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Date : 20100623

Dossier : T‑1100‑09

Référence : 2010 CF 681

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2010

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

KEVIN RANDALL

demandeur

et

 

NUBODYS FITNESS CENTRES

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par Kevin Randall en vertu de l’article 14 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la LPRPDE) relativement au présumé défaut de la défenderesse Nubody’s Fitness Centres (Nubody) d’exercer les attributions qui lui sont dévolues aux termes de la LPRPDE.

 

[2]               La présente demande fait suite à une plainte déposée par M. Randall auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, qui a publié le 26 mai 2009 un rapport concluant que la plainte portée contre la défenderesse était bien fondée et que la défenderesse avait divulgué des renseignements personnels portant sur le demandeur, à son insu et sans son consentement.

 

[3]               Aux termes de l’article 16 de la LPRPDE, la Cour peut, en sus de toute autre réparation qu’elle accorde : a) ordonner à l’organisation de revoir ses pratiques de façon à se conformer aux articles 5 à 10; b) lui ordonner de publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques, que ces dernières aient ou non fait l’objet d’une ordonnance visée à l’alinéa a); c) accorder au plaignant des dommages‑intérêts, notamment en réparation de l’humiliation subie.

 

[4]               Voici les motifs pour lesquels je rejette la demande.

 

Contexte

 

[5]               À l’époque où il a porté plainte, M. Randall était un salarié qui travaillait à la Feed Nova Scotia comme analyste de la recherche et conseiller en matière de politiques. Feed Nova Scotia est un organisme de bienfaisance enregistré de la Nouvelle‑Écosse qui s’occupe surtout d’approvisionner en aliments les banques alimentaires de la province.

 

[6]               En juillet 2007, M. Randall s’est inscrit à un des centres de conditionnement physique de la défenderesse Nubody dans le cadre du programme d’abonnement collectif offert par son employeur Feed Nova Scotia. En vertu de ce programme, l’abonnement était offert à un tarif réduit et l’employeur réglait la moitié des frais mensuels d’abonnement.

 

[7]               Au moment des faits, Nubody’s Fitness Centres était un réseau de centres de culture physique qui comptait plusieurs succursales dans les provinces maritimes. Au début de la présente instance, des changements sont survenus dans la propriété et la structure de gestion du centre à la suite de sa vente à un réseau national appelé GoodLife Fitness Centres.

 

[8]               M. Randall a signé un contrat d’une durée d’un an avec Nubody en remplissant la formule d’abonnement ainsi qu’une formule autorisant des retenues sur son salaire.

 

[9]               En août 2007, lors d’une rencontre du personnel tenue sur les lieux de travail, la superviseure du demandeur (la directrice administrative) a parlé du programme d’abonnement collectif que Feed Nova Scotia avait mis au point avec Nubody. La superviseure a mentionné que quelques‑uns des membres du personnel, dont elle‑même, s’étaient déjà prévalus de ce programme. Ce faisant, la superviseure a révélé le nombre de fois que chacun des employés en question, y compris M. Randall, avait fréquenté l’établissement de la défenderesse au cours des semaines précédentes. 

 

[10]           Même s’il était contrarié que la défenderesse ait divulgué ces renseignements à son employeur, le demandeur n’a pas fait part à ce moment‑là de ses préoccupations à sa superviseure.

 

[11]           Le 9 août 2007, le demandeur a envoyé à la représentante de la défenderesse un courriel dans lequel il demandait à la défenderesse d’arrêter de divulguer sans son consentement des renseignements personnels le concernant. Il a reçu une réponse automatique l’informant que la représentante était absente quelques jours et indiquant le nom et les coordonnées du propriétaire pour le cas où une réponse immédiate était nécessaire. M. Randall n’a pas communiqué avec le propriétaire pour lui faire part de ses préoccupations. La représentante n’a pas non plus communiqué avec lui lorsqu’elle est vraisemblablement revenue au travail à la date indiquée.

