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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20100617

Dossier : T-2049-09

Référence : 2010 CF 661

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 17 juin 2010

En présence de monsieur le protonotaire Lafrenière

 

ENTRE :

IRENE J. BREMSAK

demanderesse

 

et

 

 

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]  Au moyen d’une requête présentée en vertu de l’article 467 des Règles des Cours fédérales, la demanderesse, Irène Bremsak (Mme Bremsak), sollicite une ordonnance enjoignant au défendeur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’Institut), de comparaître devant la Cour à une audience pour outrage.

 

[2]  Il n’est pas contesté que l’Institut ne s’est pas conformé à une ordonnance de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) enjoignant à l’Institut de rétablir Mme Bremsak dans son rôle de dirigeante élue de l’Institut. L’Institut allègue toutefois qu’il ne pouvait pas se conformer à l’ordonnance de réintégration parce que l’adhésion de Mme Bremsak a été suspendue après l’émission de l’ordonnance de la Commission, empêchant ainsi Mme Bremsak d’occuper un poste d’élu à l’Institut.

 

[3]  La question en litige dans la présente requête est celle de savoir si une preuve prima facie de l’outrage a été établie à l’encontre l’Institut, et, dans l’affirmative, s’il y a lieu de procéder à une audience pour outrage.

 

Requête ex parte

[4]  Bien que le paragraphe 467(2) des Règles des Cours fédérales prévoit qu’une requête en vue de la tenue d’une audience pour outrage au tribunal peut être présentée ex parte, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de demander à la partie requérante de donner l’avis de requête à l’auteur présumé de l’outrage : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Winnicki, 2006 CF 350.

 

[5]  Mme Bremsak et son représentant, M. John T. Lee, ont déposé des affidavits à l’appui de la requête. Les deux déposants font référence à plusieurs reprises à des [traduction] « défendeurs » qui auraient violé les droits de Mme Bremsak et refusé de se conformer aux ordonnances de la Commission. M. Lee allègue également que des défendeurs non nommés ont inventé de fausses accusations de harcèlement afin de contourner l’ordonnance de la Cour et se sont placés au-dessus de la loi. Comme les documents déposés par Mme Bremsak n’indiquent pas clairement qui était ciblé par la requête et quelle conduite était présumée constituer un outrage, l’Institut a eu la possibilité de faire valoir que le dossier n’établit pas une preuve prima facie de l’outrage.

 

[6]  L’Institut a choisi de déposer l’affidavit d’Isabelle Roy, conseillère juridique auprès de l’Institut, et des observations écrites en réponse à la requête de Mme Bremsak. Mme Roy a ensuite déposé un affidavit supplémentaire pour corriger une erreur dans son affidavit initial. Des contre-interrogatoires ont été menés, et les parties ont été autorisées à déposer des dossiers de requête supplémentaires. Ce qui suit est un résumé des faits pertinents et de l’analyse des positions des parties.

 

Les faits

[7]  Mme Bremsak a été employée par Santé Canada pendant plusieurs années, très récemment en tant qu’inspectrice des décisions médicales. Elle a également occupé plusieurs postes à titre de membre élue ou nommée au sein de l’unité de négociation. En 2007, Mme Bremsak a été déléguée syndicale et a occupé des postes d’élus dans les quatre organes constitutifs de l’Institut suivants :

 

a)  Exécutif de la Colombie-Britannique et du Yukon

b)  Exécutif du groupe Sciences appliquées et examen des brevets

c)  Chapitre du Grand Vancouver

d)  Sous-groupe SP du groupe Sciences appliquées et examen des brevets de Vancouver

 

[8]  En septembre 2007, le Comité exécutif de l’Institut a demandé à Mme Bremsak de s’excuser pour les commentaires qu’elle a faits dans un courriel accusant un membre de comportement contraire à l’éthique. Lorsque Mme Bremsak a refusé, son conseil d’administration s’est excusé pour ses remarques. Mme Bremsak s’est plainte à la Commission que la conduite de l’Institut en s’excusant constituait une mesure disciplinaire appliquée de manière discriminatoire (première plainte).

