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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date :  20100611

Dossier :  IMM-2205-10

Référence :  2010 CF 639

Ottawa, Ontario, le 11 juin 2010

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

ABDEL-KARIM MUS EID

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION ET LE

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défenderesses

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               Aucune pratique établie, conduite ou affirmation claire et explicite n’est invoquée par la demanderesse. Son argument ne repose sur aucun fondement et n’est donc pas sérieux.

 

[2]               D’autre part, l’article 113 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR) prévoit clairement que la demande de l’Évaluation des risques avant renvoi (ERAR) est analysée sur la base des articles 96 à 98 de la LIPR. Par conséquent, dans le cadre d’un ERAR, l’agent doit évaluer les allégations de risques, et non les motifs humanitaires.

 

[3]               Cette interprétation est conforme aux enseignements de la Cour d’appel fédérale, qui a précisé, dans l’affaire Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 394, [2007] 4 R.C.F. 3:

[9]        L’article 96 porte sur la crainte raisonnable d’être persécuté et l’article 97 porte sur le risque d’être soumis à la torture, d’être exposé à une menace à sa vie ou d’être exposé à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou inhumains. Seuls les risques auxquels pourraient être exposés les demandeurs comptent. Ces dispositions ne prévoient pas que l’intérêt supérieur des enfants fasse l’objet d’un examen poussé.

 

[10]      Cet examen doit plutôt être effectué dans le cadre plus libre qui convient à une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) sollicitant que le demandeur reste au Canada pour des circonstances d’ordre humanitaire (CH).

 

[...]

 

[12]      Bien que ce puisse parfois être le même agent qui procède à l’ERAR et qui juge la demande CH, les deux procédures ne doivent pas être confondues ni faire double emploi : Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.F.) aux paragraphes 16 et 17; Rasiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 583, au paragraphe 16. (La Cour souligne).

 

[4]               En l’absence de toute preuve à ce sujet, l’agent ne pouvait écarter la décision de non-crédibilité rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR) :

[19]      Il est en effet bien établi qu’une évaluation des risques de retour ne vise pas à fournir aux demandeurs le droit d’en appeler de la décision de la SPR, ni d’obtenir, de l’agente ERAR tout comme de cette Cour, une nouvelle appréciation de la preuve. De sorte que les conclusions de faits de la SPR ont dès acquis le caractère de chose jugée depuis le rejet par la Cour de la demande d’autorisation des demandeurs qui attaquaient la décision de la SPR (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, par.24; Angle c. Canada (ministre du Revenu national M.R.N.) [1975] 2 R.C.S. 248, p.254). (La Cour souligne).

 

(Roberto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 180, [2009] A.C.F. no 212 (QL)).

 

II.  Procédure judiciaire

[5]               Le 21 avril 2010, le demandeur a déposé une Demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire (DACJ) à l’encontre de la décision de l’agent d’évaluation des risques avant renvoi, datée du 24 février 2010.

 

[6]               Par cette décision, l’agent rejetait la demande d’ERAR présentée par le demandeur.

 

[7]               Accessoirement à cette DACJ, le demandeur a présenté, le 21 mai 2010, une requête en sursis d’exécution de son renvoi vers la Jordanie.

 

III.  Remarques préliminaires

[8]               Compte tenu de l’entrée en vigueur de la Loi sur le Ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, L.C. 2005, ch. 10, le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui est responsable de l’exécution des renvois conformément au décret émis le 4 avril 2005, C.P. 2005-0482, devrait être désigné comme défendeur.

 

[9]               L’intitulé est amendé afin d’ajouter comme défendeur le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, en plus du Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

[10]           Le demandeur ne joint pas dans son Dossier de requête copie de la décision à l’encontre de laquelle il tente de soulever une question sérieuse.

 

[11]           Il est prévu à l’alinéa 364(2)f) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, qu’un requérant doit inclure dans son dossier « les autres documents ou éléments matériels déposés qui sont nécessaires à l’audition de la requête ». Dans le cadre d’une requête en sursis, cela comprend forcément une copie de la décision à l’encontre de laquelle un demandeur se doit de soulever une question sérieuse.

 

[12]           Il a été mentionné à maintes reprises par cette Cour que l’omission pour un demandeur de fournir une copie de la décision contestée dans son Dossier de requête suffit en soi pour refuser de reconnaître l’existence d’une question sérieuse (Bayavuge c. Canada (M.C.I.), IMM-1492-07, 17 avril 2007, par le juge Pierre Blais).

 

[13]           En l’espèce, selon sa Demande d’autorisation, le demandeur a reçu les motifs de la décision d’ERAR le 12 avril 2010. Il a donc eu amplement le temps de préparer son Dossier de requête, et rien ne justifie son omission d’y inclure la décision contestée.

 

[14]           Le demandeur n’a pas fourni à la Cour les documents nécessaires à l’audition de sa requête. Cette manière d’agir va à l’encontre des règles de pratique de la Cour, est préjudiciable aux parties défenderesses et va également à l’encontre de la courtoisie et l’étiquette professionnelles, composantes pourtant essentielles d’une bonne administration de la justice.

[15]           La Cour pourrait donc se prononcer face à l’existence d’une question sérieuse qui ne peut être établie à la lumière du dossier présenté par le demandeur, et qu’en conséquence, sa requête en sursis pourrait être rejetée pour ce seul motif.

 

[16]           Ce n’est pas aux parties défenderesses de pallier failles du Dossier de requête présenté par le demandeur.

 

[17]           Cependant, en tant qu’officiers de justice et afin de faciliter la tâche de la Cour, les parties défenderesses ont soumis dans le Dossier de réponse copie de la décision d’ERAR.

 

V.  Historique

[18]           Le demandeur, monsieur Abdel-Karim Mus Eid, est citoyen de la Jordanie. Son épouse, sa fille et l’un de ses fils se trouvent en Jordanie. Ses quatre autres fils résident respectivement aux États-Unis, en Allemagne, en Arabie Saoudite et en Égypte.

