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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100527

Dossier : IMM‑5320‑09

Référence : 2010 CF 580

[TRACTUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON-RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

BAOJU XIE, HUIJIUAN JIANG

ET XIE MOY LY JIANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle, le 9 septembre 2009, l’agent d’immigration S. Neufeld a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 2001, ch. 27 (« LIPR »).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’en suis arrivé à la conclusion que l’agent n’a commis aucune erreur qui justifie l’intervention de la Cour. En conséquence, je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I.          Les faits

[3]               Les demandeurs, Baoju Xie et Huijiuan Jiang, un homme et sa femme, sont des citoyens de la Chine. Ils ont d’abord eu un fils, puis une fille, Xiaoyin, née en 1983. En raison de la politique de l’enfant unique de la Chine, les demandeurs ont été condamnés à payer une amende pour avoir eu un deuxième enfant.

 

[4]               Afin de payer cette amende, qui était fort substantielle, le demandeur principal, Baoju, a déménagé au Pérou, où ses parents résidaient. Les autres membres de sa famille l’ont finalement rejoint en 1986, car ils continuaient d’éprouver des difficultés en Chine. Ils affirment que Xiaoyin était une personne sans statut, ne possédant ni droit ni avantage, au motif qu’elle était une deuxième enfant. En 1991, le demandeur principal et son épouse ont eu une troisième enfant, Xie Moy Ly Jiang, qui, née au Pérou, est une citoyenne de ce pays.

 

[5]               Au Pérou, Baoju Xie et Huijiuan Jiang exploitaient un restaurant dont ils étaient propriétaires. Ils ont déclaré avoir été victimes d’extorsion et de harcèlement et ont allégué que, lorsqu’ils s’en sont plaints à la police, ils se sont fait dire de retourner en Chine. Les demandeurs Baoju et Huijiuan ont donc décidé de mettre la clé à la porte de leur entreprise en 2004 et d’accompagner leur fille aînée Xiaoyin au Canada, où cette dernière avait obtenu un visa d’étudiant. Leur fils est resté au Pérou, tandis que leur fille cadette les a accompagnés au Canada. 

 

[6]               Un mois après leur arrivée au Canada, en avril 2004, les trois demandeurs ont présenté une demande d’asile pour des motifs de discrimination raciale et de harcèlement. Le 1er août 2006, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « CISR » ou la « Commission ») a rejeté leur demande. Elle a refusé d’accorder la protection demandée aux demandeurs Baoju et Huijiuan conformément à l’article 1E de la Convention, en raison de leur statut de résidents permanents du Pérou à l’époque. En réponse à la crainte que les demandeurs aient pu perdre leur statut de résidents permanents au Pérou parce qu’ils avaient quitté ce pays, la Commission a déterminé sur le fondement de la preuve documentaire que, s’il faut satisfaire aux obligations de résidence du Pérou pour y maintenir le statut de résident et qu’il est possible de perdre celui‑ci par déchéance, un particulier peut cependant présenter une nouvelle demande aux autorités compétentes pour rétablir son statut de résident permanent.

 

[7]               En outre, la Commission a conclu que la preuve documentaire n’établissait pas que les ressortissants chinois vivant au Pérou sont victimes de persécution, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités en raison de leur race. Elle a déterminé que les allégations des demandeurs selon lesquelles ils avaient été des victimes à maintes reprises étaient, selon la prépondérance des probabilités, le résultat de leur statut de propriétaires d’entreprise et que, par conséquent, un changement d’occupation pourrait régler cette situation.

 

[8]               La Commission a conclu également qu’il n’y avait aucune preuve convaincante que la fille du demandeur principal, Xie Moy Ly Jiang, citoyenne du Pérou, craignait avec raison d’être persécutée au Pérou ou était une personne à protéger. Le tribunal a conclu que l’allégation des demandeurs selon laquelle elle serait la cible de criminels dans le futur en raison de sa race, tenait à des conjectures et qu’elle ne reposait sur aucun fait ni aucun des éléments de la preuve documentaire. 

