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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100521

Dossier : IMM‑2484‑10

Référence : 2010 CF 562

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2010

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

JOTHIRAVI SITTAMPALAM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ

PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               [9]        La LIPR comporte une série de dispositions destinées à faciliter le renvoi de résidents permanents qui se sont livrés à des activités de grande criminalité. Cette intention se dégage des objectifs de la LIPR, des dispositions de la LIPR applicables aux résidents permanents et des audiences qui ont précédé l’adoption de la LIPR.

 

[10]      Les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada. Cela représente un changement d’orientation par rapport à la loi précédente, qui accordait plus d’importance à l’intégration des demandeurs qu’à la sécurité : voir, par exemple, l’al. 3(1)iLIPR comparativement à l’al. 3j) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)eLIPR comparativement à l’al. 3d) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)hLIPR comparativement à l’al. 3i) de l’ancienne Loi. Considérés collectivement, les objectifs de la LIPR et de ses dispositions relatives aux résidents permanents traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi.

 

[…]

 

[12]      Lorsqu’elle a déposé la LIPR, la ministre a souligné énergiquement que les dispositions comme l’art. 64 avaient pour objet de retirer aux grands criminels le droit d’interjeter appel. Elle a dit souhaiter « que l’on renvoie le plus rapidement possible [...] les personnes qui constituent un risque pour la sécurité du Canada » (Non souligné dans l’original).

 

(Selon la juge en chef du Canada, Beverley McLachlin, qui se prononçait dans le cadre d’un arrêt unanime de la Cour suprême, Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 RCS 539).

 

[2]               101      Chaque année, la Cour entend des centaines de demandes de sursis. Bien qu’ils soient entrés illégalement, de nombreux demandeurs travaillent dur et observent la loi; ils ne sont ici que pour améliorer leur vie et celle de leur famille. Néanmoins, afin de respecter le système d’immigration et la loi, la Cour est tenue de rejeter la plupart des requêtes présentées par ces candidats immigrants. En l’espèce, nous avons affaire à un immigrant qui a eu la chance de se construire une vie meilleure au Canada et de contribuer à la société canadienne. Il a choisi de ne pas le faire et s’est plutôt engagé dans des activités criminelles graves et violentes, violant et mettant en danger la paix et la sécurité du public canadien. Dans les circonstances, octroyer un sursis, à l’humble avis du défendeur, serait contraire à l’esprit, aux principes et aux objectifs de la LIPR, sans parler des principes sous‑tendant le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’octroyer la réparation demandée.

 

(Selon le juge Robert Barnes de la Cour fédérale du Canada, dans Thanabalasingham c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 486, 148 ACWS (3d) 103).

 

[3]               [45]      Enfin, les appelants avancent tous les deux des arguments fondés sur la Charte. Mme Medovarski prétend que l’art. 196 porte atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité de sa personne que lui garantit l’art. 7. Elle soutient que l’expulsion la prive de la liberté de prendre des décisions fondamentales touchant sa vie personnelle, y compris son choix de rester avec son compagnon. Selon Mme Medovarski, la tension psychologique qui résulte de la mesure d’expulsion prise par l’État compromet la sécurité de sa personne. Elle ajoute que le processus d’extinction de son droit d’appel était inéquitable et contraire aux principes de justice fondamentale.

 

[46]      Le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada : Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, p. 733. À elle seule, l’expulsion d’un non‑citoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[47]      Même si la liberté et la sécurité de la personne étaient en jeu, l’iniquité ne suffit pas pour qu’il y ait manquement aux principes de justice fondamentale. Les motifs d’ordre humanitaire évoqués par Mme Medovarski sont pris en compte, en vertu du par. 25(1) LIPR, pour décider s’il y a lieu d’admettre un non‑citoyen au Canada. La Charte garantit le caractère équitable de cette décision : voir, par exemple, l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. De plus, la Cour a statué, dans l’arrêt Chiarelli, que les principes de justice fondamentale mentionnés à l’art. 7 n’exigent pas d’accorder la possibilité d’un appel, fondé sur des motifs de compassion, contre la décision d’expulser un résident permanent pour grande criminalité […]

 

(Medovarski, précité).

 

II.  Introduction

[4]               Le demandeur, M. Jothiravi Sittampalam, sollicite de la Cour un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. La demande d’autorisation qu’il a déposée en l’espèce vise la décision par laquelle la déléguée du ministre a, pour la troisième fois, décidé de le refouler vers le Sri Lanka. La décision en cause lui a été notifiée le 19 avril 2010. Il demande qu’il soit sursis à son renvoi en attendant qu’on se prononce sur sa demande. Son avocate avait sollicité la prolongation du délai prévu par la décision du 19 avril 2010, afin de préparer une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. À la suite de cette demande de prolongation, l’avocat des défendeurs a fait savoir au demandeur que le délai était reporté au 18 mai 2010, puis reporté à nouveau au 21 mai 2010 (aux termes d’un accord intervenu à l’audience entre le demandeur et les défendeurs. Le 17 mai 2010, compte tenu des reports déjà accordés dans le cadre de cette affaire, il a été demandé à l’avocate du demandeur de s’assurer que les arguments qu’elle présenterait ce jour‑là devant la Cour seraient ses conclusions finales en ce qui concerne le délai du 21 mai 2010, date à laquelle la décision avait à nouveau été reportée. Apprenant que la décision devait maintenant être rendue le 21 mai, l’avocate du demandeur a immédiatement demandé que l’affaire soit à nouveau reportée à une date située après la fin de semaine. Elle a fait savoir que si la Cour fédérale rendait sur ce point une décision défavorable à son client, elle s’adresserait à une autre juridiction, en l’occurrence à un tribunal ontarien, afin de déposer une nouvelle demande de sursis. Une discussion eut alors lieu dans le cadre de laquelle ont été expliqués l’historique du dossier et le besoin qu’il y avait de se prononcer en fonction des nécessités juridiques et de l’intégrité de la Loi sur l’immigration et du système judiciaire canadien. L’avocate du demandeur a alors déclaré que, dans l’hypothèse où la Cour fédérale n’accorderait pas à son client un sursis, elle ne souhaitait pas avoir à chercher pendant la fin de semaine un juge d’une autre juridiction et que c’est pour cela qu’elle demandait encore une fois le report de la décision. Les mêmes explications ont été répétées à l’avocate du demandeur, la Cour insistant sur le fait qu’elle devait se prononcer, compte tenu du temps écoulé en raison des divers reports, et affirmant que l’examen attentif de cette affaire devait finalement se conclure par une décision afin de maintenir les principes sur lesquels repose l’intégrité de la Loi sur l’immigration et du système judiciaire canadien).

 

III.  Contexte de l’affaire

[5]               Il convient dès le départ de préciser que chaque affaire doit être examinée en fonction des faits qui lui sont propres. La décision qui est rendue par la suite doit être considérée à la lumière de l’ensemble de la preuve – de l’encyclopédie de références, du dictionnaire de termes et de la galerie de portraits qui lui sont particuliers. Il convient pour cela de bien garder à l’esprit l’ensemble des éléments de preuve, tant subjectifs qu’objectifs, propres à chaque affaire. C’est uniquement comme cela qu’il convient de considérer une affaire, c’est‑à‑dire en fonction des circonstances qui lui sont particulières et en pleine reconnaissance du fait que la décision dépend de la preuve.

