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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100519

Dossier : IMM-5661-09

Référence : 2010 CF 537

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CRAMPTON

 

 

ENTRE :

WILSON FERNANDO IDARRAGA CARDENAS

DELIO YACZON ZAPATA GRANDA

ADRIANA PATRICIA IDARRAGA

ALEJANDRO JESUS ZAPATA

 

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

[1]               Les demandeurs sont des citoyens de la Colombie qui disent craindre avec raison d’être persécutés par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) du fait de leurs opinions politiques présumées.

 

[2]               Les demandeurs sont tous membres de la même famille : M. Wilson Fernando Idarraga Cardenas (Cardenas) et Mme Adriana Patricia Idarraga (Idarraga) sont frère et soeur, M. Delio Yaczon Zapata Granda (Granda) est le mari de Mme Idarraga, et Alejandro Jesus Zapata (Zapata) est leur fils.

 

[3]               Cardenas et l’une de ses autres soeurs travaillaient au commerce de leur mère en août 2000 pendant que celle-ci rendait visite à leur frère aux États-Unis. Au cours de cette période, il a reçu un appel téléphonique d’un appelant non identifié qui a exigé qu’il verse de l’argent pour la protection du commerce. Il a communiqué avec sa mère pour l’informer de l’appel téléphonique, et elle lui a dit de ne pas s’inquiéter, car il s’agissait probablement d’hommes de main tentant de leur extorquer de l’argent.

 

[4]               Il prétend avoir reçu un certain nombre d’appels téléphoniques subséquents, chacun étant plus menaçant que le précédent. Obéissant aux directives de sa mère, il aurait signalé ces appels téléphoniques à la police, qui lui a dit qu’elle pouvait seulement envoyer un policier surveiller les lieux environ deux fois par semaine. Cardenas soutient avoir vu un policier près des locaux du commerce à deux occasions seulement.

 

[5]               Le 29 septembre 2000, Cardenas et sa soeur ouvraient le magasin lorsque trois hommes armés et masqués sont arrivés sur les lieux et les ont contraints à entrer. Il affirme que les hommes se sont identifiés comme membres des FARC et leur ont dit qu’ils devaient subir les conséquences de ne pas avoir payé la protection comme ils lui avaient demandé. Cardenas soutient avoir été battu, ligoté et enfermé dans la salle de bain pendant que sa soeur était violée.

 

[6]               Cardenas ajoute que, après le départ des hommes, sa soeur et lui ont appelé une ambulance et ont informé le reste de la famille de l’incident. Le 3 octobre 2000, après le retour de sa mère des États-Unis, il soutient que sa mère et lui se sont rendus au poste de police pour déposer une plainte. Toutefois, comme ils croyaient que la police ne pourrait rien faire, ils ont décidé de quitter pour les États-Unis. Ils sont finalement partis le 29 décembre 2000. Après s’être fait refuser le statut de résident permanent aux États-Unis en août 2006, Cardenas est arrivé au Canada le 30 octobre 2008 et a tout de suite présenté une demande d’asile.

 

[7]               Granda soutient que sa famille possédait une entreprise de livraison dans la ville de Itagui, et que, en 1998, des membres de la famille ont commencé à recevoir des appels téléphoniques au cours desquels l’interlocuteur exigeait le versement de sommes d’argent, faute de quoi ils seraient tués. À la suite de ces menaces, il prétend que sa famille a déménagé l’entreprise à Medellin et que, au début de 1999, ils ont recommencé à recevoir le même genre d’appels téléphoniques menaçants. Il ajoute que les personnes qui ont fait ces derniers appels téléphoniques se sont identifiées comme membres des FARC. Après avoir reçu de tels appels pendant environ sept mois, il soutient que son père a été attaqué et battu par des guérilleros des FARC alors qu’il quittait son travail. Il a également déclaré que son père s’est fait dire de ne rien rapporter aux autorités, sinon sa vie et celle des membres de sa famille seraient en danger. Par conséquent, son père s’est enfui aux États-Unis le 13 août 1999 après avoir transféré son entreprise à Granda et à sa soeur.

 

[8]               Granda soutient en outre s’être fait voler un de ses camions de livraison en janvier 2000. Il aurait été retrouvé plus tard par la police, délesté de toute la marchandise qui s’y trouvait. Il aurait déclaré cet incident à la police, mais n’a jamais entendu parler d’arrestations faites par celle-ci. Il soutient que, après cet incident, il a encore recommencé à recevoir des appels téléphoniques d’interlocuteurs non identifiés qui exigeaient qu’il verse de l’argent et menaçaient les membres de sa famille et lui même de meurtre s’il ne payait pas. Il ajoute s’être fait mettre en garde de ne pas se rendre au poste de police pour identifier des suspects ni d’avoir quelque contact que ce soit avec la police. Par conséquent, Granda et Idarraga ont décidé de s’enfuir de la Colombie. Finalement, ils se sont enfuis aux États-Unis en février 2000.

