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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100610

Dossier : IMM-2971-10

Référence : 2010 CF 619

Montréal (Québec), le 10 juin 2010

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

ALEJO MARTINEZ, MARTHA LORENA

partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               L’exercice de réitérer et de présenter de nouveaux documents ou une argumentation nouvelle sur des faits qui ont ou auraient dus être tranchés par la Section de la protection des réfugiés (SPR) ne constitue pas une nouvelle preuve. Dans l’arrêt Abdollahzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1310, 325 F.T.R. 226, la Cour concluait comme suit :

[27]      Ce que le législateur ne veut pas est que la demande d’un ERAR ne devienne une deuxième demande d’asile sous forme déguisée. En limitant ainsi la preuve à de l’information nouvelle pour la demande d’un ERAR par un demandeur d’asile débouté, on indique clairement que l’objectif visé est d’analyser la demande de protection en tenant compte de la situation après la décision de la SPR, le tout sujet à certaines adaptations concernant certaines preuves antérieures selon le libellé de l’article 113 de la LIPR et l’interprétation donnée par madame la juge Sharlow et monsieur le juge Mosley.

 

[28]      Ayant à l’esprit ce qui est mentionné ci-haut au sujet de l’alinéa 113a) de la LIPR et le jugement Raza (supra) de la Cour d’appel, je constate que l’agent d’ERAR a pris le temps d’analyser la documentation soumise au soutien de la demande de l’ERAR et qu’il a expliqué de façon détaillée ses conclusions quant à leur valeur probante (la crédibilité de la preuve, tout en considérant la source et les circonstances entourant l’existence de l’information, la fiabilité de celle-ci, son élément de nouveauté et son degré élevé d’importance). Il l’a fait en prenant en considération non seulement la date de l’information mais aussi l’aspect nouveauté ou pas de celle-ci ayant comme point de référence la preuve devant la SPR, les conclusions de celle-ci et la disponibilité ou pas de l’information au moment de l’audition de la SPR ainsi que la raisonnabilité de s’attendre à ce qu’elle ait présenté ladite information à la SPR. Une telle analyse rencontre les normes contenues à l’alinéa 113a) de la LIPR et la Cour n’a aucune raison pour intervenir car la décision de l’agent d’ERAR est raisonnable. L’agent Perreault a pris en considération l’information pertinente et il a fait les déterminations appropriées tenant compte des circonstances du dossier.

 

[2]               Dans son appréciation du préjudice irréparable, il a souvent été décidé par cette Cour que l’on pouvait tenir compte des décisions de la Section du statut de réfugié, de même que du fait qu’un demandeur n’est pas crédible :

[38]      La demanderesse ne peut, dans le cadre d’une requête en sursis de la mesure de renvoi, alléguer les mêmes risques qui ont été rejetés au niveau de la SPR et de l’ERAR.

 

[2]        […] Bien plus, ses allégations, à cet égard, sont en substance les mêmes que celles invoquées lors de sa revendication du statut de réfugié devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Ses allégations ayant alors été évaluées et rejetées parce que non crédibles ne peuvent servir de base à une allégation de préjudice irréparable (voir, par exemple, Akyol c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2003] A.C.F. no 1182, 2003 CF 931).

 

(Dimouamoua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 940, [2005] A.C.F. no 1172 (QL).) (La Cour souligne).

 

(Duran c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 738, [2007] A.C.F. no 988 (QL)).

 

II.  Procédure judiciaire

[3]               Il s’agit d’une requête présentée par la partie demanderesse visant à obtenir une ordonnance afin de surseoir à l’exécution de son renvoi du Canada vers le Mexique prévu pour le 14 juin 2010. La requête est greffée à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’agent de l’examen des risques avant renvoi (ERAR), rendue le 23 mars 2010.

 

III.  Historique

[4]               La partie demanderesse, madame Martha Lorena Alejo Martinez, est citoyenne du Mexique. Elle est arrivée au Canada le 25 février 2008 à Toronto et a été admise en qualité de résidente temporaire jusqu’au 10 mars 2008. Le 25 mars 2008, madame Alejo Martinez a revendiqué le statut de réfugié à Montréal.