 

[9]               En mai et en juin 2007 respectivement, les demandeurs ont présenté leurs demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire (lesquelles incluaient également leur fille aînée Xiaoyin) et leur demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Les deux demandes ont été rejetées en septembre 2009.

 

[10]           Les demandeurs Baoju et Huijiuan ont été renvoyés en Chine le 5 décembre 2009, tandis que leur fille Xie Moy Ly a été renvoyée au Pérou le 7 décembre 2009.

 

II.         La décision contestée

[11]           Dans un premier temps, l’agent d’immigration a énoncé les critères auxquels il faut satisfaire pour obtenir une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire : le demandeur a la charge de convaincre le décideur que sa situation personnelle est telle que les difficultés que le refus d’une dispense entraînerait seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agent a ensuite examiné les différents facteurs invoqués par les demandeurs.

 

[12]           Il a d’abord passé en revue l’historique de la famille et son statut en Chine et au Pérou, puis il a pris en considération les difficultés auxquelles les demandeurs pourraient devoir faire face s’ils retournaient soit en Chine, soit au Pérou. En ce qui concerne le Pérou, l’agent d’immigration a expliqué que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment de renseignements pour lui permettre de déterminer si M. Baoju et Mme Huijiuan seraient en mesure de reprendre leur statut de résidents permanents, qui a probablement expiré en raison de leur longue absence. L’agent a déclaré également que l’on ne peut dire avec certitude si le fils aîné du demandeur principal et ses parents vivent encore au Pérou, comme c’était le cas au moment où ils ont présenté leur demande d’asile. Il s’est fondé ensuite sur le « Country Report on Human Rights Practices in Peru » de 2008 du Département d’État américain, produit en preuve par les demandeurs, pour conclure qu’aucun cas de discrimination ou d’abus sociétal n’était signalé, et que les lois du Pérou protègent de nombreux droits de la personne. Sur ce fondement, il a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils éprouveraient, au Pérou, des difficultés dues à une discrimination. En outre, l’agent d’immigration a conclu que, bien que le taux de criminalité soit élevé au Pérou, les demandeurs pourront obtenir une protection policière suffisante. 

 

[13]           En ce qui concerne la crainte des demandeurs de retourner en Chine en raison de la politique de l’enfant unique, l’agent d’immigration a déterminé que cette crainte n’était pas fondée. En fait, a‑t‑il expliqué, la fille aînée, dont la naissance a forcé les demandeurs à quitter la Chine, est maintenant âgée de 26 ans et a déjà bénéficié d’une éducation au Pérou et au Canada. De plus, les deux filles sont aujourd’hui des adultes, et aucune preuve n’appuie la prétention selon laquelle elles continueront de faire face à des difficultés en Chine en raison de la politique sur la planification familiale.

 

[14]           L’agent d’immigration a expliqué également que la fille cadette est une citoyenne du Pérou. Il a reconnu, en se fondant sur un document intitulé « Citizenship Laws of the World », qu’un enfant ne peut obtenir la citoyenneté chinoise du fait de sa descendance s’il a acquis la citoyenneté du nouveau pays du parent. Malgré cela, il a conclu que la fille cadette pouvait demander la citoyenneté chinoise par naturalisation avec l’appui de ses parents proches qui vivent en Chine. Pour cette raison, il a déterminé que les demandeurs n’éprouveraient aucune difficulté en Chine.

 

[15]           En ce qui a trait au degré d’établissement au Canada, l’agent d’immigration a admis que les demandeurs avaient présenté une preuve faisant état d’un certain degré d’établissement. Il a bien vu que Mme Huijiuan avait subi une blessure à la tête, mais il a expliqué qu’il ne disposait pas de renseignements suffisants pour déterminer si son rétablissement ou un litige potentiel nécessiterait son retour au Canada ou un séjour ici. Après avoir examiné les dossiers d’emploi et d’études des demandeurs, l’agent a conclu que la preuve n’établit pas un degré d’établissement au Canada suffisant pour causer aux demandeurs des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils étaient renvoyés.

