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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100505

Dossier : T-2012-01

Référence : 2010 CF 495

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

SOUTH YUKON FOREST CORPORATION

et LIARD PLYWOOD AND LUMBER
MANUFACTURING INC.

demanderesses

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE HENEGHAN

I. PRÉAMBULE

[1]               La présente action concerne une usine de bois de sciage (la scierie) qui a été construite à Watson Lake, dans le territoire du Yukon (le Yukon). Les motifs qui suivent répondent à trois questions : pourquoi la scierie a-t-elle été construite, pourquoi a-t-elle fermé et quelles en sont les conséquences en droit?

 

[2]               Dans la présente instance, South Yukon Forest Corporation (SYFC) et Liard Plywood and Lumber Manufacturing Inc. (LPL), appelées collectivement les « demanderesses », cherchent à obtenir des dommages-intérêts de Sa Majesté la Reine (la défenderesse), qui représente le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le Ministre). La demande a trait à la construction, à l’exploitation ainsi qu’à la fermeture ultime d’une scierie près de la ville de Watson Lake, au Yukon.

 

[3]               LPL est une personne morale, qui a été structurée et constituée sous le régime des lois du Yukon le 26 janvier 1996. Au départ, l’entreprise s’appelait Liard Pulp and Lumber, mais elle a changé de nom le 3 septembre 1996.

 

[4]               SYFC est une personne morale, structurée et existant sous le régime des lois du Yukon. Elle a été constituée en société le 5 novembre 1997. Elle est l’entité qui exploite la coentreprise qui a construit et exploité la scierie à Watson Lake.

 

[5]               Le Ministre est chargé du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC, ou le Ministère), aux termes de la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, L.R.C. 1985, ch. I‑6 (la Loi, ou la Loi sur le MAINC).

 

[6]               Il n’est pas contesté que les demanderesses ont ouvert, en octobre 1998, une scierie qui a fermé temporairement ses portes en décembre 1998, qui a rouvert le 30 avril 1999 et qui a ensuite fermé pour de bon le 4 août 2000.

 

II. L’HISTORIQUE DES PROCÉDURES JUDICIAIRES

[7]               La présente action a été introduite par le dépôt d’une déclaration de SYFC le 9 novembre 2001. SYFC a sollicité une ordonnance de mandamus visant à ordonner au gouverneur en conseil de désigner certaines terres territoriales du Yukon en tant que zones d’aménagement et de faire en sorte qu’un volume de 200 000 m3 de bois par année soit mis à sa disposition au moyen d’un contrat de récolte de bois (CRB). Subsidiairement, SYFC a réclamé des dommages-intérêts pour négligence, déclarations inexactes faites par négligence, manquement à une obligation fiduciaire et faute dans l’exercice d’une charge publique.

 

[8]               Par un avis de requête déposé le 29 mai 2002, la défenderesse a sollicité une ordonnance visant à faire radier certains paragraphes de la déclaration de SYFC ainsi qu’à obtenir de plus amples précisions sur cette déclaration.

 

[9]               La requête a été plaidée le 16 août 2002. Par la voie d’une ordonnance datée du 20 août 2002, feu le protonotaire Hargrave a fait droit à la requête en partie, ordonnant que les alinéas 1a) et 1b) soient radiés, que la demanderesse SYFC soit autorisée à déposer une déclaration modifiée et qu’elle fournisse de plus amples précisions. Plus précisément, il a radié la demande de SYFC concernant l’obtention d’une ordonnance de mandamus parce que cette réparation doit être sollicitée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7.

 

[10]           SYFC a déposé une déclaration modifiée le 27 août 2002. La défenderesse a déposé une défense modifiée le 30 octobre suivant.

 

[11]           Le 2 janvier 2003, la défenderesse a déposé un avis de requête demandant l’autorisation de déposer une demande reconventionnelle. Cette demande a été accueillie par une ordonnance datée du 25 février 2003, et une défense modifiée et demande reconventionnelle a été déposée le 26 février 2003. La demande reconventionnelle fait état d’allégations d’intrusion illicite et de nuisance relativement à la continuité de l’occupation, par les demanderesses, de certaines terres, ainsi que d’une allégation de loyer impayé, d’un montant de 4 060 $, de pair avec la taxe sur les produits et services et les intérêts connexes.

 

[12]           Le 30 octobre 2003, SYFC a déposé une défense contre la demande reconventionnelle.

 

[13]           Le 16 février 2004, SYFC a déposé un avis de requête, sollicitant l’autorisation de constituer LPL codemanderesse, de désigner LPL et SYFC comme représentantes des coentrepreneurs agissant sous le nom de SYFC dans la présente instance, de modifier l’intitulé et de déposer une nouvelle déclaration modifiée.

 

[14]           Par un avis d’abandon déposé le 17 mars 2004, SYFC a renoncé à la demande énoncée au paragraphe 2 de son avis de requête, relativement à la désignation de l’éventuelle demanderesse LPL et de la demanderesse SYFC en tant que représentantes des coentrepreneurs.

 

[15]           Par une lettre datée du 25 mai 2004 et déposée auprès du greffe de la Cour à Vancouver le 25 mai 2004, la défenderesse s’est opposée à l’abandon partiel de la requête de la demanderesse, c’est-à-dire, en ce qui concerne le paragraphe 2, la désignation de l’éventuelle demanderesse LPL et de la demanderesse SYFC en vue d’agir à titre de représentantes en vertu de l’ancien article 114 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

 

[16]           Le 25 août 2004, la défenderesse a déposé un avis de requête sollicitant une ordonnance relative à un cautionnement pour dépens, de même qu’une ordonnance prescrivant que la demanderesse produise un affidavit exact et complet de documents et que l’on contre-interroge M. Don Oulton au sujet de l’affidavit de documents de la demanderesse.

 

[17]           Le protonotaire Hargrave a ordonné que la requête de SYFC en vue de constituer LPL codemanderesse soit entendue à l’occasion d’une séance spéciale tenue devant la Cour à Whitehorse. Par une directive déposée le 13 septembre 2004, le juge présidant la séance a ordonné que la requête de la défenderesse en vue d’obtenir un cautionnement pour dépens et d’autres mesures de réparation soit entendue en même temps.

 

[18]           Deux ordonnances ont été rendues à la suite d’une audience tenue à Whitehorse le 4 novembre 2004. Dans la première, la requête de SYFC en vue d’ajouter LPL comme demanderesse a été rejetée, mais la requête visant à présenter une demande pour inexécution de contrat a été accueillie.

 

[19]           Dans la seconde ordonnance, la requête de la défenderesse au sujet du cautionnement pour dépens a été accordée et il a été ordonné à SYFC de verser un cautionnement d’un montant de 20 000 $. Cette somme a été déposée auprès de la Cour le 8 décembre 2004 par SYFC à cet égard.

 

[20]           SYFC a déposé un avis d’appel le 7 décembre 2004, relativement à l’ordonnance rejetant sa requête visant a joindre LPL comme demanderesse. Le numéro du dossier d’appel est A‑641‑04.

 

[21]           À la suite d’une lettre de la défenderesse datée du 20 décembre 2004, au sujet d’une contradiction apparente dans le libellé de l’ordonnance autorisant SYFC à présenter une demande pour inexécution de contrat, une autre ordonnance a été rendue le 11 janvier 2005.

 

[22]           Dans l’intervalle, une nouvelle déclaration modifiée a été déposée par la demanderesse SYFC le 3 décembre 2004. La défenderesse a déposé sa défense modifiée et demande reconventionnelle le 17 décembre 2004.

 

[23]           Par une ordonnance datée du 27 janvier 2006, la Cour d’appel fédérale a fait droit à l’appel de SYFC à l’encontre du rejet de sa requête relative à la jonction de LPL comme demanderesse. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’y avait pas eu d’erreur d’écriture dans l’ordonnance datée du 23 novembre 2004 et que la juge des requêtes avait commis une erreur en saisissant mal le fondement factuel qu’invoquait SYFC en faveur de la jonction de LPL et en interprétant erronément l’article 104 des Règles.

 

[24]           Dans les motifs pour lesquels elle a fait droit à l’appel, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que la défenderesse s’opposait à l’ordonnance de la juge des requêtes par laquelle celle‑ci donnait l’autorisation de déposer une demande pour inexécution de contrat et faisait droit aux modifications accessoires à apporter à la déclaration à cet égard. Aux paragraphes 36 et 37 de ses motifs, la Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit :

[36]      Je dois dire, en premier lieu, que la première ordonnance est claire. Elle ne comporte aucune ambiguïté puisqu’il ne fait aucun doute que la juge a autorisé les modifications accessoires. Non seulement l’ordonnance précise-t-elle que la requête de l’appelante en vue de modifier sa déclaration et d’ajouter un droit d’action de nature contractuelle est accueillie mais elle enjoint également à l’appelante de signifier et de déposer « une déclaration expurgée » dans laquelle seront incorporées les modifications proposées, hormis celles visant à constituer LPL codemanderesse. L’ordonnance rendue par la juge découle en toute logique de ce qu’elle affirme aux paragraphes 23 et 24 de ses motifs. Au paragraphe 23, elle explique que les modifications proposées par l’appelante visent à ajouter un nouveau droit d’action, à savoir l’inexécution contractuelle, et entre autres choses, à apporter des précisions concernant les allégations de négligence contre l’intimée. Au paragraphe 24, elle cite des décisions de la Cour en matière de modification d’actes de procédure et affirme que cette jurisprudence milite en faveur d’une décision autorisant les modifications. Ainsi, le libellé de la première ordonnance était tout à fait prévisible. De fait, tant l’appelante que l’intimée ont présumé, en signifiant et en déposant leurs déclaration et défense modifiées, que la juge avait autorisé l’appelante à apporter les modifications accessoires. Selon moi, compte tenu du libellé de la première ordonnance, l’appelante et l’intimée avaient compris à juste titre que les modifications accessoires avaient été autorisées.

[37]      En tout état de cause, il me semble qu’après avoir répondu à la deuxième déclaration modifiée sans soulever d’objection, l’intimée n’est plus en position de prétendre que cette procédure n’est pas recevable. Si l’intimée pensait que cet acte de procédure n’est pas recevable, elle n’avait qu’à présenter une requête en vertu de l’article 58 des Règles avant de déposer une défense modifiée en réponse à la deuxième déclaration modifiée.

 

[25]           La Cour d’appel fédérale a tranché l’appel en rendant l’ordonnance suivante :

[42]      Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais l’ordonnance du 11 janvier 2005 de même que l’ordonnance du 23 novembre 2004, dans la mesure où elle rejette la requête de l’appelante en vue de constituer LPL codemanderesse. Rendant la décision qui aurait dû être rendue, j’accueillerais la requête de l’appelante en vue de modifier sa déclaration, dans son intégralité. En conséquence, je modifierais l’ordonnance du 23 novembre 2004 comme suit :

            La requête présentée par la demanderesse en vue de constituer LPL codemanderesse, de modifier la déclaration pour ajouter un droit d’action de nature contractuelle et d’apporter diverses modifications accessoires concernant les causes d’action existantes est accueillie.

            La demanderesse devra, dans les dix (10) jours de la présente ordonnance, déposer et signifier une déclaration expurgée, après avoir ajouté les modifications proposées, y compris celles visant à constituer LPL codemanderesse dans la présente instance. La défenderesse est autorisée à déposer et à signifier une défense modifiée dans les deux semaines de la réception de la déclaration expurgée.

 

[26]           L’affaire a suivi une série d’étapes antérieures au procès, dont des interrogatoires préalables qu’ont tenus à la fois les demanderesses et la défenderesse.

 

[27]           Le procès a débuté à Vancouver le 31 mars 2008. Des observations supplémentaires finales ont été présentées le 17 septembre 2008.

 

III. LA PREUVE

A. Généralités

[28]           Dans la présente affaire, la preuve est constituée des témoignages de vive voix de dix‑neuf témoins, dont un témoin-expert, de cartes géographiques, d’une réponse à une demande de reconnaissance, de réponses à des engagements, d’extraits consignés de l’interrogatoire préalable du représentant des demanderesses, de même que de plus d’un millier de documents distincts, dont un rapport d’expert.

 

[29]           La quantité des éléments de preuve qui se rapportent à la présente instance est exceptionnelle. Je ne me reporterai pas à la totalité des éléments qui figurent dans le dossier, mais je fonderai plutôt mes conclusions sur ceux que j’ai trouvés les plus pertinents, dignes de foi et fiables. J’ai passé en revue la totalité des éléments de preuve et je n’ai pas fait abstraction d’éléments auxquels je ne fais pas explicitement référence.

 

[30]           Les deux parties ont déposé de multiples volumes de documents, produits pour la plupart lors du processus des interrogatoires préalables. Je souligne toutefois qu’il y a de nombreux documents, très pertinents, que la défenderesse n’a pas produits et que ce n’est qu’au moyen du processus d’accès à l’information que les demanderesses ont pu les obtenir.

 

[31]           Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai passé en revue la totalité des éléments de preuve dans la présente instance. Je suis persuadée que les documents auxquels j’ai fait référence ont été introduits comme il se doit par l’entremise de témoins ou avec le consentement des avocats des deux parties, qu’il s’agit de pièces commerciales décrites à l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5, ou qu’ils satisfont aux exigences de la nécessité et de la fiabilité, comme il est expliqué dans l’arrêt R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531. Il y a toutefois l’une de ces pièces que je vais brièvement analyser.

 

[32]           La pièce D‑11 a été l’objet de nombreuses discussions pendant toute la durée du procès. Elle consistait en six volumes de documents que les demanderesses avaient produits lors des interrogatoires préalables. La défenderesse a introduit ces documents pour établir la vérité et l’exactitude de leur contenu car les demanderesses l’avaient elles-mêmes reconnu lors de l’interrogatoire préalable. Les demanderesses ont accepté que ces documents soient admis comme véridiques et exacts.

 

[33]           À maintes reprises, la défenderesse a réitéré la raison pour laquelle la pièce D‑11 avait été introduite. En fait, il existe une entente entre les avocats – le « protocole 1 » – qui cadre avec la position que la défenderesse a adoptée. L’extrait qui suit est tiré de l’interrogatoire préalable de la demanderesse, aux pages 2962 et 2963 des notes sténographiques connexes :

[traduction
Q.        Hier, les parties en sont arrivées à une entente au sujet de l’admission de la demanderesse quant à l’authenticité des documents et des faits qui s’y trouvent et, avec la permission de M. Preston, je vais demander à la sténographe officielle de verser cette entente au dossier et je demanderai ensuite si M. Preston et M. Kerr conviennent qu’il s’agit bien de l’entente dont nous avons convenu. Je demanderais donc à madame la sténographe de bien vouloir lire cette entente et de la verser au dossier.

STÉNOGRAPHIE JUDICIAIRE : (lecture de l’entente)

« Protocole 1

19 octobre 2005

Penticton (C.-B.)

Les parties ont convenu de ce qui suit :

La demanderesse reconnaît :

1. l’authenticité des documents créés par la demanderesse et contenus dans la totalité de son affidavit de documents.

2. à l’époque de la création du document, l’auteur, qui s’exprimait au nom de la demanderesse, croyait que les faits énoncés dans le document étaient véridiques et exacts, en se fondant sur les renseignements et les connaissances de la demanderesse, sous réserve des erreurs et des omissions qui sont susceptibles de ressortir de la preuve admissible, et/ou de la discrétion du juge du procès.

3. la présente entente s’applique au document numéro 733 et à tous les documents postérieurs de la demanderesse. »

M. WHITTLE :            Cher collègue, la sténographe officielle a‑t‑elle lu correctement l’entente dont nous avons convenu?

M. PRESTON :           Oui.

Q. M. WHITTLE :       M. Kerr, êtes-vous d’accord qu’il s’agit de l’entente dont nous avons convenu?

R.         Oui.

 

[34]           Cependant, la défenderesse a tenté par la suite de revenir sur la raison pour laquelle ces documents avaient été produits. Indépendamment de ces tentatives, il est un fait que la défenderesse a déposé ces documents pour établir la véracité et l’exactitude de leur contenu, les demanderesses ayant reconnu que ce contenu était véridique et exact.

 

[35]           Dans la mesure où l’un quelconque des documents figurant dans la pièce D‑11 a été créé par les demanderesses et fait référence à des renseignements dont les demanderesses étaient au courant, je les accepte en raison de la véracité et de l’exactitude de ce qu’ils contiennent. L’analyse initiale concernant la pièce D‑11 figure à la page 550 des notes sténographiques. Il en est également question aux pages 792 à 798.

 

[36]           Tous les extraits des pièces documentaires qui sont reproduits ci-après paraissent dans leur forme originale. Les erreurs typographiques, quant il y en a, sont celles de l’auteur original (dans la version anglaise du texte).

 

B. Les témoins des demanderesses

[37]           Le premier témoin appelé pour le compte des demanderesses a été M. Terrence Sewell. Ce dernier est actuellement au service du gouvernement du Canada, au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, où il occupe le poste de directeur général de la Direction générale de la mise en œuvre, au sein du Secteur des revendications et du gouvernement indien. M. Sewell était à l’époque au service du MAINC, à titre de directeur général régional (DGR), Région du Yukon, et posté à Whitehorse.

 

[38]           Il est entré au service du gouvernement fédéral en décembre 1997, après une période d’emploi auprès du gouvernement du Territoire du Yukon (GTY) qui a débuté en 1982. Avant cette époque, M. Sewell avait travaillé pour le gouvernement de l’Ontario, où il avait occupé un certain nombre de postes pendant dix ans. C’était après avoir terminé une maîtrise en économie qu’il était entré au service du gouvernement de l’Ontario.

 

[39]           M. Sewell a travaillé pour le MAINC à Whitehorse jusqu’en septembre 2001, date à laquelle il a commencé à occuper le poste où il se trouve actuellement au MAINC, dans la région de la Capitale nationale, plus précisément dans un bureau situé à Gatineau.

 

[40]           M. Sewell a été appelé à témoigner pour les demanderesses, à titre de témoin opposé, en raison de l’effet combiné de la Loi sur la preuve au Canada et des Supreme Court Rules de la Colombie-Britannique, B.C. Reg. 221/90. Les avocats de la défenderesse se sont opposés au processus proposé, au motif que les avocats des demanderesses ne les avaient pas avisés au préalable de leur intention d’appeler M. Sewell. En même temps, les avocats de la défenderesse ont accusé réception, le 28 mars 2008, de la liste des témoins que les demanderesses avaient l’intention d’appeler. Le nom de M. Sewell y figurait.

 

[41]           Après un examen de la législation applicable, soit l’article 40 de la Loi sur la preuve au Canada et l’article 17 des Supreme Court Rules de la Colombie-Britannique, ainsi que des décisions rendues dans les affaires Farmer Construction Ltd. c. R. (1983), 48 N.R. 315 (C.A.F.) et Bande indienne de Weywakum c. Canada et Bande indienne de Wewayakai (1995), 99 F.T.R. 1 (1re inst.), confirmé sauf à l’égard des dépens (1999), 247 N.R. 350 (C.A.F.), confirmé par [2002] 4 R.C.S. 245, ainsi qu’après avoir entendu les observations connexes, M. Sewell a été interrogé à titre de représentant d’une partie adverse, c’est-à-dire la défenderesse, sans préjudice aux droits de cette dernière de le citer comme témoin pour son compte.

 

[42]           M. Sewell a fourni des renseignements contextuels généraux sur les activités du bureau régional de Whitehorse, ainsi que des preuves sur les méthodes employées dans la fonction publique quant au fait de participer à la rédaction des réponses du Ministre aux lettres et aux demandes de renseignements reçues à propos de questions survenant dans la région, c’est-à-dire au Yukon.

 

[43]           M. Sewell était, dans la région, le fonctionnaire qui avait le niveau le plus élevé. Il était chargé de la gestion générale du bureau régional, lequel comptait à l’époque environ 400 personnes, dont certaines travaillaient à titre saisonnier.

 

[44]           Le MAINC est chargé de la gestion des ressources naturelles au Yukon. Selon M. Sewell, les responsabilités du bureau régional comprenaient la réglementation des ressources hydriques, minérales et forestières.

 

[45]           De plus, le bureau régional était mandaté pour travailler avec les Premières nations. Il a déclaré que le bureau faisait affaire avec dix-sept Premières nations, soit quatorze au Yukon et trois en Colombie-Britannique.

 

[46]           M. Sewell a déclaré qu’en plus de la réglementation des ressources naturelles et de la responsabilité des Premières nations, le Ministère était chargé du développement économique dans la région.

 

[47]           M. Sewell a présenté un organigramme illustrant la « chaîne de commandement » du bureau régional. Ce document, qui a été déposé avec le consentement des parties en tant que pièce P‑1, montre que le DGR relevait du sous-ministre (SM) du Ministère. Il montre aussi que le directeur des Ressources renouvelables relève du DGR. Durant la période qui intéresse la présente action, Mme Jennifer Guscott a exercé les fonctions de directrice des Ressources renouvelables, dont les forêts, et, plus tard, celles de directrice générale régionale associée (DGRA) par intérim.

 

[48]           M. Sewell a déclaré que, dans l’organigramme du bureau régional du Yukon, le poste de DGRA figure [traduction] « dans la même case » que celui du DGR. Il a expliqué qu’à titre de DGR, il s’occupait de toutes les questions relatives aux Premières nations et que la DGRA était chargée du développement économique, dont les forêts. Cela signifie qu’au cours de la période en cause, Mme Guscott a occupé les deux postes du niveau le plus élevé de la fonction publique en rapport avec les forêts.

 

[49]           M. Sewell a déclaré que c’est à l’époque où il occupait le poste de sous-ministre adjoint (SMA) du Développement économique, auprès du GTY, qu’il a appris l’existence de LPL.

 

[50]           M. Sewell a déclaré tout d’abord qu’il a appris l’existence de SYFC en lisant un article de journal, à la fin de 1998, où l’on disait que cette société était en voie d’ouvrir une scierie à Watson Lake. Il croyait que cette scierie était déjà exploitée à l’époque, et aussi que c’était plus tard dans l’année 1998. Il a déclaré ultérieurement que son souvenir était plus précis et qu’il avait participé à des échanges par courriel, relativement à SYFC, en août 1998, avant l’ouverture de la scierie.

 

[51]           M. Sewell a également témoigné au sujet des mesures prises par le MAINC, ainsi que de la connaissance du Ministère, pendant toute la période visée par le présent litige.

 

[52]           M. Leonard Bourgh a été le deuxième témoin cité pour le compte des demanderesses. Ce dernier avait travaillé toute sa vie dans le milieu des scieries, depuis l’époque où il était jeune garçon, pendant la Seconde Guerre mondiale. Avec son frère, il avait établi une scierie en Colombie-Britannique, d’abord à Greenwood et ensuite dans la région de Cariboo, au sud de Quesnel. Il avait passé toute sa vie professionnelle en Colombie-Britannique jusqu’à ce qu’il déménage à Watson Lake (Yukon), en 1995.

 

[53]           Il avait visité la région auparavant et avait conclu qu’il y avait là un bon approvisionnement en bois. Il avait ensuite quitté la Colombie-Britannique pour Watson Lake dans l’intention de [traduction] « essayer de bâtir une scierie ». C’est à cette fin que M. Bourgh a constitué LPL en société, sous le régime des lois du Yukon, en 1996.

 

[54]           M. Bourgh a injecté la somme de 220 000 $ - toutes ses économies – dans le capital de LPL.

 

[55]           M. Bourgh a témoigné au sujet des plans et des efforts initiaux de LPL pour lancer des activités de sciage au Yukon. Ces efforts comprenaient l’établissement de plans d’affaires, la tenue de réunions avec le MAINC ainsi qu’avec le Ministre, qui, à l’époque, était l’honorable Ron Irwin, à Dawson City (Yukon).

 

[56]           M. Bourgh a quitté son poste de président de LPL en avril 1997.

 

[57]           M. William (Bill) Gurney a ensuite témoigné pour le compte des demanderesses. Ce dernier avait travaillé pendant vingt ans, directement et indirectement, dans l’industrie forestière. Il avait travaillé comme entrepreneur en exploitation forestière, comme propriétaire d’une scierie, comme enseignant en foresterie au niveau secondaire ainsi qu’au niveau collégial, et comme consultant en exploitation forestière. Il avait travaillé dans le nord de la Colombie‑Britannique, au Yukon et dans le nord-ouest de l’Alberta.

 

[58]           M. Gurney a déménagé à Watson Lake vers 1995. Il voulait lancer une entreprise de consultation en exploitation forestière. Sur le plan personnel, il avait de la famille à cet endroit : sa fille aînée, qui vivait avec son époux, M. Brian Kerr, et leurs trois enfants, dans la ville de Watson Lake.

 

[59]           M. Gurney n’est pas actionnaire de LPL ou de SYFC. Il a travaillé pour LPL comme consultant en 1996 et il a quitté le Yukon au printemps de 1997.

 

[60]           En plus de travailler pour LPL, M. Gurney a fourni des services de consultation au GTY, dans le cadre de l’aménagement d’un chemin forestier principal au sud de Watson Lake. Il a également travaillé pour la Première nation de Liard (PNL), en 1996, qu’il a aidée à négocier un CRB d’un volume de 75 000 m3. Ce CRB était un [traduction] « CRB de formation », destiné à permettre à PNL de renforcer ses capacités dans le domaine de l’industrie forestière.

 

[61]           M. Gurney a déclaré qu’il a fallu environ six mois en tout pour négocier ce CRB. Pour exécuter cette tâche, il a travaillé avec des employés du MAINC à Whitehorse, dont M. Jeff Monty, son adjoint, M. Bill Gladstone, ainsi que M. Michael Ivanski, qui était à l’époque le DGR, c’est-à-dire le fonctionnaire du MAINC qui avait le niveau le plus élevé au Yukon.

 

[62]           M. Gurney a travaillé comme consultant sous le nom de « Heartwood Consulting ». À titre de consultant auprès de LPL, il a rédigé un certain nombre de documents, dont des propositions de marché, pour le compte de cette société. Cette tâche comprenait un examen documentaire des politiques et des pratiques en matière d’exploitation forestière, ainsi que de la disponibilité de bois au Yukon à l’époque.

 

[63]           Le prochain à témoigner a été M. Edward (Ted) Staffen. Ce dernier est membre de l’Assemblée législative et député de la circonscription de Riverdale North (Yukon) et, à l’époque où il a témoigné pour le compte des demanderesses, il était le président de cette Assemblée.

 

[64]           M. Staffen a passé près de 40 ans au Yukon, durant lesquels il a travaillé au sein d’un certain nombre d’entreprises, y compris comme consultant auprès de M. Ron Gartshore, conseillant diverses Premières nations et entreprises au Yukon.

 

[65]           M. Staffen a témoigné au sujet des services de consultation qu’il avait fournis pour LPL. Ces derniers avaient consisté, notamment, à prendre part aux activités initiales de financement, à participer à des réunions avec le ministre Irwin ainsi qu’à prendre part aux activités de recherche et d’acquisition de l’équipement initial de la scierie.

 

[66]           M. Ron Gartshore a ensuite témoigné pour le compte des demanderesses. Il s’agit d’un consultant qui s’est installé au Yukon en 1988. Il a principalement vécu et travaillé dans ce territoire depuis ce temps. Il a occupé divers postes et fourni des services de consultation pour des Premières nations ainsi que pour le GTY. Il a été présenté à M. Bourgh par M. Brian Kerr, en 1996. M. Bourgh a parlé à M. Gartshore de son plan d’installer une scierie dans la région de Watson Lake.

 

[67]           M. Gartshore a participé, en compagnie de M. Bourgh et d’autres en 1996 et 1997, à l’établissement de plans d’affaires, à la rédaction de lettres, à la planification de réunions avec le ministre Irwin et des représentants du ministère à Dawson City et à Whitehorse; il a également pris part à ces réunions. Il a participé à la réunion de capitaux pour le projet et a été lui-même actionnaire.

 

[68]           M. Gartshore a travaillé avec M. Bourgh et d’autres promoteurs du projet de scierie entre l’année 1996 et une date indéterminée en 1998. Il a été malade pendant plusieurs mois en 1997 et a été incapable de travailler. Il a cessé de travailler pour LPL vers 1998.

 

[69]           M. Gartshore a participé activement à la préparation des propositions d’affaires en 1996 et en 1997. Les plans d’affaires ont changé à la longue à la suite d’études de faisabilité. L’établissement de plans d’affaires a été un processus évolutif, qui visait à mieux refléter un modèle plus adapté au Yukon.

 

[70]           M. Gartshore a participé aux activités de réunion de fonds pour le projet. Il a déclaré que les cinquante premiers investisseurs étaient principalement de petites entreprises et des particuliers du Yukon, dont un grand nombre de la région de Watson Lake.