 

[19]           À compter de 1975, monsieur Abdel-Karim Mus Eid a travaillé en Arabie Saoudite, où il effectuait divers travaux de construction pour l’armée américaine. Dès 1990, il aurait été avisé par des fondamentalistes que son travail allait à l’encontre des Musulmans, et aurait été victime de sabotage à quelques reprises.

 

[20]           En 2000 et 2001, monsieur Abdel-Karim Mus Eid a voyagé en Suisse, Suède et Allemagne.

 

[21]           En juillet 2002, monsieur Abdel-Karim Mus Eid est retourné en Jordanie, où il a poursuivi des activités de commerce et de transport. Il aurait notamment travaillé pour l’approvisionnement de l’armée américaine en 2003. Suite à ces activités, il aurait été accusé de collaborer avec les Américains par le groupe Al-Takfir et l’un de ses chauffeurs aurait été battu à mort.

 

[22]           Muni d’un visa, monsieur Abdel-Karim Mus Eid est arrivé au Canada le 16 octobre 2005, afin d’y explorer les opportunités d’affaires.

 

[23]           Que près d’un an après son arrivée, soit le 21 septembre 2006, monsieur Abdel-Karim Mus Eid a déposé une demande d’asile.

 

[24]           Dans sa demande, monsieur Abdel-Karim Mus Eid alléguait être recherché par le groupe Al-Takfir, qui l’aurait faussement accusé de collaborer avec l’armée américaine. Il soutenait également qu’une fatwa avait été émise contre lui le 19 septembre 2006.

 

[25]           L’audition de la demande d’asile a eu lieu devant la Section de la Protection des Réfugiés de la SPR, le 24 avril 2008, alors que monsieur Abdel-Karim Mus Eid était représenté par avocat.

 

[26]           Le 30 mai 2008, la demande d’asile a été rejetée. En effet, la SPR a conclu que le récit présenté par monsieur Abdel-Karim Mus Eid n’était pas crédible. Cette conclusion repose sur de multiples éléments, notamment le témoignage vague et imprécis de monsieur Abdel-Karim Mus Eid, particulièrement à propos de la personne qui aurait informé sa femme de l’existence de la fatwa contre lui et l’impossibilité d’obtenir ce document.

 

[27]           La SPR a également conclu que le comportement de monsieur Abdel-Karim Mus Eid ne révélait pas de crainte sincère de persécution, puisqu’il n’avait revendiqué la protection à aucun de ses séjours en Europe, qu’il avait attendu un an avant de revendiquer la protection du Canada et qu’il a témoigné avoir opté pour Montréal dans le but d’approfondir des projets d’affaires.

 

[28]           La SPR a donc conclu que le récit n’était pas crédible et que monsieur Abdel-Karim Mus Eid n’avait pas rencontré son fardeau de preuve, et a en conséquence rejeté sa demande.

 

[29]           Le 23 juin 2008, monsieur Abdel-Karim Mus Eid a déposé une DACJ à l’encontre de la décision de la SPR (dossier IMM-2801-08), qui a été rejetée le 23 septembre 2008 par le juge Yves de Montigny.

 

[30]           Le 23 décembre 2008, la demande d’ERAR de monsieur Abdel-Karim Mus Eid a été reçue, suivie par les soumissions le 8 janvier 2009 et les pièces au soutien le 14 janvier 2009.

 

[31]           Le 24 février 2010, l’agent a rejeté la demande d’ERAR de monsieur Abdel-Karim Mus Eid. La décision lui a été communiquée le 12 avril 2010, et il a à ce moment été informé que son départ du Canada était fixé au 24 mai 2010.

 

[32]           Le 3 mai 2010, lors d’une rencontre concernant les préparatifs de départ, monsieur Abdel-Karim Mus Eid a indiqué à l’agent qu’il s’était lui-même procuré son billet d’avion, reportant la date de son départ vers la Jordanie au 18 juin 2010.

 

VI.  Point en litige

[33]           Est-ce que le demandeur a démontré les trois éléments nécessaires pour obtenir un sursis judiciaire de l'exécution d'une mesure de renvoi ?

 

VII.  Analyse

[34]           Pour obtenir un sursis judiciaire de l’exécution d’une mesure de renvoi, un demandeur doit démontrer les trois éléments cumulatifs suivants, énoncés dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.) et constamment repris depuis lors :

A.      l’existence d’une question sérieuse;

B.     l’existence d’un préjudice irréparable; et

C.     l’évaluation de la balance des inconvénients.

 

            A.  Question sérieuse

[35]           Le demandeur doit démontrer que sa demande n’est ni futile, ni vexatoire. Pour ce faire, il convient d’examiner de façon préliminaire le fond de l’affaire pour déterminer si elle recèle une question qui mérite d’être examinée :

[18]      La demanderesse doit démontrer l’existence d’une ou des questions sérieuses qui ont des chances raisonnables de réussite dans le recours au fond. La norme de ce que constitue une question sérieuse est généralement celle d’une question qui n’est ni frivole ni vexatoire (voir Sowkey c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 67; Fabian c. Le ministre de la Sécurité publique et de la protection civile, 2009 CF 425, aux paragraphes 38 à 41). Toutefois, le mot « sérieux » exige un peu plus; il faut examiner le mérite au fond pour s’assurer que la question ait des chances de succès (voir Wang c. Canada (M.C.I.), [2001] 3 C.F. 682, au paragraphe 11).

 

(Mejia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 658, [2009] A.C.F. no 824 (QL)).

 

[36]           La Cour est d’accord avec la position des parties défenderesses.

 

[37]           Des questions soulevées par monsieur Abdel-Karim Mus Eid dans ses prétentions relativement à la décision d’ERAR ne constituent pas une question sérieuse.

 

[38]           Dans le cadre d’une demande d’ERAR, l’agent doit analyser la preuve et la situation du demandeur pour déterminer s’il risque d’être torturé ou persécuté, ou de subir des traitements ou peines cruels ou inusités, ou de voir sa vie menacée en cas de renvoi (El Morr c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 3, [2010] A.C.F. no 16 (QL) au par. 22; Cen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 337, 167 A.C.W.S. (3d) 138 au par. 4).