 

[16]           Se penchant sur la question des intérêts des enfants, l’agent a déclaré qu’il ne disposait pas de suffisamment de renseignements pour souscrire à l’opinion suivant laquelle l’une ou l’autre des deux filles éprouverait des difficultés à son retour au Pérou ou en Chine. De plus, la fille aînée a présenté une demande de résidence permanente au Canada en qualité de travailleuse qualifiée, dans laquelle elle a indiqué jouir d’un certain degré d’indépendance vis‑à‑vis de sa famille en tant qu’adulte.

 

[17]           Finalement, l’agent d’immigration a conclu qu’il n’y avait aucune indication que les demandeurs éprouveraient des difficultés à réintégrer la société péruvienne ou chinoise. Ils ont été indépendants et autonomes par le passé, et des membres de leur famille pourraient les aider à se réintégrer au Pérou ou en Chine. En conséquence, il a conclu que les facteurs évalués ne démontrent pas que la situation personnelle des demandeurs justifie l’octroi d’une dispense en raison de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives qu’ils devraient surmonter s’ils étaient renvoyés dans le pays dont ils ont la nationalité.

 

III.       Les questions en litige

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève essentiellement quatre questions :

a.                   Quelle est la norme de contrôle applicable?

b.                  L’agent d’immigration a-t-il appliqué un critère juridique erroné aux fins d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire?

c.                   L’agent d’immigration a-t-il contrevenu à son devoir d’équité procédurale en se fondant sur une preuve extrinsèque?

d.                  L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur dans son évaluation de la preuve?

 

IV.       L’analyse

A.        La norme de contrôle applicable

[19]           La détermination par un agent du critère juridique qu’il convient d’appliquer à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et sa distinction d’avec le critère qui s’applique à l’égard de l’ERAR sont des questions de droit susceptibles de révision suivant la norme de la décision correcte : Selvarasa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1125, [2008] A.C.F. no 1396, par. 15; Thalang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 340, par. 6.

 

[20]           Lorsqu’il s’agit de procéder à l’appréciation de la preuve, il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des agents qui se prononcent sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Étant donné la nature discrétionnaire de leur décision et le fondement factuel de celle‑ci , la norme déférente du caractère raisonnable s’applique : Selvarasa, par. 15; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, par. 53. Dans le cadre d’un contrôle effectué suivant la norme du caractère raisonnable, la Cour doit se demander si la décision contestée possède les attributs de la raisonnabilité, ce qui inclut et le processus et le résultat. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision à l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, par. 47.

 

[21]           Enfin, en ce qui concerne la question du manquement à l’équité procédurale, il est bien établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] A.C.S. no 28, par. 100; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056, par. 54.

 

B.         Le critère juridique applicable à l’égard d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[22]           L’avocate des demandeurs a fait valoir que l’agent d’immigration a appliqué erronément le critère de l’ERAR à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. À l’appui de cet argument, les demandeurs ont cerné un passage de la décision sur les motifs d’ordre humanitaire portant sur la situation au Pérou, qui est identique au passage équivalent tiré de la décision sur l’ERAR, l’unique différence tenant à l’utilisation du mot « difficulté » dans la décision sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire par opposition au mot « risque » dans la décision sur l’ERAR. En outre, les demandeurs ont fait valoir que l’agent d’immigration a rejeté leurs arguments portant sur les difficultés en ce qui concerne le Pérou au motif principalement qu’il a conclu à l’existence d’une protection policière suffisante, alors que ce motif est pertinent relativement à une décision rendue à l’issue d’un ERAR, mais pas dans le cadre d’un examen des motifs d’ordre humanitaire.

 

[23]           Il est bien établi que l’agent d’immigration qui examine une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire au regard des normes de l’ERAR commet une erreur de droit susceptible de révision :

L’évaluation des risques dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit être faite au regard de la norme fondée sur la question de savoir si les facteurs de risques peuvent être assimilés à des difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives et non au regard de la norme plus élevée que requiert l’examen des risques avant renvoi.

