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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100611

Dossier : IMM-3602-09

Référence : 2010 CF 624

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2010

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

FUJUN SUN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Lorsque la crédibilité est en jeu (même si certains éléments ne sont pas remis en question), le cœur d’une demande d’asile peut perdre de son bien-fondé. L’analyse d’une chronologie des événements, à savoir pour quelle personne et dans quel but une demande d’asile a été présentée, peut révéler qu’une demande est sans fondement, ou qu’elle ne repose sur aucune logique intrinsèque. Il est vrai que chaque demandeur a sa propre perception de la réalité, mais si cette réalité perd sa logique intrinsèque, l’interprétation que le demandeur voulait voir la Cour donner à la demande perd son sens.

 

[2]               Sans la corroboration de témoignages, de documents ou de chronologie des événements cohérente, ce qui est vide de sens ne peut en acquérir par le truchement d’un argument juridique.

 

II.  Procédure judiciaire

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection du statut de réfugié, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) à l’encontre d’une décision rendue le 9 juin 2009 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), qui a statué que la demanderesse, Mme Funjun Sun, n’est ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

 

III.  Contexte

[4]               Après avoir pris connaissance des pièces au dossier et entendu les parties, la Cour est d’accord avec le résumé contextuel énoncé par la SPR de la CISR, ainsi qu’avec son analyse.

 

[5]               La demanderesse, Mme Fujun Sun, a allégué ce qui suit.

 

[6]               En août 2002, Mme Fujun Sun est arrivée à Vancouver (Colombie-Britannique) à titre d’étudiante étrangère, pour fréquenter le Coquitlam College. En septembre 2004, sa famille en Chine vivait une période difficile, ce qui a entraîné des répercussions sur leur capacité de financer les études de la demanderesse au Canada. Mme Fujun Sun est devenue dépressive, et s’est nouée d’amitié avec une femme de Vancouver qui lui a fait découvrir le christianisme. En décembre 2004, la demanderesse a commencé à fréquenter l’église Lingjitang (Oakridge) (Church) à Vancouver sur une base régulière. En janvier 2006, Mme Fujun Sun a déménagé à Toronto (Ontario) et a commencé à assister aux séances de la Living Stone Assembly. Pour partager sa joie à l’égard des séances auxquelles elle assistait, M. Fujun Sun a envoyé des dépliants de l’Assembly à ses amies en Chine.

 

[7]               Mme Fujun Sun s’est mariée à Toronto, le 19 juin 2006, s’est séparée le 15 octobre 2006 et a subséquemment divorcé en décembre 2007.

 

[8]               Le 12 septembre 2007, Mme Fujun Sun a reçu un appel de sa mère lui mentionnant que des représentants du Bureau de la sécurité publique (BSP) leur avaient rendu visite à leur domicile et avaient dit à elle et au père de la demanderesse qu’ils avaient découvert une église clandestine et qu’ils y avaient retrouvé des feuillets illégaux envoyés par la demanderesse. Les représentants du BSP ont fait des menaces aux parents de la demanderesse, et leur ont demandé de faire en sorte que leur fille revienne à la maison. Craignant d’être arrêtée, Mme Fujun Sun a présenté une demande d’asile, le 17 septembre 2007.

 

IV. Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[9]               La SPR a tiré des conclusions négatives en matière de crédibilité en raison du court mariage de Mme Fujun Sun. Plus précisément, la SPR a mentionné que Mme Fujun Sun, lorsqu’on lui posait des questions relativement à son mariage, ne connaissait pas le nom de l’église où elle s’était mariée, et ne connaissait pas la dénomination chrétienne de celle-ci. De plus, la SPR a conclu qu’il était déraisonnable que son conjoint continue à fournir des garanties en matière d’immigration pour permettre à Mme Fujun Sun de rester au Canada, alors qu’il mettait la touche finale à son divorce avec cette dernière.

 

[10]           La SPR a statué que ces conclusions soulevaient des questions quant à la crédibilité de sa demande d’asile.

