 12).

            3.         Ni la Charte ni la Convention relative aux droits de l’enfant n’exigent que l’intérêt des enfants touchés soit examiné dans le cadre de toutes les dispositions de la Loi (paragraphe 13).

 

[45]           Selon la jurisprudence, les agents d’ERAR ne sont pas tenus en droit de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant touché par un départ. Ce qui distingue la présente affaire, toutefois, c’est que l’enfant en cause est elle-même l’un des demandeurs. Elle n’est pas née au Canada et serait tout aussi visée que ses parents par une mesure de renvoi. On ne peut donc faire abstraction des risques de persécution qui lui seraient propres.

 

[46]           Si les demandeurs avaient fait valoir des risques propres à la demanderesse mineure constituant de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la Loi, l’agent aurait eu l’obligation de les prendre en compte. Les demandeurs ne l’ont toutefois pas fait. Le risque visant la demanderesse mineure était entièrement fondé sur le risque allégué pour la demanderesse principale et le demandeur. En l’absence de toute preuve quant à un risque nouveau et distinct couru par la demanderesse mineure, aucune erreur n’a pu être commise pour défaut de prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[47]           Il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision était déraisonnable. Pour tenter d’établir le caractère déraisonnable de la décision, les demandeurs ont fait valoir que celle-ci était entachée de quatre erreurs. J’ai examiné chaque erreur alléguée et conclu que l’existence d’aucune n’avait été démontrée. Il n’est pas nécessaire d’en arriver à la seconde étape et d’établir si la décision dans son ensemble était déraisonnable. Les demandeurs n’ont donc pas réussi à s’acquitter de leur fardeau, et je dois ainsi rejeter leur demande.

 

[48]           Ni l’une ni l’autre partie n’a soumis à mon attention une question grave de portée générale en vue de sa certification.

 

JUGEMENT

 

[49]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

112.(1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :

 

a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;

 

b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);

 

 

c) si elle n’a pas quitté le Canada après le rejet de sa demande de protection, le délai prévu par règlement n’a pas expiré;

 

d) dans le cas contraire, six mois ne se sont pas écoulés depuis son départ consécutif soit au rejet de sa demande d’asile ou de protection, soit à un prononcé d’irrecevabilité, de désistement ou de retrait de sa demande d’asile.

 

 

 

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

 

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

 

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

112.(1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

(2) Despite subsection (1), a person may not apply for protection if

 

(a) they are the subject of an authority to proceed issued under section 15 of the Extradition Act;

 

(b) they have made a claim to refugee protection that has been determined under paragraph 101(1)(e) to be ineligible;

 

(c) in the case of a person who has not left Canada since the application for protection was rejected, the prescribed period has not expired; or

 

(d) in the case of a person who has left Canada since the removal order came into force, less than six months have passed since they left Canada after their claim to refugee protection was determined to be ineligible, abandoned, withdrawn or rejected, or their application for protection was rejected.

 

(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

 

(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;

 

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          IMM-5356-08

 

INTITULÉ :                                         RAHELA HAQUE

                                                              SHAHIDUL HAQUE

                                                              RAFIA HAQUE

                                                              c.

                                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 4 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 28 JUIN 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark Rosenblatt

 

POUR LES DEMANDEURS

Leena Jaakkimainen

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mark Rosenblatt

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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