 

[9]  À l’époque, l’Institut avait une politique qui empêchait automatiquement les membres occupant des postes à l’Institut de continuer d’occuper ces postes tout en donnant suite à une plainte externe contre l’Institut. Conformément à cette politique, Mme Bremsak a fait l’objet d’une suspension temporaire de tous les postes électifs qu’elle avait occupés en attendant la résolution de sa première plainte devant la Commission.

 

[10]  Le 11 avril 2008, Mme Bremsak a déposé une autre plainte devant la Commission en alléguant que l’agent négociateur avait contrevenu au sous-alinéa 188e)(ii) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) en la suspendant des postes auxquels elle avait été élue et nommée au sein de l’unité de négociation (deuxième plainte).

 

[11]  Une audition des deux plaintes a été menée par le commissaire John Steeves à partir d’octobre 2008. L’audience a repris en mai 2009.

 

[12]  Vers le 2 avril 2009, l’Institut a reçu une plainte collective de harcèlement déposée par cinq membres de l’Institut contre Mme Bremsak. Chacun des cinq plaignants a présenté un exposé des allégations distinct. En juin 2009, quatre membres de l’Institut ont soulevé de nouvelles allégations de harcèlement contre Mme Bremsak. L’Institut a retenu les services d’un enquêteur, Randy Mattern de North Shore Investigation Services, pour enquêter sur les deux types de plaintes et préparer un rapport de conclusions. L’enquête a été menée au cours des mois suivants.

 

 

 

[13]  Dans une décision datée du 26 août 2009[1], la Commission a conclu que la première plainte de Mme Bremsak alléguant une mesure disciplinaire déguisée était dénuée de fondement. La Commission a cependant décidé que l’incident impliquant Mme Bremsak était mineur et ne justifiait donc pas sa suspension temporaire. En maintenant la deuxième plainte, la Commission a conclu en ces termes :
[traduction]

 

131  Pour finir, j’estime que le préjudice dans ce cas-ci est la suspension de la plaignante de ses postes d’élue et que, dans la mesure du possible, la réparation accordée doit avoir pour but de corriger ce préjudice et de rétablir la plaignante dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant sa suspension. En conséquence, j’ordonne que les suspensions de la plaignante des postes auxquels elle avait été élue et nommée soient annulées. J’accorde également une grande importance au fait que les membres et les dirigeants de l’agent négociateur ont été informés de la suspension de la plaignante, et je conclus qu’il convient d’exiger qu’ils soient avisés de l’annulation de la suspension. À la différence du commissaire qui a instruit l’affaire Veillette2, j’estime que j’ai le pouvoir d’intervenir dans la conduite des affaires internes de l’agent négociateur pour façonner une réparation relativement aux mesures visées au sous-alinéa 188e)(ii) de la Loi. Cela inclut les sanctions imposées par l’agent négociateur parce qu’une personne a présenté une demande à la Commission et, dans ce cas, la sanction était la suspension de ses fonctions. L’ordonnance n’a pas pour but de contourner l’application régulière des statuts [et règlements administratifs] de l’agent négociateur régissant la durée habituelle du mandat des membres élus et nommés.

 

132  Pour ces motifs, j’estime indiqué dans les circonstances d’enjoindre à l’agent négociateur de publier le communiqué suivant, à un endroit bien visible, dans le prochain numéro de l’une de ses publications périodiques et importantes destinées aux membres (le communiqué pourrait être affiché sur le site Web) :

 


Communiqué à l’intention des membres et dirigeants de l’Institut

 

Le 9 avril 2008, Mme Irène Bremsak a été suspendue temporairement de ses fonctions à titre de membre particulière, sous-groupe SP de Vancouver; de présidente, chapitre de Vancouver; de membre particulière, exécutif régional de la Colombie-Britannique et du Yukon; et de coordonnatrice d’un sous-groupe, exécutif du groupe SP. Cette suspension lui a été imposée aux termes de la Politique de l’Institut relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs, après qu’elle eut déposé une plainte devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

