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Date : 20100622

Dossier : IMM-5371-09

Référence : 2010 CF 672

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2010

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

RHODE BOACHIE

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision, rendue le 30 septembre 2009, par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse du refus d’un agent des visas de délivrer un visa de résident permanent à sa fille adoptive parce que l’adoption de cette dernière n’était pas « conforme au droit » du Ghana, où elle avait eu lieu, comme l’exige l’alinéa 117(3)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR), DORS/2002-227.

 

Aperçu de la décision du tribunal

[2]               Le tribunal du Ghana a rendu une ordonnance d’adoption légalisant l’adoption par la demanderesse, une citoyenne canadienne, de sa nièce âgée de trois ans, qui habitait au Ghana. L’agent des visas a refusé la demande de parrainage de la fille adoptive de la demanderesse parce que cette dernière ne s’était pas conformée à une disposition de la loi sur l’adoption du Ghana qui exige que l’enfant à adopter ait été sous les soins et la garde de la personne qui demande l’adoption pendant une période d’au moins trois mois précédant la date de l’ordonnance d’adoption. La SAI a confirmé la décision de l’agent des visas. La Cour fera droit à la présente demande parce que ni l’agent des visas canadien ni la SAI ne peuvent écarter une ordonnance d’adoption valide émanant d’une juridiction étrangère en raison d’une apparente irrégularité ou d’un défaut de se conformer à une des dispositions d’une loi étrangère. La Cour reconnaîtra et respectera l’ordonnance prononcée par la Cour supérieure de la Haute Cour de justice du Ghana à moins que la preuve ne démontre clairement que l’ordonnance de la Cour a été obtenue frauduleusement, ce qui n’est pas allégué en l’espèce. Le contenu du droit étranger est une question de fait, dont le contrôle s’exerce selon la norme de la décision raisonnable, mais les effets juridiques au Canada d’une ordonnance valide prononcée par une juridiction étrangère est une question de droit international privé qui est donc assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte.

 

LES FAITS

Contexte

[3]               Âgée de quarante-quatre (44) ans, la demanderesse est une citoyenne canadienne qui a immigré en 1999 au Canada en provenance du Ghana. Elle a entrepris des démarches en vue d’adopter un enfant parce qu’elle n’était pas physiquement en mesure de concevoir par des moyens biologiques. Elle a présenté des preuves médicales canadiennes en ce sens. La demanderesse a d’abord adopté la fille de sa sœur au Ghana en 2001, mais la demande de résidence permanente de sa fille adoptive a été refusée par un agent des visas canadien parce que la différence d’âge entre les deux était inférieure à 21 ans. En 2004, la demanderesse a décidé d’adopter la fille de sa sœur, Cecilia Marfo Appiah, qui est née le 24 janvier 2003. Une étude du milieu familial a été réalisée en Ontario en mai 2005 et, comme l’étude était favorable, le ministère des Services sociaux et communautaires de l’Ontario a donné son approbation peu de temps après. Le 7 décembre 2005, une lettre de non-opposition a été envoyée par le même ministère.

 

[4]               La demanderesse n’a pas visité le Ghana et elle n’y a pas résidé avant que ses démarches d’adoption n’aboutissent.

 

[5]               Le 30 janvier 2006, la Cour supérieure de la Haute Cour de justice du Ghana, établie à Kumasi-Ashanti, a rendu l’ordonnance d’adoption que voici :

[traduction]

 

            À LA SUITE DE L’AUDIENCE relative à une demande présentée par Me DENNIS ADJEI, conseil de la requérante, et au nom de la requérante aux présentes, RHODE BOACHIE du CANADA agissant par l’intermédiaire de son fondé de pouvoir JAMES ATTA KWADWO, lot 55, bloc B., Abuakwa (Kumasi),

 

ET APRÈS AVOIR ENTENDU Me A. OWUSU AGYEI, représentant le directeur du Bien‑être social, et avoir lu la recommandation de l’agent de probation,

 

IL EST ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES QUE, aux termes et en vertu de la loi sur les enfants de 1998 (loi 560) et des règlements d’application pertinents, l’enfant de sexe féminin, CECILIA MARFO APPIAH, soit adoptée par ladite RHODE BOACHIE du CANADA.

 

Cette ordonnance judiciaire portait les signatures d’un juge et du greffier principal de la Haute Cour. La demanderesse s’est ensuite rendue au Ghana pour y rejoindre sa nouvelle fille adoptive.

