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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100526

Dossier : T-139-06

Référence : 2010 CF 572

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 mai 2010

En présence de  monsieur le juge Mainville

 

 

ENTRE :

j2 COMMUNICATIONS GLOBALES, INC.

et CATCH CURVE INC.

demanderesses

et

 

PROTUS IP SOLUTIONS INC.

défenderesse

 

ET ENTRE :

 

PROTUS IP SOLUTIONS INC.

 

  demanderesse reconventionnelle

 

et

 

 

j2 COMMUNICATIONS GLOBALES, INC.

et CATCH CURVE INC.

 

  défenderesses reconventionnelles

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

  • [1] Protus IP Solutions Inc. (Protus) interjette appel d’une partie de l’ordonnance de madame la protonotaire Tabib datée du 27 avril 2010, dans laquelle Protus devait répondre à deux questions découlant d’un interrogatoire préalable continu.

 

Contexte

  • [2] L’action est le regroupement de deux actions en violation de brevets intentées contre Protus par j2 Global Communications, Inc. et Catch Curve Inc. (collectivement appelées j2) concernant les services MYFAX, VIRTUAL FAX et Fax-to-Fax de Protus.

 

  • [3] En guise de demandes reconventionnelles, Protus allègue, entre autres, que j2 a fait des déclarations fausses et trompeuses dans des communiqués de presse et dans des conversations en ligne en prétendant que Protus est le plus gros ou le deuxième plus gros émetteur de publicité-rebut par télécopieur, en violation de l’article 52 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, et de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13. Elle prétend également qu’elle a subi et continuera de subir des pertes et des dommages au Canada à la suite de ces déclarations.

 

  • [4] En octobre 2009, il y a eu une deuxième série d’interrogatoires préalables de toutes les parties, et toutes les parties ont présenté des requêtes visant à exiger des réponses aux interrogatoires, requêtes qui ont été entendues par la protonotaire Tabib pendant 11 jours, de janvier à mars 2010.

 

  • [5] Dans son ordonnance du 27 avril 2010, la protonotaire Tabib exigeait de Protus qu’elle réponde à certaines questions, y compris les deux questions qui font l’objet du présent appel, soit les numéros 976 et 1065. Les questions en cause et la décision de la protonotaire Tabib à l’égard de chacune de ces questions étaient les suivantes :

976 [TRADUCTION] Pourriez-vous vous renseigner sur le nombre moyen de télécopies qui étaient envoyées dans un envoi de masse?

 

1065 [TRADUCTION] Pourriez-vous me fournir la distribution des télécopies d’un envoi de masse? Par exemple, disons que vous avez deux ou trois clients et qu’ils envoient des milliers de documents par télécopieur. Je m’intéresse à la distribution du nombre de télécopies ainsi envoyées.

 

Décision : La question est circonscrite et peut servir à déterminer si des pourriels sont en cause. Il faut y répondre de façon raisonnable.

 

Décision : Je suis convaincue que la distribution (explications supplémentaires en utilisant les articles 1066 et 1068 comme exemples) est pertinente pour comprendre si le service est utilisé pour les pourriels; la question est donc pertinente. Il faut répondre à la question selon le principe de la réponse à une demande raisonnable formulée à un degré élevé de généralité.

 

 

Position de Protus

  • [6] Protus affirme que les questions auxquelles une partie doit répondre au moment de l’interrogatoire préalable sont définies par la pertinence, et que la pertinence est elle-même définie par les allégations dans les actes de procédure, et qu’elle est une question de droit et non de discrétion.