 

[71]           M. Gartshore a participé activement à la planification qui a précédé le lancement de la scierie. Avant l’ouverture de cette dernière, il a travaillé à partir d’un bureau annexé à son domicile, à Whitehorse. Il a eu des réunions avec des fournisseurs de bois en Floride et des sources financières à Calgary. Il a travaillé pendant six mois à partir de Kelowna avant de cesser d’entretenir des rapports quotidiens avec la société.

 

[72]           M. Brian Kerr a été le témoin suivant des demanderesses. Il a participé tôt au projet de Watson Lake. Cet ancien membre des Forces canadiennes avait suivi après sa libération une formation d’électricien. Il a travaillé à Bruns Lake et à Smithers (Colombie-Britannique) avant de déménager à Watson Lake en 1994. Il a ouvert une entreprise comme entrepreneur en électricité.

 

[73]           M. Kerr a entendu parler pour la première fois du projet de scierie de Watson Lake par son beau-père, M. Gurney. À l’invitation de ce dernier, il a assisté à une réunion avec M. Bourgh, qui s’est dit intéressé à retenir les services de M. Kerr pour s’occuper des travaux d’électricité relatifs à la scierie.

 

[74]           M. Kerr a investi dans le projet et a été l’un des premiers actionnaires. Il a présenté M. Bourgh à son frère, M. Alan Kerr, qui avait des [traduction] « contacts financiers importants ». M. Kerr a également organisé la réunion entre MM. Bourgh et Gartshore.

 

[75]           M. Kerr a commencé à travailler avec M. Bourgh à l’automne de 1996. Pendant que ce dernier dirigeait les efforts faits pour réunir des fonds pour le projet, M. Kerr faisait des recherches sur l’équipement.

 

[76]           M. Kerr a été présenté au B.I.D. Construction Ltd. Group (le Groupe B.I.D.), à Vanderhoof (Colombie-Britannique), à la fin de 1996 ou au début de 1997.

 

[77]           M. Kerr a assisté à une réunion, plus tard baptisée la réunion de [traduction] « diligence raisonnable » le 15 juillet 1997 à Whitehorse. M. Kerr y a assisté à titre de représentant de LPL, en compagnie de son frère, M. Alan Kerr, ainsi que de représentants du Groupe B.I.D. et du Ministère. M. Kerr a déclaré que le Ministère avait annoncé qu’il fournirait du bois si l’on construisait une scierie. Il a dit que c’était à la suite directe de cette annonce que le projet était allé de l’avant et que la scierie avait été construite à Watson Lake par LPL et SYFC, agissant à titre de coentreprise.

 

[78]           M. Kerr s’occupait de près des activités de la scierie quand celle-ci a ouvert en octobre 1998. Cette dernière a suspendu ses activités en décembre 1998, à cause d’un manque de bois. Elle a ouvert de nouveau le 30 avril 1999 et a été active jusqu’au 4 août 2000, date à laquelle elle a fermé pour de bon, là encore à cause d’un manque de bois, selon M. Kerr.

 

[79]           M. Kerr a témoigné au sujet des faits qui ont précédé et entouré la conception, la construction, l’exploitation et la fermeture ultime de la scierie des demanderesses à Watson Lake (Yukon). En outre, des preuves ont été fournies au sujet de lettres et de réunions avec le MAINC et les autres participants de la coentreprise.

 

[80]           M. Paul Heit a ensuite été cité à témoigner pour le compte des demanderesses. Ce dernier, technologue en ressources forestières de formation, a travaillé pendant de nombreuses années dans l’industrie forestière. Il est d’abord entré au service de Vanderhoof Specialty Wood Products en 1991, à titre de gestionnaire des terres boisées. En 1998, il est devenu le directeur général de cette entreprise et, à la même époque environ, il a assumé la responsabilité de gestionnaire des terres boisées pour SYFC, en rapport avec la scierie de Watson Lake.

 

[81]           En bref, à titre de gestionnaire des terres boisées, M. Heit était chargé d’approvisionner la scierie en bois. À cet égard, il a pris connaissance du système d’attribution du bois appliqué au Yukon, et il l’a fait avant la construction de la scierie. Il est entré en contact avec les employés du Ministère et a posé des questions sur le processus de demande de bois. Il a appris qu’il existait deux méthodes d’attribution : les permis de coupe commerciale (PCC) et les CRB. Par la suite, M. Heit s’est entretenu avec des entrepreneurs forestiers au sujet de l’attribution du bois dans le cadre du processus relatif aux PCC.

 

[82]           M. Heit, à titre de gestionnaire des terres boisées auprès de SYFC, était chargé de veiller à ce que la scierie soit approvisionnée en bois. Il a supervisé l’exécution de contrats d’achat de bois au cours des périodes durant lesquelles la scierie a été exploitée. Ces accords étaient liés à l’achat de bois coupé dans le cadre du processus relatif aux PCC, et la disponibilité du bois dépendait du traitement opportun, par le Ministère, des demandes de permis.

 

[83]           M. Heit a témoigné au sujet de la nécessité d’assurer un approvisionnement en bois à long terme, et plus précisément du fait d’atténuer les pressions administratives exercées sur le Ministère et de permettre à SYFC de planifier les diverses questions associées à la délivrance de PCC. La possibilité de faire de la planification, en sachant que l’approvisionnement en bois était sûr, donnerait plus de souplesse sur le plan de la planification économique et des marchés.

 

[84]           M. Heit a déclaré que SYFC avait clairement indiqué au début qu’elle allait avoir besoin de 200 000 m3 à 215 000 m3 de bois par année, pour lui permettre d’être active 250 jours par année. SYFC n’avait pas prévu qu’elle aurait à faire face au problème d’un approvisionnement en bois de courte durée, que représentaient les PCC. À son avis, SYFC a été confrontée à deux difficultés à mesure que le temps a avancé, soit l’approvisionnement en bois de courte durée et l’approvisionnement en bois de longue durée.

 

[85]           M. Heit a parlé des pratiques forestières, des problèmes à obtenir un approvisionnement en bois suffisant, des lacunes et des difficultés du système d’approvisionnement en bois ainsi que des efforts faits par SYFC pour obtenir un CRB. Lors de son témoignage, il a décrit notamment des réunions tenues avec le MAINC.

 

[86]           M. Keith Spencer a ensuite été appelé à témoigner pour le compte des demanderesses. Ce dernier travaille dans l’industrie forestière depuis 1970 et connaît bien l’équipement utilisé dans cette industrie, surtout dans les scieries. Il a travaillé pour West Fraser Mills à Quesnel (Colombie-Britannique) comme superviseur de l’entretien, avant de déménager à Vanderhoof (Colombie-Britannique) en 1982, où il a fini par devenir directeur général des opérations, y compris l’approvisionnement, auprès de B.C. Timber.

 

[87]           Après 1991, M. Spencer a eu des rapports avec le Groupe B.I.D., à Vanderhoof. Cette entreprise s’occupe de bâtir des scieries à l’aide de matériaux neufs et remis en état. Cette entreprise exploitait également des installations de fabrication à Vanderhoof.

 

[88]           En 1997, M. Spencer a pris connaissance de la possibilité de prendre part à un projet d’établissement d’une scierie à Watson Lake pour la transformation de billes de petite taille. Une réunion a eu lieu à Vanderhoof avec le groupe LPL; il s’est souvenu que MM. Brian et Alan Kerr, ainsi que Don Oulton, y étaient présents. M. Spencer s’est rendu à Watson Lake au début de 1997 pour jeter un coup d’œil aux terres.

 

[89]           De plus, au cours de l’été de 1997, M. Spencer s’est rendu à Whitehorse avec M. David Fehr. La réunion avait pour but de s’entretenir avec des représentants du Ministère sur l’approvisionnement en bois. M. Fehr est lui aussi associé au Groupe B.I.D. M. Spencer ne s’est pas souvenu des représentants du Ministère qui étaient présents, mais il a déclaré que MM. Brian Kerr et Alan Kerr étaient là, pour le compte de LPL.

 

[90]           M. Spencer a déclaré qu’à ce moment-là il avait déjà vérifié si la scierie serait un investissement valable. Il a ajouté qu’un approvisionnement en bois et le prix de ce dernier étaient les deux indices de référence dont il fallait tenir compte. Le Groupe B.I.D. s’intéressait au projet de scierie, mais l’objet de cette réunion était les préoccupations relatives à la garantie de fibre. M. Spencer a déclaré que c’est à la suite de cette réunion que M. Fehr a décidé de prendre part au projet.

 

[91]           Une fois qu’il a été décidé de se lancer dans le projet, M. Spencer s’est occupé, à partir de Vanderhoof, de la conception et de la fabrication de la scierie. Les travaux de fabrication ont débuté en septembre 1997. Une bonne part de la scierie a été fabriquée à Vanderhoof, à partir de matériel remis à neuf. La scierie a été transportée par camion jusqu’à Watson Lake et installée.

 

[92]           M. Spencer a participé également au processus de formation des employés de la scierie et il a travaillé sur place, à Watson Lake, pendant plusieurs mois à compter de la fin septembre et du début octobre de 1998. Il a assumé les principales fonctions de gestion à Watson Lake jusqu’en décembre 1998, date à laquelle M. Brian Kerr a pris en charge le travail de gestion.

 

[93]           M. Spencer a déclaré que le plan d’affaires de SYFC était axé sur les ventes au marché japonais, qui offrait un prix élevé pour les produits à petits nœuds et à fil serré qu’il était possible de tirer du bois présent dans la région de Watson Lake. Il a parlé du profil du bois de cette région.

 

[94]           M. Spencer a également parlé des avantages de la présence de la scierie à Watson Lake, par rapport au marché de l’Alaska. Watson Lake est située sur la route de l’Alaska. Le fait que la scierie soit proche de cette route allait faciliter la livraison du produit fini au marché de l’Alaska. La mise en œuvre de la phase 2 aurait donné un produit fini qui conviendrait à des travaux de construction en Alaska, mais sans le long transport, et les coûts connexes, depuis le sud.

 

[95]           M. Spencer a participé à l’établissement du plan d’affaires concernant la phase 2 de la scierie.

 

[96]           La phase 2 du projet de scierie comprenait un séchoir à bois et une raboteuse, de même qu’une installation de cogénération, c’est-à-dire une installation de brûlage des déchets de bois destinée à créer une source de chaleur pour le séchoir à bois et le bâtiment, ainsi qu’à produire de la vapeur qui actionnerait une turbine productrice d’électricité. La production d’électricité par une installation de cogénération réduirait les frais d’exploitation de l’installation et procurerait une source de revenus grâce à la vente de l’électricité excédentaire à la compagnie d’électricité locale.

 

[97]           M. Spencer a également parlé des pratiques standards de l’industrie forestière, des travaux de scierie de SYFC, du caractère inadéquat du système d’approvisionnement en bois ainsi que des efforts de SYFC pour obtenir un CRB. Il a également décrit une série de réunions tenues avec le MAINC et les autres participants de la coentreprise.

 

[98]           M. Spencer s’est décrit franchement comme un entrepreneur et comme une personne qui est disposée à prendre des risques. En contre-interrogatoire, il a décrit un [traduction] « risque calculé » comme un risque qui a plus de chances de réussir que d’échouer. À son avis, le plan d’affaires établi pour la scierie était crédible. Il se sentait à l’aise avec la conception de la scierie, sa machinerie et son équipement quand celle-ci a commencé à fonctionner.

 

[99]           M. David Fehr est le témoin suivant qui a été appelé pour le compte des demanderesses. Il est un des dirigeants du Groupe B.I.D. Il a rencontré M. Brian Kerr à Vanderhoof et a parlé de l’utilisation de l’équipement remis à neuf pour la construction de la scierie à Watson Lake.

 

[100]       Au début de 1997, M. Fehr a rencontré LPL à Vanderhoof; MM. Brian et Alan Kerr ainsi que Dan Oulton étaient présents. M. Fehr a également pris l’avion pour Watson Lake en vue d’examiner l’exploitation de LPL.

 

[101]       M. Fehr avait une vaste expérience de l’industrie forestière, et cela inclut la construction d’installations de sciage. Il aurait pris part au choix de l’équipement à utiliser pour cette scierie, et cet équipement aurait été choisi en fonction de la quantité de fibre disponible. Le mot « fibre » est synonyme de bois d’œuvre et de bois. Il a déclaré que la quantité de bois requise était de 200 000 m3 par année. M. Fehr a ajouté que MM. Heit et Brian Kerr se seraient occupés des détails du projet, mais que c’est lui qui aurait pris la décision d’y participer.

 

[102]       Il a assisté à la réunion tenue en juillet 1997 à Whitehorse avec des représentants de LPL et du Ministère. Il voulait savoir ce qu’il en était de la sécurité de l’approvisionnement à la scierie. Il était au courant que, à cette époque, le gouvernement fédéral contrôlait les ressources forestières au Yukon. Il a déclaré qu’ils - les investisseurs proposés - s’inquiétaient de la sécurité de l’approvisionnement si un investissement avait bel et bien lieu.

 

[103]       M. Fehr a déclaré qu’à cette réunion, une annonce a été faite par les représentants du Ministère : si on bâtissait une scierie, le MAINC veillerait ensuite à ce qu’il y ait un approvisionnement en bois. C’est à la suite de cette annonce, a-t-il déclaré, qu’il a été décidé de construire la scierie.

 

[104]       M. Fehr a témoigné au sujet de la constitution en société de SYFC. Il a déclaré qu’il voulait que ce soit une nouvelle société qui exploite la scierie parce qu’il préférait [traduction] « partir à neuf » avec la coentreprise que cette société allait créer avec LPL. Il avait indiqué plus tôt, dans une lettre datée du 13 juillet 1997 à LPL, qu’il pensait que LPL avait [traduction] « un trop lourd bagage » pour être la société exploitante.

 

[105]       M. Fehr a été interrogé sur le processus décisionnel entourant la coentreprise. Il a déclaré que les décisions relatives au projet auraient été placées sous le contrôle du Groupe B.I.D., pour le démarrage de la scierie. M. Fehr a également déclaré que M. Keith Spencer l’aurait informé régulièrement de la situation des profits et des pertes en rapport avec la scierie. En outre, dans sa lettre du 13 juillet à LPL, M. Fehr a déclaré que le Groupe B.I.D. exercerait le contrôle de gestion des activités de la scierie dans le cadre d’une convention de gestion.

 

[106]       M. Fehr a déclaré que la scierie n’a pas fonctionné suffisamment longtemps pour devenir rentable. Il a également ajouté qu’il existait une [traduction] « courbe d’apprentissage » pour le projet, que même s’il n’était pas prévu de faire de l’argent le premier jour, il prévoyait que le projet générerait des revenus. Il est un homme d’affaires et s’il se lance dans une entreprise c’est pour en tirer un bénéfice.

 

[107]       M. Alan Kerr a été le témoin suivant des demanderesses. Ce dernier est un ancien joueur de la Ligue nationale de hockey, et la dernière équipe pour laquelle il a joué est les Jets de Winnipeg; il a terminé sa carrière de hockeyeur professionnel, et il est aujourd’hui vice-président des activités de hockey au sein de la société Okanagan Hockey Schools Ltd., dont le siège est situé à Penticton (Colombie-Britannique). Il est également le frère de M. Brian Kerr. Il a grandi à Smithers (Colombie-Britannique), où son père travaillait dans l’industrie forestière.

 

[108]       C’est par son frère Brian  que M. Alan Kerr a pris connaissance du projet de construire la scierie à Watson Lake. D’après ce qu’il a compris, il était question d’une petite installation de fabrication de billes de bois. M. Brian Kerr, en compagnie de MM. Gartshore et Bourgh, ont rendu visite à M. Alan Kerr, à Kelowna, pour lui expliquer le projet. À la suite de cette réunion, M. Alain Kerr a investi la somme de 50 000 $ dans le projet et est devenu actionnaire. Cette réunion a eu lieu après celle qui a été tenue à Dawson City, en mai 1996, entre MM. Gartshore et Bourgh avec le ministre Irwin, ainsi qu’avec M. Jim Doughty, chef de cabinet du ministre Irwin.

 

[109]       M. Alan Kerr est devenu administrateur de LPL en 1996. En 1997, il a accédé à la présidence de cette société, à la suite de la retraite de M. Bourgh. M. Alan Kerr a présidé la société pendant quatre ans, c’est-à-dire lors du démarrage, de l’exploitation et de la fermeture définitive de la scierie. Durant cette période, il a participé à diverses réunions avec d’autres actionnaires ainsi qu’avec des représentants du Ministère.

 

[110]       M. Alan Kerr a parlé de certaines décisions que SYFC a prises. Ces décisions avaient trait à la location, à l’achat et à la location à bail d’équipement, à ses efforts pour recouvrer des créances, à ses dépenses à l’égard d’honoraires professionnels, y compris celles qui étaient associées à l’entrée de Kaska Forest Resources Ltd. (KFR) dans la coentreprise ainsi qu’à des dépenses de nature communautaire, dont un pique-nique pour les employés de la scierie. Il a déclaré qu’à son avis, toutes les dépenses avaient été faites de manière avisée.

 

[111]       M. Kerr a témoigné au sujet de la réunion de « diligence raisonnable » du 15 juillet 1997, de l’argumentation, dit-il, faite par la défenderesse sur laquelle la construction de la scierie était fondée.

 

[112]       M. Alan Kerr a également déclaré que SYFC a perdu de l’argent à cause de la fermeture de la scierie. Les activités se seraient poursuivies s’il y avait eu du bois disponible, et la scierie aurait pris de l’expansion à la suite de la construction de la phase 2.

 

[113]       M. Alan Kerr a également témoigné au sujet des activités de SYFC et de LPL, ainsi que des efforts qu’elles ont faits pour obtenir un approvisionnement en bois, sûr, suffisant et de longue durée. Son témoignage a porté, notamment, sur des réunions tenues avec le MAINC, tant à Whitehorse qu’à Ottawa, ainsi que sur des réunions entre les participants à la coentreprise.

 

[114]       Le dernier témoin à être cité pour le compte des demanderesses a été M. Gerard Van Leeuwen, un expert dont les demanderesses avaient retenu les services en vue d’examiner la question des dommages-intérêts. M. Van Leeuwen est un consultant dans l’industrie de la fabrication de produits de bois, et il a plus de 25 années d’expérience des opérations dans l’industrie forestière, en Colombie-Britannique. Il est aujourd’hui associé à l’International Wood Markets Group (groupe IWMG), dont le siège se trouve à Vancouver (Colombie-Britannique), et ce, à titre de vice-président, poste qu’il occupe depuis 1998.

 

[115]       M. Van Leeuwen a témoigné au sujet de ses compétences à titre de témoin-expert. Il a déclaré avoir obtenu un baccalauréat en commerce de l’Université de la Colombie-Britannique en 1972, et il s’est spécialisé en marketing et en finance.

 

[116]       Dès après avoir décroché son diplôme, il est entré au service de Sauder, une société spécialisée dans les produits du bois. Le travail qu’il a accompli pour cette entreprise concernait la vente, la mise en marché et la distribution de produits du bois. Au cours des dix années suivantes, il a gravi les échelons de cette entreprise en occupant divers postes de gestion, de formation et de perfectionnement. Il y a occupé des postes comme directeur de scierie, directeur de la production et directeur général du groupe de sciage de l’entreprise. Ce groupe comptait quatre scieries, qui produisaient cinq cent millions de pieds-planche (PP) de bois de construction par année.

 

[117]       Ce poste de direction comprenait la responsabilité de tous les aspects des activités de ces scieries : fonctionnement quotidien, dépenses en immobilisations, améliorations apportées aux scieries, embauche, formation et relations de travail.

 

[118]       De plus, il était chargé de la mise en marché et de la vente des produits du groupe de scieries. Les marchés comprenaient le Canada, les États-Unis, l’Europe, le Japon, l’Australie, la Chine, Taïwan et le Moyen-Orient.

 

[119]       M. Van Leeuwen a déclaré qu’en 1997 il a quitté Interfor, la société qui avait succédé à Sauder, et qu’il est devenu consultant auprès de R.E. Taylor & Associates Ltd. Cette société est plus tard devenue IWMG.

 

[120]       Selon M. Van Leeuwen, IWMG, tout comme la société qui l’a précédée, R.E. Taylor & Associates Ltd., est une société de consultation qui se spécialise dans le développement, la mise en marché et la planification d’activités relatives aux produits du bois. Il a déclaré qu’IWMG a fourni des services de consultation au sujet de l’évaluation de plans d’affaires, de situations financières et d’aperçus de marchés de sociétés forestières lors d’acquisitions de scieries, et qu’elle a fourni ses services à des institutions financières.

 

[121]       M. Van Leeuwen se spécialise dans la vérification des activités de fabrication de scieries et d’usines de fabrication de produits du bois, dans les examens du rendement de scieries, dans l’élaboration de plans d’affaires et d’études de marché pour des scieries existantes, ainsi que dans la création de nouvelles scieries.

 

[122]       La Cour a été renvoyée à sept publications d’IWMG. M. Van Leeuwen a déclaré qu’il avait pris part à la création de la quasi-totalité de ces publications, et qu’il y avait contribué. La pièce P‑14 comporte une liste de ces publications ainsi qu’un résumé de ses études et de son expérience professionnelle.

 

[123]       Les demanderesses ont soutenu que M. Van Leeuwen possédait les compétences requises pour fournir un [traduction] « témoignage d’expert sur l’analyse projetée des finances, des activités et de la mise en marché des produits de scieries, y compris les installations de cogénération et, en particulier, la scierie que possédaient et exploitaient les demanderesses ». Cette qualification était fondée sur ses longs antécédents de travail dans les domaines applicables; voir les pages 1950-1951 des notes sténographiques.

 

[124]       La défenderesse a déclaré qu’elle ne contestait pas les titres de compétence de M. Van Leeuwen en tant qu’expert.

 

[125]       En 2001, KRF a retenu les services de M. Van Leeuwen, à l’époque où la société qui l’employait s’appelait R.E. Taylor & Associates Ltd., en vue de procéder à une vérification de la scierie des demanderesses. Cette vérification était intitulée : « South Yukon Forest Products – Mill Audit & Evaluation of Product & Market Options » (la Vérification de la scierie). La Vérification de la scierie a été déposée en tant que pièce D‑16. Les services de M. Van Leeuwen ont par la suite été retenus pour rédiger un rapport d’expert sur les dommages-intérêts réclamés par les demanderesses à la suite de la fermeture de la scierie.

 

[126]       En contre-interrogatoire, M. Van Leeuwen a expliqué ce qu’il a voulu dire dans la Vérification de la scierie par les mots [traduction] « vieille, inefficace et peu rentable ». Il a aussi expliqué ce qu’il voulait dire par les mots [traduction] « moitié de la scierie ». Il a fait la distinction entre une [traduction] « scierie » et une [traduction] « installation de bois de sciage », et il a ajouté que [traduction] « la scierie n’est que la partie de l’installation de bois de sciage qui transforme les billes en bois vert brut »; voir l’extrait qui suit, tiré des pages 1970 et 1971 des notes sténographiques :

[traduction
Q. Et, dans votre autre rapport, vous dites qu’elle est « vieille, inefficace et peu rentable ».

R. Parce qu’il ne s’agissait que de la moitié de l’installation. Je crois que j’examinais – dans cette expression – vous devez comprendre qu’il existe un terme pour une scierie et un terme pour une installation. Vous savez, elles ne sont pas la même chose. Elles ne veulent pas dire la même chose. L’installation de bois de sciage désigne l’installation tout entière, avec la scierie, les séchoirs, la raboteuse, la transformation des billes. Une scierie n’est que la partie de l’installation qui transforme les billes en bois vert brut.

 

[127]       M. Van Leeuwen est le seul témoin-expert qui a témoigné au sujet de la question des dommages-intérêts. Son rapport d’expert sur les dommages-intérêts a été déposé en tant que pièce P‑15. Conformément à l’article 279 et au paragraphe 280(2) des Règles, son rapport a été considéré comme étant consigné au dossier. La défenderesse a donné son consentement à cet égard.

 

C. Les témoins de la défenderesse

[128]       M. Ron Irwin, ancien ministre du MAINC, a été le premier à témoigner pour la défenderesse. M. Irwin est originaire de Sault Ste. Marie (Ontario). Avocat de formation, il a été élu pour la première fois au Parlement en 1980 et a été nommé ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien en 1993, ainsi que membre du Conseil du Trésor. Il a siégé comme ministre du Cabinet jusqu’au printemps de 1997 et, au cours de cette nomination, il y a eu des contacts avec des représentants de LPL au sujet du projet de construction d’une scierie à Watson Lake en 1996.

 

[129]       M. Irwin a parlé du mandat du MAINC au Yukon, et, notamment, du développement économique, de sa connaissance de l’industrie forestière au Yukon, de ses pratiques en matière de communication en tant que ministre, ainsi que des rôles que jouent le ministre et son adjoint.

 

[130]       De plus, M. Irwin a parlé, notamment, de la réunion tenue à Dawson City ainsi que des lettres que lui-même, ainsi que son Ministère, ont échangées avec LPL.

 

[131]       Le deuxième témoin cité par la défenderesse a été M. James Doughty. Ce dernier, comme M. Irwin, est originaire de Sault Ste. Marie (Ontario). Il a été nommé adjoint spécial de M. Irwin en 1994 et il a déclaré avoir été embauché pour contribuer aux activités de développement économique au sein du portefeuille de mise en valeur du Nord au MAINC. Son travail avait principalement trait aux groupes autochtones et consistait à recevoir des propositions et à veiller à ce que la [traduction] « paperasse » soit orientée vers la bonne personne, qu’il s’agisse d’un SMA ou d’un DGR.

 

[132]       M. Doughty a déclaré ne pas se souvenir de s’être occupé des dossiers d’exploitation forestière du Ministère.

 

[133]       Il accompagnait aussi M. Irwin dans certains de ses déplacements et, dans ces circonstances, sa fonction principale consistait à veiller à ce que l’on [traduction] « prenne soin » du ministre.

 

[134]       M. Doughty a déclaré qu’il n’était pas habilité à faire des promesses aux personnes cherchant à obtenir un engagement du gouvernement. Il s’est qualifié de [traduction] « boîte aux lettres » pour le ministre, ce qui voulait dire qu’il recevait les propositions et d’autres documents du genre.

 

[135]       M. Doughty a indiqué que le mandat du Ministère avait trait à la mise en valeur du Nord, ce qui inclut les activités de développement économique, au-delà du 60e parallèle; le volet « affaires autochtones » du Ministère concernait l’ensemble du Canada. Il ne connaissait pas très bien la nature du secteur industriel ou du développement industriel au Yukon. Il a ajouté qu’en raison de ses responsabilités, il aurait peut-être dû en prendre connaissance mais qu’il ne l’avait pas fait dans les deux années qui avaient suivi la période où il avait assumé ses responsabilités et pris part à la réunion avec LPL.

 

[136]       M. Doughty a rencontré MM. Gartshore et Bourgh au Gold Show à Dawson City, en mai 1996. Il a parlé de cette réunion, de sa connaissance des questions forestières, des pratiques du cabinet du ministre en matière de communications, ainsi que de ses propres rôles, fonctions et responsabilités au sein du MAINC.

 

[137]       Quand M. Irwin a cessé d’être ministre en 1997, M. Doughty a quitté le MAINC.

 

[138]       M. David Sherstone a été le témoin suivant de la défenderesse. M. Sherstone détient une maîtrise ès arts en géographie physique. Il a travaillé de 1993 à 2003 pour le Ministère, à Whitehorse plus précisément, à titre de gestionnaire régional des ressources hydriques. Il avait pour mandat d’assurer l’application de certaines lois fédérales, dont la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (LCEE), qui oblige à soumettre à une évaluation environnementale les nouveaux projets dans le cadre desquels on fait usage de l’eau.

 

[139]       C’est à l’époque où il était directeur par intérim des Ressources renouvelables, en remplacement de M. Bruce Chambers, qui occupait le poste de directeur à temps plein, que M. Sherstone a eu affaire au dossier de l’exploitation forestière. Cela a eu lieu, de façon intermittente, au cours des années 1995 à 1997. Lors d’une année financière particulière, M. Sherstone a occupé ce poste pendant une période d’environ cinq mois et demi. À cette époque, il était chargé de la direction générale des programmes relatifs aux eaux, aux terres et aux forêts.

 

[140]       M. Sherstone a parlé du blocus de l’immeuble fédéral situé à Whitehorse, vers la fin d’octobre 1996. Ce blocus était une manifestation contre un certain nombre de problèmes forestiers et de politiques en vigueur, dont l’attribution des ressources forestières dans le sud-est du Yukon. M. Sherstone a déclaré que le ministre – il s’agissait de M. Irwin à l’époque – avait ordonné que l’on passe le programme en revue dans le but d’introduire une nouvelle politique ou un nouveau régime réglementaire visant à régler ce problème.