 

[6]               La demanderesse a ensuite présenté une demande de parrainage afin que sa fille adoptive obtienne sa résidence permanente. Le 7 novembre 2007, l’agent des visas a refusé de délivrer un visa de résident permanent à la fille de la demanderesse au motif que cette dernière n’avait pas réussi à démontrer que l’adoption avait créé un véritable lien affectif parent-enfant. La demanderesse a interjeté appel de cette décision.

 

Décision à l’examen

[7]               Le 30 septembre 2009, la SAI a rejeté l’appel du refus de l’agent des visas.

 

[8]               La SAI avait reporté l’instruction de l’appel au 27 mars 2009 en réponse à la demande du défendeur de modifier les motifs du refus en y ajoutant un nouveau motif qui se rapportait à la légalité de l’adoption. Ce nouveau motif, dont l’agent des visas a discuté dans ses notes du STIDI mais non dans la lettre de refus, est fondé sur le fait que l’adoption n’était pas conforme à l’alinéa 673a) de la Children’s Act, 1998 du Ghana (la Loi 560), qui précise qu’une ordonnance d’adoption ne peut être rendue que si l’enfant adoptif a été sous les soins et la garde de l’auteur de la demande pendant une période continue d’au moins trois mois précédant immédiatement la date de l’ordonnance d’adoption. Voici les dispositions applicables de la loi du Ghana :

[traduction]

 

2. (1) L’intérêt supérieur de l’enfant est tenue pour une considération primordiale dans toutes les décisions qui le concernent.

 

(2) Tout tribunal, personne, institution ou organisme tient pour une considération primordiale l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les décisions qui le concernent.

 

[…]

 

67. Restrictions

 

(1) Une ordonnance d’adoption ne peut être rendue que si le demandeur ou, dans le cas d’une demande conjointe, un des demandeurs, selon le cas :

a)         est âgé d’au moins vingt-cinq ans et a au moins vingt et une années de plus que l’enfant;

b)         a un lien de parenté avec l’enfant et est âgé d’au moins vingt et un ans.

[…]

 

(3) Une ordonnance d’adoption d’un enfant ne peut être rendue que si les conditions suivantes sont réunies :

a)         le demandeur et l’enfant résident au Ghana, sauf que la présente condition ne s’applique pas si le demandeur est citoyen du Ghana et réside à l’étranger;

b)         l’enfant a été sous les soins et la garde du demandeur pendant une période continue d’au moins trois mois précédant immédiatement la date de l’ordonnance;

 c)        le demandeur a fait part au ministère de son intention de solliciter une ordonnance d’adoption au moins trois mois avant la date de l’ordonnance.

 

                        […]

 

 

[9]               La SAI a statué sur l’appel en se fondant exclusivement sur la validité de l’adoption au Ghana et ne s’est pas penchée sur l’existence d’un véritable lien affectif parent-enfant. La SAI a déclaré, au paragraphe 13 de sa décision, que l’adoption au Ghana était présumée valide en droit :

¶13      […] À première vue, l’adoption est valide en droit. La validité juridique de l’adoption au Ghana ne peut maintenant être contestée, en l’absence de fraude. Une telle allégation n’a pas été faite en l’espèce.

 

[10]           La SAI a ensuite examiné les décisions de la Cour dans l’affaire Sinniah c. Canada (MCI), 2002 CFPI 822, 223 F.T.R. 19, la juge Dawson, (maintenant juge à la Cour d’appel) et dans l’affaire Ogbewe c. Canada (MCI), 2006 CF 77, 55 Admin. L.R. (4th) 139, la juge Mactavish. Elle a plus précisément cité les propos suivants de la juge Mactavish qui explique, au paragraphe 9 de la décision Ogbewe, précitée, comment réfuter la présomption de validité :

9 […] En l’espèce, il existait des preuves que la loi nigériane impose des exigences de résidence aux éventuels parents adoptifs ainsi qu’à l’enfant. Comme l’enfant n’avait pas résidé au Nigeria depuis des années, et que les éventuels parents adoptifs résidaient au Royaume-Uni au moment de l’adoption, il était tout à fait raisonnable de la part de l’agente des visas de vouloir vérifier que les exigences de résidence imposées par la loi nigériane avaient été respectées.