 

Gallardo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 554, [2007] A.C.F. no 749, par. 12.

 

 

[24]           Cela ne signifie pas cependant qu’aucune évaluation des risques ne devrait être effectuée dans le cadre d’une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Au contraire, il est possible que certains facteurs de risque qui ne satisfont pas au critère plus rigoureux de l’ERAR puissent néanmoins être pertinents aux fins de l’évaluation des difficultés dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :

Il peut exister des considérations relatives au risque qui soient pertinentes à une demande de résidence permanente depuis le Canada, lesquelles sont loin de satisfaire le critère plus rigoureux de la menace à la vie ou du risque de traitements cruels et inusités.

 

Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296, par. 5.

 

 

[25]           Examen fait de la décision dans son ensemble, je ne puis conclure que l’agent a commis une erreur relativement au critère juridique à appliquer. Il a d’abord puisé dans le document IP 5 de CIC (Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire) les définitions de difficultés « inhabituelles et injustifiées » ou « excessives ».  Il a ensuite examiné les différents facteurs qu’il faut prendre en considération dans le cadre d’une telle demande, comme les difficultés à surmonter ou les sanctions imposées advenant un retour au Pérou ou en Chine, le degré d’établissement au Canada, les intérêts des enfants, les relations conjugales, familiales ou personnelles dont la rupture créerait des difficultés, etc.  En fait, l’agent a abordé tous les points soulevés par les demandeurs, comme il se devait de faire. Le risque qu’un retour au Pérou engendrerait figurait bel et bien au nombre des observations soumises par les demandeurs, et l’agent était non pas simplement justifié, mais il était tenu d’examiner ce facteur et d’aller plus loin aux fins d’évaluer les difficultés.  Ainsi qu’il l’a déclaré :

[traduction] J’ai examiné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demandeurs ainsi que leur demande d’ERAR et leurs observations dans cette décision, car ils ont invoqué l’existence d’un risque. Je reconnais cependant que le critère qui s’applique à l’égard d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est celui des difficultés, et non l’article 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).  La présente demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été examinée au regard de la norme des difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives. .

 

Décision sur les motifs d’ordre humanitaire, Dossier certifié du Tribunal, p. 8.

 

 

[26]           Une lecture attentive de la décision de l’agent révèle que ce dernier était parfaitement au courant du critère et qu’il l’a appliqué tout au long de sa décision.  Il a examiné la question du risque, car celle-ci avait été soulevée par les demandeurs, et il l’a évaluée sous l’angle des difficultés.  Il s’est penché également sur la question de la discrimination, laquelle est de toute évidence davantage pertinente aux fins d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’elle ne l’est dans le contexte d’un ERAR. Dans l’ensemble, je suis convaincu qu’il n’a commis aucune erreur et qu’il a appliqué le critère juste en application de l’article 25 de la LIPR.

 

C.        Équité procédurale

[27]           Les demandeurs ont fait valoir que l’agent a manqué à son devoir d’équité procédurale en se fondant sur une preuve documentaire extrinsèque sans leur offrir l’occasion d’y répondre. Les documents en cause sont le rapport de 2008 du Département d’État américain, en date du 25 février 2009, un document de la CISR daté du 6 mars 2008, portant sur les taux de criminalité au Pérou, et un rapport du gouvernement américain intitulé « Citizenship Laws of the World », qui constitue une collecte non commerciale de renseignements.

 

[28]           D’une part, le rapport du Département d’État américain a été remis à l’agent par les demandeurs eux‑mêmes. D’autre part, ce document et le document de recherche de la CISR (qui fait partie du cartable de documentation nationale de la CISR) sont tous deux accessibles au public en ligne. 

