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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100601

Dossier : IMM-5663-09

Référence : 2010 CF 570

Ottawa (Ontario), ce 1er jour de juin 2010

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Guadalupe HERRERA RIVERA

Karla Esperanza Renteria HERRERA

Diego Renteria HERRERA

 

Demandeurs

 

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, datée du 27 octobre 2009, d’un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent) présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi) par Guadalupe Herrera Rivera (la demanderesse) et ses enfants, Karla Esperanza Renteria Herrera et Diego Renteria Herrera. L’agent a rejeté leur demande de statut de résident permanent fondée sur des considérations humanitaires (« demande CH »).

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[2]          Les demandeurs sont des citoyens mexicains. Ils sont entrés au Canada en septembre 2006, en compagnie de Jose Wenceslao Renteria Valerio, alors le conjoint de la demanderesse et père de ses enfants, demandant l’asile quelques jours plus tard. Leur demande d’asile a été jugée non-crédible. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée.

 

[3]          Le 19 avril 2008, la demanderesse a été victime d’un incident de violence conjugale de la part de son conjoint. Elle a rencontré les policiers à ce sujet, mais n’a pas porté plainte. Cependant, elle s’est séparée de son mari et, du 25 avril au 1er août 2008, elle et ses enfants ont séjourné dans un centre d’aide aux victimes de violence conjugale. Elle affirme, en fait, que son conjoint, dont elle est maintenant divorcée, a été violent envers elle dès la première année de leur mariage, et qu’il l’est demeuré par la suite. Ayant renoncé à un examen des risques avant renvoi (ERAR) suite au rejet de leur demande d’asile, l’ex-conjoint de la demanderesse a été déporté et réside maintenant à Los Reyes de la Paz, la même ville où la famille habitait avant de venir au Canada.

 

[4]          Le 27 octobre 2008, les demandeurs ont déposé une demande CH fondée sur leur établissement au Canada, l’intérêt supérieur des enfants, la violence conjugale et le risque qu’ils pourraient encourir au Mexique.

 

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[5]          L’agent a rejeté cette demande, concluant que les demandeurs ne souffriraient pas de difficultés inhabituelles ou injustifiées et excessives en cas de renvoi.

 

[6]          L’agent a noté que les demandeurs n’étaient au Canada que depuis trois ans, ce qui représentait peu pour la demanderesse, mais plus pour ses enfants. Hormis le fait que la demanderesse suivait des cours de français, il y avait peu d’autres renseignements concernant leur établissement. L’agent a reconnu que l’intégration des demandeurs a pu être retardée par leur séjour en centre d’hébergement, mais a conclu que vu le peu de liens qu’ils avaient au Canada, un retour au Mexique ne leur causerait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[7]          L’agent a également reconnu que la situation familiale « ait pu et peut continuer d’être difficile pour les jeunes enfants concernés ». Ils ont vécu difficilement la séparation de leurs parents. De plus, la séparation de leurs amis et la nécessité de s’intégrer au système scolaire mexicain leur causeront possiblement un stress. Cependant, l’agent a estimé « que l’impact sur leur éducation et leur développement futur sont limités (sic) puisque le principal est qu’ils demeurent avec leur mère ». L’agent a aussi conclu que puisque l’ex-conjoint de la demanderesse n’a jamais été violent envers les enfants, et que celle-ci en a la garde exclusive, leur « départ du Canada n’aura pas un impact négatif sur leur santé physique et psychologique ».

 

[8]          Ensuite, reconnaissant que la demanderesse a été victime de violence et de menaces de la part de son ex-conjoint et se disant sensible au fait que les demandeurs ont dû chercher refuge dans un centre d’hébergement, l’agent a noté que de tels organismes existent également au Mexique. De plus, les demandeurs pourraient s’établir dans un autre endroit que celui où ils habitaient avant de quitter ce pays.