 

[11]           La SPR a mentionné que Mme Fujun Sun prétendait être une réfugiée « sur place », puisque les événements l’ayant incité à demander l’asile se sont produits à l’extérieur de son pays d’origine. La SPR a aussi mentionné que la question clé dans le cas de telles demandes est de savoir si les autorités du pays d’origine de Mme Sun ont eu vent des actes de celle-ci, et comment ces actes sont vraisemblablement perçus par ces autorités. 

 

[12]           La SPR a conclu que les pièces envoyées par Mme Fujun Sun en Chine seraient perçues comme étant illégales par les autorités, mais a conclu que la preuve documentaire ne soutient pas la prétention qu’elle serait persécutée en raison de ses croyances religieuses.

 

V.  Norme de contrôle

[13]           La norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339; Espinoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 806, [2009] A.C.F. no 918 (QL)).

 

[14]           Khosa, précité, expliquait le fondement, énoncé dans Dunsmuir, précité, que les cours procédant au contrôle judiciaire doivent faire preuve de retenue à l’égard des décisions des juges des faits, « si celle[s]-ci [font] partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit”. (Dunsmuir, au paragraphe 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable ». Si le processus en cause cadre bien avec « les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », la cour de révision ne peut y substituer sa propre opinion (Khosa, précité, au paragraphe 59).

 

[15]           Dans la présente affaire, les conclusions de la CISR appartiennent aux issues possibles; sa décision est par conséquent raisonnable, et il y a lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[16]           Dans son exposé des arguments, M. Fujun Sun soutient que la CISR n’a pas examiné la question fondamentale de sa demande, soit de [traduction] « savoir si [elle] pourrait librement pratiquer sa religion à son retour en Chine ».

 

[17]           Mme Fujun Sun ne dit ni dans sa demande, ni dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), ni dans son témoignage qu’elle ne pourrait pas pratiquer sa religion en Chine.

 

[18]           Mme Fujun Sun a indiqué à un certain nombre d’occasions qu’il est légal d’être de confession chrétienne en Chine, et que les objets religieux ne sont pas illégaux. De plus, même l’agent du tribunal n’a pas fait de commentaires sur cette question, ce qui démontre encore une fois que cet élément n’a pas été mis de l’avant comme fondement de la demande (transcription de l’audience, dossier du tribunal, aux pages 173 et 177).

 

[19]           Même si un demandeur n’a pas l’obligation d’expliquer le fondement juridique d’une demande, il doit néanmoins démontrer une crainte subjective pour que celle-ci soit accueillie. Il incombe au demandeur de fournir les motifs pour lesquels il demande l’asile. À défaut de preuve écrite ou de témoignage, on ne peut reprocher au tribunal de ne pas avoir abordé cette question dans ses motifs :

[3]        Nous ne croyons pas, en l'espèce, qu'il soit possible de reprocher à la section du statut de ne s'être pas prononcée sur un motif qui n'avait pas été allégué et qui ne ressortait pas de façon perceptible de l'ensemble de la preuve faite.

 

(Pierre-Louis c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 420 (QL), 46 A.C.W.S. (3d) 307 (C.A.F.); l’on renvoie aussi à Espinoza, précité; Emamgongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 208, [2010] A.C.F. no 244 (QL), au paragraphe 19; Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, [2001] A.C.F. no 2118 (QL) (C.A.), aux paragraphes 10 et 11).

 

[20]           La Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26, que l’insuffisance des motifs ne constitue pas un moyen distinct de contester la décision et qu’elle ne constitue pas automatiquement une erreur révisable. La Cour a conclu que « l’obligation de donner des motifs, peu importe le contexte dans lequel elle est invoquée, devrait recevoir une interprétation fonctionnelle et fondée sur l’objet ». Lorsque le dossier dans son ensemble révèle le fondement de la décision du juge des faits, la partie qui veut faire infirmer la décision pour insuffisance des motifs doit montrer que cette insuffisance lui a causé un préjudice dans l'exercice du droit d'appel que lui confère la loi (Sheppard, précité, aux paragraphes 33, 46 et 53; R. c. Kendall, [2005] O.J. no 2457, 75 O.R. (3d) 565 (C.A.), au paragraphe 44).

