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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100617

Dossier : IMM-5590-09

Référence : 2010 CF 660

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Toronto (Ontario), le 17 juin 2010

En présence de Monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

ALEKSANDAR ZHIVKOV TATARSKI

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi) visant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), laquelle a conclu que le demandeur Aleksandar Zhikov Tatarski n’était ni un réfugié ni une personne à protéger.

[2]               Le demandeur est un citoyen bulgare d’origine rome. Alors qu’il habitait en Bulgarie, il a été victime de persécution fondée sur sa race. À l’école, ses camarades de classe le dénigraient souvent et ses professeurs refusaient d’intervenir. Il a finalement quitté l’école après la 8e année parce qu’il ne pouvait plus supporter ce type de traitement. Il a aussi été victime de quatre attaques fondées sur la race. La première attaque a eu lieu alors que le demandeur avait 13 ans et il a de nouveau été attaqué en novembre 2005. Il a reçu des soins médicaux, puis a tenté de présenter une plainte à la police, qui a été refusée. Il a subi deux attaques en 2006, la première en janvier et la deuxième en février. Le demandeur a eu besoin de soins médicaux après chacune de ces attaques. Il s’est de nouveau rendu au service de police du district pour déclarer l’attaque qu’il avait subie en janvier, on a pris ses renseignements personnels, mais des agents policiers l’ont dénigré et l’ont traité avec rudesse. Après l’attaque de février, le demandeur a de nouveau tenté de faire une déclaration à la police, mais on lui a dit que les agents étaient occupés avec des plaintes présentées par des Bulgares et qu’ils n’avaient pas le temps pour les Tziganes. Le demandeur soutient qu’après cet événement, il a pensé à présenter une plainte au Bureau du procureur, mais des membres de la communauté rome lui ont dit qu’une plainte ne ferait que lui causer plus de problèmes.

[3]               Il a plutôt pris des mesures pour quitter la Bulgarie. Il est arrivé aux États-Unis, par un passeur de clandestins, le 12 juin 2006 et il y est resté pendant deux mois avant de venir au Canada et de présenter une demande d’asile.

[4]               Le demandeur soutient que la Commission a commis de nombreuses erreurs en concluant qu’il n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

[5]               Le demandeur soutient d’abord que sa situation particulière aurait dû être un facteur important dans l’examen de la Commission à savoir à quel point il avait tenté d’obtenir la protection de l’État pour qu’elle puisse ensuite conclure s’il avait réfuté la présomption de cette protection. En particulier, elle aurait dû tenir compte du fait qu’il était mineur lorsque la majorité des attaques ont eu lieu, qu’il n’avait terminé que sa 8e année d’études, qu’il n’avait travaillé que dans des emplois non spécialisés, qu’il avait habité toute sa vie dans une communauté rome dans une petite localité et qu’il n’avait jamais quitté la Bulgarie auparavant. Il soutient que si la Commission avait tenu compte de sa situation personnelle, ses tentatives d’obtenir la protection de la police auraient dû être considérées comme suffisantes pour réfuter la présomption de la protection d’État.

[6]               Deuxièmement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il aurait dû demander l’aide du Bureau du procureur et du Bureau de l’ombudsman et que son défaut de le faire entraîne la conclusion qu’il n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Il souligne qu’il a tenté, par quatre fois, de demander la protection de la police, sans succès à chaque fois et qu’au moins une fois, il a été maltraité par les policiers eux‑mêmes. Il soutient aussi que tant sa demande que la preuve établissent que les policiers sont aussi des agents de persécution dans sa situation, et qu’il n’était donc pas nécessaire de tenter d’obtenir une protection de l’État ailleurs. Il a aussi prétendu qu’il n’existait aucune exigence selon laquelle il aurait dû avoir recours aux services d’un avocat, parce que les avocats ne sont pas des agents de l’État et n’ont pas à être consultés pour réfuter la présomption de la protection de l’État.

[7]               Le demandeur prétend aussi que la Commission a mal examiné la preuve dont elle était saisie. Il cite des éléments de preuve documentaire qui démontrent que les policiers en Bulgarie continuent d’agir impunément et ne répondent pas aux plaintes des roms.

 

[8]               Les questions soulevées par le demandeur sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 47 et 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 53). Par conséquent, la Cour doit déterminer si la décision fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[9]               Tout d’abord, je tiens à préciser que la Commission a accepté le témoignage du demandeur au sujet des attaques et de ses nombreuses tentatives infructueuses de demander la protection de l’État. La Commission n’a pas tiré de conclusion défavorable au sujet de la crédibilité en ce qui a trait aux points cruciaux de la demande du demandeur.

 

[10]           Dans la décision récente Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119, [2010] A.C.F. no 132, mon collègue le juge Lemieux a résumé certains des principes de droit applicables à la protection de l’État (au paragraphe 33). De ce résumé, je tiens à souligner les points suivants : le demandeur doit avoir pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances afin de demander la protection de l’État contre ses persécuteurs; le demandeur qui ne le fait pas et qui soutient que l’État offre une protection inefficace ou inadéquate a le fardeau légal de présentation de la preuve afin de convaincre le tribunal; si le tribunal détermine que le demandeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour se prévaloir de la protection de l’État, cette conclusion ne porte un coup fatal à la demande que si le tribunal conclut aussi que la protection de l’État aurait raisonnablement été offerte; pour tirer une telle conclusion, le tribunal doit examiner les caractéristiques uniques de pouvoir et d’influence du prétendu persécuteur sur la capacité et la volonté de l’État de protéger le demandeur; lorsque le tribunal se fonde sur une loi réparatrice, cette loi, en elle-même, n’est pas suffisante; il doit exister une preuve que les réparations ont eu un effet positif pratique.