 

[9]          Finalement, quant au risque auquel les demandeurs seraient exposés au Mexique, l’agent a rejeté les allégations qu’ils avaient déjà présentées au soutien de leur demande d’asile. Celles-ci concernaient, d’une part, l’extorsion à laquelle se livraient des policiers contre l’ex-conjoint de la demanderesse, un commerçant, et la persécution dont il prétendait avoir été victime de la part de la famille d’un homme qu’il a tué dans un accident automobile. Ces allégations n’avaient pas été trouvées crédibles. De plus, malgré les problèmes de droits de la personne, et spécifiquement de violence conjugale, dont fait état la preuve documentaire concernant le Mexique, l’agent a conclu que la demanderesse et ses enfants n’y seraient pas à risque parce que leur famille et de nombreuses organisations pourraient leur venir en aide. De plus, ils pourraient s’établir dans une partie de Mexico autre que celle où habite l’ex-conjoint de la demanderesse, et rien n’indique que celui-ci a les ressources pour les retrouver dans cette ville immense ou ailleurs au Mexique.

 

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[10]      Les questions qui se posent dans la présente demande de contrôle judiciaire sont :

1)      L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère à l’examen de la demande CH?

2)      L’agent a-t-il erré en concluant que les demandeurs ne souffriraient pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, notamment en ce qu’il a rendu sa décision sans égard à la preuve devant lui?

 

[11]      La première question, concernant le critère appliqué par l’agent, en est une de droit, et elle est sujette au contrôle selon la norme de la décision correcte (voir, par exemple, Aboudaia c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1169; Singh c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1263).

 

[12]      Par contre, la décision de l’agent sur le bien-fondé de la demande est discrétionnaire et dépend de son évaluation de la preuve et la norme de contrôle qui s’y applique est donc celle de la décision raisonnable (voir Kisana c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CAF 189 au paragraphe 18, et la jurisprudence qui y est citée).

 

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Le critère applicable à une demande CH

[13]      Les demandeurs soutiennent que l’agent a évalué leur demande CH en y appliquant un mauvais critère. Ils lui reprochent d’avoir mentionné le « risque […] objectivement personnalisé pour leur vie ou leur sécurité » comme critère applicable à une demande CH. Ils soutiennent que l’agent chargé de l’étude d’une demande CH doit tenir compte de toutes sortes de risques, et non seulement du risque à la vie du demandeur ou d’un risque de subir des traitements cruels et inusités qui sont pertinents lors de l’étude d’une demande de protection fondée sur l’article 97 de la Loi ou d’une demande ERAR.

 

[14]      Le défendeur, quant à lui, fait valoir que l’agent a cité à répétition le critère applicable, soit celui de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives », et qu’il l’a appliqué. Il souligne que l’agent a même explicitement mentionné le fait que « [l]e processus CH ne se base pas sur les mêmes critères [qu’une demande d’asile] pour l’analyse du risque ». Enfin, le défendeur soutient que l’agent était conscient du fait que le risque était un de plusieurs facteurs dont il devait tenir compte, et c’est ce qu’il a fait.

 

[15]      Je suis d’accord avec le défendeur. L’agent connaissait le critère de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives ». Il savait aussi que le risque peut être une des causes de telles difficultés pour un demandeur. Cependant, pour qu’un risque cause des difficultés à un demandeur, il faut logiquement que ce demandeur y soit personnellement exposé. Il s’est posé la question de savoir si c’était le cas dans le dossier qu’il étudiait. Ce faisant, il n’a commis aucune erreur.

 

Le bien-fondé de la décision

[16]      Selon les demandeurs, l’agent a erré dans son évaluation du risque auquel ils s’exposeraient au Mexique, notamment en ne tenant pas compte de la preuve pertinente.

 

[17]      À cet égard, je ne peux retenir aucun des arguments des demandeurs.

 

[18]      D’abord, je conviens avec le défendeur que l’erreur de l’agent quant au lieu de résidence des demandeurs avant leur départ n’est pas déterminante. Comme l’explique la Cour suprême dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247 au paragraphe 56, une conclusion déraisonnable tirée par un décideur administratif ne rend pas sa décision déraisonnable pour autant « si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision ». C’est, à mon avis, le cas en l’espèce. L’agent a estimé que les demandeurs pourraient se rendre dans une partie du district fédéral autre que celle qu’ils habitaient avant leur départ pour le Canada. A fortiori, s’ils habitaient auparavant une ville voisine, ils pourraient se rendre dans le district fédéral lui-même et y bénéficier d’un relatif anonymat et de la protection de lois et de règlements plus avancés.

