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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100511

Dossier : IMM-5659-09

Référence : 2010 CF 514

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE NON-RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 mai 2010

En présence de monsieur le juge Crampton

 

Entre :

 

GENITH IBARGUEN MURILLO

 

demanderesse

et

 

Le ministre de la citoyenneté

Et de l’IMMIGRATION

 

défendeur

 

Motifs du jugement et jugement

 

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne de la Colombie, d’origine ethnique afro-colombienne. Elle soutient qu’elle a commencé à travailler comme membre active du parti libéral de Colombie en 2003. Après avoir participé pendant quatre ans à l’amélioration des soins de santé et de l’éducation des collectivités noires défavorisées de sa ville natale de Buenaventura, elle a commencé à travailler auprès des femmes déplacées dans la ville de Jamundi. Pendant son séjour dans cette ville, elle a tenu des réunions du parti libéral environ deux fois par mois.

 

[2]               Peu après son arrivée à Jamundi, elle prétend qu’elle a participé à l’établissement d’un plan de développement pour les femmes déplacées avec enfants. Cela exigeait qu’elle se rende dans les régions rurales autour de Jamundi. Entre autres activités, elle et ses collègues fournissaient de la nourriture et des vêtements, aidaient à la promotion de l’alphabétisation et des pratiques d’hygiène et sensibilisaient les femmes à propos des mouvements de guérilla, de la participation des guérillas aux drogues, à la violence et au recrutement d’enfants.

 

[3]               En mai 2008, la demanderesse est retournée à Jamundi après avoir passé trois semaines en visite chez sa mère, qui avait été très malade. À son arrivée le 21 mai 2008, elle soutient qu’elle a trouvé à son domicile deux communiqués qui avaient été envoyés par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Le premier communiqué, daté du 30 avril 2008, était rédigé comme suit :

 

            [traduction]

Mme Genith Ibarquen (sic) Murillo,

Nous vous informons que nous savons que vous exercez des activités politiques dans la région rurale de Jamundi, disant aux paysans que vous êtes contre nos principes et contre nos idéaux. Démissionnez de votre travail! Sinon, vous découvrirez ce que nous faisons de nos ennemis. Tout signalement aux autorités entraînera notre réaction révolutionnaire!

 

Le commandant,

 

LUIS CARLOS

 

[4]               Le deuxième pamphlet, daté du 20 mai 2008, était rédigé comme suit :

 

            [traduction]

Espèce de p[…]. Crois-tu que nous blaguons? Comme tu n’as prêté aucune attention à notre communiqué antérieur, un tribunal révolutionnaire t’a intenté un procès et accusé de te cacher derrière ton poste de représentante du parti libéral. En vertu de la résolution 005, tu es déclarée un objectif militaire et condamnée à mort, de même que les membres de ta famille.

 

Le commandant,

 

LUIS CAROLS

 

 

[5]               La demanderesse prétend qu’elle a immédiatement pris des mesures pour être amenée au poste de police dans le coffre arrière de la voiture d’un ami. Après avoir fait un rapport, elle a habité avec son cousin jusqu’au 8 juin 2008. Au cours de cette période, elle soutient que le téléphone sonnait souvent, mais qu’il n’y avait personne au bout du fil lorsqu’elle répondait. Finalement, le 8 juin 2008, le téléphone a sonné et un homme a déclaré : [traduction] « Cette salope de Genith est là. »

 

[6]               Après avoir reçu ce coup de téléphone, la demanderesse soutient qu’elle s’est immédiatement rendue chez un ami où elle a passé la nuit et a ensuite fait un autre rapport à la police le lendemain.

 

[7]               La demanderesse a par la suite quitté la Colombie le 11 juin 2008. Elle est passée par le Mexique, où elle a rencontré un passeur qui l’a amenée aux États-Unis le 21 juin 2008. Elle s’est rendue à Miami où elle est restée avec un ami jusqu’au moment où elle a pu communiquer avec sa sœur pour qu’elle lui envoie sa carte de citoyenneté. Elle a utilisé cette carte pour obtenir un nouveau passeport colombien le 5 août 2008. Elle est alors partie pour le Canada le 27 août 2008 et est arrivée deux jours plus tard et a demandé l’asile.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[8]               Dans une décision datée du 27 octobre 2009, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de la demanderesse en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). 

 

[9]               L’ensemble de la décision portait sur la question de savoir si la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) sûr à Bogotá.