 

[5]               Le 14 juillet 2009, la SPR a statué que madame Alejo Martinez n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger, rejetant ainsi sa demande d’asile. La SPR a de plus statué que la revendication n’avait pas de minimum de fondement.

 

[6]               Le 27 octobre 2009, la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été rejetée par la Cour fédérale.

 

[7]               Le 23 mars 2010, la demande d’ERAR a été rejetée.

 

IV.  Analyse

[8]               La Cour est en accord avec la position de la partie défenderesse.

 

[9]               Afin d’évaluer le bien-fondé de la requête en sursis, la Cour doit déterminer si la partie demanderesse satisfait aux critères jurisprudentiels émis par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123, 86 N.R. 302 (C.A.F.).

 

[10]           Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a retenu trois critères qu’elle a importés de la jurisprudence en matière d’injonction, plus particulièrement de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110. Ces trois critères sont :

A.  l’existence d’une question sérieuse;

B.  l’existence d’un préjudice irréparable; et

C.  l’évaluation de la balance des inconvénients.

 

[11]           Les trois critères doivent être satisfaits pour que cette Cour accorde le sursis demandé. Si un seul d’entre eux n’est pas atteint, cette Cour ne peut pas accorder le sursis demandé.

 

[12]           La partie demanderesse n’a pas démontré l’existence d’une question sérieuse à être tranchée dans le cadre de sa demande d’autorisation à l’encontre de la décision de l’agent, ni l’existence d’un préjudice irréparable et que, finalement, les inconvénients de la partie demanderesse ne sont pas supérieurs à ceux de l’intérêt public qui veut que le processus d’immigration prévu par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, S.C. 2001, c. 27 (LIPR) suive son cours.

 

A.  Question sérieuse

[13]           Il ressort de la décision d’ERAR que l'agent a fait un examen complet des soumissions de madame Alejo Martinez.

 

[14]           L’agent a pris acte qu’il y avait peu de nouvelles preuves en l’espèce et que son rôle n’était pas de réévaluer la preuve déposée devant la SPR en 2009. L’agent reproduit, dans ses notes, l’article 113a) de la LIPR. Il écrit ce qui suit à la page 5 de sa décision:

Les demandeurs soumettent des témoignages de leur mère respective et d’un policier qui aurait été collègue du policier, père de la demandeure. [5 et 8 février 2010]. Or ces éléments de preuve ne rencontrent pas les exigences de l’article 113a) de la LIPR. Ces éléments obtenus de sources non formellement identifiées, à la dernière minute, i.e. au moment où leur renvoi devient imminent, n’apportent rien de nouveau en substance et apparaissent n’être que des appuis et réajustements de leur témoignage jugé non-crédible par la SPR. Les demandeurs n’indiquent pas que ces éléments de preuve n’étaient pas raisonnablement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable s’attendre à ce qu’ils les aient présentés au moment du rejet.

[15]           L’appréciation de l’agent est conforme à la jurisprudence de cette Cour.

 

[16]           Dans l’affaire Abdollahzadeh, ci-dessus, rendue en décembre 2007, le juge Simon Noël, reprenant les motifs rendus par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 162 A.C.W.S. (3d) 1013, précisait que l’ERAR n’est pas un appel ou un palier de révision de la décision de la SPR :

[26]      Tout récemment, la Cour d’appel rendit un jugement suite à la certification de deux questions du juge Mosley concernant l’article 113 de la LIPR (voir Raza et al. c. MCI, 2007, FCA 385). Madame la juge Sharlow au nom de la Cour, rejeta l’appel, adopta le raisonnement de monsieur le juge Mosley (voir le paragraphe 16) et informa quant au contenu de l’article 113 de la LIPR (voir le paragraphe 13). Elle prit la peine d’indiquer à nouveau que la procédure de l’ERAR n’était pas un appel ou encore, une demande de révision de la décision de la SPR étant donné que le législateur a clairement voulu limiter la preuve présentable dans le cadre d’une telle procédure (voir le paragraphe 12). (La Cour souligne).