 

[12]           M. Randall croit que la défenderesse a transmis ce courriel à son employeur, car il a été convoqué au bureau de sa superviseure le 14 août 2007 pour discuter de la question. Il a alors été informé que son employeur avait besoin de savoir combien de fois les employés ayant un abonnement collectif se rendaient au centre de culture physique. M. Randall affirme que c’est sous la contrainte et parce qu’il craignait de perdre son emploi qu’il a alors accepté que ces renseignements soient divulgués à son employeur. Il ajoute qu’il a par la suite appelé au siège social de la défenderesse, sans révéler son identité, pour se renseigner au sujet de sa politique de protection de la vie privée en matière d’abonnements collectifs. Il croit qu’on avait aussi fait part à son employeur de cette demande de renseignements étant donné qu’il était la seule personne qui s’était plainte de cette divulgation de renseignements.

 

[13]           Au cours des mois qui ont suivi, M. Randall a continué à travailler pour Feed Nova Scotia et à utiliser les installations de conditionnement physique de la défenderesse. Il explique toutefois qu’il ressentait un malaise parce qu’il avait l’impression que son employeur surveillait constamment l’utilisation qu’il faisait de ces installations. Il estime aussi que le changement qu’il a observé dans son milieu de travail était attribuable à ses échanges avec Nubody. Il a été muté dans un secteur de bureaux situé plus près de sa superviseure.  Il croit que ce secteur était réservé aux employés difficiles qui nécessitaient une surveillance plus étroite. De plus, à une occasion, on lui a demandé d’effectuer un double quart de travail (c.‑à‑d. une demi‑journée de plus) dans un supermarché pour solliciter des dons d’aliments des clients. Les employés étaient invités à faire ce travail à titre volontaire. M. Randall croit qu’il est le seul employé à qui il a été demandé de consacrer plus qu’une demi‑journée à ce genre de tâches.

 

[14]           M. Randall a quitté Feed Nova Scotia en février 2008 pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la présente demande. Il a alors annulé son abonnement chez Nubody, étant donné que son employeur n’en assumait plus la moitié des frais. Il a plus tard réactivé son abonnement après avoir appris qu’il pouvait le faire au tarif réduit à condition de payer le plein montant, y compris la part assumée par l’employeur. M. Randall affirme que, tout en continuant de profiter des installations du centre de culture physique, il était toujours insatisfait de la façon dont Nubody avait donné suite à la demande qu’il lui avait faite en août, c’est‑à‑dire celle de ne pas divulguer à son employeur le nombre de fois qu’il fréquentait le centre.

 

[15]           Le 26 mai 2008, M. Randall a écrit à un autre représentant de la défenderesse pour lui exposer ses préoccupations. Le demandeur expliquait qu’il n’avait pas consenti à la divulgation du nombre de fois qu’il utilisait les installations et que ni la formule d’adhésion ni celle qu’il avait remplie pour autoriser les retenues sur son salaire pour devenir membre du centre de culture physique ne renfermaient de renseignements au sujet de la cueillette, de l’utilisation ou de la divulgation de ses renseignements personnels.

 

[16]           M. Randall expliquait, dans la lettre, qu’il était prêt à exercer des recours auprès d’autres instances si Nubody ne répondait pas à ses préoccupations et il laissait entendre que celle‑ci préférerait probablement qu’il ne porte pas sa plainte à l’attention du public. La défenderesse qualifie cette lettre de menace déguisée. M. Randall soutient qu’il ne cherchait pas à obtenir une indemnité et qu’il se serait contenté d’excuses.

 

[17]           Dans une réponse datée du 27 mai 2008, le représentant a écrit au demandeur qu’aux termes du programme d’abonnement collectif, son employeur avait accepté de subventionner son abonnement en tant qu’avantage lié à son emploi, à condition qu’il utilise le centre de culture physique un certain nombre de fois par mois, ajoutant que le demandeur avait consenti à la divulgation des renseignements concernant l’utilisation qu’il faisait de ce service lorsqu’il avait soumis sa demande d’adhésion.

 

[18]           Insatisfait de cette réponse, M. Randall a porté plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée, affirmant qu’il n’avait jamais consenti verbalement ou par écrit à la divulgation de renseignements portant sur sa fréquentation du centre de culture physique et qu’il ignorait que ces renseignements étaient surveillés ou réclamés par son employeur jusqu’au moment où il l’a appris de la façon décrite ci‑dessus. Il a écrit que la divulgation de renseignements portant sur sa fréquentation du centre de culture physique l’avait plongé dans l’embarras et avait créé, parmi ses collègues de travail, un climat de rivalité dans lequel il avait été forcé, contre son gré, de vivre. Le demandeur a également déclaré qu’il croyait que ses supérieurs le réprimandaient en raison de ses échanges avec la défenderesse.

