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Date : 20100609

Dossier : T-2077-09

Référence : 2010 CF 621

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 9 juin 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

THE NATURAL AND SOVRAN-ON-THE-LAND, FLESH, BLOOD AND BONE, NORTH AMERICA SIGNATORY AERIOKWA TENCE KANIENKEHAIKA INDIAN MAN : GREGORY-JOHN: BLOOM©, AS CREATED BY THE CREATOR (GOD)

 

demandeur

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête, en date du 18 mai 2010, par laquelle le demandeur, M. Gregory‑John Bloom, agissant pour son propre compte, sollicite :

1.         une prorogation de délai pour demander une ordonnance radiant l’ordonnance rendue le 4 mai 2010 par KEVIN R. AALTO, PROTONOTAIRE, relativement à la requête concernant la « déclaration » du demandeur dans le dossier T‑2077‑09 qui a été entendue le 12 avril 2010;

2.         subsidiairement, une prorogation de délai pour demander une ordonnance accordant toutes les mesures de redressement demandées dans la « déclaration » T‑2077‑09, puisque la défenderesse était, en toute connaissance de cause, en défaut, et adjugeant les dépens au demandeur;

3.         toute autre mesure de redressement que la Cour juge appropriée.

 

[2]               Par voie de déclaration, en date de 7 décembre 2009, le demandeur a intenté une action contre Sa Majesté la Reine.

 

[3]               Il appert de la déclaration qu’en plus des millions de dollars en dommages‑intérêts majorés et punitifs pour ses douleurs et souffrances, le demandeur cherche à obtenir une ordonnance de la nature d’un mandamus enjoignant à la défenderesse de lui rembourser [traduction] « tout impôt sur le revenu retenu à la source depuis 1966 », de [traduction] « rembourser tous les fonds de pension qui ont fait l’objet d’une saisie‑arrêt par Revenu Canada » et d’[traduction] « annuler le privilège grevant la résidence de Gregory-John : Bloom ©, a North American Indian Signatory ».

 

[4]               Le demandeur allègue, entre autres choses, que les agents de l’Agence du revenu du Canada (ARC) ont rendu une [traduction] « décision arbitraire sur la perception illégale d’impôt sur le revenu » et que la défenderesse [traduction] « a envoyé des revendications en main tierce illégales non seulement aux administrateurs du régime de retraite des ferronniers‑métalliers, mais aussi à son entreprise Ironworker Company ».

 

[5]               La défenderesse a présenté, le 23 mars 2010, une requête en radiation de la déclaration du demandeur au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable, qu’elle est scandaleuse, frivole et vexatoire, et que les mesures de redressement qui y sont sollicitées ne sont possibles que dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. La signification de la requête s’est révélée difficile parce que le demandeur a constamment refusé la signification des documents. Le demandeur a ensuite déposé une requête en jugement par défaut dont l’audition a été fixée au 12 avril 2010.

 

[6]               Dans une directive écrite, datée du 8 avril 2010, la juge Mactavish a déterminé que rien dans l’affidavit de signification produit par le demandeur n’indiquait que l’avocat de la défenderesse avait été avisé de la requête en jugement par défaut et qu’il n’était pas approprié que celle‑ci soit examinée avant que la requête en radiation présentée par la défenderesse n’ait été entendue et tranchée. La requête en jugement par défaut a donc été ajournée sine die en attendant que la défenderesse en reçoive avis conformément aux dispositions des Règles des Cours fédérales, DORS/2004-283, art 2.

 

[7]               Le 12 avril 2010, le protonotaire Alto a entendu la requête de la défenderesse et, par ordonnance du 4 mai 2010, il y a fait droit et a radié la déclaration du demandeur dans son entier sans autorisation de la modifier.

 

[8]               Le protonotaire Aalto a fait sienne la déclaration suivante du protonotaire Hargrave dans Ceminchuk c. Canada, (1995), 56 A.C.W.S. (3d) 277, [1995] A.C.F. no 914, au paragraphe 24, qui s’applique tout autant à la présente affaire :

24     La Cour d’appel a récemment remarqué, quoique dans un contexte légèrement différent que « [l]es tribunaux, qui sont des institutions publiques chargées du règlement des litiges, nécessitent une dépense considérable de fonds publics. La congestion des tribunaux et les retards qui s’ensuivent constituent un gros problème pour le public. » : Adams c. Commissionnaire de la Gendarmerie royale du Canada et autres, jugement inédit en date du 17 octobre 1994, dans l’action portant le numéro de greffe A‑634‑93, à la page 7. [Voir [1994] A.C.F. no 1480]. Cette proposition a par la suite été adoptée par le juge en chef dans l’arrêt Jangir Sidhu c. Ministre du Revenu national, décision inédite du 16 novembre 1994, dans l’affaire portant le numéro de greffe A-679-93 [Voir [1994] A.C.F. no 2028]. Les plaideurs, dont les plaideurs profanes, qui engagent des actions désespérées et vouées à l’échec, ne peuvent s’attendre au luxe d’être autorisés à continuer des procédures qui ne peuvent rien donner. Donner suite à cette action serait non seulement un emploi abusif des procédures de la Cour, mais aussi un gaspillage de l’argent des contribuables. La déclaration est par conséquent radiée. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[9]               Le protonotaire Aalto a conclu que la déclaration du demandeur ne comporte aucun renseignement qui permette d’établir de manière particulière les faits donnant naissance à une cause d’action dont la Cour serait convenable saisie. À son avis, les déclarations offensantes de la demande suffisaient à démontrer pourquoi celle‑ci n’avait aucune chance d’être accueillie.