 

[19]      Ensuite, la conclusion de l’agent que les demandeurs pouvaient se prévaloir de cette possibilité de refuge interne n’était pas déraisonnable. Dans Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, la Cour d’appel fédérale précise que « [l]a possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l’autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur » (je souligne). De plus, il faut se demander « si on peut s’attendre à ce qu’il puisse se débrouiller dans ce lieu » (ibid.). La question de savoir si le district fédéral est accessible aux demandeurs en cas de leur renvoi du Canada doit, de toute évidence, recevoir une réponse affirmative. Quant à la possibilité pour les demandeurs de s’y débrouiller, l’agent explique ses conclusions à cet égard, notamment par le fait que la demanderesse pourra y trouver du travail correspondant à ses compétences.

 

[20]      Je ne peux, non plus, retenir l’argument des demandeurs voulant que l’agent ait rendu sa décision sans égard à la preuve. Il est bien établi qu’il appartient à une personne qui dépose une demande CH de présenter toute la preuve nécessaire à l’appui de cette demande (voir par exemple Sharma c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1006 au paragraphe 9 et les nombreuses décisions qui y sont citées). Si les demandeurs voulaient attirer l’attention de l’agent sur un document en particulier, ils pouvaient donc le mettre en preuve.

[21]      De toute façon, les documents que l’agent aurait omis de consulter ou de discuter n’ont pas l’importance que leur donnent les demandeurs. En ce qui concerne celui de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, les informations qu’il contient sur l’État de Mexico ne sont guère déterminantes puisque l’agent avait conclu que les demandeurs pouvaient s’installer dans le district fédéral. Quant à l’information concernant l’adoption éventuelle du règlement mettant en œuvre la législation de lutte contre la violence faite aux femmes, elle n’était déjà plus courante au moment où l’agent prenait sa décision. Quant aux documents d’Amnesty International et de Freedom House et aux US Country Reports, l’agent a bien reconnu l’existence de problèmes en matière de droits de la personne au Mexique dont ils font état. Il a spécifiquement noté que la violence conjugale était au nombre de ces problèmes. Il ne lui était pas nécessaire de mentionner un passage spécifique de la preuve documentaire sur lequel s’appuyait cette observation. L’eût-il fait, cela n’aurait rien ajouté à son analyse.

 

[22]      L’agent a simplement conclu que les mesures prises par le Mexique faisaient en sorte que les problèmes dont il a reconnu l’existence n’iraient pas jusqu’à occasionner aux demandeurs des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. En d’autres mots, si les demandeurs devaient éprouver des problèmes avec l’ex-conjoint de la demanderesse, les autorités et les organismes non-gouvernementaux seraient probablement en mesure de les aider. (C’est d’ailleurs dans cette optique qu’il faut comprendre les références de l’agent à la possibilité pour les demandeurs de se rendre dans un refuge. Il ne s’attendait certainement pas à ce qu’ils y résident en permanence.) Son raisonnement à cet égard est transparent, intelligible et justifié, et la Cour ne serait pas fondée d’intervenir (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au paragraphe 47).

[23]      Enfin, l’agent a adéquatement considéré l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse. Il a tenu compte de tous les facteurs pertinents à cet égard qui ressortaient de la preuve qui lui avait été soumise. Si celle-ci était insuffisante, il revenait aux demandeurs de soumettre d’autres éléments qui auraient convaincu l’agent.

 

[24]      Somme toute, les demandeurs invitent la Cour à réexaminer leur demande et de substituer son opinion à celle de l’agent. Or, telle n’est pas la fonction d’un contrôle judiciaire. Pour les raisons qui précèdent, il n’y a aucun motif qui justifie la Cour d’intervenir.

 

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[25]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par un agent d’examen des risques avant renvoi le 27 octobre 2009 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5663-09

 

INTITULÉ :                                       Guadalupe HERRERA RIVERA, Karla Esperanza Renteria HERRERA, Diego Renteria HERRERA c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er juin 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Rachel Benaroch                           POUR LES DEMANDEURS

 

Me Yaël Levy                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rachel Benaroch                                                          POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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