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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100601

Dossier : IMM‑5133‑09

Référence : 2010 CF 583

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2010

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

MUSTAFA SELDUZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION ET LE

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 162 A.C.W.S. (3d) 1013 :

[12]      La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile. Néanmoins, une demande d’ERAR peut nécessiter l’examen de quelques‑uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile. Dans de tels cas, il y a un risque évident de multiplication inutile, voire abusive, des recours. La LIPR atténue ce risque en limitant les preuves qui peuvent être présentées à l’agent d’ERAR. Cette limite se trouve à l’alinéa 113a) de la LIPR, ainsi formulé :

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet; […] .

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection; [… ] .

 

(Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a précisé dans un arrêt unanime, rédigé par la juge Karen Sharlow).

 

[2]               Le principe directeur qui régit la présentation de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) est clairement énoncé par la juge Judith Snider dans la décision Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379, 153 A.C.W.S. (3d) 421 :

[5]        […] Le but de l’ERAR n’est pas de débattre à nouveau des faits présentés à la SPR. La décision de la SPR doit être considérée comme définitive pour ce qui est de la question de la protection prévue aux articles 96 ou 97, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision. Ainsi, par exemple, l’éclatement d’une guerre civile dans un pays ou l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi pourrait changer considérablement la situation du demandeur. Dans de telles situations, l’ERAR constitue le moyen d’évaluer ces nouveaux risques.

 

II.  Introduction

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’égard d’une décision par laquelle, le 2 octobre 2009, une agente d’ERAR a décidé que le demandeur n’a qualité ni de réfugié au sens de la Convention, ni de personne à protéger.

 

III.  Le contexte

[4]               Le demandeur, M. Mustafa Selduz, âgé de 46 ans, est un citoyen de la Turquie. Il a demandé l’asile sur le fondement de son appartenance ethnique kurde et de ses convictions religieuses alevi. M. Selduz soutient que son village était surveillé par l’armée turque en raison de conflits avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK), un parti séparatiste. Il allègue avoir été arrêté par la police turque en 1999, 2002, 2004, 2005 et 2006, et avoir été victime de torture. Il affirme avoir quitté la Turquie avec l’aide d’un agent. Il est arrivé aux États‑Unis le 20 juillet 2006, et il y est resté pendant approximativement une semaine, avant de venir au Canada le 27 juillet 2006. 

 

[5]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur en raison d’un certain nombre de doutes touchant sa crédibilité, notamment en raison des contradictions relevées entre son formulaire de renseignements personnels (le FRP) et le témoignage qu’il a donné de vive voix, de même que de son omission de consulter un médecin, du temps qu’il a mis à quitter la Turquie et de sa capacité de quitter la Turquie muni d’un passeport turc valide (ainsi qu’il est mentionné dans la décision de la SPR, d’après un rapport publié au mois d’avril 2002 par la délégation néerlandaise du Conseil de l’Union européenne, pour que les autorités délivrent un passeport turc à un citoyen turc, la police doit avoir accordé son autorisation). La SPR a critiqué le demandeur également pour ne pas avoir demandé l’asile à la première occasion, aux États‑Unis. Elle s’est fondée sur la preuve documentaire pour conclure que le demandeur ne courrait aucun risque d’être persécuté s’il était renvoyé en Turquie.

 

IV.  La décision contestée

[6]               Le demandeur a produit trois éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés à la SPR; il s’agit de deux mandats d’arrestation, le premier, daté de 1999, et le second, daté de 2007, et d’un rapport médical récent dans lequel sont analysées les cicatrices que le demandeur porte sur le corps. 

 

[7]               L’agente a refusé de prendre en considération le mandat d’arrestation de 1999 au motif qu’il aurait pu raisonnablement être produit devant la SPR. 

 

[8]               L’agente a rejeté la demande d’ERAR au motif que le mandat daté de 2007 et le rapport médical ne permettaient pas de contrer les conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité. Plus particulièrement, l’agente a attribué peu de valeur au rapport médical au motif qu’il reposait en grande partie sur du ouï‑dire (le rapport affirme que les blessures sont compatibles avec le traitement décrit dans l’exposé circonstancié du FRP du demandeur) et qu’il ne contenait aucune analyse indépendante. 

