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Date : 20100622

Dossier : IMM‑5700‑09

Référence : 2010 CF 675

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2010

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

KAIS CHAABANE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Vue d’ensemble

[1]               La Cour estime que l’allégation du demandeur est incompatible avec la façon dont il s’est comporté au Canada. Il est entré au Canada en 2001 pour y poursuivre ses études et, pendant les huit années suivantes, il n’a jamais tenté de demander l’asile. Le dossier certifié du tribunal montre que le demandeur a renouvelé son statut d’étudiant étranger à quatre reprises et qu’il a obtenu deux permis de travail pendant son séjour au Canada.

 

 

II.  Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), visant la décision en date du 31 octobre 2009 par laquelle le délégué du ministre a pris une mesure d’exclusion contre le demandeur. Le délégué a pris cette mesure au motif que le demandeur n’était pas admissible au Canada en vertu de l’article 41 parce qu’il ne s’était pas conformé à la LIPR.

 

III.  Contexte

[3]               Le demandeur, M. Kais Chaabane, est un citoyen de la Tunisie qui est arrivé au Canada le 12 janvier 2001 muni d’un visa d’étudiant. Son statut temporaire a expiré le 28 février 2009.

 

[4]               Le 31 octobre 2009, soit huit mois plus tard, alors qu’il était sans statut, après avoir obtenu des renseignements au sujet de l’endroit où il se trouvait et au sujet de ses activités, des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) ont arrêté M. Chaabane au restaurant où il travaillait, « Le Petit Gueuleton Québécois ».

 

[5]               Après avoir interrogé M. Chaabane, l’agent de l’ASFC a établi un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR. L’agent de l’ASFC était d’avis que M. Chaabane avait contrevenu au paragraphe 29(2) de la LIPR parce qu’il n’avait pas quitté le Canada à la fin de la période autorisée. L’agent de l’ASFC s’est dit d’avis qu’en agissant ainsi, M. Chaabane était devenu interdit de territoire par application de l’article 41 de la LIPR. 

 

IV. Décision visée

[6]               Le délégué a accepté le rapport de l’agent de l’ASFC et a pris une mesure d’exclusion contre M. Chaabane.

 

[7]               M. Chaabane affirme qu’il a informé l’agent qui l’a interrogé que sa vie serait en danger s’il devait retourner en Tunisie.

 

V.  Dispositions législatives applicables

[8]               M. Chaabane peut être irrecevable à demander l’asile en raison de l’article 99 de la LIPR :

Demande

 

99.      (1) La demande d’asile peut être faite à l’étranger ou au Canada.

 

Demande faite à l’étranger

 

(2) Celle de la personne se trouvant hors du Canada se fait par une demande de visa comme réfugié ou de personne en situation semblable et est régie par la partie 1.

 

 

 

Demande faite au Canada

 

(3) Celle de la personne se trouvant au Canada se fait à l’agent et est régie par la présente partie; toutefois la personne visée par une mesure de renvoi n’est pas admise à la faire.

 

Résident permanent

 

(4) La demande de résidence permanente faite au Canada par une personne protégée est régie par la partie 1.

 

Claim

 

99.      (1) A claim for refugee protection may be made in or outside Canada.

 

Claim outside Canada

 

(2) A claim for refugee protection made by a person outside Canada must be made by making an application for a visa as a Convention refugee or a person in similar circumstances, and is governed by Part 1.

 

Claim inside Canada

 

(3) A claim for refugee protection made by a person inside Canada must be made to an officer, may not be made by a person who is subject to a removal order, and is governed by this Part.

 

Permanent resident

 

(4) An application to become a permanent resident made by a protected person is governed by Part 1.

 

[9]               Le paragraphe 29(2) de la LIPR dispose :

Obligation du résident temporaire

 

(2) Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l’autorisation le prévoit.

Obligation — temporary resident

 

(2) A temporary resident must comply with any conditions imposed under the regulations and with any requirements under this Act, must leave Canada by the end of the period authorized for their stay and may re‑enter Canada only if their authorization provides for re‑entry.

 

 

[10]           L’article 41 de la LIPR dispose :

Manquement à la loi

 

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

 

Non‑compliance with Act

 

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

 

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

 

 

[11]           L’article 44 de la LIPR est ainsi libellé :

Rapport d’interdiction de territoire

 

44.      (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

 

Suivi

 

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

 

 

 

 

 

Conditions

 

(3) L’agent ou la Section de l’immigration peut imposer les conditions qu’il estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution, au résident permanent ou à l’étranger qui fait l’objet d’un rapport ou d’une enquête ou, étant au Canada, d’une mesure de renvoi.

