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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100607

Dossier : T-2141-09

Référence : 2010 CF 610

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Vancouver (Colombie-Britannique), le 7 juin 2010

En présence de Me Roger R. Lafrenière,

  Protonotaire

 

ENTRE :

THE CHAMBERLAIN GROUP, INC.

 

demanderesse

 

 

et

 

 

LYNX INDUSTRIES INC.

 

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]  La question en l’espèce est de savoir si un affidavit déposé par la demanderesse, The Chamberlain Group, Inc. (Chamberlain), à l’appui de sa demande d’appel d’une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce, devrait être radié dans son intégralité au motif qu’il n’a rien à voir avec les questions fondamentales de la demande.

 

Les faits

 

[2]  Le 21 juillet 2004, la défenderesse, Lynx Industries Inc. (Lynx), a présenté deux demandes d’enregistrement de marque de commerce auprès du Registraire des marques de commerce, soit une pour LYNXMASTER (demande no 1224296) et l’autre pour LYNXMASTER & Design (demande no 1224318). Les deux demandes étaient fondées sur un emploi projeté des marques de commerce en liaison avec des ouvre-portes de garage.

 

[3]  Toutes deux ont été annoncées aux fins d’opposition et Chamberlain s’est opposée à chacune d’elles en produisant une déclaration d’opposition. Lynx a déposé et signifié une contre-déclaration pour chaque opposition.

 

[4]  Le 19 octobre 2009, la Commission des oppositions des marques de commerce (Commission des oppositions) a rejeté les deux oppositions de Chamberlain conformément au paragraphe 38(8) de la Loi sur les marques de commerce. Chamberlain a entamé la procédure en portant en appel la décision de la Commission des oppositions rejetant son opposition concernant la marque de commerce LYNXMASTER. Chamberlain a présenté une deuxième demande relativement au dossier de la Cour T-2140-09 afin d’interjeter appel de la décision de la Commission des oppositions au sujet de la marque de commerce LYNXMASTER & Design.

 

[5]  À l’appui de ses deux demandes, Chamberlain a signifié et déposé l’affidavit souscrit par Joseph T. Nabor le 5 février 2010 (affidavit de Nabor). Me Nabor est associé du cabinet d’avocats Fitch, Even, Tabin & Flannery (Fitch, Even), de Chicago, dans l’État de l’Illinois aux États-Unis. Fitch, Even agissait à titre d’avocat pour Chamberlain relativement à son opposition aux demandes d’enregistrement des marques de commerce LYNXMASTER et LYNXMASTER & Design que Lynx avait déposées aux États-Unis (procédure liée aux marques de commerce engagée aux États-Unis).

 

[6]  L’affidavit de Nabor présente, à titre d’élément de preuve, une copie d’une décision d’opposition rendue par la United States Trademark Trial and Appeal Board (US TTAB) concernant la marque de commerce LYNXMASTER de Lynx, qui englobait les ouvre-portes électriques, les ouvre-portes de garage électriques et les télécommandes pour portes de garage, et à laquelle Chamberlain s’est opposée. Me Nabor atteste que Chamberlain a eu gain de cause dans sa contestation de la marque LYNXMASTER déposée aux États-Unis et que Lynx n’a pas interjeté appel de la décision rendue dans le cadre de la procédure relative aux marques de commerce qui a été engagée aux États-Unis. Me Nabor présente également un résumé d’un extrait de la déposition de Mark Schram, vice-président et directeur général de Lynx, laquelle a été recueillie dans le contexte de l’instance liée à la marque de commerce LYNXMASTER & Design menée aux États-Unis.

 

[7]  La décision de la US TTAB a été rendue après l’étape de l’audition de la preuve de la procédure devant la Commission des oppositions et n’a pas été présentée dans le cadre de la preuve de Chamberlain, qui a été produite pendant la procédure d’opposition au Canada. Cependant, une copie de la décision de la US TTAB a été annexée à l’argumentation écrite de Chamberlain à la Commission des oppositions.

