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Federal Court

 

Cour fédérale


 

Date : 20100511

Dossier : IMM-5553-09

Référence : 2010 CF 512

[TRACTUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE NON-RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 mai 2010

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

Entre :

IMRICH DUDA

demandeur

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

défendeur

 

Motifs du jugement et jugement

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le présent contrôle judiciaire d'un examen des risques avant renvoi (ERAR) défavorable a soulevé plusieurs questions concernant la protection de l'État pour les Roms en République tchèque et l'équité procédurale. Il a également soulevé la question de la portée de l'alinéa 101(1)c) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) qui a pour effet de priver le demandeur en tant qu'adulte du droit de présenter une demande d'asile parce que ses parents, lorsqu'il était mineur, ont retiré la demande d'asile.

 

[2]               La juge Snider a accordé un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion.

 

II.         FAITS

[3]               Le demandeur, un citoyen tchèque, a invoqué la crainte d'être persécuté en raison de son origine ethnique rom. CIC a conclu que le demandeur n'était pas admissible à présenter une demande d'asile en raison de l'article 101 de la LIPR. La demande de contrôle judiciaire a été présentée huit mois en retard et le juge Russell en a refusé l'autorisation. Toutefois, la question a été soulevée dans le contexte de la contestation de la décision d’ERAR.

 

[4]               À l'âge de 11 ans, en octobre 1997, le demandeur est venu au Canada avec ses parents, fuyant une présumée persécution en République tchèque. Les parents ont retiré la demande d'asile en décembre 1997 et sont retournés dans leur pays.

 

[5]               En 2009, le demandeur, son épouse et leurs enfants se sont enfuis au Canada. Lorsqu'il a été informé qu'il n'était pas admissible à présenter une demande d'asile en raison de l'alinéa 101(1)c), le demandeur a demandé un ERAR.

 

[6]               Dans le cadre de l’ERAR, le demandeur a allégué que les Roms ne pouvaient obtenir des services publics et des services personnels en République tchèque. Le demandeur et son épouse ont décrit les nombreux cas de mauvais traitements à leur égard et à l’égard de leurs enfants.

 

[7]               Dans la décision d’ERAR défavorable, l’agente a cité de longs passages du rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (le rapport de l’ECRI). Ce rapport a été publié dix jours avant la décision d’ERAR. Le demandeur n'a pas été avisé du rapport de l’ECRI et n'a pas eu l'occasion de présenter des observations à son égard.

 

III.       ANALYSE

[8]               Le demandeur a soulevé plusieurs arguments relatifs à l'équité procédurale et à la compétence, qui sont assujettis à la norme de contrôle de la « décision correcte », tel que le mentionne l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Bien que la conclusion de la protection de l'État fasse l'objet de retenue et doive répondre à la norme de contrôle de la « raisonnabilité », l'omission de prendre en compte des facteurs pertinents ou le fait de s'appuyer sur des facteurs non pertinents constitue une erreur de droit.

 

[9]               Un agent d’ERAR n'est pas tenu de transmettre une copie de chaque document qu'il mentionne lorsque ces documents réitèrent ou renforcent des renseignements existants auxquels un demandeur a déjà accès. Toutefois, l’arrêt Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.), [1998] 3 C.F. 461, statue que l'équité exige la divulgation des documents auxquels le public ne peut avoir facilement accès ou qui ne se trouvent pas au centre de documentation.

 

[10]           L'argumentation du demandeur relative à la non-divulgation et à l'équité s’entrelace avec avec les arguments concernant l'omission de prendre en compte des éléments de preuve et le fait de s'appuyer sur des éléments de preuve inappropriés.

 

[11]           Le rapport de l’ECRI n'est pas un simple regroupement d'éléments de preuve existants, mais contient des renvois à plusieurs documents qui sont des documents gouvernementaux internes. Ces documents non courants ont joué un rôle important dans le rapport de l’ECRI et pourtant, le demandeur n'a eu accès ni au rapport de l’ECRI ni à ces sources non courantes.

