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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20100513

Dossier : IMM-4809-09

Référence : 2010 CF 525

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

XIONG YING HE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 28 août 2009 (la décision) par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R. 2001, ch. 27.

 

[2]               Pour les motifs énoncés ci-après, la demande sera rejetée.

 

I.          Le contexte

 

[3]               La demanderesse, qui est citoyenne de la Chine, plus précisément de la province du Fujian, prétend qu’advenant un retour dans son pays, elle sera arrêtée et envoyée en prison parce qu’elle est membre d’une maison-église non enregistrée. La demanderesse soutient qu’elle s’est jointe à la maison-église non enregistrée en 2007, que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a fait une descente à l’église, que trois membres ont été arrêtés et que les autorités ont visité sa résidence, de même que celle de sa famille, pour la trouver.

 

[4]               La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas été membre d’une église non enregistrée en Chine et que les autorités n’étaient pas à sa recherche. La Commission a déclaré en être venue à cette conclusion en se fondant sur le fait que la preuve documentaire ne comportait pas d’éléments de preuve probants selon lesquels les maisons-églises protestantes faisaient l’objet de descentes et leurs membres étaient détenus, sur les incohérences dans le récit de la demanderesse, sur l’absence de mandat d’arrestation ou d’assignation et sur des conclusions défavorables relatives à la crédibilité fondées sur des documents contradictoires qui ont été déposés en preuve.

 

[5]               La Commission a accepté que la demanderesse fréquente régulièrement une église chrétienne au Canada. À la fin de ses motifs, la Commission a également déclaré que la demanderesse serait en mesure de pratiquer le christianisme en Chine sans contrainte doctrinale dans une église enregistrée.

 

II.         Les questions et la norme de contrôle

 

[6]               La demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur à l’égard de ses conclusions relative à la crédibilité, de son appréciation de la preuve et de sa déclaration expresse selon laquelle la demanderesse pourrait fréquenter une église approuvée par l’État sans faire de compromis sur ses croyances.

 

[7]               Les questions soulevées en l’espèce ont trait aux conclusions de fait de la Commission et seront évaluées selon la norme de la décision raisonnable (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] A.C.F. no 1502, 2009 CF 1210).

 

[8]               Tel qu’il est énoncé dans les arrêts Dunsmuir et Khosa, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En appliquant cette norme, la Cour ne peut substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle du tribunal.

 

[9]               Je note également que la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions de la Commission en ce qui concerne les questions de crédibilité et l’évaluation de la preuve (voir Camara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 362, [2008] A.C.F. no 442, paragraphe 12).

 

III.       Analyse

 

A.        La crédibilité

 

[10]           La demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables relatives à sa crédibilité sur le fondement des certificats de naissance qu’elle a fournis concernant ces supposés enfants et que la Commission a jugés non fiables, ainsi que sur le fondement d’une incohérence dans son témoignage quant au moment où aurait eu lieu la dernière visite du BSP à son domicile. La demanderesse soutient que les certificats de naissance ne sont pas liés à la question centrale de la persécution religieuse et que la Commission a donc commis une erreur en omettant de se prononcer sur les deux questions séparément. La demanderesse ajoute que les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission sur ce point sont déraisonnables parce qu’elle a expliqué l’incohérence quant au moment où a eu lieu la dernière visite du BSP à son domicile.

 

[11]           La Commission peut tirer une conclusion générale sur la crédibilité de certains éléments de preuve fournis par le demandeur, comme les certificats de naissance. Par conséquent, la conclusion générale défavorable tirée par la Commission sur le fondement de documents peu fiables qui ont été fournis par la demanderesse était raisonnable.