 

[6]               M. Sittampalam est né au Sri Lanka, le 24 mai 1970. C’est un Tamoul du nord du pays. Il est arrivé au Canada en février 1990, s’est vu reconnaître la qualité de réfugié et a, le 17 juillet 1992, obtenu le droit d’établissement au Canada. Il n’est pas citoyen canadien.

 

[7]               M. Sittampalam s’est marié en 1998. Son épouse, Pushpalatha Rajaratnam, surnommée Mala, est citoyenne canadienne. Elle vit au Canada depuis 1988. Ils ont deux enfants, un fils, Sahan, né le 5 septembre 1999, et Sahaania, une fille née le 10 novembre 2001. Pendant sa période de détention, c’est‑à‑dire à partir d’octobre 2001, il est resté en contact avec ses enfants par téléphone, et depuis sa mise en liberté en avril 2007, il vit avec sa famille. Son existence quotidienne a été soumise à des conditions si strictes qu’il était pour ainsi dire assigné à résidence. Il était accompagné en tout temps par un surveillant et faisait l’objet d’un contrôle par GPS. Ces conditions ont cependant été assouplies avec le consentement de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Il n’est plus sous surveillance et n’est plus assigné à résidence.

 

[8]               M. Sittampalam a fait l’objet d’une mesure de renvoi datée du 4 octobre 2004 en raison d’une condamnation intervenue le 8 juillet 1996 pour trafic de stupéfiants (9 mg de cocaïne) en février 1993, et conformément à la législation en matière d’immigration puisqu’il y avait « des motifs raisonnables de croire » qu’en tant que chef d’un gang tamoul dénommé A.K. Kannan, il appartenait au milieu de la criminalité organisée.

 

[9]               M. Sittampalam était le chef des A.K. Kannan, un gang de rue tamoul. Il a été arrêté dans le cadre du projet 1050, opération menée conjointement par la police de Toronto et Immigration Canada. Devant la police, le demandeur a reconnu faire partie de ce gang, reconnaissant aussi qu’il était surnommé « A.K. Kannan ». Depuis 1992, c’est‑à‑dire peu après son arrivée au Canada, M. Sittampalam a été déclaré coupable de diverses infractions, y compris de trafic de stupéfiants. Depuis 1993, il a fait l’objet d’enquêtes sur sa participation aux activités d’un gang, notamment pour meurtre, agression armée, tentative de meurtre, voies de fait graves, extorsion et trafic. Le gang dont il faisait partie était connu pour avoir terrorisé les membres de la communauté tamoule locale, et pour être considéré comme un danger pour la sécurité du public canadien.

 

[10]           M. Sittampalam a été détenu de 2001 à 2007, avant d’être mis en liberté sous surveillance électronique. Il a fait l’objet d’une mesure d’expulsion pour cause de grande criminalité et de criminalité organisée. Il a contesté cette décision devant la Cour fédérale, puis devant la Cour d’appel fédérale, mais a été débouté. Une déléguée du ministre a estimé que le demandeur constitue un danger pour le public canadien et qu’il ne serait exposé à aucun risque s’il était renvoyé au Sri Lanka. Il a attaqué cette décision, mais la conclusion sur sa dangerosité a été confirmée, l’affaire étant cependant renvoyée pour nouvel examen uniquement sur la question de l’évaluation des risques auxquels il serait exposé. Une autre déléguée du ministre a de nouveau conclu que M. Sittampalam ne serait exposé à aucun risque s’il était renvoyé au Sri Lanka. La Cour fédérale a ordonné un nouvel examen de cette seconde évaluation des risques. Là encore, M. Sittampalam conteste cette décision.

 

[11]           La police de Toronto a identifié M. Sittampalam comme étant le chef du A.K. Kannan, un des deux gangs tamouls rivaux opérant à Toronto. M. Sittampalam a bien avoué à la police qu’il appartenait à ce gang et que son surnom était « A.K. Kannan » (2006, Avis de danger, dossier de requête du demandeur, aux pages 53 et 54). M. Sittampalam a fait à la police deux déclarations sous serment, l’une le 9 avril 2001 et l’autre le 10 septembre 2001. Il a fait ces déclarations après avoir, dans les rues de Toronto, fait l’objet de deux tentatives d’assassinat de la part de membres du gang rival, les V.V.T. (2006, Avis de danger, dossier de requête du demandeur, à la page 50).

 

[12]           M. Sittampalam a fait l’objet des condamnations suivantes :

1992        défaut de se conformer à un engagement; condamné à une peine d’emprisonnement correspondant au temps qu’il avait déjà passé en prison;

1996        trafic de stupéfiants; condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour;

1998    entrave aux fonctions d’un agent de la paix; condamné à une peine d’emprisonnement d’un jour + le temps déjà passé en prison (soit 5 mois et 26 jours) (2006, Avis de danger, dossier de requête du demandeur, à la page 47).

 

[13]           Le dossier renferme les renseignements suivants sur l’avis de danger concernant M. Sittampalam :

a.                   En décembre 1993, M. Sittampalam a été accusé de tentative de meurtre, voies de fait graves, possession d’armes dangereuses et emploi d’une arme à feu lors de la perpétration d’un acte criminel. Ces accusations découlaient de sa participation à une attaque menée le 27 décembre 1993 à Toronto contre deux personnes, les deux voitures des victimes ayant été encerclées par trois voitures dont sont sortis plusieurs hommes. La première victime a eu l’avant‑bras entaillé par une machette, la seconde victime, elle aussi entaillée par une machette, s’est enfuie à pied tout en essuyant cinq ou six coups de feu. La première victime a été atteinte d’une balle à l’épaule. M. Sittampalam faisait, à l’époque, l’objet d’une enquête en raison d’un échange de coups de feu qui avait eu lieu quelques jours auparavant;

b.                  En 1993, M. Sittampalam a de nouveau été accusé de tentative de meurtre et de diverses autres infractions. Selon les rapports de police, M. Sittampalam a accosté la victime à la sortie d’un café, s’est présenté comme A.K. Kannan, et a menacé de la tuer. Alors qu’elles quittaient le café, deux victimes ont été prises en chasse par une bande armée de pistolets, de couteaux et de machettes. Selon le rapport de police, M. Sittampalam [traduction] « armé d’un pistolet, a tiré des coups de feu. C’était lui le chef et il disait aux autres de tirer et de s’emparer de la victime »;

c.                   En 1998, M. Sittampalam et d’autres membres du gang ont été identifiés comme les auteurs d’une tentative d’extorsion visant un commerçant de Scarborough. La victime a déclaré à la police que M. Sittampalam était entré dans son commerce accompagné de deux hommes et avait déclaré : [traduction] « Vous savez qui je suis, je suis A.K. Kannan » et « soit vous remboursez, soit vous perdez la vie ». M. Sittampalam a alors sorti un pistolet mesurant de dix à douze pouces, et, devant un autre témoin, a mis la victime en joue. M. Sittampalam a alors ordonné à la victime de lui verser 3 000 $, alors qu’en fait la victime ne lui devait que 1 200 $. Quelques jours plus tard, la victime a de nouveau été abordée par M. Sittampalam et les deux autres hommes, qui ont brandi des armes à feu et proféré des menaces. La victime a signalé l’incident à la police et a identifié M. Sittampalam sur les photos que lui ont présentées les policiers. Or, lorsque la police a tenté de faire enquête, elle n’a pu retrouver ni la victime, ni les témoins, mais elle a par contre constaté que le commerce de la victime avait fermé;

d.                  M. Sittampalam a également été identifié comme ayant pris part en 1998 à l’agression et à l’enlèvement de Suresh Kanagalingam, chef provisoire des V.T.T. Un informateur de police a catégoriquement identifié M. Sittampalam comme ayant pris part à l’agression et à l’enlèvement;

e.                   Lorsque, le 18 octobre 2001, un mandat de l’immigration a été exécuté à l’encontre de M. Sittampalam, on a procédé à une perquisition de son domicile. La police y a trouvé un grand nombre de cartes de crédit vierges, un rouleau de pellicule métallique de couleur et un système informatique renfermant des patrons permettant de reproduire des cartes d’assurance‑santé et des permis de conduire ontariens, ce qui lui a valu d’être accusé de possession d’instruments servant à la fabrication de faux.

