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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20100527

Dossier : T-1243-09

Référence : 2010 CF 565

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

SAJIDA TANVEER

 

                                                                                                                                    demanderesse

 

                                                                             et

 

 

 

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La demanderesse interjette appel de la décision d'une juge de la citoyenneté rejetant sa demande de citoyenneté au motif que la preuve était insuffisante pour établir qu'elle avait satisfait à l'exigence de résidence énoncée dans la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29. À la fin de l'audience du présent appel, j'ai informé les parties que j'accueillerais l'appel de la demanderesse pour les motifs suivants.

 

Le contexte

[2]               Sajida Tanveer est une citoyenne du Pakistan. Le 29 juillet 1997, elle a obtenu la résidence permanente au Canada. Son fils et son mari sont des citoyens des États-Unis. Le 23 mars 2007, elle a présenté une demande de citoyenneté canadienne. Dans sa demande, elle a déclaré qu’au cours de la période pertinente, elle avait été absente du Canada pendant 358 jours, soit un voyage de 281 jours aux États-Unis le 23 mars 2003 et un voyage de 77 jours au Pakistan le 3 février 2006. La juge de la citoyenneté a interviewé la demanderesse le 7 avril 2009 et à cette occasion, celle-ci a fourni des documents supplémentaires à l'appui de sa résidence. 

 

[3]               La juge de la citoyenneté a rejeté la demande de Mme Tanveer et a déclaré ce qui suit :

[traduction] […] après avoir examiné tous les documents que vous avez présentés, vous avoir interrogée personnellement et pour les motifs ci‑dessous, je ne suis pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements fournis reflètent avec exactitude le nombre de jours où vous avez été réellement présente au Canada.

 

Les motifs pour en arriver à cette conclusion peuvent être résumés selon les sept points suivants :

1)                  le passeport de la demanderesse n'indiquait aucune entrée aux États-Unis pendant la période pertinente;

 

2)                  la carte d'assurance-maladie de l'Ontario de la demanderesse, son permis de conduire, ainsi que les relevés bancaires n'étaient que des indices passifs de résidence;

 

3)                  la demanderesse avait un revenu minime pour les années d’imposition pertinentes et un revenu négatif pour l'année d'imposition 2006;

 

4)                  la demanderesse n'a pas rendu visite à son médecin au cours de la période du 26 novembre 2004 au 8 janvier 2006;

 

5)                  le fils de la demanderesse a reçu un diagnostic de trouble du spectre autistique, mais il n'a rendu visite à un médecin qu'à quelques reprises après le 28 décembre 2003;

 

6)                  la demanderesse n'a pas fourni de bail pour la période d'avril à octobre 2006 et n'a pas fourni de preuve de paiement du loyer pour les autres périodes pertinentes;

 

7)                  la demanderesse a présenté un document d'appui prétendant qu'elle avait subi un traitement d'épilation au laser à un moment où elle prétendait également qu'elle était au Pakistan et sur ce reçu figurait une adresse que l'appelante n'a jamais mentionnée dans sa demande.

 

 

[4]               Se reportant au critère de résidence énoncé par le juge Muldoon dans Pourghasemi (Re) (1993), 62 F.T.R. 122 (1re inst.), la juge de la citoyenneté a conclu [traduction] « que tout compte fait, tout ce qui précède ne me convainc pas que vous avez satisfait aux exigences de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi ». La juge de la citoyenneté a alors examiné la question de savoir s'il était opportun de faire une [traduction] « recommandation favorable » pour l'application des paragraphes 5(3) et  5(4) de la Loi, mais a estimé qu'il n'existait pas de circonstances spéciales qui justifiaient une telle recommandation.

 

Les question en litige

[5]               La demanderesse soulève la question de savoir si la juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit parce qu'elle a écarté ou mal interprété des éléments de preuve lorsqu'elle a tiré la conclusion selon laquelle la demanderesse n'avait pas satisfait à l'exigence de résidence.