 

La Commission des relations de travail dans la fonction publique a récemment enjoint à l’Institut, en vertu du sous-alinéa 188e)(ii) et de l’article 192 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique d’annuler la suspension imposée à Mme Bremsak et d’apporter les modifications nécessaires à la politique pour la rendre conforme à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La Commission a également conclu que l’Institut pouvait être fondé, dans d’autres circonstances, à suspendre un membre du poste auquel il a été élu ou nommé. Pour finir, la Commission a ordonné que le présent communiqué soit distribué aux membres et aux dirigeants de l’Institut.

 

Il s’ensuit que Mme Bremsak est réintégrée, en date d’aujourd’hui, dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts [et des règlements administratifs] de l’Institut.

 

[14]  Les paragraphes pertinents de l’ordonnance de la Commission sont les suivants :
[traduction]

143. L’agent négociateur doit annuler l’application de sa Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs à la plaignante.

 

144. L’agent négociateur doit modifier sa Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs afin de la rendre conforme à la [LRTFP].

 

145. L’agent négociateur doit rétablir la plaignante dans son rôle de dirigeante élue de l’agent négociateur et aviser ses membres et ses dirigeants, de la manière décrite au paragraphe 131 de la présente décision, que la plaignante a été réintégrée dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts [et des règlements administratifs] de l’agent négociateur.

 

 

[15]  Le 1er septembre 2009, Mme Bremsak a demandé à la Commission de déposer à la Cour fédérale une copie certifiée de sa décision datée du 26 août 2009. La demande a été présentée en vertu de l’article 52 de la LRTFP.

 

[16]  L’Institut a présenté une demande de contrôle judiciaire le 2 septembre 2009 (no du dossier de la Cour : A-337-09) pour contester la décision de la Commission datée du 26 août 2009, y compris sa compétence à rendre ses ordonnances réparatrices. L’Institut a simultanément demandé par voie de requête à la Cour fédérale un sursis à la décision de la Commission.

 

[17]  Le 14 octobre 2009, M. Mattern a émis un rapport définitif dans lequel il concluait que 16 des 19 allégations de harcèlement formulées contre Mme Bremsak étaient fondées. Lors d’une réunion du Comité exécutif de l’Institut tenue le 20 octobre 2009, le Comité a examiné le rapport de l’enquêteur et a conclu que le comportement de Mme Bremsak démontrait une tendance inacceptable à la perpétration d’actes de menaces et d’intimidation envers ses membres. Le Comité a conclu que Mme Bremsak a créé un environnement toxique et a mené certains membres, auparavant dévoués, à remettre en question leur implication au sein de l’Institut. La décision a été prise de retirer à Mme Bremsak son statut de membre de l’Institut pour une période de cinq ans à compter de ce jour-là. Durant cette période, Mme Bremsak ne serait pas autorisée à se porter candidate à une charge, à voter pour les dirigeants de l’Institut ou à participer autrement aux affaires de l’Institut.

 

[18]   La requête de l’Institut en vue d’obtenir le sursis de la décision de la Commission datée du 26 août 2009 a été rejetée par la Cour d’appel fédérale le 28 octobre 2009. Le juge Pelletier a rejeté le principal souci de l’Institut d’éviter qu’un membre occupe un poste de direction tout en poursuivant en même temps l’Institut devant un tribunal externe, en raisonnant comme suit :

[traduction]

[9]  Bien que les circonstances actuelles créent une situation gênante pour l’Institut, elles n’atteignent pas, à mon avis, le niveau de préjudice irréparable. Mme Bremsak peut être opposée à son syndicat à l’égard d’un différend précis, mais il n’y a aucune raison de croire qu’elle n’appuie pas les buts et objectifs globaux du syndicat et est incapable de faire la distinction entre ses intérêts et ceux des membres du syndicat. Si les événements montrent que Mme Bremsak a abusé de sa position, alors la procédure disciplinaire normale prévue dans les règlements administratifs s’appliquerait.

