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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100623

Dossier : T-1688-09

Référence : 2010 CF 685

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2010

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

JOSE MCILROY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, Jose McIlroy, interjette appel de la décision datée du 10 septembre 2009 par laquelle la juge de la citoyenneté Sonia Bitar (la juge de la citoyenneté) a rejeté sa demande de citoyenneté au motif qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence relative à la résidence énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi). L’appel est interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi et de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F‑7, art.1; 2002, ch. 8, art. 14.

 

Historique

[2]               Le demandeur est un citoyen du Japon. Il est entré au Canada le 9 février 2002, muni d’un visa de travail d’un an, pour travailler chez Western Canada Machining, à Edmonton, en Alberta. Le statut de résident permanent lui a été accordé le 8 septembre 2005. Le 11 avril 2008, le demandeur est retourné au Japon et il y vit depuis cette date.

 

[3]               Le 12 avril 2008, le demandeur a déposé une demande de citoyenneté dans laquelle il déclarait avoir cumulé 1016 jours de présence effective au Canada au cours des quatre années précédant sa demande, soit du 12 avril 2004 au 12 avril 2008 (la période visée). Le demandeur reconnaît qu’il ne satisfait pas à l’exigence relative à la résidence énoncée dans la Loi, selon laquelle il doit avoir cumulé 1095 jours de présence effective pendant la période visée.

 

[4]               Le 16 juillet 2009, l’agente de citoyenneté Rhoda Lutz a examiné la demande et noté ce qui suit :

a)         M. Mcllroy a déclaré qu’il vit, étudie et travaille au Japon.

 

b)         M. Mcllroy vivait chez un ami en avril 2008 et il n’a pas donné une autre adresse de résidence au Canada depuis avril 2008.

 

c)         L’épouse, les parents ainsi que les frères et sœurs de M. Mcllroy habitent tous au Japon.

 

d)         M. Mcllroy, dont l’emploi chez Western Canadian Machining a pris fin en avril 2008, n’a présenté aucune documentation faisant état de son emploi actuel.

 

e)         M. Mcllroy a été absent 19 fois pendant la période pertinente.

 

f)          Il manque 79 jours pour que M. Mcllroy satisfasse à l’exigence relative à résidence énoncée dans la Loi.

 

 

           

[5]               L’agente Lutz a conclu qu’elle n’était pas convaincue que M. McIlroy vivait au Canada et qu’il y avait construit sa vie, et elle a renvoyé la demande à un juge de la citoyenneté pour audience.

 

Décision de la juge de la citoyenneté

[6]               À l’audience, tenue le 20 août 2009, après avoir examiné la question de savoir si le demandeur avait fait en sorte que le Canada occupe une place centrale dans sa vie conformément aux facteurs de Koo (Re), [1993] 1 C.F 286 (1ère inst.), la juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à l’exigence relative à la résidence énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Dans sa lettre de décision datée du 10 septembre 2009, elle a relevé les faits suivants :

·                    L’épouse, les parents ainsi que les frères et sœurs du demandeur vivent au Japon.

·                    C’est au Japon que le demandeur habite et travaille actuellement.

·                    Le demandeur n’a plus ni résidence ni emploi au Canada et, lors de son dernier séjour au Canada, il est demeuré chez un ami.

·                    Le demandeur ne prévoit pas revenir dans l’immédiat au Canada.

 

 

[7]               La juge de la citoyenneté a de plus estimé que rien ne justifiait la recommandation que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire pour lever l’exigence relative à la résidence pour des motifs d’ordre humanitaire, conformément au paragraphe 5(3) de la Loi, ou que le gouverneur en conseil ordonne au ministre d’attribuer la citoyenneté en raison d’une situation particulière et inhabituelle, conformément au paragraphe 5(4) de la Loi.

 

 

Les questions en litige

 

[8]               Le présent appel soulève les questions suivantes :

 

1.         La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en prenant en compte des indices de résidence postérieurs à la période visée ainsi que les plans d’avenir du demandeur pour conclure que celui-ci ne satisfaisait pas à l’exigence en matière de résidence?

 

2.         Le demandeur pouvait-il légitimement s’attendre à ce que la juge de la citoyenneté tienne uniquement compte de la période visée? Dans l’affirmative, la juge de la citoyenneté a-t-elle manqué aux principes d’équité procédurale en procédant ainsi?

 

 

 

Le droit

 

La législation

 

[9]               L’exigence relative à la résidence est énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi :

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[…]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,



(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

Le critère de Koo (Re)

[10]           En l’espèce, il est admis que la juge de la citoyenneté a appliqué le critère de la résidence énoncé dans Koo (Re).

