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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20100521

Dossier : IMM-5479-09

Référence : 2010 CF 561

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2010

En présence de l’honorable juge Harrington

 

ENTRE :

EMMA BADALYAN

MARIA MANDALYAN

 

 partie demanderesse

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

partie défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               En 2006, Mme Emma Badalyan et sa fille, Mme Maria Mandalyan, ont demandé l’asile au Canada. Apparemment, elles auraient été pourchassées par des hommes travaillant pour le président arménien qui étaient à la recherche de documents. Leur demande d’asile a été rejetée par une Commissaire de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), qui a déterminé que les demanderesses n’ont pas la qualité de réfugiées au sens de la Convention ni de personnes à protéger au sens de l’article 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Celles-ci demandent maintenant le contrôle judiciaire de ce refus.

 

[2]               Elles sont toutes les deux citoyennes d’Arménie, alors que l’autre fille de Mme Bandalyan, Mme Anna Mandalyan, est, quant à elle, citoyenne canadienne et habite ici.

 

[3]               Le mari de Mme Badalyan, Vladimir Mandalyan (décédé en 2005), était responsable d’une chaîne de restaurants. En 1994, après la fin du régime communiste, la chaîne a été privatisée. M. Mandalyan aurait alors eu en sa possession des documents qui impliqueraient Serge Serkassian, maintenant président d’Arménie et, à l’époque, chef de la police secrète, dans une affaire de corruption concernant la privatisation des restaurants.

 

[4]               À la suite du décès de M. Mandalyan, deux hommes auraient visité Mme Badalyan et réclamé les documents en question. Celle-ci n’aurait pas réussi à les trouver. Ils seraient revenus à plusieurs reprises, devenant chaque fois plus violents et menaçants. Mme Badalyan et sa fille seraient alors allées à la police, mais comme elles ne connaissaient pas l’identité des leurs agresseurs, elles ont refusé de porter plainte.

 

[5]               En rentrant du poste de police, elles auraient reçu un autre appel menaçant. Elles ont donc conclu que ces hommes auraient été avisés de leur visite au poste de police. Les menaces auraient continué. En novembre 2006, les deux hommes auraient enlevé Mme Mandalyan et menacé de la tuer s’ils ne recevaient pas les documents avant la fin du mois. Ils seraient venus de nouveau en décembre. Désespérées, les demanderesses ont quitté l’Arménie le même mois et revendiqué le statut de réfugié à leur arrivée à Dorval.

 

LA DÉCISION SOUS CONTRÔLE

[6]               La crédibilité des demanderesses a été mise en cause par la SPR pour plusieurs motifs, notamment :

a.       Que le gendre de Mme Badaylan, M. Artyom Gejakushyan (Artyom), semblait en savoir davantage sur les motifs de la persécution que les demanderesses.

b.      Que les demanderesses n’ont pas indiqué sur leur FRP que le mari de Mme Badalyan aurait été kidnappé pendant deux ans à Moscou, alors qu’Artyom a témoigné qu’il l’avait été.

c.       Qu’à leur arrivée, les demanderesses ignoraient l’identité de leurs persécuteurs alors qu’elles disent maintenant qu’il s’agit de Serge Sarkassian, homme fort du pays. Si elles l’ignoraient quand elles ont rempli leur FRP, pourquoi ce détail n’a pas été ajouté en juillet 2009, lorsqu’elles ont modifié leur FRP?

d.      Que des documents datant de 1994 ne pourraient nuire à un homme élu sans difficulté dans un pays où la corruption est partout et choque bien peu.

e.       Que les demanderesses n’auraient pas été en mesure de quitter le pays si M. Sarkassian s’acharnait à mettre la main sur ces vieux documents.

 

 

[7]               La Commissaire a précisé qu’elle avait pris en considération le rapport psychologique et les Directives du Président concernant les femmes victimes de violence.

 

[8]               Essentiellement, les demanderesses soulèvent deux questions: le manque d'équité procédurale (qui est examiné selon la norme de la décision correcte) et les conclusions de fait capricieuses (qui sont examinés sur une norme de raisonnabilité).

 

L’ÉQUITÉ PROCÉDURALE

[9]               À l’audience devant la SPR, l’avocat des demanderesses s’attendait à ce que le gendre de Mme Badalyan, qui connaissait mieux le passé du mari de Mme Badalyan qu’elle, témoigne en premier, et il avait fait une demande en ce sens. Cela avait toute son importance du fait que Mme Badalyan souffre d’un stress post-traumatique, tel qu’indiqué dans le rapport du psychologue, M. Woodbury. Ce stress post-traumatique la rendrait nerveuse en témoignant et pourrait donner l’impression qu’elle était quelque peu vague, ce qui a en effet été le cas. Son avocat l’avait aussi assurée qu’elle n’allait pas être la première à témoigner.

 

[10]           Voir l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c. Thamotharem, 2007 CAF 198. Cette décision concerne le pouvoir conféré par la loi au président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de donner des directives et de prendre des règles. Les Directives no 7 (Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés), prévoient que « [d]ans toute demande d’asile, c’est généralement l’APR [agent de protection des réfugiés] qui commence à interroger le demandeur d’asile » (paragraphe 19), bien que le commissaire de la SPR qui préside l’audience puisse « changer l’ordre des interrogatoires dans des circonstances exceptionnelles » (paragraphe 23).