 

[19]           Un enquêteur a été nommé et une enquête a été ouverte. L’enquêteur a conclu qu’aucune des formules que M. Randall avait remplies pour adhérer au programme d’abonnement collectif ne comportait de consentement à la divulgation à l’employeur de renseignements portant sur l’utilisation qu’une personne déterminée faisait du centre de culture physique.

 

Rapport du 26 mai 2009 du commissaire à la protection de la vie privée

 

[20]           Dans le rapport qu’il a rédigé au sujet de la plainte que le demandeur avait portée contre Nubody’s Fitness Centres Inc., le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a conclu que la plainte était bien fondée.

 

[21]           Pour trancher la question, le commissaire adjoint à la protection de la vie privée s’est fondé sur le principe 4.3 énoncé à l’annexe 1 de la LPRPDE – Troisième principe Consentement.

 

[22]           Le principe 4.3 porte que toute personne doit être informée de toute collecte, utilisation ou communication de renseignements personnels qui la concernent et y consentir, à moins qu’il ne soit pas approprié de le faire. Par ailleurs, le principe 4.3.6. précise qu’en règle générale, l’organisation devrait chercher à obtenir un consentement explicite si les renseignements sont susceptibles d’être considérés comme sensibles et que, lorsque les renseignements sont moins sensibles, un consentement implicite sera normalement jugé suffisant.

 

Conclusions du commissaire à la protection de la vie privée

 

[23]           Le commissaire à la protection de la vie privée a conclu que les renseignements portant sur l’utilisation qu’une personne fait des installations du centre de culture physique de la défenderesse sont des renseignements personnels, puisqu’il s’agit de renseignements concernant un individu identifiable, en l’occurrence le plaignant/demandeur.

 

[24]           Au moment des faits, les documents (contrat d’adhésion, formule de retenues salariales et page web) relatifs aux abonnements collectifs aux centres de culture physique de la défenderesse ne précisaient pas que l’adhésion était conditionnelle à un nombre minimal par mois de fréquentations du centre par l’abonné, et ils ne mentionnaient pas que les renseignements relatifs à la fréquence des visites seraient surveillés et divulgués à l’employeur du membre.

 

[25]           Malgré son affirmation que le demandeur a donné son consentement à la divulgation de renseignements sur son utilisation du centre de culture physique lorsqu’il a accepté d’adhérer au programme d’abonnement collectif, la défenderesse n’a pas été en mesure de démontrer qu’elle avait effectivement obtenu le consentement du demandeur.

 

[26]           Le commissaire a conclu que, si elle comptait sur l’employeur pour obtenir le consentement du demandeur à la divulgation à l’employeur de renseignements portant sur l’utilisation du centre de culture physique par l’employé, la défenderesse aurait dû documenter cette entente. Or, il semble que la défenderesse a seulement demandé à l’employeur s’il avait obtenu le consentement de l’employé à la divulgation des renseignements à l’occasion d’une discussion portant sur la présente plainte.

 

[27]           Si le demandeur avait su que son employeur n’acceptait d’accorder son soutien financier relativement à l’abonnement collectif que sous réserve d’une certaine fréquence d’utilisation, on pourrait soutenir que la défenderesse avait obtenu le consentement implicite du demandeur à la divulgation des renseignements pertinents à son employeur. La preuve qui a été soumise ne permet toutefois pas de tirer une telle conclusion. Le commissaire a par conséquent conclu que la défenderesse avait contrevenu au principe 4.3.

 

Conclusion

 

[28]           Vu ce qui précède, le rapport concluait que la plainte suivant laquelle la défenderesse avait divulgué des renseignements personnels portant sur le demandeur à l’insu de celui‑ci et sans son consentement était bien fondée.

