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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100601

Dossier : IMM-1284-09

Référence : 2010 CF 600

Toronto (Ontario), le 1er juin 2010

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

JORGE ARMANDO RAMIREZ MARTINEZ

BEATRIZ ORTEGA GONZALEZ

YARELY DENISSE RAMIREZ ORTEGA

CHRISTIAN URIEL RAMIREZ ORTEGA

demandeurs

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur principal et sa famille (les demandeurs) sont des citoyens du Mexique. Ils proviennent d’une ville de l’État de Guanajuato. Le demandeur principal a quitté le Mexique en avril 2007 pour aller travailler aux États-Unis. Les demandeurs sont arrivés au Canada en décembre 2007 et ont présenté une demande d’asile. Le demandeur principal affirme que lui-même et sa famille avaient reçu des menaces de la part de son employeur. Selon le demandeur principal, ces menaces avaient également été proférées après son départ pour les États-Unis en avril 2007 et après que tous les demandeurs soient arrivés au Canada, plus tard dans la même année.

 

[2]               Dans une décision rendue le 16 février 2009, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), ou des personnes à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. La conclusion la plus importante – et la seule – présentée par la Commission était que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Mexico.

 

[3]               La question déterminante dans le présent contrôle judiciaire et de savoir si le bon critère juridique a été utilisé par la Commission. Cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Golesorkhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 511, [2008] A.C.F. n° 637 (QL); Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 50).

 

[4]               Il est bien établi dans la jurisprudence que c’est le critère à deux volets qui permet de déterminer s’il existe une PRI (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.); Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.)). Il appartenait aux défendeurs de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que a) ils risquaient sérieusement d’être persécutés dans tout le pays, y compris à l’endroit qui offrait prétendument une possibilité de refuge, c’est-à-dire la ville de Mexico, et b) il serait trop exigeant de demander aux demandeurs de déménager à Mexico. Les deux volets du critère ont été examinés par la Commission lors de l’audience.

 

[5]               Dans sa décision, la Commission a correctement énoncé le critère relatif à la PRI, mais on peut douter sérieusement de la bonne application par celle-ci du critère aux faits de l’espèce. Dans sa décision, à plusieurs reprises, la Commission a exprimé le point de vue selon lequel les demandeurs devaient déménager à l’endroit où il existe une PRI avant d’être acceptés comme personnes à protéger.

 

[6]               Les énoncés suivants figurant dans la décision de la Commission dénotent une mauvaise application du critère de la PRI :

En l’espèce, je suis d’avis que les demandeurs d’asile avaient l’obligation d’au moins essayer de trouver un refuge sûr dans leur propre pays avant de tout abandonner et, à moins qu’il ait été manifestement déraisonnable d’agir ainsi, le fait de ne pas avoir au moins essayé sera fatal à leurs demandes d’asile.

 

Dans la présente affaire, j’estime que les demandeurs d’asile avaient clairement l’obligation de trouver un autre endroit où loger, soit dans la ville de Mexico, et qu’ils devaient, s’ils avaient des problèmes avec M. Ybarra ou qui que ce soit d’autre, s’adresser à l’État avant de demander la protection du Canada.

 

Je constate que, en l’espèce, les demandeurs d’asile ne se sont pas efforcés de trouver une PRI dans une des régions du Mexique, et je suis d’avis qu’ils devaient envisager une PRI, c’est‑à‑dire déménager à Mexico, avant de quitter le pays. Ils ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombe de démontrer qu’ils seraient exposés au préjudice qu’ils craignent dans toutes les régions du Mexique aux termes de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR. [Non souligné dans l’original.]

 

[7]               Selon Thirunavukkarasu, en vertu de la première partie du critère relatif à la PRI, il appartient au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans tout le pays, y compris dans la partie qui offre prétendument une possibilité de refuge intérieur (paragraphe 5). Cette obligation n’entre en jeu que lorsque la Commission a prévenu le demandeur que la question de la PRI sera soulevée. Ainsi, la Cour d’appel a reconnu dans l’arrêt Thirunavukkarasu qu’il est possible que, « dans certains cas, [le demandeur puisse] ne pas avoir une connaissance personnelle des autres parties du pays » (paragraphe 9). Il est donc possible que le demandeur n’ait pas pensé à une PRI avant que la question ne soit soulevée par la Commission. Par conséquent, selon le critère relatif à la PRI, les demandeurs doivent démontrer que, même à Mexico où il existe une PRI, ils seraient probablement persécutés. Le critère n’exige pas, contrairement à ce qu’a affirmé la Commission, que les demandeurs tentent de vivre à Mexico puis démontrent qu’ils y ont été persécutés. Il n’incombe nullement aux demandeurs de d’abord déménager à Mexico, de prouver qu’il est dangereux d’y vivre, puis de solliciter la protection de substitution assurée par le Canada. La jurisprudence ne fait aucunement mention d’une telle exigence.

 

[8]               L’application du critère faite par la Commission a été rejetée par le juge Rothstein dans Alvapillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 F.T.R. 108, 45 Imm. L.R. (2d) 150, au paragraphe 3, ainsi libellé :

La viabilité d’une PRI doit être objectivement déterminée, et il n’est pas loisible à un demandeur, simplement pour ses propres raisons, de rejeter la possibilité de réinstallation dans son propre pays, s’il peut le faire sans crainte de persécution; voir Thirunavukkarasu c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.), aux pages 597 à 599). Toutefois, la façon dont le tribunal a caractérisé le critère de la PRI en l’espèce n’est pas juste. Le tribunal semble dire qu’il appartient à un individu, avant qu’il ne demande la protection de substitution assurée par le Canada, de mettre à l’épreuve la viabilité de la PRI dans son propre pays. La conclusion logique de cette idée est qu’un demandeur est tenu de mettre à l’épreuve la PRI et de connaître la persécution avant de faire une revendication du statut de réfugié au Canada. Il ne peut en être ainsi. Il n’incombe nullement à un demandeur de mettre personnellement à l’épreuve la viabilité d’une PRI avant de demander la protection de substitution au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

 

[9]               Je reconnais que certains passages de la décision faisant l’objet du présent contrôle démontrent bel et bien que la Commission a compris que les demandeurs n’étaient pas tenus de « mettre à l’épreuve la PRI » avant de venir au Canada. Cependant, l’utilisation répétée d’une certaine phraséologie par la Commission permet de douter que celle-ci a bien compris et a bien appliqué le critère pertinent. Dans les circonstances, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.              La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision;

2.              Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

Réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1284-09

 

INTITULÉ :                                       JORGE ARMANDO RAMIREZ MARTINEZ et al c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1ER JUIN 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             LE 1ER JUIN 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LES DEMANDEURS

Sally Thomas

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Ann Ritter

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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