 

[9]               Idarraga est actuellement résidente permanente des États-Unis et Zapata est citoyen américain. Toutefois, Granda ne possède présentement pas de statut aux États-Unis. Idarraga et Zapata sont arrivés au Canada le 30 novembre 2008 et ont tout de suite présenté chacun une demande d’asile. Granda est arrivé au Canada le 7 janvier 2009 et a présenté une demande d’asile sur-le-champ.

 

[10]           Les demandes faites par les demandeurs ont été entendues ensemble le 16 octobre 2009. Dans une décision datée du 30 octobre 2009, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leurs demandes. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

 

 

 

II.         La décision visée par la demande de contrôle

 

[11]           Au début de sa décision, la SPR a rejeté les demandes de Idarraga et de son fils parce que ni l’un ni l’autre n’avaient soumis d’éléments de preuve ni présenté d’observations sur un risque éventuel de préjudice aux États-Unis ou sur une protection inadéquate de l’État aux États-Unis.

 

[12]           En ce qui concerne Cardenas et Granda, la décision visait à déterminer s’il existait une possibilité sérieuse qu’ils soient maltraités s’ils devaient retourner en Colombie et vivre à Bogota. La SPR s’est également demandée s’il serait raisonnable pour Granda, qui vivait à Medellin avant de s’enfuir du pays, de se réinstaller à Bogota. La SPR n’a pas jugé nécessaire de se pencher sur ce deuxième volet de la possibilité de refuge intérieur (PRI) pour Cardenas, car Cardenas vivait à Bogota avant de s’enfuir de la Colombie.

 

[13]           Après avoir traité d’un nombre considérable de documents qui avaient été soumis par les demandeurs et d’autres documents obtenus par la SPR de manière autonome, celle-ci a résumé la preuve documentaire. Entre autres choses, elle a constaté ce qui suit :

 

                                                               i.      les bases d’opération des FARC se limitent maintenant aux régions rurales de la Colombie;

 

                                                             ii.      les FARC ne sont plus en mesure d’effectuer un suivi d’une personne d’une région à une autre du pays, en raison de la surveillance assurée par les forces de sécurité et de leur capacité d’interrompre les communications;

 

                                                            iii.      les forces de sécurité exercent un contrôle serré des routes et des rivières qui relient les centres urbains aux zones de combat;

 

                                                           iv.      les activités des FARC dans les régions urbaines semblent maintenant limitées à (i) des tentatives d’influencer les jeunes dans les universités, afin d’établir une nouvelle base politique, et (ii) des attaques aléatoires dirigées vers des bureaux du gouvernement, pour faire preuve d’une présence continue. La seule attaque signalée dans une région urbaine en 2008 aurait été commise à Cali.

 

[14]           Plus tôt dans sa décision, la SPR a également mentionné que « [à] cause des forces de sécurité […] il est devenu difficile pour les membres des FARC de quitter librement ces [bases d’opération rurales] » et que « le fait que les FARC ne puissent pas mettre à exécution leurs menaces dans les milieux urbains n’élève pas le risque de persécution au niveau requis pour obtenir la protection du Canada. » De plus, la SPR a constaté qu’il n’y avait « aucun élément de preuve démontrant que les FARC ont mis à exécution les menaces de préjudice personnel contre toute personne résidant à Bogota au cours des 12 derniers mois. »

 

[15]           Sur la foi de ce qui précède, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse qu’il soient persécutés ou subissent un préjudice grave s’ils devaient vivre à Bogota. La SPR a également statué que Granda n’avait pas fourni de preuve à l’appui de sa prétention selon laquelle Bogota ne constituerait pas pour lui une région raisonnable pour vivre, et donc que Bogota satisfait aux deux volets du critère relatif à la PRI viable.

 

 

III.       Les questions en litige

[16]           Les demandeurs font valoir que la SPR a fait erreur :

 

                                                               i.      en interprétant mal et en ne traitant pas des éléments de preuve importants;

 

                                                             ii.      en omettant d’appliquer le critère à deux volets à l’évaluation d’une PRI et de donner des motifs suffisants à l’égard du deuxième volet de ce critère;

 

                                                            iii.      en procédant à une mauvaise évaluation de la question des changements récents survenus dans la situation en Colombie;

 

                                                           iv.      en omettant de déterminer s’il y avait des « raisons convaincantes », découlant d’une persécution antérieure, pour lesquelles les demandeurs refusent de se réclamer de la protection de la Colombie, comme le prévoit le paragraphe 108(4) de la LIPR.