 

[39]           Il est bien établi que le demandeur a le fardeau de présenter des éléments de preuve au soutien de ses allégations :

[12]      De façon générale, la Cour d’appel fédérale et cette Cour ont maintenu à maintes reprises que c’est au demandeur qu’il incombe de fournir des éléments de preuve sur tous les éléments constitutifs de sa demande. Plus particulièrement, en ce qui  concerne une demande ERAR, la jurisprudence a bien établi que le fardeau revient au demandeur de placer devant l’agent ERAR tous les éléments de preuve qui permettront à ce dernier de prendre une décision (Cirahan c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1603, [2004] A.C.F. no 1943 (QL) au par. 13). (La Cour souligne).

 

(Lupsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 311, 159 A.C.W.S. (3d) 419).

 

[40]           L’analyse de la preuve relève de l’expertise particulière de l’agent d’ERAR. Il lui revient donc d’analyser les documents déposés et déterminer quelle valeur il convient de leur attribuer :

[17]      Il est bien établi qu’il appartient à l’agent ERAR, à titre de décideur, de déterminer le poids qui doit être accordé au témoignage et à la preuve documentaire déposée au soutien d’une demande. (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1329 (QL), par 3.) (La Cour souligne).

 

(Diallo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1063, 317 F.T.R. 172).

 

[41]           Dans sa demande d’ERAR, monsieur Abdel-Karim Mus Eid invoque principalement son degré d’établissement au Canada, les considérations humanitaires de son dossier et les difficultés inhabituelles et excessives ou injustifiées auxquelles il ferait face s’il devait présenter sa demande de résidence permanente à partir de l’extérieur du Canada.

 

[42]           Monsieur Abdel-Karim Mus Eid reprend le récit présenté au soutien de sa demande d’asile, selon lequel il aurait été menacé par des fondamentalistes en raison de sa collaboration avec l’armée américaine et qu’une fatwa aurait été émise contre lui.

 

[43]           Monsieur Abdel-Karim Mus Eid ajoute qu’il craint les autorités et le « Jordan’s Muslim Brotherhood », et spécifie qu’un jugement aurait été rendu contre lui pour « crime religieux » le 23 juin 2008.

 

[44]           Au soutien de sa demande, monsieur Abdel-Karim Mus Eid a soumis plusieurs documents, qui ont tous été minutieusement considérés par l’agent.

 

[45]           Une lecture des motifs de la décision permet de constater que l’agent a minutieusement examiné toute la preuve qui lui a été présentée.

 

[46]           L’agent note que monsieur Abdel-Karim Mus Eid reprend dans sa demande d’ERAR le récit présenté à la SPR et jugé non crédible (décision confirmée par la Cour fédérale). Les seuls éléments nouveaux dans le cadre de l’ERAR sont les allégations à l’effet qu’il serait recherché par les autorités et le « Jordan’s Muslim Brotherhood » en raison de la condamnation du 23 juin 2008.

 

[47]           Quant aux allégations relatives au degré d’établissement de monsieur Abdel-Karim Mus Eid au Canada et ses considérations humanitaires, l’agent mentionne premièrement qu’aucune Demande de résidence permanente présentée au Canada fondée sur des considérations humanitaires n’a été déposée par lui. Deuxièmement, ces considérations ne sont aucunement pertinentes dans le cadre de la demande d’ERAR.

 

[48]           Par conséquent, l’agent indique que ces allégations ne seront pas analysées.

[49]           Quant aux documents présentés au soutien de la demande, l’agent a étudié chaque document et a fourni des motifs clairs et raisonnables relativement au poids accordé à chaque élément.

 

[50]           Deux documents présentés sont antérieurs à la décision de la SPR. Il s’agit de l’article de CNN et d’un certificat de décès du 6 décembre 2004. L’agent souligne que monsieur Abdel-Karim Mus Eid n’a fourni aucune explication relativement à son défaut de présenter ces documents au soutien de sa demande d’asile. Par ailleurs, le certificat de décès ne contient aucun élément qui pourrait permettre d’établir un lien avec monsieur Abdel-Karim Mus Eid.

 

[51]           Ces documents antérieurs à la décision de la SPR n’ont donc pas été analysés, conformément à l’alinéa 113a) de la LIPR. Cette décision était conforme aux principes établis par cette Cour.

 

[52]           Deux des documents présentés par monsieur Abdel-Karim Mus Eid n’étaient pas pertinents avec ses allégations. Il s’agit de la copie d’enregistrement d’un bien immobilier (en son nom et celui de son épouse) et du document «  The Islamic Group (Expiatory & expatriation) ». Ce dernier document est une traduction incomplète, qui n’identifie ni la source, ni la date de publication du document original. Par ailleurs, ce document n’est aucunement personnel ou spécifique à monsieur Abdel-Karim Mus Eid.

 

[53]           L’agent n’a donc accordé que très peu de poids à ces deux documents.

 

[54]           L’agent a par la suite examiné les autres documents présentés par monsieur Abdel-Karim Mus Eid au soutien de ses nouvelles allégations de risque. En premier lieu, l’agent souligne, avec justesse, qu’aucun document original n’a été présenté par monsieur Abdel-Karim Mus Eid. Bien que les documents portent la mention « Copie conforme », ce n’est pas spécifié s’il s’agit d’une copie conforme à quelle version du document. Au surplus, la personne ayant apposé le sceau de « Copie conforme » est la même qui a effectué toutes les traductions.

 

[55]           Pour toutes ces raisons, l’agent mentionne qu’il est difficile de se prononcer sur la fiabilité de la source de ces documents et leur valeur probante s’en trouve donc amoindrie.

