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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100429

Dossier : IMM-4006-09

Référence : 2010 CF 457

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

MARI CRUZ HERNANDEZ FUENTES

(alias MARICRUZ HERNANDEZ FUENTES) et

NATALY NAOMI HERNANDEZ FUENTES

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi) de la décision du 15 juillet 2009 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Dans cette décision, la commissaire, Marlene Hogarth, n’a pas reconnu que les demanderesses avaient qualité, tel qu’il était allégué, de réfugiées au sens de la Convention, au titre de l’article 96 de la Loi.

 

[2]               Mari Cruz Hernandez Fuentes, la demanderesse, est une citoyenne du Mexique. Elle a agi comme représentante désignée de sa fille mineure, Nataly Naomi Hernandez Fuentes, également citoyenne du Mexique.

 

[3]               La demanderesse a demandé l’asile au nom de sa fille mineure. Elle craint que sa fille soit la cible d’exploitation et de sévices sexuels de la part du même membre de sa famille qui l’avait elle‑même prise pour cible avant qu’elle ne quitte le Mexique en 2007.

 

[4]               La commissaire a reconnu que la demanderesse avait été victime de violence fondée sur le sexe et qu’elle craignait son oncle. Plus précisément, la Commission a relevé que la demanderesse craignait ce que l’oncle pourrait faire à sa fille plutôt qu’à elle-même à l’avenir.

 

[5]               La fille mineure étant membre de la famille de la demanderesse, les demanderesses constituaient par conséquent un groupe social.

 

[6]               La commissaire a ensuite déclaré que les questions de la protection de l’État et de la possibilité de refuge intérieur (PRI) avaient un caractère déterminant aux fins de la demande d’asile. La commissaire a statué que la demanderesse n’avait pas présenté une « preuve claire et convaincante » permettant de réfuter la présomption de capacité de l’État de les protéger, sa fille et elle, et, subsidiairement, que la demanderesse disposait d’une PRI à Guadalajara.

 

[7]               La norme de contrôle applicable aux deux composantes de la décision de la Commission est celle de la raisonnabilité.

 

[8]               Selon le droit canadien, une décision doit être justifiée, transparente et intelligible en plus d’appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47). Comme la Cour suprême du Canada l’a également reconnu dans l’arrêt Dunsmuir (paragraphe 44), malgré la différence au plan théorique des normes de la raisonnabilité simpliciter et de la décision manifestement déraisonnable, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples ».

 

[9]               La Cour suprême a récemment donné les précisions qui suivent, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au sujet de la norme de la raisonnabilité :

[59]    […] Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[10]           En l’espèce, après avoir entendu les avocats des parties et examiné la preuve, j’estime qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au Mexique. La demanderesse n’a de fait signalé qu’une fois à la police, en 2001, les sévices sexuels que lui avait infligés son oncle. La demanderesse n’a rien fait d’autre pour obtenir la protection de l’État, ne se présentant devant aucun autre service de police ni devant aucun organisme gouvernemental voué à la protection des femmes qui risquent d’être victimes de violence. La Commission a conclu, après examen exhaustif de la preuve documentaire, que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au Mexique, une démocratie dotée de ressources destinées précisément à aider les personnes dans la même situation que la demanderesse. La Commission a particulièrement relevé les éléments de preuve documentaire qui suivent concernant le Mexique :

 

a)    Les forces de police fédérales, municipales et des États comptent environ 500 000 membres.

b)    Il y a de la corruption au Mexique au sein des autorités, mais le pays consent de grands efforts pour rendre les services de police plus professionnels. En outre, de nombreux organismes gouvernementaux s’attaquent aux problèmes de criminalité, et les fonctionnaires, notamment les membres de la police et de l’armée, qui manquent à leur devoir sont punis.

c)    L’État dispose de nombreuses ressources pour aider les femmes victimes de violence, notamment le Bureau du procureur général du District fédéral, qui offre aux victimes des services de représentation par avocat, et INMUJERES, un organisme gouvernemental fédéral qui a pour rôle de protéger les femmes et qui dispense, par téléphone, des services d’aide psychologique et juridique ainsi que d’aiguillage.

 

[11]           Selon la demanderesse, la Commission n’a pas examiné sa prétention selon laquelle elle ne pouvait obtenir la protection de l’État, parce que son oncle était un policier municipal. Tel n’a toutefois pas été le cas. Il est expressément déclaré dans les conclusions de la Commission que, s’il y a bien de la corruption au sein des services de police, les policiers (comme l’oncle de la demanderesse) qui commettent des crimes sont punis. La Commission a fait remarquer, en invoquant la preuve documentaire, que des ressources avaient été mises en place pour aider précisément les femmes dans la même situation que la demanderesse, mais que celle-ci n’avait pas tenté d’y recourir pour se protéger ou pour poursuivre son oncle. La Commission s’est en outre penchée sur la protection par l’État à laquelle la demanderesse avait accès chez elle à Mexico, et elle a conclu que cette région était dotée de lois plus élaborées et que les femmes victimes de violence y jouissaient d’une protection adéquate.

 

[12]           Comme l’a signalé l’avocate du défendeur, la commissaire a pris en considération les lignes directrices sur la violence familiale, et a prêté foi au témoignage de la demanderesse selon lequel, la seule fois où celle-ci avait tenté de dénoncer son oncle à la police, les policiers n’avaient pas établi de rapport. La Commission a toutefois conclu que la demanderesse n’avait pas même tenté d’approcher d’autres échelons des forces de police, ni d’obtenir protection par d’autres voies.

