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Cour fédérale

 

 

Federal Court


 

Date : 20100513

Dossier : IMM-4547-09

Référence : 2010 CF 530

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

CARLOS CASTILLO MEJIA

MARIA CRISTINA HUERTA TORRES

CARLOS JESUS CASTILLO HUERTA

demandeurs

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

défendeur

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision (la décision) de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 13 août 2009. La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

 

I.          Le contexte

 

[3]               Les demandeurs sont Carlos Castillo Mejia (le demandeur principal), son épouse Maria Cristina Huerta Torres, ainsi que leur fils de onze ans. Les demandeurs sont des citoyens du Mexique qui sont arrivés au Canada en 2007 et ont présenté une demande d’asile au motif qu’ils craignaient d’être exposés à de l’extorsion et à de la violence aux mains de policiers corrompus au Mexique. Les demandes de l’épouse et du fils s’appuient principalement sur celle du demandeur principal et sur la crainte que leur fils soit enlevé.

 

[4]               Le demandeur principal exploitait une entreprise de transport touristique et l’épouse était copropriétaire d’une école locale. Le demandeur principal a été enlevé et battu par des policiers fédéraux et a dû payer de l’argent pour sa libération. De plus, le demandeur principal a dû payer de l’argent parce qu’il s’est fait extorquer à diverses reprises. À un certain moment, le demandeur principal et l’un des extorqueurs en sont venus aux coups, son fils en a été témoin et ce dernier a par la suite connu des problèmes de comportement. Les demandeurs ont déménagé à plusieurs endroits, et le mari est en fin de compte venu au Canada. Son épouse et son fils l’ont rejoint au Canada après que l’épouse eut reçu des appels lors desquels on a menacé d’enlever son fils.

 

[5]               Le demandeur principal a fait un rapport à la police et a fait un suivi de ce rapport à plusieurs reprises, mais les autorités n’ont pris aucune mesure. Le demandeur principal a également tenté de faire un rapport dans les différents endroits où il avait déménagé, mais on lui a dit qu’il ne pouvait pas le faire en raison de l’absence de compétence des autorités de ces endroits.

 

[6]               La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’il n’y avait pas de lien entre la demande et un motif prévu par la Convention et que la protection de l’État était suffisante.

 

[7]               La Commission a conclu que les demandeurs étaient les victimes de policiers corrompus et non d’un appareil étatique corrompu et que, par conséquent, leur crainte n’était pas liée à la race, à la nationalité, à la religion, à des opinions politiques réelles ou imputées ou à l’appartenance à un certain groupe social.

 

[8]               La Commission a également conclu que, compte tenu de l’ensemble de la preuve, le Mexique déployait de grands efforts pour réduire la criminalité afin de protéger ses citoyens et que le demandeur n’avait pas fourni une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État de les protéger. Au paragraphe 24 des motifs, la Commission a déclaré que même si le demandeur principal s’était adressé au ministère public à plusieurs reprises sans succès, la preuve documentaire révèle qu’il existe plusieurs autorités ou organismes d’État auxquels il aurait pu s’adresser pour signaler la corruption et obtenir réparation. La Commission a conclu que le demandeur avait des options dont il ne s’est pas prévalu.

 

II.         Les questions en litige et la norme de contrôle

 

[9]               Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

a)         La Commission a-t-elle commis une erreur en introduisant la question d’une possibilité de refuge intérieur à Guadalajara, mais en omettant de la traiter dans ses motifs?

 

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur à l’égard de l’existence de la protection de l’État et en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État?

 

c)         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant à l’absence d’un lien avec la définition de réfugié au sens de la Convention?

 

[10]           Les questions concernant la possibilité de refuge intérieur, la protection de l’État et le lien avec un groupe visé par la Convention sont des questions de fait, et la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2008] A.C.F. no 886, 2008 CF 696; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4th) 413; Marquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1727, [2005] A.C.F. no 2156).

 

III.       Analyse

 

[11]           Pour les motifs qui suivent, il est uniquement nécessaire d’examiner la question b).

 

[12]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en appliquant mal le critère visant à réfuter la présomption de protection de l’État énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; [1993] A.C.S. no 74.