(2006, Avis de danger, dossier de requête du demandeur, aux pages 48 à 50).

 

[14]           Le 9 septembre 2001 et le 4 avril 2001, M. Sittampalam a été la cible de deux tentatives de meurtre ou d’agression. Selon les rapports de police, ses assaillants appartenaient aux V.V.T., une bande rivale (2006, Avis de danger, dossier de requête du demandeur, à la page 50).

 

[15]           L’avis de danger rappelle et relève que, par crainte de représailles, il est fréquent que les témoins aient peur de témoigner contre les membres d’un gang. La police est consciente des menaces qui peuvent être proférées contre des personnes appelées à témoigner. Dans ces conditions‑là, il arrive que les témoins ou les victimes reviennent sur leurs déclarations ou affirment par la suite ne pas se souvenir de ce qui s’est produit.

 

[16]           La Cour fédérale a eu l’occasion de préciser qu’en octobre 2004 M. Sittampalam a été arrêté et détenu dans le cadre du projet 1050 (ainsi que l’explique le jugement Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Sittampalam, 2004 CF 1756, 266 FTR 113, au paragraphe 9).

 

[17]           M. Sittampalam a été déclaré interdit de territoire au Canada au titre de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I‑2 (paragraphe 27(1) et alinéa 19(1)c.2)) en raison de sa condamnation pour trafic de stupéfiants, et des raisons qu’il y a de croire qu’il appartient à une organisation criminelle. Une enquête a été entamée en juin 2002 conformément à l’ancienne Loi sur l’immigration, puis poursuivie en août 2004 sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) (Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1211, 279 FTR 211).

 

[18]           M. Sittampalam a reconnu, au cours de cette enquête, qu’il était interdit de territoire pour grande criminalité, mais il a nié être au courant des activités du gang A.K. Kannan ou faire partie de ce gang. Au cours des 25 journées d’audience, de nombreux éléments de preuve de sa participation aux activités du gang ont été produits devant la Section de l’immigration. D’après les motifs de décision de la Section de l’immigration, M. Sittampalam est interdit de territoire pour cause de grande criminalité ou de criminalité organisée (alinéas 36(1)a) et 37(1)a) de la LIPR; Sittampalam, 2005 CF 1211, précité).

 

[19]           M. Sittampalam a été débouté de son recours contre la décision rendue par le juge Roger Hughes sur la question de son interdiction de territoire pour cause de criminalité organisée. La décision du juge Hughes a été confirmée par la Cour d’appel fédérale le 12 octobre 2006 (Sittampalam, 2005 CF 1211, précité; Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 RCF 198).

 

[20]           Considéré comme un danger pour le public et comme susceptible de se soustraire à son renvoi, M. Sittampalam a été maintenu en détention de 2001 à 2007. En 2004, sa mise en liberté a été ordonnée à deux reprises, mais la Cour a infirmé ces deux décisions de mise en liberté alors qu’à deux autres occasions, la Cour a infirmé des décisions ordonnant son maintien en détention (Sittampalam, 2004 CF 1756, précité; Sittampalam c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1352, 143 ACWS (3d) 332; Sittampalam c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2006 CF 1118, 300 FTR 48).

 

[21]           Le 19 avril 2007, un commissaire de la Section de l’immigration a ordonné la mise en liberté conditionnelle de M. Sittampalam. La décision de le mettre en liberté a été contestée devant la Cour. Depuis lors, M. Sittampalam demeure en liberté sous condition. Le ministre a par deux fois contesté la modification des conditions de mise en liberté imposées à M. Sittampalam. Ces deux demandes ont été accueillies (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Sittampalam, 2008 CF 1394, [2008] ACF no 1805 (QL); Canada c Sittampalam, 2009 CF 863, 350 FTR 101).

 

[22]           M. Sittampalam a comparu devant la Cour dans les dossiers suivants :

                          i.                                          Sittampalam, 2004 CF 1756, précité, le juge Pierre Blais : la Cour a fait droit à la demande du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qui contestait la décision de mettre M. Sittampalam en liberté;

                        ii.                                          Sittampalam, 2005 CF 1211, précité, le juge Hughes : la Cour a débouté M. Sittampalam qui sollicitait l’annulation de la décision de prendre à son encontre une mesure d’expulsion;

                      iii.                                          Sittampalam, 2005 CF 1352, précité, la juge Eleanor Dawson : la Cour a fait droit à la demande présentée par M. Sittampalam qui sollicitait l’annulation de la décision le maintenant en détention;

                      iv.                                          Sittampalam, 2006 CF 1118, précité, le juge James O’Reilly : la Cour a fait droit à la demande de M. Sittampalam qui contestait une décision le maintenant en détention;

                        v.                                          Sittampalam, 2006 CAF 326, précité, les juges Allen Linden, Marc Nadon et Edgar Sexton : la Cour d’appel a débouté M. Sittampalam qui faisait appel de la décision de la Cour confirmant la décision de prendre à son encontre une mesure d’expulsion.

                      vi.                                          Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), dossier no IMM‑4064‑06, 22 août 2006, la juge Anne Mactavish : la Cour a fait droit à la demande de M. Sittampalam qui sollicitait un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant qu’il soit statué sur la décision de délivrer à son encontre un avis de danger;

                    vii.                                          Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Sittampalam, dossier no IMM‑1667‑07, 30 avril 2007, le juge Michel Beaudry : la Cour a débouté le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile qui contestait une décision ordonnant la mise en liberté de M. Sittampalam;

                  viii.                                          Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 687, 316 FTR 142, la juge Judith Snider a fait droit en partie à la demande de M. Sittampalam qui contestait l’avis de danger selon lequel il constituait un danger pour le Canada et ne serait exposé à aucun risque s’il était renvoyé dans son pays d’origine;

                      ix.                                          Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 310, 165 ACWS (3d) 885, le juge Douglas Campbell : la Cour a, là encore, fait droit en partie à la demande de M. Sittampalam qui sollicitait le sursis à l’exécution de l’ordonnance de renvoi, en attendant qu’il soit statué sur sa demande de contrôle judiciaire de la réévaluation des risques auxquels il serait exposé aux termes d’un avis de danger délivré à son encontre;

                        x.                                          Sittampalam, 2008 CF 1394, précité, le juge Russel Zinn : la Cour a fait droit à la demande du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile qui contestait une décision modifiant les conditions imposées à la mise en liberté de M. Sittampalam;

                      xi.                                          Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 65, 340 FTR 53, le juge Leonard Mandamin : la Cour a fait droit à la demande de M. Sittampalam qui contestait, dans l’avis de danger, l’évaluation des risques voulant qu’il ne serait exposé à aucun risque s’il était renvoyé dans son pays d’origine;

                    xii.                                          Sittampalam, 2009 CF 863, précité, le juge Louis Tannenbaum : la Cour a fait droit à la demande présentée par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile qui contestait une décision modifiant les conditions imposées à la mise en liberté de M. Sittampalam.