 

  • [7] Protus soutient que les réponses aux questions 976 et 1065 ci-dessus ne sont absolument pas pertinentes pour déterminer si Protus envoie de la publicité-rebut par télécopieur. Le terme « junk faxes » [publicité-rebut par télécopieur] utilisé dans les déclarations et les communiqués de presse de j2 qui sont en cause dans l’instance, renvoie aux télécopies qui seraient expédiées en violation des dispositions de la Telephone Consumer Protection Act [Loi sur la protection du consommateur par téléphone] (la « TCPA »), une loi fédérale des États-Unis d’Amérique. La TCPA n’inclut aucune interdiction fondée sur le nombre de télécopies envoyées par transaction, mais traite plutôt du contenu des télécopies, plus précisément du fait que les télécopies sont des « annonces non sollicitées » ou non. Ce terme est défini comme suit dans la TCPA :

[TRADUCTION] Le terme « publicité non sollicitée » désigne tout matériel annonçant la disponibilité commerciale ou une quantité de biens ou de services qui est transmis à une personne sans l’invitation expresse ou la permission préalable de cette personne, par écrit ou autrement.

 

 

 

  • [8] Par conséquent, lorsqu’on cherche à savoir si une télécopie est une « publicité-rebut par télécopie » en violation de la TCPA, les seules considérations pertinentes sont le contenu de la télécopie et la relation entre l’expéditeur et le destinataire. Par conséquent, l’information concernant le nombre moyen ou la distribution de télécopies n’est absolument pas pertinente pour déterminer si Protus est l’expéditeur de publicité-rebut par télécopie. Étant donné que la pertinence est une question de droit et que la réponse aux questions 976 et 1065 ci-dessus n’a absolument rien à voir avec les enjeux de l’instance, la décision de la protonotaire Tabib d’exiger une réponse à ces questions était manifestement erronée et devrait donc être renversée.

 

Position de j2

  • [9] j2 soutient que l’information demandée par ces deux questions en cause est en lien direct avec les allégations faites par Protus dans ses plaidoyers, c’est-à-dire que j2 a fait des déclarations fausses et trompeuses en affirmant que Protus est le plus gros ou le deuxième plus gros émetteur de publicité-rebut par télécopieur aux États-Unis.

 

  • [10] Bien que Protus fasse valoir que le terme « publicité-rebut par télécopieur » doit être défini en référence à la TCPA, le sens de ce terme est un point de litige entre les parties et est susceptible d’être beaucoup plus large que dans la définition de la TCPA présentée par Protus. Par exemple, la « publicité-rebut par télécopieur » peut désigner des communications non désirées par télécopieur envoyées en vrac plutôt que d’être limitée à des communications par télécopieur contenant des annonces non sollicitées. Par conséquent, j2 a le droit à un interrogatoire préalable au regard de la véracité ou de ou la fausseté des déclarations faites sur toute signification raisonnable possible de l’expression « publicité-rebut par télécopieur ». Des arguments semblables sont présentés par j2 au sujet des expressions « expéditeur » et « le plus gros » contenues dans les déclarations qu’elle a faites au sujet de Protus.

 

  • [11] Par conséquent, les renseignements demandés sur le nombre de télécopies de masse envoyées par Protus en un seul envoi ainsi que les autres renseignements demandés sont tout à fait pertinents pour l’instance. De plus, la concentration chez un petit nombre de clients de l’utilisation à grand volume du service de Protus laisserait croire que ces clients pourraient utiliser le service pour envoyer de la publicité-rebut par télécopieur.

 

  • [12] Par ailleurs, la protonotaire a accordé une grande latitude à Protus en lui permettant de répondre aux questions selon le principe de la réponse à une demanderaisonnable formulée à un degré élevé de généralité. De plus, la Cour devrait s’en remettre au pouvoir discrétionnaire de la protonotaire en ce qui concerne la gestion du fardeau de la partie intimée et l’équilibre du fardeau de communication de la preuve entre les parties.

 

Analyse

  • [13] C’est une règle de droit bien connue que l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire devrait être contrôlée en appel uniquement si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal ou qu’elle est fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits : Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459 Inc., [2003] A.C.F. no 1925 (QL), au par. 19. Les parties conviennent que les questions soulevées n’ont pas une influence déterminante sur l’issue du principal; par conséquent, Protus allègue que la protonotaire a manifestement eu tort d’ordonner une réponse aux questions 976 et 1065 ci-dessus.