 

 

[19]  L’assemblée générale annuelle de 2009 de l’Institut a eu lieu les 6 et 7 novembre 2009. Lors de cette réunion, une politique révisée concernant les membres et les plaintes à des organismes extérieurs a été présentée et elle a été approuvée par le conseil d’administration de l’Institut la semaine suivante.

 

[20]  Dans une décision datée du 4 décembre 2009 portant sur la demande de Mme Bremsak visant le dépôt de l’ordonnance du 26 août 2009 à la Cour fédérale[2], la vice-présidente de la Commission, Marie-Josée Bédard, a conclu que l’Institut s’était correctement conformé à l’ordre de modifier sa politique. Elle a toutefois conclu que l’Institut ne s’était pas conformé et n’avait pas l’intention de se conformer à l’ordre de réintégrer Mme Bremsak dans ses fonctions électives. La vice-présidente a conclu que le dépôt de la décision antérieure de la Commission à la Cour fédérale serait utile pour les raisons suivantes :
[traduction]
 

34.   Le législateur, à l’article 52 de la Loi, a investi la Commission du pouvoir de déterminer si les parties se conforment à ses décisions, mais il n’a pas investi la Commission du pouvoir de forcer l’exécution d’une décision une fois qu’il a été établi que sa décision n’a pas été respectée. Le législateur a décidé d’investir la Cour fédérale de ce pouvoir et de prévoir, à l’article 52, un mécanisme de dépôt des décisions de la Commission à la Cour fédérale. Une fois qu’une décision a été déposée à la Cour fédérale, elle est assimilée à une ordonnance rendue par la Cour et peut être exécutée à ce titre (paragraphe 52(2)). J’estime que la question de savoir si une décision de la Commission a force exécutoire est assez différente de celle de savoir si une décision a été respectée : la première question devrait être déterminée par l’organisme investi du pouvoir de trancher les questions ayant trait à l’exécution d’une ordonnance. Pour les motifs qui précèdent, je conclus donc que le défendeur ne m’a pas convaincu que le dépôt de la décision 2009 CRTFP 103 à la Cour fédérale ne serait d’aucune utilité.

 

[21]  L’ordonnance de la Commission datée du 26 août 2009 a été déposée au greffe de la Cour fédérale le 8 décembre 2009. À cette date, l’ordonnance de la Commission est devenue l’ordonnance de cette Cour. À ce moment, les mandats de deux des quatre postes de Mme Bremsak étaient expirés. Son mandat à l’exécutif régional de la Colombie-Britannique et du Yukon prendra fin en juin 2010, et son poste au sein de l’exécutif du sous-groupe SP de Vancouver prendra fin en septembre 2010.

 

[22]  Le 22 décembre 2009, l’Institut a publié sur Internet, dans la partie supérieure de sa page d’accueil, un lien vers le communiqué imposé par la Commission. Le lien comportait l’en-tête suivant en gras [traduction] : « Important suivi concernant une décision de la CRTFP à l’égard de Mme Irene Bremsak », et contenait la première partie du communiqué requis. En cliquant sur le lien, le lecteur est dirigé vers le texte complet du communiqué, tel qu’il est requis par l’ordonnance de la Commission. Immédiatement après le texte complet du communiqué, l’Institut a ajouté ce qui suit :
[traduction]

 

 

Veuillez noter qu’en raison d’événements subséquents, Mme Bremsak n’occupe pas actuellement ces postes.

 

Après cette décision de la CRTFP, l’Institut a modifié sa Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs.

 

Il convient de mentionner que la décision susmentionnée fait actuellement l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale.