 

[23]           En tant que réfugié au sens de la Convention, M. Sittampalam ne peut pas être renvoyé du Canada à moins que le ministre n’estime, comme le prévoit l’alinéa 115(2)a) de la LIPR, qu’il constitue un danger pour le public au Canada, ou, selon l’alinéa 115(2)b), qu’il ne devrait pas être présent au Canada en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés.

 

[24]           Le 6 juillet 2006, une déléguée du ministre a, au titre des alinéas 115(2)a) et 115(2)b) de la LIPR, délivré un avis selon lequel M. Sittampalam constituait un danger pour le public au Canada, et qu’en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés il ne devrait pas être présent au Canada (Avis de danger). La déléguée du ministre a en outre estimé que M. Sittampalam ne courait aucun risque sérieux d’être torturé ou exposé à des menaces à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Sri Lanka, et que les considérations d’ordre humanitaire qu’il invoquait n’étaient pas de nature à empêcher son renvoi du Canada. M. Sittampalam a contesté cette décision.

 

[25]           La demande de contrôle judiciaire a été en partie accueillie par une ordonnance de la juge Snider. La Cour a jugé que le volet de l’avis de danger concernant l’évaluation des risques comportait une erreur. La Cour n’a relevé aucune erreur quant à l’appréciation du danger que constitue le demandeur, ou dans toute autre partie de la décision et, cela étant, seule la décision touchant l’évaluation des risques auxquels le demandeur serait éventuellement exposé a été soumise à un nouvel examen (Sittampalam, 2007 CF 687, précité).

 

[26]           Le 11 janvier 2008, la déléguée du ministre a procédé à une nouvelle évaluation des risques. M. Sittampalam a contesté cette nouvelle évaluation et sa demande de contrôle judiciaire a été accueillie aux termes d’une ordonnance du juge Mandamin en date du 22 janvier 2009. Étant donné les nombreux antécédents de ce dossier, le juge Mandamin a ordonné que l’affaire soit renvoyée à la même déléguée du ministre uniquement afin qu’elle réévalue la partie de l’avis de danger concernant les risques auxquels le demandeur serait éventuellement exposé (Sittampalam, 2009 CF 65, précité).

 

IV.  La question en litige

[27]           La situation du demandeur satisfait‑elle au critère justifiant un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi? Il s’agit du critère conjonctif à trois volets établi dans l’arrêt Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302, 11 ACWS (3d) 440 (CAF).

 

[28]           Ainsi, pour obtenir qu’il soit sursis à son renvoi, le demandeur doit établir que sa situation répond aux trois volets composant le critère exposé dans l’arrêt Toth, précité :

1.                  l’existence d’une question sérieuse à trancher;

2.                  le risque d’un préjudice irréparable;

3.                  le fait que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur.

 

V.  Analyse

            A.  L’existence d’une question sérieuse à trancher

[29]           La demande d’autorisation ne soulève aucune question sérieuse à trancher.

 

[30]           La détermination des risques auxquels un demandeur serait exposé en cas de renvoi dans un autre pays dépend largement des faits. Tel que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3, de telles questions appellent une grande déférence étant donné qu’elles échappent en grande partie au champ d’expertise des tribunaux de révision (Suresh, aux paragraphes 29, 39 et 41).

 

[31]           Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ragupathy, 2006 CAF 151, [2007] 1 RCF 490, voici en quels termes la Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur la suffisance des motifs dont il est fait état dans un Avis de danger :

[15]      Il est également important de souligner que la cour de révision doit faire preuve de réalisme lorsqu’elle décide si les motifs fournis par un tribunal administratif sont juridiquement suffisants. C’est là un principe fondamental bien connu. Il convient de lire les motifs dans leur ensemble, et non pas de les analyser de près, phrase par phrase, pour y rechercher des erreurs ou des omissions; il faut les lire en essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse.

 

[32]           La Cour suprême a conclu que l’Avis de danger produit par un délégué ministériel appelle une déférence considérable et que « […] la pondération des facteurs pertinents ne ressortit pas au tribunal appelé à contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel […] » (Suresh, précité, au paragraphe 34).

 

[33]           Au niveau du contrôle judiciaire, la Cour doit essentiellement s’assurer que la décision du délégué est étayée par la preuve (Suresh, précité, aux paragraphes 39, 41 et 85). M. Sittampalam ne fait aucunement valoir que la conclusion de la déléguée ne repose sur aucun élément de preuve. L’argument de M. Sittampalam est simplement que la déléguée aurait dû privilégier les éléments de preuve qu’il aurait souhaité qu’elle privilégie.

 

[34]           La déléguée du ministre n’a méconnu aucun élément de preuve, ou manqué de préciser pourquoi certains éléments ont été retenus plutôt que d’autres. La déléguée a démontré qu’elle avait pris en compte les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Elle a examiné tous les éléments produits par M. Sittampalam, et a reconnu la situation pour ce qu’elle était, eu égard à l’ensemble de la preuve. Elle a également cité d’autres éléments qui montrent que la situation s’améliore. La déléguée a en outre fourni des exemples clefs d’efforts de reconstruction et de réinstallation des personnes déplacées (citant également Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL); Woolaston c Canada (Ministre de la Main‑d’oeuvre et de l’Immigration), [1973] RCS 102; motifs, dossier de requête du demandeur, aux pages 17 à 24).

 

[35]           La déléguée a fini par conclure que, compte tenu de la situation, il existe effectivement, au Sri Lanka, un risque généralisé. Les détentions illégales se poursuivent, et les déplacements dans le nord et l’est du pays demeurent soumis à des restrictions. Cela dit, selon son interprétation de la législation sur l’immigration et de son application aux personnes visées par une décision prise au regard de cette législation, la preuve démontre que dans les autres régions du pays, y compris dans la région de Colombo, la capitale, la situation a changé et la population peut vaquer à ses occupations quotidiennes.

 

[36]           La déléguée a estimé que la preuve ne permettait pas de conclure que M. Sittampalam serait personnellement exposé à des risques. Dans sa conclusion, la déléguée a, de manière équilibrée, examiné la preuve documentaire qui était produite. On constate qu’elle a pris en compte l’ensemble des éléments de preuve (Florea, précité; Woolaston, précité).

 

[37]           M. Sittampalam n’a pas pu établir selon la prépondérance des probabilités qu’au Sri Lanka il serait exposé à des risques particuliers. Dans des motifs abondamment développés, la déléguée précise que la guerre civile a pris fin, que la situation s’améliore progressivement, que les conditions ne sont plus celles qui prévalaient dans le pays en 2006 et que les rapports qui font de M. Sittampalam un des chefs de la bande A.K. Kannan sont de l’histoire ancienne.

 

[38]           M. Sittampalam continue à nier qu’il est membre, voire chef de la bande A.K. Kannan. Il convient de relever, à cet égard, qu’il a soutenu par le passé qu’il serait également exposé à des risques de la part des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) en raison de rapports qui auraient à tort signalé l’appui qu’il aurait apporté à des groupes tamouls opposés au LTTE (2006, Avis de danger, dossier de requête du demandeur, page 59; affidavit Mater, dossier de requête des défendeurs, pièce B, paragraphes 7 et 8). Si c’est effectivement le cas, les autorités sri‑lankaises n’auront rien à lui reprocher à cet égard.

