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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100622

Dossier : IMM-5266-09

Référence : 2010 CF 677

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 juin 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

FELIX ANTONIO OSEGUEDA GARCIA

demandeur

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue par une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente), dans laquelle l’agente a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par M. Felix Antonio Osegueda Garcia.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les motifs qui suivent.

 

[3]               Le demandeur, M. Felix Antonio Osegueda Garcia, est citoyen du Salvador et est arrivé au Canada à titre de résident permanent en 1989 à l’âge de 16 ans. Il est allé à l’école secondaire, mais il a abandonné après trois ans.

 

[4]               Le demandeur s’est marié en 1995 et a divorcé un an plus tard. De ce mariage est née une fille dont il a la garde exclusive; c’est surtout le demandeur qui s’en est occupé depuis qu’elle est bébé. En 1999, le demandeur a été déclaré coupable de voies de fait contre son ex­épouse et, en 2001, il a été déclaré coupable de vol à main armée. Il s’est remarié en 2008 et vit actuellement avec sa fille, son épouse et le fils de son épouse.

 

[5]               Le 28 novembre 2002, le demandeur, en raison de ses déclarations de culpabilité pour des infractions criminelles, a été frappé d’une mesure d’expulsion fondée sur une conclusion de grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. La mesure de renvoi a fait l’objet d’un sursis de trois ans, et un examen devait être mené en octobre 2006. Deux avis ont été envoyés au demandeur concernant cet examen, mais le demandeur affirme ne pas les avoir reçus, ce qui expliquerait son absence lors de l’examen. On a conclu au désistement de la demande du demandeur en juillet 2007, et une demande de réouverture de dossier a été refusée en mars 2009.  

 

[6]               Dans le cadre de son recours fondé sur la Loi, le demandeur a présenté, en vertu de l’article 25 de la Loi, une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire afin qu’il puisse présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada. Cette demande a été rejetée le 10 septembre 2009; il s’agit de la décision visée par le présent contrôle judiciaire.  

 

La norme de contrôle judiciaire

[7]               La norme applicable à une décision portant sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, y compris l’examen de l’intérêt supérieur d’un enfant, est la raisonnabilité, car de nombreuses conclusions portent sur des questions mixtes de fait et de droit et elles sont de nature hautement discrétionnaire (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Markis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 428, 71 Imm. L.R. (3d) 237, paragraphes 20 et 21; Laban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 661, [2008] A.C.F. no 819, paragraphes 13 et 14). Quant à la question de savoir si l’agent a appliqué le bon critère, il a été conclu qu’il s’agissait d’une question de droit et que la norme de contrôle applicable était donc la décision correcte (Markis, paragraphe 19).

 

[8]               Lorsque la norme applicable est la raisonnabilité, la Cour se penche sur « la justification de la décision, [sur] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

La conclusion relative à l’établissement

[9]               Le demandeur soutient que l’agente a mal interprété son degré d’établissement, qu’il existait une quantité prodigieuse d’éléments de preuve qui montraient son établissement au Canada et que ce facteur aurait dû jouer en sa faveur. La Cour a conclu que les conclusions relatives à l’établissement sont raisonnables si elles reposent sur la preuve dont dispose le décideur (Jamrich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804, 29 Imm. L.R. (3d) 253, paragraphe 28).

 

[10]           En l’espèce, l’agente a noté que le demandeur avait la plupart du temps occupé un emploi lorsqu’il était au Canada, mais qu’il ne travaillait plus depuis 2007 et qu’il recevait de l’aide sociale. Elle a également noté les observations de l’avocat selon lesquelles le demandeur était financièrement responsable de sa fille. Elle a tenu compte du fait qu’il avait suivi des cours au secondaire, mais qu’il avait quitté l’école et n’avait pas terminé d’autres cours. Elle a également conclu que le demandeur n’appartenait à aucune autre organisation, mais qu’il avait bien aidé une femme à faire ses tâches ménagères, et cette femme a affirmé dans une lettre que le demandeur lui manquerait beaucoup. Ailleurs dans sa décision, l’agente a aussi conclu que le demandeur n’avait aucun lien solide au Salvador.