 

[13]           Il est de droit constant que lorsque l’État en cause est une démocratie, le demandeur doit faire des efforts concertés pour en obtenir la protection avant de demander la protection internationale. Dans l’arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général), 143 D.L.R. (4th) 532, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[…] Dès lors, en effet, qu’il est tenu pour acquis que l’État […] possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, il est certain que le refus de certains policiers d’intervenir ne saurait en lui-même rendre l’État incapable de le faire. […]

 

No government that makes any claim to democratic values or protection of human rights can guarantee the protection of all its citizens at all times. Thus, it is not enough for a claimant merely to show that his government has not always been effective at protecting persons in his particular situation […]

 

Lorsque l’État en cause est un état démocratique comme en l’espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. […]

 

 

 

[14]           Il incombe en outre à la demanderesse de demander protection auprès d’organismes, autres que les services de police, mis sur pied pour protéger les femmes dans la même situation que la sienne. Il est maintenant bien établi en droit que le fait de ne pas assurer localement une exécution efficace des lois ne constitue pas un défaut de protection de l’État, et qu’un demandeur doit chercher protection et réparation auprès d’organismes de protection autres que les services de police. Dans l’arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Maria Del Rosario Flores Carrillo, 2008 CAF 94, la Cour d’appel fédérale a appliqué les principes appropriés à l’affaire en cause et a déclaré ce qui suit :

[31]     Après avoir reconnu la fréquence de la violence familiale au Mexique, la Commission a recensé les diverses mesures prises par les autorités pour résoudre ce problème (voir les motifs de la décision de la Commission, pages 43 à 49 du cahier d’appel).

 

[32]      Elle a ensuite récapitulé le droit régissant la présomption de la protection de l’État. Elle a fait observer que le fait de ne pas assurer localement une exécution efficace des lois ne constitue pas un défaut de protection de l’État. Invoquant les conclusions établies par notre Cour dans l’arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée le 8 mai 1997, elle a ajouté que « [p]lus les institutions de l’État sont démocratiques, plus la demandeure d’asile devra avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à elle » […] Elle a constaté que le Mexique est une nouvelle démocratie et un État de droit […]

 

[33] La Commission a conclu que l’intimée n’avait pas déployé d’efforts soutenus pour obtenir la protection de l’État. Pendant quatre années de prétendus mauvais traitements, elle n’avait eu recours à la police qu’une seule fois […]

 

[34] En outre, la Commission a conclu, sur le fondement de la preuve produite devant elle, que l’intimée n’avait pas fait d’efforts additionnels pour obtenir la protection des autorités lorsqu’il se fut avéré, selon ses dires, que la police locale ne lui offrirait pas la protection qu’elle recherchait […] Elle aurait pu alors s’adresser à la Commission nationale ou d’État des droits de la personne, au Secrétariat de l’administration publique, au Programme contre l’impunité ou à la Direction de l’assistance du Contrôleur général, ou encore recourir à la procédure de plainte offerte par le Bureau du procureur général de la République […]

 

[35] Enfin, la Commission fait observer que l’intimée n’avait pas porté plainte contre le frère de son agresseur, qui serait un agent de la police judiciaire fédérale, alors que la preuve indique que les autorités fédérales ont déployé, souvent avec succès, des efforts concrets et considérables pour combattre le crime et la corruption […]

 

[36] Étant donné les principes relatifs à la charge de la preuve, à la norme de preuve et à la qualité de la preuve nécessaire pour satisfaire à cette norme, définie comme étant celle de la prépondérance des probabilités selon le contexte factuel, je ne vois rien d’erroné ou de déraisonnable dans la conclusion de la Commission selon laquelle l’intimée n’a pas établi l’insuffisance de la protection de l’État.

 

 

Se reporter également à Florea c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] A.C.F. n° 598 (C.A.) (QL); Ortiz c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2002] A.C.F. n° 1558 (1re inst.) (QL); Pal c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2003] A.C.F. n° 894 (1re inst.) (QL); Nagy c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2002] A.C.F. n° 370 (1re inst.) (QL); Zsuzsanna c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2002] A.C.F. n° 1642 (1re inst.) (QL), et Szucs c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2000] A.C.F. n° 1614 (1re inst.) (QL).

 

[15]           En l’espèce, la demanderesse n’a pas tenté d’obtenir la protection de la police ou d’autres organismes de l’État en temps utile avant de demander la protection internationale.

 

[16]           Je conclus, par conséquent, qu’était entièrement raisonnable la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au Mexique, et qu’il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.

 

[17]           Cette conclusion ayant un effet déterminant sur la présente demande de contrôle judiciaire, il ne sera pas nécessaire de traiter de la question de l’existence d’une PRI.

 

[18]           La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision du 15 juillet 2009, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître que les demanderesses avaient qualité, tel qu’il était allégué, de réfugiées au sens de la Convention, au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4006-09

 

INTITULÉ :                                       MARI CRUZ HERNANDEZ FUENTES (alias MARICRUZ HERNANDEZ FUENTES) et NATALY NAOMI HERNANDEZ FUENTES c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 AVRIL 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 29 AVRIL 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clifford Luyt                                                                 POUR LES DEMANDERESSES

 

Alison Engel-Yan                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Clifford Luyt                                                                             POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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