 

[56]           En second lieu, l’agent a minutieusement examiné chacun des documents et indiqué clairement et avec détails pourquoi peu de valeur probante était accordée :

  • « Arrest Warrant and Arraingment » : la date du mandat n’est pas précisée; la date de l’émission du document n’est pas indiquée; aucune infraction n’est mentionnée; aucune référence à un numéro de cause n’est fournie; le demandeur ne fournit aucune indication sur la façon dont il aurait obtenu ce document;
  • Document émis par la Direction de la Sécurité publique : fait état de deux pétitions qui auraient été soumises (l’une antérieure à la décision de la SPR), sans préciser la teneur desdites pétitions; les pétitions ne sont pas jointes; la date d’émission du document par la Direction n’est pas spécifiée;

·        « Judgment » : mentionne que le demandeur est accusé de « crime of religious empathy » en vertu de l’article 326 du Code pénal; or, selon la preuve documentaire objective, cet article n’a rien à voir avec un crime religieux, mais plutôt le meurtre, et prévoit que « quiconque tue délibérément un être humain sera puni de 15 ans de travaux forcés »; de plus, le jugement aurait été rendu in abstentia après notification au domicile du demandeur (la preuve documentaire révèle également qu’un jugement est rendu in abstensia après les procédures de notification); or, le demandeur n’a pas déposé d’avis de notification, ni précisé qui à son domicile aurait été notifié, ni à quel moment, ni s’il avait été mis au courant de cette notification; au surplus, il manque des informations fondamentales à ce document, qui ne contient aucune précision quant à l’infraction reprochée (date, lieu, gestes);

·        « Request by Public Prosecutor » : ce document mentionne qu’il faut trouver le demandeur afin d’exécuter la sentence; or, aucune preuve présentée ne démontre ni l’existence d’une fatwa, ni la condamnation de juin 2008, ni les pétitions;

·        Document de Shadi Abdel Karim Musa Eid : cette personne aurait porté plainte contre des fanatiques religieux barbus qui auraient surveillé sa maison; or, le document ne porte pas la signature du plaignant, ni d’indication du lieu de la plainte; le demandeur ne précise pas qui est ce plaignant;

·        Document de rapport d’incident de l’épouse du demandeur : l’épouse du demandeur aurait porté plainte suite à une attaque de son domicile par des hommes barbus qui cherchaient son mari; or, le document ne porte aucune signature, et ne précise pas qui sont les personnes qui y sont nommées, quel serait leur lien avec l’épouse, comment ils auraient été informés de l’événement.

(Dossier du demandeur, Pièces « a » à « e » de l’affidavit).

[57]           Également, après analyse de la situation en Jordanie, l’agent conclut qu’aucun changement significatif n’est survenu depuis la décision de la SPR et que la preuve ne révèle aucun risque personnel pour monsieur Abdel-Karim Mus Eid.

 

[58]           Monsieur Abdel-Karim Mus Eid n’a fourni aucun élément de preuve probant pour soutenir ses allégations.

 

[59]           La décision révèle une analyse fouillée et solide de chacun des éléments de preuve. L’agent a clairement exposé les vices de chacun des documents et expliqué pourquoi peu de valeur probante pouvait leur être attribuée. Tous les documents ont été considérés.

 

[60]           L’agent était en droit de soupeser la preuve présentée conformément à son expertise particulière, et a fourni des motifs pour expliquer quel poids était accordé à chaque élément. Ce procédé est en conformité avec les enseignements de la Cour :

[28]      Ayant à l’esprit ce qui est mentionné ci-haut au sujet de l’alinéa 113a) de la LIPR et le jugement Raza (supra) de la Cour d’appel, je constate que l’agent d’ERAR a pris le temps d’analyser la documentation soumise au soutien de la demande de l’ERAR et qu’il a expliqué de façon détaillée ses conclusions quant à leur valeur probante (la crédibilité de la preuve, tout en considérant la source et les circonstances entourant l’existence de l’information, la fiabilité de celle-ci, son élément de nouveauté et son degré élevé d’importance). Il l’a fait en prenant en considération non seulement la date de l’information mais aussi l’aspect nouveauté ou pas de celle-ci ayant comme point de référence la preuve devant la SPR, les conclusions de celle-ci et la disponibilité ou pas de l’information au moment de l’audition de la SPR ainsi que la raisonnabilité de s’attendre à ce qu’elle ait présenté ladite information à la SPR. Une telle analyse rencontre les normes contenues à l’alinéa 113a) de la LIPR et la Cour n’a aucune raison pour intervenir car la décision de l’agent d’ERAR est raisonnable. L’agent Perreault a pris en considération l’information pertinente et il a fait les déterminations appropriées tenant compte des circonstances du dossier.

[29]      J’ajoute, comme il a été mentionné dans l’arrêt Colindres, supra, dans des circonstances s’apparentant au présent cas, que le fait que la demanderesse soit en désaccord avec les conclusions de l’agent d’ERAR ne rend pas la décision de l’agent d’ERAR déraisonnable. À mon avis, la demanderesse dans ses soumissions demande en réalité à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle faite par l’agent. Ceci n’est pas le rôle de la Cour à cette étape-ci de l’historique du dossier de la demanderesse (Gonzalez c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2006] ACF No 1592, 2006 CF 1274 au paragraphe 17;  Maruthapillai c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2000] FCJ No. 761 au paragraphe 13). (La Cour souligne).

 

(Abdollahzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1310, 325 F.T.R. 226).

 

[61]           Il n’y a aucune erreur dans la décision de l’agent. Monsieur Abdel-Karim Mus Eid devait démontrer qu’il risquait d’être torturé ou persécuté, ou de subir des traitements cruels ou inusités, ou de voir sa vie menacée. Cela n’a pas été fait. Monsieur Abdel-Karim Mus Eid n’a pas rencontré son fardeau et n’a présenté aucun élément de preuve probant pouvant soutenir ses allégations. Tel que rappelé par cette Cour :

[34]      Une demande ERAR demeure une mesure exceptionnelle à n’accorder que sur preuve de nouveaux éléments de preuve non disponibles au moment de la décision de la SPR, et alors seulement dans la mesure où ces nouveaux éléments indiquent un risque pour le demandeur advenant son retour dans son pays d’origine.