 

[10]           Ce qui est plus particulièrement frappant à propos de cette décision, c’est qu’après l’introduction en première page, les dix autres pages de la décision sont pratiquement identiques à une autre décision rendue par la SPR, le 30 octobre 2009, à l’égard d’une affaire entendue le même jour que celle en l’espèce. La seule différence importante figure au paragraphe 19, où il est souligné que, puisque les problèmes de la demanderesse n’ont commencé qu’après mai 2007, un rapport publié avant cette date aurait moins de poids qu’un autre rapport dont il est question dans la décision.

 

Questions en litige

[11]           La demanderesse allègue que la SPR a commis les erreurs suivantes :

 

                                                               i.      elle a mal interprété et a omis de prendre en compte des éléments de preuve importants;

 

                                                             ii.      elle a omis d’appliquer le critère à deux volets applicable à l’appréciation d’une PRI et de fournir des motifs suffisants à l’égard du deuxième volet de ce critère;

 

                                                            iii.      elle a mal évalué la question des récents changements survenus dans la situation de la Colombie;

 

                                                           iv.      elle n’a pas vérifié s’il existait des « raisons impérieuses », tenant à des persécutions antérieures, pour que la demanderesse refuse de se réclamer de la protection de son pays, comme le prévoit le paragraphe 108(4) de la LIPR.

           

I.          Analyse

A.      La SPR a-t-elle commis une erreur en interprétant mal ou en omettant de prendre en compte des éléments de preuve importants?

 

[12]           Cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 51 à 56).

 

[13]           La demanderesse allègue notamment que la SPR a commis une erreur en omettant d’analyser en détail le risque précis auquel elle serait exposée, que ce soit à Bogotá ou ailleurs en Colombie, pour avoir été déclarée un objectif militaire et condamnée à mort par les FARC.

 

[14]           Je suis d’accord. Il était déraisonnable que la SPR ne traite pas en détail ce risque précis et personnel auquel était exposée la demanderesse.

 

[15]           Tel qu’il a été mentionné au paragraphe 10 ci-dessus, la décision de la Commission est pratiquement identique à la décision qu’elle a rendue dans une autre affaire entendue le même jour que celle en l’espèce. J’ai également entendu les demandes de contrôle judiciaire des deux décisions le même jour. Je suis convaincu que la preuve présentée par la demanderesse en l’espèce, plus particulièrement les deux lettres susmentionnées que les FARC lui ont envoyées, est qualitativement si différente de la preuve présentée par les demandeurs dans l’autre affaire, qu’il était déraisonnable que la SPR ne fournisse pas d’analyse de cette preuve et des répercussions liées au risque auquel la demanderesse s’exposerait à Bogotá.

 

[16]           Il est possible de soutenir que les deux lettres susmentionnées des FARC sont les éléments de preuve les plus importants présentés par la demanderesse. Il en est ainsi plus particulièrement du fait que la récente preuve documentaire présentée par la demanderesse indique que les FARC continuent de cibler avec succès des activistes locaux et des travailleurs humanitaires, soit directement, soit en sous-traitant les actes de violence à des gangs criminels, y compris des gangs à Bogotá. Dans ce contexte précis, l’omission de la SPR de fournir des motifs concernant cette preuve était déraisonnable. (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. n1425; Surajnarain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1165, [2008] A.C.F. n1451, aux paragraphes 6 et 7; Uluk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 122, [2009] A.C.F. n149, aux paragraphes 16 et 32.)

 

[17]           Vu ma conclusion relativement à cette question, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres questions soulevées par la demanderesse.

 

II.         Conclusion

[18]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision rejetant la demande de la demanderesse d’être reconnue comme réfugiée au sens de la Convention et personne à protéger est annulée. La présente affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

[19]           Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision rejetant la demande de la demanderesse d’être reconnue comme réfugiée au sens de la Convention et personne à protéger est annulée. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision, conformément à la loi et compte tenu des motifs qui précèdent, selon laquelle la demanderesse est une réfugiée au sens de la Convention selon l’article 96 de la LIPR ou une personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR. 

 

                                                                                                  « Paul S. Crampton »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5659-09

 

Intitulé :                                       MURILLO c. Le ministre de la citoyenneté

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)        

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 mai 2010 

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge Crampton

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 mai 2010           

 

 

Comparutions :

 

 

Jack Davis

Pour la demanderesse

 

Khatidja Moloo

                Pour le défendeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

                  Pour le défendeur

 

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