 

Recommandations

 

[29]           Le rapport recommandait que la défenderesse revoie ses pratiques et ses documents pour s’assurer d’obtenir le consentement de ses membres à la cueillette, à l’utilisation et à la divulgation de leurs renseignements personnels, en avisant notamment ses membres du but dans lequel leurs renseignements personnels étaient recueillis, utilisés et divulgués. Si le consentement d’un tiers, notamment l’employeur du membre, devait être obtenu, la défenderesse devait documenter l’entente ainsi conclue avec l’employeur et ses renseignements sur les abonnements collectifs.

 

[30]           Le 23 juin 2009 ou vers cette date, la défenderesse a écrit au commissaire adjoint à la protection de la vie privée pour l’informer de l’élaboration et de la remise, à tous les individus participants, d’une nouvelle formule de demande d’adhésion dans laquelle il était expressément déclaré que les renseignements portant sur l’utilisation, par les membres, des installations de Nubody seraient divulgués aux employeurs participant au programme d’abonnement collectif.

 

Questions en litige

 

[31]           Voici les questions soulevées par les parties dans leurs observations écrites :

a.       La défenderesse, Nubody’s Fitness Centres, a‑t‑elle contrevenu aux dispositions de la LPRPDE?

 

b.      Si la défenderesse a contrevenu aux dispositions de la LPRPDE, le demandeur a‑t‑il subi un préjudice?

 

c.       Si le demandeur a subi un préjudice, quels seraient les dommages‑intérêts appropriés compte tenu de l’ensemble des faits? 

 

Analyse

 

[32]           L’instruction d’une demande présentée après la réception d’un rapport du commissaire à la protection de la vie privée en vertu du paragraphe 14(1) de la LPRPDE n’est pas un contrôle judiciaire des conclusions et des recommandations du commissaire. L’article 14 prévoit en effet que le plaignant peut demander à la Cour de reprendre depuis le début l’examen de « toute question qui a fait l’objet de la plainte » (Waxer c. McCarthy, 2009 CF 169, [2009] A.C.F. no 252, au paragraphe 25).

 

[33]           Aux paragraphes 47 et 48 de l’arrêt Englander c. Telus Communications Inc., 2004 CAF 387, [2004] A.C.F. no 1935, le juge Décary, de la Cour d’appel fédérale, déclare :

 

Ce qui est en question dans les deux sortes de procédures, ce n’est pas le rapport du commissaire, mais la conduite de la partie contre laquelle la plainte est déposée [...]

 

[...] l’audience visée au paragraphe 14(1) de la Loi est une procédure de novo analogue à une action, et le rapport du commissaire, s’il est produit en preuve, peut être contesté ou contredit comme n’importe quel autre élément de la preuve documentaire.

 

 

 

[34]           Dans la demande dont elle est saisie, la Cour est donc appelée à établir les faits pour déterminer si la défenderesse, Nubody’s Fitness Centres, a divulgué, sans le consentement du demandeur, des renseignements personnels concernant l’utilisation parle demandeur du centre de culture physique. Si elle conclut que la défenderesse a effectivement divulgué des renseignements personnels, la Cour doit décider si, en droit, la présumée divulgation constitue une violation du droit à la vie privée du plaignant au sens de la LPRPDE (décision Waxer, précitée, au paragraphe 25).

 

[35]           Si elle conclut à une violation de la LPRPDE, la Cour doit examiner les réparations qui s’offrent au demandeur/plaignant (Johnson c. Bell Canada, 2008 CF 1086, [2008] A.C.F. no 1368, au paragraphe 54). Le demandeur convient que la défenderesse a suivi les recommandations du commissaire. Il réclame, à titre de réparation, des dommages‑intérêts pour le cas où la Cour conclurait qu’il y a eu violation de la Loi.

 

Nubody’s Fitness Centres a‑t‑elle contrevenu aux dispositions de la LPRPDE?

 

[36]           Je conclus que la défenderesse Nubody’s Fitness Centres a divulgué des renseignements personnels portant sur la fréquentation, par le demandeur, du centre de culture physique sans le consentement du demandeur et qu’elle a de ce fait porté atteinte à son droit à la protection de sa vie privée.