  

[11]           Le dossier renfermait également d’autres lettres rédigées par des amis du demandeur, lesquelles n’ont pas été mentionnées par l’agente; ses amis y témoignaient des liens étroits qu’ils avaient établis avec le demandeur et de la consternation dont ils seraient frappés si le demandeur devait quitter le Canada (dossier certifié du tribunal, pages 90 à 1000). L’agente n’a pas non plus mentionné les liens de la famille du demandeur au Canada.

 

[12]           Au point 11.3 du guide IP 5 (Citoyenneté et Immigration Canada, IP 5, Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (6 novembre 2009, IP 5)), les questions suivantes sont proposées dans le cadre de l’examen du degré d’établissement :

• Le demandeur a‑t‑il des antécédents d’emploi stable?

• Y a‑t‑il une saine gestion financière constante?

• Le demandeur s’est‑il intégré à la collectivité en s’impliquant auprès d’organismes communautaires, en faisant du bénévolat ou par d’autres activités?

• Le demandeur a‑t‑il entrepris des études professionnelles, linguistiques ou autres qui montrent une intégration à la société canadienne?

• Le demandeur et les membres de sa famille ont‑ils un bon dossier civil au Canada?

(p.ex. aucune accusation au pénal ou intervention de la part d’agents d’exécution de la loi ou d’autres autorités pour de la violence familiale ou de la violence faite aux enfants)?

 

[13]           Le demandeur est arrivé au Canada à l’âge de 16 ans après avoir fui le Salvador il y a plus de 20 ans. Il a occupé un emploi rémunéré la plupart du temps et a été en mesure d’élever sa fille. La preuve révélait clairement que le demandeur a une famille au Canada et de nombreux amis avec qui il entretient des liens étroits. Il est marié et a vécu avec la même personne les cinq dernières années. À mon avis, la conclusion tirée par l’agente, selon laquelle la preuve ne montrait pas que le demandeur était établi au Canada, était déraisonnable vu la preuve dont l’agente disposait.

 

La conclusion relative au risque

[14]           Il est de jurisprudence constante à la Cour qu’il est tout à fait légitime pour un agent de s’appuyer sur les mêmes conclusions de fait dans le cadre de l’examen d’une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cependant, il faut que le critère approprié soit appliqué dans chaque contexte : dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il s’agit du critère des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, lequel critère est moins exigeant que le critère applicable à une demande d’ERAR (Liyange c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1045, [2005] A.C.F. no 1293, paragraphe 41). Par conséquent, en l’espèce, il s’agit de déterminer si l’agente s’est penchée sur la question du risque allégué comme si cette question était assujettie aux mêmes considérations que la demande d’ERAR.

 

[15]           Je note d’abord que l’agente a expressément mentionné qu’elle reconnaissait que deux critères distincts devaient être appliqués et qu’elle a correctement énoncé le critère lié à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Elle a également mentionné que le demandeur, dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, a affirmé qu’il serait exposé à des risques découlant tant du gouvernement du Salvador, qui le soupçonnerait d’appartenir à un gang en raison de ses tatouages, que de gangs du Salvador, qui le soupçonneraient d’être membre d’un autre gang. Il s’agit des mêmes risques mentionnés par le demandeur dans sa demande d’ERAR. L’agente a par la suite analysé les risques allégués par le demandeur à la lumière de la preuve documentaire. Cette analyse est identique à celle effectuée dans la décision sur la demande d’ERAR, à l’exception de quelques changements et ajouts mineurs (décision sur la demande d’ERAR, dossier certifié du tribunal, pages 119 à 126).

