Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20100601

Dossier : T-2087-09

Référence : 2010 CF 596

Ottawa (Ontario), le 1 juin 2010

En présence de madame la juge Johanne Gauthier

 

ENTRE :

ROBERT GRAVEL

demandeur 

et

 

TELUS COMMUNICATIONS INC.

défenderesse

 

MOTIF D’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

VU la requête de M. Robert Gravel (demandeur) faite par écrit visant à faire radier en partie les affidavits de MM. Yves Sarault, Jean-François St-Germain et Roberto Depani mis en preuve par Telus Communication Inc. (défenderesse) en réponse à la demande de contrôle judiciaire du demandeur, à radier certaines pièces déposées au soutien des affidavits de MM. Yves Sarault et Roberto Depani et à obtenir une ordonnance accordant le dépôt de l’affidavit amendé du demandeur ainsi que des affidavits complémentaires de MM. Claude Gravel et Jacques Gagné ;

 

  LECTURE faite de la documentation déposée par les deux parties ;

 

  CONSIDÉRANT que le 12 février 2010, la juge Tremblay-Lamer a accueilli en partie une requête du défendeur en radiant plusieurs paragraphes de l’affidavit du demandeur ainsi que les affidavits de MM. Claude Gravel et Jacques Gagné et que la Cour d’appel a été saisie d’un appel de cette ordonnance par le demandeur ;

 

CONSIDÉRANT que la défenderesse, compte tenu de cet appel, a déposé deux requêtes pour obtenir une suspension d’instance dans le dossier connexe T-2086-09 ainsi que dans le présent dossier en attendant le jugement de la Cour d’appel. Le 18 mars 2010, le juge Mainville a rejeté ces requêtes ;

 

CONSIDÉRANT qu’à la demande de la Cour et compte tenu de l’objection formulée en vertu de la Règle 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, les parties sont à faire des démarches afin d’obtenir le dossier certifié qui permettra à la Cour de décider du sort des pièces 2, 5, 6 de l’affidavit de M. Sarault et pièces 1, 2, 3 de l’affidavit de M. Depani. La Cour comprend que malgré la correspondance avec l’arbitre, le dossier certifié ne sera pas disponible prochainement. Compte tenu que le décideur n’est pas disponible à brève échéance, il est opportun de décider des autres questions qui permettront aux parties de prendre position quant à l’appel ci-haut mentionné.

 

  CONSIDÉRANT que la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canadian Tire Corp. c. P.S. Partsource Inc., 2001 CAF 8, 200 F.T.R. 94 formule la mise en garde suivante à l’attention des plaideurs relativement aux requêtes en radiation d’affidavits :

18  Je tiens toutefois à souligner que les plaideurs ne doivent pas prendre l'habitude de recourir systématiquement à des requêtes en radiation de la totalité ou d'une partie d'un affidavit et ce, peu importe le degré de notre Cour, surtout lorsque la question porte sur la pertinence. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles où l'existence d'un préjudice est démontrée et que la preuve est de toute évidence dénuée de pertinence que ce type de requête est justifié. Lorsqu'elle est fondée sur le ouï-dire, cette requête ne doit être présentée que lorsque le ouï-dire soulève une question controversée, lorsque le ouï-dire peut être clairement démontré ou lorsqu'on peut démontrer que le fait de laisser au juge du fond le soin de trancher la question causerait un préjudice.

 

De plus, la jurisprudence a reconnu que les contrôles judiciaires constituent des procédures sommaires qui doivent être entendues sur le fond rapidement. Par conséquent, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire de radier des paragraphes contenus dans certains affidavits avec encore plus de réticence et seulement dans les cas où il est dans l’intérêt de la justice de le faire ou lorsque le fait de ne pas radier un affidavit causerait un préjudice important à une partie ou nuirait au bon déroulement de l’instance : Armstrong c. Canada (P.G.), 2005 CF 1013, 141 A.C.W.S. (3d) 5 (Armstrong).

 

En l’espèce, n’eut été de la décision de la juge Tremblay-Lamer, la Cour aurait rejeté la requête en radiation, laissant le soin au juge du fond de régler ces questions.