 

IV.       La norme de contrôle

[17]           La première question et la troisième question qui ont été soulevées par les demandeurs, de même que le deuxième volet de la deuxième question, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 51 à 56; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, aux paragraphes 45 et 46).

 

[18]           Dans Khosa, au paragraphe 59, la raisonnabilité a été énoncée par le juge Ian Binnie dans les termes suivants :

 

Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles-mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle-ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

[19]           Toutefois, la quatrième question, qui consiste à établir si la SPR a fait erreur en n’évaluant pas si les demandeurs satisfaisaient aux exigences du paragraphe 108(4) de la LIPR, et la question qui consiste à déterminer si la SPR a appliqué le bon critère pour évaluer l’existence ou non d’une PRI, sont susceptibles de révision suivant la norme de la décision correcte (Khosa, ci-dessus, au paragraphe 44; et Decka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 822, au paragraphe 5).

 

V.        L’analyse

A.      La SPR a-t-elle fait erreur en interprétant mal et en ne traitant pas des éléments de preuve importants?

 

[20]           Les demandeurs font valoir que la SPR a fait erreur en écartant la preuve qui se trouvait dans un rapport de 2005 publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR). La SPR a tiré une conclusion défavorable du fait qu’un rapport plus récent, décrit incorrectement par la SPR comme provenant du même organisme, ne renfermait pas d’énoncés similaires. Toutefois, compte tenu du fait que la SPR s’est également appuyée sur de nombreuses autres preuves, toutes plus récentes que le rapport de 2005 du HCNUR, pour conclure que les demandeurs peuvent se réclamer d’une protection adéquate de l’État à Bogota, je suis convaincu que cette erreur n’était pas importante. L’existence d’une quantité importante d’éléments de preuve plus récents à l’appui de la conclusion de la SPR distingue la présente affaire de Ibarra-Lerma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1611, au paragraphe 9; et Escobar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1436, au paragraphe 7.

 

[21]           Les demandeurs font également valoir que la SPR a fait erreur en ne traitant pas de la preuve contenue dans un rapport, daté du 20 août 2009, émanant de M. Mark Chernick et en omettant d’expliquer pourquoi elle a privilégié d’autres éléments de preuve. Je ne souscris pas à ce point de vue. La SPR a expressément traité de cette preuve aux paragraphes 19 à 21 et 32 à 35 de sa décision. Toutefois, elle a privilégié d’autres éléments de preuve récents, dont deux rapports de l’International Crisis Group (ICG), datés d’avril 2008 et de mars 2009, résumés en grande partie aux paragraphes 46 à 48 de sa décision. La SPR a noté que ICG « est dirigée par des personnalités internationales respectées et bien connues, dont un ancien premier ministre du Canada et un juriste canadien reconnu à l’échelle internationale. » La SPR, ayant traité expressément du rapport Chernick et d’une quantité importante d’autres éléments de preuve soumis par les demandeurs, et ayant expliqué en divers points de sa décision pourquoi elle n’a pas accepté la majeure partie de ces éléments de preuve, il lui était raisonnablement loisible de privilégier d’autres éléments de preuve, tous assez récents. 

 

[22]           Pourvu que la SPR tienne compte raisonnablement des éléments de preuve importants qui sont versés au dossier et qui peuvent contredire ses conclusions, il n’est pas obligatoire que la SPR fasse référence à tous les éléments de la preuve documentaire ou à tous les extraits des sources citées qui contredisent l’information que la SPR a décidé de citer, dans la mesure où la décision de la SPR se situe dans les limites de la raisonnabilité (Rachewiski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 244, au paragraphe 17).

 

[23]           Il incombait au demandeur de produire des preuves claires et convaincantes afin de persuader la SPR, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État à Bogota est inadéquate (Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 724 et 725; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 54; Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 30). En l’espèce, la SPR a conclu que le demandeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau de preuve.

 

[24]           Bref, je ne peux conclure que la décision de la SPR était déraisonnable. Selon moi, sa conclusion sur le caractère adéquat de la protection de l’État s’inscrivait tout à fait dans l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

B.    La SPR a-t-elle fait erreur en omettant d’appliquer correctement le critère relatif à la PRI et de donner des motifs suffisants à l’égard de ce critère?

