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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100514

Dossier : IMM-435-10

Référence : 2010 CF 532

Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 mai 2010

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

PETER ROGAN

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur réclame une [traduction] « mesure provisoire en application de l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, ou, subsidiairement, de la compétence inhérente de la Cour d’empêcher la reprise de l’enquête visant le demandeur qui devrait en principe avoir lieu devant la Section de l’immigration durant quatre jours, du 8 juin 2010 au 11 juin 2010, jusqu’à ce que la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ait été traitée ».

 

[2]               Dans la demande d’autorisation et de contrôle judicaire sous-jacente, le demandeur conteste la décision interlocutoire dans laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Section de l’immigration) a rejeté sa demande de communication de documents.  Dans ses motifs, la Section de l’immigration a affirmé que les documents avaient trait à la présumée conduite abusive de l’agent d’immigration dans l’établissement du rapport, en application du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27  (la LIPR) et/ou de la décision du délégué du ministre de déférer l’affaire à la Section de l’immigration en application du paragraphe 44(2) de la LIPR. Puisque la Section de l’immigration n’avait pas compétence pour contrôler la validité des décisions rendues en application de l’article 44 (quant au rapport et au renvoi), les allégations du demandeur de conduite abusive par l’Agence des services frontaliers du Canada dans l’établissement du rapport et/ou dans le choix de déférer l’affaire étaient hors propos. Par conséquent, les documents réclamés n’étaient pas pertinents et la demande de communication a été rejetée.

* * * * * * * *

[3]               Le droit qui régit l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de prendre des mesures provisoires est énoncé dans Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.). Les éléments suivants du critère conjonctif doivent être réunis :

a)      la demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision interlocutoire de la Section de l’immigration soulève une question sérieuse à trancher;

b)      le demandeur subira un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé;

c)      la prépondérance des inconvénients favorise le demandeur.

 

[4]               Après avoir lu les documents déposés et entendu les avocats des parties, j’estime que le demandeur ne satisfait pas aux trois volets du critère de l’arrêt Toth.

 

Question sérieuse

[5]               La Cour n’a pas coutume de contrôler des décisions interlocutoires puisque de tels contrôles sont, dans la grande majorité des cas, prématurés. Il ressort clairement de la jurisprudence que la Cour devrait seulement exercer sa compétence pour examiner l’affaire en cas de circonstances spéciales, par exemple si aucun recours approprié ne s’offre au demandeur au terme des procédures (Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne), [2000] 4 C.F. 255 (C.A.F.), au paragraphe 10; Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’immigration) (1993), 116 D.L.R. (4th) 333 (C.A.F.), au paragraphe 4).

 

[6]               Une telle restriction d’accès au contrôle judiciaire vise à éviter les retards et frais inutiles rattachés à la fragmentation des procédures à chaque possibilité d’appel, lesquels portent atteinte à une administration efficace de la justice et finissent par la discréditer (Zündel et Szczecka, précités). La Cour d’appel fédérale a affirmé dans Loi antidumping (In re) et in re Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22, à la page 34 :

. . . si une des parties, peu désireuse de voir le tribunal s'acquitter de sa tâche, avait le droit de demander à la Cour d'examiner séparément chaque position prise ou chaque décision rendue par un tribunal, lors de la conduite d'une longue audience, elle aurait en fait le droit de faire obstacle au tribunal. […]

 

[7]               En l’espèce, le demandeur a omis de démontrer qu’il existe une question sérieuse à trancher qui découle de l’existence de circonstances spéciales justifiant le contrôle immédiat de l’affaire. Lorsque la demande vise la compétence de la Section de l’immigration de trancher des questions constitutionnelles ou de rendre des jugements déclaratoires, elle implique la compétence même du tribunal et constitue donc une circonstance spéciale (Zündel, précité, au paragraphe 15). Le demandeur prétend que la décision de la Section de l’immigration quant à la preuve dans la présente affaire évoque des questions de compétence semblables et il s’appuie en outre sur les arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) c. Fox, 2009 CF 987 et Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), [1996] 3 C.F. 584 (1ère instance).

 

[8]               Ce qui distingue d’abord les faits du cas présent de la jurisprudence invoquée par le demandeur, c’est qu’il ne fait aucun doute que la Section de l’immigration a compétence pour rendre une ordonnance interlocutoire en ce qui concerne la preuve (LIPR, paragraphe 162(1); Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229, article 3 et paragraphe 20(2)). La juge Danièle Tremblay-Lamer a affirmé que le pouvoir discrétionnaire accordé par le régime législatif garantit que le tribunal est maître de sa procédure Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Kahlon, 2005 CF 1000, au paragraphe 24).

 

[9]               Dans l’arrêt Fox, précité, la Cour, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, devait déterminer si le tribunal avait ordonné l’ajournement de l’enquête dans un but illégitime en tenant compte de facteurs non pertinents. Dans la même veine, dans Pfeiffer, le demandeur soutenait que le tribunal de la faillite n’était pas habilité à appliquer certains articles de la Loi sur la faillite à sa situation parce qu’ils devraient être déclarés inopérants en vertu de la Loi constitutionnelle. Le tribunal a dit ne pas avoir compétence pour déclarer inopérante une loi et a donc appliqué les articles au demandeur. Dans le cadre du contrôle, la Cour devait déterminer si le tribunal avait agi au-delà de sa compétence.

 

[10]           Finalement, je remarque l’existence d’un recours approprié au terme des procédures de la Section de l’immigration puisque le demandeur avait le droit de déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire quant à la décision qui serait rendue sur le bien-fondé de l’admissibilité. Dans Fox, précité, il n’existait pas de recours approprié au terme de l’audience puisque que l’ajournement était le dommage dont se plaignait le gouvernement requérant.