 

[9]               L’agente a passé en revue également des documents portant sur les nouvelles conditions dans le pays qui ont été produits par le demandeur, puis conclu que les conditions en Turquie n’ont pas évolué sensiblement depuis que la SPR a rendu sa décision.

 

[10]           L’agente a déterminé que les observations du demandeur étaient en grande partie une reformulation des arguments invoqués devant la SPR, et souligné qu’un ERAR n'est pas censé être un appel de la décision de la SPR.

 

V.  Les questions en litige

[11]           1) L’agente a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir une audience?

2) L’agente a-t-elle tiré des conclusions de fait déraisonnables?

3) L’agente a-t-elle omis d’examiner les observations à jour?

 

VI.  Les dispositions légales pertinentes

[12]           Les agents d’ERAR peuvent tenir des audiences en vertu de l’alinéa 113b) de la LIPR :

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

 

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) ) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

 

[13]           Il y aura habituellement tenue d’audience dans les cas où il est satisfait aux exigences énoncées à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) :

Facteurs pour la tenue d’une audience

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

Hearing – prescribed factors

 

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

VII.  La position des parties

            La position du demandeur

1) L’agente a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir une audience?

[14]           Le demandeur soutient que l’agente en est arrivée à sa décision sur le fondement de conclusions implicites touchant sa crédibilité, ce qui lui donne droit à la tenue d’une audience. Il fait valoir que les nouveaux éléments de preuve jettent un doute sur les conclusions de la SPR selon lesquelles M. Selduz ne fait face à aucun risque et que, s’ils avaient été admis, ils auraient justifié que soit accordée la protection. Le demandeur soutient que l’agente doit avoir douté de la véracité des mandats d’arrestation, parce qu’ils mentionnent clairement que M. Selduz est en danger. Il cite un certain nombre de décisions de la Cour fédérale qui montrent que, dans les cas où des décideurs ont confondu les conclusions sur la crédibilité avec la suffisance de la preuve, leurs décisions à l’issue de l’ERAR ont été annulées.

 

2) L’agente a-t-elle tiré des conclusions de fait déraisonnables?

[15]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en concluant que la preuve n'établissait pas que M. Selduz est recherché par les autorités. Les mandats d’arrestation, s’ils sont acceptés comme éléments de preuve crédibles, montrent clairement que M. Selduz est recherché.

 

3) L’agente a-t-elle omis de prendre en considération les observations à jour?

[16]           Le demandeur fait remarquer que les observations mises à jour aux fins de la demande d’ERAR ne sont pas mentionnées dans la liste des documents que l’agente a consultés pour rendre sa décision. Le demandeur soutient qu’il s’agit d’une erreur susceptible de révision parce que ces observations demandaient explicitement la tenue d’une audience si l’agente mettait en doute l’authenticité des nouveaux documents. En outre, il affirme que les observations relient les nouveaux éléments de preuve aux documents sur les nouvelles conditions dans le pays qui ont été présentés et montrent que M. Selduz correspond au profil d’une personne qui risque d’être persécutée en Turquie.

 

La position du défendeur

1) L’agente a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir une audience?

[17]           Le défendeur soutient que, dans le contexte des demandes d’ERAR, les audiences ne sont tenues que dans des cas exceptionnels, lorsque les questions de crédibilité sont « centrales » à la décision en cause. Le défendeur cite une jurisprudence suivant laquelle les demandeurs n’ont droit à la tenue d’une audience que dans les cas où la décision serait non fondée en raison d'une conclusion cruciale relative à la crédibilité.

 

[18]           Le défendeur soutient que la décision de l’agente ne reposait pas sur la crédibilité du demandeur, mais que plutôt la preuve n'étayait pas une conclusion favorable. Le défendeur fait valoir que la question véritablement en litige dans la présente affaire tient dans le poids qu’il convient d’attribuer à la preuve, et soutient qu’il était raisonnablement loisible à l’agente d’accorder peu de poids aux mandats et à l’opinion médicale. 

 

2) L’agente a-t-elle tiré des conclusions de fait déraisonnables?