 

[39]           Le fait pour le ministre d’observer les termes précis d’une ordonnance de la Cour fédérale ne donne lieu à aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire. Après avoir accueilli la demande de contrôle judiciaire visant l’évaluation, faite en 2008, des risques auxquels M. Sittampalam serait exposé, la Cour a explicitement ordonné que l’on procède à une réévaluation des risques auxquels M. Sittampalam pourrait être exposé avant d’entreprendre l’exercice de mise en balance :

LA COUR STATUE que :

 

            1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

 

            2. L’affaire est renvoyée à la même déléguée du ministre pour nouvel examen conformément aux mêmes directives que celles ordonnées par la juge Snider :

1.      l’affaire est renvoyée dans le seul but de lui permettre de réévaluer les risques auxquels le demandeur serait exposé s’il retournait au Sri Lanka;

 

2.      pour le cas où la déléguée conclurait que le demandeur serait exposé à un risque élevé, la déléguée devra entreprendre l’exercice de mise en balance prévu dans l’arrêt Suresh.

 

3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

(Non souligné dans l’original).

 

[40]           Devant le juge Mandamin, M. Sittampalam a invoqué le même argument; la réévaluation a néanmoins eu lieu conformément à ce qu’avait prévu la juge Snider (dossier de requête des défendeurs, mémoire supplémentaire du demandeur, pièce « A » jointe à l’affidavit Mater).

 

[41]           M. Sittampalam invoque cet argument pour contester les décisions des juges Snider et Mandamin. La question de savoir si M. Sittampalam constitue effectivement un danger pour le public a déjà été tranchée et a été confirmée de façon définitive; M. Sittampalam tente néanmoins de faire à nouveau valoir cet argument.

 

[42]           M. Sittampalam n’ayant pu soulever aucune question sérieuse à trancher, la présente requête pourrait, ne serait‑ce que pour ce motif‑là, être rejetée.

 

B.  L’éventualité d’un préjudice irréparable

[43]           Le critère applicable à la question d’un éventuel préjudice irréparable est d’une exigence élevée. La Cour doit être convaincue que le fait de ne pas surseoir au renvoi entraînera un préjudice irréparable (Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, 132 ACWS (3d) 261, aux paragraphes 12 à 20; Stampp c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 127 FTR 107, 69 ACWS (3d) 901, aux paragraphes 15 et 16; Atakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 68 FTR 122, 42 ACWS (3d) 486, aux paragraphes 11 et 12 (1re inst); Legrand c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 27 Imm LR (2d) 259, 52 ACWS (3d) 1301, au paragraphe 5 (CFPI); Akyol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931, 124 ACWS (3d) 1119, au paragraphe 7).

 

[44]           La jurisprudence de la Cour d’appel fédérale précise bien que le seul fait qu’une demande soit devenue théorique ne permet pas de conclure à un risque de préjudice irréparable. Autrement, la Cour serait privée du pouvoir discrétionnaire de se prononcer sur les questions de préjudice irréparable au vu des faits de chaque espèce (El Ouardi c Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42, 137 ACWS (3d) 161, au paragraphe 8; Palka c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CAF 165, 167 ACWS (3d) 570, aux paragraphes 18 à 20; Selliah, précité, au paragraphe 20; Ryan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1413, 110 ACWS (3d) 890, au paragraphe 8; Akyol, précité, au paragraphe 11).

 

[45]           La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’entendre des appels qui, techniquement, sont devenus théoriques et elle a le pouvoir discrétionnaire d’entendre des appels après rejet des demandes de sursis. L’arrêt Perez de la Cour d’appel fédérale portait sur une décision défavorable rendue à l’issue d’un examen des risques avant renvoi (ERAR). Il applique les critères, énoncés dans l’arrêt Borowski, qui permettent de décider si la Cour devrait instruire une affaire malgré son caractère théorique (Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 171, 82 Imm LR (3d) 167, aux paragraphes 3 et 7; Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, 92 NR 10; est également cité l’arrêt Palka, précité, aux paragraphes 18 à 20).

 

[46]           Un demandeur peut poursuivre l’instance en envoyant de l’étranger des instructions à son avocat. D’après la jurisprudence, l’exécution d’une mesure de renvoi alors qu’une demande de nouvel ERAR est en instance n’entraîne en soi aucun préjudice irréparable (Selliah, précité; Ariyaratnam c MCI, IMM‑8121‑04, 28 septembre 2004; Hussein c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1266, 162 ACWS (3d) 647, au paragraphe 11).

 

[47]           M. Sittampalam n’est parvenu à étayer son allégation de préjudice irréparable ni en invoquant le fait qu’il est tamoul, ni en invoquant les activités auxquelles il s’est livré au Canada.

 

[48]           La Cour et la Cour d’appel fédérale ont rejeté un nombre considérable de demandes de sursis présentées par des Tamouls, y compris par de jeunes Tamouls qui faisaient valoir que leur renvoi au Sri Lanka les exposerait à des risques (citons à cet égard : Selliah, précité, Sivananthem c MCI, IMM‑3948‑04, 3 mai 2004); Sivagnanansuntharam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 70, 129 ACWS (3d) 567; Nagalingam c MCI , IMM‑6447‑05, 2 décembre 2005; la CAF a refusé d’entendre une requête en sursis, 3 décembre 2005; Thanabalasingham, 2006 CF 486, précité; Thanabalasingham c MSPPC, IMM‑1649‑06, 27 mars 2006; Ariyaratnam, précité; Rajalingam c MCI, IMM‑5783‑05, 27 septembre 2005; Kathiravelu c MCI, IMM4359‑06, 15 août 2006; Naganathan c MSPPC, IMM‑1422‑06, 20 mars 2006; Jeyakumar c MCI, IMM‑2619‑06, 6 juin 2006; Archarige c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 240, 146 ACWS (3d) 532; Sornalingam c MCI, IMM‑3366‑06; Poopalasingam c MCI, IMM‑1547‑06; Vidnusingam c MCI, IMM‑2984‑06; Tharmaratnam c MSPPC, IMM‑3208‑06; Tharmaratnam c MCI, IMM‑2934‑06; Saravanapavananthan c MSPPC, IMM‑1689‑06; Saravanapavananthan c MSPPC, IMM‑1352‑06; Manohararaj c MSPPC, IMM‑1509‑06; Sellatharai c MCI, IMM‑2620‑06, Thangasivam c MCI, IMM‑1824‑06; Figurado c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 241, 129 ACWS (3d) 374; Thuraisingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 72; 145 ACWS (3d) 888; Sebamalaimuthu c MCI, IMM‑4379‑04, 17 mai 2004; Jesudhasmanohararaj c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 596, 130 ACWS (3d) 987; Thurairajah c MCI, IMM‑7478‑03, 12 décembre 2003); Thileepan c MCI, IMM‑8535‑03, 20 novembre 2003; Thangasivam c MCI, IMM‑8986‑03).