 

[37]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les documents (contrat d’adhésion, formule de retenues salariales et page web) relatifs aux abonnements collectifs aux centres de culture physique de la défenderesse ne précisaient pas, au moment des faits, que l’adhésion était conditionnelle à ce que l’abonné se rende au centre un nombre minimal de fois chaque mois, ni que les renseignements relatifs à la fréquentation du centre seraient compilés et divulgués à l’employeur.

 

[38]           La défenderesse a déposé un affidavit souscrit par un employé de Nubody, dans lequel il est déclaré que Feed Nova Scotia avait expressément informé le demandeur, lorsqu’il avait soumis sa demande d’adhésion dans le cadre du programme d’abonnement collectif, que l’utilisation qu’il ferait des installations serait divulguée à son employeur. Suivant l’avocat de la défenderesse, ces renseignements provenaient de l’ancienne superviseure du demandeur, la directrice administrative de Feed Nova Scotia. Ce point n’est pas clair à la lecture de l’affidavit.

 

[39]           En tout état de cause, les affirmations contenues dans l’affidavit au sujet de ce que les membres du personnel de Feed Nova Scotia ont pu dire au demandeur constituent du ouï‑dire et elles ne constituent pas des faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, comme l’exige le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales. Le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables de la part de la Cour (paragraphe 81(2) des Règles). Dans le cas qui nous occupe, il s’agissait de la directrice administrative de Feed Nova Scotia, l’ancienne superviseure du demandeur.

 

[40]           Comme la défenderesse n’a rien fait pour démontrer que les renseignements étaient fiables et qu’il était nécessaire de les admettre sous forme de preuve par ouï‑dire, je tire une conclusion défavorable de l’omission de présenter un affidavit souscrit par la superviseure. En conséquence, je n’ai pas tenu compte des affirmations de l’affidavit de la défenderesse suivant lesquelles le demandeur a été informé, avant de soumettre sa demande d’adhésion, du fait que l’utilisation qu’il ferait du centre de culture physique serait divulguée à son employeur.

 

[41]           Le principe 4.3 de l’annexe 1 de la LPRPDE porte que toute personne doit être informée de toute collecte, utilisation ou communication de renseignements personnels qui la concernent et y consentir, à moins qu’il ne soit pas approprié de le faire. Le principe 4.3.6. précise qu’en règle générale, l’organisation devrait chercher à obtenir un consentement explicite si les renseignements sont susceptibles d’être considérés comme sensibles et que, lorsque les renseignements sont moins sensibles, un consentement implicite sera normalement jugé suffisant.

 

[42]           Je me rallie aux conclusions du commissaire lorsqu’il déclare, dans son rapport, que les renseignements portant sur l’utilisation du centre de culture physique de la défenderesse constituent des renseignements personnels, étant donné qu’il s’agit de renseignements portant sur un individu identifiable. Je conviens avec la défenderesse que ce type de renseignements fait partie de ceux qui sont les moins sensibles, lorsqu’on les envisage objectivement. Ils ne portaient en effet que sur le nombre de fois par semaine où le demandeur avait fréquenté l’un des centres de culture physique de la défenderesse. Les renseignements divulgués n’indiquaient pas ce qu’il faisait à ces centres de culture physique, le temps qu’il y demeurait, en quoi consistait son programme d’entraînement, sa condition physique ou d’autres renseignements personnels. Dans d’autres circonstances, on pourrait conclure à l’existence d’un consentement tacite à la divulgation de renseignements aussi peu sensibles.

 

[43]           J’accepte la prétention du demandeur suivant laquelle, compte tenu des circonstances de l’espèce, les renseignements étaient sensibles, d’autant plus qu’ils avaient été divulgués à ses collègues de travail lors d’une réunion du personnel et qu’ils encourageaient la rivalité entre lui et ses collègues, ce qui le rendait mal à l’aise. L’employeur aurait dû savoir que certains employés pouvaient ne pas être à l’aise avec la divulgation publique de renseignements à leurs collègues. Dans ces conditions, il ne s’agissait pas de renseignements peu sensibles au point que je considérerais que le consentement à leur divulgation serait implicite.