 

Analyse

[23]  Les ordonnances des tribunaux administratifs sont destinées à être respectées. Cependant, la Cour n’est pas saisie de la question du non-respect par l’Institut de l’ordonnance de la Commission datée du 26 août 2009 dans le cadre de cette requête. Conformément à l’alinéa 466b) des Règles des Cours fédérales, un outrage surviendrait seulement lorsqu’une partie « désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour ». Par conséquent, dans le contexte de la présente requête en vue de la tenue d’une audience pour outrage au tribunal, on doit se concentrer sur la question de savoir si l’Institut a désobéi à l’ordonnance de la Cour plutôt qu’à l’ordonnance de la Commission.

 

[24]  En abordant les allégations d’outrage de Mme Bremsak, il est nécessaire d’examiner les trois éléments de l’ordonnance de la Cour : (i) la modification de la politique de l’Institut afin de la rendre conforme à la Loi; (ii) la publication du communiqué requis; et (iii) la réintégration de Mme Bremsak.

 

[25]  Comme l’a formulé succinctement la juge Hansen dans Sherman c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2006 CF 1121, au paragraphe 11, il y a essentiellement trois éléments de toute requête pour outrage civil :

 

Lorsque la désobéissance à une ordonnance judiciaire constitue le présumé outrage au tribunal, pour qu’il y ait infraction, il faut que l’ordonnance judiciaire existe, que l’auteur présumé de l’outrage au tribunal connaisse l’existence de l’ordonnance judiciaire et qu’il y désobéisse sciemment.

 

(i)  Modification de la politique de l’Institut

[26]  Le premier élément de l’ordonnance de la Cour enjoignait à l’agent négociateur d’annuler l’application de sa Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs à la plaignante et de modifier sa politique pour s’assurer qu’elle est conforme à la Loi.

 

[27]  L’Institut prétend que sa politique révisée est conforme à la Loi, tel qu’il est ordonné par la Commission. Mme Bremsak affirme cependant que la politique révisée ne satisfait pas la décision.

 

[28]  À la lumière de la conclusion de la Commission le 4 décembre 2009, selon laquelle la politique révisée est satisfaisante et conforme à la décision du 26 août 2009, je conclus qu’il n’y a pas eu de preuve prima facie d’outrage en ce qui concerne la modification de la politique de l’Institut.

 

(ii)  Publication du communiqué requis

[29]  Au paragraphe 145 de la décision de la Commission, il a été demandé à l’Institut d’aviser ses membres et ses dirigeants, de la manière décrite au paragraphe 131 de la présente décision, que Mme Bremsak [traduction] « a été réintégrée dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée » sous réserve de l’application régulière des statuts [et des règlements administratifs] de l’Institut. Au paragraphe 132, la Commission ordonnait à l’Institut de publier un communiqué à un endroit bien visible dans le prochain numéro de l’une de ses publications périodiques et importantes destinées à ses membres.

 

[30]  De toute évidence, l’Institut ne s’est pas conformé à l’ordonnance de la Commission lui enjoignant de publier un communiqué à un endroit bien visible [traduction] « dans le prochain numéro de l’une de ses publications périodiques et importantes destinées à ses membres ». L’obligation de respecter l’ordonnance de la Commission s’est cristallisée le 8 décembre 2009, lorsque la décision de la Commission est devenue une ordonnance de la Cour. Bien que l’Institut ait publié un communiqué le 22 décembre 2009, il s’était déjà écoulé deux semaines. Ce communiqué a été publié dans la partie inférieure de la page Web de l’Institut pendant la période des vacances d’hiver, période où peu de membres consultent la page Web. Il était également accompagné d’une clause de non-responsabilité. Vu l’ensemble de la preuve dont je dispose, je conclus qu’en publiant ce communiqué et en l’accompagnant d’une clause de non-responsabilité, et en laissant s’écouler un délai non justifié avant de les publier sur son site Web, l’Institut ne s’est pas conformé aux modalités et à l’esprit de l’ordonnance de la Cour.