 

(Sani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 913, [2008] A.C.F. no 1144 (QL)).

 

[62]           Dans son mémoire, monsieur Abdel-Karim Mus Eid ne soulève aucune question sérieuse relativement à la décision rendue par l’agent.

 

[63]           En premier lieu, monsieur Abdel-Karim Mus Eid soutient que l’agent devait analyser les motifs humanitaires dans le cadre de sa demande d’ERAR et qu’il avait une expectative légitime que les considérations humanitaires invoquées soient prises en compte.

 

[64]           En effet, d’une part, monsieur Abdel-Karim Mus Eid ne précise pas de quelle conduite ou affirmation serait née son expectative légitime. Or, au paragraphe 131 de l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, la Cour suprême du Canada a ainsi défini la règle de l’expectative légitime :

[131]    La règle de l’expectative légitime est « le prolongement des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale » : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557. Elle s’attache à la conduite d’un ministre ou d’une autre autorité publique dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire — y compris les pratiques établies, la conduite ou les affirmations qui peuvent être qualifiées de claires, nettes et explicites — qui a fait naître chez les plaignants (en l’espèce, les syndicats) l’expectative raisonnable qu’ils conserveront un avantage ou qu’ils seront consultés avant que soit rendue une décision contraire. Pour être « légitime », une telle expectative ne doit pas être incompatible avec une obligation imposée par la loi. Voir : Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; Baker, précité; Mont‑Sinaï, précité, par. 29; Brown et Evans, op. cit., par. 7:2431. Lorsque les conditions d’application de la règle sont remplies, la cour peut accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative « légitime ».

 

(S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29).

 

[65]           Dans un récent dossier, cette Cour a réitéré que l’agent n’a pas à évaluer les motifs humanitaires dans le cadre d’une demande d’ERAR :

TRADUCTION NON-DISPONIBLE:

 

[32]      The case law is clear: humanitarian or compassionate considerations need not to be considered in a pre-removal risk assessment. In Kim v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 437, [2005] F.C.J. No. 540 (QL) at para. 70, Justice Mosley noted the following:

 

By the same logic, I find that PRRA officers need not consider humanitarian and compassionate factors in making their decisions. There is no discretion afforded to a PRRA officer in making a risk assessment. Either the officer is satisfied that the risk factors alleged exist and are sufficiently serious to grant protection, or the officer is not satisfied. The PRRA inquiry and decision-making process does not take into account factors other than risk. In any case, there is a better forum for the consideration of humanitarian and compassionate factors: the H&C determination mechanism. I do not find that the officer erred in law by refusing to consider humanitarian and compassionate factors in the context of the PRRA decision.

 

See also Sherzady v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 516, 273 F.T.R. 11, [2005] F.C.J. No. 638 (QL) at para. 15; Covarrubias v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1193, 279 F.T.R. 24, [2005] F.C.J. No. 1470 (QL) at paras. 34 to 38; Kakonyi v. Canada (Minister of Public Safety and Emergency Preparedness), 2008 FC 1410, [2008] F.C.J. No. 1807 (QL) at para. 37.

 

            (…)

...

 

[34]      Consequently, I find that no reviewable error has been made by the Officer in refusing to consider the evidence based on humanitarian and compassionate factors offered by the Applicant.

 

[35]      The fundamental problem in this case is that the Applicant has confused a pre-removal risk assessment under section 112 of the Act and a request for exemption on humanitarian and compassionate grounds under section 25 of the Act. This confusion has resulted in the Applicant submitting an odd pre-removal risk assessment application. The Officer in this case carried out a risk assessment on the basis of the information which the Applicant provided. Any alleged failure to assess risk is of the Applicant's own making. (La Cour souligne).

(Mandida v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2010 FC 491).

 

[66]           En l’espèce, monsieur Abdel-Karim Mus Eid n’a pas déposé de demande de résidence permanente fondée sur des motifs humanitaires, ce qu’il aurait dû faire afin que les considérations humanitaires et son établissement au Canada soient examinés.

 

[67]           En second lieu, monsieur Abdel-Karim Mus Eid soutient que l’agent a écarté les éléments de preuve de façon injustifiée, en raison du fait que les originaux n’avaient pas été produits.

 

[68]           En effet, d’une part, il ressort clairement des motifs de la décision que chacun des documents a été examiné attentivement, et qu’aucun élément de preuve n’a été écarté pour la seule raison que l’original n’avait pas été produit. Plusieurs autres problèmes ont été mentionnés par l’agent concernant les documents (traduction incomplète, date manquante, document non pertinent, omission d’informations fondamentales dans le document, etc.) (Pièce « A » : Décision ERAR aux pp. 4-7).

 

[69]           Il est faux de prétendre que l’agent a écarté la preuve pour l’unique raison que les originaux n’ont pas été déposés. Il n’y avait donc là aucune erreur de la part de l’agent. Tel que mentionné par cette Cour :

[31]      Il est manifeste que l’agente a pris en compte et commenté chaque document que la demanderesse lui a présenté. Il était loisible à l’agente de ne reconnaître qu’une très faible – ou même aucune – valeur probante aux lettres rédigées par des parties intéressées. L’appréciation de la preuve soumise relève d’ailleurs entièrement de sa compétence, et la retenue est de mise à son endroit (Morales Alba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1116, au paragraphe 36; Chakrabarty c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 695, aux paragraphes 10 à 14; Chang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 157, au paragraphe 37).

 

(Obeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1187, 325 F.T.R. 143 aux par. 36-38).

 

[70]           D’autre part, il importe de rappeler que l’analyse de la preuve relève de l’expertise de l’agent, et qu’il lui incombe d’examiner la preuve soumise et déterminer la valeur probante à lui accorder. Tel que mentionné par cette Cour :

[21]      Comme la Cour a jugé qu’« il relevait parfaitement du pouvoir de l’agente de considérer la preuve et de déterminer le poids à lui accorder, [...] je ne vois rien de fautif dans la conclusion de l’agente selon laquelle le document en cause était d’une faible valeur probante » (Hassaballa, précitée, paragraphe 27).