 

[44]           Je ne veux toutefois pas dire que je considère que la cueillette de ces renseignements et leur transmission à l’employeur étaient déraisonnables, s’agissant d’un programme que l’employeur offre de son plein gré à son personnel et dont il assume la totalité ou une partie importante des coûts. Il est raisonnable, à mon avis, que l’employeur soit mis au courant, dans ces conditions, de l’usage qui est fait de l’avantage qu’il offre à ses employés, à condition cependant que ceux‑ci soient avisés que ces renseignements lui seront communiqués et à condition qu’on leur offre le choix de refuser de se prévaloir de cet avantage. La défenderesse était par ailleurs tenue de s’assurer que les employés qui participaient à son programme d’abonnement collectif soient expressément mis au courant du fait que les renseignements en question seraient divulgués à leur employeur.

 

[45]           Dans son rapport, le commissaire recommandait que la défenderesse revoie ses pratiques et ses documents pour s’assurer d’obtenir le consentement de ses membres à la cueillette, à l’utilisation et à la divulgation de leurs renseignements personnels, ce qui comprenait l’obligation pour la défenderesse de les informer à quelle fin leurs renseignements personnels étaient recueillis, utilisés et divulgués. Si le consentement devait être obtenu par un tiers, par exemple l’employeur de la personne en cause, la défenderesse devait documenter cette entente avec les employeurs et la consigner dans ses renseignements sur les abonnements collectifs.

 

[46]           Je constate que la défenderesse a pris des mesures pour donner suite à la recommandation du commissaire. La défenderesse a écrit au Commissariat à la protection de la vie privée pour l’informer qu’on était en train de mettre au point une nouvelle formule précisant que les renseignements recueillis au sujet de l’utilisation faite par un individu des installations de Nubody seraient divulgués aux employeurs participant au programme d’abonnement collectif et que cette formule serait remise à tous les participants au programme.

 

[47]           À mon avis, la violation de la LPRPDE par la défenderesse a été réparée de façon adéquate par la recommandation du commissaire que la défenderesse a suivie.

 

Le demandeur a‑t‑il subi un préjudice?

 

[48]           Le demandeur réclame en tout 85 000 $ à titre de dommages‑intérêts généraux, majorés et punitifs. À mon avis, cette réclamation est excessive et disproportionnée par rapport à la violation du droit à la protection de la vie privée qui s’est produite.

 

[49]           Il existe peu de jurisprudence pour aider la Cour à trancher la question des dommages‑intérêts à accorder en cas de violation du droit à la protection de la vie privée. M’inspirant de l’analyse que l’on trouve dans la décision Poirier c. Wal‑Mart Canada Corp., 2006 BCSC 1138, [2006] B.C.J. No. 1725, je suis d’avis que la divulgation contestée de renseignements personnels était minime et que le demandeur n’a pas subi de préjudice justifiant de lui accorder des dommages‑intérêts. J’arrive à cette conclusion après avoir tenu compte, d’une part, du préjudice dont le demandeur se prétend victime et, d’autre part, de la nature de la conduite de la défenderesse.

 

[50]           Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que la présente demande découle du mécontentement de M. Randall en raison de ce qu’il perçoit être des mesures de représailles prises par son ancien employeur en réponse au courriel qu’il a envoyé à la défenderesse pour se plaindre de la divulgation de la fréquence de ses visites au centre de culture physique. Je relève que l’ancien employeur est un organisme sans but lucratif et que la défenderesse est une personne morale qui fait maintenant partie d’un réseau national qui dispose vraisemblablement de plus de moyens financiers.

 

[51]           La preuve n’établit pas clairement que l’employeur a effectivement pris des mesures de représailles contre le demandeur à la suite de cette plainte. La preuve se résume tout au plus à la perception du demandeur que l’employeur le réprimandait implicitement et le traitait différemment de ses collègues de travail parce qu’il avait porté plainte.

 

[52]           Le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour permettre à la Cour de conclure que les présumés agissements de son ancien employeur étaient liés de quelque façon que ce soit à ses échanges avec la défenderesse. D’ailleurs, le demandeur a volontiers admis ce fait à l’audience. 

