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Cour fédérale

Federal Court


 

Date : 20100527

Dossier : IMM-5206-09

Référence : 2010 CF 582

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 27 mai 2010

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

EUGJEN BRACE

demandeur

 

 

et

 

 

Le ministre de la sécurité publique

et de la protection civile

 

 

défendeur

 

Motifs de l'ordonnance et ordonnance

 

[1]               Depuis qu'il a immigré au Canada à l'âge de 16 ans en 2001, Eugjen Brace a fait l'objet de 12 déclarations de culpabilité pour des infractions criminelles, à part des accusations au criminel qui pèsent encore contre lui. Une mesure d'expulsion a été prononcée contre lui lorsqu'il a été déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans, ce qui fait qu'il est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité en application de l'alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Une mesure d'expulsion a été prise contre lui.

 

[2]               En vertu du paragraphe 63(3) de la LIPR, il avait le droit d'interjeter appel de cette décision devant la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, ce qu'il a fait. Son appel a été rejeté. Il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]               La validité de la mesure d'expulsion n'est pas en cause. Cependant, la compétence de la SAI à l'égard d'affaires comme l'espèce englobe les considérations d'ordre humanitaire et elle peut donc surseoir à la mesure de renvoi et imposer des conditions. Une liste non exhaustive de facteurs a été énoncée dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL), que la Cour suprême a plus tard approuvée dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84.

 

[4]               Ces facteurs sont les suivants :

Dans chaque cas, la Commission examine les mêmes questions générales afin de déterminer si, vu toutes les circonstances de l’espèce, l’appelant ne devrait pas être renvoyé du Canada. Ces circonstances incluent la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure d’expulsion. La Commission examine la période passée au Canada, le degré d’établissement de l’appelant, la famille qu’il a au pays, les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille, le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité, et l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité. Même si les questions générales à examiner sont similaires dans chaque affaire, les faits, eux, ne sont que rarement, voire jamais, identiques.

 

 

[5]               L'avocat de M. Brace prétend que l'un ou l'autre de trois motifs justifie de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire :

a.       Premièrement, la première déclaration de culpabilité de M. Brace a été prononcée alors qu'il était encore un adolescent et n'aurait pas dû être prise en compte.

b.      Deuxièmement, au moment de l'audience devant la SAI, M. Brace avait une petite amie qui était enceinte de trois mois. L'intérêt de l'enfant à naître n'a aucunement été pris en compte.

c.       Finalement, la décideure a utilisé le mot « convaincu[e] » à trois reprises, donnant à penser qu'elle n'appréciait pas l’affaire selon la norme de preuve applicable, soit la prépondérance de la preuve. Cette tâche est toujours difficile lorsqu'il ne s'agit pas d'évaluer la question de savoir si un fait a eu lieu ou non, mais plutôt ce qui se produira dans l'avenir, c'est-à-dire la question de savoir si M. Brace se réadaptera, s'il constituera un risque pour la société, s'il devrait bénéficié d’une autre chance.

 

Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents

[6]               Il faut garder à l'esprit que l'infraction qui a donné lieu à la décision déclarant M. Brace interdit de territoire était une infraction commise alors qu'il était un adulte. L'alinéa 36(3)e) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit que l'interdiction de territoire visée aux paragraphes 36(1) et (2) ne peut être fondée sur une infraction dont un étranger ou un résident permanent a été déclaré coupable en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

 

[7]               Néanmoins, en prenant en compte des facteurs d'ordre humanitaire, il était à mon avis non seulement approprié, mais également essentiel que la commissaire tienne compte de l'ensemble des activités criminelles de M. Brace alors qu'il était au Canada. La partie 6 de la Loi concerne la protection de la vie privée des adolescents. En vertu des alinéas 119(2)g) et h), l'accès au dossier est permis uniquement en des circonstances précises pendant trois ans à compter de l'exécution complète de la peine, dans le cas d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, ou pendant cinq ans dans le cas d'un acte criminel. Toutefois, si au cours de la période d'accès l'adolescent devenu adulte est déclaré coupable d'une infraction, l'alinéa 119(9)b) prévoit que le dossier de l’adolescent est réputé être un dossier d’adulte et la partie 6 de la Loi ne s'applique plus.