 

[49]           La Cour a également jugé que, même pour un jeune Tamoul originaire du nord du pays, l’amélioration de la situation au Sri Lanka ne permet pas à elle seule de conclure à un risque de préjudice irréparable. Comme le juge Richard Mosley l’a conclu dans le cadre d’une requête en sursis présentée plus tôt cette année par un jeune Tamoul originaire de Jaffna, dans le nord du pays, travaillant au Canada comme producteur de radio et de télévision, son père étant journaliste dans un journal tamoul au Sri Lanka :

[traduction] Le demandeur ne m’a pas persuadé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il subira vraisemblablement un préjudice irréparable si l’on refuse de lui accorder un sursis et qu’on le renvoie au Sri Lanka. Je reconnais qu’au Sri Lanka de graves problèmes continuent à se poser au niveau des droits de la personne, mais selon la preuve au dossier, la situation semble s’améliorer.

 

(Sivabalasuntharampillai c MCI, IMM‑6702‑09, 27 janvier 2010, à la page 3).

 

[50]           Dans Sivabalasuntharampillai, en raison d’une amélioration de la situation au Sri Lanka, la Cour n’a pas retenu l’argument du préjudice irréparable. Le juge James Russell a, dans Arumugam, rejeté une requête en sursis présentée par un jeune Tamoul originaire du nord du pays par suite d’un ERAR qui lui était défavorable (Arumugam c MCI, IMM‑565‑10, 1er mars 2010).

 

[51]           La situation au Sri Lanka est, certes, loin d’être parfaite, mais la question est de savoir si M. Sittampalam a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les conditions sont telles que l’on s’en prendrait personnellement à lui s’il y était renvoyé.

 

[52]           Les risques auxquels M. Sittampalam serait, selon lui, exposé s’il retournait au Sri Lanka ont été évalués par la déléguée du ministre. Dans l’arrêt Suresh, précité, la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il s’agit là d’un champ d’expertise particulier.

 

[53]           Les défendeurs ont produit des preuves émanant des services de l’immigration sur la situation à laquelle font face, au Sri Lanka, les personnes qui y retournent, tant des personnes comme tout le monde que des personnes en vue. Ces éléments de preuve comprennent des témoignages personnels concernant le retour au Sri Lanka de membres en vue du LTTE, ou de gangs tamouls. Selon le rapport publié en 2009 par le Home Office britannique, auquel renvoient les motifs de la déléguée, et compte tenu de la fin de la guerre civile, la situation n’est plus la même.

 

[54]           Au cours des dernières années, la Cour a rejeté plusieurs demandes de sursis présentées par des membres de gangs tamouls, y compris des personnes qui sont à la tête de ces gangs et qui faisaient valoir qu’elles seraient considérées comme liées au LTTE et deviendraient pour cela la cible d’actes de violence (Ariyarathnam, précité; sont également cités Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ariyarathnam, 2002 CFPI 48, 215 FTR 255; Thamotharampillai c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 583, 130 ACWS (3d) 986, au paragraphe 9; Nagalingam c MCI, IMM‑6447‑05, 2 décembre 2005; pour davantage de contexte, voir Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 229, [2008] 1 RCF 87, aux paragraphes 14 à 16; Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1397, 134 ACWS (3d) 489; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Nagalingam, 2004 CF 1757, 136 ACWS (3d) 115; Thuraisingam, précité; Thanabalasingham, précité, au paragraphe 11).

 

[55]           La Cour relève en outre l’arrêt rendu, le 17 février 2004, par une chambre de huit membres de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Thampibillai c The Netherlands. Dans cette affaire, le père du demandeur avait été tué par l’armée sri‑lankaise, son frère combattait au sein du LTTE et il avait lui‑même été à de multiples reprises battu et maltraité par l’armée. La Cour européenne a néanmoins conclu que la preuve ne permettait pas de démontrer que le demandeur risquait effectivement d’être soumis à un traitement visé à l’Article 3. Le demandeur avait quitté le Sri Lanka en 1994 et, dans les 10 années qui s’étaient écoulées depuis, le climat au Sri Lanka avait changé au point qu’il ne courait plus de risques (Thampibillai c Pays‑Bas, Cour européenne des droits de l’homme (no 61350/00, 17 février 2004)). Il est raisonnable de dire que, compte tenu de la fin de la guerre civile, les Tamouls soupçonnés d’avoir entretenu des liens avec le LTTE sont exposés à encore moins de risques qu’ils ne l’étaient en 2004.

 

[56]           Le dossier de requête de M. Sittampalam comprend une lettre de l’avocat de M. Nagalingam ainsi qu’une déclaration de M. Thanabalasingham qui soutiennent que les deux membres du gang ont été maltraités à leur retour au Sri Lanka. Ces documents ne démontrent pas, cependant, que M. Sittampalam éprouverait lui‑même un préjudice irréparable. La lettre de l’avocat de M. Nagalingam indique que si, entre décembre 2005 et janvier 2009, M. Nagalingam a effectivement été interrogé à deux reprises (lors de son arrivée à l’aéroport puis, plus tard, à un poste de contrôle de l’armée), il a pu vivre au Sri Lanka sans éprouver de graves ennuis. L’incident qui se serait produit en janvier 2009 est décrit en ces termes par son avocat : [traduction] « Il semblerait que son arrestation soit attribuable aux liens que, selon certains, il entretient avec une bande tamoule de Toronto » (lettre de l’avocat de M. Nagalingam, dossier de requête du demandeur, à la page 475). Il est parfaitement conjectural de chercher à sonder les raisons qui ont poussé, après trois ans, les autorités sri‑lankaises à agir comme elles l’ont fait.

 

[57]           On ne peut, de même, accorder guère de poids, voire aucun, à la déclaration de M. Thanabalasingham, dont a été témoin son épouse. Lui et sa famille ont, à de multiples reprises au cours de la procédure d’immigration, fait de fausses déclarations. Rejetant la requête en sursis présentée par M. Thanabalasingham, le juge Barnes n’a accordé aucune valeur aux affidavits qu’il avait produits « étant donné la tendance passée du demandeur et de certains de ses alliés à faire de fausses déclarations ». Il a rappelé certaines des conclusions auxquelles était parvenue la Section d’appel de l’immigration (SAI) lorsqu’elle a rejeté l’appel de M. Thanabalasingham :

[…]

 

a.                   Le demandeur a reconnu s’être parjuré à de nombreuses reprises dans le but d’être libéré. Quand il a finalement réussi, il n’a rien tenté pour rétablir les faits pendant que la Cour examinait son dossier lors des différents contrôles énumérés ci‑dessus […]

 

b.                  Le demandeur a continué d’atténuer ses liens avec le gang dans son témoignage devant la Commission et, à cet égard, il manquait de crédibilité.

 

c.                   Le témoignage du demandeur était souvent évasif; par exemple, il a déclaré être incapable de se souvenir s’il avait jamais utilisé sa machette contre quiconque, outre l’incident où il l’avait utilisée pour commettre des voies de fait.

 

 

[…]

 

d.                  Des membres de la famille du demandeur ont menti pour lui dans le cadre de procédures d’immigration antérieures.

 

(Thanabalasingham c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2006 CF 486, 148 ACWS (3d) 103, aux paragraphes 5 et 12; voir également la décision Thanabalasingham c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 599, 315 FTR 40, dans laquelle la juge Johanne Gauthier relève, au paragraphe 16, que M. Thanabalasingham « s’est parjuré à de nombreuses occasions avant l’audience devant la SAI »).

 

[58]           La guerre civile a pris fin. L’évolution de la situation veut dire que ce que MM. Nagalingam et Thanabalasingham prétendent avoir vécu ne peut servir de baromètre quant à ce qu’éprouvera M. Sittampalam.