[19]           Le défendeur soutient que l’agente a conclu que le demandeur a formulé essentiellement les mêmes risques dont il avait fait état devant la SPR et que les nouveaux éléments de preuve produits étaient insuffisants pour permettre d’en arriver à une conclusion différente de celle de la SPR. 

 

[20]           Le défendeur soutient qu’un ERAR n'est pas censé être un appel d’une décision défavorable de la SPR. Il ajoute que le demandeur n'a pas produit de nouveaux éléments de preuve établissant qu’il serait exposé à un risque s’il était renvoyé en Turquie. 

 

[21]           Le défendeur soutient que l’agente a expliqué clairement la raison pour laquelle elle avait attribué peu de poids aux nouveaux éléments de preuve, à savoir que les deux mandats d’arrestation contenaient des divergences sur le crime dont la perpétration était alléguée. Le défendeur soutient que l’agente a conclu raisonnablement que le demandeur n’avait pas réfuté la conclusion de la SPR concernant la facilité apparente avec laquelle il avait pu quitter la Turquie. 

 

3) L’agente a-t-elle omis de prendre en considération les observations à jour?

[22]           Le défendeur soutient qu’il est clair que l’agente a pris en considération les nouvelles observations, puisqu’elle a conclu que l'avocat du demandeur avait essentiellement reformulé les observations qui avaient été présentées à la SPR.

 

 

La réponse du demandeur

[23]           Le demandeur soutient qu’il faut accorder peu de poids à l’affidavit de l’agente ou ne pas lui en accorder du tout, puisqu’il existe une jurisprudence selon laquelle il est inacceptable que des agents justifient leurs décisions rétroactivement.

 

VIII.  La norme de contrôle

[24]           La Cour est d’avis, comme le défendeur, que la question de savoir si une audience aurait dû être tenue touche l’équité procédurale et doit être examinée sur le fondement de la décision correcte comme norme de contrôle (Olson c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 458, 157 A.C.W.S. (3d) 593).

 

[25]           Les deux autres questions en litige attaquent les conclusions de l’agente sur des questions mixtes de fait et de droit, de sorte qu’elles doivent être examinées sur le fondement de la norme de raisonnabilité.

 

IX.  Analyse

1) L’agente a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir une audience?

[26]           L’agente a fait mention de l’objectif qui sous‑tend le processus d’ERAR en citant la décision Perez, précitée, dans laquelle la juge Snider a conclu dans les termes suivants :

[5]        Il est bien établi que l’ERAR ne constitue pas un appel d’une décision de la SPR (Kaybaki c. Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 32, au paragraphe 11; Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. n1101, au paragraphe 21 (C.F.); Klais c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n949, au paragraphe 14 (C.F.)). Le but de l’ERAR n’est pas de débattre à nouveau des faits présentés à la SPR. La décision de la SPR doit être considérée comme définitive pour ce qui est de la question de la protection prévue aux articles 96 ou 97, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision. Ainsi, par exemple, l’éclatement d’une guerre civile dans un pays ou l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi pourrait changer considérablement la situation du demandeur. Dans de telles situations, l’ERAR constitue le moyen d’évaluer ces nouveaux risques.

 

[27]           En ce qui concerne l’objectif qui sous‑tend l’article 167 du Règlement, la Cour est guidée par les directives formulées par le juge Michael Phelan dans la décision Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27, 50 Imm. L.R. (3d) 306 :

[16]      Je suis d'avis que l'article 167 devient opérant lorsque la crédibilité est remise en question d'une façon qui peut donner lieu à une décision défavorable à l'issue de l'ERAR. Il a pour objet de permettre à un demandeur de répondre aux réserves formulées au sujet de sa crédibilité.