 

[141]       M. Sherstone a eu peu de contacts avec LPL, et aucun avec SYFC. La seule communication qu’il a eue avec LPL, a-t-il dit, a eu lieu lors d’une réunion tenue le 4 novembre 1996. Il a témoigné au sujet des souvenirs qu’il avait de cette réunion.

 

[142]       Il a reconnu que le Ministère avait pour mandat d’encourager les initiatives de nature économique dans le territoire du Yukon. Il savait que ce mandat est énoncé dans la Loi. Il savait qu’au Yukon, et surtout dans la région de Watson Lake, le taux de chômage était fort élevé.

 

[143]       M. Sherstone a parlé de discussions internes au MAINC sur la proposition de LPL, ainsi que de ses responsabilités à titre de directeur par intérim des Ressources renouvelables et de l’organisation du bureau régional du Yukon du MAINC.

 

[144]       M. Michael Ivanski a ensuite été appelé à témoigner pour la défenderesse. Il a déclaré qu’à l’époque il était directeur général des Finances et de l’administration auprès du ministère de la Justice du Canada. De 1997 à 2003, il a exercé les fonctions de directeur général des Finances au MAINC. Avant cela, il avait exercé les fonctions de DGR de la région du Yukon du Ministère, entre le mois de juillet 1993 et les mois de juillet ou d’août 1997. À ce titre, il gérait toutes les responsabilités ministérielles concernant la région du Yukon, y compris celles qui concernaient les forêts. À cette époque, plus de 90 % de l’assise foncière du territoire du Yukon relevait de la compétence du gouvernement fédéral.

 

[145]       À titre de DGR, M. Ivanski relevait du SMA, Programme du Nord, du Ministère. Le SMA relève du SM du Ministère, et le SM rend compte au greffier du Conseil privé.

 

[146]       À l’arrivée de M. Ivanski au Yukon en 1993, le programme des forêts était une initiative d’envergure régionale, sans exigences spéciales. Il s’est rendu à Watson Lake pour se faire une idée de la nature des activités. Selon M. Ivanski, les forêts n’étaient pas un dossier [traduction] « problème » quand il est arrivé, mais la situation a changé et l’exploitation forestière a été l’objet d’une surveillance étroite de la part du public et de l’industrie forestière.

 

[147]       À titre de DGR, M. Ivanski a eu des contacts avec LPL à l’époque où la proposition de construire la scierie a été mise de l’avant. Il a rencontré LPL au début de 1996, a assisté au Gold Show et a répondu à la proposition d’affaires de LPL par une lettre datée du 6 juin 1996.

 

[148]       M. Ivanski a témoigné à propos des pratiques, des politiques, des règlements et des lois applicables en matière forestière. En outre, il a parlé notamment du processus d’élaboration des communications ministérielles, des réunions tenues avec LPL ainsi que des lettres échangées avec LPL et au sein du Ministère.

 

[149]       M. Russell Fillmore a ensuite été cité. Ce dernier est technicien diplômé du programme de techniques forestières de la Forest Technical School de l’Ontario. Il a travaillé pour le ministère des Ressources naturelles du gouvernement de l’Ontario, le ministère des Ressources renouvelables du GTY ainsi que pour le MAINC. Il a commencé à travailler à ce ministère en mars ou en avril 1998, au poste de gestionnaire régional des ressources forestières, pour une période d’un an.

 

[150]       À cet égard, il a parlé des courriels que le ministère, SYFC et LPL se sont échangés au sujet de l’accès aux ressources forestières. Il a également déclaré avoir fait une visite de la scierie de Watson Lake à l’automne de 1998, juste avant son ouverture.

 

[151]       Il a déclaré qu’à l’époque où il travaillait au Ministère au Yukon, il ignorait que SYFC avait obtenu une garantie d’approvisionnement en bois. Parallèlement, il n’était pas au courant que des discussions avaient eu lieu entre LPL ou SYFC et le Ministère avant la construction de la scierie. Il a parlé également des réunions qu’il avait eues avec des représentants de LPL et de SYFC, ainsi que d’échanges de lettres, souvent par courrier électronique, avec ces derniers. Certaines des communications concernaient l’obtention d’un CRB. Selon lui, les demanderesses cherchaient à obtenir un volume de 200 000 m3 par année et, de plus, ce chiffre était constant et ne changeait pas.

 

[152]       M. Fillmore croyait que, pour obtenir un CRB, les demanderesses auraient d’abord à prouver qu’elles avaient la capacité de transformer du bois dans la scierie. En fait, il a déclaré que les demanderesses devaient faire la preuve de cette capacité avant même d’avoir droit à un PCC de 15 000 m3.

 

[153]       M. Fillmore a participé avec d’autres membres du Ministère aux communications relatives à des demandes formulées par les demanderesses et d’autres parties au sujet de la fourniture de renseignements opportuns sur l’accès aux ressources forestières.

 

[154]       Au Ministère, M. Fillmore était chargé de rédiger des documents [traduction] « contextuels » utilisés dans le cadre d’informations internes et destinés aux médias. Il passait en revue les documents rédigés par quelqu’un d’autre ou il les rédigeait lui‑même mais, en tout état de cause, c’était lui qui en approuvait le texte.

 

[155]       M. Fillmore a eu des trous de mémoire à propos de certaines questions, dont la quantité de bois disponible dans les unités d’aménagement forestier (UAF) pertinentes, c’est-à-dire les unités Y02 et Y03. De plus, il ne s’est pas souvenu de ce qu’il avait dit à SYFC au sujet des attentes qu’aurait le MAINC en vue de la délivrance d’un CRB, de la participation de KFR à la coentreprise ainsi que d’autres questions pertinentes.

 

[156]       M. Fillmore a également parlé du cadre réglementaire régissant l’octroi des permis de coupe, ainsi que des préoccupations de son effectif quant à la conduite d’autres employés du MAINC.

 

[157]       Le témoin suivant de la défenderesse a été M. Jeff Monty. Ce dernier détient un baccalauréat ès sciences en foresterie de même qu’un certificat en administration publique. Il a été au service du MAINC de 1995 à 2001, travaillant à partir de Whitehorse à titre de gestionnaire régional des ressources forestières. Ses responsabilités comprenaient la constitution du programme forestier. Il a mis l’accent sur les concepts du renouvellement, de la protection, de l’inventaire et de la planification des forêts.

 

[158]       Entre le milieu et la fin des années 1990, le transfert des responsabilités en matière de contrôle des ressources forestières, du gouvernement fédéral au GTY, était en instance. M. Monty jugeait qu’il était avisé de travailler en collaboration avec le gouvernement du Yukon dans le domaine de la gestion et de la planification des forêts. Une stratégie forestière pour le Yukon avait été créée par la Commission des forêts du Yukon, et M. Monty avait eu pour instruction de travailler avec cet organisme.

 

[159]       Pendant son séjour dans la région du Yukon, M. Monty a été détaché au GTY entre les mois d’avril 1998 et les mois de juin ou juillet 1998, auprès du sous-ministre des Ressources naturelles. Son travail a consisté à donner des conseils sur l’établissement d’une politique forestière avant le transfert des responsabilités.

 

[160]       M. Monty a rencontré pour la première fois M. Bourgh en 1996 et il a pris connaissance de la proposition de construire une scierie à Watson Lake. Il a assisté à une réunion tenue le 18 avril 1996 avec LPL et a pris part à d’autres réunions au cours des quatre années suivantes.

 

[161]       M. Monty a longuement parlé de l’établissement des plans d’aménagement forestier, et surtout du besoin de durabilité. Il a fait référence à un rapport établi en 1990 par Dendron Resource Surveys Ltd pour le Ministère et intitulé « Development of a Forest Management Plan of the Southeastern Yukon » (le rapport Dendron). Il a fait référence aussi au volume 1 d’un « Forest Management Plan for Southeastern Yukon » (Plan d’aménagement forestier pour le Sud‑est du Yukon), établi par Sterling Wood Group Inc. et daté de mars 1991 (l’ébauche du rapport Sterling Wood). Il a déclaré que, à son avis, ce plan n’a pas été approuvé. Ce document, déposé en tant que pièce D‑81, onglet 3, était une ébauche.

 

[162]       Une version définitive du « Forest Management Plan for Southeastern Yukon Plan », rédigée par Sterling Wood Group et datée d’août 1991 (le rapport Sterling Wood final), et formée de trois volumes, a été déposée en tant que pièce P‑38 lors du contre-interrogatoire de M. Monty.

 

[163]       M. Monty a parlé des réunions et des échanges de lettres avec les demanderesses ainsi que d’autres fonctionnaires.

 

[164]       M. Peter Henry a été le suivant à témoigner pour le compte de la défenderesse. Ce dernier, diplômé de l’Université de Toronto, détient un baccalauréat ès sciences en foresterie. Il est entré en service au MAINC en 1990 à titre de technicien en inventaires. Il a examiné le rapport Dendron quand celui-ci a été remis au Ministère, au début de sa période d’emploi. Il a aussi examiné le rapport Sterling Wood, mais a été incapable de dire s’il avait examiné l’ébauche de rapport datée de juin 1991 ou le rapport final daté du mois d’août de la même année.

 

[165]       Entre les mois de mai 1996 et mai 1999, M. Henry a occupé le poste d’expert-forestier en matière d’inventaires et de planification. Pendant un certain temps, il a occupé le poste de chef intérimaire de la gestion forestière.

 

[166]       En septembre-octobre 1997, M. Henry a eu pour instruction d’effectuer une analyse de l’approvisionnement forestier (AAF), ce qu’il a fait, pour six UAF situées d’un bout à l’autre du sud du Yukon, d’ouest en est. Ces UAF ont été choisies parce que l’on disposait pour elles de renseignements complets sur l’inventaire forestier. M. Henry a qualifié une « analyse de l’approvisionnement forestier » de travail analytique fait à l’appui d’une décision de principe sur laquelle on peut fonder une possibilité de coupe annuelle. Il a terminé son rapport en mars 1998.

 

[167]       M. Henry a longuement témoigné sur le processus qu’il a suivi pour établir son AAF. Il a expliqué en détail l’utilisation de systèmes d’information géomatique, et il a parlé de l’établissement d’inventaires ainsi que des questions d’ordre environnemental, social et politique qui sont entrées en ligne de compte dans ce processus.

 

[168]       Le rapport de M. Henry n’était pas un plan d’aménagement forestier (PAF). Un PAF est un document de principe de haut niveau, conçu pour mettre en équilibre les divers facteurs sociaux, environnementaux, économiques et politiques – et mettre en œuvre des mécanismes de contrôle connexes – qu’il est nécessaire de prendre en compte en rapport avec l’utilisation des forêts.

 

[169]       En outre, cette AAF préliminaire était axée sur le processus des PCC, c’est-à-dire les permis à faible volume valables pour une période d’un an, et non sur une tenure forestière à long terme obtenue par l’entremise du processus des CRB. Son rapport était « préliminaire » parce qu’il s’agissait de la première approche exhaustive à l’égard de la conclusion d’une AAF pour le sud du Yukon.

 

[170]       Dans son AAF préliminaire, M. Henry a imposé une contrainte d’accès de 10 kilomètres. Cela voulait dire que seul le bois figurant dans cette zone-tampon par rapport aux voies d’accès existantes était inclus dans l’analyse. M. Henry a déclaré qu’au Yukon l’accès par route est relativement mauvais. La contrainte d’accès de 10 kilomètres a été imposée afin de réduire le degré de construction routière car, à l’époque, la majeure partie de la coupe du bois au Yukon se faisait en vertu de PCC que l’on délivrait chaque année, et rien ne garantissait que les détenteurs de ces permis récolteraient du bois dans le même secteur chaque année. Comme il a été mentionné plus tôt, cette AAF était destinée à être appliquée au processus des PCC. Cette contrainte routière était une contrainte d’ordre spatial.

 

[171]       M. Henry a déclaré aussi que pour préparer l’AAF préliminaire, il a eu recours à la méthode dite de la « contrainte d’uniformité », c’est-à-dire que la quantité de bois récoltée dans chaque période projetée doit être égale, par opposition à la contrainte de « non-dégressivité » dans laquelle la quantité récoltée à chaque période augmente, mais elle ne peut jamais diminuer. Il a déclaré que la contrainte d’uniformité est utilisée dans chaque province canadienne, à l’exception de la Colombie-Britannique et de l’Ontario.

 

[172]       Le témoignage de M. Henry sur l’utilisation de la contrainte d’uniformité est contredit par un rapport intitulé « Timber Supply Review for the Coal and Upper Liard Forest Management Units : Information Report for Forest Management Planning » (le rapport MacDonell), qui a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 384. Le rapport MacDonell a été rendu public en janvier 2003 par le Comité technique de l’approvisionnement en bois du MAINC/GTY, dirigé par M. MacDonell.

 

[173]       Dans son AAF préliminaire, M. Henry a proposé de fixer à 128 000 m3 le plafond de récolte pour les UAF Y02 et Y03. Cette recommandation a été acceptée et mise en œuvre. Il s’agissait d’une diminution marquée par rapport à la possibilité de coupe annuelle (PCA) antérieure. Ce changement dans la PCA a été fait sans consulter le public.

 

[174]       Il y a eu une période de consultations après l’exécution de l’AAF préliminaire. Des commentaires ont été reçus du public, et ils ont été résumés. Un exemplaire du résumé a été déposé en tant que pièce D‑53.

 

[175]       Le rapport de M. Henry a été étudié par M. Doug Williams, dont le GTY avait retenu les services pour procéder à un examen. M. Williams était un consultant indépendant qui effectuait des travaux d’AAF, selon M. Henry. Son travail a aussi été étudié par M. Herb Hammond dans le cadre d’un contrat conclu avec la Yukon Conservation Society (YCS).

 

[176]       M. Henry a eu peu de contacts avec les demanderesses, mais il a entendu parler du projet de scierie et a fait une visite de l’installation avant son ouverture. Il a pris part à certaines réunions et savait qu’il y avait eu des communications avec le bureau de Whitehorse au sujet de la scierie. Il était au courant des contraintes imposées par la modification réglementaire, communément appelée la [traduction] « règle des 60/40 » ainsi que du régime de coupe à deux volets. Nous analyserons ces modifications plus loin, à la section « Contexte ».

 

[177]       M. Henry savait aussi que le Ministère était mandaté pour favoriser le développement économique et qu’il cherchait des façons d’établir une industrie forestière. Il savait également que, dans le sud-est du Yukon, il n’y avait pas d’installations capables de transformer 350 000 m3 de bois et, par ailleurs, que les demanderesses avaient besoin d’un volume annuel de 200 000 m3 de fibre.

 

[178]       M. Howard Madill a été le témoin suivant que la défenderesse a appelé. Ce dernier a travaillé pour le MAINC au Yukon, à partir de Whitehorse, entre les mois de juin 1999 et juillet 2000.

 

[179]       Il a travaillé comme gestionnaire régional des ressources forestières jusqu’en juin 2000, période durant laquelle M. Monty travaillait pour le GTY. À la suite du retour de M. Monty en juin 2000, M. Madill a travaillé sur des questions liées au transfert des responsabilités du Programme de prévention des incendies au GTY. M. Madill a été détaché du poste qu’il occupait au sein du gouvernement de la Colombie-Britannique afin de travailler pour le gouvernement fédéral.

 

[180]       C’est en raison de ses rapports avec Mme Guscott qu’on lui a demandé d’occuper ce poste. Les deux avaient déjà travaillé ensemble dans les Territoires du Nord-Ouest.

 

[181]       M. Madill a été interrogé sur ses rapports avec les demanderesses. Il a déclaré à maintes reprises qu’il s’efforçait de traiter tous les clients, c’est-à-dire tous les demandeurs d’approvisionnement en bois, de manière juste et équitable, sans responsabilité particulière envers les demanderesses. Il n’a pas montré qu’il était au courant du message que M. Sewell avait transmis par courrier électronique à SYFC le 7 juin 1999, et qui a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 182. Dans ce message, M. Sewell informait SYFC que, pour M. Madill, le fait de travailler avec cette société serait une [traduction] « grande priorité ».

 

[182]       Au mois d’octobre 1999, M. Madill savait que SYFC s’était engagée à exploiter la scierie à Watson Lake et qu’elle avait des plans d’expansion. Il savait que ces plans comprenaient une raboteuse et un séchoir, de même que l’implantation d’une installation de cogénération.

 

[183]       M. Madill a déclaré qu’il avait visité la scierie à plus d’une occasion. Un courriel déposé en tant que pièce P‑79, onglet 185, daté du 10 juin 1999, indique qu’il était censé faire une visite de la scierie le 22 juin 1999.

 

[184]       M. Madill ne s’est pas souvenu si un membre quelconque du Ministère lui avait dit qu’on avait [traduction] « garanti » à SYFC un approvisionnement en bois.

 

[185]       M. Madill a reconnu qu’à son arrivée au bureau régional du MAINC il a pu consulter les dossiers et les documents du bureau. Il ne s’est pas souvenu d’avoir examiné une transcription de la réunion tenue le 7 avril 1999, pas plus qu’une note d’information (pièce P‑79, onglet 137) qui avait été établie avant cette réunion-là. Il ne s’est pas souvenu d’avoir discuté avec Mme Guscott des sujets dont il était question dans un message transmis par courrier électronique par Mme Clark (pièce P‑79, onglet 155).

 

[186]       M. Madill n’était pas au courant de l’engagement que M. Moore avait pris en avril 1999 à l’égard d’un CRB à l’été de 2000. Il a déclaré qu’il ne savait pas qu’un tel engagement avait été pris à l’endroit de SYFC et, a-t-il ensuite ajouté : [traduction] « Je ne me souviens pas d’avoir été au courant de cela ».

 

[187]       M. Madill a déclaré qu’il était au courant de la règle des 60/40 et qu’il considérait celle-ci comme un moyen de mettre en valeur l’industrie forestière au Yukon. Selon lui, le règlement [traduction] « exige qu’une certaine quantité de bois soit sciée au Yukon, et s’il n’y a pas de scierie au Yukon, alors le bois ne peut pas être scié au Yukon ».

 

[188]       M. Madill a dit s’être rendu à Vanderhoof pour plusieurs réunions le 19 octobre 1999. Il a produit un document – une note de service, censément – concernant les trois réunions auxquelles il avait assistées ce jour-là. Sa note de service a été déposée en tant que pièce D‑54.

 

[189]       Parmi les sujets dont il a été question à Vanderhoof figuraient des inquiétudes au sujet des retards dans l’approvisionnement en bois. M. Madill n’a pas pu se souvenir si d’autres personnes se plaignaient de retards à obtenir des permis pour le bois.

 

[190]       Enfin, M. Sewell a été appelé à témoigner pour le compte de la défenderesse.

 

[191]       M. Sewell a déclaré qu’il avait pris connaissance de LPL à l’époque où il travaillait au GTY. Il n’avait rien de négatif à dire au sujet des employés et des actionnaires de LPL et de SYFC qu’il avait rencontrés pendant qu’il était au service du MAINC à Whitehorse.

 

[192]       M. Sewell a parlé de l’intérêt du Ministère à mettre au point une politique forestière à long terme pour le Yukon. Il s’intéressait surtout à ce que le GTY participe à la mise au point de cette politique car, vu le transfert prochain du contrôle exercé sur les ressources forestières, le GTY allait prendre part à l’implantation d’une nouvelle politique forestière.

 

[193]       M. Sewell a parlé du processus que mettait au point le Ministère en rapport avec une nouvelle politique forestière à long terme et de la nécessité de consulter la collectivité, y compris le GTY, les Premières nations et le grand public. Il a traité d’un certain nombre de documents de discussion et de propositions que le Ministère avaient établis. Plusieurs témoins de la défenderesse ont parlé de ces documents.

 

[194]       M. Sewell a eu des contacts avec des représentants des demanderesses, tant dans le cadre de réunions que par voie de lettres. Il a déclaré qu’il avait trouvé les représentants des demanderesses honnêtes et honorables.

 

[195]       M. Sewell a déclaré qu’à l’époque où il était DGR, le règlement des revendications territoriales en cours pour le compte de Premières nations du Yukon n’était pas une condition préalable à l’introduction d’une politique forestière à long terme.

 

IV. « L’EXPLORATION DU TERRAIN » : LE CONTEXTE

[196]       Entre le milieu et la fin des années 1990, le Yukon comptait environ 30 000 habitants. Plus de 25 % se composaient de membres des Premières nations.

 

[197]       Le territoire du Yukon s’étend sur une superficie de 48,3 millions d’hectares, dont 27,5 millions de terres forestières. Seuls 7,5 millions d’hectares de terres forestières sont considérés comme productifs. Au Yukon, le bois pousse plus lentement que dans les régions situées plus au sud, et cela donne lieu à des anneaux plus serrés, à des nœuds plus petits ainsi qu’à une force de rupture supérieure. De ce fait, le bois d’œuvre produit à partir de bois yukonnais se prête particulièrement bien aux marchés asiatiques, où ces qualités sont très prisées.

 

[198]       Les ressources forestières du Yukon relèvent du mandat législatif du gouvernement du Canada, en application de la Loi les terres territoriales, L.R.C. 1985, ch. T‑7 et du Règlement sur le bois du Yukon, C.R.C. 1978, ch. 1528. Le contrôle exercé sur les ressources forestières a été transféré au gouvernement yukonnais par la Loi sur le Yukon, L.C. 2002, ch. 7, en date du 1er avril 2003. Le processus de transfert du contrôle des forêts et d’autres ressources était en marche depuis de nombreuses années, au dire d’un grand nombre des témoins de la défenderesse, dont MM. Sewell, Monty, Fillmore et Ivanski, ainsi que d’après un grand nombre des documents déposés en tant que pièces au procès.

 

[199]       Pendant la période applicable en l’espèce, les ressources forestières du Yukon étaient soumises au contrôle du Ministère, dont le mandat législatif est énoncé dans la Loi sur le MAINC. Cette dernière confère au ministre la responsabilité, les pouvoirs et les fonctions qui sont indiqués aux articles 4 et 5 de la Loi, comme suit :

4. Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent d’une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés :

 

 

 

a) aux affaires indiennes;

 

b) au Yukon, aux Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, ainsi qu’à leurs affaires et à leurs ressources naturelles;

 

c) aux affaires inuit.

 

5. Le ministre s’acquitte des fonctions suivantes :

 

a) il coordonne l’activité des divers ministères et organismes fédéraux au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut;

 

 

b) il recommande, encourage et met sur pied des programmes propres à stimuler le progrès économique et l’évolution politique du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut;

 

c) il favorise, par le biais de la recherche scientifique et de la technique, une meilleure connaissance du Nord canadien et des solutions aux problèmes liés à la poursuite de son développement.

4. The powers, duties and functions of the Minister extend to and include all matters over which Parliament has jurisdiction, not by law assigned to any other department, board or agency of the Government of Canada, relating to

 

(a) Indian affairs;

 

(b) the Yukon Territory and the Northwest Territories and their resources and affairs; and

 

 

(c) Inuit affairs.

 

5. The Minister shall be responsible for

 

(a) coordinating the activities in the Yukon Territory and the Northwest Territories of the several departments, boards and agencies of the Government of Canada;

 

(b) undertaking, promoting and recommending policies and programs for the further economic and political development of the Yukon Territory and the Northwest Territories; and

 

(c) fostering, through scientific investigation and technology, knowledge of the Canadian north and of the means of dealing with conditions related to its further development.

 

 

[200]       Les bureaux régionaux du Ministère étaient situés à Whitehorse. À cet endroit, le plus haut représentant du Ministère était le DGR. Au cours de la période pertinente pour les besoins de la présente action, ce poste a été occupé par M. Ivanski de juillet 1993 à juillet-août 1997, et par M. Terrence Sewell, de décembre 1997 à septembre 2001.

 

[201]       Au Yukon, l’industrie forestière est depuis toujours centrée dans la région entourant Watson Lake, une collectivité située à 454 kilomètres au sud-est de Whitehorse et dont la population, au milieu des années 1990, comptait environ 1 500 personnes. Depuis toujours, les taux de chômage dans la collectivité de Watson Lake étaient très élevés. Un voyage en véhicule entre Watson Lake et Whitehorse, le long de la route de l’Alaska, était un périple d’une durée d’environ quatre heures à quatre heures et demi.

 

[202]       Il existe une industrie forestière au Yukon depuis les années 1950, mais son histoire n’est pas positive. George Tough a fait remarquer que [traduction] « [l]e paysage yukonnais inclut un trop grand nombre d’entreprises forestières qui ont échoué » dans son rapport d’avril 2002 intitulé « Yukon Forest Issues : A Reality Check and a New Direction – A Report to the Minister of Indian Affairs and Northern Development » (le « rapport Tough »). Cette histoire comporte plusieurs faillites de sociétés forestières, ainsi que les mises à pied et les difficultés personnelles qui en découlent forcément pour les travailleurs, leurs familles et leur collectivité.

 

[203]       En 1990, l’industrie se composait d’une exploitation de sciage de grande taille et de quatre autres plus petites. Les petits exploitants se fiaient à des PCC de 15 000 m3 pour approvisionner leurs scieries. L’exploitation de grande taille - Yukon Pacific Forest Products - détenait un CRB d’un volume de 150 000 m3 par année. En 1992, KFR a acheté Yukon Pacific Forest Products, et le CRB a été cédé sous condition à KFR. Cette dernière est l’entité exécutante de la PNL et de la Première nation de Lower Post.

 

[204]       Au début des années 1990, le Ministère se préoccupait de la rationalisation des usages commerciaux de la forêt avec d’autres usages conflictuels. Le rapport Dendron a été produit en avril 1990.

 

[205]       Dans l’introduction du rapport Dendron, les consultants disent des forêts du Yukon qu’elles font partie des plus productives au monde. Ils signalent que leur étude avait pour objet d’établir un cadre régissant [traduction] « la préparation d’un plan d’aménagement forestier intégré dans le sud-est du Yukon », en faisant référence aux UAF Y01, Y02 et Y03, c’est-à-dire les unités d’aménagement forestier de La Biche, de Coal et d’Upper Liard, respectivement.

 

[206]       Selon le rapport Dendron, la PCA pouvait aller d’un minimum de 30 000 m3 par année, si l’on ne prenait en considération que les billes de grande taille, à un maximum de plus de 1 000 000 m3 par année si l’on incluait dans la récolte les billes de « bois à pâte » de petite taille. Selon le rapport Dendron, une PCA [traduction] « exprime la capacité de la zone de planification à supporter un certain niveau de production de bois ». La PCA doit être établie, toujours selon le rapport Dendron, sur la base d’un rendement soutenu avant que l’on puisse implanter un PAF. L’étape suivante a consisté à entreprendre un inventaire forestier, de pair avec l’établissement d’un PAF.

 

[207]       Les services de Sterling Wood Group Inc. ont ensuite été retenus pour procéder à un inventaire forestier et dresser un PAF. L’ébauche du rapport Sterling Wood, déposée en tant que pièce D‑81, onglet 3, a été produite le 6 janvier 1991. La version finale de ce rapport (la pièce P‑38) a été terminée en août 1991. Ce document, c’est-à-dire le rapport Sterling Wood final, a été produit non pas par la défenderesse au stade des interrogatoires préalables et de la communication des documents, mais par les demanderesses, lors du contre-interrogatoire de M. Monty, l’un des témoins de la défenderesse.

 

[208]       Les deux versions du rapport Sterling Wood - l’ébauche et le document final - indiquent que le volume durable annuel de bois exploitable dans le sud-est du Yukon, dans les unités Y01, Y02 et Y03, est de plus de 1,5 million m3.

 

[209]       Les rapports de Sterling Wood Group sont une preuve que le Ministère étudiait la question de la gestion des forêts en 1990. Selon les deux rapports, Sterling a exécuté son mandat en prenant en considération un certain nombre de facteurs, dont la durabilité de la forêt et les intérêts de divers intervenants qui ont été déterminés dans le cadre de leur participation au comité directeur du plan d’aménagement ainsi que de leur contribution – ou de leur participation – au processus. Chaque groupe d’intervenants a participé au processus de l’une de ces façons.

 

[210]       Un point de vue semblable sur l’état des ressources forestières au Yukon ressort de la pièce P‑75, une réponse, établie par l’entremise du DGR, à une pétition qui avait été présentée à la Chambre des communes le 6 juillet 1995. Le document inclut les premières versions de la réponse du gouvernement à la pétition de la Yukon Forest Coalition, de même que la réponse finale. Cette dernière est exposée dans la pièce P‑75, et elle décrit les ressources forestières du Yukon comme suit :

[traduction] Au Yukon, l’assise foncière couvre une superficie de 48 millions d’hectares, dont 27 millions d’hectares (56 %) de terres forestières – des terres principalement destinées à la culture ou au maintien des forêts. Dans cette assise, 7,4 millions d’hectares sont considérés comme des terres forestières productives – capables de produire un peuplement forestier homogène commercialement utilisable dans un délai raisonnable.