 

[8]  Le corps de l’affidavit de Nabor est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

Joseph T. Nabor, à l’appui des demandes présentées par The Chamberlain Group, Inc. à la Cour fédérale du Canada à la suite d’une décision rendue au nom du Registraire des marques de commerce dans le cadre d’une procédure intentée par The Chamberlain Group, Inc. visant à contester les demandes d’enregistrement de marque de commerce déposées par Lynx Industries pour LYNXMASTER et LYNXMASTER & Design, demande no 1224296 et 1224318.

 

1.  Je suis un avocat autorisé à exercer le droit dans l’État de l’Illinois, aux États-Unis, et j’étais autorisé à exercer pendant toute la période visée par le présent affidavit.

2.  Je suis un associé du cabinet d’avocats Fitch, Even, Tabin & Flannery (Fitch and Even) de Chicago, dans l’État de l’Illinois aux États-Unis, et mon cabinet agissait à titre d’avocat pour The Chamberlain Group, Inc. (Chamberlain) dans le cadre d’une procédure d’opposition devant le Bureau des brevets et des marques de commerce des États‑Unis, opposition no 91160673 (l’action aux États-Unis), à l’encontre de la demande no 78281660, qui a été déposée par Lynx Industries, Inc. le 31 juillet 2003 et qui visait la marque de commerce LYNXMASTER en lien avec des ouvre-portes électriques, des ouvre-portes de garage électriques et des télécommandes pour portes de garage. La procédure d’opposition a été entamée le 21 mai 2004.

 

3.  Les parties de l’action aux États-Unis sont les mêmes que celles dans la présente demande. Une décision dans l’action aux États-Unis dans laquelle Chamberlain a eu gain de cause a été rendue par la United States Trademark Trial and Appeal Board dans une décision transmise par courrier le 14 décembre 2007, dont une copie est jointe à mon affidavit, comme pièce A.

 

4.  Lynx Industries, Inc. n’a pas interjeté appel de la décision de la United States Trademark Trial and Appeal Board.

 

5.  Le 20 décembre 2007, moins d’une semaine après que la United States Trademark Trial and Appeal Board ait transmis la décision par courrier, Lynx Industries Inc. a déposé auprès du Bureau des brevets et des marques de commerce des États‑Unis une demande d’enregistrement de la marque de commerce LynxMaster & Design sous le numéro de demande 77356941, une déclaration qui figure dans l’affidavit de Joseph T. Nabor. La demande est fondée sur l’intention de Lynx Industries d’utiliser la marque de commerce aux États-Unis en lien avec des ouvre-portes électriques, des ouvre-portes de garage électriques et des télécommandes pour ouvre-portes de garage électriques.

 

6.  La demande a été publiée aux fins d’opposition le 1er juillet 2008 et des documents d’opposition ont été déposés par le cabinet de Me Nabor au nom de Chamberlain le 1er août 2008. Le cabinet agit à titre d’avocat pour The Chamberlain Group, Inc. (Chamberlain) dans le cadre d’une procédure d’opposition devant le Bureau des brevets et des marques de commerce des États‑Unis, opposition no 91185559 (la deuxième action aux États-Unis), à l’encontre de la demande no 77356941, qui a été déposée le 20 décembre 2007.

 

7.  Le 21 janvier 2010, devant la United States Trademark Trial and Appeal Board, organe du Bureau des brevets et des marques de commerce des États‑Unis, Me Nabor a pris la déposition de Mark Schram, vice-président et directeur général de Lynx Industries Inc., dans le cadre de la deuxième action aux États-Unis.

 

8.  Pendant la déposition, Me Nabor a demandé précisément à Mark Schram si Lynx Industries avait commencé à utiliser l’une ou l’autre des marques de commerce LYNXMASTER au Canada en lien avec des ouvre-portes de garage ou des accessoires. Mark Schram a répondu que la marque n’avait pas encore été utilisée.