 

[59]           Outre les éléments de preuve dont il est fait état plus haut au sujet des risques spécifiques, des éléments de preuve documentaire objectifs démontrent que, contrairement à ce qu’affirme M. Sittampalam, on ne s’en prend pas aux Tamouls simplement parce qu’ils sont tamouls ou qu’ils soutiennent le LTTE. Les Tamouls comptent pour entre 9 et 16 p. 100 de la population du Sri Lanka, et l’Alliance nationale tamoule, parti politique qui soutient le LTTE, a remporté 14 sièges lors des élections parlementaires du mois d’avril 2010 (soit une perte de 8 sièges) (affidavit Mater, dossier de requête des défendeurs, pièce E (premier article) et pièce F aux pages 9 et 37 à 44). Ajoutons que le gouvernement sri‑lankais continue à remettre en liberté des cadres du LTTE après qu’il ait été déterminé qu’il ne s’agit pas de terroristes endurcis ou de personnes recherchées pour de graves méfaits.

 

[60]           Pour l’ensemble de ces raisons, M. Sittampalam n’est pas parvenu à démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il subirait un préjudice s’il était renvoyé au Sri Lanka.

 

[61]           Toute fermeture d’un commerce ou perte économique attribuable à un renvoi dans le pays d’origine ne constitue pas un préjudice irréparable (Selliah, précité, au paragraphe 15; Kerrutt c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1992), 53 FTR 93, 32 ACWS (3d) 621, aux paragraphes 15 et 16; Simoes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 187 FTR 219, 98 ACWS (3d) 422, aux paragraphes 18 et 19).

 

[62]           M. Sittampalam reconnaît qu’il fait, depuis octobre 2004, l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire. Sachant qu’on avait pris à son encontre une telle mesure, et qu’il devait bientôt faire l’objet d’un avis de danger, M. Sittampalam aurait pu prendre des dispositions afin, par exemple, de confier à quelqu’un son commerce d’oiseaux exotiques.

 

[63]           M. Sittampalam fait valoir que son renvoi dans son pays d’origine causerait aussi un préjudice à d’autres. Or, selon la jurisprudence dominante, on entend par préjudice irréparable un préjudice causé à l’intéressé qui sollicite le sursis, et non aux tiers. (RJR‑ MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, au paragraphe 58; Csanyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 97 ACWS (3d) 1192, [2000] ACF no 758 (QL); Perry c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2006 CF 378, 146 ACWS (3d) 1036, au paragraphe 30; Mariona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 100 ACWS (3d) 302, 9 Imm LR (3d) 58; Tulina‑Litvin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 105, 155 ACWS (3d) 383, au paragraphe 37). Même lorsque la séparation consécutive au renvoi impose à la famille de graves difficultés économiques, le critère demeure ancré sur la question de savoir si le demandeur subira lui‑même un préjudice irréparable.

 

[64]           Il est bien connu que l’expulsion entraîne normalement des bouleversements. Que la famille de M. Sittampalam demeure au Canada ou qu’elle choisisse de l’accompagner, il s’agit là de tracas auxquels se heurte toute personne tenue de quitter le Canada involontairement. Ces difficultés ne constituent pas un préjudice irréparable. Ce principe a été reconnu par la Cour d’appel fédérale dans Selliah, précité, ainsi que dans Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, 79 Imm LR (3d) 157. Dans l’arrêt Selliah, le juge John Maxwell Evans s’est, sur ce point, prononcé en ces termes :

[13]      Le renvoi de personnes qui sont demeurées au Canada sans statut bouleversera toujours le mode de vie qu’elles se sont donné ici. Ce sera le cas en particulier de jeunes enfants qui n’ont aucun souvenir du pays qu’ils ont quitté. Néanmoins, les difficultés qu’entraîne généralement un renvoi ne peuvent à mon avis constituer un préjudice irréparable au regard du critère exposé dans l’arrêt Toth, car autrement il faudrait accorder un sursis d’exécution dans la plupart des cas dès lors qu’il y aura une question sérieuse à trancher : Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000), 188 FTR 29.

 

(On cite également Sklarzyk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 336, 105 ACWS (3d) 116, au paragraphe 17; Simoes, précité, aux paragraphes 18 et 19).

 

[65]           Il convient en l’occurrence de rappeler un élément contextuel. Si l’on comprend fort bien que M. Sittampalam souhaite demeurer au Canada avec son épouse et ses enfants, il a été maintenu en détention d’octobre 2001 à avril 2007, et donc pendant toute cette période sa famille a été séparée de lui et privée de son soutien.

 

[66]           M. Sittampalam fait également valoir qu’il est discriminatoire d’exiger d’un demandeur, pour établir qu’il subira un préjudice irréparable, qu’il démontre que le préjudice en question va « au‑delà des conséquences normales de l’expulsion ». Selon lui, le critère ainsi appliqué opère une discrimination envers les non‑citoyens. C’est un principe essentiel du droit de l’immigration que les non‑citoyens n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada ou d’y demeurer. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a conclu dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711, le gouvernement du Canada a le droit d’expulser des non‑citoyens, ceux‑ci n’ayant aucun droit absolu de demeurer au Canada. Cela étant, ce n’est pas discriminer que d’accorder aux non‑citoyens un traitement différent de celui qui est accordé aux citoyens, ou d’exiger qu’ils démontrent qu’ils subiront un préjudice dépassant les conséquences normales d’une expulsion. (Ce qui, dans l’arrêt Medovarski, précité, a été rappelé à l’unanimité par la Cour suprême du Canada en 2005).

 

[67]           En conclusion, M. Sittampalam n’est pas parvenu à démontrer qu’il subira un préjudice irréparable s’il n’obtient pas de sursis.

 

C.  La prépondérance des inconvénients

[68]           Les considérations qu’il convient de retenir lors de l’évaluation de la prépondérance des inconvénients ont été exposées par le juge Andrew MacKay :

En l’absence d’un préjudice irréparable, il est, à strictement parler, inutile d’examiner la question de la prépondérance des inconvénients. Il est néanmoins utile de rappeler que, dans la discussion du critère de l’octroi d’une suspension d’instance ou d’une injonction interlocutoire dans l’affaire Metropolitan Stores, le juge Beetz a insisté sur l’importance d’attribuer un poids approprié à l’intérêt public dans un cas où une suspension d’instance est demandée à l’encontre d’un organisme agissant en vertu de lois et de règlements publics dont on n’a pas encore déterminé qu’ils sont inopérants ou inapplicables à l’espèce. Cet intérêt public appuie le maintien des programmes prévus par la loi et des efforts de ceux qui sont chargés de les appliquer. C’est seulement dans des cas exceptionnels que l’intérêt du particulier, qui, selon la preuve, pourrait subir un préjudice irréparable, l’emportera sur l’intérêt public. (Non souligné dans l’original)

 

(Dugonitsch c Canada (MEI) (1992), 53 FTR 314, 32 ACWS (3d) 314).

 

[69]           Les observations faites par le juge Evans dans Selliah, précité, s’appliquent elles aussi en l’occurrence :

[21]      L’avocate des appelants dit que, puisque les appelants n’ont aucun casier judiciaire, qu’ils ne sont pas une menace pour la sécurité et qu’ils sont financièrement établis et socialement intégrés au Canada, l’équilibre des inconvénients milite en faveur du maintien du statu quo jusqu’à l’issue de leur appel.