 

[31]  La présence ou l’absence de bonne foi de la part de l’auteur présumé de l’outrage n’entre pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si une preuve prima facie d’outrage a été établie. Compte tenu des circonstances, je conclus à l’existence d’une preuve prima facie d’outrage en ce qui concerne la publication du communiqué.

 

(iii) Réintégration de Mme Bremsak

[32]  L’Institut offre deux raisons pour ne pas procéder à la réintégration de Mme Bremsak dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, conformément à la décision de la Commission datée du 26 août 2009. En premier lieu, au moment de l’ordonnance de la Cour, deux de ses mandats avaient expiré. Deuxièmement, au moment de l’ordonnance de la Cour, le statut de membre lui avait été retiré pour une période de cinq ans après que des plaintes de harcèlement formulées à son endroit aient été jugées fondées. Selon l’Institut, la suspension était le résultat de 16 plaintes fondées de harcèlement qui avaient été portées par des membres de l’Institut contre Mme Bremsak, et cette suspension avait été imposée à la suite d’une enquête indépendante et avait pris effet le 20 octobre 2009. En tant que membre suspendue, Mme Bremsak ne pouvait pas être réintégrée dans ses fonctions.

 

[33]  Il n’y a pas de précédent en termes de réintégration d’un dirigeant syndical dans un poste dont le mandat a expiré depuis : Taylor v. Atkinson, [1984] O.J. No. 399 (S.C.), aux paragraphes 3 et 120. De plus, la Commission a elle-même déclaré qu’en pareil cas, il n’était pas nécessaire de procéder à la réintégration. Dans ces conditions, je conclus qu’aucune preuve prima facie de l’outrage reproché n’a été établie en ce qui concerne la réintégration de Mme Bremsak aux deux postes à l’égard desquels son mandat avait expiré au moment où la décision de la Commission a été déposée à la Cour.

 

[34]  L’Institut rappelle que, dans sa décision, la Commission précise bien que son ordonnance de réintégration n’a pas pour but de contourner l’application régulière des règlements administratifs de l’Institut qui, en l’espèce, empêchaient un membre suspendu d’occuper un poste au sein de l’Institut. L’Institut affirme que toute ambiguïté que comporte l’ordonnance de la Commission devrait être résolue en sa faveur. Il soutient qu’il s’est fondé sur une interprétation raisonnable de l’ordonnance en question, qui constitue une réponse définitive aux accusations d’outrage.

 


 

 

[35]  Selon l’Institut, la suspension, qui a été infligée de bonne foi, constitue un motif légitime pour ne pas réintégrer Mme Bremsak dans ses fonctions. La Cour d’appel elle-même a fait observer, lorsqu’elle a rejeté les requêtes en sursis présentées par l’Institut, que l’ordonnance de la Commission n’empêchait pas l’Institut d’imposer des mesures disciplinaires à Mme Bremsak si cette dernière devait par la suite se livrer à des actes justifiant la prise de telles mesures.

 

[36]  Bien que la suspension de cinq ans infligée à Mme Bremsak soit susceptible d’être considérée comme un fait ultérieur accessoire dont l’Institut s’est servi comme excuse légitime pour ne pas réintégrer Mme Bremsak dans ses fonctions, il s’agit là d’une question qui ne peut être tranchée à la première étape d’une audience pour outrage. Il ne convient pas d’examiner, lors de l’audition d’une demande d’audience pour outrage, les arguments invoqués pour contester des détails de l’ordonnance ou encore de statuer sur un moyen de défense dont dispose l’auteur présumé de l’outrage.

 

[37]  Vu le dossier qui m’a été soumis, je suis convaincu qu’une preuve prima facie a été établie en ce qui concerne le fait que l’Institut a désobéi à l’ordonnance par laquelle notre Cour lui avait enjoint de réintégrer Mme Bremsak dans les deux postes à l’égard desquels ses mandats n’avaient pas encore expiré en date du 8 décembre 2009.