 

(Faiz c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 833; [2009] A.C.F. no 963 (QL)).

 

[71]           Il n’appartient pas à cette Cour, siégeant en révision judiciaire, de faire un nouvel examen de la preuve et substituer son opinion à celle de l’agent. Le désaccord de monsieur Abdel-Karim Mus Eid avec l’analyse ne justifie pas l’intervention de la Cour :

[39]      Les demandeurs n'ont apporté aucun nouvel élément de preuve, ni aucun fait nouveau depuis le rejet de leur demande d'asile par la SPR qui aurait appuyé les risques personnels allégués. Il appartenait à l’agente ERAR de déterminer le poids qui devait être accordé aux différents éléments de preuve déposés au soutien de la demande ERAR, incluant les lettres d’appui (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1329 (Lexis) au paragraphe 3; Diallo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1063 au paragraphe 17; et Malhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 802 au paragraphe 6). L’agente ERAR n’a pas erré dans l’appréciation de cette preuve. Les demandeurs, dans leurs prétentions, expriment essentiellement leurs désaccords avec les conclusions de l’agente ERAR. Les demandeurs n’ont pas démontré, a mon avis, en quoi ces conclusions quant aux risques à leur vie et sécurité étaient déraisonnables. Conséquemment, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. 

 

[40]      Malgré l’absence de nouvel élément de preuve et fait nouveau, l’agente ERAR a procédé à une étude de la preuve documentaire contemporaine sur la situation au Nigéria. La tâche de soupeser cette preuve et d’y accorder plus de poids à des sources qu’elle juge fiables et crédibles qu’à d’autres preuves revient à l’agente ERAR suite à un examen attentif de cette preuve. Je suis d’avis que l’agente ERAR n'a commis aucune erreur dans l’appréciation de cette preuve. (La Cour souligne).

 

(Obidigbo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 705, 329 F.T.R. 205).

 

[72]           En troisième lieu, monsieur Abdel-Karim Mus Eid affirme qu’il est plausible qu’il n’ait pas été en mesure de prouver qu’une fatwa avait été émise contre lui.

 

[73]           En effet, les allégations de monsieur Abdel-Karim Mus Eid concernant l’émission d’une fatwa et l’impossibilité de produire le document ont été examinées par la SPR, qui les a jugées non crédibles (décision maintenue par la Cour fédérale). Devant l’agent, aucun nouvel élément de preuve n’a été déposé concernant l’émission alléguée de la fatwa.

 

[74]           Monsieur Abdel-Karim Mus Eid ne démontre aucune erreur dans l’analyse de l’agent, mais spécule sur la plausibilité de l’impossibilité de déposer une copie de la fatwa.

 

[75]           Compte tenu de ce qui précède, monsieur Abdel-Karim Mus Eid ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer l’existence d’une question sérieuse relativement à la décision d’ERAR.

 

[76]           Pour que la Cour accueille la requête en sursis déposée par monsieur Abdel-Karim Mus Eid, ce dernier devait démontrer qu’il avait des chances raisonnables d’avoir gain de cause dans son recours principal, soit la DACJ à l’encontre de l’ERAR. Cela n’a pas été fait. En conséquence, la demande devrait être rejetée pour ce seul motif :

[36]      Je ne suis pas convaincu que M. Cardoza Quinteros a soulevé des questions sérieuses qui justifieraient d’octroyer le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. La demande de sursis ne satisfaisant pas à l’un des trois volets du critère posé dans Toth, elle sera en conséquence rejetée. Il n’est pas nécessaire que j’examine si le demandeur a satisfait aux deux autres volets de ce critère. (La Cour souligne).

 

(Quinteros c. Canada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 643, [2008] A.C.F. no 812 (QL)).

 

            B.  Préjudice irréparable

[77]           La notion de préjudice irréparable a été définie par la Cour dans l’affaire Kerrutt c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 237 (QL), 53 F.T.R.93, comme étant le renvoi d’une personne vers un pays où il existe un danger pour sa vie et sa sécurité. Dans la même décision, la Cour a également conclu qu’il ne pouvait s’agir de simples inconvénients personnels ou de la division d’une famille.

 

[78]           Cette décision fut reprise souvent depuis, notamment dans l’affaire Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 393 (QL), 92 F.T.R. 107, où la Cour mentionnait d’ailleurs ce qui suit relativement à la définition du préjudice irréparable établie dans Kerrutt, ci-dessus :

[22]      Dans l'affaire Kerrutt c. MEI (1992), 53 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay avait conclu que, dans le cadre d'une demande de sursis à exécution, la notion de préjudice irréparable sous-entend un risque grave de quelque chose qui met en cause la vie ou la sécurité d'un requérant. Le critère est très exigeant et j'admets son principe de base selon lequel on entend par préjudice irréparable quelque chose de très grave, c'est-à-dire quelque chose de plus grave que les regrettables difficultés auxquelles vont donner lieu une séparation familiale ou un départ. (La Cour souligne).

 

[79]           Monsieur Abdel-Karim Mus Eid a le fardeau de présenter une preuve claire du préjudice qu’il allègue :

[23]      La preuve produite au soutien du préjudice doit être claire et évidente. (John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 915 (QL); Wade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 579 (QL).)

 

[...]

 

[25]      De plus, pour établir l’existence d’un préjudice irréparable, les demandeurs doivent démontrer que, s’ils étaient renvoyés du Canada, ils subiraient un préjudice irréparable entre maintenant et le moment auquel sera rendue une décision favorable quant à leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Les demandeurs ne l’ont pas fait. (Reddy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 644 (QL); Bandzar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 772 (QL); Ramirez-Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 724 (QL).) (La Cour souligne).

 

(Adams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 256, [2008] A.C.F. no 422 (QL)).