 

[25]           Les demandeurs font valoir que la SPR a fait une erreur en se fondant sur des preuves documentaires selon lesquelles les populations civiles des villes se sentent plus en sécurité pour conclure que les demandeurs pourraient se réclamer d’une protection de l’État adéquate à Bogota. Ils affirment que le critère permettant d’établir si un État est en mesure ou non d’offrir une protection adéquate et s’il existe une PRI « n’est pas un exercice de relativité ». Autrement dit, il ne s’agit pas de déterminer si les résidents des centres urbains sont « plus en sécurité » que les résidents d’autres secteurs du pays. Ils font plutôt valoir que le critère consiste à établir si (i) un demandeur d’asile serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution dans la zone de la PRI identifiée, et (ii) s’il est raisonnable ou non, au vu de l’ensemble des circonstances, dont celles qui sont propres au demandeur, que celui-ci présente une demande asile dans cette région.

 

[26]           Je suis d’accord avec la description faite par les demandeurs quant aux deux volets du critère utilisé pour établir s’il existe une PRI, et avec leur point de vue selon lequel le premier volet de ce critère est de nature absolue, plutôt que relative. (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706, page 711 (C.A.); Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, aux paragraphes 13 à 15 (C.A.); Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, aux pages 597 à 599 (C.A.).)

 

[27]           Toutefois, je ne souscris pas à leur argument selon lequel la SPR a mal appliqué le critère approprié. Selon moi, la lecture intégrale de la décision de la SPR révèle que la SPR a appliqué le bon critère, par opposition au critère « relatif » allégué par les demandeurs, pour conclure que les demandeurs ne seraient pas exposés à une possibilité sérieuse d’être maltraités s’ils devaient retourner en Colombie et vivre à Bogota. Ce bon critère a été énoncé à de nombreuses reprises au début de la décision de la SPR (aux paragraphes 8, 12, 13 et 17), puis à la fin de la décision (au paragraphe 56). Par conséquent, je ne peux pas conclure que la SPR a fait erreur en appliquant le mauvais critère lorsqu’elle a évalué la question visant à déterminer s’il existait une possibilité sérieuse que les demandeurs soient maltraités s’ils devaient retourner en Colombie et vivre à Bogota.

 

[28]           Granda prétend également que la SPR a fait erreur lorsqu’elle a traité du deuxième volet du critère relatif à la PRI en affirmant tout simplement qu’il « n’a fourni aucun élément de preuve attestant que Bogota ne serait pas un endroit où il serait raisonnable pour lui de vivre ». Je ne peux pas conclure qu’il s’agissait d’une erreur susceptible de révision de la part de la SPR. Il incombait à Granda de produire des preuves suffisantes pour établir, selon la prépondérance des probabilités, les deux volets du critère applicable à la PRI. Il ne l’a pas fait. La décision de la Cour dans Syvyryn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1027, au paragraphe 6, peut être distinguée, car dans cette affaire, la SPR semble s’être fondée uniquement sur le fait que le demandeur avait plus de 20 ans d’expérience dans le domaine de la comptabilité pour conclure qu’il n’était pas déraisonnable pour le demandeur de présenter une demande d’asile à Kiev. Dans la présente affaire, Granda n’a pas produit de preuve à l’appui de ses prétentions. Il n’était donc pas déraisonnable pour la SPR de ne pas avoir traité de manière plus exhaustive de cette prétention. Bref, il n’y avait rien à ajouter.

 

[29]            Granda prétend que la documentation sur le pays qui a été soumise à la SPR renfermait des preuves importantes sur la question de savoir s’il serait raisonnable pour lui de se réclamer d’une PRI à Bogota.

 

[30]           Je ne souscris pas à ce point de vue. Ce renseignement concernait le premier volet du critère relatif à la PRI, soit la question de savoir s’il serait confronté à une possibilité sérieuse d’être persécuté à Bogota. Une fois que la SPR a établi qu’il ne serait pas exposé à une telle possibilité, la seule question qui restait consistait à déterminer s’il serait raisonnable pour lui, compte tenu de l’ensemble des circonstances, dont les circonstances qui lui sont propres, de se réclamer de cette PRI. Cette question est distincte de celle de la persécution et consiste notamment à établir s’il existe « de[s] conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité [de Granda] tentant de se relocaliser temporairement à » Bogota, (Ranganathan, ci-dessus, au paragraphe 15 (Non souligné dans l’original.)); ou si le lieu sécuritaire constitue une partie déraisonnablement isolée du pays (Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 14). Tel qu’il a déjà été mentionné, Granda n’a produit aucune preuve sur ce point. Il n’était donc pas déraisonnable pour la SPR de ne pas en avoir dit plus sur cette question.

