Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100517

Dossier : IMM-3557-09

Référence : 2010 CF 543

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

JOSEPH VILLANUEVA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision rendue par un agent d’exécution (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada, le 14 juillet 2009 (la décision), par laquelle celui‑ci a rejeté la demande du demandeur visant à obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui.

 

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est né aux Philippines en 1982 et est arrivé au Canada avec sa mère en 1995, à l’âge de 12 ans. Il est résident permanent du Canada. Le demandeur a eu un fils au Canada qui s’appelle Joaquin et qui réside avec sa mère. En 2007, le demandeur a été condamné pour trafic de drogues et d’autres infractions au titre de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.R.C. 1996, ch. 19. À la suite de ces condamnations, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de cinq ans. Il a obtenu une libération conditionnelle précoce en 2008.

 

[3]               À la suite de la condamnation, un rapport au titre de l’article 44, dans lequel le demandeur est cité pour grande criminalité, a été établi. À sa sortie de prison, le demandeur a déposé, en vertu de l’article 25 une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (demande CH).

 

[4]               Après la tenue d’une audience concernant les allégations contenues dans le rapport rédigé au titre de l’article 44, une mesure d’expulsion a été prise contre le demandeur. Celui‑ci a interjeté appel auprès de la Section d’appel de l’immigration, mais son appel a été rejeté pour défaut de compétence. Le demandeur a ensuite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) qui a également été rejetée.

 

[5]               Le demandeur a tenté d’obtenir un sursis à l’exécution de son renvoi du Canada, mais sa demande a été rejetée. Il a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision. La Cour a accordé un sursis jusqu’à ce qu’une décision soit rendue au sujet de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[6]               La demande de sursis du demandeur était fondée sur sa demande CH en instance, sur l’appel interjeté auprès de la SAI de la mesure de renvoi prise contre lui en instance, et sur l’intérêt supérieur de sa mère et de son enfant.

 

[7]               L’agent a fait remarquer qu’une demande CH [traduction] « ne constitue pas en soi un empêchement au renvoi. » Bien que la demande CH ait été présentée en avril 2008, l’agent a déclaré qu’il ne disposait pas d’assez d’éléments de preuve pour démontrer qu’une décision au sujet de la demande du demandeur était imminente. Il a communiqué avec le bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à Etobicoke au sujet de la demande, et a été informé qu’une décision au sujet de la demande de M. Villanueva n’était [traduction] « pas imminente ».

 

[8]               Lors de l’examen de l’appel interjeté par le demandeur auprès de la SAI, l’agent a conclu que, aux termes du paragraphe 64(1) de la Loi, il n’existait aucun droit d’interjeter appel pour un étranger ou un résident permanent qui a été déclaré interdit de territoire, notamment pour raison de grande criminalité. Selon le paragraphe 64(2), la grande criminalité est la criminalité qui est punie par un emprisonnement d’au moins deux ans. Le demandeur est visé par cette disposition parce qu’il a été reconnu coupable de quatre infractions et condamné à une peine d’emprisonnement de cinq ans et quatre mois.

 

[9]               L’agent a ensuite examiné la question de l’intérêt supérieur de la mère et de l’enfant du demandeur. Depuis mai 2009, le demandeur avait obtenu un droit de visite hebdomadaire supervisée pour voir son  fils. Un cancer du sein a été diagnostiqué chez la mère du demandeur en juillet 2008.

 

[10]           L’agent a fait remarquer que le demandeur n’avait que tout récemment obtenu un droit de visite pour voir son fils, et que ce dernier [traduction] « pourra demeurer avec sa mère qui en prendra soin tout comme elle l’a fait pendant la longue période de détention de M. Villanueva. » À ce titre, l’agent s’est dit convaincu que le fils du demandeur [traduction] « aurait le soutien physique et émotif nécessaire pour s’adapter aux nouvelles circonstances. »

 

[11]           En ce qui a trait à la mère du demandeur, l’agent a tenu compte du fait que le demandeur habite actuellement avec sa mère et son beau-père. Il a souligné la déclaration de la mère du demandeur selon laquelle le stress lié au renvoi prochain de son fils la rend souvent malade. Toutefois, l’agent a déterminé que la mère du demandeur [traduction] « continuerait à avoir accès aux services de soins de santé offerts aux citoyens canadiens. » Bien qu’il ait reconnu que des sentiments d’isolement et d’anxiété soient des [traduction] « conséquences malheureuses du renvoi », l’agent a établi que la mère du demandeur pourrait néanmoins continuer de résider au Canada et de bénéficier des soins et du soutien de son époux.