 

[29]           La Cour d’appel a statué qu’un agent d’immigration peut se fonder sur des documents accessibles au public pour rendre sa décision. Il n’est pas tenu, au nom de l’équité, de divulguer les documents de cette nature avant de trancher l’affaire. Il ne doit les communiquer que dans les cas où ils sont nouveaux et font état de changements dans la situation générale du pays qui peuvent avoir une incidence sur la décision : voir Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.), par. 26 et 27.

 

[30]           L’on a déterminé qu’une preuve figurant dans le cartable de documentation de la CISR sur la situation dans le pays satisfaisait à cette exigence : Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 838, [2004] A.C.F. no 1033, par. 2 à 5. De même, le document intitulé « Citizenship Laws of the World » est un rapport qui a été dressé par une entité gouvernementale fiable sur la situation des pays. Pour cette raison, je suis d’avis qu’il satisfait aux conditions énoncées dans la décision Mancia : voir, par analogie, Sinnasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 67, [2008] A.C.F. no 77, par. 36 à 39.

 

[31]           Quoi qu’il en soit, même si l’agent d’immigration a commis une erreur en ne communiquant pas ce dernier document aux demandeurs avant de rendre sa décision, il serait futile de renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue. L’issue de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire serait demeurée la même si le document avait été divulgué aux demandeurs par l’agent. Xie Moy Ly Jiang pourrait tout de même retourner au Pérou, son pays de citoyenneté, même si elle n’a aucun statut juridique en Chine.

 

D.        L’évaluation de la preuve par l’agent

[32]           Les demandeurs ont fait valoir que la décision de l’agent d’immigration est déraisonnable pour de nombreuses raisons. Premièrement, soutiennent‑ils, la décision contestée est susceptible de révision au motif que l’agent d’immigration n’a pas traité de la preuve qui porte sur les questions soulevées par les demandeurs, et qu’il a conclu que les demandeurs n’avaient fourni aucune preuve sur certains éléments alors qu’en fait, ils l’avaient fait. Plus particulièrement, les demandeurs ont fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte d’une preuve pertinente concernant une autre affaire, dans laquelle il était question d’une enfant née en Nouvelle‑Zélande de parents chinois. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de l’enfant a été rejetée par le défendeur, mais la Cour dans cette affaire a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que la double citoyenneté est interdite en Chine et que l’enfant n’y avait aucun statut. D’après les demandeurs, cette décision était très pertinente quant à la situation de Xie Moy, et le silence de l’agent indiquerait qu’il n’en a pas tenu compte.

 

[33]           Il est bien établi que les tribunaux administratifs n’ont pas à mentionner chaque élément de preuve contraire à leurs conclusions, ni d’expliquer la manière dont ils les ont traités. En revanche, ils doivent examiner la preuve qui est très pertinente relativement à la demande en cause ou qui paraît contredire leurs conclusions de fait : Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, par. 16 et 17 (C.A.F.).

 

[34]           Dans la décision invoquée par les demandeurs (Joe (tuteur à l’instance de) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 116, [2009] A.C.F. no 176), la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été accueillie pour deux motifs. La Cour a conclu dans un premier temps que la demandeure n’avait pas de statut juridique en Chine et, qu’en conséquence, l’agent avait commis une erreur en utilisant la Chine comme pays de référence pour rendre sa décision plutôt que la Nouvelle‑Zélande, ainsi qu’on l’avait fait dans les décisions de la SPR et sur l’ERAR. La Cour a déterminé dans un deuxième temps que l’agent avait omis de tenir compte des intérêts de la demandeure mineure.

 