 

[11]           Il ne s’agit pas d’une situation où la Section de l’immigration refuse d’exercer sa compétence pour examiner l’argument quant à la Charte canadienne des droits et libertés, mais plutôt d’une conclusion qu’elle n’a pas compétence pour ordonner la communication de documents puisque ces derniers ne se rapportent pas à l’enquête. Il n’est pas contesté qu’une ordonnance interlocutoire qui refusait au demandeur la communication de certains documents est un fondement acceptable pour une demande de contrôle judiciaire quant à la décision sur le fond (Seyoboka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2009 CF 104, 340 F.T.R. 105, au paragraphe 48; voir aussi, généralement, le principe que les ordonnances interlocutoires peuvent servir de fondement à une demande d’autorisation en vue du contrôle judiciaire de la décision finale du tribunal (Zündel, au paragraphe 17; Szczecka, au paragraphe 6)).

 

[12]           Par conséquent, puisque la demande de contrôle judiciaire sous-jacente est clairement prématurée, on n’a pas satisfait à l’exigence de montrer l’existence d’une question sérieuse en l’espèce.

 

Préjudice irréparable

[13]           Le demandeur prétend que la décision de la Section de l’immigration pourrait donner lieu à une violation à la Charte et que, dans de telles circonstances, la Cour devrait présumer que la violation entraînera un préjudice irréparable. Le demandeur cite les décisions Ermineskin Cree Nation v. Canada, 1999 ABQB 791, au paragraphe 33, et Southam Inc. c. Canada (Procureur général), [1991] 2 C.F. 292 (1ère inst.), à la page 308, pour appuyer sa proposition qu’une audience qui est en définitive jugée nulle pour défaut de compétence cause un préjudice irréparable si elle a lieu. Le demandeur cite également R.J.R. - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, aux paragraphes 60 et 61, pour appuyer sa proposition qu’une violation de la Charte, même si elle peut être indemnisée, cause de par sa nature un préjudice irréparable.

 

[14]           Vu les circonstances du cas présent, la Cour ne peut présumer qu’il y a préjudice irréparable.

 

[15]           Puisque aucun droit garanti par la Charte n’est en jeu dans une enquête visant un étranger qui n’est ni détenu ni un demandeur d’asile, les allégations de préjudice irréparable du demandeur sont hors de propos. Premièrement, il s’agit d’une décision qui concerne le demandeur et qui n’est pas dirigée contre lui. Ses droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ne sont pas encore en jeu, si jamais ils le sont. Deuxièmement, en tant qu’étranger qui habite au Canada sans être détenu ni un demandeur d’asile, il ne dispose pas des droits garantis par la Charte. Dans Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, la Cour suprême du Canada a déterminé que les droits garantis par l’article 7 de la Charte ne sont pas mis en cause par une mesure d’expulsion prise à l’encontre d’un non-citoyen :

Le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer ou de demeurer au Canada : Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, p. 733. À elle seule, l'expulsion d'un non-citoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[16]           Dans la mesure où le demandeur soutient qu’un préjudice irréparable est causé par la violation de ses droits reconnus par la common law, je prends note d’une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Doman c. British Columbia (Securities Commission), [1995] 10 W.W.R. 649 (C.S.C.-B.), qui a été citée avec approbation par la Cour d’appel fédérale dans Zündel, précité. Dans Doman, la juge Huddart (alors juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique) s’est demandé s’il y a avait des circonstances justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de contrôler des ordonnances interlocutoires qui émanent d’une commission administrative. Elle a affirmé que [traduction] « le fait qu'une décision en matière de preuve peut donner lieu à une entorse à la justice naturelle ne constitue pas un motif suffisant pour permettre à une cour d'intervenir dans la procédure d'audience » (à la page 655).

 

[17]           De plus, puisque la question sous-jacente n’est pas de savoir si la Section de l’immigration avait compétence pour rendre l’ordonnance qu’elle a rendue, ou pour entreprendre une enquête, les observations de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans Ermineskin Cree Nation, précitée, et celles de la Cour fédérale dans Southam, précitée, n’appuient pas les assertions de préjudice irréparable du demandeur.

 

Prépondérance des inconvénients

[18]           Compte tenu des circonstances du cas présent, l’intérêt public fait basculer la prépondérance des inconvénients en faveur du défendeur. Si le sursis demandé est accordé, l’enquête fera l’objet de retards supplémentaires, et le bien-fondé des allégations portées contre le demandeur ne sera pas examiné dans les meilleurs délais, tel que l’exigent l’article 162 et l’alinéa 173(3)b) de la LIPR. De plus, la décision du 17 mars 2010 de la Section de l’immigration de refuser la demande du demandeur visant à reporter l’enquête en attendant l’issue de sa demande d’autorisation aurait été contournée d’une manière inappropriée.

 

[19]           Par conséquent, un autre report serait contraire à l’intérêt de la justice et à l’intention expresse du législateur que les enquêtes aient lieu dans les meilleurs délais.

 

* * * * * * * *

[20]           Pour tous les motifs ci-dessus, la mesure provisoire demandée est refusée et la requête du demandeur est rejetée.
                                                                                                   

 

 

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la mesure provisoire demandée soit refusée et que la requête du demandeur soit par la présente rejetée.

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Audry, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-435-10

 

INTITULÉ :                                       PETER ROGAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 mai 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 14 mai 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Darryl W. Larson                                             POUR LE DEMANDEUR

 

Banafsheh Sokhansanj                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Embarkation Law Group                                  POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

 

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