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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100629

Dossier : IMM-5351-09

Référence : 2010 CF 706

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2010

En présence de monsieur le juge Mainville

 

 

ENTRE :

MARIO IVAN RIVERO RAMIREZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande déposée en vertu des articles 72 et suivants de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), par laquelle Mario Ivan Rivero Ramirez (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’exécution D. Puzeris (l’agent d’exécution), datée du 26 octobre 2009, de ne pas reporter le renvoi du demandeur du Canada.

 

[2]               La demande sera rejetée pour les motifs qui suivent.

 

 

 

Le contexte

 

[3]               Le demandeur est arrivé au Canada le 18 janvier 2007 et a demandé l’asile peu de temps après. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur le 16 juillet 2008 au motif qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur au Mexique. La demande d’autorisation relative à la présentation d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été refusée.

 

[4]               Le 26 février 2009, le demandeur a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR). Une décision défavorable a été rendue le 14 avril 2009 à l’égard de l’ERAR.

 

[5]               Le 9 juin 2009, le demandeur a reçu l’ordre de se présenter le 10 août 2009 en vue de son renvoi. Entre-temps, le 23 juillet 2009, une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada a été présentée au nom du demandeur. Il convient de souligner que le 6 juin 2009, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne avec laquelle il a eu deux enfants au Canada, nés respectivement le 25 juin 2008 et le 20 juillet 2009. Le 10 août 2009, le renvoi du demandeur a été reporté du fait de la naissance de son deuxième enfant.

 

[6]               Cependant, le 14 octobre 2009, le demandeur a reçu une nouvelle convocation lui enjoignant de se présenter le 30 octobre 2009 en vue de son renvoi. Le demandeur a sollicité le report de son renvoi auprès de l’agent d’exécution sur le fondement de sa demande parrainée de résidence au titre de la catégorie des époux au Canada toujours en instance, compte tenu du fait que son épouse manifestait les symptômes d’une dépression post-partum, qui nécessitaient qu’il soit continuellement à ses côtés, et compte tenu également de l’intérêt de ses deux jeunes enfants nés au Canada.

 

[7]               L’agent d’exécution a refusé de reporter le renvoi du demandeur. Cependant, la Cour fédérale, le 29 octobre 2010, a ordonné qu’il soit sursis au renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Les questions en litige

[8]               Le demandeur sollicite ce qui équivaut à un sursis à son renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux et des conjoints de fait au Canada. Ainsi, la question au cœur du litige est de savoir si l’agent d’exécution a commis une erreur en refusant de reporter le renvoi du demandeur du Canada jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de sa demande.

 

[9]               Le demandeur soutient également que l’agent d’exécution, en refusant de reporter son renvoi du Canada, n’a pas correctement tenu compte des troubles psychologiques dont souffre son épouse et de l’intérêt de ses enfants.

 

La norme de contrôle

[10]           La décision d’un agent d’exécution de ne pas reporter le renvoi d’une personne visée par une mesure de renvoi prise en application de la Loi nécessite l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, bien qu’il soit très limité. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, a établi que la norme qui s’applique à la révision des décisions discrétionnaires est la raisonnabilité. La norme de raisonnabilité est celle qui a été appliquée au contrôle judiciaire du refus d’un autre agent d’exécution de reporter un renvoi dans l’affaire Chetaru c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 436. J’appliquerai ainsi au présent contrôle judiciaire la norme de raisonnabilité.

 

Analyse

[11]           La présente demande peut être tranchée selon les principes établis par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, 309 D.L.R. (4th) 411; [2009] A.C.F. no 314 (QL) (l’arrêt Baron), dans lequel sont citées avec approbation la décision rendue par le juge Pelletier dans l’affaire Wang c. Canada, 2001 CFPI 148; [2001] 3 C.F. 682; [2001] A.C.F. no 295 (QL) (la décision Wang), et la décision rendue par le juge Nadon dans l’affaire Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000), 187 F.T.R. 219; [2000] A.C.F. no 936 (QL) (la décision Simoes).