La possibilité de coupe annuelle (PCA) – la quantité de bois qu’il est permis de couper chaque année dans une zone déterminée – sert à réglementer le niveau de récolte de façon à garantir un approvisionnement en bois à long terme. On estime à 3,4 millions de mètres cubes (le volume marchand brut) la PCA dans tout le Yukon, dont 1,8 million de mètres cubes proviennent du sud-est de ce territoire. Le sud-est du Yukon est la région où a lieu la majeure partie des activités de récolte. En 1992, le volume total de bois rond récolté au Yukon était égal à 128 000 mètres cubes  (1992). Ce niveau de récolte ne représentait que 4 % de la PCA estimative du territoire. Un niveau de récolte récemment évalué, soit 354 000 mètres cubes (1994-1995), ne représente que 10,5 % de la limite estimative de la PCA. La plupart des autres provinces et territoires au Canada récoltent nettement plus de 50 % de leurs limites de PCA

 

[211]       La situation qui a donné lieu à la pétition a été l’établissement de la PCA pour 1994‑1995 à 450 000 m3. Les pétitionnaires demandaient que l’on revienne aux niveaux antérieurs de récolte de bois, qui étaient nettement inférieurs à ce volume.

 

[212]       La réponse à la pétition faisait référence à la PCA de bois au Yukon, disant que la PCA estimative du [traduction] « Yukon en général » était de 3,4 millions de mètres cubes (volume marchand brut) et qu’un volume de 1,8 million de mètres cubes était attribué à la région du sud‑est. La réponse indiquait ensuite ce qui suit :

[traduction] La PCA estimative de 1,8 million de mètres cubes pour le sud-est du Yukon est basée sur un inventaire exhaustif du bois présent dans trois unités d’aménagement forestier du sud-est (les unités Y01 – LaBiche, Y02 – Coal, et Y03 – Liard). Cet inventaire a servi de base au plan d’aménagement forestier et à la limite de la PCA en août 1991. Cependant, ce plan et cette limite n’ont pas été mis en œuvre officiellement, en attendant l’issue d’autres discussions menées avec les intervenants du secteur forestier du Yukon, dont les Premières nations de ce territoire. Le chiffre de 3,4 millions de mètres cubes, qui s’applique à la PCA dans le territoire général du Yukon, repose sur un inventaire forestier couvrant environ 70 % de l’assise foncière forestière du Yukon. Le MAINC s’est servi de la limite de PCA estimative pour guider l’attribution des ressources forestières au Yukon.

[...]

De plus, la PCA qui s’applique au Yukon en général sera fixée a un niveau nettement inférieur à la limite estimative actuelle. La limite de PCA proposée pour la saison de récolte de 1995-1996 est de 450 000 mètres cubes. Cette limite ne représente que 13 % de l’estimation initiale. Le MAINC a limité la PCA à 450 00 mètres cubes afin de préserver l’industrie forestière du Yukon, qui représente environ 300 emplois directs.

 

[213]       Cette réponse fait référence à l’initiative qu’a prise le gouvernement de procéder à un inventaire des ressources de bois dans les unités Y01, Y02 et Y03. La réponse montre que le MAINC a publiquement annoncé, y compris au Parlement canadien, que l’inventaire réalisé par Sterling Wood Group était exhaustif et que l’on imposait une limite de PCA prudente.

 

[214]       Il est utile de souligner également qu’à cette époque, c’est-à-dire au début des années 1990, les ressources en bois du Yukon étaient exonérées des tarifs et des droits compensateurs imposés dans le cadre de l’Accord sur le bois d’œuvre résineux conclu avec les États-Unis. Tout le bois produit au Yukon aurait un avantage marqué par rapport aux produits semblables produits dans la plupart des autres provinces du Canada.

 

[215]       La Loi sur les terres territoriales prévoyait deux façons d’autoriser la récolte de bois au Yukon. Le bois pouvait être récolté soit en vertu d’un permis – appelé PCC – soit par « cession [...] de terres territoriales », habituellement sous la forme d’une entente, appelée « CRB », conclue entre un promoteur et la Couronne.

 

[216]       Les dispositions de la Loi sur les terres territoriales qui s’appliquent aux PCC sont l’article 17 et l’alinéa 18(1)a) :

17. Il est interdit de couper du bois sur des terres territoriales sans permis.

 

 

18. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

 

a) régir la délivrance de permis de coupe, fixer les conditions à remplir pour leur obtention, ainsi que le loyer des terrains, et déterminer les cas d’exemption par personnes ou catégories;

17. No person shall cut timber on territorial lands unless that person is the holder of a permit.

 

18. (1) The Governor in Council may make regulations

 

(a) respecting the issue of permits to cut timber and prescribing the terms and conditions thereof, including the payment of ground rent, and exempting any person or class of persons from the provisions of section 17;

 

 

[217]       Avant 1995, les seules conditions régissant l’obtention d’un PCC, et prescrites par le Règlement sur le bois du Yukon, étaient les suivantes :

3. Le présent règlement s’applique à la coupe et au débusquage du bois sur les terres territoriales sous la surveillance, la gestion et l’administration du Ministre.

 

4. Le Ministre peut délivrer à toute personne âgée de 18 ans ou plus ou à toute corporation un permis de coupe et de débusquage du bois sur les terres territoriales.

 

5. (1) Sous réserve du présent règlement, tout agent forestier peut délivrer à toute personne âgée d’au moins 18 ans ou à une société un permis de coupe et de débusquage du bois sur les terres territoriales; le volume estimatif de bois autorisé par ce permis ne peut dépasser 15 000 m3 par année. (DORS/79‑508)

3. These Regulations apply to the cutting and removal of timber on territorial lands under the control, management and administration of the Minister.

 

4. The Minister may issue a permit to any individual who is 18 years of age or over or to any corporation for the cutting and removal of timber from territorial lands.

 

5. (1) Subject to these Regulations, a forest officer may issue to any individual who is eighteen years of age or over or to any corporation a permit for cutting and removal from territorial lands of timber in an estimated annual volume not exceeding fifteen thousand cubic metres. (SOR/79-508)

 

[218]       Au cours de 1994-1995, le MAINC a reçu un nombre nettement accru de demandes de permis de coupe de bois. Cette hausse de la demande d’accès aux ressources forestières a été surnommée dans la région la [traduction] « Ruée verte ». Divers témoins de la défenderesse ont qualifié cette hausse de [traduction] « pic », qui a taxé le personnel du Ministère.

 

[219]       Habituellement, le bureau régional recevait 175 demandes de PCC. Cependant, en 1995, il en a reçu plus de 1 300 pour la saison de récolte hivernale. Cette demande a occasionné un accroissement du travail au bureau régional, et ce, à un point tel que les employés de la région ont en fait été submergés par les demandes de PCC; voir le résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui accompagne le DORS/95-580.

 

[220]       Au début de 1995, en réponse à la forte demande d’accès au bois, le Ministère a imposé un moratoire à la délivrance des PCC. Outre le moratoire, le Ministère a réagi à la « Ruée verte » par une série de changements de nature réglementaire.

 

[221]       Ce moratoire n’a pas eu d’incidence sur la capacité de KFR de récolter du bois dans le cadre du CRB existant.

 

[222]       En 1996, le ministre a fait de nouveau savoir que le Ministère était disposé à recevoir des propositions d’affaire concernant des CRB.

 

[223]       La première réponse réglementaire a été mise en œuvre par le DORS/95‑387, qui a modifié le Règlement sur le bois du Yukon. Cette modification a imposé un régime de droits de coupe en deux volets. Les droits de coupe sont les redevances que touche le gouvernement pour permettre de récolter du bois. La redevance perçue était de 5 $/m3 de bois récolté, si ce bois était transformé au Yukon. Pour les billets brutes exportées sans être transformées au Yukon, la redevance était de 10 $/m3 de bois récolté. D’autres modifications ont suivi peu après.

 

[224]       À un moment donné, pour être [traduction] « juste » compte tenu du nombre de demandeurs, c’est au moyen d’une loterie qu’on a choisi les bénéficiaires des permis. Des fonctionnaires du Ministère déposaient tous les noms dans une [traduction] « urne de bingo » et choisissaient au hasard les noms des demandeurs retenus.

 

[225]       Pour protester contre le moratoire, la perte des revenus liés à l’exploitation forestière, les droits de coupe et la façon dont les fonctionnaires du Ministère proposaient de déterminer l’admissibilité aux PCC, les entrepreneurs forestiers ont occupé le bureau du MAINC à Watson Lake, le 14 novembre 1996. Poursuivant cette manifestation, les entrepreneurs forestiers ont occupé le bureau régional, à Whitehorse, le 16 novembre.

 

[226]       Une lettre ouverte a été envoyée par le leader parlementaire du GTY au ministre Irwin, alléguant que le Ministère avait mal géré la forêt du Yukon. Il a été souligné que les entrepreneurs forestiers faisaient face à la ruine financière. Il était allégué dans cette lettre que la mauvaise gestion incluait le fait de ne pas avoir prêté l’oreille aux consultations portant sur les droits de coupe et la tenure forestière, et le fait de ne pas respecter les délais établies. Le GTY a soutenu que le MAINC faisait tout ce qu’il pouvait pour éliminer des emplois au Yukon.

 

[227]       Dans le DORS/95‑580, le Ministère a poursuivi sa réponse au nombre accru de permis. Il a introduit le changement réglementaire connu sous le nom de « règle des 60%/40% ». En outre, les critères d’admissibilité n’ont plus été simplement fondés sur l’âge ou la personnalité juridique. Le Ministère a mis en œuvre les changements réglementaires suivants :

4. (1) Le ministre peut délivrer des permis de coupe et de débusquage sur les terres territoriales pour un volume estimatif de bois d’au plus 15 000 m3 par permis.

(2) Afin d’assurer le maintien de pratiques forestières durables, les permis – autres que ceux délivrés en vertu du paragraphe 7(1) – sont délivrés en priorité aux demandeurs qui à la fois :

a) possèdent une connaissance manifeste relativement aux mesures environnementales et de conservation propres aux conditions locales de récolte du bois;

b) ont l’expérience de l’industrie forestière;

c) ont une capacité manifeste de récolter la quantité de bois visée dans leurs demandes.

(3) À l’examen d’une demande de permis, le ministre tient compte de ce qui suit, le cas échéant :

a) le fait que le demandeur a enfreint toute disposition du présent règlement visant un permis antérieur;

b) le fait que le demandeur n’a pas respecté les conditions d’un tel permis.

[...]

5. Parmi les permis visés au paragraphe 4(1), les permis à l’égard d’une récolte annuelle de bois totalisant 300 000 m3 doivent comporter l’obligation de traiter, dans le territoire du Yukon, au moins 60 pour cent de la quantité autorisée de bois récolté.

 

[228]       Ce changement signifiait qu’il fallait que 60 % du bois récolté dans le cadre du régime des PCC soit transformé au Yukon. En fait, aucune récolte ne pouvait avoir lieu, sauf s’il y avait des installations de production capables de transformer le bois. Selon le REIR qui accompagnait le règlement modifié, cette « modification va dans le sens des objectifs de promotion du développement de l’industrie forestière au Yukon ». La règle des 60%/40% était destinée à créer des emplois et à stimuler de façon générale l’économie du Yukon.

 

[229]       L’objectif de promotion du développement de l’industrie au Yukon s’inscrivait indubitablement dans le cadre du mandat législatif du Ministère.

 

[230]       Il ressort clairement de la preuve que le Ministère apportait ces changements pour stimuler le développement privé d’une industrie de transformation du bois au Yukon. Le Ministère était heureux de voir que l’industrie privée était intéressée à construire une scierie à Watson Lake. M. Ivanski, DGR de la Région du Yukon, a décrit le projet de LPL à M. Doughty, l’adjoint spécial au développement économique du ministre Irwin, dans un courriel, déposé en tant que pièce P‑79, onglet 38 et daté du 7 novembre 1996 :

[traduction

[...]

La meilleure nouvelle, c’est qu’ils travaillent avec les entrepreneurs forestiers locaux et ont signé un contrat en vue d’obtenir le bois du niveau 1 pour répondre à leurs besoins pour les premières années d’exploitation. Grâce à cela, notre système de niveaux a l’air pas mal efficace, et cela ouvre un marché qui permettra aux entrepreneurs forestiers de vendre à l’échelon national. L’étape suivante consistera à inclure une installation de fabrication de granules et à finir la transformation sur place, et il faudra pour cela attendre un an ou deux. Cependant, il y aura des pressions car ils ont déjà indiqué que les bailleurs de fonds auront besoin d’une attribution de bois et d’une tenure avant de faire un autre investissement important. Mais le moment choisi n’est pas mauvais. Dans le cadre de la consultation sur une nouvelle politique, la tenure et les attributions constitueront sans aucun doute des éléments critiques. Le fait d’avoir un exploitant sur place, qui travaille et qui règle les factures dans un délai de quelques mois permettra certainement de préciser cette discussion, d’autant plus qu’ils promettront plus d’emplois, etc., mais il leur faut une tenure.

[...]

 

[231]       Dans une lettre échangée plus tard par voie électronique entre des membres du personnel de l’Administration centrale du MAINC et datée du 9 juin 1999, il a été déclaré que le Ministère croyait que [traduction] « la règle des 60%/40% stimulerait le développement de l’industrie locale – nous avions tort. Au lieu de cela, elle a contraint des entrepreneurs forestiers à fermer leurs portes parce que la scierie n’avait pas la capacité requise. » Ce courriel a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 184. Il est évident que le MAINC avait besoin de la scierie des demanderesses pour donner effet à sa politique de stimulation du développement économique.

 

[232]       Ce point de vue sur les conséquences des changements réglementaires apportés par la défenderesse se reflète également dans le REIR qui accompagne le DORS/96‑549. Ce REIR indique ce qui suit : « [d]epuis que le Règlement a été modifié en 1995, les prix du marché et la demande du bois du Yukon ont chutés [sic] graduellement ».

 

[233]       Voir aussi la pièce D‑33 dans laquelle le Ministère reconnaît le souhait de la population yukonnaise que l’on fasse la promotion et la mise en valeur, à l’échelon local, d’une industrie de transformation du bois et d’une industrie à valeur ajoutée.

 

[234]       Ces modifications réglementaires avaient pour but d’encourager l’industrie privée à construire une scierie capable de transformer 60 % du bois coupé. Il ressort clairement de la preuve qu’en 1995 il n’existait au Yukon aucune scierie capable de transformer un tel volume de bois. Il en ressort également que les petites scieries existantes fonctionnaient sporadiquement et que, même si elles étaient toutes exploitées, elles ne pouvaient pas transformer le volume de bois qui allait être requis au Yukon.

 

[235]       Le REIR accompagnant le DORS/95‑580 soulignait aussi que le système de loterie était inacceptable, tant pour l’industrie forestière que pour le grand public. Ce système était « inacceptable [parce qu’il] ne tenait pas compte de l’expérience du demandeur ni de ses investissements dans le secteur forestier ». Les modifications réglementaires et la preuve montrent que le Ministère exigeait des investissements de capitaux et une capacité démontrée comme conditions préalables à l’accès à l’approvisionnement en bois.

 

[236]       Dans le REIR, le Ministère a prévu ce qui suit : « prolonger l’attente causerait des difficultés financières à l’industrie (certaines compagnies devront peut-être quitter le territoire ou encore perdront de l’investissement ou de l’équipement). »

 

[237]       Je conclus qu’aux yeux du Ministère, on aller causer le même préjudice, c’est-à-dire des difficultés économiques, si aucun promoteur privé ne décidait de construire une scierie au Yukon après l’adoption de ces dispositions réglementaires, comme ce serait le cas si l’on retardait la délivrance de permis. Au dire des témoins de la défenderesse, cette modification réglementaire signifiait qu’il n’y aurait pas de récolte sans une installation de transformation du bois. L’absence d’une telle installation causerait également des difficultés économiques.

 

[238]       Il a aussi été expliqué dans le REIR que le fait de retarder la modification du règlement, de façon à ne pas délivrer de permis pour la saison de récolte hivernale, ferait perdre à la Couronne 3,7 millions de dollars en droits de coupe. Compte tenu de l’effet de la règle des 60%/40%, à savoir qu’il fallait une scierie sans quoi il n’y aurait pas de récolte, la création d’une telle installation donnerait lieu à une augmentation marquée des droits de coupe touchés par la Couronne car la récolte était limitée par la capacité de sciage locale.

 

[239]       Dans le cadre du régime des PCC, le titulaire d’un permis était également tenu de verser la somme de 5 $/m3 dans un fonds de reboisement. Cependant, l’entrepreneur forestier n’était pas tenu d’exécuter à proprement parler les travaux de reboisement.

 

[240]       Le cadre qui permet d’autoriser la récolte en vertu d’un CRB est très différent. La disposition de la Loi sur les terres territoriales qui s’applique aux CRB est l’article 8, dont le texte est le suivant :

8. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le gouverneur en conseil peut autoriser la cession, notamment par vente ou location, de terres territoriales; il peut également, par règlement, déléguer au ministre ce pouvoir et l’assortir éventuellement de restrictions ou conditions

 

Cette disposition est identique à celle qui figure dans la Loi sur les terres territoriales, L.R.C. 1970, ch. T‑6, article 4.

 

[241]       C’est en vertu de cette disposition, qui autorise la « cession, notamment par vente ou location, de terres territoriales », que les CRB sont accordées. Cependant, l’article 17 et l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les terres territoriales de même que l’article 3.1 du Règlement sur le bois du Yukon sont essentiels pour comprendre le contexte législatif d’un CRB.

 

[242]       Le texte de l’article 17 de la Loi sur les terres territoriales a été reproduit plus tôt. Cette disposition interdit de couper du bois sur des terres territoriales sans permis, et elle est identique à celle qui figure dans la Loi sur les terres territoriales, L.R.C. 1970, ch. T‑6, article 13.

 

[243]       Le texte de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les terres territoriales a été cité plus tôt lui aussi. Cette disposition autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements qui exemptent des personnes de l’application de l’article 17.

 

[244]       Le Règlement sur le bois du Yukon, à l’article 3.1, accorde une exemption de l’obligation de détenir un permis en vue de récolter du bois ainsi qu’une exemption complète de l’application de la disposition du Règlement sur le bois du Yukon, si la personne en question a un CRB. Le texte de l’article 3.1 est le suivant :

3.1 Est exemptée des dispositions de l’article 13 de la Loi et de celles du présent règlement toute personne avec qui le ministre a conclu, en vertu d’un décret pris aux termes de l’article 4 de la Loi, un contrat de longue durée visant la récolte du bois. (DORS/87‑191)

[Non souligné dans l’original.]

 

[245]       L’article 3.1 du Règlement sur le bois du Yukon est entré en vigueur avant la Loi sur les terres territoriales, L.R.C. 1985, ch. T-7. Pour interpréter correctement cette disposition, il est nécessaire d’examiner la Loi sur les terres territoriales, L.R.C. 1970, ch. T‑6. Comme je l’ai mentionné plus tôt, les articles 4 et 13 de la Loi sur les terres territoriales, L.R.C. 1970, ch. T‑6 sont identiques aux articles 8 et 17 de la Loi sur les terres territoriales, L.R.C. 1985, ch. T‑7, respectivement, et cela est confirmé par la table de concordance.

 

[246]       Par souci de clarté, j’ai reproduit la modification réglementaire à l’article 3.1 du Règlement sur le bois du Yukon, à laquelle donne effet le DORS/2001‑162. Cette modification a changé le règlement afin de refléter la numérotation en vigueur des dispositions de la Loi sur les terres territoriales, L.R.C. 1985, ch. T-7. Le texte de l’article 3.1 est le suivant :

3.1 Est soustraite à l’application de l’article 17 de la Loi toute personne avec qui le ministre a conclu, en vertu d’une autorisation accordée par le gouverneur en conseil aux termes de l’article 8 de la Loi, un contrat de récolte du bois à longue durée.

[Non souligné dans l’original.]

 

[247]       L’ancien article 3.1 du Règlement sur le bois du Yukon avait exactement le même effet que cette nouvelle disposition par concordance entre la Loi sur les terres territoriales, L.R.C. 1970, ch. T-6 et la Loi sur les terres territoriales, L.R.C. 1985, ch. T-7. L’article 3.1 du Règlement sur le bois du Yukon a pour effet qu’aucun permis n’est nécessaire pour récolter du bois, et le règlement ne s’applique pas à un CRB. Cela inclut la restriction de quantité de 15 000 m3 ainsi que la règle dite des 60%/40%.

 

[248]       Le Règlement sur le bois du Yukon limitait à un an les PCC, mais les CRB étaient accordés pour des périodes plus longues, appelées « tenures de longue durée ». En outre, le volume visé par un CRB était toujours nettement supérieur à celui qu’il était possible d’obtenir en vertu d’un PCC.

 

[249]       La preuve montre aussi qu’en plus d’une exemption de l’application du Règlement sur le bois du Yukon, le bois récolté dans le cadre d’un CRB était exclu de la PCA; voir la pièce P‑79, onglets 47 et 144.

 

[250]       Il est un fait qu’au Yukon les CRB nécessitaient des plans d’affaires approuvés et des PAF de niveau opérationnel. Ces PAF comprenaient, notamment, des plans de sylviculture - en gros des plans de replantation et de reboisement - ainsi que des plans d’accès. Il n’était pas obligatoire dans le cadre du régime des PCC de produire un plan d’affaires ou de procéder à des travaux de reboisement.

 

[251]       Les documents internes du MAINC indiquent clairement que l’octroi d’un CRB avait pour but d’encourager un promoteur à bâtir une scierie. En fait, l’octroi à KFR du CRB déjà existant était assujetti à la condition que cette dernière construise une scierie. Le fait que KFR ne l’ait pas fait était considéré comme un grave manquement au contrat.

 

[252]       Le souhait constant du Ministère de voir construire une scierie au Yukon se reflète également dans le fonds de scierie obligatoire auquel KFR devait contribuer. KFR était tenue de contribuer à ce fonds en fonction du volume du seuil de coupe de son CRB. L’objet explicite du fonds était de [traduction] « créer et exploiter une scierie »; voir la pièce P‑79, onglet 78; la pièce P‑80, onglet 33; la pièce P‑80, onglet 35.

 

[253]       Le Ministère avait pour mandat de développer l’industrie forestière. Il avait pris de nombreuses mesures pour s’en acquitter mais il lui manquait un partenaire du secteur privé qui était d’une taille suffisante pour concrétiser ses efforts. Il avait besoin qu’un promoteur du secteur privé construise une scierie à Watson Lake. Les efforts qu’il avait faits pour encourager KFR à assumer la direction de cette initiative avaient échoué, malgré l’octroi conditionnel du CRB.

 

[254]       Telle était donc la situation quand M. Bourgh est entré en scène en 1995.

 

V. CE QUI S’EST PASSÉ : UNE CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS

A. 1995

[255]       Le récit débute en 1995 quand M. Bourgh s’est installé dans la région de Watson Lake. Il voulait étudier les terres boisées qui s’y trouvaient, dans le but d’établir une installation de transformation de bois. Après avoir fait une reconnaissance, il a vu qu’il y avait du potentiel pour ce projet-là.

 

[256]       M. Bourgh a déclaré qu’après son étude initiale dans les forêts, il est allé à Whitehorse et a rencontré M. Gladstone, du bureau régional du MAINC, pour discuter de l’approvisionnement en bois. On a assuré à M. Bourgh qu’il y avait du bois disponible au Yukon s’il [traduction] « se conformait » aux règles et aux règlements.

 

[257]       M. Bourgh a fait part à d’autres de sa vision et a attiré des investisseurs et d’autres intéressés, dont MM. Gurney, Gartshore et Brian Kerr.

 

[258]       M. Gurney a participé à titre de consultant en foresterie, et ses services comprenaient l’établissement de plans de marché et l’étude de documents forestiers; il n’était pas investisseur ou actionnaire. M. Gartshore a pris part à l’établissement des premiers plans d’affaires. Il a d’abord commencé comme consultant mais est plus tard devenu actionnaire et administrateur de LPL. M. Brian Kerr, un entrepreneur en électricité, a présenté M. Bourgh à M. Gartshore. Il est plus tard devenu actionnaire, cadre et administrateur de LPL. Il allait plus tard devenir aussi administrateur de SYFC et directeur général de la scierie de SYFC.

 

B. 1996

[259]       En janvier 1996, LPL avait établi des contacts avec le Ministère à Whitehorse et a commencé à faire des démarches pour avoir accès aux ressources de bois.

 

[260]       Le 26 janvier 1996, LPL a été constituée en société, au départ sous le nom de « Liard Pulp and Lumber ». Au début de 1996, des travaux étaient en cours en vue d’établir un plan d’affaires pour le projet de développement proposé. Le plan d’affaires initial envisageait un investissement de 165 millions de dollars, ce qui nécessitait 350 000 m3 de fibre par année (200 000 m3 destinés à la scierie) et créerait 420 emplois à temps plein. Cette proposition initiale, déposée en tant que pièce D‑8, comprenait ce qui suit :

1.                  une centrale électrique à turbine à vapeur de 15 mégawatts, alimentée en déchets de bois;

2.                  une petite installation de sciage, dont une scierie pour produits spéciaux, une raboteuse et des séchoirs;

3.                  une usine de pâte mécanique;

4.                  une usine de contreplaqués spécialisés.

 

[261]       M. Gartshore savait, dès le départ, que le projet aurait besoin d’un volume de 192 000 m3 à 200 000 m3 de fibre par année.

 

[262]       M. Sewell a reconnu que les demanderesses avaient toujours demandé un volume approximatif de 200 000 m3 de bois par année. Cette preuve est sans équivoque et directement contraire aux arguments de la défenderesse selon lesquels le volume demandé changeait tout le temps.

 

[263]       En 1996, d’après la réponse à la demande de reconnaissance, les représentants de la demanderesse LPL ont pris connaissance de la politique et des dispositions réglementaires applicables qui régissaient l’attribution du bois au Yukon. À cette époque, le bois était principalement attribué en vertu de permis, en application du Règlement sur le bois du Yukon, même si le régime législatif autorisait, aux termes de l’article 8 de la Loi sur les terres territoriales, d’autres formes de récolte autorisées.

 

[264]       En mars 1996, M. Gurney est entré en contact avec le bureau régional du MAINC à Whitehorse pour déterminer s’il était possible d’obtenir pour le projet de LPL un approvisionnement en bois garanti. M. Gurney demandait 100 000 m3 de fibre par année sur deux ans, ou jusqu’à ce que le PAF ait été établi. Cependant, la proposition d’affaires indiquait clairement qu’à long terme on avait besoin de 200 000 m3 de fibre. Il était expliqué dans cette proposition que la scierie serait construite de manière à utiliser les billes destinées à la « pâte de bois », qui, essentiellement, n’étaient pas touchées, et que ces volumes pouvaient être assurés par du bois de plus petite taille pendant les dix-sept années et demie qui suivraient.

 

[265]       La demande d’un approvisionnement garanti a été structurée sous la forme d’une demande d’approbation de principe; voir la pièce P‑79, onglet 27. En outre, M. Gurney a reconnu, dans la pièce D‑11, onglet 1, que LPL savait [traduction] « que le contrat de récolte de bois ne pourrait pas nécessairement être complet et garanti avant [le 1er juillet 1996] mais l’entreprise demande une indication que, si les conditions sont remplies, l’approvisionnement en bois sera disponible ».

 

[266]       Cependant, LPL était au courant du CRB de formation, d’un volume de 75 000 m3, qui avait été accordé à la PNL. Elle savait également qu’un CRB avait été attribué à KFR, là aussi pour un volume de 75 000 m3 et que l’une des conditions de ce CRB était que KFR dispose d’une installation locale de fabrication de bois, ou ait des liens avec une telle installation. En fait, LPL savait pertinemment que M. Gurney était étroitement lié à l’attribution de ce CRB à la PNL. Comme il a été mentionné plus tôt, tout le processus d’autorisation de ce CRB de formation a duré environ six mois.

 

[267]       Une réunion a été organisée et elle a eu lieu le 18 avril 1996, à Whitehorse. Avant cette réunion, M. Gurney avait envoyé une copie du plan d’affaires initial, ainsi qu’il a été indiqué plus tôt, au bureau régional. À cette réunion étaient présents MM. Bourgh et Gurney pour le compte de LPL. MM. Ivanski, Chambers et Monty, de même que Mme Guscott  étaient également présents, pour le compte du Ministère.