 

Exposés des parties

 

[9]  Lynx soutient que l’affidavit de Nabor devrait être radié dans son intégralité pour les motifs suivants. En premier lieu, le paragraphe 3 de l’affidavit, qui renvoie à la décision de la US TTAB, laquelle est jointe à l’affidavit, n’est pas pertinent, car les décisions rendues dans des pays étrangers en lien avec des marques de commerce n’ont aucune valeur jurisprudentielle. De plus, les paragraphes 4 à 6 de l’affidavit demandent à Lynx de fournir des explications quant à la raison pour laquelle il n’y a pas eu d’appel, ce qui est à la fois inapproprié et préjudiciable. En dernier lieu, la déclaration de M. Schram au paragraphe 8 de l’affidavit constitue une preuve par ouï-dire inadmissible.

 

[10]  Chamberlain soutient que la preuve contenue dans l’affidavit de Nabor est pertinente comme autre circonstance concernant la question de la confusion entre la marque de commerce LYNXMASTER & Design de Lynx et la marque de commerce LIFT MASTER de Chamberlain. Chamberlain soutient en outre que l’affidavit de Nabor appuie ses prétentions, soit que la demande d’enregistrement de la marque de commerce LYNXMASTER & Design déposée par Lynx contrevient à l'alinéa 30i) de la Loi sur les marques de commerce, et que Lynx n’a pas agi de bonne foi en déposant sa demande pour ladite marque de commerce après que Chamberlain se soit opposé à la première demande d’enregistrement de la marque de commerce LYNXMASTER que Lynx a déposée aux États-Unis.

 

Analyse

 

[11]  Dans l’arrêt Canadian Tire Corp. c. P.S. Partsource Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 386, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une requête interlocutoire visant à faire radier des éléments de preuve se solde généralement par un échec étant donné qu’il est préférable que le juge des faits tranche ces questions. Ce n’est que dans les cas exceptionnels où l’existence d’un préjudice est démontrée et où la preuve est de toute évidence dénuée de pertinence que de telles requêtes sont justifiées. Pour les motifs énoncés ci-après, je conclus que l’affidavit de Nabor, dans son intégralité, contient des éléments de preuve non pertinents ou une preuve par ouï-dire qui porte sur des questions controversées, et que Lynx subirait un préjudice  le soin de trancher ces questions était laissé au juge des faits.  

 

[12]  En s’appuyant sur la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce dans l’arrêt Origins Natural Resources Inc. c. Warnaco U.S. Inc., 9 C.P.R. (4th) 540, Chamberlain soutient qu’une décision d’opposition rendue par un tribunal étranger qui traite essentiellement des mêmes marques de commerce que celles qui sont en cause dans les procédures d’opposition au Canada, et que celles en lien avec des marchandises similaires, aura une valeur persuasive au moment de trancher la question de la confusion entre les marques de commerce de la présente instance. Cependant, à l’audition de la requête, l’avocat de Chamberlain a indiqué que Chamberlain cherche à s’appuyer sur la décision de la US TTAB comme preuve, et non comme simple précédent. Chamberlain a l’intention de faire valoir à l’audition de l’appel que la valeur persuasive devrait être accordée à la décision de la US TTAB puisque le critère appliqué par la US TTAB pour évaluer la probabilité de confusion entre la marque de commerce LYNXMASTER de Lynx et la marque de commerce LIFT MASTER déposée par Chamberlain est essentiellement le même critère que celui appliqué par le Registraire des marques de commerce lorsqu’il a évalué la probabilité de confusion entre la marque de commerce LYNXMASTER & Design de Lynx et la marque de commerce LIFT MASTER déposée par Chamberlain, pour ce qui concerne le moyen d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d).