 

[28]           Dans la décision Abdou c. Canada (Procureur général), 2004 CF 752, 135 A.C.W.S. (3d) 298, le juge Luc Martineau a répondu à la question de savoir à quel moment une réserve est « formulée » au sujet de la crédibilité, dans les termes suivants :

[3]        […] Ces facteurs apparaissant à l'article 167 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, D.O.R.S./2002-227, indiquent que, pour qu'une audience soit tenue, il faut que la preuve révèle une question importante et cruciale eu égard à la crédibilité du demandeur. Ainsi, le droit à l'audition dans le cadre de la procédure ERAR existe en autant que la crédibilité est llément clé sur lequel l'agent fonde sa décision et que sans une conclusion déterminante concernant celle-ci, la décision n'aurait pas sa raison d'être […]

 

[29]           Bien que, dans sa décision, l’agente renvoie aux conclusions que la SPR a tirées en matière de crédibilité, la décision Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, 256 F.T.R. 53, conf. par 2005 CAF 160, 339 N.R. 233, établit que les renvois à des conclusions de crédibilité antérieures ne font pas nécessairement de la crédibilité l'élément central d’une décision prise au terme d’un ERAR :

[25]      Selon le défendeur, ces facteurs sont cumulatifs, en raison de l’emploi de la conjonction « and », dans la version anglaise de l’article 167 du Règlement. Les conclusions de la demande d’ERAR des demandeurs se résumaient à des arguments qui s’ajoutaient à leurs conclusions en vue de faire partie de la catégorie des DNRSRC, et elles répétaient la version donnée par les demandeurs, et elles ne sont donc pas exceptionnelles. Selon le défendeur, l’agente a fondé sa décision sur l’absence d’une preuve attestant un risque personnalisé, et non sur la crédibilité ou l’absence de crédibilité des demandeurs. La question de la crédibilité n’était pas essentielle pour la décision de l’agente d’ERAR. Le défendeur affirme que, puisque la décision de l’agente d’ERAR ne soulève pas une question sérieuse de crédibilité, elle n’avait nulle obligation de tenir une audience. Selon l’interprétation donnée par la Cour, une question sérieuse de crédibilité est une question de crédibilité qui est essentielle pour la décision en cause, ce qui n’est pas le cas ici.

 

[26]      Je suis d’avis que, même si la décision d’ERAR mentionne effectivement que la SSR a conclu à l’absence de crédibilité des demandeurs, l’agente n’a pas fait reposer sa décision sur cette conclusion de la SSR, et la conclusion de la SSR n’a pas été un facteur déterminant dans les motifs de la décision de l’agente. L’agente n’a pas commis d’erreur parce qu’elle a fait état de la décision de la SSR, et d’ailleurs, dans le contexte d’une demande d’ERAR, il était juste qu’elle en fasse état. L’alinéa 113c) de la LIPR prévoit que, pour l’examen d’une demande de protection, il est tenu compte des facteurs énumérés dans les articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[30]           La difficulté, dans les affaires de ce type, a été bien résumée par le juge James Russell dans la décision Latifi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1388, 58 Imm. L.R. (3d) 118 :

[60]      Il est fort difficile de séparer la « suffisance » et la « crédibilité » dans le contexte d'une décision relative à une ERAR qui remplace une décision défavorable concernant le statut de réfugié fondée sur la crédibilité. Eu égard aux faits de la présente affaire, je crois que l'agente n'était pas suffisamment consciente de la distinction, de sorte qu'elle a confondu les questions de crédibilité et les questions de suffisance.

 

[31]           L’agente a conclu que la nouvelle preuve, bien qu’elle fût probante, ne remettait pas en question la décision de la SPR. La crédibilité n’est pas en litige dans la présente affaire, car le demandeur a soumis les mêmes allégations que la SPR a rejetées. Pour que le demandeur obtienne une décision favorable au terme d’un ERAR, il devrait répondre à la totalité des conclusions tirées par la SPR. La décision de permettre la tenue d’une audience dans de telles circonstances équivaudrait à une reprise du processus de décision initial et, comme la décision Perez, précitée, le précise, là n’est pas le rôle d’un ERAR.

 

 

2) L’agente a-t-elle tiré des conclusions de fait déraisonnables?

[32]           Le demandeur relie cette question à celle qui a été abordée précédemment, affirmant que ces conclusions auraient pu être évitées si une audience avait été tenue. Il soutient essentiellement qu’un mandat d’arrestation est à ce point probant à première vue qu’il doit soit être accepté comme faisant état d’un risque crédible et solidement établi, soit être écarté et donner lieu à la tenue d’une audience. 