 


 

 

[38]  Les règles prévoient le droit à une audience complète afin de déterminer si les explications offertes par l’Institut sont légitimes et justifient sa conduite. En fin de compte, une conclusion d’outrage doit être fondée sur des éléments de preuve hors de tout doute raisonnable. Étant donné la gravité d’une conclusion d’outrage, [traduction] « le pouvoir de la Cour en matière d’outrage devrait être exercé avec un soin scrupuleux et seulement lorsque les circonstances sont claires et au-delà de tout doute raisonnable : Rogacki v. Beir (2003), 67 O.R. (3d) 330 (C.A.), au paragraphe 32, Québec (Commission des valeurs mobilières) c. Lassonde, [1994] A.Q. no 1073 (C.A.), au paragraphe 20.

 

[39]  La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas délivrer une citation pour outrage, même lorsqu’il y a une preuve prima facie de l’outrage : Angus c. Conseil Tribal de la Première Nation des Chipewyans des Prairies, 2009 CF 562, au paragraphe 36. Cependant, je ne suis pas convaincu que le fait que l’Institut n’ait pas rétabli immédiatement Mme Bremsak ou qu’il ait publié le communiqué requis dépassait son pouvoir et son contrôle. Il n’est pas non plus absolument certain que les violations alléguées ne méritent pas d’être sanctionnées.

 

Autres défendeurs

[40]  Mme Bremsak soutient que de nombreux défendeurs ont été nommés dans sa deuxième plainte et qu’un ordre de comparution devrait être émis contre les membres et les dirigeants de l’Institut. Compte tenu de la gravité d’une ordonnance d’outrage et de la nature quasi criminelle d’une telle procédure, il ne serait pas approprié d’émettre une ordonnance de justification à l’encontre d’un membre ou d’un représentant individuel de l’Institut sur la base d’éléments de preuve insuffisants déposés dans la présente requête.

 

[41]  La décision de la Commission datée du 26 août 2009 et l’ordonnance de la Cour ne mentionnent que l’Institut en tant que partie défenderesse; aucun membre individuel n’a été nommé dans l’avis de requête. Bien que le représentant de Mme Bremsak ait envoyé un courriel à de nombreux membres de l’Institut en y joignant l’ordonnance de la Cour, rien n’indique qu’un membre ou un dirigeant a joué un rôle principal ou central relativement aux actes d’outrage reprochés. De plus, autre que dans le cas d’un membre de la Commission, l’ordonnance de la Cour n’a pas été signifiée personnellement.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

1.   Un représentant de l’Institut devra comparaître devant un juge à la date, à l’heure et au lieu fixés par la Cour pour entendre la preuve des actes suivants qui auraient été commis par l’Institut et qui sont reprochés à l’Institut, et être préparé à présenter toute défense qu’il pourrait avoir en réponse aux accusations.

 

Il est reproché à l’Institut d’avoir désobéi à l’ordonnance du 8 décembre 2009 de la Cour en ne procédant pas à la réintégration, en temps opportun, de la demanderesse dans ses fonctions de déléguée syndicale, de membre de l’exécutif régional de la Colombie-Britannique et du Yukon et de présidente de l’exécutif du chapitre de Vancouver, et de ne pas avoir informé ses membres et ses représentants conformément aux modalités prévues au paragraphe 131 de la décision en question que la demanderesse avait été réintégrée dans tous les postes auxquels elle avait été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts et des règlements administratifs de l’agent négociateur.

 

2.   L’adjudication des dépens de la requête de la demanderesse est réservée au juge qui présidera l’audience pour outrage.

 

 

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 


 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :    T-2049-09

 

INTITULÉ :   IRENE J. BREMSAK c.

  INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :   VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   LE 26 MARS 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :    LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :    LE 17 JUIN 2010

 

 

 


 

COMPARUTIONS :

 

Irène Bremsak

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Steven Welchner

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour son propre compte

Vancouver Nord (Colombie-Britannique)

 

 POUR LA DEMANDERESSE

Welchner Law Office

Société professionnelle

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 



[1] Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103

[2] Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 159

 

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