 

[12]           Bien que la demandeur ait le droit d’expliquer toute incohérence, contradiction et omission dans la preuve, il demeure loisible à la Commission d’examiner la réponse et de décider si elle était suffisante (voir Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, [2004] A.C.F. no 188, paragraphe 10). En l’espèce, la conclusion relative à la crédibilité tirée par la Commission était raisonnable. Je conviens que le fait que la Commission se soit fondée sur l’incohérence quant au moment où a eu lieu la dernière visite du BSP à la résidence de la demanderesse constituait une analyse microscopique (voir Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 99 N.R. 168, [1989] A.C.F. no 444). Cependant, dans l’ensemble, la décision de la Commission sur la crédibilité était raisonnable.

 

[13]           La demanderesse allègue en outre que la Commission a commis une erreur en déclarant que des mandats d’arrestation seraient généralement décernés à un membre de la famille dans de tels cas et en se servant de l’absence de mandat d’arrestation ou d’assignation comme fondement partiel de la décision. La demanderesse a cité des éléments preuves documentaires montrant que la procédure n’est pas uniforme dans l’ensemble du BSP.

 

[14]           La Commission a basé sa décision sur la preuve documentaire selon laquelle, dans de nombreux cas, des mandats ou des assignations sont décernés. Il incombait à la demanderesse de produire toute preuve permettant d’établir que sa prétention était fondée, et le manque de documents pertinents peut constituer un facteur valable quant à l’appréciation de la crédibilité (voir Syed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 357, 78 A.C.W.S. (3d) 579; voir également Sun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1255, [2008] A.C.F. no 1570). En l’espèce, il était raisonnablement loisible à la Commission d’en arriver à cette décision.

 

B.         La preuve documentaire

 

[15]           La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur dans son examen de la preuve documentaire, et ce de deux façons.

 

[16]           Premièrement, la demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur dans son examen de la preuve documentaire objective en ne reconnaissant pas que des formes de persécution de moindre gravité, comme la violation du droit de la demanderesse de pratiquer sa religion au moyen d’amendes et de harcèlement, s’inscrivent également dans la définition de la persécution.

 

[17]           La demanderesse étaye cette thèse en invoquant la décision Fosu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 90 F.T.R. 182; 27 Imm. L.R. (2d) 95. Dans la décision Fosu, le juge Pierre Denault a conclu que la persécution du fait de la religion peut prendre différentes formes, comme une interdiction de pratiquer sa religion en public ou en privé. Dans l’affaire Fosu, l’interdiction faite au demandeur de pratiquer sa religion en public équivalait à de la persécution. Autre fait important dans l’affaire Fosu, le demandeur avait été estimé crédible.

 

[18]           En l’espèce, la demanderesse n’a pas été jugée crédible, et la Commission a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas été membre d’une maison-église illégale en Chine. Par conséquence, la Commission n’a pas commis d’erreur en ne tranchant pas la question de savoir si les restrictions religieuses alléguées équivalaient à de la persécution.

 

[19]           Deuxièmement, la demanderesse, sur le fondement de la décision Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] A.C.F. no 320, 2009 CF 254, a fait valoir que la Commission a commis une erreur en s’appuyant sur la preuve documentaire objective et en ne tenant pas compte du propre témoignage de la demanderesse. Cependant, en l’espèce, la Commission a tiré une conclusion défavorable relative à la crédibilité de la demanderesse. En conséquence, vu le présent dossier, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de pas tenir compte davantage du propre témoignage de la demanderesse.

 

C.        La capacité de pratiquer dans une église enregistrée

 

[20]           Aux paragraphes 20 et 21, la Commission a déclaré que la demanderesse pourrait pratiquer le christianisme en Chine dans les églises enregistrées sans qu’aucune contrainte doctrinale n’affecte la pratique d’une véritable chrétienne. La demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que l’État n’impose aucune contrainte à la doctrine des églises enregistrées et a mal interprété la preuve qui lui a été soumise sur ce point.