 

[21]           Les motifs du tribunal mentionnent clairement les raisons pour lesquelles Mme Fujun Sun demande l’asile, et énonce les motifs précis pour lesquels il a conclu qu’elle n’était pas crédible (motifs de la décision, dossier de la demanderesse, aux pages 6 à 11).

 

[22]           Il est bien établi en droit que les motifs ont deux objectifs principaux : faire savoir aux parties que les questions ont été examinées, et permettre aux parties d’interjeter appel ou de présenter une demande de contrôle judiciaire. Les motifs de la décision en l’espèce ont manifestement répondu à ces deux objectifs (VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, 100 A.C.W.S. (3d) 705; Townsend c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 371, 231 F.T.R. 116; Fabian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1527, 244 F.T.R. 223).

 

[23]           De plus, les motifs de la CISR répondent à la norme énoncée par la Cour fédérale dans Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 687, 131 A.C.W.S. (3d) 323, et confirmée dans Nguyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 349, 137 A.C.W.S. (3d) 1203. Le demandeur dans cette affaire avait principalement prétendu que les motifs de la décision, qui s’étendaient sur un peu plus de deux paragraphes, étaient insuffisants. La juge Eleanor Dawson n’était pas de cet avis. Lorsqu’elle a rejeté la demande de contrôle judiciaire, elle a écrit ce qui suit :

[13]      [...] [I]l faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour que le demandeur puisse savoir pourquoi sa demande a été rejetée et décider s'il doit demander le contrôle judiciaire. Voir : Metherian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.). Les motifs que la SPR a exposés satisfont à cette exigence. Bien que brefs, les motifs expriment de façon claire, précise et intelligible les raisons pour lesquelles elle a rejeté la demande de la demanderesse.

 

VI.  Conclusion

[24]           La Cour cite la décision du juge James Russell dans Malveda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 447, 166 A.C.W.S. (3d) 337, où celui-ci a conclu :

 

[41]      Toutefois, lorsqu’on apprécie la suffisance des motifs, « il ne faut pas scruter les motifs à la loupe ni leur appliquer la norme de la perfection » (Thomas, au paragraphe 35; Andryanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 186, [2007] A.C.F. no 272 (QL), paragraphe 21; Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1501, [2003] A.C.F. no 1904 (QL), paragraphe 42). Comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé au paragraphe 15 de Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CAF 151, [2006] A.C.F. no 654 (C.A.F.) (QL) :

 

[…] la cour de révision doit faire preuve de réalisme lorsqu'elle décide si les motifs fournis par un tribunal administratif sont juridiquement suffisants. C'est là un principe fondamental bien connu. Il convient de lire les motifs dans leur ensemble, et non pas de les analyser de près, phrase par phrase, pour y rechercher des erreurs ou des omissions; il faut les lire en essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d'ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse.

 

Par conséquent, lorsqu’elle apprécie la suffisance des motifs fournis dans une décision, une cour de révision doit examiner l’ensemble du raisonnement qui a mené à cette décision.

 

 

[25]           La Cour conclut que les motifs fournis à la demanderesse sont suffisants. Ceux-ci expliquent la conclusion de la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse, ainsi que son analyse du prétendu risque auquel elle serait exposée si elle devait retourner en Chine.

 

[26]           Mme Fujun Sun n’a renvoyé à aucun élément de preuve documentaire indiquant qu’elle serait poursuivie dans son pays d’origine.

 

[27]           Dans son témoignage, Mme Fujun Sun a déclaré ce qui suit au sujet de la question de savoir s’il était illégal d’envoyer les documents en Chine par la poste : [traduction] « Non, ce n’est pas le cas, car il est légal d’être de confession chrétienne en Chine, et il n’y a rien d’illégal, car ces pièces se rapportent à la religion chrétienne » (transcription de l’audience, dossier du tribunal, à la page 177).  

 

[28]           Mme Fujun Sun n’a pas réussi à établir qu’elle risquait d’être persécutée et que la décision du tribunal n’était pas raisonnable.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3602-09

                                                           

 

INTITULÉ :                                       FUJUN SUN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 11 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OTIS & KORMAN

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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