 

Les affidavits de MM. Saint-Germain, Depani et Sarault réitèrent le contenu de leur déposition devant le tribunal d’arbitrage. Ainsi, l’information contenue dans leur affidavit correspond au résumé de la preuve dans la décision arbitrale. Ces trois déclarants sont employés de la défenderesse et ont une connaissance personnelle des faits entourant la terminaison de l’emploi de M. Gravel. Toutefois, comme certains paragraphes de l’affidavit du demandeur ont été radiés par la juge Tremblay-Lamer, il est dans l’intérêt de la justice de ne pas permettre que le défendeur puisse déposer au dossier une preuve de même nature.

 

Premièrement, les paragraphes 28 et 32 de l’affidavit de Robert Depani doivent être radiés puisqu’ils tiennent de l’argument au lieu de contenir des déclarations factuelles. M. Depani y déclare qu’il ne reconnaît pas l’authenticité de deux pièces déposées devant le tribunal d’arbitrage.

 

Deuxièmement, les paragraphes 61, 62, 63, 65, 67, 68 et 70 de l’affidavit d’Yves Sarault doivent être radiés. Le paragraphe 61 contient des informations qui, à la lumière de la décision de l’arbitre, ne se retrouvaient pas devant le tribunal d’arbitrage. Quant aux paragraphes 62, 63, 65, 67, 70, ils constituent de l’information de la même nature que celle radiée par la juge Tremblay-Lamer dans l’affidavit du demandeur.  Ceux-ci rapportent des témoignages faits à l’audience devant l’arbitre par un autre témoin que le déclarant selon leur propre compréhension. Ainsi, ils constituent du ouï-dire et doivent être radiés. En ce qui a trait au paragraphe 68, il doit être radié puisqu’il est argumentatif.

Il est pertinent de discuter brièvement des paragraphes 75 à 98 qui se retrouvent sous la section « le déroulement de l’audition ». Le demandeur allègue que certains de ces paragraphes devraient être radiés parce qu’ils contreviennent à la règle 81 pour une ou plusieurs des raisons suivantes : i) ils comportent ou omettent des informations qui ne font pas partie ou qui sont contraires à la preuve déjà administrée lors de l’audition au fond ; ii) ils expriment des opinions superflues et des commentaires qui ne font pas partie ou qui sont contraires à la preuve déjà administrée lors de l’audition au fond ; iii) ils comportent des commentaires de la nature d’une argumentation et sont contraires à la preuve déjà administrée lors de l’audition au fond.

 

Or, ces paragraphes rapportent en fait de l’information relative à la durée et au déroulement de la preuve du demandeur, du comportement de l’arbitre durant l’audience, de la gestion de l’audience par l’arbitre. Ils font également référence au subpoena duces tecum accordé au demandeur et fournissent des détails relativement aux documents demandés. Il est pertinent de noter que le demandeur traite également de sa version des faits relativement à ces éléments aux paragraphes 1-8 et 23 de son affidavit ; ces paragraphes n’ont pas été radiés par la juge Tremblay-Lamer. Par souci d’équité, les paragraphes de l’affidavit de M. Sarault ne doivent pas être radiés.

 

Par ailleurs, les paragraphes 82 et 83 doivent être radiés en totalité tandis que la portion suivante du paragraphe 81 doit être radiée : « particulièrement en intervenant peu quant à la pertinence des questions posées tant en interrogatoire en chef qu’en contre-interrogatoire, en faisant preuve de flexibilité et de compréhension à son égard ». Bien qu’ils portent sur le déroulement de l’instance, ils reflètent l’opinion du déclarant plutôt que de contenir des allégations factuelles, conformément à la règle 81(1).

 

Troisièmement, en ce qui a trait à l’affidavit de Jean-François Saint-Germain, il doit être maintenu dans son intégralité. M. Saint-Germain occupait le poste de Vice-président, Marchés publics et parapublics au moment de la terminaison de l’emploi du demandeur. Son affidavit relate principalement la situation chez Telus dans la période où a eu lieu la terminaison de l’emploi du demandeur ainsi que la nature de l’emploi du demandeur. À la lumière d’un examen de la sentence arbitrale, l’affidavit de M. Saint-Germain est conforme à la déposition faite devant le tribunal d’arbitrage.