[12]           Dans la décision Wang, le juge Pelletier a affirmé, aux paragraphes 48 et 52 :

Il est admis qu'il existe un pouvoir discrétionnaire de différer l'exécution du renvoi, bien que les limites de ce pouvoir discrétionnaire ne soient pas définies. L'octroi de ce pouvoir discrétionnaire se trouve dans le même article qui impose l'obligation d'exécuter les mesures de renvoi, une juxtaposition à laquelle il faut accorder tout son sens. Dans son sens le plus large, le pouvoir discrétionnaire de différer ne devrait en toute logique être exercé que dans des circonstances où la procédure à laquelle on défère peut avoir comme résultat que la mesure de renvoi devienne nulle ou de nul effet. Le report dont le seul objectif est de retarder l'échéance ne respecte pas les impératifs de la Loi. Un exemple de politique qui respecte le pouvoir discrétionnaire de différer tout en limitant son application aux cas qui respectent l'économie de la Loi est de réserver l'exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu'il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu'un report pourrait faire que la mesure devienne de nul effet. Dans de telles circonstances, on ne pourrait annuler les conséquences d'un renvoi en réadmettant la personne au pays par suite d'un gain de cause dans sa demande qui était pendante. Les affaires comme celle-ci, qui causent des difficultés à la famille, sont malheureuses, mais on peut y remédier par une réadmission.

 

[…]

 

Quant à la question soumise au contrôle judiciaire sous-jacent, le refus de l'agent chargé du renvoi de différer l'exécution du renvoi jusqu'à ce qu'on ait tranché la demande invoquant des motifs d'ordre humanitaire, je considère qu'il n'y a pas de question sérieuse à trancher au sujet de sa conduite. Comme je l'ai expliqué plus tôt, une demande pendante invoquant des motifs d'ordre humanitaire fondée sur la séparation d'avec la famille n'est pas en soi un motif de remettre un renvoi à plus tard. La traiter comme étant un tel motif aurait pour résultat de créer un sursis que le législateur n'a pas voulu inclure dans la Loi […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[13]           Cette approche a été entérinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baron, au paragraphe 51 :

À la suite de ma décision dans l’affaire Simoes, précitée, mon collègue le juge Pelletier, alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale, a eu l’occasion, dans la décision Wang c. Canada (M.C.I.), [2001] 3 C.F. 682 (C.F.), dans le contexte d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, d’aborder la question du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution de reporter le renvoi. Après avoir examiné attentivement et à fond les dispositions législatives applicables et la jurisprudence s’y rapportant, le juge Pelletier a circonscrit la portée du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution en matière de report de renvoi. Dans des motifs que je ne puis améliorer, il a expliqué ce qui suit :

Il existe divers facteurs qui peuvent avoir une influence sur le moment du renvoi, même en donnant une interprétation très étroite à l’article 48. Il y a ceux qui ont trait aux arrangements de voyage, et ceux sur lesquels ces arrangements ont une incidence, notamment le calendrier scolaire des enfants et les incertitudes liées à la délivrance des documents de voyage ou les naissances ou décès imminents.

La loi oblige le ministre à exécuter la mesure de renvoi valide et, par conséquent, toute ligne de conduite en matière de report doit respecter cet impératif de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, on devrait accorder une grande importance à l’existence d’une autre réparation, comme le droit de retour, puisqu’il s’agit d’une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi. Dans les affaires où le demandeur a gain de cause dans sa demande CH, il peut obtenir réparation par sa réadmission au pays.

Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle.

Il est possible de remédier aux affaires où les difficultés causées à la famille sont le seul préjudice subi par le demandeur en réadmettant celui‑ci au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était en instance.

Je souscris entièrement à l’exposé du droit du juge Pelletier.

[Souligné dans l’original.]

 

[14]      En l’espèce, la sécurité personnelle du demandeur n’est pas en cause. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada et l’agent qui a effectué l’ERAR ont tous deux conclu que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur au Mexique. En l’absence de preuve du contraire, l’agent d’exécution n’avait pas le pouvoir de faire abstraction de ces décisions ou de les infirmer.