 

Analyse

[6]               Les deux parties s'entendent sur la norme de contrôle applicable. La question de savoir si un juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant qu’un demandeur n'avait pas satisfait à l'exigence de résidence est examinée selon la norme de raisonnabilité (Ghahremani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 411, au paragraphe 19).

 

[7]               Dans une demande de citoyenneté, c’est au demandeur « de produire une preuve établissant qu’il répondait aux conditions de résidence fixées dans la Loi » (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 763). Cependant, une fois que cette preuve est présentée, sous la forme de témoignages ou de documents, un juge de la citoyenneté doit fournir des explications si cette preuve est rejetée (Muhanna c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1289.

 

[8]               Lorsqu'on lit la décision dans son ensemble, il est évident que la préoccupation de la juge de la citoyenneté ne concernait pas la question de savoir si la preuve était suffisante, mais la question de savoir si la preuve de la demanderesse était crédible. La crédibilité peut susciter des préoccupations dans le cadre des demandes de citoyenneté lorsque la nature de la preuve, tels des baux, des relevés bancaires et des registres de rendez-vous, ne fournit pas une preuve indéniable qu'une personne était présente au Canada pendant une certaine période de temps ou même qu'elle était présente à un moment précis.

 

[9]               En l'espèce, une grande partie des éléments de preuve étaient constitués d'indices passifs de résidence au Canada et la juge de la citoyenneté a eu raison de vérifier ces éléments de preuve par rapport à d'autres éléments de preuve dans la demande et de mettre en doute la crédibilité la demanderesse au moment de l'entrevue. Comme je l'expliquerai ci-dessous, à mon avis, aucun élément de preuve documentaire ne contredisait directement le témoignage de la demanderesse quant à sa période de résidence au Canada. De plus, et fort malheureusement, rien dans la preuve ne donne à penser que la juge de la citoyenneté a, au cours de l'entrevue, posé des questions à la demanderesse sur les aspects de la preuve documentaire qu'elle trouvait troublants. 

 

[10]           J'examinerai les sept aspects de la demande que la juge de la citoyenneté trouvait troublants et sur lesquels elle a fondé la conclusion selon laquelle la demanderesse n'était pas crédible dans la déclaration de sa période de résidence canadienne. 

 

[11]           Premièrement, l'absence de tampons de visa d'entrée aux États-Unis dans le passeport de la demanderesse n'est pas une preuve qu'elle était au Canada, ni n'est une preuve qu'elle était à l'extérieur du Canada. La demanderesse a présenté son passeport pour corroborer les déclarations qu'elle avait faites concernant les périodes au cours desquelles elle était absente du Canada. Contrairement à l'affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Elzubair, 2010 CF 298, dans laquelle il existait nettement des contradictions entre la demande de la demanderesse et son passeport, il n'existe pas de contradiction apparente entre la demande de la demanderesse en l'espèce et son passeport. D'un point de vue technique, la juge de la citoyenneté avait raison de dire que le passeport ne prouve pas la présence physique au Canada, mais dans le même ordre d'idées, cela ne jette pas le doute sur les déclarations ou le témoignage de la demanderesse. 

 

[12]           Deuxièmement, bien que la juge de la citoyenneté ait déclaré à juste titre que la carte d'assurance-maladie de l'Ontario de la demanderesse, son permis de conduire et les relevés bancaires constituent tous des indices passifs de résidence, cela ne jette pas le doute sur les déclarations ou le témoignage de la demanderesse.

 

[13]           Troisièmement, un revenu faible ou négatif à l'égard d'une année d’imposition pertinente ne jette pas à lui seul le doute sur la crédibilité de la demanderesse. Un faible revenu peut avoir comme explication une autre source de soutien financier soit au Canada, soit dans un autre pays. La question évidente à poser aurait dû être de demander comment la demanderesse payait ses frais de subsistance avec un revenu si faible. Si la juge de la citoyenneté avait posé cette question, la réponse de la demanderesse, comme en fait foi l'affidavit déposé dans la présente instance, aurait été que son mari subvient à ses besoins. Une telle réponse ne constitue certainement pas une preuve d'absence de résidence. 