[35]           Dans la présente affaire, les conclusions de l’agent ne contredisent pas directement la décision Joe.  L’agent a admis indirectement que Xie Moy n’a présentement aucun statut en Chine, car elle est née au Pérou. Il a simplement indiqué qu’elle pourrait devenir citoyenne par naturalisation. S’il a évalué les difficultés auxquelles elle ferait face si elle retournait en Chine, il ne l’a fait que pas excès de prudence. En ce qui concerne les intérêts de l’enfant, la situation est aussi différente de celle de l’affaire Joe, où la Cour a non seulement conclu que l’agent avait commis une erreur en évaluant les difficultés dans un pays où l’enfant mineure n’avait pas de statut, mais elle a noté également que l’enfant avait quitté le pays dont elle avait la citoyenneté lorsqu'elle était bébé, que plus aucun des membres de sa famille n’y vivait, et qu’elle avait une grand‑mère canadienne naturalisée qui prenait soin d’elle au Canada.  La situation de Xie Moy Ly est fort différente. Aucun des membres de sa famille vivant au Canada n’a de statut permanent, alors que ses grands‑parents et son frère aîné semblent vivre au Pérou; il n’y a aucune preuve que ces membres de sa famille ne vivent plus au Pérou. En outre, Xie Moy Ly est née et a vécu au Pérou toute sa vie avant de venir au Canada.

 

[36]           Enfin, la décision Joe ne constitue pas ce que l’on appelle communément une preuve. Elle est un précédent dans lequel la Cour a tiré des conclusions de fait et de droit sur le fondement de la preuve produite. Même s’il a été établi dans cette affaire que la citoyenneté double n’est pas permise en Chine et qu’un enfant né de parents chinois à l’extérieur de la Chine n’a aucun statut dans ce pays, cela ne signifie pas que les demandeurs pourrait invoquer la décision Joe dans leurs demandes plutôt que de produire leur propre preuve en vue d’établir leur propre situation et les conditions dans leur pays à l’époque pertinente.

 

[37]           Les demandeurs ont allégué également que l’agent a utilisé la preuve documentaire de manière sélective en examinant des renseignements hors contexte et en omettant de prendre en compte une preuve contradictoire. Ils ont expliqué que l’agent a cité hors contexte le rapport de 2008 du Département d’État américain « Country Report on Human Rights Practices, Peru », daté du 25 février 2009 (le « rapport ») lorsqu’il a dit qu’[traduction] « aucun cas de discrimination ou d’abus sociétal n’a été signalé ». Il est vrai que l’on retrouve ce passage exact dans la section du rapport qui traite de la liberté de religion et des gestes antisémites. Cependant, rien n’indique que l’agent a cité mot à mot ce passage tiré du rapport. En dépit d’une déclaration générale suivant laquelle la discrimination subsiste malgré son interdiction par la loi, que l’on trouve sous le titre « Discrimination, Societal Abuses, and Trafficking in Persons », le rapport note que les seuls cas de discrimination signalés contre les minorités nationales, raciales ou ethniques visent les peuples afro péruviens et autochtones.  Aucun cas de discrimination ou d’abus sociétal n’est signalé contre les personnes d’ethnie chinoise ou de descendance asiatique.  Compte tenu de ces éléments, je ne crois pas que l’agent ait utilisé le rapport de manière sélective.

 

[38]           Les demandeurs ont fait valoir également que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve qui, dans le rapport, traite de l’absence d’une formation et de la corruption au sein des forces policières du Pérou. Une lecture soignée des motifs de l’agent montre qu’il s’est penché sur une preuve similaire contredisant sa conclusion relative à l’existence d’une protection policière suffisante. Le paragraphe pertinent de ses motifs à cet égard est libellé dans les termes suivants :

[traduction] Dans un document de recherche de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) daté du 6 mars 2008, l’on peut lire que le taux de criminalité au Pérou est l’un des plus élevés en Amérique latine. Par opposition, dans ce même document, l’on peut lire également que Freedom House aurait dit que le nombre de crimes au Pérou est peu élevé.  La police nationale du Pérou, un regroupement de trois anciens organismes d’application de la loi, compterait à son actif plusieurs réalisations récentes importantes dans la lutte contre le crime.  En l’absence d’une preuve contraire, je suis convaincu que les demandeurs pourront jouir d’une protection policière suffisante au Pérou.