 

[13]           Selon le défendeur, la décision de la Commission est raisonnable, car les demandeurs ont omis de prendre des mesures suffisantes pour obtenir la protection de l’État au Mexique avant de présenter une demande d’asile et, par conséquent, ils n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[14]           Le nœud du litige semble être la question de savoir s’il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur principal ne s’était pas réclamé de la protection de l’État existante. Le demandeur soutient que, lorsqu’il s’agit de démocraties en voie de développement comme le Mexique, où la corruption et le trafic de drogues sont répandus et auxquels participent certains représentants gouvernementaux, la corruption devrait constituer un élément justifiant que soit réfutée la présomption de protection de l’État et que les efforts déployés par le gouvernement ne devraient pas être assimilés à l’existence d’une protection de l’État suffisante.

 

[15]           Il est bien établi que les personnes qui présentent une demande d’asile doivent fournir une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État de les protéger et qu’il n’est pas nécessaire que la protection offerte par l’État soit parfaite (Mendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, [2008] A.C.F. no 771). On s’attend également à ce que les demandeurs épuisent toutes les avenues possibles à leur disposition, et leur fardeau de se réclamer de la protection de l’État est lié au degré de démocratie dans le pays.

 

[16]           Il convient de souligner que les agents de persécution en l’espèce étaient des policiers corrompus. Dans Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341, 68 Imm. L.R. (3d) 81, la juge Danielle Tremblay-Lamer a discuté de la distinction entre différents agents de persécution et de leur lien avec l’efficacité de la protection de l’État. La juge Tremblay-Lamer a écrit ce qui suit aux paragraphes 22 et 23 :

[22]      La distinction entre les « agents de l’État », les « agents corrompus » et les « criminels » soulève des questions différentes lorsqu’on évalue l’efficacité de la protection de l’État. Quand les auteurs allégués de la persécution sont des agents de l’État, il est possible que le demandeur se heurte à une politique officielle de persécution, qui fait qu’il ne dispose peut‑être pas vraisemblablement de la protection de l’État. En revanche, si les agresseurs sont des « agents corrompus », l’analyse portera principalement sur le fait de savoir si l’État est en mesure de se surveiller efficacement lui-même, ce qui inclut l’efficacité des mécanismes de supervision et d’obligation redditionnelle. Cependant, si ce sont des éléments purement criminels qui sont les agents de persécution, les aspects qui précèdent ne seront pas pertinents pour évaluer l’efficacité de la protection de l’État.

 

[23]      Dans son analyse de la protection de l’État contre les agents corrompus, la CISR a souligné l’existence de mesures de lutte contre la corruption au Mexique. Bien qu’ils soient des plus louables, les efforts que fait un gouvernement quelconque pour enquêter sur les cas de corruption et les sanctionner n’ont pas en soi un effet déterminant sur l’efficacité de ces efforts sur le terrain. La CISR a souligné le nombre d’enquêtes relatives à la corruption que le Bureau du procureur général a menées, les nouvelles initiatives de formation destinées à lutter contre la corruption policière et judiciaire, de même que l’existence d’un mécanisme permettant de  porter plainte contre des fonctionnaires en tant que mesures dénotant la capacité du gouvernement de protéger le demandeur, mais elle n’a pas dit dans quelle mesure ces initiatives ont eu une incidence sur le degré de corruption sur le terrain, ainsi que sur la vie de la population civile en général. Je signale, par exemple, que la capacité de déposer une plainte et de lancer une enquête sur un cas de corruption et de mauvais traitements, le tout après coup, ne constitue pas automatiquement une protection efficace.

 

[17]           L’efficacité de la protection de l’État contre les agents de persécution était une question fondamentale en l’espèce. Lorsque des éléments de preuve concernant une question fondamentale sont présentés, la Commission doit davantage expliquer pourquoi elle y accorde peu ou pas de poids ou pourquoi elle privilégie des éléments de preuve documentaire donnés à d’autres éléments de preuve documentaire. Bien que je reconnaisse qu’en l’espèce, la Commission a examiné l’existence de la protection de l’État au Mexique et a reconnu que la corruption demeure un problème grave, elle a omis d’examiner l’efficacité réelle de cette protection. La Commission n’a pas mentionné pourquoi elle a privilégié certains éléments de preuve concernant la protection de l’État à d’autres éléments de preuve qui appuyait la position selon laquelle le demandeur ne pouvait pas se réclamer de la protection de l’État.

 

[18]           La décision n’était pas raisonnable.

 

[19]           Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La présente demande est accueillie. La décision est annulée, et la demande d’asile est renvoyée un tribunal différemment constitué pour nouvel examen conformément aux présents motifs.

2.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4547-09

 

Intitulé :                                       MEJIA ET AL. c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 avril 2010

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 mai 2010

 

 

 

Comparutions :

 

Daniel Fine

 

 

Pour les demandeurs

Kevin Doyle

 

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Fine

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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