 

[22]      Je ne partage pas ce point de vue. Ils ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu’ils sont arrivés ici. À mon avis, l’équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d’un nouveau report de l’accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d’un nouveau report de l’accomplissement de l’obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront : voir le paragraphe 48(2) de la LIPR. Il ne s’agit pas simplement d’une question de commodité administrative, il s’agit plutôt de l’intégrité et de l’équité du système canadien de contrôle de l’immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système. (Non souligné dans l’original).

 

[70]           La Cour a eu l’occasion de rappeler que, lorsqu’un demandeur a été déclaré coupable d’actes criminels, la prépondérance des inconvénients joue largement en faveur du ministre :

[7]        Pour ce qui est du critère relatif à la répartition des inconvénients, je suis d’accord avec le raisonnement du juge Rothstein dans l’arrêt Mahadeo c. Canada (Secrétaire d’État), 31 octobre 1994, (inédit), dossier de la Cour IMM‑4647‑94 (C.F. 1re inst.). Le juge Rothstein a déclaré dans cette décision que lorsqu’un requérant est coupable de fraude en matière d’aide sociale ou qu’il a été reconnu coupable d’un acte criminel au Canada, la prépondérance des inconvénients penche énormément en faveur de l’intimé. Le requérant en l’espèce a été reconnu coupable de voies de fait infligeant des blessures corporelles et cela, à mon avis, l’emporte sur toute considération ayant trait au grave choc émotif infligé à la famille du requérant. Je conclus par conséquent que la répartition des inconvénients joue en faveur de l’intimé. (Non souligné dans l’original).

 

(Gomes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 199 (QL), 91 FTR 264; on cite également Townsend c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 247, 53 ACWS (3d) 358, au paragraphe 6; Thamotharampillai, précité, au paragraphe 10; Moncrieffe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 62 ACWS (3d) 964; [1995] ACF no 1576 (QL) 1re inst, au paragraphe 13; Grant c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 141, 112 ACWS (3d) 128, au paragraphe 10).

 

[71]           S’appliquent également en l’occurrence les observations faites par le juge Evans de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tesoro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 148, [2005] 4 RCF 210, affaire dans laquelle le demandeur, qui avait été déclaré coupable de graves actes d’atteinte frauduleuse à la propriété, sollicitait un sursis au renvoi :

[47]      Cependant, si j’avais décidé que le renvoi de M. Tesoro causerait un préjudice irréparable, parce que les effets de la séparation familiale étaient plus que de simples inconvénients, j’aurais situé ce préjudice au bas de l’échelle de gravité et j’aurais conclu que, selon la prépondérance des inconvénients, il devait céder le pas devant l’intérêt du public dans le renvoi rapide du Canada de ceux jugés interdits de territoire pour cause de grande criminalité. Si l’on veut que l’administration du droit de l’immigration soit crédible, il faut que le renvoi des personnes visées par une mesure d’expulsion soit la règle, et que l’octroi d’un sursis en attendant l’issue d’une instance judiciaire, l’exception. (Non souligné dans l’original)

 

[72]           La Cour doit prendre en compte le fait que M. Sittampalam est considéré comme un danger pour le public au Canada. Si une personne constitue un danger pour le public, l’intérêt public et la prépondérance des inconvénients militent contre l’octroi d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi (Jama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 374, 166 ACWS (3d) 297, aux paragraphes 8, 10, 24, 25 et 32; Choubaev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 816, 115 ACWS (3d) 854, au paragraphe 17).

 

[73]           En ce qui concerne l’application de l’article 196 de la LIPR, la Cour suprême a, dans l’arrêt Medovarski, précité, jugé que l’intention est de donner priorité à la sécurité du Canada. Cette intention se dégage du dispositif adopté afin de faciliter le renvoi de résidents permanents qui se sont livrés à des actes criminels graves, et de l’accent que la LIPR met sur l’obligation qu’ont les résidents permanents de se conformer aux lois du Canada. La juge en chef du Canada, Beverley McLachlin, s’exprimant au nom d’une Cour unanime, s’est prononcée en ces termes :

[9]        La LIPR comporte une série de dispositions destinées à faciliter le renvoi de résidents permanents qui se sont livrés à des activités de grande criminalité. Cette intention se dégage des objectifs de la LIPR, des dispositions de la LIPR applicables aux résidents permanents et des audiences qui ont précédé l’adoption de la LIPR.

 

[10]      Les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada. Cela représente un changement d’orientation par rapport à la loi précédente, qui accordait plus d’importance à l’intégration des demandeurs qu’à la sécurité : voir, par exemple, l’al. 3(1)iLIPR comparativement à l’al. 3j) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)eLIPR comparativement à l’al. 3d) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)hLIPR comparativement à l’al. 3i) de l’ancienne Loi. Considérés collectivement, les objectifs de la LIPR et de ses dispositions relatives aux résidents permanents traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi.

 

[…]

 

[12]      Lorsqu’elle a déposé la LIPR, la ministre a souligné énergiquement que les dispositions comme l’art. 64 avaient pour objet de retirer aux grands criminels le droit d’interjeter appel. Elle a dit souhaiter « que l’on renvoie le plus rapidement possible [...] les personnes qui constituent un risque pour la sécurité du Canada » (Non souligné dans l’original).

 

[74]           Il ne fait aucun doute qu’en l’espèce la prépondérance des inconvénients joue en faveur du ministre. M. Sittampalam constitue un danger pour le public canadien, et a été considéré comme tel dans le cadre de décisions antérieures. Sa présence au Canada met en question l’intégrité de notre système d’immigration. Les inconvénients que pourrait éprouver M. Sittampalam en raison de son renvoi du Canada ne l’emportent pas sur l’intérêt public qui exige que l’ordonnance de renvoi soit mise à exécution dans les meilleurs délais.

 

[75]           En rejetant la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi visant M. Thanabalasingham, un chef des V.V.T., une bande rivale, le juge Barnes s’est exprimé en ces termes :

[19]      En conclusion, j’adopte la position proposée par l’avocat du défendeur dans la présente requête quand il déclare :

 

101      Chaque année, la Cour entend des centaines de demandes de sursis. Bien qu’ils soient entrés illégalement, de nombreux demandeurs travaillent dur et observent la loi; ils ne sont ici que pour améliorer leur vie et celle de leur famille. Néanmoins, afin de respecter le système d’immigration et la loi, la Cour est tenue de rejeter la plupart des requêtes présentées par ces candidats immigrants. En l’espèce, nous avons affaire à un immigrant qui a eu la chance de se construire une vie meilleure au Canada et de contribuer à la société canadienne. Il a choisi de ne pas le faire et s’est plutôt engagé dans des activités criminelles graves et violentes, violant et mettant en danger la paix et la sécurité du public canadien. Dans les circonstances, octroyer un sursis, à l’humble avis du défendeur, serait contraire à l’esprit, aux principes et aux objectifs de la LIPR, sans parler des principes sous‑tendant le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’octroyer la réparation demandée.

 

(Thanabalasingham, précité).

 

[76]           M. Sittampalam s’est déjà, à plusieurs reprises, pourvu devant les Cours fédérales. Comme l’a écrit la juge Donna McGillis dans Sinnappu : « […] il faut reconnaître qu’à un certain point du système, il doit y avoir une décision définitive ». (Sinnappu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 2 CF 791 (1re inst), au paragraphe 73).

 

VI.  Conclusion

[77]           Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : La demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2484‑10

                                                           

 

INTITULÉ :                                      JOTHIRAVI SITTAMPALAM c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION ET

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 21 mai 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

Gregory G. George

Ada Mok

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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