 

Dossier certifié du tribunal, p. 9

 

 

[39]           Il y a lieu de noter que l’agent s’est fondé non pas sur le rapport du Département d’État américain daté du 25 février 2009, mais sur un autre document qui n’a pas été produit par les demandeurs. Les motifs de l’agent indiquent, à mon avis, que ce dernier disposait d’une preuve contradictoire sur cette question. Il a choisi de se fonder sur certains éléments d’information davantage que sur d’autres, et il a expliqué son choix. Ce faisant, il a exercé son pouvoir discrétionnaire dans l’examen de la preuve, ce qui est au cœur même de sa compétence. Il n’y a rien qui justifie l’intervention de la Cour à cet égard.

 

[39]      Le troisième argument des demandeurs tient au fait que l’agent a omis de prendre en considération les intérêts de l’enfant Xie Moy, advenant le renvoi de ses parents. Après avoir indiqué que Xie Moy ne peut obtenir la citoyenneté chinoise, l’agent a néanmoins continué de supposer qu’elle deviendrait citoyenne chinoise d’une quelconque manière, du seul fait que certains de ses parents proches vivaient là‑bas; il a ainsi éludé la question des difficultés auxquelles Xie Moy ferait face comme personne sans statut en Chine. Subsidiairement, la décision de l’agent forçait effectivement Xie Moy à retourner au Pérou seule et à vivre séparément de ses parents indéfiniment. L’agent n’a vu aucune difficulté dans cette séparation, simplement parce que Xie Moy avait franchi le cap des 18 ans et qu’elle était donc une adulte.

 

[40]      Compte tenu de la preuve dont l’agent disposait, sa conclusion que Xie Moy ne ferait face à aucune difficulté à son retour au Pérou était raisonnable. Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, Xie Moy est âgée de 18 ans, elle possède la citoyenneté péruvienne et, selon les renseignements contenus dans la demande d’ERAR des demandeurs, elle a un frère et des grands‑parents qui vivent au Pérou. Subsidiairement, il n’y a aucune preuve qu’elle ne pourrait acquérir la citoyenneté chinoise ou qu’elle continuerait de subir les conséquences de la politique de l’enfant unique même après avoir atteint l’âge de la majorité. L’évaluation de ces facteurs a raisonnablement mené l’agent à conclure que Xie Moy ne ferait face à aucune difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive si elle retournait au Pérou. Les arguments des demandeurs sont assimilés à un réexamen de la preuve.

 

[41]      Il faut garder à l’esprit le fait qu’une dispense — fondée sur des motifs d’ordre humanitaire — à l’obligation de demander la résidence permanente depuis l’étranger relève d’une décision discrétionnaire : Gautam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 167 F.T.R. 124, par. 10.  Il ne fait aucun doute que le renvoi des demandeurs leur cause des difficultés.  Mais là n’est pas le critère. Bien qu’elle soit regrettable, leur situation ne peut être qualifiée d’inhabituelle ou d’injustifiée au sens de la LIPR.  Ainsi que le juge Pelletier l’a dit dans l’affaire Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206 :

[12] Si l'on examine ensuite les commentaires qui figurent dans le Guide au sujet des difficultés inhabituelles ou injustifiées, on conclut que ces difficultés sont appréciées par rapport à la situation d'autres personnes à qui l'on demande de quitter le Canada. Il semblerait donc que les difficultés qui déclencheraient l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire pour des raisons d'ordre humanitaire doivent être autres que celles qui découlent du fait que l'on demande à une personne de partir une fois qu'elle est au pays depuis un certain temps. Le fait qu'une personne quitterait des amis, et peut-être des membres de la famille, un emploi ou une résidence ne suffirait pas nécessairement pour justifier l'exercice du pouvoir discrétionnaire en question.

 

Voir aussi : Pashulya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1275, par. 43.

 

 

[42]      Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Brigitte Grégoire, L.L.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5320-09

 

INTITULÉ :                                       Baoju Xie et autres

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 10 mai 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       le juge de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 27 mai 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joanna Lau

 

POUR LES DEMANDEURS

David Joseph

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avvy Yao-Yao Go

Avocat et procureur

Metro Toronto Chinese & Southeast

Asian Legal Clinic,

Toronto (ON)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (ON)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                   

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