 

[10]           En vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales (les Règles), une partie peut interjeter appel de la décision d’un protonotaire dans les dix jours de la date de cette ordonnance. En vertu de l’article 8, la Cour peut proroger tout délai prévu par les Règles. Le demandeur n’a pas interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire Aalto dans le délai de dix jours, comme l’exige l’article 51 des Règles. Le 18 mai 2010, il a déposé la présente requête en vue d’obtenir une prorogation du délai d’appel.

 

[11]           En l’espèce, la défenderesse a toujours éprouvé des difficultés dans ses tentatives de signifier des documents au demandeur. Par conséquent, le 31 mai 2010, le juge Pinard a ajourné l’audition de la requête en appel pour permettre à la défenderesse de signifier, par courrier ordinaire, son dossier de requête en réponse à celui du demandeur. Le demandeur a comparu à l’audience avec une copie du dossier de requête de la défenderesse dans l’enveloppe encore scellée qui lui avait été livrée.

 

[12]           Dans l’examen de la question de savoir si elle doit accueillir une demande de prorogation de délai, la Cour doit déterminer : (i) si le demandeur a démontré une intention constante de poursuivre sa demande; (ii) si la demande est bien fondée; (iii) si le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; (iv) s’il existe une explication raisonnable justifiant le délai : Canada (Procureur général) c. Hennelly (C.A.F.), (1999), 244 N.R. 399, [1999] A.C.F. no 846; Marshall c. Canada, 2002 CAF 172. La longueur de la prorogation de délai peut également être un facteur dont il faut tenir compte. Il faut d’abord s’assurer que justice soit faite entre les parties : Grewal c.Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1985] 2 C.F. 263. Le critère en quatre volets exposé dans l’arrêt Hennelly constitue un moyen d’atteindre cet objectif. Une prorogation de délai peut être accordée même s’il n’est pas satisfait à l’un des éléments du critère : Canada (Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41.

 

[13]           Compte tenu des observations que le demandeur a formulées de vive voix et par écrit, je conviens qu’il avait l’intention constante de contester l’ordonnance du protonotaire Aalto. Il n’y a aucune assertion de préjudice à l’endroit de la défenderesse qui serait attribuable au bref retard. Le demandeur explique qu’il avait présumé, en se fondant sur son expérience vécue lors d’une procédure d’examen de l’état de l’instance dans une autre affaire, qu’il avait 15 jours pour interjeter appel. Dans d’autres circonstances intéressant une partie non représentée, cette explication pourrait être considérée raisonnable, malgré les termes clairs du paragraphe 51(2) des Règles qui établit le délai de prescription à dix jours.

 

[14]           La Cour doit également, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, examiner la question de savoir si la demande est bien fondée. Autrement dit, dans le présent contexte, elle doit décider du bien‑fondé de l’appel du demandeur interjeté à l’encontre de la décision du protonotaire en appliquant la norme établie par la Cour d’appel fédérale dans Merck & Co. c. Apotex Inc., (2003), 315 N.R. 175, [2003] A.C.F. no 1925. La Cour peut intervenir si elle estime que les questions soulevées dans la requête ont une influence déterminante sur l’issue du principal ou que l’ordonnance du protonotaire est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

[15]           Après avoir examiné la déclaration du demandeur, ses affidavits et ses observations écrites, et après l’avoir entendu s’efforcer d’articuler le fondement de sa demande, je n’hésite pas à conclure qu’aucune erreur de fait ou de principe n’a été commise par le protonotaire. La demande et les documents à l’appui déposés par le demandeur constituent une compilation bizarre d’extraits et de citations tirés de divers documents constitutionnels britanniques, américains et canadiens et d’autres sources.

 

[16]           M. Bloom tente de renforcer sa demande avec des assertions selon lesquelles il a des droits autochtones. Ces assertions ne sont toutefois pas développées d’une façon intelligible susceptible de faire en sorte qu’elles soient considérées comme constituant une demande valide et les références aux droits ancestraux issus des traités n’ont aucun lien apparent avec le reste des documents. Rien dans ces références n’aurait pu être isolé et permettre de maintenir l’action.