 

Preparation of report

 

 

44.      (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

Referral or removal order

 

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well‑founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

Conditions

 

(3) An officer or the Immigration Division may impose any conditions, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions, that the officer or the Division considers necessary on a permanent resident or a foreign national who is the subject of a report, an admissibility hearing or, being in Canada, a removal order.

 

 

VI.  Thèses des parties

            Thèse du demandeur

[12]           M. Chaabane affirme que le délégué a commis une erreur en prenant une mesure d’exclusion après qu’il lui eut déclaré que sa vie serait en danger s’il devait retourner en Tunisie. M. Chaabane soutient que sa crainte devrait être évaluée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié parce qu’il a fait part, dès le début de l’entrevue, de sa crainte de retourner dans son pays d’origine, avant que la mesure d’exclusion ne soit signée. M. Chaabane affirme qu’il n’a signé la mesure d’exclusion que parce que les autorités de l’immigration l’ont induit en erreur au sujet de la signification du document.

 

Thèse des défendeurs

[13]           Suivant les défendeurs, M. Chaabane n’a jamais, pendant huit ans, exprimé de crainte au sujet de son éventuel retour en Tunisie. Ce n’est que lors de son arrestation, de sa détention et de son entrevue qu’il l’a fait. M. Chaabane contredit carrément les agents de l’ASFC au sujet de la façon dont se sont déroulées les choses lors de son arrestation, de sa détention et de son entrevue.

 

VII.  Analyse

[14]           Dans l’arrêt Raman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 C.F. 140, 89 A.C.W.S. (3d) 330, la Cour d’appel fédérale dit ce qui suit :

Toute personne autre qu’un citoyen canadien, toutefois, doit avoir le droit de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. Si une personne revendique à bon droit un tel statut au moment opportun, la Charte lui offre des protections procédurales importantes […] [Non souligné dans l’original.]

 

 

[15]           La question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si le demandeur a demandé l’asile au moment opportun.

 

[16]           Il existe en l’espèce des contradictions entre les affidavits. M. Chaabane allègue qu’il a informé les agents de l’ASFC de son désir de demander l’asile et qu’il leur a fait part, avant de signer la mesure d’exclusion, de sa crainte que sa vie soit en danger s’il devait retourner en Tunisie. Les défendeurs soumettent deux affidavits, le premier de l’agent Luc Saulnier et le second, du délégué du ministre, où il est indiqué que M. Chaabane n’a pas fait de telles déclarations.

 

[17]           À la suite de son contre‑interrogatoire, M. Chaabane a tenté de discréditer l’exactitude des faits relatés par les agents de l’ASFC dans leurs affidavits. Néanmoins, le comportement et les agissements de M. Chaabane pendant huit ans, avant son arrestation, sa détention et son entrevue, ne témoignent d’aucune crainte quant à un éventuel retour dans son pays d’origine, ce qui en soi, parle de soi‑même.

 

[18]           Le juge Edmond Blanchard faisait face à une situation presque identique dans l’affaire Elemuwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1026, 141 A.C.W.S. (3d) 99. En réponse à la question factuelle de savoir si une demande d’asile avait été présentée avant la prise de la mesure d’exclusion, le juge Blanchard a déclaré ce qui suit :

 

[16]      Pour ce qui est de la prétention du demandeur selon laquelle le délégué a pris la mesure d’exclusion malgré qu’une demande d’asile ait été faite, c’est au demandeur qu’il incombe d’établir d’après la prépondérance de la preuve que les faits se sont produits selon ce qui est allégué dans son mémoire. Essentiellement, le demandeur allègue qu’en refusant d’accepter la demande d’asile, l’agent d’immigration a agi contrairement à la LIPR et aux obligations internationales du Canada. Le demandeur met en doute l’intégrité de l’agent, mais afin de prouver ses allégations, les faits sur lesquels celles‑ci se fondent doivent être énoncés. La preuve fournie par le demandeur n’appuie pas ses allégations et, par conséquent, il ne s’est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait.

 

 

[19]           La Cour conclut que l’allégation de M. Chaabane est incompatible avec la façon dont il s’est comporté au Canada. Il est entré au Canada en 2001 pour y poursuivre ses études et, pendant huit ans, il n’a jamais tenté de demander l’asile. Le dossier certifié du tribunal montre que M. Chaabane a renouvelé son statut d’étudiant étranger à quatre reprises et qu’il a obtenu deux permis de travail durant son séjour au Canada.

 

VIII.  Dispositif

[20]           La Cour conclut, après examen de la preuve, que M. Chaabane ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait demandé l’asile avant que la mesure d’exclusion ne soit prise.

 

[21]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5700‑09

 

 

INTITULÉ:                                                    KAIS CHAABANE

                                                                        c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 10 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Viken G. Artinian

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Evan Liosis

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ALLEN & ASSOCIATES

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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