 

C.    La SPR a-t-elle fait erreur en procédant à une mauvaise évaluation de la question des changements récents survenus dans la situation en Colombie?

 

[31]           Les demandeurs font valoir que la SPR a fait erreur en omettant d’évaluer explicitement la stabilité de la capacité de la Colombie à fournir une protection de l’État adéquate contre les FARC.  Je ne souscris pas à ce point de vue. Il est très apparent, au vu du long exposé sur la documentation du pays de la SPR et de son résumé détaillé de cette documentation, que la SPR estimait que les FARC avaient été repoussées avec succès et restreintes de manière plus durable aux régions rurales du pays. Au moment de la décision de la SPR, cette situation avait cours depuis environ deux ans.

 

[32]           Les décisions citées par les demandeurs pour étayer leur point de vue sur ce point peuvent être distinguées. 

 

[33]           Dans Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 290, au paragraphe 15, la Cour a expressément souligné que, au moment de l’audience de la SPR, la stabilité du gouvernement de coalition au Bengladesh était remise en question et il devait satisfaire à l’exigence d’élections obligatoires au cours de l’année suivant la décision. En outre, l’histoire politique de ce pays révélait que ses gouvernements ne demeuraient pas en place longtemps et que le pouvoir passait de l’un des principaux partis en concurrence à l’autre et que l’armée intervenait périodiquement. 

 

[34]           Dans Ibarra-Lerma, précitée au paragraphe 9, la Cour a explicitement conclu qu’il n’y avait « aucune preuve au dossier qui justifierait la conclusion qu’après un « écart de six ans » il existait une PRI viable à Mexico pour les demandeurs ». De fait, la Cour a conclu à l’existence d’une preuve importante qui étaye la conclusion contraire.

 

[35]           Compte tenu de l’ensemble de la décision de la SPR, et, plus particulièrement, compte tenu que la preuve a raisonnablement établi que le gouvernement de la Colombie est parvenu durablement à circonscrire et à limiter les FARC, je suis convaincu qu’il n’était pas déraisonnable pour la SPR d’omettre d’évaluer explicitement la stabilité de la capacité de la Colombie à fournir une protection adéquate de l’État contre les FARC. Je suis convaincu que la SPR a bien évalué la question de savoir si les demandeurs seraient exposés à une possibilité sérieuse de persécution à Bogota (Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 35, au paragraphe 3 (C.A.)).

 

D.    La SPR a-t-elle fait erreur en omettant d’établir si les demandeurs satisfaisaient aux exigences du paragraphe 108(4) de la LIPR?

 

[36]           Les demandeurs prétendent que comme la SPR a conclu à l’existence d’une PRI viable à Bogota en raison de changements dans la situation prévalant dans le pays, elle devait établir si l’exception énoncée au paragraphe 108(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 s’appliquait. Voici le texte de cette disposition :

 

 

 

 

 

 

 

 

[37]           Je ne souscris pas au point de vue des demandeurs. La SPR n’est pas tenue d’effectuer l’analyse prévue au paragraphe 108(4) de la LIPR, sauf si un demandeur d’asile établit d’abord avoir subi par le passé une forme de persécution, de torture, de traitement ou de peine prévu par les articles 96 ou 97 de la LIPR. (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 aux pages 747-748 (C.A.); Decka, précitée, au paragraphe 10; Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, au paragraphe 5; et Nadjat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 302, aux paragraphes 50 et 51.)

 

[38]           En l’espèce, les demandeurs n’ont jamais satisfait à cette condition préalable qui déclenche l’application de l’exigence selon laquelle la SPR doit déterminer s’il existait des motifs convaincants tels que ceux prévus au paragraphe 108(4). Par conséquent, la SPR n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en ne faisant pas d’évaluation en vertu du paragraphe 108(4).

 

[39]           Je suis également convaincu que la SPR n’a pas choisi délibérément d’éviter d’avoir à faire une évaluation en vertu du paragraphe 108(4) en ne concluant pas que les demandeurs avaient déjà été victimes de persécution, de torture, de traitements ou de peines au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

VI.       Conclusion

[40]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[41]           Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

 

                                                                                                « Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5661-09

 

INTITULÉ :                                       CARDENAS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)       

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 4 MAI 2010          

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 19 MAI 2010        

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Jack Davis

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Sally Thomas

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Davis et Grice

Avocats et procureurs

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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