 

[12]           Le principe applicable dans la présente situation est énoncé dans Zamora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1414, au paragraphe 18 :

18     Les documents en question n'étaient pas des documents courants comme Human Rights Watch, Amnistie Internationale ou des rapports sur les pays publiés par des autorités gouvernementales, mais plutôt le résultat d'une recherche précise effectué dans Internet par l’agente d'ERAR. Le fruit de cette recherche, notamment les documents qu'elle a pu trouver et qui étaient avantageux pour M. Aguilar Zamora, aurait dû être divulgué et M. Aguilar Zamora aurait dû se voir accorder la possibilité de répondre. On ne peut affirmer avec confiance que les documents n'étaient pas inédits ou qu'ils n'étaient pas importants.

 

[13]           Le défendeur n'est pas en mesure d'expliquer la raison de l'omission d'aviser le demandeur de l'existence du rapport de l’ECRI. Bien que ce rapport puisse ne pas être le seul élément de preuve documentaire sur lequel s'est appuyée l’agente, il ressort clairement de la décision qu'il a joué un rôle essentiel dans celle-ci. La commodité ou l'efficacité administrative (un avantage pour le public) de rendre une décision d’ERAR rapidement ne justifie pas le refus de communiquer l'existence du rapport publié dix jours auparavant et de s'appuyer ensuite sur celui-ci dans une si vaste mesure.

 

[14]           Le fait de s'appuyer sur le rapport de l’ECRI et sa non-communication sont aggravés par l'omission d'examiner la preuve du demandeur selon laquelle la protection de l'État n'existait pas ou n'était pas efficace de façon générale. Ceci est particulièrement important compte tenu de la manière dont l’agente a traité la nature, le type et l'efficacité des efforts à l'égard de l'application des lois et de la lutte contre la discrimination.

 

[15]           La décision de l’agente dénote une lecture sélective du rapport de l’ECRI. Il est bien établi en droit qu'il n'est pas nécessaire de mentionner tous les éléments de preuve, mais lorsque des éléments sont essentiels, la cour doit être assurée qu'il existe un fondement légitime pour conclure que les éléments de preuve importants ont été examinés.

 

[16]           En s'appuyant largement sur le rapport de l’ECRI, il y a eu plusieurs omissions concernant des renvois mentionnés dans le rapport de l’ECRI qui indiquaient une détérioration importante de la situation pour les Roms. Parmi celles-ci, mentionnons les suivantes :

-           l'omission de commentaires concernant les limites de la capacité de l'ombudsman de régler les problèmes pour le compte des Roms;

-           le défaut de mentionner les observations défavorables ou critiques du rapport envers le gouvernement tchèque;

-           l'acceptabilité de commentaires défavorables visant les Roms faits par des représentants de haut rang;

-           l’ignorance du défaut de mettre sur pied un organisme de plaintes à la police;

-           l'absence d'une législation exhaustive interdisant la discrimination.

 

[17]           Bien que l’agente renvoie en effet à certains commentaires défavorables, les observations critiques sont éliminées et aucune preuve n'indiquait qu'elles ont été prises en compte.

 

[18]           En conséquence, la décision ne peut résister à un examen de l'équité du processus ou de la prise en compte appropriée des éléments de preuve pertinents. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

[19]           Le demandeur a soulevé la question de l'alinéa 101(1)c) en insistant plus particulièrement sur l'omission de nommer un représentant désigné. Le juge Russell a déjà refusé l'autorisation quant à cette question qui a été soulevée bien après les délais applicables.

 

[20]           Il se peut que la question de savoir si l'alinéa 101(1)c) est défendable en droit soit une question importante, car elle peut s'appliquer à des enfants dont la conduite des parents peut à tout jamais les empêcher de présenter leur propre demande d'asile distincte. La réponse du défendeur selon laquelle un ERAR règle les difficultés conceptuelles quant à cette question, compte tenu des différences reconnues entre les articles 96 et 97 de la LIPR, est une question qui soulève un débat sérieux. Cependant, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur ces questions afin de régler la demande de contrôle judiciaire.

 

[21]           Puisque la préoccupation du défendeur concernant la certification d’une question était fonction de la décision à l’égard de l’alinéa 101(1)c), il n'est pas nécessaire que la Cour accorde aux parties le droit de faire des observations sur une « question ».

 

IV.       CONCLUSION

[22]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision d’ERAR sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision d’ERAR est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

 

Brigitte Grégoire, LL.L.

Réviseure

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5553-09

 

INTITULÉ :                                       IMRICH DUDA

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 mai 2010

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 mai 2010

 

 

Comparutions :

 

Katherine Ramsey

 

Pour le demandeur

 

Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Katherine Ramsey

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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