 

[11]           Le critère de Koo (Re) ne dépend pas de la seule question de savoir combien de jours le demandeur a été physiquement présent au Canada. Dans Koo (Re), au paragraphe 10, le juge Reed donne l’explication suivante :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante: le critère est celui de savoir si l’on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant "vit régulièrement, normalement ou habituellement". Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d’existence? Il y a plusieurs questions que l’on peut poser pour rendre une telle décision:

 

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

 

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

 

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote‑t‑elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?

 

4) quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

 

5) l’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

 

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

 

[12]           Pour déterminer si le demandeur a « centralisé son mode d’existence » au Canada, il faut procéder à un examen en deux étapes. Premièrement, le demandeur doit démontrer qu’il a établi sa résidence au Canada au cours de la période requise et, deuxièmement, il ou elle doit avoir maintenu une résidence au Canada durant toute la période prescrite dans la Loi, soit durant les quatre années antérieures à la présentation de la demande de citoyenneté (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1067, au paragraphe 7). La démonstration de la résidence constitue une étape préliminaire de cette analyse.

 

La position du demandeur

 

[13]           Le demandeur soutient que la décision de la juge de la citoyenneté devrait être annulée pour les motifs suivants :

1.         La juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait jamais établi sa résidence au Canada.

 

2.         La juge de la citoyenneté a commis une erreur en prenant en compte le pays de résidence du demandeur après la période visée ainsi que les intentions du demandeur relativement à sa résidence future.

 

3.                  Le demandeur s’attendait, de façon légitime, à ce que la juge de la citoyenneté ne tienne compte que de ses indices de résidence pendant la période visée.

 

 

[14]           Le demandeur prétend que la conclusion de la juge de la citoyenneté selon laquelle il n’avait pas établi sa résidence est contraire à la preuve. Il soutient avoir établi sa résidence avant le commencement de la période visée et avoir maintenu sa résidence pendant la période visée. Il affirme que, pendant cette période, il travaillait pour une société canadienne, louait un appartement, produisait des déclarations de revenus annuelles, souscrivait une police d’assurance-maladie, avait un compte bancaire et un permis de conduire et enseignait et s’entraînait au club de judo Tokugawa à Edmonton.

 

[15]           Selon le demandeur, la principale raison pour laquelle la juge de la citoyenneté a conclu qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence relative à la résidence est qu’il travaillait et vivait au Japon au moment de l’audience et qu’il ne prévoyait pas revenir dans l’immédiat au Canada. Le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté n’a pas axé son examen sur les indices de résidence pendant la période visée et qu’elle l’a plutôt axé sur la période subséquente, lorsqu’il vivait à nouveau au Japon.

 

[16]           Le défendeur prétend que, pour l’application du critère de Koo (Re), il n’est nullement pertinent de tenir compte de la résidence après la période visée et il invoque à cet égard les décisions Chowdhury c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 709, Nuliah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1423, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chen, 2004 CF 848, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Barker, 2003 CFPI 226. Sur ce fondement, le demandeur soutient que son retour au Japon après la période visée ne devrait avoir aucune incidence sur la détermination de la question de savoir s’il satisfait à l’exigence en matière de résidence.

 

[17]           Le demandeur fait également valoir que la Loi ne prévoit pas l’obligation pour un demandeur de la citoyenneté de démontrer qu’il a l’intention de résider au Canada à l’attribution de la citoyenneté. À son avis, la juge de la citoyenneté a commis une erreur en exigeant de lui une résidence actuelle et continue au Canada après la période visée. Il fait valoir que ce critère de résidence est plus exigeant que celui requis par la Loi.

 

[18]           Le demandeur déclare en outre qu’il avait l’attente légitime que la juge de la citoyenneté ne tienne compte que de ses indices de résidence pendant la période visée et, qu’en prenant en considération la période qui a suivi et les plans d’avenir du demandeur, elle avait violé son droit à une audition équitable.

 

[19]           En ce qui concerne l’argument relatif à « l’attente légitime », le demandeur invoque le formulaire de demande de citoyenneté CIT 0002, qui indique que seules les quatre années de résidence au Canada précédant le dépôt de la demande seront prises en considération. Il invoque également les instructions du questionnaire sur la résidence selon lesquelles les documents établissant les attaches du demandeur avec le Canada devraient porter au moins sur les quatre (4) années précédant immédiatement la date de la demande de citoyenneté. Le demandeur note en outre que son avocat lui a dit que seule la période visée était pertinente quant à la détermination de la résidence.