 

CONSIDÉRANT qu’une partie peut, en vertu de la Règle 312 et avec l’autorisation de la Cour, déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux règles 306 et 307. Le demandeur ne peut se servir de la règle 312 pour diviser sa cause; il doit présenter la meilleure preuve le plus tôt possible. À cet égard, la Cour doit considérer si : a) les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice; b) les éléments de preuve aideront la Cour ; c) les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse; et d) ne portent pas sur des documents qui auraient pu être communiqués à une date antérieure et ne retarde pas indûment l’instance : Mazhero c. Canada (Conseil canadien des relations industrielles), 2002 CAF 295, 292 N.R. 187 au para 5; Atlantic Engraving Ltd. C. Lapointe Rosenstein, 2002 CAF 503, 299 N.R. 244 au para 8-9. Le pouvoir de la Cour de permettre le dépôt de documents complémentaires doit être exercé « avec une grande circonspection ».

 

L’affidavit amendé du demandeur contient plusieurs paragraphes qui, bien qu’ils aient subi quelques changements mineurs, sont autrement identiques à ceux radiés par la juge Tremblay-Lamer. [1] Ces paragraphes souffrent des mêmes vices que précédemment, c’est-à-dire qu’ils rapportent les témoignages des témoins de la défenderesse faits devant l’arbitre, qu’ils constituent de l’argumentation ou qu’ils rapportent des faits non admissibles en preuve. À cet égard, la présente requête du demandeur semble constituer un appel déguisé de cette dernière décision. Or, il est évident que la Cour, en l’espèce, ne peut intervenir afin de modifier, de remplacer ou de faire indirectement échec à l’ordonnance de la juge Tremblay-Lamer.  

 

De plus, le demandeur n’a pas démontré que les conditions de la règle 312 étaient réunies. Dans un premier temps, le demandeur n’a fourni aucune explication relativement à son défaut de ne pas avoir produit ces éléments de preuve en temps opportun. Vu la nature des allégations contenues dans son affidavit amendé, il ressort que cette information était disponible au moment ou le demandeur a signifié son premier affidavit dans le dossier. En effet, une grande partie du matériel porte sur la preuve lors de l’audition devant l’arbitre, le déroulement de l’instance, le contenu des témoignages des représentants de la défenderesse ou du témoignage du demandeur, les circonstances entourant la terminaison de l’emploi du demandeur ou des informations sur ce dernier. Dans un deuxième temps, la Cour n’est pas convaincue que la production de cet affidavit amendé servira l’intérêt de la justice ou aidera la Cour.

 

Quant aux affidavits de Claude Gravel et de Jacques Gagné, datés respectivement du 25 mars et du 31 mars 2010, ils sont substantiellement identiques à ceux qui ont été radiés par l’ordonnance de la juge Tremblay-Lamer. Plusieurs paragraphes sont repris intégralement, à l’exception de l’ajout de certains mots tel que « alors que j’étais présent », « alors que j’assistais à l’audition », « personnellement », « en ma présence », « selon mon constat » ou encore, « devant moi ». Ces modifications de forme n’ont pas eu pour effet de modifier la substance ou le contenu de ces affidavits. En effet, ceux-ci rapportent les témoignages de tierces personnes faits à l’audience et rapportent l’opinion personnelle des déclarants relativement à la gestion de l’instance, la preuve administrée, le comportement de l’arbitre et la conduite du procureur de la défenderesse. Par conséquent, l’ordonnance recherchée par le demandeur semble viser à réintroduire en preuve les affidavits radiés en totalité par la juge Tremblay-Lamer.

 

CONSIDÉRANT l’absence de dossier certifié au présent dossier, il est impossible pour la Cour de se prononcer à ce stade sur la question à savoir si les pièces suivantes correspondent effectivement à des pièces qui se trouvaient devant l’arbitre : pièces 2, 5, 6 de l’affidavit de M. Sarault et pièces 1, 2, 3 de l’affidavit de M. Depani.  La Cour tranchera cette question, si cela est toujours nécessaire après réception du dossier certifié.