 

[12]           Pour ces motifs, l’agent a refusé d’accorder un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[13]           Les questions soulevées dans la présente demande peuvent se résumer comme suit :

1.                  L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant de tenir compte de l’allégation du demandeur voulant qu’il ait déposé sa demande CH en temps opportun?

2.                  L’agent s’est‑il fondé sur des éléments de preuve extrinsèques sans permettre au demandeur ou à l’avocat de formuler des commentaires à leur égard?

3.                  L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en fournissant des motifs qui étaient inadéquats?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[14]           Voici les dispositions de la Loi qui s’appliquent en l’instance :

Rapport d’interdiction de territoire

 

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

 

Suivi

 

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

 

 

 

 

 

Mesure de renvoi

 

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

Conséquence

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

 

Restriction du droit d’appel

 

64. (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

 

 

 

Grande criminalité

 

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité vise l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins deux ans.

 

Preparation of report

 

 

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister

.

Referral or removal order

 

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

Enforceable removal order

 

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

Effect

 

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

No appeal for inadmissibility

 

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

 

Serious criminality

 

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[15]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle. Si la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour est saisie est déjà établie de manière satisfaisante dans la jurisprudence, la cour de révision pourra adopter cette norme de contrôle. C’est seulement lorsque cette recherche se révèle infructueuse que la cour de révision entreprend un examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[16]           Les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. En l’instance, l’ensemble des trois questions, c’est-à-dire, celle à savoir si l’agent a fait erreur en omettant de fournir des motifs adéquats, celle à savoir si l’agent s’est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques et s’il a privé le demandeur d’une occasion de fournir une réponse, et celle à savoir si l’agent a commis une erreur en omettant de tenir compte de l’argument juridique du demandeur concernant le dépôt de sa demande en temps opportun, constituent des questions d’équité procédurale. À ce titre, ces questions seront examinées selon la norme de la décision correcte. Voir les décisions Weekes (tuteur à l’instance) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 293, 71 Imm. L.R. (3d) 4, Worthington c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 626, [2008] A.C.F. no 879, aux paragraphes 42 à 45, et l’arrêt Dunsmuir, précité.

 

LES OBSERVATIONS

            Le demandeur

                        Le dépôt en temps opportun

 

[17]           Dans la jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, il a été reconnu que le pouvoir discrétionnaire exercé par un agent chargé du renvoi peut comprendre une évaluation visant à déterminer si la demande CH d’un demandeur a été présentée en temps opportun et qu’une décision n’a pas encore été prise à l’égard de cette demande à cause d’arriérés dans le système : « [l’]agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face. » Voir Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 187 F.T.R. 219, [2000] A.C.F. n936. Ce concept a récemment été approuvé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2009] A.C.F. n314.

 

[18]           Dans le cas présent, le demandeur a présenté sa demande CH à la première occasion qui s’est présentée, et ce, même avant la prise de la mesure de renvoi contre lui. Au moment de la demande de sursis, cela faisait 15 mois que CIC avait reçu la demande CH du demandeur. De plus, au moment de présenter sa demande de sursis, le demandeur a expressément demandé à l’agent de tenir compte, à titre de motif de sursis, du moment choisi pour présenter sa demande CH.

 

[19]           Dans le cadre des deux arrêts Baron et Simoes, précités, la Cour a pris en compte la question du moment choisi pour présenter une demande CH. Dans ces cas, il appert clairement que la Cour n’a pas invoqué la question de savoir si une décision était imminente. Elle a plutôt évalué le moment choisi pour présenter la demande afin d’établir si c’était simplement pour retarder l’exécution du renvoi ou si la demande a été présentée à la première occasion et qu’une décision n’avait pas encore été rendue simplement à cause d’arriérés dans le système. Selon la jurisprudence, une demande présentée en temps opportun peut justifier un sursis parce que le demandeur ne peut pas être blâmé pour les arriérés existant dans le système.