 

[11]           De plus, je souscris à l’opinion énoncée dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 193, 45 Imm. L.R. (3d) 58, où il a été conclu que « [l]lorsque les représentants de l’État sont eux-mêmes à l’origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n’est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l’État sans devoir épuiser tout recours possible au pays. Le fait même que les représentants de l’État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l’État, ce qui diminue d’autant le fardeau de la preuve » (paragraphe 15).

 

[12]           En ce qui a trait à l’affaire en l’espèce, la Commission a conclu que même si le demandeur avait tenté d’obtenir, sans succès, la protection de la police quatre fois, il pouvait toujours se prévaloir de la protection de l’État parce qu’il aurait pu demander l’aide du Bureau du procureur, du Bureau de l’ombudsman ou d’un avocat. Il semble que la Commission a accepté que la protection de l’État ne lui était pas offerte et que les policiers faisaient partie des problèmes continus auxquels le demandeur faisait face. Le formulaire de renseignements personnels du demandeur indique que les auteurs de l’attaque de 2001 lui ont dit que c’est ce qui arrivait aux Tziganes qui dérangeaient la police. La Commission n’a pas douté de ce fait.

 

[13]           La preuve documentaire sur laquelle la Commission s’est fondée n’explique pas de quelle façon le Bureau du procureur aurait pu fournir une protection au demandeur. Il ne semble pas que le mandat de ce bureau est d’offrir une protection contre les crimes, et la preuve ne fait aucunement état de l’efficacité de la présentation d’une telle demande à ce bureau (Canada, Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Recourse available to those with a complaint of police inaction in response to crimes, harassment or discrimination; organizations that would be of assistance in such cases (January 2003 - August 2005) [Recours pour les personnes qui portent plainte contre l’inaction de la police en réponse à des crimes, du harcèlement ou de la discrimination ; organismes qui peuvent aider dans ces cas (janvier 2003 à août 2005)] (2 septembre 2005)). Cependant, la preuve documentaire n’établit pas que les roms sont plus souvent victimes de l’inaction de la police que d’autres groupes. Cette même preuve documentaire indique qu’il a été impossible de trouver des renseignements au sujet de la réponse du Bureau de l’ombudsman à l’inaction policière dans les sources consultées et, dans une entrevue, le directeur d’un organisme de la protection des droits de la personne en Bulgarie a indiqué qu’à son avis, l’ombudsman n’avait aucun pouvoir réel et ne pouvait faire que des recommandations.

 

[14]           De plus, les décisions judiciaires découlant des lois contre la discrimination mentionnées par la Commission comprennent des actions au civil portant sur des refus de services et d’emploi. Rien ne permet de croire que cet ensemble de lois pourrait être utilisé par quelqu’un dans la même situation que le demandeur ou qu’il aurait pu en tirer une quelconque utilité (Centre européen des droits des Roms, First Five Roma Rights Victories under New Bulgarian Equality Law [Cinq premières victoires des droits des Roms en vertu de la nouvelle Loi sur l’égalité en Bulgarie] (30 septembre 2004)).

 

[15]           De plus, rien dans la jurisprudence ne permet d’appuyer la notion selon laquelle dans une telle situation, le demandeur a le fardeau supplémentaire de demander un avis juridique ou d’entreprendre une action devant une cour (Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFTI 1081, [2003] 2 C.F. 339, aux paragraphes 24 à 26).

 

[16]           La Commission a accepté que le demandeur avait été victime d’attaques violentes répétées fondées sur son origine ethnique rome et qu’il avait tenté d’obtenir la protection de l’État. En effet, la Commission a accepté que le demandeur avait demandé l’aide de la police en au moins quatre occasions distinctes, qu’à chaque fois, on lui avait opposé un refus et qu’une fois, on l’avait harcelé. À mon avis, cela est suffisant pour établir que le demandeur a réfuté la présomption de la protection de l’État. Compte tenu des circonstances particulières en l’espèce, comme le demandeur a demandé l’aide de la police (quatre fois), et que la police a refusé, il n’avait pas l’obligation de demander d’aide ailleurs.

 

[17]           Compte tenu des faits acceptés par la Commission, de son évaluation de la preuve documentaire dont elle était saisie et de la jurisprudence de la Cour, je suis convaincu que la conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[18]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué. Aucune question n’est certifiée.

 

             « Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


 

ANNEXE

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, chap. 27.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

 

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5590-09

 

INTITULÉ :                                       ALEKSANDAR ZHIVKOV TATARSKI c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 juin 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Howard C. Gilbert                                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Monmi Goswami                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Howard C. Gilbert                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

                                                                                               

Myles J. Kirvan                                                                        POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

 

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