 

[11]            La Cour d’appel fédérale à conclu que les directives ne violaient pas l’équité procédurale et ne limitaient pas le pouvoir discrétionnaire du commissaire présidant. Cependant, comme le souligne l’avocat des demanderesses, le dossier devant la Cour d’appel fédérale concernait qui devrait examiner le témoin en premier et non qui devait être appelé à témoigner le premier. Étant donné que le fardeau de preuve repose sur les demanderesses, leur avocat suggère que les demanderesses devraient avoir le droit de choisir l’ordre des témoignages, du moins lorsqu’il y a des circonstances spéciales comme c’est le cas dans le présent dossier.

 

[12]           Il importe de noter que le paragraphe 19 des Directives no 7 stipule :

19. Dans toute demande d'asile, c'est généralement l'APR qui commence à interroger le demandeur d'asile. En l'absence d'un APR à l'audience, le commissaire commence l'interrogatoire et est suivi par le conseil du demandeur d'asile. Cette façon de procéder permet ainsi au demandeur d'asile de connaître rapidement les éléments de preuve qu'il doit présenter au commissaire pour établir le bien-fondé de son cas.

 

19.  In a claim for refugee protection, the standard practice will be for the RPO to start questioning the claimant. If there is no RPO participating in the hearing, the member will begin, followed by counsel for the claimant. Beginning the hearing in this way allows the claimant to quickly understand what evidence the member needs from the claimant in order for the claimant to prove his or her case.

 

[13]           Les demanderesses se réfèrent, cependant, au paragraphe 51 de la décision qui se lit comme suit :

En résumé, la procédure prescrite par les Directives no 7 ne contrevient pas a priori à l’obligation d’agir équitablement de la Commission. Dans certaines circonstances, cependant, l’équité peut commander de s’écarter de l’ordre normalisé des interrogatoires. En de tels cas, le refus du commissaire d’acquiescer à une demande pour que le demandeur d’asile soit interrogé en premier lieu par son procureur est susceptible d’invalider la décision relative à la demande d’asile pour manquement à l’obligation d’agir équitablement. 

 

 

[14]           La Commissaire a dit lors de l’audience, voir la page 243 du dossier du tribunal :

Maître Jankowski, vous avez demandé de procéder d’abord avec le témoignage du témoin. Mais moi je préfère commencer avec mesdames, que Monsieur sorte de la salle et que, bon, par la suite vous invitiez Monsieur le témoin à témoigner. C’est moi qui mène la procédure et j’aimerais mieux entendre d’abord – et je pense que c’est à l’avantage des demandeures de donner d’abord leurs témoignages. C’est une question de crédibilité aussi. Alors c’est ça.

 

[15]           Il va sans dire que la Commission est maîtresse de ses propres procédures pour autant que les principes de justice naturelle soient respectés. À mon avis, la décision était parfaitement raisonnable. Les parties ne pouvaient être exclues de l’audience, mais un tiers témoin pouvait l’être, particulièrement lorsqu’il y avait, à juste titre, des préoccupations de crédibilité.

 

[16]           Les demanderesses soutiennent qu’étant donné que le fardeau de preuve repose sur elles, elles devraient avoir le droit de choisir l’ordre des témoignages. Toutefois, l'audience a été inquisitoire et non contradictoire et la Commissaire était plus que justifiée de choisir l’ordre des témoignages qu’elle a adopté.

 

LA CRÉDIBILITÉ

[17]           Il n'est pas nécessaire de répondre aux préoccupations du ministre en ce qui concerne les qualifications du psychologue. La Commissaire avait le droit de prendre en compte les incohérences dans les diverses déclarations faites à différents moments, et de tirer des conclusions défavorables du fait qu’aucune mention n’a été faite dans le FRP de Mme Badalyan que son mari avait été kidnappé pendant deux ans et que le persécuteur était le président du pays. Ses conclusions appartenaient largement aux issues acceptables possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit tel qu’expliqué dans Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au para. 47. Cette omission n’a rien à voir avec la question de savoir si elle souffre ou non d’un stress post-traumatique.

 

LA CERTIFICATION D’UNE QUESTION GRAVE DE PORTÉE GÉNÉRALE

[18]           Les demandeurs proposent la question suivante :

La décision discrétionnaire de la Commission quant à l’ordre de l’interrogatoire des témoins porte-t-elle atteinte aux droits des demandeurs d’asile à l’équité procédurale?

 

[19]           Je ne suis pas disposé à certifier cette question. À mon avis, celle-ci n’est pas de portée générale et, par conséquent, ne devrait pas être certifiée. Bien que les faits soient un peu différents, je pense que les observations de la Cour d’appel fédérale dans l’ârret Thamotharem sont pertinentes. L’ordre logique des choses est que le revendicateur d’asile soit examiné en premier.

 


ORDONNANCE

            PAR CES MOTIFS;

            LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  L’affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5479-09

 

INTITULÉ :                                       Emma Badalyan et al. c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 18 mai 2010

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      le 21 mai 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Miroslaw Jankowski

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Alain Langlois

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Miroslaw Jankowski

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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