 

[268]       M. Ivanski a reconnu le 24 avril 1996, par une lettre déposée en tant que pièce P‑80, onglet 11, que la proposition de LPL n’était pas suffisamment détaillée pour qu’il soit possible d’étudier l’analyse de rentabilisation et que les délais étaient irréalistes. Il a indiqué que le MAINC était disposé à examiner le concept. Cependant, a-t-il ajouté : [traduction] « [c]ela ne doit pas être considéré comme une offre exclusive... ». Il avait également informé LPL que [traduction] « [v]u les niveaux de récolte antérieurs, et l’indication de l’endroit où vous proposez de faire des coupes, on estime qu’il y aurait suffisamment de ressources au niveau évalué dans votre concept ». De plus, sa lettre montre qu’il était au courant que LPL essayait d’obtenir un approvisionnement en fibre permanent de 200 000 m3 par année, et que la scierie utiliserait des billes de bois à pâte.

 

[269]       Au 15 mai 1996, l’unique source de fibre pour LPL était du bois à obtenir auprès d’entrepreneurs forestiers locaux et, à cette époque, le processus d’obtention de bois était celui des PCC.

 

[270]       À la suite de la réunion d’avril, des représentants de LPL ont pris des dispositions pour se rendre à Dawson City, au Gold Show, pour rencontrer le ministre. Le Gold Show est une foire commerciale annuelle, tenue au Yukon, pour l’industrie de l’extraction de l’or. Cette activité allait avoir lieu la fin de semaine du 17 mai 1996.

 

[271]       Selon M. Ivanski, qui était à l’époque le DGR, il était possible d’organiser une réunion avec le ministre en passant par le bureau régional ou en s’adressant directement au cabinet du ministre. M. Ivanski ne s’est pas souvenu qu’on lui avait demandé d’organiser une telle réunion. M. Gartshore, pour le compte de LPL, a diffusé un communiqué de presse, qui a été déposé en tant que pièce D‑11, onglet 2. Ce communiqué informait la collectivité que des représentants de LPL seraient présents à l’édition 1996 du Gold Show afin d’y rencontrer le ministre pour promouvoir l’investissement proposé dans la région de Watson Lake, plus précisément la construction d’une scierie.

 

[272]       M. Gartshore a déclaré qu’il y avait un lien familial entre sa famille et M. Irwin, un lien qui datait de l’époque où M. Irwin exerçait le métier d’avocat à Sault Ste. Marie. C’était grâce à ce lien, a déclaré M. Gartshore, qu’il avait pu organiser une rencontre avec le ministre. MM. Gartshore, Staffen et Bourgh se sont présentés au Gold Show, où ils ont rencontré brièvement M. Irwin et son adjoint spécial, M. Doughty.

 

[273]       Le souvenir qu’avait M. Irwin du Gold Show de 1996 n’était pas aussi clair que celui de MM. Bourgh et Gartshore. Lors de son interrogatoire principal, M. Irwin a tout nié, sauf un lien antérieur et éphémère avec la famille de M. Gartshore; il a toutefois reconnu du bout des lèvres qu’il connaissait effectivement le père de M. Gartshore.

 

[274]       M. Gartshore a déclaré que la famille Irwin et la famille Gartshore étaient amies. Il a ajouté que M. Irwin était l’avocat de son père et que sa sœur vivait dans la maison voisine de celle de la famille Irwin. Il a ajouté que Mme Irwin était venue à sa rencontre pour le saluer, se souvenant manifestement de sa présence à Sault Ste. Marie.

 

[275]       MM. Bourgh, Staffen et Gartshore ont dit avoir rencontré le ministre Irwin et son adjoint spécial, M. Jim Doughty, au Gold Show. Un exemplaire de la proposition d’affaires a été remis à M. Doughty. Même si ce dernier a déclaré qu’il avait l’habitude de transmettre tous les documents reçus au bureau régional, M. Ivanski a indiqué qu’après le Gold Show il n’avait reçu aucun document de M. Doughty concernant la proposition de LPL.

 

[276]       M. Bourgh avait pris des notes sur sa présence au Gold Show. Même si ces notes étaient rédigées sur les pages d’un journal datées du 6, du 7 et du 8 juin, il ne fait aucun doute qu’il était présent à cette occasion, qu’il a rencontré le ministre Irwin et M. Doughty et que cette réunion a eu lieu vers le 18 mai 1996, la datée précisée dans le communiqué de presse que M. Gartshore a établi.

 

[277]       M. Bourgh a déclaré que M. Gartshore avait organisé une réunion avec le ministre Irwin et son adjoint spécial au développement économique à l’occasion du Gold Show. Selon lui, la proposition a été expliquée au ministre. M. Bourgh a ajouté que l’on a dit au ministre que la scierie aurait besoin de 200 000 m3 de bois. Toujours selon lui, le ministre a déclaré : [traduction] « ça ne me paraît pas déraisonnable » et il a laissé à son adjoint spécial le soin de finir la réunion. M. Doughty aurait dit : [traduction] « si vous construisez une scierie qui emploiera une centaine de personnes, pourquoi est-ce que nous ne vous donnerions pas le bois? »; voir la page 644 des notes sténographiques.

 

[278]       En contre-interrogatoire, M. Bourgh a admis que personne n’avait concrètement promis d’accorder à LPL une tenure forestière. Fait important, il a déclaré que le MAINC lui avait dit qu’il y avait du bois disponible pour un projet tel que la scierie de LPL. Le MAINC lui a dit que [traduction] « une politique cohérente, consistant à attribuer du bois à une personne qui se présenterait et serait disposée à construire une scierie, était en voie d’élaboration et que l’on s’attendait à ce que cette politique soit terminée sous peu »; voir les pages 664-667 des notes sténographiques.

 

[279]       M. Staffen a déclaré (voir la page 907 des notes sténographiques) qu’au moment de discuter de la proposition de LPL de construire une scierie et du besoin d’un engagement à long terme de 200 000 m3 de bois, le ministre ou M. Doughty [traduction] « nous a clairement dit que si on le faisait, pourquoi est-ce que le gouvernement du Canada ne vous accorderait pas un permis de coupe? ».

 

[280]       À d’autres égards, le souvenir qu’avait M. Staffen de cette réunion ne concorde pas avec ce que les autres témoins ont dit. Il a déclaré qu’une seconde réunion était prévue pour le lendemain avec le ministre Irwin et M. Doughty. M. Staffen n’a pas été contre-interrogé sur l’engagement pris par le ministre ou M. Doughty, mais je ne conclus pas que son témoignage au sujet de cette réunion était fiable et je lui accorde peu de poids.

 

[281]       M. Staffen a également dit qu’après la réunion tenue avec le ministre Irwin et M. Doughty à Dawson City, LPL a décidé d’entreprendre des travaux de planification. Il a ajouté que les assurances du cabinet du ministre ont encouragé LPL à établir une offre et à vendre des actions au Yukon.

 

[282]       M. Gartshore a déclaré (voir la page 947 des notes sténographiques) qu’en rapport avec la demande de LPL au sujet d’un engagement à long terme de 200 000 m3 de fibre, M. Doughty avait déclaré ceci :

[traduction] [s]i l’on crée, disons, plus d’une centaine d’emplois dans une région en dépression sur le plan économique et si l’on crée une scierie et si l’on crée des emplois, pourquoi est-ce qu’on ne vous le donnerait pas? Pourquoi est-ce que le gouvernement ne le... bien sûr qu’il le ferait. Il s’est presque indigné à l’idée que nous pensions qu’on aurait de la difficulté à recevoir une telle entente de récolte de bois après un engagement important.

 

[283]       M. Gartshore a été contre-interrogé en détail sur la proposition que LPL a soumise au ministre et à son adjoint spécial au développement économique. Il n’a pas été contre-interrogé sur son témoignage selon lequel M. Doughty lui avait assuré que si LPL construisait une scierie qui créerait des emplois on lui donnerait accès au bois nécessaire.

 

[284]       Comme nous le verrons plus loin, je préfère le témoignage des témoins des demanderesses à celui de M. Irwin et M. Doughty. Ces deux témoins de la défenderesse n’étaient pas dignes de foi et leur témoignage n’est étayé ni par les témoignages de vive voix des autres témoins de la défenderesse, ni par les pièces documentaires.

 

[285]       À la suite du Gold Show, M. Ivanski a écrit une lettre à M. Bourgh, pour le compte de LPL, relativement à l’installation de bois de sciage proposée pour Watson Lake. Cette lettre, déposée en tant que pièce D‑23, porte la date du 4 juin 1996 et M. Ivanski y souligne que LPL avait demandé [traduction] « si le MAINC s’oppose fondamentalement au concept [...] » et informe M. Bourgh, pour le compte de LPL, de la nécessité de satisfaire aux conditions réglementaires, dont l’exécution d’évaluations environnementales. Il fait remarquer aussi que le fait de répondre à toutes les exigences applicables ne garantit pas l’octroi d’une tenure forestière.

 

[286]       M. Ivanski indiquait également dans la lettre du 4 juin que le MAINC n’avait pas entendu de demandes relatives à de nouvelles CRB avant que l’on mette au point une politique forestière générale. L’élaboration de cette politique comprenait l’élaboration d’un PAF.

 

[287]       Cet aspect de la lettre de M. Ivanski contredit les renseignements qu’a fournis le ministre Irwin à la députée représentant Watson Lake, l’honorable Audrey McLaughlin. Ceci est consigné dans une lettre de la députée à LPL, en date du 29 avril 1996; voir la pièce P‑79, onglet 31. La lettre de M. Ivanski ne concorde pas non plus avec celle qu’a envoyée le ministre Irwin, en date du 18 juin 1996, au membre de l’Assemblée législative (MAL) représentant Watson Lake, l’honorable John Devries; voir la pièce D‑20.

 

[288]       Le ministre Irwin a indiqué, tant à la députée qu’au MAL, que le MAINC était disposé à accepter des propositions d’affaires. Il a également assuré que l’on examinerait dûment toute proposition reçue. Une proposition d’affaires ne concerne qu’un CRB. Il n’était pas nécessaire de présenter une proposition d’affaires pour demander un PCC.

 

[289]       M. Ivanski a conclu sa lettre du 4 juin 1996 en souhaitant à LPL d’avoir du succès dans ses entreprises.

 

[290]       Dans sa lettre précédemment mentionnée du 18 juin 1996 à M. Devries, le ministre Irwin a expressément reconnu que la proposition initiale de LPL n’était pas adéquate. Dans ce contexte, on ne peut pas soutenir que la défenderesse se soit fondée sur la proposition initiale de LPL. Dans sa lettre, le ministre Irwin a déclaré : [traduction] « Je vous assure que nous examinerons dûment le projet une fois qu’une proposition aura été reçue » [Non souligné dans l’original].

 

[291]       Dans sa lettre du 7 juin 1996, M. Bourgh a remercié le ministre de lui avoir donné l’occasion de le rencontrer au Gold Show. Il a dit comprendre que la proposition de LPL serait sérieusement étudiée. M. Bourgh n’a pas fait référence aux engagements que MM. Irwin et Doughty avaient pris au Gold Show. Les demanderesses allèguent qu’il ne s’agissait pas d’un oubli ou d’une omission.

 

[292]       M. Gartshore a déclaré que l’absence de toute mention de l’engagement pris au Gold Show dans la lettre du 7 juin de M. Bourgh était une décision délibérée de la part de LPL. Cette décision avait été prise pour éviter d’offenser le DGR et le bureau régional du Yukon en les ayant [traduction] « court-circuités ». M. Gartshore a expliqué cette raison dans une lettre adressée à M. Brian Kerr le 17 juin, et déposée en tant que pièce P‑12.

 

[293]       MM. Gartshore et Staffen ont déclaré que M. Ivanski les avait rencontrés et fait part de son mécontentement face au fait que LPL l’avait court-circuité. M. Gartshore a déclaré que cette réunion avait eu lieu au Panda’s Restaurant, à Whitehorse, et M. Staffen déclare qu’elle a eu lieu dans le bureau de M. Ivanski. M. Bourgh s’est également souvenu d’avoir eu une réunion avec M. Ivanski au Panda’s Restaurant.

 

[294]       M. Ivanski a déclaré qu’il n’aurait pas été offusqué par le fait qu’un promoteur s’adresse directement au ministre, car il s’agissait là de la manière habituelle de faire des affaires au Yukon. Il a ajouté qu’il n’arrivait pas à se souvenir s’il avait eu une réunion avec LPL dans ce restaurant. Mais il n’a pas nié que cette réunion avait eu lieu. Il a également dit ne pas se souvenir de toutes les réunions avec LPL auxquelles il avait participé.

 

[295]       En soupesant la preuve, je conclus que cette réunion a bel et bien eu lieu et que M. Ivanski s’est dit mécontent que LPL s’était adressée directement au ministre. J’accepte l’explication de LPL quant à la raison pour laquelle elle n’a pas fait référence à l’engagement pris lors du Gold Show dans ses communications ultérieures. Il est raisonnable, à mon sens, que LPL ne se soit pas plainte tous les jours de la situation.

 

[296]       Dans une lettre datée du 15 juillet 1996, M. Ivanski a informé un homme du nom de Mueller qu’on n’avait reçu de LPL aucune proposition de récolte de bois. Il a qualifié la proposition de LPL de [traduction] « ébauche de concept ». Cette lettre établit que le Ministère ne se fiait pas au plan d’affaires initial de LPL; voir la pièce D‑24.

 

[297]       Pendant tout le reste de l’année 1996, LPL a continué à chercher des investisseurs et des capitaux pour financer sa proposition d’affaires. Elle a continué de promouvoir la construction de la scierie, d’établir des plans d’affaires et d’évaluer la disponibilité de bois. MMM. Gartshore et Gurney ont pris part à ces activités.

 

[298]       LPL était au courant que le plafond de récolte pour les unités Y01, Y02 et Y03 était de 350 000 m3 de bois par année. En septembre 1996, elle croyait que le plafond de récolte, dans les unités Y02 et Y03, augmenterait fort probablement, et non le contraire. Elle n’était pas au courant de la possibilité que, dans ces deux UAF, le plafond de récolte diminue.

 

[299]       En octobre 1996, LPL avait loué à bail un terrain en vue de la construction d’une scierie.

 

[300]       M. Bourgh a déclaré que LPL a été en contact constant avec le MAINC, s’informant du processus de tenure et demandant quand LPL allait recevoir du bois. L’inaction du MAINC le préoccupait.

 

[301]       Les plans d’affaires de LPL ont évolué à la longue. Le 4 novembre 1996, il y a eu une autre réunion entre LPL et des représentants du MAINC. À cette occasion, LPL a informé le MAINC qu’elle avait réduit l’envergure de son projet. Le plan d’affaires qui a été présenté au MAINC à cette occasion faisait maintenant état d’un investissement estimatif de 15 millions de dollars, s’articulant autour d’une scie de haute technologie, de marque HewSaw, de 45 travailleurs et de 100 emplois directs.

 

[302]       À cette époque, LPL estimait que l’établissement de la scierie ferait gagner au gouvernement fédéral 5 millions de dollars en économies et en revenus. Ce plan d’affaires de LPL soulignait que le MAINC et le GTY s’étaient engagés à fournir du bois aux scieries yukonnaises. LPL a également reconnu dans ce plan qu’elle était au courant que, d’après de récents rapports, une scierie spécialisée était une industrie prometteuse au Yukon.

 

[303]       Cet investissement proposé a été conçu autour d’une approche en deux phases. La phase 1 était la construction d’une installation de transformation de bois de type « HewSaw ». Une « HewSaw » est une machine fabriquée en Finlande et utilisée dans un environnement forestier semblable à celui de la région de Watson Lake.

 

[304]       La phase 2 envisageait la mise en place de séchoirs, de raboteuses et d’installations spécialisées. Avant l’achèvement de la phase 2, la scierie allait produire des articles de « bois vert », c’est-à-dire du bois non séché et raboté, pour les marchés nord-américains. Une fois la phase 2 terminée, la scierie se spécialiserait dans des produits d’exportation, destinés aux marchés asiatiques. Ces marchés avaient été confirmés par M. Bourgh.

 

[305]       La réunion du 4 novembre a été suivie d’une lettre, datée du 6 novembre, de la part de M. Bourgh, pour le compte de LPL, et adressée au ministre Irwin. Cette lettre a été déposée en tant que pièce D‑11, onglet 4. Elle a été introduite à titre de suivi de la réunion tenue lors du Gold Show.

 

[306]       Dans cette lettre, M. Bourgh informait le ministre que LPL avait réduit l’ampleur de la proposition d’affaires et il faisait le point sur l’évolution du projet de LPL d’établir une scierie à Watson Lake. Il a indiqué que la réduction était le résultat d’une importante étude de faisabilité et du plan d’affaires connexe. Dans sa lettre, il expliquait aussi l’approche en deux phases, dans le cadre de laquelle l’expansion se ferait graduellement.

 

[307]       Dans sa lettre du 6 novembre, M. Bourgh a demandé que le ministre s’engage à accorder un approvisionnement en bois à long terme d’environ 200 000 m3. Il a de plus ajouté :

[traduction] Nos besoins initiaux en bois seront d’environ 192 000 m3 de fibre par année. Nous sommes disposés à acheter une partie du bois auprès de détenteurs de permis existants; cependant, le marché du bois d’œuvre nous a informés que nous avons besoin d’un approvisionnement sûr grâce à une forme quelconque d’engagement à l’égard d’une tenure à long terme. Il nous est maintenant possible d’acheter du bois auprès de titulaires de permis de coupe actuels. Le marché a informé Liard Plywood and Lumber Manufacturing Inc. qu’il est nécessaire de disposer d’une forme quelconque de tenure de récolte.

La demande que nous vous soumettons, en votre qualité de ministre, est de fournir à notre entreprise un engagement à l’égard d’un approvisionnement en bois à long terme. Le contrat d’approvisionnement en bois pourrait être subordonné à la construction et à l’exploitation de notre installation de transformation de bois, à un plan d’aménagement forestier acceptable ainsi qu’à l’exécution fructueuse d’une évaluation environnementale.

Nous sommes conscients qu’un processus a été établi pour élaborer une politique d’aménagement forestier à long terme pour le Yukon. Les discussions entourant les modes de tenure nous incitent à croire qu’une scierie comme la nôtre obtiendra de l’aide pour avoir accès au bois dont elle a besoin. Cependant, nous avons besoin à cour terme d’une forme quelconque d’entente d’approvisionnement en bois de la part du gouvernement fédéral.

 

[308]       M. Ivanski a également donné suite à la réunion du 4 novembre 1996 en envoyant un courriel à M. Doughty, l’adjoint spécial au développement économique du ministre Irwin. Dans ce document, il a demandé s’il fallait qu’il transmette à LPL des [traduction] « ondes positives ou négatives »; voir la pièce P‑79, onglet 38.

 

[309]       Avant la fin du mois de novembre 1996, LPL avait l’intention de tenir dans son parc à bois un stock de fibre bon pour trois mois, soit environ 48 000 m3. LPL s’était engagée à acheter du bois auprès d’entreprises forestières locales afin d’exploiter ses activités à mi-capacité, avec un seul quart de travail, pendant les deux années suivantes.

 

[310]       M. Bourgh s’est rendu en Finlande afin d’étudier l’utilité de la machine HewSaw pour la scierie de Watson Lake. Un acompte a été déposé sur le prix de 7 445 000 $ mais, en fin de compte, LPL a décidé de ne pas conclure l’achat et a choisi une autre machine.

 

C. 1997

[311]       À la fin de 1996 ou au début de 1997, pendant qu’ils faisaient des recherches sur les scieries qui utilisaient une machine HewSaw, MM. Brian Kerr et Gartshore sont entrés en contact avec M. Pat Clarke, directeur général de RePap, une vaste entreprise de sciage de bois exploitée à Smithers (Colombie-Britannique). M. Clarke a recommandé que LPL n’achète pas la machine HewSaw. Il a suggéré plutôt qu’une bonne machine d’occasion, si elle était correctement remise à neuf et mise en place, répondrait aux mêmes besoins à un prix inférieur.

 

[312]       À cette fin, M. Clarke a mis M. Kerr en contact avec le Groupe B.I.D. Il a fait cette recommandation parce que le Groupe B.I.D., dirigé par des membres de la famille Fehr, avait de l’expérience dans la réparation et la remise à neuf de matériel de scierie, dans la construction et l’exploitation de scieries, ainsi que dans la transformation secondaire du bois. Les bureaux du Groupe B.I.D., un atelier de fabrication d’acier et une usine de fabrication de bois, sont situés à Vanderhoof.

 

[313]       M. Brian Kerr a déclaré que pendant qu’il était à Smithers, il a téléphoné à M. Fehr, qui se trouvait à Vanderhoof. M. Fehr lui a proposé de venir le rencontrer sur place sans délai. MM. Kerr et Gartshore ont sauté dans le camion de M. Kerr et, le jour même, ils ont fait les trois heures de route jusqu’à Vanderhoof.

 

[314]       Le même jour, M. Fehr a aussi organisé une visite, à bord d’un petit avion, de différents projets du Groupe B.I.D. en Colombie-Britannique. Ce voyage avait pour but de permettre a M. Fehr de montrer à MM. Kerr et Gartshore des projets qui illustraient les capacités de construction du Groupe B.I.D. Ce dernier avait pris part à plusieurs projets de grande envergure pour de gros intervenants dans l’industrie forestière de la Colombie-Britannique.

 

[315]       Quelque temps après la première visite à Vanderhoof, LPL a acheté et mis en place une petite scierie mobile, une « Scragg Mill », c’est-à-dire une machine formée de scies circulaires jumelées, à l’emplacement de la scierie, à l’ouest de Watson Lake. Cependant, il n’a jamais été prévu d’utiliser cette installation à long terme. Cette machine a plus tard été saisie car le titre qu’avait le vendeur sur elle n’était pas libre.

 

[316]       Après les premières discussions avec ces représentants de LPL, MM. Fehr et Spencer se sont rendus à Watson Lake pour examiner l’emplacement de la scierie et sonder le terrain.

 

[317]       De plus, au début de 1997, le bureau régional du MAINC rédigeait une réponse à la lettre du 6 novembre 1996 de LPL. Selon MM. Ivanski et Sewell, il était d’usage que le bureau régional ébauche la réponse aux lettres transmises au ministre au sujet de questions concernant la région. M. Monty a déclaré avoir contribué d’une certaine façon à la rédaction de cette lettre. La lettre de réponse était datée du 13 mars 1997 et portait la signature du ministre.

 

[318]       La lettre datée du 13 mars de M. Irwin, en sa qualité de ministre, a été expressément écrite en réponse à la lettre de LPL datée du 6 novembre 1996. Ce document a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 52, et la partie applicable de ce document mentionne ce qui suit :

[traduction]

[...]

En vertu de la politique d’attribution provisoire actuelle du MAINC, une quantité de plus de 350 000 m3 de bois est disponible en vertu de permis de coupe commerciale dans la région de Watson Lake. Je crois savoir que ce niveau de récolte devrait rester le même jusqu’à ce que l’on fixe de nouveaux niveaux dans le cadre du processus consultatif d’élaboration de plans d’aménagement forestier durable pour les unités d’aménagement forestier les plus touchées par l’emplacement de votre scierie. Ces plans seront terminés d’ici deux ou trois ans. Dans l’intervalle, votre installation pourra obtenir des stocks de bois auprès des titulaires de permis locaux au cours des prochaines années.

L’élaboration d’une politique forestière exhaustive a débuté en décembre 1996. Cette politique portera sur des questions clés concernant les droits de coupe, les attributions, les modes de tenure ainsi que d’autres éléments importants concernant la gestion forestière. Votre entreprise demande qu’une tenure à long terme soit conclue entre elle et la Couronne. Il est nécessaire que les Yukonnais définissent les formes de tenure à long terme qu’ils veulent. En attendant la fin des consultations menées sur les tenures à long terme, les attributions existantes se poursuivront jusqu’à ce que l’on ait mis au point la nouvelle stratégie et les politiques connexes. À l’exception des permis de coupe commerciale et du bois récupéré, aucune attribution nouvelle ne sera accordée avant que l’on ait mis la dernière main à la stratégie d’attribution, après avoir dûment consulté les Premières nations, le gouvernement du Yukon, l’industrie, les intervenants et le grand public.

Je vous souhaite tout le succès possible dans votre projet, car je crois que les projets tels que le vôtre conviennent idéalement au Yukon. J’espère que votre entreprise aidera activement les Yukonnais à créer une nouvelle politique forestière exhaustive.

[Non souligné dans l’original.]

 

[319]       Au dire de M. Bourgh, qui s’exprimait pour le compte de LPL, cette lettre l’a réconforté. Comme c’était le ministre, et personne d’autre, qui répondait à la lettre de LPL, il a cru que le MAINC s’intéressait toujours à la proposition de LPL. Dans cette lettre, LPL avait demandé que l’on prenne un engagement à l’égard d’un approvisionnement en bois de longue durée.

 

[320]       C’est ainsi qu’au cours des mois qui ont suivi, LPL a poursuivi ses efforts pour attirer des investisseurs et a donné suite aux discussions menées avec le Groupe B.I.D.

 

[321]       En date du 13 mars, soit la date de la lettre du ministre Irwin, LPL était au courant des politiques de la défenderesse et des règlements régissant les activités forestières au Yukon. Elle savait aussi qu’on ne lui délivrerait qu’un seul PCC à la fois et que le volume maximal prévu pour un tel permis était de 15 000 m3.

 

[322]       En avril 1997, M. Bourgh a cessé de participer activement aux activités de LPL.

 

[323]       À cette époque à peu près, il y a eu une réunion à Vanderhoof entre LPL et le Groupe B.I.D. Cette réunion avait pour but de discuter de la participation du Groupe B.I.D. à la construction de la scierie à Watson Lake.

 

[324]       Dans une lettre datée du 1er mai 1997, du Groupe B.I.D. à LPL, et écrite par M. Fehr à l’attention de M. Brian Kerr, B.I.D. a fait part de son intérêt à participer au projet de scierie. Cette lettre a été déposée en tant que pièce D‑81, onglet 412. M. Fehr déclarait dans ce document que le Groupe B.I.D. était intéressé à la construction et à l’installation d’une scierie « clés en main ». Le coût estimatif était de 1 000 000 $; la moitié de cette somme serait payée au comptant et le reste en actions de LPL.

 

[325]       À la même époque environ, le MAINC a commandé une étude intitulée « Kaska Forest Products Sawmill Project » (le projet de scierie de Kaska Forest Products), qui avait pour objet de [traduction] « faire un survol des activités de mise en marché et des produits sur lesquels se concentrerait une nouvelle scierie spécialisée, ainsi qu’un plan conceptuel/d’implantation du type d’usine » qui étaient recommandés pour KFR; voir la pièce P‑79, onglet 55.

 

[326]       Ce rapport, établi par Sterling Wood Group Inc., a conclu que la formule appropriée était une approche en deux phases. Il recommandait essentiellement la même approche que celle que suivraient les coentrepreneurs dans le cadre de la construction de la scierie de Watson Lake. Il recommandait également que la construction comprenne du matériel de sciage d’occasion et remis à neuf. Les principaux marchés suggérés étaient le Japon, la Corée et Taïwan. Ce rapport est daté du 21 avril 1997.

 

[327]       En juillet 1997, le Groupe B.I.D. était intéressé à continuer, mais il subsistait des doutes dans son esprit quant à la disponibilité d’un approvisionnement en bois. M. Brian Kerr a donc organisé une réunion avec le MAINC à Whitehorse pour discuter de la question.

 

[328]       Le 13 juillet 1997, M. Fehr a écrit à M. Brian Kerr, et cette lettre a été déposée en tant que pièce D‑11, onglet 103. Dans ce document, M. Fehr indique ce qui suit :

[traduction]

[...]

J’ai passé en revue votre plan d’affaires avec Keith et je crois qu’il serait bon que votre projet aille de l’avant. Comme je l’ai dit auparavant, je crois que L.P.L. a un trop lourd bagage pour être l’entreprise exploitante. Il serait bon, selon moi, de trouver un nouveau nom pour la société en nom collectif dont nous avons parlé. L.P.L. fera partie d’une coentreprise ou d’une société en nom collectif avec le groupe exploitant et sera représentée au conseil de l’entreprise exploitante en fonction de son pourcentage de propriété.

[...]

Il faut aussi que nous discutions sérieusement d’un plan concernant la façon de garantir un approvisionnement en bois suffisant. Jusqu’ici, nous nous sommes fiés à votre conviction qu’il y a là‑bas un manque de concurrence. Ce genre de situation change rapidement. Nous pouvons aider à établir des propositions destinées au gouvernement pour tenter d’obtenir plus de sécurité. Ces choses devraient se faire avant la construction d’une scierie, comme nous en avons parlé plus tôt. Il est à espérer que nous pourrons montrer au gouvernement, avant l’hiver, que notre intention est sérieuse et, pendant toute l’année suivante, nous pourrons bien lui faire comprendre l’absolue nécessité d’une tenure plus sûre.