 

[17]           Madame Alejo Martinez n’a pas démontré que les conclusions factuelles rendues par l’agent sont déraisonnables.

 

B.  Préjudice irréparable

[18]           Madame Alejo Martinez n’indique pas dans son affidavit qu’elle craint pour sa vie si elle est retournée au Mexique.

 

[19]           La notion de préjudice irréparable fut définie dans l’affaire Kerrutt c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 53 F.T.R. 93, 32 A.C.W.S. (3d) 621, comme le renvoi d’un demandeur vers un pays où il existe du danger pour sa vie et sa sécurité. Toujours selon cette décision, il ne peut donc s’agir des inconvénients personnels ou de la division d’une famille.

 

[20]           Madame Alejo Martinez a réitéré, au soutien de sa demande d’ERAR, les mêmes allégations que celles qui étaient devant la SPR.

 

[21]           La SPR a jugé le récit de madame Alejo Martinez non crédible. De plus, elle a jugé que madame Alejo Martinez n’avait pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État, et ne s’était pas déchargée du fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer qu’il n’existait pas de possibilité de refuge interne pour elle.

 

[22]           Madame Alejo Martinez n’a pas fait la preuve d’un préjudice irréparable.

 

[23]           Par conséquent, et en l’absence d’une question sérieuse à être tranchée par cette Cour, le préjudice allégué par madame Alejo Martinez n’a pas été démontré.

 

C.  Balance des inconvénients

[24]           En l’absence de questions sérieuses et de préjudice irréparable, la balance des inconvénients favorise le Ministre, qui a intérêt à ce que l’ordonnance de renvoi soit exécutée à la date qu’il a fixée (Mobley c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 65 (QL), par le juge Noël).

 

[25]           En effet, le paragraphe 48(2) de la LIPR prévoit qu’une mesure de renvoi doit être exécutée dès que les circonstances le permettent :

Mesure de renvoi

 

48.      (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

Conséquence

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

Enforceable removal order

 

48.      (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

Effect

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

[26]           La juge Barbara Reed, dans l'affaire Membreno-Garcia c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 535 (QL), 55 F.T.R. 104, a d'ailleurs élaboré sur la question de la balance des inconvénients en matière de sursis, et de l'intérêt public qui doit être pris en considération :

[18]      Cependant, d'après la prépondérance des inconvénients, il faut se demander à quel point le fait d'accorder des sursis risque de devenir une pratique qui contrecarre l'application efficace de la législation en matière d'immigration. Chacun sait que la procédure actuelle a été mise en place parce qu'une pratique s'était développée par laquelle de très nombreuses demandes, tout à fait dénuées de fondement, étaient introduites devant la Cour et encombraient les rôles, uniquement pour permettre aux appelants de demeurer plus longtemps au Canada. Il y va de l'intérêt public d'avoir un régime qui fonctionne de façon efficace, rapide et équitable, et qui, dans la mesure du possible, ne se prête pas aux abus. Tel est, à mon avis, l'intérêt public qu'il faut soupeser par rapport au préjudice que pourrait éventuellement subir le requérant si un sursis n'était pas accordé.

 

V.  Conclusion

[27]           Compte tenu de tout ce qui précède, la partie demanderesse ne satisfait pas les critères de la jurisprudence relativement à l’obtention d’un sursis judiciaire.

 

[28]           Pour l’ensemble de ces motifs, la requête en sursis de l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE le rejet de la requête en sursis de l’exécution de la mesure de renvoi.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2971-10

 

INTITULÉ :                                       ALEJO MARTINEZ MARTHA LORENA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 7 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 10 juin 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Marie-Hélène Giroux

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Michel Pépin

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MONTEROSSO GIROUX s.e.n.c.

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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