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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100514

Dossier : IMM-4020-09

Référence : 2010 CF 533

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2010

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

DRITAN PRIFTI

ELONA PRIFTI

FRANCESKO PRIFTI

JASON PRIFTI

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire d’une décision prise par un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) par laquelle il a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la conclusion d’invraisemblance tirée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) et la conclusion selon laquelle ils disposaient de la protection de l’État. Les demandeurs craignaient d’être persécutés en Albanie en raison d’une vendetta.

 

II.         LE CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont un homme, son épouse et leurs deux enfants. Les adultes sont citoyens de l’Albanie, tandis que les enfants sont citoyens des États-Unis. Les adultes n’ont aucun statut aux États-Unis. L’ERAR a été fait en tenant pour acquis que c’est en Albanie que les demandeurs seraient expulsés.

 

[3]               Mme Elona Prifti avait été promise en mariage, par ses parents, à M. Judmir Ndreu. Cependant, en 2000, elle a épousé M. Prifti dans une cérémonie civile.

 

[4]               M. Ndreu, le futur époux rejeté, était extrêmement fâché et a menacé les membres de la famille d’Elona de les tuer à moins que ces derniers ne lui donnent cette dernière en mariage. Les demandeurs affirment que, en 2000, l’Albanie n’était pas un pays stable et qu’ils ne pouvaient pas s’y prévaloir de la protection de la police.

 

[5]               En avril 2001, Elona était seule à la maison quand M. Ndreu s’y est introduit par effraction et l’a violée. Cet événement a été signalé à la police qui, par la suite, a arrêté M. Ndreu. Peu de temps après, M. Ndreu a été relâché et aucune accusation n’a été déposée contre lui.

 

[6]               Elona a affirmé que, même si elle détenait des éléments de preuve émanant d’un hôpital local concernant son viol, elle ne les a pas fournis à la police parce qu’elle ne lui faisait pas confiance.

 

[7]               Les demandeurs prétendent qu’Elona a été violée pour la rendre moins désirable aux yeux de Dritan. La famille Ndreu est originaire du nord de l’Albanie où le « code du Lek Dukagjini » – lequel a trait aux vendettas – est respecté.

 

[8]               Dritan, puis Elona, se sont rendus aux États-Unis, pays de naissance de leurs enfants. En 2006, n’ayant pas droit au statut de résident permanent, la famille est venue au Canada.

 

[9]               Les demandeurs ont demandé le statut de réfugié. La Commission a jugé que les demandeurs n’étaient pas crédibles et a rejeté la prétention que le viol et le refus par Elona d’épouser M. Ndreu avaient mené à une vendetta. La Commission a aussi rejeté l’affirmation d’Elona selon laquelle la police n’avait pris aucune mesure. De façon accessoire, la Commission a conclu que, même si les demandeurs étaient crédibles, il leur était possible d’obtenir la protection de l’État en Albanie. L’autorisation de demande de contrôle judiciaire de cette décision a été refusée.

 

[10]           Dans leur demande d’ERAR, les demandeurs ont présenté des éléments de preuve additionnels, y compris une lettre du Comité national de la réconciliation (le Comité), une ONG créée pour s’occuper des vendettas. Les demandeurs ont communiqué avec le Comité pour lui demander de régler le problème de la vendetta avec la famille Ndreu. La lettre du Comité relatait le récit des demandeurs : le Comité et la famille d’Elona ont tenté d’aborder la famille Ndreu, mais ce, sans succès.

 

[11]           La lettre du Comité mentionne aussi que les demandeurs et leurs familles sont exposés à des risques en Albanie et souligne le grave problème des vendettas qui sévit dans ce pays.

 

[12]           L’agent d’ERAR a conclu qu’il n’y avait aucun lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention et a formulé des commentaires ayant trait à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Ensuite, ayant accepté que les demandeurs faisaient bel et bien l’objet d’une vendetta, ce qui était contraire à la conclusion de la Commission, l’agent a conclu que la présomption de protection de l’État n’avait pas été réfutée. L’agent a rejeté la lettre du Comité au motif qu’on n’avait pas expliqué pourquoi la lettre n’avait pas été présentée plus tôt.

 

[13]           Le juge Shore a accordé un sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion. Il était préoccupé par la décision d’ERAR. Cependant, ses commentaires doivent être considérés dans le contexte du critère applicable à une injonction.

 

III.       ANALYSE

[14]           Il est admis que la norme de contrôle applicable à une décision relative à un ERAR est en règle générale celle de la décision raisonnable. Toutefois, l’omission d’effectuer une analyse appropriée est une erreur de droit qui appelle l’application de la norme de la décision correcte.

 

[15]           La décision d’ERAR comprend une contradiction frappante qui n’a pas été mentionnée directement à la Cour. L’agent a rejeté la lettre du Comité et a affirmé que les demandeurs n’avaient pas réfuté la conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité, mais il a reconnu que les demandeurs font l’objet d’une vendetta.

 

[16]           Pour ce seul motif, la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables » énoncées dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[17]           L’analyse relative à la protection de l’État est entachée de graves lacunes. Pour évaluer le risque, le décideur doit cerner les risques au regard desquels la présomption de protection de l’État est évaluée. L’analyse relative à la protection de l’État est viciée parce qu’elle comporte des erreurs et des contradictions à l’égard des risques.

 

[18]           Le rejet par l’agent de la lettre du Comité en tant que « preuve nouvelle » va à l’encontre des concepts établis dans Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385. La lettre était pertinente puisqu’elle était « [apte] à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile ». La lettre était une preuve nouvelle car elle était « [apte] […] à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité) ». Par conséquent, le rejet de la lettre était une erreur de droit. Aucune analyse du critère des « preuves nouvelles » n’a été faite.

 

[19]           La décision en contient d’autres, mais les deux erreurs mentionnées sont les plus flagrantes.

 

IV.       CONCLUSION

[20]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision d’ERAR sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision d’ERAR soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvelle décision à un autre agent.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4020-09

 

INTITULÉ :                                       DRITAN PRIFTI

                                                            ELONA PRIFTI

                                                            FRANCESKO PRIFTI

                                                            JASON PRIFTI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 MARS 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 14 MAI 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Rokakis

 

                         POUR LES DEMANDEURS

Adrienne Rice

 

                         POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Rokakis

Avocat

Windsor (Ontario)

 

                         POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                         POUR LE DÉFENDEUR

 

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