 

[80]           Monsieur Abdel-Karim Mus Eid ne démontre pas qu'un préjudice irréparable lui serait causé du fait de son renvoi vers la Jordanie.

 

[81]           Premièrement, monsieur Abdel-Karim Mus Eid allègue que son renvoi serait contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U) (Charte) et aux autres conventions internationales dont le Canada est signataire.

 

[82]           En effet, il a été déterminé souvent par cette Cour que le renvoi d’une personne vers son pays d’origine après une évaluation complète des risques (comme en l’espèce) ne contrevient ni à la Charte, ni aux obligations internationales du Canada :

[38]      Voici comment la Cour s’est exprimée sur ce point dans le cadre d’une requête en sursis :

 

[37]      Il est clairement établi dans la jurisprudence que le renvoi d’une personne du Canada n’est pas contraire aux principes de justice fondamentale et que l’exécution d’un renvoi de déportation ne va pas à l’encontre des articles 7 et 12 de la Charte. (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, 1992 CanLII 87 (C.S.C.), [1992] 1 R.C.S. 711, aux pp.733-735; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51 (CanLII), [2005] 2 R.C.S. 539 au para. 46; Isomi Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1394 (CanLII), 2006 CF 1394, [2006] A.C.F. no 1753 (QL), au par. 32 (juge Simon Noël).

 

(Salazar c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et la protection civile), 2009 CF 56, [2009] A.C.F. no 77).

 

[83]           Deuxièmement, monsieur Abdel-Karim Mus Eid allègue que sa vie et sa sécurité seraient menacées parce qu’une fatwa a été émise contre lui, ainsi qu’un jugement pour crime religieux.

 

[84]           Ces allégations de risques ont déjà été évaluées et écartées par la SPR (décision maintenue par la Cour fédérale) et l’agent. La SPR a conclu que le récit n’était pas crédible et que monsieur Abdel-Karim Mus Eid n’avait pas rencontré son fardeau de preuve. L’agent a conclu que les documents déposés par monsieur Abdel-Karim Mus Eid n’établissaient pas ses allégations. Aucune autre preuve n’est déposée par monsieur Abdel-Karim Mus Eid devant cette Cour pour établir ses allégations.

[85]           Il est bien établi que des allégations de risques déjà examinées et jugées non fondées ne peuvent, dans le cadre d’une requête en sursis, établir de préjudice irréparable. Le même récit proposé à cette Cour sans aucune preuve ne peut pas démontrer de préjudice irréparable :

[42]      Conséquemment, les propos de cette Cour à cet effet sont pertinents :

 

[55]      Les risques de retour ont déjà été évalués par deux instances administratives, le tribunal et l’agente, qui ont toutes deux conclu dans le même sens. De plus, cette Cour a confirmé le caractère raisonnable de la décision de la Commission en refusant la DACJ à l’encontre de la décision de la Commission. Depuis l’ordonnance de cette Cour, la situation n’a pas changé, tel que le confirme l’ÉRAR.

 

[56]      Cette Cour a souvent conclu que des allégations de risque qui ont été jugées non fondées par la Commission et l’agent d’ÉRAR à la fois ne peuvent servir de fondement pour établir un préjudice irréparable dans le contexte d’une requête en sursis (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 145, 137 A.C.W.S. (3d) 156). Ce principe relatif à la crédibilité est adaptable dans le contexte du défaut de renverser la présomption de protection étatique. (La Cour souligne).

 

(Malagon, ci-dessus ; également, Javier, ci-dessus aux par. 15-16).

 

(Rodriguez c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et la Protection civile), 2009 CF 423, [2009] A.C.F. no 540 (QL)).

 

[86]           Troisièmement, monsieur Abdel-Karim Mus Eid prétend qu’il risque la détention arbitraire dès son arrivée en Jordanie, en raison de la fatwa émise contre lui et le jugement pour crime religieux. Il fonde son argumentation sur la preuve documentaire objective sur la situation en Jordanie, qu’il joint à son dossier.

 

[87]           L’allégation de monsieur Abdel-Karim Mus Eid à l’effet qu’il serait détenu en arrivant en Jordanie est spéculative. Aucun document dans le dossier de monsieur Abdel-Karim Mus Eid ne soutient cette affirmation. Les allégations relatives à la fatwa ont été jugées non fondées par la SPR et à nouveau par l’agent. De même, l’agent a conclu que rien dans la preuve ne démontrait que le demandeur avait effectivement été condamné pour crime religieux.

 

[88]           Monsieur Abdel-Karim Mus Eid se fonde sur la preuve générale sur la situation en Jordanie, mais ne la relie pas à sa situation personnelle.

 

[89]           Cette preuve documentaire générale dresse un portrait global du pays sous plusieurs angles, qu’il s’agisse du processus électoral, des conditions de détention, de la liberté de presse, de la corruption des autorités, la discrimination envers les femmes, le système monarchique, la possibilité d’arrêter un individu et le détenir 48 heures sans mandat, les enjeux des Palestiniens (non-citoyens) qui n’ont pas la citoyenneté jordanienne, etc. (Dossier du demandeur, pièce « g » de l’affidavit).

 

[90]           Cette preuve ne démontre pas que monsieur Abdel-Karim Mus Eid subirait un préjudice irréparable à son retour dans son pays, et ne permet pas non plus de croire qu’il serait arrêté à son arrivée à l’aéroport. Il s’agit de conjecture. Or, tel que mentionné par cette Cour :

[32]      La preuve servant à démontrer le préjudice irréparable doit dépasser les conjectures et être crédible. Il doit y avoir un haut degré de probabilité que le préjudice allégué se concrétisera en l’absence d’un sursis (Radji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 100, 308 F.T.R. 175, paragraphe 40; Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, 132 A.C.W.S. (3d) 457, paragraphe 13). (La Cour souligne).

 

(Simuyu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 41, [2009] A.C.F. no 53 (QL)).