 

[329]       La réunion a eu lieu le 15 juillet, d’après le sommaire des documents financiers qui a été déposé à l’audience du 11 juillet 2008. À cette réunion ont assisté les frères Kerr, représentant LPL, MM. Fehr et Spencer, représentant le Groupe B.I.D., de même que MM. Monty et Gladstone, représentant le Ministère. C’est à cette réunion que les demanderesses disent qu’une annonce a été faite à LPL. Cette dernière et le Groupe B.I.D. se sont fiés à cette annonce pour donner suite au projet de scierie.

 

[330]       À la suite de cette réunion, LPL et le Groupe B.I.D. ont continué de s’occuper de la construction d’une scierie à Watson Lake. Ce travail s’est poursuivi pendant tout le reste de 1997 et jusqu’en octobre 1998, quand la scierie a débuté ses activités. La scierie a été bâtie en modules à Vanderhoof et ceux-ci ont ensuite été transportés par voie routière depuis la Colombie‑Britannique.

 

[331]       LPL et 391605 B.C. Ltd., une entreprise associée au Groupe B.I.D., ont décidé d’utiliser du matériel existant, y compris de l’équipement d’occasion, remis à neuf. De l’avis de M. Fehr, la taille de la scierie proposée et le volume prévu du bois à transformer, soit 200 000 m3 par année, ne justifiaient pas le coût en capital que représentait l’utilisation de matériaux et d’équipements tout à fait neufs. Il avait une vaste expérience de la démolition d’anciennes scieries, de l’installation de nouvelles scieries ainsi que du recyclage, de la remise en état et de la réutilisation de matériaux et d’équipement, et il était convaincu que cette démarche mènerait à une installation de sciage qui conviendrait à la tâche à accomplir.

 

[332]       Comme il a été mentionné plus tôt, l’utilisation d’équipement remis à neuf a été recommandée au MAINC, par l’un de ses propres consultants, c’est-à-dire Sterling Wood, au sujet d’une scierie à construire à Watson Lake.

 

[333]       Pendant tout l’été et l’automne de 1997, il y a eu des réunions entre LPL et le Groupe B.I.D. au sujet de l’avancement du projet de scierie de Watson Lake.

 

[334]       À la fin de 1997, LPL et 391605 B.C. Ltd. travaillaient toujours à la conception et à la construction de la scierie. M. Fehr s’est qualifié de [traduction] « surveillant » en rapport avec la fabrication de la scierie, y compris la mise en place de l’équipement. Il s’est rendu à plusieurs reprises à Watson Lake. Il a vu la scierie quand elle était opérationnelle. Il était satisfait de ce qu’il avait vu et il était convaincu que la scierie et l’équipement convenaient aux fins requises.

 

[335]       Le 5 novembre 1997, SYFC a été constituée en société en vertu des lois du Yukon. Cette société était l’entité exploitante de la coentreprise. Une entente de coentreprise a été créée entre LPL et 391605 B.C. Ltd. et cette entente a été officialisée dans un contrat écrit, daté du 30 janvier 1998 (la première entente de coentreprise).

 

[336]       Il est évident que les coentrepreneurs, SYFC, LPL et 391605 B.C. Ltd., ont construit la scierie à Watson Lake, et c’est ce que je conclus.

 

[337]       LPL a exécuté des activités forestières pour la scierie à partir de 1998 jusqu’à la fermeture en août 2000.

 

[338]       M. Kerr faisait partie de l’équipe de fabrication. On a fait appel à ses compétences comme entrepreneur en électricité pour aider à construire la scierie. Il a déclaré que cette dernière avait été fabriquée à Vanderhoof sous la direction chevronnée de M. Fehr et de M. Spencer.

 

[339]       M. Kerr a déclaré que MM. Spencer et Fehr, qui avaient une vaste expérience de la conception de scieries, ont supervisé la conception et la fabrication de la scierie. M. Paul Heit, lui aussi du Groupe B.I.D., a été chargé de trouver le bois brut pour la scierie. M. Kerr a suivi une formation pour devenir le directeur de la scierie et il est allé à Vanderhoof pendant la construction de cette dernière. Même s’il avait une solide connaissance de la façon dont fonctionnaient les machines des scieries, du fait de ses antécédents il n’avait aucune expérience de la gestion d’une telle installation. M. Spencer avait de nombreuses années d’expérience dans ce domaine. Sous la supervision de ce dernier, M. Kerr a été formé pour assumer la direction de la scierie.

 

[340]       À la même époque où SYFC, LPL et 391605 B.C. Ltd. procédaient à la conception et à la construction de la scierie, le MAINC continuait de s’occuper du défaut de KFR de se conformer aux conditions dont son CRB était assorti et de construire une scierie. Une lettre datée du 20 novembre 1997, déposée en tant que pièce P‑80, onglet 21, de la part de M. Monty à Mme Guscott, reflète la position du MAINC en rapport avec l’établissement d’une échéance pour le renouvellement du CRB de KFR. Dans cette lettre, M. Monty écrit que [traduction] « [d]ès que Kaska Forest Resources aura un partenaire “viable”, capable de produire une scierie “viable”, nous pourrons alors parler d’une échéance ferme ».

 

D. 1998

[341]       La première entente de coentreprise a été signée le 30 janvier 1998. Elle a été déposée en tant que pièce D‑11, onglet 108. Les parties à cette entente étaient LPL et 391605 B.C. Ltd. Elle faisait état de l’intention de ces parties d’exploiter la scierie à titre de coentreprise. Il y était mentionné que LPL avait déjà pris de nombreuses mesures en vue de l’implantation d’un complexe de fabrication de bois à Watson Lake, dont les [traduction] « discussions préliminaires avec le gouvernement du Canada en vue d’acquérir des droits de coupe ».

 

[342]       Je conclus que ces discussions préliminaires incluaient la réunion tenue avec le MAINC le 15 juillet 1997. Je conclus également qu’elles comprenaient l’engagement pris par le MAINC, à savoir que si une scierie était construite, on mettrait à sa disposition un approvisionnement en fibre à long terme suffisant.

 

[343]       Dans la première entente de coentreprise, la contribution de LPL à la coentreprise comprenait la [traduction] « présentation du projet à la Société », 625 000 $ en argent comptant, l’emplacement de la scierie et toute autre capitalisation requise. La contribution de 391605 B.C. Ltd. comprenait la fourniture et l’installation d’équipement de sciage ainsi que les services de MM. Spencer et Cliff Harrison durant cinq mois [traduction] « afin de fournir des services de formation en gestion et de consultation en matière de mise en marché ».

 

[344]       Les services de MM. Spencer et Harrison ont été fournis dans le cadre d’une entente de gestion distincte, pendant une période de cinq mois. Cette entente de gestion est l’annexe « C » jointe à l’entente de coentreprise. Elle a été signée le 30 janvier 1998.

 

[345]       Une réunion a eu lieu entre les coentrepreneurs le 26 février 1998. À cette occasion, M. Alan Kerr a informé ces derniers que Me Terry Boylan, l’avocat de SYFC, s’était fait dire par un [traduction] « représentant du MAINC » que [traduction] « SYFC n’a qu’à aller de l’avant et mettre en place une scierie fonctionnelle, après quoi le bois sera disponible ». Le procès-verbal de cette réunion est la pièce D‑11, onglet 109.

 

[346]       Au début de 1998, la construction de la scierie était bien avancée. Les efforts faits pour obtenir un approvisionnement en bois se poursuivaient. Cependant, à cette époque, les coentrepreneurs commençaient à se préoccuper de la disponibilité d’un approvisionnement en bois à long terme; voir la pièce D‑11, onglet 109. À cette époque, la fabrication de la scierie à Vanderhoof était presque terminée.

 

[347]       En mars 1998, M. Henry, un fonctionnaire au service du MAINC dans la région du Yukon, a établi l’AAF préliminaire, pièce D‑58. Ce rapport évaluait les niveaux de récolte à cette époque-là, relevait les données nécessaires pour déterminer la PCA, créait un outil destiné à évaluer les options de gestion fondées sur l’écosystème et fixait un approvisionnement en bois estimatif pour les discussions relatives à une économie forestière durable. M. Henry a reconnu que ce rapport était lié à l’approvisionnement en fibre pendant toute la durée du processus des PCC.

 

[348]       Le MAINC a reconnu que cette AAF était une stratégie concernant un approvisionnement en bois à court terme; voir la pièce P‑79, onglet 64. Cela concorde avec le témoignage de M. Henry selon lequel l’AAF a été créée pour le processus des PCC. Je conclus que l’AAF n’était pas pertinente pour la question de l’approvisionnement en bois à long terme.

 

[349]       M. Henry a expliqué (voir la pièce D‑49) que le travail d’AAF a été effectué parce que les niveaux de récolte pour l’année 997-1998 suscitaient des préoccupations et qu’il était nécessaire de déterminer, pour les efforts de développement économique, une durabilité à long terme. Il a expliqué que le niveau de PCA antérieur de 350 000 m3 était plus ou moins fondé sur l’ébauche du rapport Sterling Wood.

 

[350]       Mme Guscott a confirmé aussi que l’ouverture de nouveaux secteurs de récolte changerait les résultats de l’AAF; voir la pièce P‑79, onglet 103.

 

[351]       En mars 1998, l’installation de sciage était terminée et prête à être livrée et assemblée à Watson Lake. L’installation signifierait la fin de l’étape 1. À cette époque, les coentrepreneurs ont décidé que la phase 2 allait être lancée quand il serait possible de le faire.

 

[352]       Pendant l’été de 1998, le Ministère n’a pas pu délivrer comme il faut à l’industrie forestière des permis pour l’approvisionnement en bois. Cela était dû à la conduite d’employés du MAINC. Il s’agit là d’une conclusion irrésistible, tirée des propres documents internes du Ministère, datés de mai à juin 1998; voir, par exemple, la pièce P‑79, onglets 70, 71, 72 et 73.

 

[353]       À la fin de l’été de 1998, le Ministère a commencé à envisager la possibilité que KFR participe à la coentreprise de SYFC en exploitant la scierie de Watson Lake. Il s’inquiétait du défaut de KFR de satisfaire à la condition dont son CRB était assorti, à savoir la construction et l’exploitation d’une scierie. M. Sewell allait plus tard dire du MAINC que celui-ci avait [traduction] « poussé » KFR vers SYFC; voir la pièce P‑79, onglet 144, à la page 1386.

 

[354]       Le défaut de KFR de construire et d’exploiter une scierie était considéré comme un [traduction] « grave manquement » aux conditions imposées à l’attribution du CRB. Un exposé interne du Ministère souligne ce qui suit :

[traduction

·                    Une solide industrie de transformation du bois représenterait un développement économique important pour le Yukon.

·                    Une scierie, comme l’exige le CRB, garantirait que la transformation initiale du bois que prévoit le CRB a lieu au Yukon

·                    Une capacité de sciage additionnelle profiterait à d’autres exploitants titulaires d’un PCC dont les exigences légales concernant la transformation locale de leur grume de sciage pourraient jouer un rôle de premier plan dans le renforcement des capacités des Premières nations et des collectivités de petite taille.

·                    Cela améliorera les possibilités d’emploi générales, surtout dans le sud-est du Yukon

Cet exposé est la pièce 80, onglet 26.

 

[355]       M. Sewell, DGR de la région du Yukon, était en faveur de l’union de KFR et de LPL dans le cadre de la coentreprise. La proposition exigeait que KFR utilise des fonds de fiducie que détenait le gouvernement du Canada. M. Sewell était aussi en faveur d’une prolongation du CRB de KFR. Dans un message électronique, daté du 15 septembre et déposé en tant que pièce P‑79, onglet 78, qui était adressé à M. Beaubier, à l’Administration centrale du MAINC à Ottawa, M. Sewell a déclaré :

[traduction]

[...]

Est-ce que l’achat d’une part de la scierie nouvellement construite est une utilisation admissible du fonds pour scierie auquel contribue KFR?

[...]

D’après ce qu’on m’a dit, le CRB complète expire en mai 1999. Un processus a été établi pour s’orienter vers l’examen d’un futur CRB pluriannuel.

[...] les échéances ont été sérieusement manquées à cause de l’absence d’un associé pour KFR

[...]

Il semble que l’objectif de faire en sorte que le CRB soutienne une scierie réelle (quoique conçue seulement pour traiter des billes de plus petite taille [...] 10 pouces, je crois) soit peut-être sur le point de se concrétiser.

[Non souligné dans l’original.]

 

[356]       Le 17 septembre, le Ministère avait décidé que la coentreprise constituait une utilisation valable des fonds de fiducie détenus dans le [traduction] « fonds pour scierie ». Cette dépense était subordonnée à une évaluation de la scierie de la coentreprise ainsi qu’à la conclusion d’une entente de coentreprise.

 

[357]       La pièce D‑81, onglet 402 est le Guide du client de 1998-1999, daté de septembre 1998. Ce document énonce l’objet des conditions d’admissibilité : offrir à tous les candidats qualifiés un accès juste et équitable à l’utilisation d’une [traduction] « ressource forestière limitée ». Certains permis concernaient des volumes supérieurs à 1 000 m3 et tous les candidats souhaitant obtenir un volume supérieur à ce niveau, jusqu’à concurrence de 15 000 m3, devaient être évalués, conformément à l’article 4.2 du Règlement sur le bois du Yukon.

 

[358]       Le Guide du client expliquait que les plafonds de récolte pour 1998-1999 allaient être déterminés en fonction de l’AAF préliminaire menée en 1998. Le plafond de récolte total pour 1998-1999, pour l’ensemble du Yukon, était fixé à 356 500 m3. Le plafond de récolte relatif à l’unité Y02 (Coal) et l’unité Y03 (Liard) était fixé à 50 000 m3 et 78 000 m3, respectivement, soit 128 000 m3 en tout.

 

[359]       Comme je l’ai déjà souligné, le plafond de récolte pour l’année précédente était de 350 000 m3 de bois pour l’UAF du sud-est. Le plafond relatif au reste du Yukon avait été antérieurement fixé à 100 000 m3.

 

[360]       M. Heit a témoigné qu’il était au courant que le plafond de récolte applicable aux unités Y02 et Y03 avait été abaissé de 350 000 m3 à 128 000 m3.

 

[361]       Ce Guide du client fait référence, à la page 2618, à une [traduction] « région de récolte de bois de sciage ». Pour avoir accès à du bois, un candidat doit posséder un site de sciage enregistré. Ce document présente les dispositions réglementaires applicables, de même que le chapitre 17 de l’entente cadre finale.

 

[362]       Il n’y a eu aucune preuve directe au sujet de l’importance - ou non - du chapitre 17 de l’entente cadre finale, encore que M. Monty y ait fait vaguement référence. M. Sewell, en témoignant pour le compte de la défenderesse, a fait référence à une reprise au moins à ce document, mais sans explication aucune.

 

[363]       Dans les mois qui ont précédé l’ouverture de la scierie en octobre 1998, LPL et SYFC ont pris des dispositions pour obtenir un approvisionnement en bois. Elles l’ont fait en signant des ententes avec des entrepreneurs forestiers locaux.

 

[364]       M. Heit a déclaré que le processus des PCC n’a pas fonctionné à court terme, mais cela ne veut pas dire qu’il n’aurait pas pu fonctionner. Il a également dit que ce n’était pas tous les titulaires d’un PCC qui souhaitaient faire affaire avec SYFC. Néanmoins, l’approvisionnement en bois à court terme de la scierie a été obtenu par l’entremise du processus de PCC existant.

 

[365]       Les demanderesses étaient au courant, avant l’ouverture de la scierie en octobre 1998, que KFR avait conclu une entente de récolte de bois et que cette société pouvait vendre du bois visé par son CRB sans devoir obtenir au préalable la permission du Ministère.

 

[366]       La scierie a ouvert en octobre 1998 et elle a fermé quelques mois plus tard, à cause d’un approvisionnement en bois insuffisant. La scierie a été installée par la coentreprise à Watson Lake, à l’endroit que LPL avait loué à bail. Elle a été assemblée sur place après avoir été fabriquée à Vanderhoof. Elle consistait en un bâtiment déposé sur une dalle de béton de 20 000 pieds carrés.

 

[367]       La scierie comprenait un système de tri extérieur, conçu pour couper le bois à la bonne longueur après l’avoir écorcé. Le site comprenait une balance destinée à peser le bois. Le poids de ce dernier servait à calculer les droits de coupe à payer au gouvernement ainsi qu’à enregistrer le stock présent dans le parc à bois. En outre, il y avait deux machines de transformation destinées à retirer des billes les branches ou morceaux de branche, appelés « nez ».

 

[368]       La scierie, telle que construite, a été conçue en fonction de billes d’un diamètre moyen de 7 pouces et elle exigeait un volume moyen de 16 000 m3 de bois par mois, à raison de deux quarts de travail. Cela donnait une quantité d’environ 200 000 m3 par année. La scierie a été construite pour produire 100 000 pieds-planche par quart de travail.

 

[369]       M. Spencer a déclaré que lorsque la scierie a commencé à fonctionner en octobre 1998, il était à l’aise avec la conception de cette dernière et son équipement.

 

[370]       La scierie, telle que construite, était une installation à dimensions spécifiées, capable de produire un large éventail de produits. Elle produisait du [traduction] « bois vert brut », soit le produit qui découle de l’installation de sciage principale. Il reste ensuite à sécher le bois et à le raboter pour obtenir un produit fini.

 

[371]       La scierie avait été prévue pour intégrer trois phases d’exploitation indépendantes, la première étant la transformation des billes en bois vert brut, suivie du séchage et du rabotage qu’exigeait le produit fini. M. Spencer a expliqué que l’expression « bois vert brut » signifie que le bois est scié un peu et ensuite expédié en vue de subir une transformation additionnelle. La première phase était une étape intérimaire destinée à démontrer la capacité de la scierie et d’obtenir ainsi une tenure à long terme du MAINC.

 

[372]       La deuxième phase comprenait l’ajout de séchoirs et d’une raboteuse, et cette partie-là de l’installation ne s’est pas matérialisée. La raboteuse produit des côtés finis, à surface lisse, pour le marché. Le séchoir sèche le bois vert jusqu’à ce que sa teneur en humidité soit inférieure à 19 %. La deuxième phase incluait une installation de cogénération destinée à produire de la chaleur, pour sécher le bois, ainsi que de l’électricité, pour faire fonctionner la scierie et être vendue dans le réseau électrique local.

 

[373]       Une troisième phase a aussi été envisagée au départ. Elle consistait à construire une installation de resciage finale afin d’optimiser l’utilisation du bois et de procurer une « valeur ajoutée » supplémentaire aux produits de la scierie.

 

[374]       À l’exception des membres de la direction, les travailleurs venaient de la ville de Watson Lake. Il s’agissait de membres et de non-membres des Premières nations. M. Keith Spencer est resté sur place pendant plusieurs mois pour superviser les opérations. M. Brian Kerr a été embauché comme directeur de la scierie. M. Heit était chargé de trouver l’approvisionnement en bois. M. Kerr a déclaré que quand la scierie a commencé à fonctionner avec un seul quart de travail, 27 ou 28 personnes travaillaient sur place. Pour deux quarts de travail, le nombre de travailleurs doublerait.

 

[375]       En octobre 1998 ou aux environs de cette date, SYFC a présenté une proposition initiale en vue d’obtenir des fonds fédéraux pour aider à former les nouveaux travailleurs de la scierie. La demande a été soumise au Fonds transitoire pour la création d’emplois (FTCE) du gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de Développement des ressources humaines Canada (DRHC).

 

[376]       En outre, en novembre 1998, le Ministère s’est lancé dans son processus d’établissement de CRB. Ce processus était censé inclure de vastes consultations auprès des Premières nations et des intervenants. Il a débuté par des documents de travail et des consultations sur la façon de mettre au point le processus. Dans l’ébauche de proposition de processus du Ministère, déposée en tant que pièce D‑81, onglet 227, il est souligné qu’un PAF est le principal document à soumettre avant qu’on puisse autoriser un CRB quelconque. En outre, il est dit que, dans le cadre d’un CRB, c’est la moitié seulement (50 %) du bois dont une scierie a besoin qui est habituellement attribuée.

 

[377]       L’annonce à laquelle se sont fiées les demanderesses a été faite en juillet 1997. En octobre 1998, elles avaient déjà bâti la scierie et lancé les opérations à Watson Lake. L’ébauche de proposition de processus de CRB n’a pas été écrite avant novembre 1998.

 

[378]       Le Ministère avait annoncé qu’un approvisionnement en bois suffisant serait disponible. Pour la scierie des demanderesses, « suffisant » voulait dire 200 000 m3. Il n’était pas loisible à la défenderesse de changer la quantité de bois qu’elle s’était engagée à fournir après la construction de la scierie.

 

[379]       Les difficultés que le Ministère a eues avec ses employés pendant tout l’été de 1998 se sont poursuivies au cours de l’automne suivant. Comme l’a souligné la chef Anne Bayne de la PNL, dans sa lettre du 5 novembre 1998 :

[traduction] Nous sommes fort inquiets de la manière dont vos fonctionnaires des forêts exécutent leur mandat [...] mécontents des décisions unilatérales du Ministère [...] et du manque de communications sur les mesures à venir. Nous vous prions d’examiner les approches opérationnelles de vos fonctionnaires et l’effet que leur comportement aura sûrement sur la relation à long terme entre votre ministère et notre Première nation.

 

[380]       Le Ministère subissait manifestement des pressions considérables, mais il ne s’occupait pas des fardeaux additionnels d’une manière raisonnable. À cet égard, je me reporte à la pièce P‑79, onglet 88. Dans cette lettre, Mme Guscott, la directrice des Ressources renouvelables, déclare : [traduction] « faites en sorte qu’ils disparaissent de la charge de travail de la directrice ». Cette remarque visait d’autres propriétaires de scierie qui avaient eux aussi de la difficulté à s’approvisionner en bois.

 

[381]       M. Brian Kerr a écrit à M. Fentie, le Commissaire aux forêts du GTY, en novembre 1998. Cette lettre était liée aux difficultés constantes à obtenir de la fibre; voir la pièce D‑11, onglet 117.

 

[382]       La scierie a été active jusqu’en décembre 1998. Les demanderesses soutiennent qu’elle a mis fin à ses activités à cause d’un manque d’approvisionnement en fibre. Je conclus, sur la foi des témoignages de vive voix des demanderesses – et ces témoignages concordent avec la preuve documentaire - que la scierie a bel et bien mis fermé à cause d’un manque d’approvisionnement en bois.

 

[383]       Le principal souci de SYFC était d’obtenir du bois en quantité suffisante et, à cet égard, il y a eu des communications et des réunions constantes avec le Ministère. M. Heit a pris part à certaines de ces réunions. Il a déclaré qu’au début il a cru comprendre que le processus à suivre pour obtenir un CRB pouvait durer [traduction] « plus d’un an »; ce délai a plus tard été prolongé.

 

E. 1999

[384]       En janvier 1999, l’approvisionnement en bois était devenu crucial. La scierie avait fermé en décembre 1998. De plus en plus inquiètes, les demanderesses ont continué à communiquer avec le Ministère à Whitehorse, demandant des garanties que l’on mettrait à leur disposition un approvisionnement continu en bois, soit la quantité requise de 200 000 m3 par année.

 

[385]       Une nouvelle coentreprise a été officialisée par une entente de coentreprise (la seconde entente de coentreprise), et sa date d’entrée en vigueur a été le 1er janvier 1999. Cette entente, la pièce D‑81, onglet 418, annulait et remplaçait la précédente. À ce moment, les coentrepreneurs avaient changé et 391605 B.C. Ltd. n’était plus partie à l’entente. Cette dernière a été conclue entre LPL, Nechako Construction Ltd. (Nechako) et SYFC. M. Fehr a déclaré que Nechako est une société apparentée faisant partie du Groupe B.I.D.

 

[386]       Aux termes de cette entente, LPL et Nechako concluaient une coentreprise en vue de construire et d’exploiter un complexe de fabrication de bois dans le secteur situé à 2 kilomètres à l’ouest de Watson Lake. Les contributions de LPL comprenaient un soutien financier, de même que son intérêt dans la scierie, dans l’équipement et dans l’emplacement. La contribution de Nechako incluait une expertise liée à la conception, à la fabrication et à l’installation ainsi que son intérêt dans la scierie. SYFC était l’entité exploitante et elle détenait le titre légal simple sur les éléments d’actif de la coentreprise. La clause 2.4 de l’entente de coentreprise mentionnait expressément que la coentreprise constituée en vertu de l’entente n’était pas une société de personnes. 391605 B.C. Ltd. a été nommée comme gestionnaire.

 

[387]       Dans un [traduction] « document de base » établi par le bureau régional du Ministère pour l’Administration centrale du MAINC à Ottawa, et déposé en tant que pièce D‑32, la région a indiqué que, dans l’UAF du sud-est du Yukon, il n’y avait qu’un volume de 186 000 m3 de fibre disponible. Tous les demandeurs ont obtenu le Guide du client. Ce document expliquait le processus et les limites de récolte.

 

[388]       Dans ce document de base, il était souligné que SYFC n’avait pas présenté de demande pour l’un des PCC de 1 000 m3. Ces permis avaient été mis de côté pour les scieries. Selon les demanderesses, vu le volume visé par ces permis, elles ne croyaient pas qu’ils étaient destinés à une entreprise de la taille de leur scierie. Je souligne que le volume très restreint, et le fait qu’il fallait qu’un permis ait été utilisé à 60 % avant qu’un nouveau permis puisse être délivré, n’offraient aucune valeur raisonnable à la scierie de Watson Lake. Pour dire les choses simplement, ces permis étaient trop restreints pour présenter une valeur quelconque à une exploitation commerciale.

 

[389]       Une réunion a été tenue le 21 janvier 1999 entre des représentants des demanderesses et des employés du MAINC. À cette réunion assistaient M. Sewell et Mme Guscott, du MAINC, ainsi que des représentants de la Ville de Watson Lake, de SYFC, de LPL, du GTY et de Finning, un important fournisseur d’équipement et bailleur de fonds du projet de scierie.

 

[390]       À la suite de cette réunion, M. Brian Kerr a envoyé une lettre, le 26 janvier, à M. Sewell, confirmant quelle avait été, selon SYFC, l’issue de la rencontre. Même s’il existe une note manuscrite portant la mention [traduction] « ébauche », cette lettre a été transmise par M. Kerr et reçue par le bureau régional. Dans sa lettre, M. Kerr mentionne ce qui suit :

[traduction] Nous croyons comprendre que le MAINC appuiera une demande d’entente de récolte de bois de la part de la Société pour une durée de cinq ans, renouvelable, sous réserve de l’exécution de la Société, d’un volume total de 200 000 mètres cubes par année. Le MAINC, sous peu, avec la collaboration du gouvernement du Yukon, offrira aux gestionnaires forestiers de la Société certains secteurs cibles qui supporteront les volumes requis.

Nous convenons qu’il s’agit là d’un compte rendu véridique et exact des engagements qu’ont pris le MAINC et South Yukon Forest Corp. à la réunion que nous avons eue à Whitehorse le jeudi 21 janvier 1999, à partir de 14 h, en présence des personnes suivantes :

Terry Sewell, Jennifer Gusgott, Dennis Fente, Jeff Monty, Alan Kerr, Hugh Macmillan, Donald Oulton, Brian Kerr, Roger Reams, Pat Irvin et Joe Zackaruk.

 

[391]       Je déduis de cette communication que les demanderesses craignaient de ne pas obtenir un engagement écrit du MAINC. Je ne souscris pas à l’idée que cette lettre dénote qu’il n’y avait aucun engagement préexistant.

 

[392]       Les points de vue de Mme Guscott sur cette réunion figurent dans deux documents. Elle a envoyé un courriel à ses subalternes aussitôt après la réunion. Ce courriel a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 101. Dans ce document elle souligne, notamment, que, quel que soit le processus de CRB auquel KFR était assujettie, il fallait que ce soit le même pour SYFC.

 

[393]       Le second courriel de Mme Guscott sur cette réunion a été envoyé en réponse à la lettre du 26 janvier de M. Brian Kerr. Ce document a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 103. Il a été envoyé à son supérieur, M. Sewell. Mme Guscott a déclaré qu’elle était inquiète parce que, vu la façon dont les demanderesses avaient compris la réunion du 21 janvier, elle avait le sentiment [traduction] « d’avoir été présente à une réunion différente ».

 

[394]       Le 3 février, il y a eu une conférence téléphonique entre SYFC, LPL et le MAINC afin de discuter des permis de coupe. Le procès-verbal de cette conférence téléphonique a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 104. Un document de base régional du MAINC, rédigé par M. Fillmore et daté du 3 février, indique que la réunion du 3 février avait pour objet de discuter de l’accès à court et à long terme à un approvisionnement en bois. Ce document a été déposé en tant que pièce D‑33.

 

[395]       Un examen du document de base, en comparaison avec toutes les preuves documentaires et tous les témoignages de vive voix, montre qu’il s’y trouve des affirmations au sujet de SYFC qui sont tout simplement fausses.