 

 

La position du ministre

 

[20]           Le ministre note que le demandeur ne conteste pas la conclusion de la juge de la citoyenneté selon laquelle il n’a pas satisfait à l’exigence en matière de résidence prévue par la Loi, selon laquelle il devait avoir été physiquement présent durant 1 095 jours au Canada.

 

[21]           Le ministre fait valoir que la juge de la citoyenneté avait le droit de tenir compte, lorsqu’elle appliquait les facteurs énoncés dans Koo (Re), de l’ensemble de la situation du demandeur pour décider qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence relative à la résidence et, en particulier, qu’il n’avait pas démontré que le Canada occupait une place centrale dans sa vie. La juge de la citoyenneté explique ces faits dans sa décision et dans ses notes.

 

[22]           En ce qui concerne les liens du demandeur avec le Canada, le ministre soutient que l’existence d’indices passifs de résidence, tels que les déclarations de revenus, les comptes bancaires et les polices d’assurance-maladie, ne suffit pas pour démontrer l’existence de liens importants avec le Canada. Pour démontrer de tels liens, il doit exister une « certaine communication avec la collectivité » ou une explication pour l’absence d’une telle communication. Le ministre invoque les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Camorlinga‑Posch, 2009 CF 613, Paez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 204, et Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 1555. Le ministre note que le demandeur n’était membre que d’une seule organisation (de judo), qu’il n’avait pas de propriété et qu’il était demeuré chez des amis ou à l’hôtel lors de ses derniers voyages au Canada.

 

[23]           Le ministre soutient que la juge de la citoyenneté n’a pas violé les principes d’équité procédurale en ne se limitant pas à la période visée lors de son examen. Au contraire, elle a mis en contexte la demande de citoyenneté du demandeur. Le ministre fait remarquer que la juge de la citoyenneté aurait pu refuser la demande pour le seul motif que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi en matière de résidence. Il note que, malgré cela, la juge de la citoyenneté avait examiné la question de savoir si le demandeur avait fait en sorte que le Canada occupe une place centrale dans sa vie. Il soutient qu’il incombe au demandeur de démontrer qu’il satisfait à l’exigence relative à la résidence et que la juge de la citoyenneté n’est nullement obligée de soulever la question des liens du demandeur avec le Canada. Le ministre s’appuie sur les décisions Belghazi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 222, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Aratsu, 2008 CF 1222, Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1140, et So c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 733.

 

Norme de contrôle

[24]           La question de savoir si un demandeur de la citoyenneté satisfait ou non aux exigences en matière de résidence prévues par la Loi est une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Arastu, 2008 CF 1222, aux paragraphes 16 à 21; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 483, aux paragraphes 7 et 8; Ishfaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration.), 2008 CF 477, au paragraphe 4). La décision du juge de la citoyenneté sera raisonnable « dans la mesure où il est démontré que le juge a compris la jurisprudence et qu’il a apprécié les faits et les a appliqués au critère prévu par la Loi » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ryan, 2009 CF 1159, au paragraphe 16; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ntilivamunda, 2008 CF 1081, au paragraphe 5).

 

Analyse

 

1.         La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en prenant en compte des indices de résidence postérieurs à la période visée ainsi que les plans d’avenir du demandeur pour conclure que celui-ci ne satisfaisait pas à l’exigence en matière de résidence?

 

[25]           Pour déterminer si le demandeur avait fait en sorte que le Canada occupe une place centrale dans sa vie, la juge de la citoyenneté s’est plusieurs fois référée, dans son évaluation, à la période de quatre ans visée par la Loi. Elle a noté ce qui suit en ce qui concerne les quatre premiers facteurs énoncés dans Koo (Re) :

1.         Le demandeur n’a été présent au Canada que pendant 42 jours avant sa première absence.

           

            2.         La famille du demandeur vivait au Japon.

 

3.                  Jusqu’en avril 2008, le demandeur revenait au Canada pour son travail. Il s’est absenté plusieurs fois au Japon (19 fois au cours de la période visée).

 

4.                  Il manquait 79 jours au demandeur pour satisfaire à l’exigence de base en matière de résidence prévue par la Loi.

 

 

En ce qui a trait aux facteurs 1, 3 et 4, il est clair que la juge de la citoyenneté n’a tenu compte que la période visée. Il est en outre admis que la juge de la citoyenneté a également fait état, dans son évaluation, de l’absence du Canada du demandeur après la période visée.