 

[8]               Dans le cas de M. Brace, il n'est pas nécessaire d'examiner la chronologie des faits de façon très détaillée : il a été déclaré coupable de voies de fait alors à titre d'adolescent en 2002. Il ressort du dossier que, le 21 juin 2003, alors qu'il était âgé de 19 ans, il a commis un vol de moins de 5 000 $ et qu'il a omis de respecter une ordonnance de probation, des infractions à l'égard desquelles il a été par la suite déclaré coupable. Ces infractions ont été commises moins de trois ans après l'exécution complète de sa peine spécifique : en fait, elles ont été commises moins d'un an après l'imposition de sa peine spécifique. Les dossiers d'adolescent de M. Brace sont donc clairement visés par l'alinéa 119(9)b), et peuvent donc être communiqués de toute façon.

 

[9]               De plus, je ne vois pas comment l'appréciation de seulement onze infractions, incluant celle qui a mené à la mesure d'expulsion, plutôt que l'appréciation de 12 infractions, aurait eu une incidence importante sur les conclusions de la SAI.

 

L'Intérêt des enfants

[10]           Dans son témoignage à l'audience devant la SAI, M. Brace a mentionné la présence de sa petite amie enceinte dans la salle. Cependant, son avocat, qui n'est pas l'avocat qui occupe pour la présente demande de contrôle judiciaire, ne l'a pas fait témoigner. La commissaire a déclaré qu'elle tenait compte de l'intérêt de tous les enfants, mais selon les observations présentées, il s'agit simplement d'une formule standard et aucune analyse n'a été effectuée.

 

[11]           Pour répondre à ces observations, il n'est pas nécessaire d'aller plus loin que l’arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635, dans lequel le juge Evans, s'exprimant au nom de la cour, a déclaré ce qui suit au paragraphe 5 :

L'agent d'immigration qui examine une demande pour des raisons d'ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur des enfants, sur lesquels l'expulsion du père ou de la mère peut avoir des conséquences préjudiciables, et il ne doit pas « minimiser » cet intérêt : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75. Toutefois, l'obligation n'existe que lorsqu'il apparaît suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur, qu'une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur. De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l'appui de son allégation, l'agent est en droit de conclure qu'elle n'est pas fondée.

 

[12]           Il ne suffit pas qu'un homme dise qu’il a une petite amie enceinte. Le fardeau du demandeur va beaucoup plus loin que cela. Quel était l'état de santé de la petite amie? Quelle était sa situation financière? Vivaient-ils ensemble? Avait-il l'intention de subvenir aux besoins de l'enfant? Si oui, de quelle manière? Le fondement probatoire était insuffisant pour que la SAI puisse effectuer une appréciation significative.

 

LE Fardeau de la preuve

[13]           La commissaire de la SAI a déclaré d'emblée que la norme de preuve applicable était la prépondérance de la preuve. Cela est exact, tout en gardant à l'esprit qu'on tente de prédire l'avenir, plutôt que d'apprécier ce qui s'est produit dans le passé. Elle a cependant utilisé le mot « convaincu[e] » à trois reprises dans ses motifs, ce qui a donné lieu aux observations selon lesquelles la norme de preuve a été uniquement appliquée au manquement. Je ne puis être d'accord.

 

[14]           Les mots doivent être examinés dans leur contexte et peuvent donc prendre différentes teintes. Cependant, rien dans les motifs, pris dans leur ensemble, ne donne à penser que la SAI a apprécié la situation selon une norme plus stricte que la prépondérance de la preuve. À cet égard, voir Rodriguez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 320. Sauf disposition contraire d'un texte de loi, une seule norme de preuve est applicable devant les tribunaux civils et cette norme est la prépondérance de la preuve. Voir F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41. Rien ne donne à penser que la SAI a dérogé à ce principe.


ordonnance

POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS CI-DESSUS,

la cour STATUE QUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n'y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        IMM-5206-09

 

Intitulé :                                       EUGJEN BRACE c. MSPPC

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 26 mai 2010

 

Motifs de l'ordonnance :  le juge HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 mai 2010

 

 

 

Comparutions :

 

Gregory James

 

Pour le demandeur

Khatidja Moloo

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gregory James

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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