 

[33]           Il semble que le demandeur tente de décrire la suffisance de la preuve en des termes de conclusion en matière de crédibilité. Dans la décision Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, 74 Imm. L.R. (3d) 306, le juge Russel Zinn a expliqué la différence entre l’insuffisance de la preuve et la crédibilité. Il a appliqué ses conclusions aux faits de cette affaire de la manière suivante :

[34]      Je pense aussi qu’il n’y a rien dans la décision contestée qui indique qu’une partie quelconque de cette décision était basée sur la crédibilité de la demanderesse. L’agent ni ne croit ni ne croit pas que la demanderesse est lesbienne – il n’est pas convaincu. Il dit que la preuve objective n’établit pas qu’elle est lesbienne. En bref, il a conclu qu’il y avait un élément de preuve – la déclaration de l’avocate – mais que c’était insuffisant pour établir, selon la prépondérance de la preuve, que Mme Ferguson était lesbienne. Selon moi, cette conclusion ne remet pas en cause la crédibilité de la demanderesse.

 

[34]           L’agente a accepté la nouvelle preuve comme étant crédible, mais elle est demeurée non convaincue qu’elle établit l’existence d’un risque, en raison des divers problèmes qui sont survenus pendant le processus d’immigration du demandeur; par exemple, le mandat d’arrestation de 2007 ne réfute pas la conclusion de la SPR concernant la capacité de M. Selduz de quitter la Turquie. Le demandeur soutient avoir constamment maintenu qu’il avait obtenu l’aide d’un passeur, mais cette explication a été rejetée par la SPR. 

 

[35]           Suivant la norme de raisonnabilité, la Cour ne doit pas soupeser à nouveau la preuve qui a été présentée à l’agente. La Cour conclut que la décision de l’agente a un fondement logique. Annuler cette décision dans les circonstances de la présente affaire reviendrait, dans les faits, à dicter sa décision à l’agente. 

 

3) L’agente a-t-elle omis de prendre en considération les observations à jour?

[36]           Bien qu’il soit regrettable que l’agente ait omis de mentionner les observations à jour sur la demande d’ERAR, la Cour ne peut conclure à l’existence d’une erreur susceptible de révision sur cette question. Les observations à jour du demandeur ont servi à présenter la nouvelle preuve et à demander la tenue d’une audience si les documents suscitaient des réserves. Les nouvelles observations liaient aussi la nouvelle preuve aux documents sur les conditions dans le pays, selon lesquels les personnes soupçonnées d’activités séparatistes sont exposées à un risque.

 

[37]           Si l’on interprète la décision dans son ensemble, il est clair que l’agente a effectué l’analyse demandée dans les observations à jour. L’agente a accepté les nouveaux éléments de preuve, elle a conclu que ceux‑ci ne justifiaient pas la tenue d’une audience, au motif que la crédibilité de M. Selduz n’était pas en litige, et elle a estimé que les conditions en Turquie n’avaient pas changé sensiblement depuis que la SPR avait rendu sa décision.

 

X.  Conclusion

[38]           La LIPR et la jurisprudence sont claires : un ERAR n'est pas censé être un appel d’une décision de la SPR. La SPR a fondé sa décision défavorable sur un grand nombre de facteurs. Cette décision doit être considérée comme étant définitive en l’absence d’une nouvelle preuve. Bien que la nouvelle preuve ait été acceptée dans la présente affaire, elle ne permettait pas de surmonter les nombreux problèmes dont la SPR avait décelé l’existence. Si une audience était accordée, l’agente serait contrainte de se prononcer à nouveau sur toute la décision de la SPR, ce que, comme il ressort clairement de la jurisprudence, elle ne peut faire sans une nouvelle preuve sur le fondement de laquelle elle peut tirer une conclusion différente de celle de la SPR.

 

[39]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur sera rejetée.

 

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5133-09

                                                           

 

INTITULÉ :                                       MUSTAFA SELDUZ

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

                                                            DE LA PROTECTION CIVILE

                                                             

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 18 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 1er juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Angus Grant

 

POUR LE DEMANDEUR

Mme Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CATHERINE BRUCE AND ASSOCIATES

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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