 

[26]           Il était approprié que la juge de la citoyenneté tienne compte de l’ensemble de la situation du demandeur dans son examen des facteurs énoncés dans Koo (Re) (Hernando Paez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 204, au paragraphe 14). À mon avis, la mention des activités du demandeur au Japon et de son intention de ne pas revenir au Canada avant la retraite de son oncle ne visait qu’à mettre la demande en contexte et n’a eu aucune incidence sur la décision (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1140, aux paragraphes 14 et 15; Hernando-Paez, au paragraphe 22).

 

[27]           En fin de compte, la juge de la citoyenneté n’a pu conclure que le demandeur avait établi sa résidence au Canada pendant la période visée et elle ne pouvait donc pas conclure que le Canada occupait une place centrale dans sa vie. Sur le fondement des faits présentés, il était raisonnablement loisible à la juge de la citoyenneté de tirer cette conclusion.

 

2.         Le demandeur pouvait-il légitimement s’attendre à ce que la juge de la citoyenneté tienne  uniquement compte de la période visée? Dans l’affirmative, la juge de la citoyenneté a-t-elle manqué aux principes d’équité procédurale en procédant ainsi?

 

[28]           Dans Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, le juge Sopinka (citant l’arrêt Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170) a expliqué la théorie de l’expectative légitime comme étant « le prolongement des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale ». Si le requérant peut légitimement s’attendre à ce qu’une certaine procédure soit suivie, cette procédure est requise au titre de l’obligation d’agir équitablement.

 

[29]           Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 26, la juge L’Heureux-Dubé a expliqué en outre que :

[…] Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les «circonstances» touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.

 

 

[30]           Enfin, dans Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, au paragraphe 29, le juge Binnie a écrit ce qui suit :

[…] la théorie de l’expectative légitime s’attache à la conduite de l’autorité publique dans l’exercice de ce pouvoir (Vieux St‑Boniface, précité, p. 1204) et notamment aux pratiques établies, à la conduite ou aux affirmations qui peuvent être qualifiées de claires, nettes et explicites. [Renvois omis.]

 

 

[31]           Le demandeur soutient qu’il pouvait légitimement s’attendre à ce que la juge de la citoyenneté ne tienne compte que de ses indices de résidence pendant la période visée. À l’appui de son argument, il invoque le formulaire de demande de citoyenneté CIT 0002 et les instructions contenues dans le questionnaire relatif à la résidence.

 

[32]           À mon avis, ces formulaires ne créent pas l’attente légitime que le juge de la citoyenneté ne tiendra compte que la période visée de quatre ans. Le formulaire de demande de citoyenneté CIT 0002 concerne la demande initiale et non l’audience devant le juge de la citoyenneté. De plus, il n’est pas dit dans le questionnaire relatif à la résidence qu’il ne sera tenu compte que de la période visée de quatre ans. Il y est, au contraire, dit que les documents démontrant les attaches du requérant avec le Canada [traduction] « devraient porter au moins sur les quatre (4) ans précédant immédiatement la date » de la demande [non souligné dans l’original].

 

[33]           Lorsqu’ils appliquent le critère de Koo (Re), les juges de la citoyenneté n’ont pas une pratique claire, non ambigüe et constante de ne tenir compte que la situation du demandeur au cours de la période visée. Certains facteurs, tels que l’attachement de la famille au Canada, transcendent cette période. La juge de la citoyenneté n’a pas violé les principes d’équité procédurale en mentionnant la situation du demandeur après cette période. Étant donné les faits particuliers de l’espèce, la théorie de l’attente légitime ne s’applique pas.

 

Dépens

[34]           Sauf dans des situations exceptionnelles, les dépens ne sont que rarement attribués dans les appels en matière de citoyenneté (Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 763, au paragraphe 23; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kovarsky, (2000), 193 F.T.R. 155 (1ère inst.), au paragraphe 12). Exerçant le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je décide de n’adjuger aucuns dépens.

 

Conclusion

[35]           Pour les motifs exposés ci-dessus, l’appel sera rejeté. Aucuns dépens ne seront adjugés.


ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE, pour les motifs exposés ci-dessus, que l’appel soit rejeté sans frais.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉRÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1688-09

 

INTITULÉ :                                       JOSE MCILROY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 mai 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Blanchard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 juin 2010

 

COMPARUTIONS :

 

M. Adrian Huzel

 

POUR LE DEMANDEUR

Mme Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Embarkation Law Group

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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