 

[14]           Quatrièmement, l'absence de visites chez le médecin pendant une période s'étalant sur un peu plus d'un an peut n'être rien d'autre qu'un indice de bonne santé ou l'absence d’un médecin de famille. Cela n'est pas une preuve qu'elle ne résidait pas au Canada.

 

[15]           Cinquièmement, il ressort du dossier que le fils de la demanderesse n'a pas été évalué pour des troubles du spectre autistique avant le 27 février 2007, environ un mois avant la présentation de sa demande. L'absence de visites chez un médecin avant cette date ne met pas en doute de façon importante la crédibilité de la demanderesse. De plus, il ne ressort pas clairement du dossier qu'on s'attendrait à ce qu'une personne atteinte d’autisme, même si elle avait été diagnostiquée bien avant, irait fréquemment chez le médecin. La juge de la citoyenneté ne fournit aucun motif de son appui sur l'apparente absence de visites chez le médecin et rien dans le dossier ne permet de conclure à la pertinence de cette absence.

 

[16]           Sixièmement, la juge de la citoyenneté a également tiré une conclusion défavorable erronée quant à la crédibilité en déclarant que la demanderesse avait omis de fournir un bail pour la période d'avril à octobre 2006. La juge de la citoyenneté avait tort. Le bail précédent cette période n'avait pas de date de fin. Il n'y a tout simplement pas de preuve qu'il existait un intervalle entre les baux fournis. 

 

[17]           Septièmement, la juge de la citoyenneté a aussi tiré une conclusion défavorable erronée quant à la crédibilité en déclarant que la demanderesse avait présenté des documents (un calendrier de traitement d'épilation au laser) qui donnaient à penser qu'elle était traitée au Canada à un moment où, selon sa déclaration, elle était au Pakistan. Ce document est un calendrier de traitement que la demanderesse a conclu avec une entreprise de traitement au laser le 8 novembre 2005. À la lecture des dates envisagées pour le traitement, la mention « Mar. 13 » [en anglais] renvoie manifestement au 13 mars 2007, ce que l'avocate du défendeur a reconnu à l'audience. Le calendrier de traitement comprend une liste chronologique des traitements à environ tous les deux mois à compter de novembre 2005. Les dates qui comportent l'année sont les suivantes [en anglais] : « Nov. 8, 05, Dec. 7, 05, Jan. 12, 06, May 30, 06, July 28, 06, Sept. 15, 06, and Nov. 22, 06 », soit le 8 novembre 2005, le 7 décembre 2005, le 12 janvier 2006, le 30 mai 2006, le 28 juillet 2006, le 15 septembre 2006 et le 22 novembre 2006. Les inscriptions « Mar. 13 » (le 13 mars) et « June 24 » (le 24 juin) suivent les inscriptions qui précèdent. Il est difficile de voir comment la juge de la citoyenneté a pu croire que l'inscription « Mar. 13 » désignait le 13 mars 2006, une date où la demanderesse a déclaré qu'elle était au Pakistan. L'avocate du défendeur a volontiers admis qu'elle ne pouvait offrir aucune explication pour la position adoptée par la juge de la citoyenneté. 

 

[18]           La juge de la citoyenneté a aussi tiré une conclusion défavorable du fait que l'adresse sur ce calendrier se trouvait sur Erin Mills Parkway, qui n'était pas une adresse que la demanderesse avait mentionnée dans les documents présentés avec la demande. Dans l'affidavit déposé à l'appui de la présente instance, la demanderesse atteste qu'elle a donné le nom de la rue de l'intersection où elle habitait, mais qu'elle ne pouvait pas prononcer le nom de la rue même où elle habitait. Le numéro de l'adresse et le numéro de téléphone correspondaient aux renseignements de sa demande. La conclusion tirée par la juge de la citoyenneté dans cet exemple et dans les autres exemples donnés révèle une lacune importante dans le processus qu'elle a suivi.