 

[15]      Ainsi, la question centrale en l’espèce est de savoir si la demande de parrainage conjugal présentée au Canada, qui demeure en instance, justifie à elle seule le report du renvoi. Autrement dit, cette demande constitue-t-elle l’une des considérations spéciales pouvant justifier que l’agent d’exécution reporte le renvoi du demandeur, auxquelles il est fait référence dans les décisions Wang et Baron?

 

[16]      Comme l’a souligné le juge Nadon dans l’arrêt Baron, au paragraphe 50, la simple existence d’une demande fondée sur des motifs humanitaires n’empêche pas l’exécution d’une mesure de renvoi valide. Ce raisonnement s’applique aussi aux demandes de parrainage conjugal présentées au Canada, étant donné que la Loi ne prévoit pas que les demandes de ce genre entraînent le report d’une mesure de renvoi. Bien que le ministre ait élaboré une politique publique qui permet, dans certaines circonstances, d’accorder un report administratif du renvoi des personnes au nom desquelles une demande de parrainage conjugal a été présentée au Canada, le demandeur ne répond pas aux critères d’admissibilité de cette politique publique. L’agent d’exécution n’est aucunement habilité à modifier cette politique ni ne peut élaborer une nouvelle politique pour répondre aux besoins du demandeur.

 

[17]      Dans certains cas, un agent d’exécution peut sans doute reporter un renvoi du fait de l’imminence d’une décision relative à une demande de parrainage conjugal présentée au Canada et ainsi éviter à un demandeur de nombreux déplacements, dans l’éventualité où la demande de parrainage serait accueillie. Le temps qu’une demande de parrainage conjugal présentée au Canada est demeurée pendante peut aussi être pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer si une décision à l’égard d’une demande est imminente. Quoi qu’il en soit, le seul fait qu’une demande de parrainage conjugal présentée au Canada soit pendante ne justifie pas, en l’absence de circonstances spéciales, le report d’un renvoi. L’agent d’exécution n’a pas agi de façon déraisonnable en refusant de reporter le renvoi du demandeur sur ce fondement.

 

[18]      Le pouvoir d’un agent d’exécution correspond exactement à son titre, c’est-à-dire le pouvoir d’exécuter les mesures de renvoi. L’agent d’exécution dispose d’un pouvoir discrétionnaire limité en ce qui concerne le moment auquel une mesure de renvoi est exécutée. Cependant, ce pouvoir ne permet pas, ni ne devrait permettre, de reporter un renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard d’une demande de parrainage conjugal présentée au Canada alors que ni la Loi ni la politique publique ne permettent d’accorder un tel report et lorsqu’une décision à l’égard de la demande pendante ne sera pas prise de façon imminente.

 

[19]      Qui plus est, pour ce qui est des enfants nés au Canada, un agent d’exécution n’est pas tenu de soupeser soigneusement l’intérêt des enfants avant d’exécuter une mesure de renvoi. Comme l’a affirmé le juge Nadon dans l’arrêt Baron, au paragraphe 57, « l’agent chargé du renvoi n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt supérieur des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi. J’estime que les motifs exposés par le juge Pelletier dans la décision Wang, précitée, vont dans le même sens. »

 

[20]      Finalement, l’agent d’exécution a bien tenu compte de la santé psychologique de l’épouse du demandeur. Il a cependant conclu que le demandeur avait amplement eu l’occasion de prévoir d’autres dispositions pour son épouse en prévision de son renvoi. Il a conclu en outre que l’épouse, advenant le renvoi du demandeur, pourrait bénéficier de soins professionnels adéquats au Canada. Il s’agissait en l’occurrence de conclusions appartenant aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[21]      L’espèce ne soulève aucune question grave de portée générale qui mériterait d’être certifiée aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi. Ainsi, aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5351-09

 

 

INTITULÉ :                                       MARIO IVAN RIVERO RAMIREZ c. MSPPC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 JUIN 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MAINVILLE

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 JUIN 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark Rosenblatt

 

POUR LE DEMANDEUR

Jamie Todd

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mark Rosenblatt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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