 

 

[11]           La SAI a fait observer que, selon son témoignage, la demanderesse était allée au Ghana pour la première fois sept mois après le prononcé de l’ordonnance d’adoption. La SAI a conclu, au paragraphe 18 de sa décision, que la demanderesse ne s’était pas conformée à l’alinéa 67(3)b) de la Children’s Act, 1998, parce qu’elle n’avait pas résidé avec l’enfant adoptif pendant trois mois consécutifs avant le prononcé de l’ordonnance d’adoption :

¶18      Peu importe les éléments de preuve dont disposait la cour ghanéenne, les éléments de preuve à la disposition de la Section d’appel de l’immigration font clairement ressortir la non‑conformité à l’alinéa 67(3)b) de la loi sur les enfants, 1998. La présomption de validité de l’ancienne adoption a clairement été réfutée par les propres éléments de preuve de l’appelante.

 

[12]           La SAI a conclu que la demanderesse savait que même si l’agent des visas était préoccupé par le fait qu’elle ne s’était pas conformée à l’alinéa 67(3)b), elle n’avait présenté aucun élément de preuve pour répondre à cette préoccupation. Comme la demanderesse ne lui avait pas soumis les éléments de preuve dont disposait la cour ghanéenne, la SAI a déduit qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté à la cour ghanéenne au sujet du lieu de résidence de l’appelante avant l’adoption. La SAI a par conséquent conclu que l’adoption n’était pas conforme au droit applicable là où elle a eu lieu, comme l’exigeait l’alinéa 117(3)d) du RIPR, et elle a rejeté l’appel.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[13]           Le paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), L.C. 2001, ch. 27, confère un droit d’appel à toute personne dont la demande de visa au titre du regroupement familial a été refusée :

63.  (1)  Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

63.  (1)  A  person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as  a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a  decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

 

[14]           L’article 67 de la LIPR énumère les motifs d’appel à la SAI et les pouvoirs de la SAI :

67.  (1)  Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant,

d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

 

 

67.  (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

 

[15]           Le paragraphe 3(2) du RIPR définit le terme « adoption » :

(2) Pour l’application du présent règlement, il est entendu que le terme « adoption » s’entend du lien de droit qui unit l’enfant à ses parents et qui rompt tout lien de filiation préexistant. [Non souligné dans l’original.]

(2) For the purposes of these Regulations, “adoption”, for greater certainty, means an adoption that creates a legal parent- child relationship and severs the preexisting

legal parent-child relationship.

 

 

[16]           L’alinéa 117(3)d) du RIPR exige que l’adoption soit conforme au droit applicable là où elle a eu lieu :

117(3) L’adoption visée au paragraphe (2) a eu lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant

si les conditions suivantes sont réunies :

[…]

 

d) l’adoption était, au moment où elle a été faite, conforme au droit applicable là où elle a eu lieu;

117(3) The adoption referred to in subsection (2) is considered to be in the best interests of a child if it took place under the

following circumstances:

[…]

(d) the adoption was in accordance with the laws of the place where the adoption

took place;

 

[17]           L’article 23 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5, prévoit que la preuve des pièces de tout tribunal d’archives d’un pays étranger peut se faire au moyen d’une copie certifiée portant le sceau du tribunal en question, sans aucune autre preuve :

23. (1) La preuve d’une procédure ou pièce d’un tribunal de la Grande Bretagne, ou de la Cour suprême, ou de la Cour d’appel fédérale, ou de la Cour fédérale, ou de la Cour canadienne de l’impôt, ou d’un tribunal d’une province, ou de tout tribunal d’une colonie ou possession britannique, ou d’un tribunal d’archives des États-Unis, ou de tout État des États-Unis, ou d’un autre pays étranger, ou d’un juge de paix

ou d’un coroner dans une province, peut se faire, dans toute action ou procédure, au moyen d’une ampliation ou copie certifiée de la procédure

ou pièce, donnée comme portant le sceau du tribunal, ou la signature ou le sceau du juge de paix, du coroner ou du sténographe judiciaire, selon le cas, sans aucune preuve de l’authenticité de ce sceau ou de la signature du juge de paix, du coroner ou du sténographe judiciaire, ni autre preuve.

23. (1) Evidence of any proceeding or record

whatever of, in or before any court in Great Britain, the Supreme Court, the Federal

Court of Appeal, the Federal Court or the Tax Court of Canada, any court in a province, any court in a British colony or possession or any

court of record of the United States, of a state of the United States or of any other foreign

country, or before any justice of the peace or coroner in a province, may be given in any action or proceeding by an exemplification or certified

copy of the proceeding or record, purporting to be under the seal of the court or under the hand or seal of the justice, coroner or court stenographer, as the case may be, without any proof of the authenticity of the seal or of the signature of the justice, coroner or court stenographer or other proof whatever.