 

  • [14] L’interrogatoire préalable a pour objectif général de favoriser l’équité et l’efficacité de l’instruction en permettant à une partie de se renseigner pleinement, avant l’instruction, sur la nature exacte des positions de l’autre partie de façon à pouvoir définir avec précision les questions qui se posent : Bande de Montana c. Canada, [2000] 1 C.F. 267, 172 F.T.R. 46, [1999] A.C.F. no 1088 (QL), au par. 5.

 

  • [15] La principale considération dans l’interrogatoire préalable est la pertinence : Apotex Inc. c. Canada, 2005 CAF 217, [2005] A.C.F. No 1021 (QL), aux par. 15-16; Bristol-Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., 2007 C.A.F. 379, [2007] A.C.F. no 1597 (QL), aux par. 30-31. Comme le mentionne Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 C.A.F. 438, [2003] A.C.F. no 1725, au par. 10 :

La jurisprudence de la Cour sur la portée de l’interrogatoire préalable est bien établie. On en trouve un résumé pratique dans la décision Reading & Bates Construction Co. et al c. Baker Energy Resources Corp. et al (1988) 24 C.P.R. (3rd) 66, aux pages 70 à 72 (C.F. 1re inst.). La première considération est incontestablement la pertinence. Cependant, si un protonotaire ou un juge estime qu’une question est pertinente, il peut néanmoins refuser d’ordonner d’y répondre si la réponse n’est d’aucun secours à la position juridique de la partie qui interroge, s’il faudrait beaucoup de temps, d’efforts et de dépenses pour obtenir une réponse vraisemblablement de peu de valeur ou encore si la question fait partie d’une « recherche à l’aveuglette » de portée vague et étendue.

 

 

  • [16] Protus soutient que les questions 976 et 1065 ne sont pas pertinentes puisque les réponses à ces questions n’aideront pas à déterminer si les transmissions par télécopieur étaient de la « publicité-rebut par télécopieur » selon la définition renvoyant à la TCPA. Cependant, si j’accepte l’argument présenté par Protus, je devrai décider dans cette requête de la signification de « publicité-rebut par télécopieur », une question en litige entre les parties qui devrait être tranchée par le juge du procès.

 

  • [17] Je ne peux conclure que la protonotaire avait manifestement tort de conclure que les questions 976 et 1065 étaient pertinentes et d’ordonner qu’on y réponde selon le principe de la réponse à une demande raisonnable. Le nombre et la distribution de télécopies envoyées en grand volume pourraient fort bien être pertinents compte tenu des enjeux soulevés dans cette instance, et il est raisonnable de croire que cette information pourrait aider le juge du procès à décider si j2 a fait des déclarations fausses ou trompeuses en violation de l’article 52 de la Loi sur la concurrence et à l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. Par conséquent, la protonotaire n’a pas fondé sa décision en l’espèce sur un mauvais principe ou sur une mauvaise compréhension des faits.

 

  • [18] Conformément à l’Avis aux parties et à la profession concernant les dépens à la Cour fédérale du 30 avril 2010, les parties ont informé la Cour qu’elles se sont entendues sur la décision et le montant des dépens pour cette requête. Une ordonnance corrélative au présent accord est donc prise.

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la requête  en appel de l’ordonnance de la protonotaire Tabib rendue le 27 avril 2010 est rejetée. Les dépens de la présente requête sont adjugés à j2 Communications, Inc. et Catch Curve Inc. sous la forme d’un montant forfaitaire total de 1 700,00 $, y compris les déboursés et toutes les taxes applicables dont la TPS, et en remplacement des dépens imposés.

 

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-139-06

 

 

ÉTAPE DE CAUSE : j2 GLOBAL COMMUNICATIONS, INC. c. PROTUS IP SOLUTIONS INC. ET AL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :  20 mai 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :  LE JUGE MAINVILLE

 

 

DATE DES MOTIFS :  26 mai 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul Lomic

 

POUR LES DEMANDERESSES

Kevin K. Graham

Daniel S. Davies

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RIDOUT & MAYBEE LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Smart & Biggar

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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