 

[53]           Quoi qu’il en soit, la présente demande ne vise pas l’ancien employeur. La défenderesse n’aurait pas pu prévoir que l’employeur prendrait les « mesures de représailles » dont le demandeur se prétend victime. De plus, même si le demandeur a subi un préjudice minime, ce que je n’accepte pas, la défenderesse n’a pas agi de manière délibérée et flagrante, et la défenderesse n’a obtenu aucun avantage commercial de sa violation du droit à la protection de la vie privée du demandeur. Rien ne permet de penser, à mon avis, que la défenderesse a agi de mauvaise foi envers le demandeur.

 

[54]           Le demandeur affirme qu’il se serait contenté d’excuses de la part de Nubody lorsqu’il lui a fait part pour la première fois de ses préoccupations au sujet de la divulgation concernant sa fréquentation du centre de culture physique. Il ressort de sa lettre du 26 mai 2008 qu’il cherchait alors quelque chose de plus tangible sous forme d’indemnité. Je ne décèle rien dans la conduite de la défenderesse entre le mois d’août 2007 et le mois de mai 2008 qui justifierait d’accorder au demandeur les dommages‑intérêts qu’il réclame maintenant.

 

[55]           Les dommages‑intérêts prévus à l’article 16 de la LPRPDE ne peuvent pas être accordés à la légère. Ils ne doivent l’être que dans les cas les plus flagrants. Or, j’estime que la présente affaire ne constitue pas un cas flagrant.

 

[56]           Les tribunaux accordent des dommages‑intérêts lorsque la violation est très grave et attentatoire comme dans le cas d’enregistrements vidéos ou d’espionnage téléphonique, qui ne se comparent en rien à la violation qui s’est produite en l’espèce (Malcolm c. Fleming (C.S.C.‑B.), greffe de Nanaimo no S17603, [2000] B.C.J. No. 2400; Srivastava c. Hindu Mission of Canada (Québec) Inc. (Q.C.A.), [2001] R.J.Q. 1111, [2001] J.Q. no 1913).

 

[57]           Bien que le demandeur affirme qu’il a subi des dommages en raison des « mesures de représailles » de la part de son employeur, du fait qu’il a fait l’objet de commentaires dans son milieu de travail au sujet de sa fréquentation du centre de culture physique, qu’il est le seul employé ayant dû effectuer des heures prolongées à une occasion, qu’il a été réaffecté à un autre poste de travail et qu’il craignait de perdre son emploi, je ne suis pas convaincu que ces faits sont attribuables à la défenderesse ou que la défenderesse s’est comportée de façon arbitraire envers le demandeur ou qu’elle a clairement causé le « préjudice » dont le demandeur se prétend victime.

 

[58]           Je suis d’avis que la présumée violation de la LPRPDE s’explique par un malentendu regrettable de la défenderesse en ce qui concerne le consentement à obtenir des abonnés à son programme d’abonnement collectif, malentendu qui a depuis été réglé. J’estime que cette violation n’est pas une conséquence d’un comportement malveillant de la défenderesse (Hill c. Église de la scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, [1995] A.C.S. no 64, au paragraphe 96), qui justifierait de la condamner à des dommages‑intérêts, et encore moins à des dommages‑intérêts majorés ou punitifs, pour la punir de sa conduite.

 

Dispositif

 

[59]           Ainsi, je conclus que la violation de la LPRPDE par la défenderesse a été réparée de manière adéquate par la mise en œuvre de la recommandation du Commissariat à la protection de la vie privée. Je n’estime donc pas nécessaire d’ordonner à la défenderesse de publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour revoir ses pratiques ou de la condamner à des dommages‑intérêts. Je dois par conséquent rejeter la demande. Eu égard aux circonstances de l’espèce, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire en décidant de ne pas adjuger de dépens.


 

JUGEMENT

 

LA COUR rejette la demande. Les parties supporteront leurs propres dépens.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1100‑09

 

INTITULÉ :                                                   KEVIN RANDALL

 

                                                                        et

 

                                                                        NUBODYS FITNESS CENTRES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 17 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 23 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kevin Randall

 

LE DEMANDEUR,

agissant pour son propre compte

 

James D. MacNeil

Kelly A. Peck

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

KEVIN RANDALL

Truro (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LE DEMANDEUR

JAMES D. MACNEIL

KELLY A. PECK

Boyne Clarke

Avocats

Dartmouth (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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