 

[20]           Dans le cas présent, l’agent a omis de prendre en compte la question du moment choisi pour présenter la demande. Le demandeur prétend que cela constitue une erreur de droit.

 

La preuve extrinsèque

 

[21]           Les éléments de preuve extrinsèques sont des éléments de preuve dont le demandeur n’est pas au courant parce qu’ils proviennent d’une source extérieure : voir la décision Dasent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 720, [1994] A.C.F. no 1902.

 

[22]           Dans le cas présent, l’agent a pris en compte la question de savoir si une décision au sujet de la demande CH du demandeur était imminente, et il s’est renseigné auprès de CIC à Etobicoke à ce sujet. L’agent a commis une erreur en ne donnant pas au demandeur la chance de répondre à ces renseignements, qui n’étaient pas accessibles au demandeur, et en les utilisant ensuite pour établir une conclusion.

 

[23]           À vrai dire et comme il a été mentionné dans la décision rendue dans l’arrêt Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1986 2 CF 205, 66 N.R. 8, [traduction] « avant de statuer sur la demande et de prendre la décision à laquelle il était légalement tenu, l’agent aurait dû informer l’appelant de [l’information] et lui donner la possibilité de la corriger ou de la réfuter ». Voir l’arrêt Muliadi, précité, au paragraphe 14 (QL). Dans le cas présent, l’agent a violé le droit du demandeur à l’équité procédurale en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques sans lui fournir une chance d’y répondre.

 

Les motifs inadéquats

 

[24]           L’agent, dans le cas présent, a conclu qu’une décision au sujet de la demande CH du demandeur n’était pas imminente. Toutefois, il a omis de mentionner : a) pourquoi la décision n’était pas imminente; b) ce qui était entendu par le mot imminent; c)  le délai qui a été fourni par le bureau de CIC à Etobicoke; et d) pourquoi ce délai d’exécution ne rend pas la décision imminente. Le demandeur a donc dû deviner ce que l’agent a voulu dire par une décision n’étant [traduction] « pas imminente ». Il prétend que cette omission de fournir une explication adéquate quant à savoir pourquoi la décision ne serait pas imminente constitue un manquement à l’équité procédurale. 

 

Le défendeur

                        Le moment choisi pour présenter la demande

 

[25]           L’agent a entrepris une analyse exhaustive : a) du moment où la demande CH a été déposée; et b) du fait que la demande a été déposée avant la prise de la mesure de renvoi. À ce titre, l’agent a clairement tenu compte du moment choisi pour présenter la demande.

 

[26]           Bien que le demandeur ait fait valoir que l’agent a omis de tenir compte du moment choisi pour présenter sa demande dans le contexte de la présente affaire, celui-ci n’a pas demandé que l’agent tienne compte du moment choisi pour présenter la demande dans un contexte particulier. Selon le défendeur, le moment choisi pour présenter la demande constituait le contexte en soi dans lequel l’agent a été invité à reporter le renvoi. À ce titre, le demandeur ne peut maintenant faire valoir que l’agent aurait dû mettre en contexte le moment choisi pour présenter sa demande. En outre, la prise en considération du moment choisi pour présenter la demande ne constituait pas un argument juridique comme l’a allégué le demandeur, mais constituait plutôt l’un des nombreux facteurs que l’agent devait examiner.

 

La preuve extrinsèque

 

[27]           Le défendeur soutient que l’allégation du demandeur au sujet des éléments de preuve extrinsèques est fondée sur le droit antérieur.  Selon ce qui est énoncé au paragraphe 27 de l’arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 257 N.R. 139, 2000 A.C.F. n854, « se demander [...] si le rapport peut être qualifié d’’élément de preuve extrinsèque’ ne constitue plus une méthode analytique adéquate. » Le défendeur soutient plutôt que les facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 doivent s’appliquer, tel qu’ils ont été pris en compte dans l’arrêt Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 3 C.F. 3, 2001 CAF 49 :