 

[19]           Le dossier ne contient aucune note évidente qui décrit le contenu de l'entrevue que la juge de la citoyenneté a eue avec la demanderesse. Rien dans le dossier ou la décision ne mentionne les questions posées et les réponses données. Si la juge de la citoyenneté avait des questions du genre que je viens d'analyser, elle aurait dû alors les poser à la demanderesse à l'entrevue et consigner les réponses. Dans la situation actuelle, il est impossible de déterminer quel but, dans l'esprit de la juge de la citoyenneté, devait avoir l'entrevue. La demanderesse a déposé un affidavit dans lequel elle offre des explications pour la plupart, sinon la totalité, des préoccupations exprimées par la juge de la citoyenneté dans ses motifs. Le défendeur a souligné à plusieurs reprises qu'il s'agissait de renseignements dont la juge de la citoyenneté n'avait pas été saisie, laissant entendre que la Cour devrait les écarter. Bien qu'il soit vrai que la juge de la citoyenneté n'a pas été saisie de l'affidavit, cela soulève la question de savoir pourquoi elle n'avait pas été saisie des renseignements pertinents qu'il contient. La juge de la citoyenneté en aurait été saisie si elle avait posé à la demanderesse des questions concernant les sujets qui la préoccupaient. Rien dans la demande ou les documents fournis n’est directement contradictoire et, en conséquence, en l'absence de questions de la part de la juge de la citoyenneté, la demanderesse ne pouvait aucunement connaître les sujets de préoccupation. Dans de telles circonstances, l'équité exigeait que la juge de la citoyenneté fasse part de ses préoccupations à la demanderesse pour que celle-ci puisse avoir l'occasion de connaître ce qu'il lui fallait démontrer. Dans les demandes de citoyenneté, le fardeau repose sur les épaules du demandeur, mais il n'incombe pas au demandeur de prévoir toutes les préoccupations que le juge de la citoyenneté peut avoir à l'égard des éléments de preuve présentés.

 

[20]           Le défendeur prétend que [traduction] « ce sont les motifs cumulés mentionnés […] ci-dessus qui ont amené la juge de la citoyenneté à conclure que la demanderesse ne s'était pas acquittée de son fardeau de montrer qu'elle avait été physiquement présente au Canada pendant la période exigée ». Compte tenu du manque de pertinence de ses motifs et des erreurs qui y sont commises, il n'est pas possible de dire que la décision de la juge de la citoyenneté était raisonnable. Les motifs cumulés fournis par la juge de la citoyenneté pour ne pas avoir cru la prétention de la demanderesse quant à sa résidence n'appuient pas raisonnablement la conclusion selon laquelle la demanderesse n'avait pas réussi à prouver qu'elle satisfaisait à l'exigence de résidence prévue par la Loi. En conséquence, le présent appel sera accueilli. 

 

[21]           La demanderesse a droit à ses dépens. Elle a suggéré un montant de 1 500 $ et le défendeur a suggéré un montant de 500 $ comme étant raisonnable. Je suis d'accord avec le défendeur. Le présent appel ne comportait rien de particulièrement complexe ou de difficile et l'avocate de la demanderesse connaissait les faits pour avoir représenté la demanderesse dans la demande initiale.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      Le présent appel est accueilli et la demande de citoyenneté de la demanderesse est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu'il rende une nouvelle décision.

 

2.      La demanderesse obtient ses dépens à hauteur de 500 $, honoraires, débours et taxes compris.

    « Russel W. Zinn »  

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1243-09

 

Intitulé :                                       SAJIDA TANVEER c. Le ministre de la citoyenneté et de L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 20 mai 2010

 

Motifs du jugement

et jugement :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 mai 2010

 

 

 

Comparutions :

 

Krassina Kostidinov

 

  Pour la demanderesse

Nur Muhammed Ally

 

 Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

Myles Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

     Pour le défendeur

 

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