 

QUESTIONS À TRANCHER

[18]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

1.      Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que l’adoption n’était pas conforme au droit du Ghana, où elle a eu lieu?

 

2.      Le tribunal a-t-il commis une erreur en déduisant que, comme elle ne lui avait pas soumis les éléments de preuve ou les documents dont disposait la cour ghanéenne, l’appelante n’avait soumis aucun élément de preuve à la cour ghanéenne au sujet de son lieu de résidence avant l’adoption?

 

3.      Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que le refus de reconnaître l’adoption était valide en droit?

 

[19]           La véritable question est celle de savoir quel est l’effet au Canada d’une ordonnance étrangère qui semble incompatible avec le droit étranger en vertu duquel elle a été prononcée.

 

NORME DE CONTRÔLE

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau- Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada explique, au paragraphe 62, que la première étape de l’analyse de la norme de contrôle consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (voir également l’arrêt Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53).

 

[21]           La question de la validité d’une adoption à l’étranger au regard du droit étranger a déjà été décidée en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable (Sinniah, au paragraphe 12). L’arrêt Dunsmuir, précité, a réuni en une seule norme, celle de la décision raisonnable, la norme de la décision raisonnable et celle de la décision manifestement déraisonnable. La norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est par conséquent celle de la décision raisonnable.

 

[22]           Dans son examen de la décision de la Commission en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attardera à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi « qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59).

 

ANAYLSE

Question préliminaire            La demanderesse a-t-elle présenté de façon irrégulière de nouveaux éléments de preuve?

 

[23]           Suivant le défendeur, la demanderesse a présenté par voie d’affidavit de nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas la SAI lorsqu’elle a rendu sa décision. Les nouveaux éléments de preuve consistent en la documentation qui avait été soumise à la cour ghanéenne. Voici les éléments de preuve que la demanderesse cherche à présenter dans la présente instance :

1.      Avis de comparution daté du 26 janvier 2006;

2.      Procès-verbal de comparution daté du 26 janvier 2006;

3.      Rapport du président de la Haute Cour du Ghana daté du 26 janvier 2006.

 

[24]           Il est de jurisprudence constante que les éléments de preuve qui n’ont pas été soumis au tribunal administratif ne sont pas admissibles devant la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, à moins qu’ils ne touchent l’équité procédurale. En l’espèce, les éléments de preuve ne touchent pas l’équité procédurale et ne sont donc pas admissibles. La Cour ne tiendra donc pas compte des documents susmentionnés.

 

Première question      Quel est l’effet au Canada d’une ordonnance étrangère qui semble incompatible avec le droit étranger en vertu duquel elle a été prononcée?

 

[25]           La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur en concluant que l’adoption n’était pas conforme au droit du Ghana. La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur dans son examen de la décision de la cour ghanéenne en mettant l’ordonnance de cette dernière en contraste avec une disposition isolée de la Children’s Act.

 

[26]           La décision de principe sur la question de la légitimité des adoptions à l’étranger a été rendue par la juge Dawson dans l’affaire Sinniah, précitée. La juge Dawson explique le statut d’une ordonnance d’adoption rendue à l’étranger aux paragraphes 8 et 9 de ses motifs :

¶8        La meilleure preuve que l’adoption est conforme aux lois d’un pays est une ordonnance ou un jugement définitif à cet effet parce que, malgré que l’un ou l’autre puisse faire l’objet d’un appel ou être infirmé, un jugement règle définitivement la question entre les parties et les personnes qui leur sont associées, et constitue à l’égard des tiers une preuve probante de l’existence du jugement, de sa date et de ses effets juridiques. Voir : Halsbury’s Laws of England (4th) volume 37 au paragraphe 1224.