a.       La décision dans le cadre du régime législatif : Le défendeur soutient que la décision d’un agent d’exécution dans le cas présent est de nature hautement discrétionnaire. Par ailleurs, aucun droit n’est conféré par la décision, il s’agit plutôt d’une obligation reportée. Le défendeur soutient que [traduction] « la nature discrétionnaire et secondaire de la décision milite contre la communication »;

b.      L’influence des éléments de preuve : Au moment d’évaluer l’influence des éléments de preuve, le défendeur allègue que l’agent s’est fondé sur plusieurs facteurs avant de refuser la demande de sursis. La déclaration faite par le bureau à Etobicoke n’était qu’un seul élément de preuve qui a servi à l’examen de l’un des nombreux facteurs. À ce titre, le défendeur soutient que son influence sur la décision a été minimale;

c.       Le préjudice découlant d’une décision incorrecte : Le seul préjudice pouvant découler d’une décision incorrecte est que la mesure de renvoi serait exécutée plus tôt qu’elle ne l’aurait été autrement. Le défendeur fait valoir qu’un départ précoce n’est pas un élément important dans le cadre des décisions d’immigration;

d.      Les coûts et les retards liés à la communication : Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve voulant que les coûts en temps et en argent liés à l’annulation d’une réservation de vol et, sans doute, à l’annulation de titres de voyage temporaires soient négligeables.

 

Le défendeur soutient que ces cinq facteurs militent contre la communication des éléments de preuve dans le cas présent. Une analyse de ces facteurs démontre par ailleurs que le demandeur a eu une occasion raisonnable de participer concrètement au processus décisionnel. Bien que le défendeur admette que la communication aurait pu être justifiée en d’autres circonstances, dans ce cas-ci [traduction] « le fait d’exiger la communication de la déclaration faite par le bureau de CIC à Etobicoke aurait simplement repoussé le délai ».

 

[28]           En dernier lieu, le défendeur soutient que la décision récente rendue par la Cour fédérale dans l’arrêt Adams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1193, [2009] A.C.F. no 1489, aux paragraphes 18 à 28, corrobore l’allégation que l’agent n’était pas obligé de mentionner la déclaration faite par le bureau de CIC à Etobicoke selon laquelle la décision au sujet de la demande CH du demandeur n’était pas imminente.

 

                        Le caractère adéquat des motifs

 

[29]           Le demandeur allègue que l’agent aurait dû fournir une explication quant au mot « imminent ».  Le défendeur soutient toutefois que la déclaration de CIC, y compris le mot « imminent », constitue simplement un élément de preuve que CIC a fourni à l’agent. Ce n’est pas la prérogative de l’agent d’expliquer les éléments de preuve qu’il reçoit. Il a plutôt pour rôle d’expliquer la conclusion qu’il tire à partir des éléments de preuve. En outre, le mot « imminent » est explicite. Il y a peu sinon aucune ambiguïté associée à ce mot. Par conséquent, il est déraisonnable de demander à l’agent de fournir une explication quant au mot.

 

ANALYSE

 

[30]            La demande de sursis demandait clairement à l’agent de tenir compte du moment choisi pour présenter la demande CH :


[traduction]

À la date à laquelle l’exécution de la mesure de renvoi du Canada de M. Villanueva est prévue, cela fera 15 mois que sa demande pour considérations d’ordre humanitaire (demande CH) est en suspens. Il a déposé sa demande le plus tôt possible. À ce titre, sa demande CH a été présentée en temps opportun et n’a pas encore été réglée en raison d’arriérés dans le système. Je vous demande donc de reporter le renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit prise au sujet de sa demande CH, présentement en suspens au bureau d’Etobicoke.

 

 

[31]           En réponse à cette demande, l’agent a communiqué avec le bureau d’Etobicoke afin de savoir si une décision au sujet de la demande CH du demandeur était « imminente ». Il s’est fait dire qu’une décision n’était pas imminente.

 

[32]           Le demandeur allègue que sa demande aurait dû être prise en compte et autorisée au motif que sa demande CH a été présentée au moment opportun et qu’elle n’était pas réglée en raison d’arriérés dans le système, et non pas être examinée uniquement en fonction de la question de savoir si une décision était imminente.