 

[17]           Il en résulte, comme le protonotaire Aalto l’a décrit, [traduction] un « méli‑mélo de déclarations extraites de traités et de lois ». Elles ne comportent aucune indication qui pourrait permettre à la défenderesse de cerner les éléments nécessaires à la présentation de sa défense. Pour ce seul motif, je conclus que l’appel du demandeur est sans fondement et la requête en prorogation de délai sera rejetée. Je crois toutefois nécessaire de faire certaines autres remarques concernant les prétentions du demandeur.

 

[18]           M. Bloom se décrit comme un [traduction] « consultant constitutionnel ». Il a reconnu d’emblée dans ses observations formulées de vive voix qu’il avait tiré beaucoup de ses documents de sources américaines qui partagent ses vues concernant le pouvoir de l’État en matières fiscales. La plupart de ses documents se rapportent à des litiges très complexes concernant des événements qui ont marqué l’histoire des États‑Unis et qui n’ont aucune pertinence en droit canadien.

 

[19]           La théorie du demandeur, du mieux qu’on puisse la déterminer, veut qu’il existe une distinction entre la [traduction] « personne physique » et la personne reconnue par la Loi de l’impôt sur le revenu et d’autres lois. En tant que personne physique, avance‑t‑il, il n’est responsable d’aucun impôt exigé de la [traduction] « personne », comme le définit la Loi, qui porte son nom et son numéro d’assurance sociale. Cet argument, populaire dans certains cercles libertariens en marge de la société, a été totalement discrédité par les cours de première instance et d’appel dans plusieurs provinces canadiennes : voir par exemple, Kennedy c. Canada (Customs and Revenue Agency), [2000] 4 C.T.C. 186, [2000] O.J. No. 3313, au paragraphe 23; R. c. Klundert, 2008 ONCA 767, [2008] O.J. No. 4522; R. c. Lindsay, 2006 BCCA 150, [2006] 3 C.T.C. 146.

 

[20]           La Cour a analysé cet argument et l’a rejeté dans Canada (Revenu national) c. Stanchfield, 2009 CF 99, [2009] A.C.F. no 133, et Canada (Revenu national) c. Camplin, 2007 CF 183, [2007] 2 C.T.C. 205. Dans Stanchield, la juge Gauthier a statué que les personnes physiques agissant à titre personnel pour leur propre avantage personnel ou non sont directement visées par la définition de « personne » énoncée dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Je fais mien son raisonnement et ses conclusions pour les besoins de la présente requête.

 

[21]           Les efforts du demandeur en vue de se servir de la Cour pour avancer cette théorie indéfendable dans la présente action étaient, pour reprendre les propos du protonotaire Hargrave, désespérés et voués à l’échec, dès le départ. Le demandeur ne pouvait s’attendre au luxe d’être autorisé à continuer des procédures qui ne peuvent rien donner. C’est à bon droit que le protonotaire Aalto y a mis fin.

 

[22]           Les allégations de partialité non corroborées visant le protonotaire Aalto ne sont également aucunement fondées. Lorsqu’on lui a demandé de justifier ces allégations durant l’audience, M. Bloom a affirmé que la requête de la défenderesse avait été préjugée et que le protonotaire Aalto s’était montré antipathique à son endroit dans une autre procédure. Ces assertions reposent uniquement sur les impressions subjectives de M. Bloom. Il n’a soulevé aucun fait à partir duquel une personne appliquant la norme objective décrite par le juge de Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, pourrait conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

 

[23]           Le protonotaire Aalto a condamné le demandeur à des dépens de 500 $ payables immédiatement. La défenderesse sollicite les dépens de la présente requête et elle y a droit. Les dépens de la présente requête sont fixés à 1 000 $ et sont payables immédiatement, en plus des dépens afférents à l’ordonnance du protonotaire qui n’ont pas été payés.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La requête en prorogation du délai d’appel contre l’ordonnance du protonotaire Aalto, datée du 4 mai 2010, est rejetée.

2.                  Les dépens de la présente requête, fixés à 1 000 $ et payables immédiatement, sont adjugés à la défenderesse, en plus des dépens afférents à l’ordonnance du 4 mai 2010.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-2077-09

 

INTITULÉ :                                                   THE NATURAL AND SOVRAN-ON-THE-LAND, FLESH, BLOOD AND BONE, NORTH AMERICA SIGNATORY AERIOKWA TENCE KANIENKEHAIKA INDIAN MAN: GREGORY-JOHN : BLOOM©, AS CREATED BY THE CREATOR (GOD) c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 juin 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 juin 2010

 

 

COMPARUTION :

 

Gregory-John Bloom

 

POUR LE DEMANDEUR

(Pour son propre compte)

 

Maria Vujnovic

Laurent Bartleman

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S.O.

 

POUR LE DEMANDEUR

(Pour son propre compte)

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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