 

[91]           Les documents présentés par monsieur Abdel-Karim Mus Eid ne révèlent pas que le préjudice a un haut potentiel de se concrétiser. Aucune preuve claire et convaincante n’est devant la Cour.

 

[92]           Finalement, monsieur Abdel-Karim Mus Eid soutient qu’il est injuste qu’il soit renvoyé du Canada alors que la DACJ à l’encontre de l’ERAR n’a pas été tranchée. Cet argument est sans fondement.

 

[93]           En effet, d’une part, la Cour d’appel fédérale a établi que le fait d’être renvoyé avant que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente à la requête en sursis ne soit tranchée ne constitue pas, en soi, un préjudice irréparable (El Ouardi c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42, 137 A.C.W.S. (3d) 161 au par. 8; Palka c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et la Protection civile), 2008 CAF 165, 167 A.C.W.S. (3d) 570 au par. 20).

 

[94]           D’autre part, ni la LIPR ni le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement) ne prévoit de sursis dans l’attente d’une décision sur la DACJ déposée à l’encontre d’un ERAR. Tel que précisé par cette Cour :

[28]      En outre, il est clair que l'intention du législateur n'était pas de permettre à tous les demandeurs d'ERAR déboutés de rester au Canada en attendant le résultat de toute instance liée à la décision d'ERAR. Le législateur a décidé d'établir un sursis prévu par la loi aux mesures d'exécution d'un renvoi en attendant l'issue d'une demande d'autorisation de contrôle d'une décision défavorable de la SPR au sujet de la demande d'asile. Le législateur a de plus établi des sursis prévus par la loi pour certaines situations précises liées aux ERAR, comme l'énonce l'article 232 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), mais aucun de ces sursis ne comprend les demandes d'autorisation de contrôle d’une décision d'ERAR défavorable. (Règlement, articles 231 et 232.)

 

[29]      Le législateur avait clairement l'intention de permettre le renvoi de personnes pour qui une décision d'ERAR défavorable a été rendue. Cette interprétation est aussi conforme à l'article 48 de la LIPR, qui prévoit que le ministre a l'obligation d'appliquer une mesure de renvoi valide dès que les circonstances le permettent. Toute autre interprétation placerait les droits d'un demandeur d'ERAR devant les obligations légales du ministre, droits et obligations que le législateur a intentionnellement équilibrés dans les dispositions de la LIPR.

 

(Paul c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 398, 310 F.T.R. 307).

 

[95]           Le dossier de monsieur Abdel-Karim Mus Eid ne contient aucun élément qui pourrait constituer une preuve claire et convaincante d’un préjudice. La requête en sursis doit donc être rejetée :

[71]      Le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer qu’il subirait un préjudice irréparable du fait de son renvoi vers la République Dominicaine. La requête en sursis doit donc être rejetée :

 

[38]      Les demandeurs n’ont déposé aucune preuve d’un risque personnel advenant un retour au Mexique.

 

[39]      L’absence de preuve quant à l’existence d’un préjudice irréparable suffit, à elle seule, à rejeter la demande de sursis.

 

(Alba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1116, [2007] A.C.F. no 1447 (QL)).

 

(Fabian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 424, 345 F.T.R. 250).

 

            C.  Balance des inconvénients

[96]           En l’absence de question sérieuse et de préjudice irréparable, la balance des inconvénients penche en faveur de l’intérêt public à ce que le processus d’immigration prévu par la LIPR soit respecté. Tel que rappelé par cette Cour :

[33]      La Cour d’appel fédérale a confirmé que dans le cas de l’obligation du ministre il ne s’agit « pas simplement d’une question de commodité administrative, il s’agit plutôt de l’intégrité et de l’équité du système canadien de contrôle de l’immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système ». (Selliah, précité, au paragraphe 22.)

 

[34]      Dans la présente affaire, le demandeur demande une mesure équitable extraordinaire. Il est de droit constant que l’intérêt du public doit être pris en compte dans l’évaluation de ce dernier critère. Pour établir que la prépondérance des inconvénients favorise le demandeur, ce dernier doit démontrer qu’il existe un intérêt pour le public à ce qu’il ne soit pas renvoyé comme prévu. (RJR-MacDonald, précité; Blum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 90 F.T.R. 54, [1994] A.C.F. no 1990 (QL), le juge Paul Rouleau.)

 

(Patterson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 406, 166 A.C.W.S. (3d) 300).

 

[97]           En l’espèce, monsieur Abdel-Karim Mus Eid a été admis au Canada le 16 octobre 2005 muni d’un visa, afin d’explorer les opportunités d’affaires. Le 1er mai 2006, le visa a été renouvelé jusqu’en octobre 2006.

 

[98]           Quelques jours avant l’expiration de son visa, monsieur Abdel-Karim Mus Eid a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée en raison de son manque de crédibilité.

 

[99]           Le demandeur a présenté une DACJ à la Cour fédérale à l’encontre de cette décision, qui a été rejetée.

 

[100]       Monsieur Abdel-Karim Mus Eid a par la suite déposé une demande d’ERAR, qui a également été rejetée.

 

[101]       Monsieur Abdel-Karim Mus Eid a utilisé les recours auxquels il avait droit au Canada, et toutes ses demandes ont été rejetées jusqu’à présent. La balance des inconvénients penche en faveur du Ministre à ce que la procédure suive son cours normal.

 

VIII.  Conclusion

[102]       Monsieur Abdel-Karim Mus Eid n'a pas démontré qu’il satisfaisait les critères pour l’obtention d’un sursis et en conséquence, la présente demande en sursis n’est pas accueillie.

 

[103]       Pour l’ensemble de ces motifs, la requête en sursis de l’exécution d’une mesure de renvoi est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE le rejet de la requête en sursis de l’exécution d’une mesure de renvoi.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2205-10

 

INTITULÉ :                                       ABDEL-KARIM MUS EID c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 7 juin 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 11 juin 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Judith Renée J. Léon

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Mireille-Anne Rainville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MONTEROSSO GIROUX s.e.n.c.

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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