 

CONSIDÉRANT qu’il est bien établi que la preuve admissible dans le cadre d’un contrôle judiciaire est généralement limitée au dossier du tribunal ou du décideur. Toutefois, la preuve supplémentaire peut être admissible lorsqu'elle décrit la procédure ainsi que la preuve présentée au décideur dont la décision fait l’objet de la révision judiciaire et met en jeu une question de manquement à l’équité procédurale. [2]

 

En ce qui concerne les pièces 8 et 10 de l’affidavit de M. Sarault, celles-ci ne se trouvaient pas devant le tribunal d’arbitrage et constituent ainsi de la preuve nouvelle. La pièce 8 est un tableau indiquant la durée des interrogatoires et des contre-interrogatoires de chacun des témoins ainsi que le temps alloué à la gestion de l’instance par l’arbitre. Quant à la pièce 10, elle contient une liste des documents demandés et indique si ceux-ci ont été déposés devant le tribunal. Vu les allégations du demandeur dans son affidavit et dans son avis de demande relativement au déroulement de l’audition, de la communication de documents ainsi que de la preuve faite devant le tribunal, il y a lieu de rejeter la requête du demandeur à cet égard. Ces pièces contiennent des informations générales susceptibles d’être utiles au juge du fond. Elles sont admissibles en preuve et ne devraient pas être radiées. [3]

Compte tenu du succès partagé et du fait que cette requête résulte en quelque sorte de celle déposée par la défenderesse et sur laquelle la juge Tremblay Lamer s’est penchée, aucun dépens n’est accordé ;

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête du demandeur est accueillie en partie.
  2. L’ordonnance visant le rejet des paragraphes de l’affidavit de M. Jean-François Saint-Germain est rejetée.
  3. Les paragraphes suivants de l’affidavit de M. Roberto Depani sont radiés : 28, 32.
  4. Les paragraphes suivants de l’affidavit de M. Yves Sarault sont radiés : 61, 62, 63, 65, 67, 68, 70, 82, 83 de même que la portion suivante du paragraphe 81 : « particulièrement en intervenant peu quant à la pertinence des questions posées tant en interrogatoire qu’en contre-interrogatoire, en faisant preuve de flexibilité et de compréhension à son égard ».
  5. Le dépôt de l’affidavit amendé du demandeur n’est pas autorisé.
  6. Le dépôt des affidavits complémentaires de M. Claude Gravel et M. Jacques Gagné n’est pas autorisé.
  7. La requête en radiation des pièces 8 et 10 déposées au soutien de l’affidavit de M. Yves Sarault est rejetée.
  8. La Cour décidera de la requête visant les pièces 2, 5, 6 de l’affidavit de M. Sarault et pièces 1, 2, 3 de l’affidavit de M. Depani, si nécessaire après avoir reçu le dossier certifié du tribunal.

 

« Johanne Gauthier »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-2087-09

 

INTITULÉ :  ROBERT GRAVEL C. TELUS COMMUNICATIONS INC.

 

REQUÊTE ÉCRITE CONSIDÉRÉE Ā QUÉBEC, QUÉBEC SUITE Ā LA RÈGLE 369 LE 8 AVRIL 2010

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :  1 JUIN 2010

 

 

PRÉTENTIONS ÉCRITES PAR:

 

Robert Gravel

 

POUR LE DEMANDEUR

(lui-même)

 

Jean-François Dolbec

Pierre-Étienne Morand

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Gravel

Québec (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

(lui-même)

Heenan Blaikie Aubut

Québec (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 



[1] Voir, par exemple, les paragraphes 10.1, 16.1, 31.1, 33.1, 36.1, 65.1, 65.2, 66.1, 73.1, 73.2, 74.1-74.3, 78.1 de l’affidavit amendé du demandeur.

[2] Nametco Holdings Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 149, 113 A.C.W.S. (3d) 927 au para 2.

[3] Armstrong, para. 40.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.