 

[13]  Chamberlain n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de sa prétention selon laquelle une décision d’un pays étranger, qui est fondée sur des normes juridiques étrangères, peut constituer une preuve devant la Cour. Étant donné que des procédures liées aux marques de commerce ont été engagées aux États-Unis, celles-ci sont assujetties à des normes et à des procédures juridiques étrangères. Bien que la décision de la US TTAB puisse avoir une certaine valeur jurisprudentielle dans les cas qui le justifient, elle n’est manifestement pas pertinente pour trancher les questions de fait en cause dans les instances canadiennes liées aux marques de commerce.

 

[14]  Par ailleurs, que Lynx ait eu gain de cause ou non dans la procédure engagée aux États-Unis concernant la marque de commerce LYNXMASTER et que Lynx n’ait pas interjeté appel de la décision rendue dans cette même affaire n’ont aucun rapport avec les questions soulevées dans la présente demande. Il serait inapproprié, et contraire aux intérêts juridiques et commerciaux privés de Lynx, d’obliger Lynx à présenter des éléments de preuve pour expliquer la raison pour laquelle aucun appel n’a été interjeté, d’autant plus que ses considérations à l’égard d’un appel de procédures étrangères peuvent être complètement différentes de celles liées à une décision semblable rendue au Canada.

 

[15]  Au paragraphe 8 de son affidavit, Me Nabor présente un résumé des éléments de preuve recueillis lors de la déposition de M. Schram. Un résumé des témoignages précédents d’un déposant consiste en une preuve invalide étant donné que l’exactitude des témoignages peut être compromise. En outre, le fait d’admettre comme preuve un extrait de témoignage risque de séparer la preuve de son contexte, car elle peut alors être dissociée de toute autre réserve quant à la preuve ou toute  preuve antérieure prise en compte au cours de la déposition.

 

[16]  De plus, M. Schram a fait une déclaration sous serment dans un affidavit le 8 mars 2007, à l’appui des deux instances canadiennes liées aux marques de commerce. Avant l’audience devant la Commission des oppositions des marques de commerce, Chamberlain a choisi de ne pas contre-interroger M. Schram au sujet de son affidavit. En déposant l’affidavit de Nabor à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, Chamberlain entend se fonder sur les déclarations antérieures de M. Schram, lesquelles ont été faites hors du contexte de ces instances.

 

[17]  Une déclaration antérieure n’est admissible que si l’auteur de la déclaration n’est pas disponible parce qu’il est décédé ou souffre d’incapacité ou parce que cette personne ne peut être retracée. Ce principe s’applique aux déclarations reçues dans une autre instance parce qu’on ne peut pas les tester en procédant à un contre-interrogatoire dans la procédure en cours : voir l’arrêt Tradition Fine Foods Ltd. c. Groupe Tradition’L Inc., (2006), 51 C.P.R. (4th) 342 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 66 à 69.

 

[18]  M. Schram était à la disposition de Chamberlain pour se soumettre à un contre-interrogatoire dans la présente instance. La décision de Chamberlain de ne pas contre-interroger M. Schram sur son témoignage dans la présente instance ne fournit pas à Chamberlain un fondement pour mettre en preuve la transcription de la déposition de M. Schram dans le cadre de l’instance menée aux États-Unis concernant la marque de commerce LYNXMASTER & Design.

 

Conclusion

 

[19]  Pour les motifs qui précèdent, une ordonnance radiant l’affidavit de Nabor dans son intégralité sera rendue dans la présente instance et le dossier de la Cour no T-2140-09. Quant aux dépens, les parties se sont entendues sur le montant de 5 000 $, plus la TPS, à payer par Chamberlain pour les deux requêtes.

 

[20]  Une copie des présents motifs doit être versée au dossier de la Cour no T-2140-09.

 

 

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-2141-09

 

INTITULÉ :  The Chamberlain Group, Inc. c. Lynx Industries Inc.

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 17 MAI 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DE L’ORDONNANCE :  LE 7 JUIN 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gary W. Partington /

Coleen Morrison

 

POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Phillips

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gary W. Partington / Coleen Morrison

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Pallett Valo LLP

Mississauga (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

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