 

[33]           Selon la jurisprudence de la Cour, une demande CH présentée en temps opportun est un facteur pertinent à prendre en compte lors de l’examen d’une demande de sursis. Voir les arrêts Simoes et Baron, précités.

 

[34]           L’agent a certainement eu raison d’affirmer que [traduction] « le fait de déposer une demande CH ne constitue pas en soi un empêchement au renvoi », mais là n’était pas la question. Il s’est fait demander de tenir compte d’une demande CH présentée en temps opportun pour laquelle une décision n’avait pas été rendue en raison d’arriérés dans le système.

 

[35]           Rien n’indique dans la jurisprudence pertinente qu’un agent chargé du renvoi ne peut pas ou ne devrait pas tenir compte des arriérés dans le système qui ont entraîné un retard important dans le traitement d’une demande CH. Une décision récente de la Cour fédérale donne plutôt à penser qu’un agent peut tenir compte des arriérés dans le contexte d’une mesure de renvoi. Voir la décision Williams c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) 2010 CF 274 au paragraphe 42. Et je souligne que, dans la décision Harry, dans le cadre de l’examen d’une demande de sursis, le juge Gibson s’est dit particulièrement préoccupé par les arriérés dans le système et du fait que le ministre était « loin de faire preuve de diligence dans le traitement de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, » une affaire qui « revêt une importance particulière au vu de la préoccupation portant sur l’intérêt supérieur de l’enfant des demandeurs qui est née au Canada ». Voir la décision Harry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 195 F.T.R. 221, [2000] A.C.F. no 1727, au paragraphe 15. Dans la décision Simmons c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2006] A.C.F. no 1400, 2006 CarswellNat 2861, au paragraphe 8, le juge Harrington, citant des décisions pertinentes faisant autorité, s’est dit d’avis qu’un agent d’exécution a « le pouvoir discrétionnaire d’attendre l’issue de la décision CH en instance. »

 

[36]           À mon avis, l’agent a, à ce moment-là, été invité à tenir compte de l’arriéré important dans le système pour une demande CH qui a été présentée en temps opportun et qui était en suspens depuis longtemps (15 mois). Celui-ci a ignoré cette demande et a refusé de reporter le renvoi en raison, entre autres, de [traduction] « l’imminence », c’est‑à‑dire à savoir si une décision au sujet de la demande CH était sur le point d’être rendue, indépendamment du temps qu’elle avait passé dans le système et des raisons du retard.

 

[37]           Je ne dis pas que l’agent devait accorder le sursis en se fondant sur cette demande. Mais, je pense qu’il avait le pouvoir discrétionnaire d’en tenir compte et qu’il avait l’obligation de dire pourquoi il n’en a pas tenu compte. Aucun élément de preuve ne m’indique que le facteur des arriérés a reçu l’attention qu’il méritait. L’agent reconnaît que la demande CH a été présentée en temps opportun, mais en se concentrant sur [traduction] « l’imminence », il a omis de se demander si des arriérés importants dans le système et le fait que la demande CH était en suspens depuis longtemps devraient avoir une incidence sur sa décision. À mon avis, il s’agissait d’une erreur donnant lieu à révision et l’affaire devrait être renvoyée pour réexamen.

 

[38]           Le demandeur soulève aussi des questions ayant trait aux éléments de preuve extrinsèques et au caractère adéquat des motifs mais, strictement parlant, je n’ai pas à trancher ces questions pour les besoins de ma décision.


 

[39]           Les avocats sont invités à signifier et à déposer leurs observations à l’égard de la certification d’une question de portée générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs du jugement. Chacune des parties dispose de trois jours additionnels pour signifier et déposer une réponse aux observations de la partie adverse. Par la suite, un jugement sera rendu.

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3557-09

 

INTITULÉ :                                                   JOSEPH VILLANUEVA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 1er avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 17 mai 2010

 

 

COMPARUTIONS :                      

 

M. Ronald Poulton                                                                   POUR LE DEMANDEUR

                                                                                                                  

                                                                   

M. Stephen Jarvis                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

                              

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

                                                     

Poulton Law Office Professional Corporation                            POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.