 

[21]           La Cour a déjà traité de cette question. Par exemple, dans la décision Zhou, précitée, le juge Yves de Montigny a conclu que la Commission avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire contradictoire sur la capacité des chrétiens de célébrer le culte dans des églises enregistrées. Dans la décision Song c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1321; 76 Imm. L.R. (3d) 81, le juge James Russell a conclu que la Commission avait commis une erreur et avait négligé certains éléments de preuve lorsqu’il a affirmé que « [r]ien n’indique que les membres des églises reconnues ne peuvent pas pratiquer leur religion librement » (voir les paragraphes 71 et 72).

 

[22]           Cependant, pour les motifs qui suivent, la décision de la Commission en l’espèce était raisonnable.

 

[23]           Dans la décision Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 310, [2010] A.C.F. no 363, le juge Russel Zinn a rejeté une demande de contrôle judiciaire même s’il a conclu que la décision de la Commission selon laquelle la demanderesse pouvait pratiquer librement sa religion dans une église enregistrée était déraisonnable. Au paragraphe 36, le juge Zinn a déclaré que, bien que la Commission ait commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait pratiquer librement sa religion dans une église patriotique en Chine, cela n’entraîne pas nécessairement l’annulation de la décision.

 

[24]           Bien que la décision de la Commission concernant la capacité de la demanderesse de pratiquer sa religion dans une église enregistrée était déraisonnable en l’espèce, elle ne mine pas l’ensemble de la décision. La Commission avait conclu précédemment qu’il n’existait pas de preuve probante selon laquelle les maisons-églises protestantes étaient la cible de descentes et selon laquelle des membres étaient détenus dans la province natale de la demanderesse, au Fujian, et que les autorités n’étaient pas à la recherche de la demanderesse en raison de son appartenance à l’église en question. Suivant cette conclusion, la demanderesse, selon la prépondérance de la preuve, serait en mesure de retourner au Fujian et de pratiquer sa religion.

 

[25]           Par conséquent, il était raisonnable de conclure qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée ou soit personnellement exposée à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle retournait dans son pays d’origine. Ainsi, le rejet de la demande d’asile était raisonnable et ne devrait pas être annulé.

 

[26]           Chaque cas est un cas d’espèce et renferme une preuve documentaire unique. La prudence est de mise lorsque des conclusions tirées au sujet d’un pays dans une décision de la Cour sont appliquées dans une autre affaire (voir Yu, précitée, paragraphe 22). La Cour doit décider si, considérées dans leur ensemble, les conclusions déraisonnables sont suffisantes pour invalider la décision entière (voir Song, précitée, paragraphe 75).

 

[27]           Enfin, dans la décision Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1043, [2008] A.C.F. no 1326, le juge Max Teitelbaum a examiné une décision dans laquelle la Commission a notamment conclu que le demandeur pouvait pratiquer le christianisme dans une église d’état. Le juge suppléant Teitelbaum a conclu de la façon suivante au paragraphe 10 :

[10]      Je partage l’avis du défendeur selon lequel la décision de la SPR ne comporte aucune conclusion abusive, arbitraire ou fondée sur une mauvaise interprétation de la preuve dont elle disposait. Le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de tirer une conclusion opposée. Il s’agit d’un contrôle judiciaire et non d’un appel. Il était loisible à la SPR de rendre la décision qu’elle a rendue, compte tenu de la preuve dont elle disposait, et je suis convaincu que la Cour ne devrait pas intervenir.

 

[28]           Compte tenu des décisions rendues par la Cour suprême dans les arrêts Dunsmuir et Khosa, mentionnés précédemment, la décision de la Commission, dans son ensemble, était raisonnable et il n’appartient pas à la Cour d’intervenir.

 

[29]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et l’affaire en soulève aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE

1.         que la présente demande est rejetée;

2.         qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« D.G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4809-09

 

INTITULÉ :                                       XIONG YING HE c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 AVRIL 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS  :                     LE 13 MAI 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

 

POUR LA DEMANDERESSE

Suranjana Bhattacharyya

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shelley Levine

Levine Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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