 

[396]       Ce document a été créé pour l’Administration centrale du MAINC à Ottawa. Il s’inscrit dans le cadre d’une conduite qu’avait adoptée le personnel du MAINC au bureau régional pour présenter la coentreprise sous un mauvais jour à l’Administration centrale du Ministère.

 

[397]       Des lettres ont été échangées à cette époque au sujet du défaut du MAINC de respecter les délais à l’égard desquels il s’était engagé. Ces lettres ont été déposées en tant que pièces D‑61, D‑62, D‑63 et D‑64.

 

[398]       Dans une lettre datée du 16 février, de la part d’EnerVest à LPL, EnerVest a exprimé des doutes à propos de la sûreté de la tenure. Elle était confiante que si la scierie parvenait à obtenir son propre CRB à long terme, il serait possible de recueillir la somme de 14 000 000 $ pour la phase 2.

 

[399]       D’autres réunions ont eu lieu pendant toute cette période entre le bureau régional et SYFC.

 

[400]       Le 25 février, Mme Clark a correspondu avec M. Alan Chisholm, de DRHC, faisant part d’un certain nombre de changements au plan original, relativement à l’intention continue de SYFC d’exploiter la scierie à Watson Lake. À cette époque, SYFC cherchait à obtenir des fonds du FTCE. Cette lettre a été déposée en tant que pièce D‑81, onglet 480. Mme Clark a indiqué que la scierie avait fermé en décembre à cause d’un manque de fibre et que la situation était imputable au retard du MAINC à approuver des permis pour les fournisseurs de SYFC.

 

[401]       Des fonds additionnels de plus de 100 000 $ du FTCE ont été versés afin d’aider à rouvrir la scierie.

 

[402]       Les demanderesses ont poursuivi leurs efforts, pendant tout le mois de février et de mars, pour obtenir une réponse ferme du Ministère à propos d’un accès sûr au volume de bois requis. Durant ces deux mois, des employés du Ministère ont informé les demanderesses que des mesures étaient en cours afin de créer un processus pour la délivrance de CRB. Il s’exerçait de plus en plus de pressions, tant sur les demanderesses, qui s’inquiétaient de la viabilité de la scierie, que sur le Ministère, pour qu’il donne suite à ses annonces selon lesquelles un approvisionnement en fibre suffisant serait mis à la disposition des demanderesses.

 

[403]       La pièce D‑81, onglet 35 est une lettre de Mme Guscott à Mme Clark, datée du 18 mars 1999. Dans ce document, Mme Guscott indique qu’il n’y a aucune garantie que SYFC recevrait un permis à ce site [traduction] « ni ailleurs ». Elle a ajouté que toute mesure que prendrait SYFC avant l’établissement des rapports sur la ressource serait à ses propres risques.

 

[404]       Mme Clark a répondu le 18 mars à cette lettre par une télécopie, qui figure dans la pièce D‑11, onglet 12. Elle a indiqué que la politique en vigueur ne cadrait pas avec le secteur de la fabrication et qu’elle était reconnaissante de l’importance que le MAINC accordait à ses préoccupations.

 

[405]       La pièce D‑13 est une autre lettre de SYFC à Mme Guscott. Elle est datée du 19 mars 1999. Cette lettre a été écrite par M. Heit, directeur de l’approvisionnement en bois chez SYFC; il déclare que le Ministère n’a donné aucune garantie raisonnable quant à l’approvisionnement en bois. Il ajoute que cela est clairement indiqué au paragraphe 3 de la lettre du 18 mars de Mme Guscott. Cette lettre a été envoyée au sujet d’un accès à du bois dans un emplacement précis dans le cadre d’un PCC futur. Dans ce contexte, elle ne nuit pas à la position des demanderesses à l’égard de l’annonce faite le 15 juillet 1997.

 

[406]       Il a indiqué que le lancement de la scierie serait reporté du 5 avril au 3 mai 1999 et, en outre, qu’il recommanderait aux propriétaires que l’entreprise déménage dans un territoire plus propice aux entreprises. Cette lettre figure elle aussi dans la pièce D‑11, onglet 13. Il semble que cette lettre du 19 mars 1999 ait été envoyée par SYFC directement à M. James Moore, SMA Affaires du Nord, qui se trouvait à Ottawa. Cette lettre de M. Heit me dit que SYFC était disposée à quitter Watson Lake et à trouver une autre occasion d’investissement.

 

[407]       Le Ministère a produit un autre Guide du client en avril 1999 (pièce D‑81, onglet 47). Ce document soulignait que des demandes de permis incomplètes retarderaient la délivrance des permis. Il y était indiqué, à la page 1565, que le plafond de récolte pouvait être rajusté en fonction de nouvelles informations concernant l’AAF et d’autres facteurs.

 

[408]       Dans une lettre datée du 23 mars 1999, écrite par Mme Clark pour le compte de SYFC à l’intention du SMA, M. Moore, SYFC a confirmé une conversation téléphonique du 22 mars. Ce document figure à la pièce D‑11, onglet 16.

 

[409]       Dans sa lettre, Mme Clark a écrit que les responsables de SYFC seraient heureux de rencontrer M. Moore et que SYFC se préoccupait de la possibilité d’obtenir un approvisionnement en bois adéquat. Des points précis ont été indiqués dans cette lettre, dont une référence à la procédure de demande d’un CRB, la disponibilité de bois à court terme, le moment de l’octroi des permis de coupe, ainsi que les modifications à apporter à la politique pour permettre au personnel du MAINC de respecter les délais fixés.

 

[410]       Il est clair qu’à ce stade la pression montait. La défenderesse a dit de cette lettre qu’elle formulait des [traduction] « exigences ».

 

[411]       M. Moore s’est entretenu avec Mme Clark à ce moment. Il a convenu d’organiser une conférence téléphonique entre des représentants du bureau régional du MAINC, des fonctionnaires de l’Administration centrale à Ottawa et des représentants des demanderesses. La réunion a été fixée au début d’avril, comme il est indiqué dans un courriel que M. Moore a envoyé le 23 mars et qui a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 128.

 

[412]       Dans un message inclus, Mme Guscott a répondu à ce courriel en disant :

[traduction] C’est ce que je préférerais, car je travaille de près avec l’entreprise et je connais toutes ses façons de procéder. Je suggère qu’à cause de ce qui s’est passé avec cette entreprise, quelqu’un (région) prenne l’initiative de veiller à ce que l’on prenne de bonnes notes et que l’on tienne des comptes rendus. [Non souligné dans l’original.]

 

[413]       La réunion a été fixée au 7 avril. En discutant de cette dernière, M. Richard Casey a informé Mme Anne Snider – ce sont deux employés du MAINC à Ottawa - que :

[traduction] M. Moore a promis à SYFC que la réunion du 7 avril sera une réunion de décision. Il y a 5 représentants de SYFC qui seront présents et 2 invités qu’il reste encore à confirmer. Comme je ne pense pas que nous puissions garantir à ce stade que SYFC obtiendra un permis de coupe, au niveau qu’elle demande, je crois qu’elle sera fort déçue à l’issue de la réunion. Je ne veux pas être négatif, mais nous devons agir dans les limites du Règlement.

 

[414]       Une note documentaire, datée du 2 avril 1999, a été rédigée en vue d’une réunion qui était elle aussi prévue pour le 7 avril, entre SYFC et le ministre de l’Industrie. Dans cette note documentaire, déposée en tant que pièce D‑81, onglet 229, la section « Contexte » indique que l’auteur de la note a reçu du bureau régional un « document de base » sur SYFC. La note documentaire allégue que la direction de SYFC a souvent changé et que cette dernière a eu de la difficulté à survivre au cours des derniers [traduction] « 15 à 20 ans ».

 

[415]       Cette description de SYFC est mal fondée en fait. Je souligne que cette note documentaire vient des dossiers de M. Fillmore. J’ajoute que même si la note documentaire indique qu’il y a des pièces jointes, aucune n’a été fournie à la Cour.

 

[416]       De plus, en prévision de la réunion, Mme Guscott a envoyé un courriel à M. Beaubier, à Ottawa. Ce courriel a été déposé en tant que pièce P‑80, onglet 48. Mme Guscott n’a pas dit la vérité au sujet de la création de la scierie et de la consultation qui a eu lieu avec le bureau régional avant que la construction débute. Elle a reconnu aussi dans ce document qu’il y avait des retards dans le processus d’attribution des PCC, mais elle a tenté d’imputer à la scierie la responsabilité du manque d’approvisionnement en bois.

 

[417]       D’autres préparatifs ont été faits en prévision de la réunion sous la forme de [traduction] « points de discussion » destinés au SMA. Ces points ont été envoyés par un courriel interne du MAINC, qui a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 143. Ils révèlent que le MAINC avait l’intention d’accorder une tenure sûre et à long terme à une entreprise qui avait investi des capitaux.

 

[418]       La réunion a eu lieu le 7 avril. Des représentants de SYFC y ont participé, tant en personne que par voie de conférence téléphonique. Cette dernière a eu lieu entre Whitehorse et Ottawa. Des représentants du MAINC ont participé à la même conférence téléphonique et un compte rendu sténographique a été fait de la  réunion. Ce compte rendu est la pièce P‑79, onglet 144.

 

[419]       Plusieurs points importants sont ressortis de cette réunion. Un échéancier a été fixé pour l’établissement d’un CRB, le Ministère a confirmé de nouveau l’importance de la scierie pour le Yukon et il s’est engagé à aider les demanderesses à obtenir le bois nécessaire. Cela incluait deux engagements : veiller à ce que la récolte visée par un PCC ait lieu sur de futures terres faisant l’objet d’un CRB et que la coupe pourrait commencer avant que le CRB soit conclu.

 

[420]       Il a été proposé d’accepter les propositions de CRB au cours de l’automne de 1999 dans le but de disposer de CRB approuvés avant le mois d’avril 2000; voir la pièce P‑79, onglet 143.

 

[421]       La demande de propositions (DP) n’a pas été lancée avant octobre 2001.

 

[422]       Il vaut la peine de souligner que, selon moi, cette réunion a été organisée et a eu lieu très rapidement après la lettre du 19 mars de SYFC dans laquelle M. Heit faisait savoir qu’il allait recommander aux propriétaires de la scierie de déménager le projet ailleurs.

 

[423]       Compte tenu des discussions qui ont eu lieu et des engagements qui ont été pris lors de cette réunion du 7 avril, la lettre du 19 mars de M. Heit et les autres éléments figurant dans la preuve documentaire selon lesquels les demanderesses étaient prêtes à mettre fin aux activités si le projet n’était pas faisable, je conclus que la réunion du 7 avril 1999 a incité les demanderesses à continuer d’exploiter la scierie de Watson Lake.

 

[424]       De plus, en avril 1999, le Ministère a publié un document sur le processus d’élaboration des CRB. Ce document a été déposé en tant que pièce D‑65. Les notes qui y figurent ont été rédigées par M. Sewell. Ce document relève les buts et les objectifs d’un CRB, qui sont, précisément : la durabilité, les objectifs économiques et sociaux, dont des emplois et la mise en valeur des ressources, ainsi que l’octroi d’un accès à une assise foncière capable de procurer un volume de récolte de 50 000 m3 à 140 000 m3 à un promoteur qui satisfait à la totalité de ses engagements.

 

[425]       La scierie est restée fermée à cette époque. Les demanderesses étudiaient leurs options : soit la fermeture définitive de la scierie, soit sa réouverture.

 

[426]       À la suite de la réunion du 7 avril, SYFC a envoyé une lettre au MAINC pour s’assurer qu’elle comprenait bien les engagements qu’avaient pris le SMA et le Ministère. Dans une lettre déposée en tant que pièce P‑79, onglet 147, Mme Clark, écrivant au nom de SYFC, déclare ceci :

[traduction] Nous vous saurions gré de confirmer que nous avons interprété comme il faut les engagements qui ont été pris au cours de notre réunion. S’il y a d’autres engagements que votre effectif et vous-même voudriez que l’entreprise prenne, faites-le moi savoir.

 

[427]       Quelques jours après la réunion du 7 avril, une autre entente de coentreprise a été signée. Cette entente, qui figure dans la pièce D‑81, onglet 421, officialisait l’ajout de KFR à titre de participante à la scierie de Watson Lake et elle entrait en vigueur le 14 avril.

 

[428]       Aux termes de cette entente, SYFC était l’entité exploitante de la coentreprise. Les parties à cette dernière étaient LPL, 18232 Yukon Inc., KFR et SYFC. M. Fehr a déclaré que 18232 Yukon Ltd. avait été constituée en société en vue de participer à la coentreprise. La clause 2.4 de cette entente prévoyait que la coentreprise n’était pas une société de personnes. 391605 B.C. Ltd. a été nommée comme gestionnaire.

 

[429]       La scierie a rouvert ses portes le 30 avril 1999; voir la réponse à la demande de reconnaissance.

 

[430]       Le 5 mai, Mme Guscott a répondu à un courriel, déposé en tant que pièce P‑79, onglet 161, destiné à M. Beaubier, au sujet d’un appel de retour que SYFC avait fait au bureau du SMA. Dans son courriel, Mme Guscott déclare :

[traduction] Nous contrôlons la situation et ils ne s’agit que d’une entreprise qui fait pression [...] elle pense avoir retiré davantage de la lettre de Moore que ce que Moore a réellement dit.

 

Je souligne que ce courriel fait partie de nombreux autres, extraits des documents de la défenderesse, qui indiquent qu’il s’agit d’un message transmis à d’autres personnes, mais l’original n’y figure pas.

 

[431]       Par une lettre datée du 11 mai, SYFC a répondu à une lettre de M. Moore datée du 30 avril. Dans cette lettre, SYFC relate que la scierie a rouvert ses portes le 30 avril et elle fait remarquer qu’elle respecte la politique et les dispositions réglementaires existantes mais qu’elle est négativement touchée par le fait que le bureau régional tarde à délivrer des permis de coupe. Ce document figure à la pièce D‑11, onglet 19. Selon SYFC, les retards constants du MAINC vont entraîner la fermeture de la scierie pendant une durée indéterminée.

 

[432]       Pendant tout le mois de mai, M. Kennedy a rendu compte à Mme Guscott des difficultés internes qui, au MAINC, causaient les problèmes d’obtention de bois; voir la pièce P‑79, onglets 170 et 173. Mme Guscott a reconnu que des délais n’avaient pas été respectés; voir la pièce P‑79, onglet 175.

 

[433]       Il y a eu ensuite une série de courriels entre SYFC et le MAINC, à partir du 1er juin 1999. Ces documents traitaient de l’approvisionnement en bois disponible par PCC, et le MAINC a informé SYFC que l’estimation du bois disponible était de 190 520 m3 pour la saison de récolte de 1999-2000. Ce volume était fort proche de celui dont SYFC avait besoin. Malgré cette communication, le MAINC n’a offert aucune garantie de disponibilité à SYFC.

 

[434]       Le 4 juin, M. Brian Kerr a envoyé un courriel (pièce D‑11, onglet 74) à M. Sewell, exprimant une fois de plus son sentiment de frustration à l’égard de la situation de l’approvisionnement en bois. Il a demandé qui allait dire aux habitants de Watson Lake qu’il n’y aurait pas de travail disponible, si la situation n’était pas rectifiée.

 

[435]       Par un courriel daté du 7 juin (pièce P‑79, onglet 182), M. Sewell a répondu et a dit à M. Kerr que les menaces et le harcèlement ne fonctionneraient pas. Il a indiqué : [traduction] « nous avons » convenu d’établir un plan énergique. Je conclus qu’il s’agit là d’une référence à la réunion du 7 avril. Et, a-t-il ajouté :

[traduction] Nous savons tous que dans le cadre du régime actuel, la satisfaction des besoins en bois de l’entreprise présente des défis considérables. Nous avons convenu d’établir un plan énergique en vue d’instaurer un régime de type CRB aussi vite que nous le pouvons.

[...]

Je ne considère pas que les récents courriels et appels téléphoniques soient propices à cette relation. Les menaces et le harcèlement ne sont pas utiles.

Comme nous voulons tous que la scierie soit un succès, nous devrions travailler en équipe. Le 31 mai, nous avons fait part de notre évaluation du bois disponible pour l’année prochaine, plus ou moins. Des employés à nous se sont rendus à Watson Lake pour rencontrer des titulaires et demandeurs de permis afin de déterminer comment les choses prenaient forme sur le terrain. J’encouragerais June à parler avec Jennifer/Terry Kennedy pour obtenir des informations sur le sujet. Notre nouveau gestionnaire régional des ressources forestières, Howard Madill, commence la semaine prochaine, et travailler avec l’entreprise sera pour lui une tâche prioritaire.

Puis-je vous demander de travailler avec nous de manière positive afin que tous nos efforts soient axés sur les difficultés auxquelles l’entreprise fait face, plutôt que d’orienter nos énergies vers des directions improductives. Nous devons travailler ensemble sur l’approvisionnement en bois de la présente année et de l’année prochaine, ainsi que sur le processus des CRB.
[Non souligné dans l’original.]

 

[436]       En juin, l’échéance relative aux CRB commençait à accuser un certain retard. La pièce D‑66, un autre document créé par la défenderesse au sujet des CRB, contenait une échéance qui prévoyait que des CRB à court terme seraient en place avant le mois de mai 2000.

 

[437]       Pour le reste de l’été de 1999, la scierie a poursuivi ses activités avec un approvisionnement en bois qui était suffisant à court terme.

 

[438]       Le 10 août, SYFC a écrit au ministre, qui était maintenant M. Robert Nault. Cette lettre, qui figure dans la pièce D‑11, onglet 58, indique que SYFC avait un volume suffisant pour fonctionner au cours de l’été et de l’automne de 1999 et qu’elle était intéressée à obtenir un CRB.

 

[439]       Le 1er octobre 1999, des représentants de l’industrie forestière ont rencontré le ministre Nault à Whitehorse. Mme Clark y était présente pour le compte de SYFC. MM. Nault et Sewell ainsi que Mme Guscott représentaient le MAINC. À cette réunion, June Clark a réitéré que SYFC avait besoin d’une garantie d’approvisionnement en bois et d’un volume de 200 000 m3 pour que la scierie soit viable. Un résumé de cette réunion figure à la pièce D‑81, onglet 257.

 

[440]       Au mois d’octobre, l’approvisionnement en bois était de nouveau fort insuffisant. Le 5 octobre, M. Terry Kennedy, du MAINC, a envoyé un courriel de réponse à June Clarke, à propos du manque urgent de volumes de bois hivernaux. Ce document figure dans la pièce D‑81, onglet 69. M. Kennedy a déclaré : [traduction] « À ma connaissance, aucun fonctionnaire du MAINC n’a jamais tenté de fausser les faits en rapport avec les volumes connus à la date à laquelle la conversation avec un promoteur a eu lieu ». Il a souligné de plus que tout le bois qui avait été marqué avait été expédié dans le parc à bois de la scierie de SYFC.

 

[441]       En octobre 1999, trois réunions ont eu lieu à Vanderhoof.

 

[442]       LPL et SYFC ont pris part à l’une de ces réunions, à titre individuel, afin d’examiner quelles étaient leurs options vis-à-vis de la scierie. Des représentants du MAINC ont assisté à une seconde réunion tenue avec des représentants de SYFC et du GTY. La troisième réunion a eu lieu entre MM. Madill et Spencer.

 

[443]       M. Madill a rédigé une note de service datée du 25 octobre. Ce document, désigné en tant que pièce D‑54, est adressé à Jennifer Guscott et fait référence aux réunions du 19 octobre.

 

[444]       Pour répondre aux besoins en bois de la scierie, M. Madill a promis à la deuxième réunion que tout le bois disponible, jusqu’à concurrence du plafond de récolte, serait mis à la disposition des demandeurs admissibles. Pour aider à régler le problème de l’approvisionnement en bois, il a assuré à SYFC que les coupes de bois antérieures qui s’étaient accumulées depuis que l’AAF avait été établie seraient disponibles. En outre, des mesures tout à fait nouvelles avaient été prises; plus précisément, le MAINC avait envoyé des lettres à tous les demandeurs admissibles. À cette deuxième réunion, SYFC a réitéré sa position : si la scierie fermait ses portes à cause d’un manque de fibre, elle n’ouvrirait pas de nouveau.

 

[445]       Au sujet de la demande et des processus relatifs aux PCC pour l’année 1999, SYFC a convenu que le MAINC avait respecté ses engagements originaux

 

[446]       Le 20 octobre, Mme Clark a envoyé un autre courriel, pour le compte de M. Alan Kerr, au ministre Nault, faisant de nouveau état du manque urgent de bois en hiver. Dans ce document, elle fait référence à la réunion tenue avec M. Madill le 19 octobre et déclare ce qui suit :

[traduction] Nous avons démontré notre engagement envers les habitants de Watson Lake et du Yukon en respectant nos promesses. Nous avons aussi fait tout ce qu’on nous a demandé de faire et nous avons tout mis en œuvre pour travailler de manière constructive avec votre personnel. Au cours de la dernière année et demie, nous avons souligné les lacunes du système et demandé qu’on apporte les changements appropriés afin d’assurer la sécurité de la fibre destinée à notre exploitation. Le système d’attribution du bois au Yukon n’a pas été modifié et cela ne favorise pas le développement de l’industrie forestière.

Ce courriel est la pièce D‑11, onglet 29.

 

[447]       En octobre 1999, le MAINC a chargé Anthony-Seaman, ingénieurs consultants, d’évaluer la scierie de Watson Lake. Le Ministère voulait que cela soit fait pour répondre à la demande des coentrepreneurs, lesquels souhaitaient qu’on assouplisse les normes relatives à la récolte d’arbres afin que la scierie puisse traiter du bois d’un diamètre supérieur. Le rapport final d’Anthony‑Seaman est daté du 2 décembre 1999 et a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 226.

 

[448]       Dans ce rapport, il est conclu que [traduction] « l’actuel niveau de technologie de la scierie de South Yukon Forest Corporation à Watson Lake convient aux circonstances et à  l’approvisionnement en billes ». Il est recommandé que le niveau suivant de [traduction] « valeur ajoutée » comporte la capacité de sécher et de raboter le bois. De plus, les auteurs du rapport recommandent de créer une installation de cogénération afin de mieux utiliser les déchets de bois.

 

[449]       Ces recommandations sont identiques au plan que les coentrepreneurs avaient établi pour la phase 2.

 

[450]       En novembre 1999, le délai relatif au CRB accusait du retard, une fois de plus. Selon un document du MAINC portant sur le CRB et daté du 8 novembre, et déposé en tant que pièce D‑68, il était prévu d’autoriser la coupe pour septembre 2000. Dans ce document, on analysait aussi deux types de CRB. Le premier type était fondé sur le volume de bois et autorisait moins de 30 000 m3 de bois par année; le second portait sur un volume variant entre 30 000 m3 et 150 000 m3 de bois par année.

 

[451]       L’approvisionnement en bois a continué de poser des problèmes. Dans un autre courriel daté du 23 décembre, là encore de June Clark à M. Madill, cette dernière a fait savoir que SYFC prévoyait qu’il lui manquerait l’équivalent d’un mois de bois. Ce courriel figure dans la pièce D‑11, onglet 64 et, là encore, il fait référence au fait que SYFC voulait que le MAINC s’engage à respecter les délais.

 

[452]       À la fin du mois de décembre 1999, SYFC s’inquiétait sérieusement de l’inaction du MAINC en rapport avec l’avancement du processus des CRB. C’est ce qui ressort des courriels qui ont été échangés entre SYFC et le Ministère, jusqu’au 30 décembre 1999, inclusivement.

 

F. 2000

[453]       M. Kennedy a répondu le 4 janvier 2000, pour le compte de Mme Skaalid, au courriel daté du 30 décembre 1999. Il a expliqué que le personnel du MAINC faisait de son mieux pour respecter les délais pour lesquels il s’était engagé. Il a également rejeté l’idée selon laquelle les délais avaient été reportés à cause d’absences au sein du personnel.

 

[454]       À cette époque, le Ministère a fait preuve de sensibilité aux inquiétudes de SYFC et a confirmé de nouveau l’importance de la scierie pour le Ministère ainsi que pour l’économie yukonnaise. C’est ce qui ressort d’un courriel daté du 4 janvier, déposé en tant que pièce D‑81, onglet 166.

 

[455]       Dans une lettre datée du 14 janvier 2000, SYFC a fait part de ses observations concernant les modifications que l’on proposait d’apporter au Règlement sur le bois du Yukon. Cette lettre a été écrite par M. Heit et elle a été déposée en tant que pièce D‑11, onglet 66.

 

[456]       Dans sa lettre, M. Heit a fait état des différences marquées dans [traduction] « les valeurs du bois et les coûts de la récolte et de la transformation du bois ». Il a laissé entendre que les dispositions réglementaires proposées mettraient en application des changements qui n’étaient pas en harmonie avec d’autres administrations canadiennes et qui auraient une incidence négative sur l’industrie yukonnaise. Cela étant, il a proposé que [traduction] « toute cette proposition soit jetée à la poubelle et que l’on examine de nouvelles options ».

 

[457]       En février 2000, le MAINC a rendu public un document intitulé « The Development of Timber Harvest Agreements : A Framework for THA’s in the Yukon – A Document for Public Discussion ». Ce document a été déposé en tant que pièce D‑81, onglet 316. Ce cadre envisageait l’élaboration de deux types de CRB : un CRB de grande envergure, portant sur un volume de 30 000 à 150 000 m3 de bois par année, et un CRB de petite envergure, portant sur un volume de moins de 30 000 m3 de bois par année.

 

[458]       Le calendrier relatif aux CRB a continué d’être rajusté. Il a été dit dans ce document de travail qu’avant juillet 2000 les promoteurs retenus en seraient avisés et que des négociations définitives seraient menées entre les promoteurs et le MAINC. Cependant, comme je l’ai déjà souligné, aucune DP n’a été lancée avant octobre 2001.

 

[459]       Le 25 février, Timberline Forest Inventory Consultants Ltd. (Timberline) a publié un document intitulé « Candidate Areas for Timber Harvest Areas (THAs) Final Report » (le rapport Timberline no 1), qui a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 252. Ce rapport, établi pour le MAINC, avait pour objet de [traduction] « soumettre le secteur étudié à une évaluation de faisabilité et déterminer les secteurs susceptibles de convenir à l’octroi d’une tenure à long terme en tant que secteur de récolte de bois [...], analyser et/ou évaluer les secteurs candidats [...] et consulter les intervenants clés ».

 

[460]       Le rapport Timberline no 1 a examiné l’élaboration de deux types de CRB : un CRB de grande envergure, représentant de 30 000 à 150 000 m3 de bois par année, et un CRB de petite envergure, représentant moins de 30 000 m3 de bois par année. Dans l’analyse, le rapport s’est fondé sur l’AAF que M. Henry avait établie. Cependant, il critiquait l’utilisation de la contrainte dite d’uniformité et l’inclusion d’une réserve non spécifique de 30 %. Dans le rapport, il était indiqué qu’à cause de ces facteurs, la PCA était artificiellement basse, ce qui occasionnait [traduction] « une mortalité élevée du secteur coniférien à cause d’une sous-utilisation de la ressource à long terme ». On reconnaissait également dans le rapport que l’âge des données des inventaires forestiers était fort préoccupant.

 

[461]       Dans le rapport Timberline no 1, plusieurs configurations de CRB différentes ont été modélisées. Tous les modèles étaient fondés sur un approvisionnement en bois à long terme, c’est-à-dire du bois non limité par la contrainte d’uniformité de 10 kilomètres. Dans tous les modèles, l’approvisionnement en bois à long terme était nettement supérieur à celui que prévoyait l’AAF préliminaire.

 

[462]       Les difficultés à maintenir un approvisionnement suffisant et constant en bois se sont poursuivies, comme le révèlent les courriels échangés entre SYFC et le MAINC le 1er mars. Ces courriels figurent dans la pièce D‑81, onglet 95.

 

[463]       Les coentrepreneurs ont tenu entre eux une autre réunion le 7 avril, et le procès-verbal de cette réunion figure dans la pièce D‑11, onglet 127. Les questions importantes dont les participants ont discuté à cette occasion étaient les préoccupations soulevées au sujet de M. Brian Kerr, et plus précisément ses dépenses et son manque d’expérience dans le domaine forestier, de même que le profil des billes de bois que l’on recevait à la scierie. M. Fehr a fait part de ses préoccupations au sujet de la poursuite de l’exploitation s’il était impossible d’amener dans le parc à bois de la scierie le profil de billes qu’il fallait.

 

[464]       Il y a eu une autre réunion entre le MAINC et SYFC le 27 avril. Dans une série de courriels envoyés au MAINC, lesquels figurent dans la pièce D‑81, onglet 193, Mme Clark a exposé le sens que SYFC avait tiré de cette réunion. La réponse à ses courriels, envoyée par M. Ballantyne, est incluse dans cette pièce.