 

[16]           L’agente a terminé son analyse en tirant la conclusion suivante quant au risque allégué :

[traduction]

Au terme de ma propre recherche sur la situation au Salvador, je conclus que le demandeur n’a pas établi qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que, s’il retournait au Salvador, il serait exposé à une menace à sa vie qui lui occasionnerait personnellement des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

 

 

[17]           De nouveau, je reconnais qu’il est acceptable de se fonder sur les mêmes facteurs tant dans la demande d’ERAR que dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et qu’il s’agit du meilleur moyen pour assurer la cohérence des décisions et l’efficacité du processus décisionnel. Cependant, il importe néanmoins que le bon critère soit appliqué. Comme mon collègue le juge de Montigny l’a affirmé au paragraphe 47 de la décision Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404, 304 F.T.R. 136 :

L’agent qui se prononce à la fois sur une demande d’ERAR et sur une demande CH présentées par le même demandeur risquera de toute évidence davantage de confondre les deux analyses distinctes exigées par ces procédures. Même s’il est parfaitement au courant des fondements différents sous‑tendant ces deux genres de demandes, l’agent peut arriver aux mêmes conclusions, peut‑être par inadvertance, ne serait‑ce que parce qu’il est souvent difficile, peut‑être pas en théorie mais en pratique, de faire abstraction d’une décision antérieure rendue à partir des mêmes faits. Cela ne veut pas dire que la pratique voulant que le même agent examine les deux demandes doive être découragée. L’uniformité est également une vertu, et il n’existe aucune meilleure façon d’assurer la cohérence que de charger le même agent de l’évaluation de la demande d’ERAR et de la demande CH présentées par la même personne. Cependant, il faut veiller encore plus à tenir les deux processus distincts.

 

 

[18]           En l’espèce, une lecture complète de l’analyse du risque allégué effectuée dans la décision portant sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et une comparaison avec la décision sur la demande d’ERAR révèlent que ces décisions sont essentiellement pareilles en ce qui a trait aux risques à l’exception de quelques changements mineurs et de la conclusion citée dans le paragraphe ci‑dessus, et je ne peux pas conclure que les décisions sont en fait distinctes. Outre la déclaration effectuée au commencement de la décision et la conclusion générale, aucune discussion ou analyse n’a été effectuée quant à l’analyse du risque au regard des difficultés. Les difficultés ont été définies de la façon suivante :

La difficulté inhabituelle et injustifiée est décrite comme une difficulté « non prévue à la Loi ou à son Règlement » ou résultant de « circonstances échappant au contrôle de cette personne », alors que la difficulté excessive est définie comme étant une difficulté qui « aurait des répercussions disproportionnées pour le demandeur, compte tenu des circonstances qui lui sont propres » (Ramirez, paragraphe 46).

 

 

[19]           Rien ne donne à penser que l’agente a évalué le risque allégué en fonction de ce cadre. Je conclus que la décision est déraisonnable, puisque l’agente n’a pas tenu compte des facteurs liés au risque dans le contexte de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Même s’il s’agissait des mêmes risques qui étaient allégués, le fait que l’analyse effectuée dans la décision portant sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit essentiellement la même que celle effectuée dans la décision sur la demande d’ERAR, hormis des déclarations générales, me pousse à conclure que l’agente a simplement adopté l’analyse du risque menée dans la demande d’ERAR et qu’elle n’a pas appliqué les considérations propres au critère lié aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

L’intérêt supérieur de l’enfant

[20]           Je suis convaincu que l’agente s’est montrée réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agente a conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant militait en faveur du demandeur, mais qu’il ne s’agissait pas d’un facteur déterminant dans une demande (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358, paragraphe 12). Bien que la Cour eût pu accorder davantage de poids à ce facteur vu les circonstances particulières de l’espèce, il n’appartient pas à la Cour de réexaminer le poids accordé aux différents facteurs.

 

[21]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5266-09

 

INTITULÉ :                                                   FELIX ANTONIO OSEGUEDA GARCIA c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 21 JUIN 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 22 JUIN 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Wazana

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Bridget O’Leary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Wazana

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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