¶9        Bien qu’un jugement obtenu par fraude ou irrégularité puisse être infirmé, ce n’est pas toutes les irrégularités qui justifient l’annulation d’une ordonnance. De même, comme le dit l’ouvrage Halsbury’s Laws of England (4th) volume 37, au paragraphe 1210 : [traduction] « Un jugement qui a été obtenu par fraude soit en cour soit de l’une ou l’autre des parties peut être annulé s’il est contesté au cours d’une nouvelle instance alléguant et prouvant la fraude. Dans ce genre d’instance, il n’est pas suffisant de simplement alléguer la fraude sans donner de détails, et la fraude doit être reliée à des questions qui à première vue constitueraient une raison d’infirmer le jugement si elles étaient établies par la preuve, et non pas à des questions qui sont simplement incidentes. La Cour exige que des arguments irréfutables soient établis avant d’annuler un jugement pour ce motif et l’instance pourra être suspendue ou rejetée comme étant vexatoire à moins que la faute alléguée ait une chance raisonnable de succès et qu’elle ait été découverte après le jugement. [renvois omis]

[Non souligné dans l’original.]

 

[27]           Dans l’affaire Sinniah, précitée, le défendeur affirmait que la décision était entachée d’une irrégularité parce que le demandeur avait produit à la Cour une fausse adresse et de faux renseignements au sujet de sa famille, et n’avait pas tenu compte de l’effet juridique d’une ordonnance valablement prononcée par un tribunal du Sri Lanka. La juge Dawson a estimé, aux paragraphes 12 et 13, que le défendeur avait de façon déraisonnable ignoré l’effet juridique d’une ordonnance rendue par une juridiction étrangère :

¶12      Dans les circonstances, je conclus qu’il était manifestement déraisonnable pour elle d’ignorer l’effet juridique d’une ordonnance définitive d’une cour de justice et de décider, en l’absence d’une preuve probante, qu’une ordonnance prononcée par une cour du Sri Lanka était insuffisante pour établir le fait que l’adoption avait été faite conformément au droit du Sri Lanka.

¶13      L’agente des visas ne pouvait pas simplement spéculer sur l’effet d’irrégularités apparentes qui étaient accessoires aux faits dont était saisi le tribunal du Sri Lanka à l’appui de la demande.

 

 

[28]           Les parties ont invoqué la décision Ogwebe, précitée, la juge Mactavish, sur laquelle la SAI s’est fondée et dont elle a cité le paragraphe 9, que voici :

¶9        De plus, la présomption de la validité est une présomption réfutable. En l’espèce, il existait des preuves que la loi nigériane impose des exigences de résidence aux éventuels parents adoptifs ainsi qu’à l’enfant. Comme l’enfant n’avait pas résidé au Nigeria depuis des années, et que les éventuels parents adoptifs résidaient au Royaume-Uni au moment de l’adoption, il était tout à fait raisonnable de la part de l’agente des visas de vouloir vérifier que les exigences de résidence imposées par la loi nigériane avaient été respectées

 

[29]           La juge Mactavish a tenu ces propos alors qu’elle était appelée à déterminer si l’agente des visas avait agi de mauvaise foi. Elle a estimé que l’agente des visas n’avait pas agi de mauvaise foi parce qu’il y avait des raisons de s’interroger sur l’authenticité de l’ordonnance de la cour nigériane, lorsqu’on tenait compte de l’ensemble des faits de l’affaire, et notamment des réponses douteuses que les demandeurs eux-mêmes avaient données. La juge Mactavish n’entendait pas rendre moins exigeant le critère à respecter pour contester la validité d’une ordonnance rendue par un tribunal étranger. La décision Ogwebe, précitée, fait suite au jugement Sinniah, précité, qui exige des éléments de preuve convaincants de fraude pour pouvoir contester une ordonnance judiciaire.

 

[30]           En l’espèce, les deux parties conviennent que l’authenticité de l’ordonnance rendue par la cour ghanéenne n’est pas remise en question. Il n’y a pas d’allégation de fraude.

 

[31]           Il s’agit plutôt de déterminer si la SAI est habilitée à se prononcer sur la question de savoir si une ordonnance valide d’une cour ghanéenne est conforme à certaines dispositions des lois du Ghana. La loi interdit clairement, à mon sens, ce genre d’examen, en l’absence de fraude. Il appartient à la cour d’appel du pays étranger concerné de se prononcer sur le bien-fondé d’une ordonnance judiciaire à la lumière d’une disposition isolée de la loi applicable. Il est de jurisprudence constante, dans la foulée de l’arrêt Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, 122 N.R. 81, le juge La Forest, que les tribunaux à qui l’on demande de reconnaître des jugements rendus à l’étranger sont tenus, en raison du principe de la courtoisie internationale, de donner effet à ces jugements. Il en va de même pour les tribunaux administratifs comme la SAI. C’est à la cour d’appel du Ghana qu’il appartient de décider si la cour ghanéenne a choisi de ne pas tenir compte ou de ratifier une irrégularité relative à la résidence qui remontait à une date antérieure à l’adoption.

 

[32]           L’ordonnance d’adoption prononcée en 2006 par la Cour supérieure de la Haute Cour de justice du Ghana parle d’elle-même : la Cour avait entendu les observations du directeur du Bien-être social du Ghana, qui est autorisé, par la Children’s Act du Ghana, à formuler ses observations et ses recommandations à l’agent de probation. Ces fonctionnaires étaient certainement au courant des faits essentiels concernant la demanderesse par rapport aux exigences légales de l’adoption.

 

[33]           La Cour tient par ailleurs compte de l’article 2 de la Children’s Act, qui prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant a préséance sur toute autre disposition de cette loi. La cour ghanéenne n’était donc pas tenue de suivre à la lettre une disposition explicite de la Children’s Act comme celle exigeant trois mois de résidence (paragraphe 67(3) de la Children’s Act, 1998). Le directeur du Bien-être social et l’agent de probation ont vraisemblablement recommandé l’adoption parce qu’ils estimaient que cette mesure était dans l’intérêt supérieur de l’enfant, étant donné que l’enfant devait être adoptée par sa tante au Canada et jouirait des avantages qu’offre le Canada.

 

[34]           La Cour est convaincue que l’adoption était « conforme au droit » du Ghana au sens de l’alinéa 117(3)d) de la LIPR.

 

[35]           En ce qui concerne la décision de l’agent des visas suivant laquelle la demanderesse n’avait pas créé « un véritable lien affectif parent-enfant », la SAI a décidé de ne pas examiner cette question, puisqu’elle confirmait la décision en appel sur l’autre question. Cette façon de faire du commissaire ne saurait être encouragée, parce qu’elle risque de retarder considérablement le processus légal. L’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour le pouvoir de prendre toute mesure qu’elle estime indiquée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. En l’espèce, après examen de la preuve soumise à la SAI, la Cour conclut ce qui suit :

1.                  Rien ne permet de penser que la présente adoption était motivée par un but illégitime, tel que la traite des enfants;

2.                  Suivant la preuve médicale, la demanderesse est incapable, malgré ses nombreuses tentatives, de concevoir un enfant au Canada;

3.                  La demanderesse et son conjoint de fait ont adopté l’enfant en question parce qu’il s’agit de la fille du frère de la demanderesse et qu’elle ressemble même à la demanderesse;

4.                  La demanderesse a subvenu aux besoins de sa fille adoptive au Ghana et continue d’y subvenir;

5.                  La fille adoptive vit avec la mère de la demanderesse au Ghana et croit que la demanderesse est sa mère biologique.

Pour ces motifs, il existe des éléments de preuve tendant à démontrer l’existence d’un véritable lien affectif mère-enfant dans la mesure du possible, compte tenu du fait qu’elles vivent dans des pays différents.

 

[36]           La SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’effet juridique de l’ordonnance de la cour ghanéenne en l’absence d’éléments de preuve clairs tendant à démontrer l’existence d’une fraude. La Cour renverra donc l’affaire à la SAI pour qu’elle rende une nouvelle décision qui sera conforme aux présents motifs, en donnant pour directive à la SAI et à l’agent des visas ou à l’agent d’immigration, de traiter la présente affaire de façon accélérée, étant donné que la demanderesse aurait pu avoir sa fille avec elle au Canada il y a trois ans.

 

[37]           Pour ces motifs, la Cour fera droit à la présente demande, annulera la décision de la SAI et renverra l’affaire à une formation différente de la SAI pour qu’elle rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs en précisant qu’il est loisible à la demanderesse de présenter à la SAI de nouveaux éléments de preuve portant sur les éléments de preuve dont disposait la Haute Cour de justice du Ghana et sur les lois ghanéennes en matière d’adoption.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[38]           Les deux parties ont informé la Cour que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vue d’un appel. La Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à une formation différente de la SAI pour qu’elle rende une nouvelle décision, étant entendu que la SAI devra rendre cette nouvelle décision dans les plus brefs délais et se conformer aux présents motifs.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5371-09

 

INTITULÉ :                                                   Rhode Boachie c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 2 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Osei Owusu

 

POUR LA DEMANDERESSE

A. Leena Jaakimainen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osei Owusu

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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