 

[465]       Le Conseil des Premières nations du Yukon (CPNY) a envoyé une lettre datée du 8 juin, déposée en tant que pièce D‑71, pour exprimer son mécontentement à l’égard du processus proposé pour les CRB et proposer que l’on reporte ce processus jusqu’à la conclusion d’une entente tripartite officialisée entre les Premières nations du Yukon, le MAINC et le GTY. Cependant, le CPNY s’est dit en faveur de l’attribution de tenures de courte durée pendant qu’avaient lieu les consultations et les exercices de planification appropriés.

 

[466]       La pièce D‑72 est un sommaire des commentaires publics que le MAINC a reçus au sujet du document de travail d’avril 2000. Cette pièce inclut également une lettre d’accompagnement, rédigée par M. Monty en date du 16 juin 2000. SYFC avait fait part de ses commentaires sur le processus d’élaboration des CRB.

 

[467]       Le ministre Nault, M. Sewell et Mme Guscott ont rencontré les représentants de la Yukon Forest Industry Association (YFIA) au cours de la longue fin de semaine du mois de mai. Parmi les représentants de l’industrie se trouvaient les frères Kerr. À cette réunion, SYFC a indiqué au ministre qu’elle prévoyait passer à la phase 2 de son plan d’affaires. Le procès-verbal de cette réunion figure dans la pièce P‑79, onglet 282.

 

[468]       Lors de discussions avec la YFIA, il a été question du volume de bois possible dans un PCC. À cette époque, le ministre Nault a comparé l’attribution de 15 000 m3 de bois par année à du [traduction] « bois de chauffage ». Je déduis de ce commentaire que le ministre Nault a reconnu que l’industrie forestière, pour être viable, avait besoin de volumes nettement supérieurs à ceux que le processus des PCC pouvait offrir.

 

[469]       Le 8 juin, SYFC a écrit à M. Nault, le remerciant de la récente réunion tenue à Whitehorse, au cours de la longue fin de semaine du mois de mai. Cette lettre a été déposée en tant que pièce D‑11, onglet 91. M. Alan Kerr a remercié le ministre Nault pour son [traduction] « engagement » à étudier la question de l’approvisionnement en bois à court terme pendant que l’on mettait la dernière main au processus des tenures à long terme. M. Kerr a déclaré que cet engagement était extrêmement important pour SYFC, car il garantirait qu’elle pourrait compter sur un approvisionnement en fibre continu tout en menant ses activités dans le cadre du système de permis existant. Il a fait remarquer qu’il appréciait les efforts que faisait Mme Guscott.

 

[470]       M. Monty, gestionnaire régional des Ressources forestières au MAINC, a écrit une note de service [traduction] « à usage interne seulement » à l’intention de M. Ballantyne le 14 juin; ce document a été déposé en tant que pièce P‑43.

 

[471]       Dans cette note de service, M. Monty a déclaré que la PCA cumulative qui s’appliquait aux UAF Y02 et Y03 était de 128 000 m3 de bois par année. Il a fait remarquer que les besoins prévus de SYFC et d’Allied Forest Products (AFP), une autre entreprise de sciage, étaient supérieurs à 260 000 m3. Il a laissé entendre qu’il y aurait des problèmes une fois que les entreprises commenceraient à chercher des volumes de bois supérieurs au niveau durable. Parmi d’autres options envisagées pour combler cette pénurie, M. Monty a proposé la fermeture d’une scierie ou la limitation des scieries futures au moyen de permis d’utilisation des terres. Il a également fait remarquer que le processus de CRB proposé n’était peut-être en mesure de donner lieu qu’à une seule entreprise viable.

 

[472]       M. Ballantyne, qui occupait à cette époque le poste de directeur des ressources renouvelables du MAINC au Yukon, a répondu aux préoccupations de M. Monty le 16 juin. Cette note de service a été déposée en tant que pièce P‑44. M. Ballantyne a rassuré M. Monty en disant que l’on ne mettrait pas en péril le concept de la foresterie durable et il lui a donné instruction de soulever ces questions à la prochaine réunion.

 

[473]       M. Kennedy, chef, Politiques et industrie forestière, a écrit à son supérieur, M. Monty, le 18 juin. Sa note de service a été déposée en tant que pièce P‑45. M. Kennedy a fait part de ses préoccupations au sujet du processus de CRB. Plus précisément, il a dit s’inquiéter du fait que l’on ne tenait pas compte des instructions qui étaient fournies sur la manière de procéder. Il s’est dit préoccupé aussi par la façon dont on se servait des consultations pour retarder le processus.

 

[474]       Dans la pièce P‑45, M. Kennedy a clairement reconnu que l’AAF préliminaire était une analyse sur l’approvisionnement en bois à court terme. Il a reconnu de plus qu’un CRB fondé uniquement sur l’approvisionnement en bois à court terme n’était pas une option économiquement viable pour les scieries, ni une option apte à soutenir le développement de l’infrastructure nécessaire pour avoir accès à l’approvisionnement en bois à long terme. M. Kennedy a vivement suggéré que l’on fasse état de ces problèmes.

 

[475]       Il n’y a aucune preuve que SYFC, ou l’industrie forestière en général, ait jamais eu vent de ces préoccupations.

 

[476]       Deux jours après que M. Kennedy eut présenté à M. Monty sa proposition concernant la réinscription au calendrier du processus relatif aux CRB, M. Monty a envoyé une lettre à M. Ballantyne. Il était question dans cette dernière des délais relatifs au processus des CRB.

 

[477]       M. Monty a envoyé cette lettre au président du Groupe de travail sur les CRB. Il ne s’agit pas d’une note de service interne. Ce document a été écrit à titre de communication externe du Groupe de travail au MAINC, et ce, même si M. Ballantyne était le supérieur de M. Monty

 

[478]       M. Monty a déclaré que le Groupe de travail avait reconnu que la contribution du public au processus dénotait un souhait que l’on tienne davantage de consultations. Dans ce contexte, la date prévue pour les négociations a été prolongée au mois de mars 2001, en prévenant que la date de septembre 2001 conviendrait peut-être mieux.

 

[479]       Je souligne que M. Kennedy était lui aussi membre du Groupe de travail sur les CRB.

 

[480]       Il y a dans cette pièce une note manuscrite, portant la signature de M. Ballantyne, qui est adressée à M. Monty. M. Ballantyne écrit : [traduction] « [c]omme il en a été question, nous devons respecter les délais contenus dans le document public sur les CRB, sous la rubrique “Prochaines étapes”. Le ministre s’est engagé vis-à-vis des délais ».

 

[481]       Le 22 juin 2000, SYFC a écrit à Alan Chisholm, à DRHC. Cette lettre, écrite par M. Alan Kerr, disait que le conseil d’administration de SYFC avait approuvé un financement à hauteur de 14 500 000 $ pour la phase 2 à la condition qu’il y ait une participation financière du Fonds du Canada pour la création d’emplois et du GTY, et que le processus relatif aux CRB, présenté par le MAINC, se poursuive. Cette lettre figure dans la pièce D‑11, onglet 92.

 

[482]       Cependant, dans la pièce D‑11, onglet 93, on trouve une autre lettre, datée elle aussi du 22 juin, de la part de SYFC à M. Chisholm et dans laquelle M. Kerr dit que SYFC n’approuvera aucun financement avant d’être considérée comme admissible à un CRB et avant que DRHC ait donné son accord à des fonds de partenariat pour la phase 2.

 

[483]       Ces lettres sont cohérentes. Elles indiquent toutes deux les conditions préalables à tout autre engagement financier de la part de SYFC, et c’est ce que je conclus.

 

[484]       SYFC a diffusé un communiqué de presse le 26 juin. Dans ce communiqué, déposé en tant que pièce D‑11, onglet 134, SYFC a informé le public qu’elle allait mettre fin à ses activités le 30 juin. Cette fermeture était imputable au moment de la délivrance des PCC. Elle a indiqué que la durée de la fermeture dépendrait de la capacité d’obtenir une garantie d’approvisionnement en bois continu, ce qui permettrait à la scierie de poursuivre ses activités pendant les saisons de récolte de l’été et de l’hiver.

 

[485]       La fermeture de la scierie a entraîné la perte de 125 emplois directs. À ce moment‑là, la scierie était le plus gros employeur privé au Yukon.

 

[486]       Le 29 juin, M. Monty a envoyé un courriel à M. Ballantyne, et l’objet de ce document était le processus des CRB. Ce courriel a été déposé en tant que pièce P‑46. Dans ce document, M. Monty fait part à son supérieur des dernières réflexions du Groupe de travail :

[traduction] Nous proposons de délivrer un petit CRB aux personnes qui ont une capacité de sciage confirmée depuis les deux dernières années (c.-à-d. : Bowie, Dakawada, YRT, quelques autres). En tant que groupe, nous avons conclu, compte tenu de la Stratégie forestière du Yukon, de l’absence d’une politique en matière d’accès et des réponses reçues, qu’en signant des CRB avec ces candidats, et en leur procurant l’équivalent de 5 ans de bois dans une partie désignée de l’UAF, de la PCA et de l’assise foncière, nous pourrions répondre à 90 % des besoins des scieries au Yukon. Sur le plan politique, nous sommes d’avis que cela atténuerait les pressions sur le front intérieur. À Ottawa, ce serait peut-être différent? L’envers de la médaille, c’est que cela limiterait SYFC et AFP à nos plafonds de récolte dans les unités Y02 et Y03. Essentiellement, ces entreprises pourraient donc recevoir jusqu’à 30 000 chacune. Ce qui est loin des attentes de SYFC. Cependant, il convient de souligner une fois de plus qu’à moins de pouvoir accéder à l’assise à long terme dans l’unité Y02, au moyen d’une forme quelconque de plan de gestion de l’accès public ou privé, nous aurons affaire à l’assise à court terme, c’est‑à-dire 120 000 m3. La délivrance d’un petit CRB à court terme procurera une marge de manœuvre pour conclure les revendications territoriales, la Stratégie sur les zones protégées du Yukon (SZPY), la Planification de l’aménagement forestier. Et c’est ce que veulent les gens. Pas moi; je crois que la haute direction saisit bien ce point. D’où l’urgence de réduire davantage les permis d’utilisation des terres à l’emplacement des scieries. La demande a vite dépassé l’offre, ET CELA DOIT CESSER. Sans cela, nos tombes collectives s’approfondiront.

[...]

SYFC et AFP n’apprécieraient pas cette option du tout. SYFC encore moins. Pour répondre à leurs besoins prévus et préserver des niveaux de PCC viables, nous devons donc avoir accès à l’assise à long terme. Cela oblige à construire une route sur une distance de 50 km dans l’unité Y02. Difficile à faire dans le cadre d’une tenure à court terme. Besoin d’amortir le coût de la route sur 5 à 10 ans. AFP serait peut-être plus sensible à un approvisionnement plancher garanti.

 

[487]       Le courriel de M. Monty est difficile à lire en raison des nombreuses erreurs typographiques (dans la version anglaise du texte) , mais il s’agit d’un document important et expressif. Il reflète les idées et la conduite des employés du secteur forestier du MAINC à l’échelon opérationnel. Il y avait un effort délibéré de la part de ces employés pour retarder le processus.

 

[488]       Je souligne que dans la liste des scieries ayant une capacité manifeste, et considérées comme admissibles à un petit CRB, M. Monty a exclu les demanderesses.

 

[489]       Cela vaut la peine de le mentionner, compte tenu du fait que SYFC était la plus grosse installation de production exploitée dans tout le territoire. Ce n’est pas ce qu’on appelle une procédure juste, ouverte et transparente. Au contraire, il s’agit d’une manifestation additionnelle de mauvaise foi.

 

[490]       Le changement proposé au CRB s’écartait nettement de tous les documents antérieurs produits sur le CRB. La limitation du CRB disponible à 30 000 m3 de bois par année n’avait jamais fait l’objet de consultations.

 

[491]       M. Monty a proposé cette solution pour faire diminuer la [traduction] « pression » sur le plan politique au Yukon. En outre, il a expressément reconnu que sa recommandation donnait effet à un enjeu que, croyait-il, la haute direction ne saisissait pas.

 

[492]       Le même jour, SYFC a écrit au GTY, Développement économique. Cette lettre, rédigée par M. Alan Kerr, décrivait l’équipement que SYFC voulait acheter à l’aide d’un prêt de 4 000 000 $. Cet équipement comprenait une scie Kara et des machines Optimil. Une lettre antérieure datée du 29 mai 2000, et figurant dans la pièce D‑11, onglet 219, faisait référence à une scie de marque Hew. La lettre du 29 juin figure dans la pièce D‑11, onglet 220.

 

[493]       Il ressort de ces lettres envoyées à la fin du printemps et au début de l’été de 2000 que les coentrepreneurs avaient l’intention d’agrandir la scierie. Ces lettres montrent que la scierie était en production mais qu’elle traversait des moments difficiles à cause de l’incertitude constante que suscitaient à la fois l’accès à un approvisionnement sûr en bois et le processus relatif à le CRB.

 

[494]       Il y a deux lettres datées du 5 juillet, de la part d’Alan Kerr, agissant au nom de SYFC, à la Banque de Nouvelle-Écosse, relativement à une demande de financement pour la phase 2 de la scierie. Il a indiqué qu’à ce moment-là la scierie produisait 140 000 pieds-planche par jour, dans deux quarts de travail. Il a exposé les problèmes que SYFC avait surmontés jusque-là.

 

[495]       Le ministre, M. Nault, a envoyé le 17 juillet une lettre à M. Fentie, MAL représentant Watson Lake; ce document a été déposé en tant que pièce P‑80, onglet 75. Dans cette lettre, le ministre déclare que le MAINC a [traduction] « conclu ses consultations sur l’accès à long terme au bois et travaille actuellement de concert avec le GTY à l’élaboration des prochaines étapes ». Il assure de plus M. Fentie que le Ministère est [traduction] « résolu à respecter les délais indiqués dans notre processus de CRB ».

 

[496]       Le 28 juillet, M. Ballantyne, du MAINC, a écrit à SYFC. Cette lettre, qui figure dans la pièce D‑81, onglet 118, répond à des demandes de renseignements de M. Alan Kerr au sujet du processus de CRB au Yukon.

 

[497]       M. Ballantyne a déclaré à M. Kerr que le bureau régional travaillait de concert avec le gouvernement du Yukon pour élaborer un processus de CRB avant la fin de septembre 2000. Les objectifs du MAINC étaient d’accorder une tenure plus longue et des volumes plus élevés que ce qu’il était possible d’accorder à ce moment-là dans le cadre du processus des PCC, d’assurer une gestion forestière appropriée et de donner plus de certitude à l’industrie.

 

[498]       M. Ballantyne a déclaré que le MAINC allait [traduction] « rendre public dans tout le Yukon un document de consultation publique, qui comportera plus de détails sur la façon dont nous envisageons le déroulement de ce processus [...] » et que le MAINC s’était engagé à ce que les intervenants puissent contribuer de manière sérieuse à cette activité.

 

[499]       Cependant, cela n’était pas de nature à réconforter les demanderesses. Le 3 août 2000, il a été décidé de ne pas rouvrir la scierie. Celle-ci a fermé le 4 août 2000.

 

[500]       À cette époque, M. Spencer a conseillé à M. Fehr de fermer la scierie et de [traduction] « réduire vos pertes ». Ce conseil était fondé sur le temps passé à tenter d’obtenir un approvisionnement en bois garanti. M. Spencer croyait que le projet, y compris l’installation de cogénération, était faisable si l’on disposait d’un approvisionnement en bois garanti.

 

[501]       Il est un fait qu’entre le mois de mai 1999 et la fermeture en août 2000, la scierie était exploitée. Elle avait produit et vendu son bois vert brut pendant toute cette période.

 

[502]       M. Brian Kerr a déclaré que quand il a été décidé de fermer la scierie pour de bon, il a réuni tous les employés et leur a annoncé la nouvelle. Le rôle qu’il jouait auprès de la demanderesse SYFC a pris fin en août 2000. M. Kerr a quitté le Yukon et s’est installé à Vanderhoof (Colombie-Britannique).

 

[503]       Après que SYFC eut annoncé les mises à pied le 26 juin 2000, le MAINC a continué de recevoir des rapports concernant l’approvisionnement en bois.

 

[504]       En juillet 2000, le MAINC a de nouveau fait des démarches auprès de Timberline pour faire une analyse de suivi du rapport Timberline no 1. Le 8 août, Timberline a terminé le document intitulé « Timber Supply Areas To Be Considered for Candidate Timber Harvest Areas (THAs) in Southeast Yukon » (le rapport Timberline no 2). Ce document, établi pour le MAINC, a été déposé en tant que pièce P‑48. Le but visé était de [traduction] « procéder à une analyse complémentaire afin d’améliorer les configurations de CRB possibles ainsi que les hypothèses d’analyse de l’approvisionnement forestier (AAF) exposées dans le [rapport Timberline no 1] ».

 

[505]       Ce rapport contenait les recommandations et les conclusions d’un atelier qui avait eu lieu à Edmonton les 27 et 28 juillet 2000. Les participants à cet atelier étaient trois représentants de Timberline, quatre représentants du MAINC et un représentant du GTY.

 

[506]       Les discussions avaient principalement porté sur des questions d’attribution à long terme, comme les contraintes d’accès, les exclusions relatives à l’assise foncière ainsi que des questions de gestion forestière d’ordre stratégique. Il a été convenu à cet atelier d’ [traduction] « éviter d’être exagérément prudent et mettre l’accent sur l’élaboration de CRB au moyen d’estimations de PCA réalistes, fondées sur les meilleures informations disponibles ». Dans ce contexte, la contrainte d’accès, la politique d’uniformité et les réserves non spécifiques de 30 % ont été éliminées. À la place, une politique de récolte non décroissante et des exclusions spécifiques additionnelles pour tenir compte de l’habitat du caribou et de futures aires protégées ont été ajoutées.

 

[507]       Les plans ont été axés sur un CRB unique pour soutenir la totalité des engagements pris dans le cadre des permis en vigueur et sur deux CRB qui comportaient une PCA d’environ 100 000 m3 de bois par année.

 

[508]       SYFC avait annoncé qu’elle allait mettre à pied ses employés en date du 30 juin 2000. Je conclus que ce n’est pas par coïncidence que le MAINC a fait des démarches auprès de Timberline, en juillet, pour tenter de trouver des solutions au problème de l’approvisionnement en bois à long terme, car la fermeture du plus gros employeur privé du sud-est du Yukon était certes une affaire sérieuse.

 

[509]       Le 8 août, Mme Clark a écrit à M. Beaubier à Ottawa pour rendre compte des circonstances qui avaient mené à la fermeture de la scierie. Cette dernière avait fermé à cause d’un manque de bois. Elle a indiqué que les investisseurs n’étaient pas disposés à avancer d’autres fonds sans une tenure à long terme ou un approvisionnement en bois à court terme suffisant. Cette lettre est la pièce P‑79, onglet 312.

 

[510]       Le 9 août 2000, M. Kennedy a envoyé à Mme Guscott un courriel dans lequel il a traité de nouveau de la question de la planification de la gestion forestière et souligné que le Ministère avait reçu le rapport Timberline no 2.

 

[511]       M. Kennedy avait pris part à l’atelier tenu à Edmonton. Dans son courriel, il a indiqué qu’il y avait [traduction] « [q]uelques changements de chiffres importants après avoir supprimé quelques contraintes de gestion dissimulées qui étaient là auparavant ».

 

[512]       L’opposition officielle à l’Assemblée législative du Yukon a écrit au premier ministre Chrétien le 23 août, demandant qu’une enquête soit menée sur la façon dont le MAINC gérait les ressources forestières du Yukon. Il était souligné dans cette lettre que [traduction] « le ministère, sous trois ministres successifs, n’a pas respecté les engagements pris par le ministre Irwin [...] ». L’opposition officielle a affirmé que la clôture de la scierie de SYFC était directement imputable au défaut d’ [traduction] « assurer un accès à long terme au bois ».

 

[513]       Le 31 août, une note d’information a été établie par le bureau régional du MAINC, soulignant la demande de l’opposition officielle en vue d’obtenir une enquête sur la mauvaise gestion flagrante des ressources forestières au Yukon. Ce document figure dans la pièce P‑79, onglet 323.

 

[514]       La note d’information qu’a établie Mme Stewart et qu’a approuvée M. Sewell indique ce qui suit :

[traduction] La fermeture de la scierie de South Yukon Forest Corporation (SYFC) est attribuable à un certain nombre de facteurs :

·        Le faible prix du bois de construction en Amérique du Nord.

·        Les incertitudes associées à la fin de l’Accord sur le bois d’œuvre résineux entre le Canada et les États-Unis ainsi que les avantages qui y étaient associés pour SYFC.

·        La scierie de SYFC aurait à étendre ses capacités en vue de fabriquer des produits finis pour demeurer rentable après la fin de l’Accord sur le bois d’œuvre résineux. Cela inclurait des économies de sciage additionnelles pour pouvoir transformer les arbres de petite taille disponibles au Yukon.

·        Même si SYFC pouvait disposer d’un CRB basé sur un territoire, il serait nécessaire de faire un investissement en infrastructure routière pour avoir accès au bois. Cela représenterait des fonds d’investissement additionnels, en sus de l’expansion nécessaire de la scierie.

·        Le plafond de récolte inférieur, dans les unités d’aménagement forestier situées près de Watson Lake, a bel et bien eu un effet négatif additionnel sur la scierie. Cependant, il semble que ce soient les conditions du marché en général qui ont eu le plus d’effets sur SYFC et sa décision de fermer.

 

[515]       Le bureau régional du Yukon n’a pas relevé le facteur unique que SYFC a indiqué comme motif de fermeture de la scierie. Il en a plutôt suggéré plusieurs, dont aucun n’a été accepté par les demanderesses. Je souligne en outre que les facteurs de causalité que la région a relevés dégagent commodément cette dernière de toute responsabilité.

 

[516]       La fermeture de la scierie était un enjeu de taille pour le ministre Nault. Dans une lettre datée du 19 septembre, déposée en tant que pièce P‑79, onglet 327 et adressée à Mme Hardy, députée représentant Watson Lake, le ministre fait remarquer ce qui suit :

[traduction] La fermeture de cette scierie a suscité une attention considérable. Cette préoccupation est compréhensible et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) la partage.

La South Yukon Forest Corporation est un employeur important au Yukon et dans la collectivité de Watson Lake. La fermeture de la scierie de l’entreprise est prise très au sérieux et je tiens à vous assurer que les fonctionnaires de la région du Yukon du MAINC analysent toutes les options disponibles dans un effort pour remettre la scierie en marche.

Je suis heureux de voir que vous appuyez l’initiative que prend le MAINC pour affermir le développement commercial et la capacité économique des Premières nations. Le MAINC évalue actuellement une proposition de coentreprise qu’a soumise la Première nation de Liard dans le cadre du Fonds régional pour les partenariats et le Programme de développement de grands projets d’entreprise.
[Non souligné dans l’original.]

 

[517]       En fait, en septembre 2000, Mme Jennifer Guscott, alors DGRA, a signé une recommandation en faveur de l’investissement, par le Ministère, d’une somme de 5,5 millions de dollars pour aider KFR à acquérir 51 % de SYFC, dans le cadre du Fonds régional pour les partenariats et du Programme de développement de grands projets d’entreprise. Cette recommandation a été faite après que la scierie eut fermé ses portes.

 

[518]       Cet investissement de 5,5 millions de dollars s’inscrivait dans le cadre d’un investissement d’une valeur de 7,3 millions de dollars que KFR faisait dans SYFC. Grâce à cet investissement, KFR acquerrait une part de 51 % dans la scierie.

 

[519]       Cette recommandation, qui figure dans la pièce P‑79, onglet 334, soulignait que la scierie allait prendre de l’expansion, grâce à l’ajout d’un séchoir et d’une raboteuse, d’une entreprise de fabrication de maisons en bois rond et du renouvellement du CRB consenti à KFR. La recommandation soulignait aussi que l’exploitation forestière est l’une des priorités de la région du Yukon. Elle faisait les commentaires suivants sur les avantages anticipés :

[traduction] A un effet régional considérable et des avantages socioéconomiques diversifiés pour les Premières nations de Liard et de Lower Post, ainsi que pour la Nation Kaska, la Ville de Watson Lake et la Ville de Whitehorse.

Rétablissement de 125 emplois chez SYFC à Watson Lake. Création d’occasions d’emploi et d’affaires grâce aux améliorations apportées.

 

[520]       La recommandation faisait également des commentaires sur le degré de risque en cause :

[traduction] La proposition a été évaluée à l’interne par le gestionnaire des programmes, et ensuite examinée/recommandée par le directeur général régional.

On considère que ce projet présente un risque moyen à élevé, qui dépend de la capacité d’obtenir une tenure forestière adéquate pour répondre à la demande des marchés. Cependant, l’évaluation environnementale du CRB se déroule présentement, la direction est en place et des travailleurs d’expérience sont disponibles pour lancer les opérations sur-le-champ.
[Non souligné dans l’original.]

 

[521]       Par une lettre datée du 19 septembre, le ministre Nault a écrit à M. Fentie, qui, à l’époque, était le MAL représentant Watson Lake. Cette lettre, qui figure dans la pièce D‑81, onglet 123, réitérait la position qu’avait adoptée le ministre en écrivant à la députée Hardy. La fermeture de la scierie était prise au sérieux et le Ministère étudiait toutes les options disponibles dans un effort pour remettre en marche la scierie.

 

[522]       En septembre 2000, le Ministère a lancé une ébauche de DP. Les demanderesses ont qualifié cette dernière de [traduction] « premier ballon d’essai » en rapport avec une proposition d’octroi d’un CRB. Ce document figure dans la pièce P‑79, onglet 331. Cette ébauche de DP invitait des promoteurs à soumettre des propositions relatives à l’octroi d’un CRB. Quatre CRB différents étaient envisagés dans ce document.

 

[523]       LE CRB de Hyland-Coal comporterait une PCA d’environ 90 000 à 105 000 m3 de bois par année. Trois autres CRB compteraient chacun un volume de 30 000 m3 de bois par année. La durée de la tenure serait de cinq ans et une prolongation de cinq autres années était prévue, en fonction du rendement obtenu. Le 4 décembre 2000 était la date d’échéance prévue pour que les promoteurs soumettent tous les éléments requis de la DP.

 

[524]       Les critères d’évaluation et de sélection étaient particulièrement favorables à la scierie des demanderesses. Ces critères comprenaient, notamment, les emplois, l’installation existante, l’expérience confirmée, la transformation sur place ainsi que la participation locale, l’embauche locale et des initiatives de formation.

 

[525]       Par une lettre datée du 5 octobre, M. Don Oulton, président par intérim de SYFC, a écrit à M. Monty, au bureau régional du MAINC à Whitehorse. Sa lettre traitait des CRB ainsi que de la réponse de SYFC à ces dernières. M. Oulton a posé plusieurs questions sur les objectifs, le processus d’approbation proposé et les exigences relatives à des aspects particuliers de la planification de la gestion forestière.

 

[526]       Il a déclaré de plus dans sa lettre que les réponses à ces questions permettraient à SYFC de soumettre une proposition détaillée, complète et exacte. Cette lettre figure dans la pièce D‑81, onglet 124.

 

[527]       La date limite de présentation des DP se rapprochait, mais l’élection fédérale a été déclenchée dans l’intervalle et le Ministère n’a pas pu conclure le processus de consultation. Le 7 novembre, M. Monty a demandé à M. Ballantyne et à Mme Stewart s’ils avaient [traduction] « [s]ongé à informer officiellement le public au sujet d’une prolongation, de groupes de concertation, d’un atelier, etc. ».

 

[528]       En réponse, Mme Stewart a fait remarquer que [traduction] « [l’]AC ne nous a fait part d’aucun commentaire au sujet de ruminations de politique quelconques et nous sommes très restreints dans nos communications média, ce qui exclut des bulletins d’information et bien des commentaires publics ».

 

G. 2001

[529]       Au début de l’année 2001, M. Oulton est entré en contact avec M.L.D. Hartley, de Woodline Services. Au nom de SYFC, M. Oulton a demandé à M. Hartley de se rendre à l’emplacement de la scierie de Watson Lake, depuis Westbank (Colombie-Britannique), et de l’évaluer. M. Hartley a rédigé le « rapport Woodline », déposé en tant que pièce D‑77, en janvier 2001. Il a fait une visite de la scierie les 17 et 18 janvier.

 

[530]       L’évaluation, qui figure dans le rapport Woodline, comprenait une série de commentaires et de suggestions destinés à aider à améliorer la production de la scierie, le taux de récupération du bois et la fabrication d’un produit de plus grande valeur. Le rapport était axé sur l’équipement et les procédures employés à la scierie. Ce rapport critiquait sévèrement l’équipement de la scierie et les procédures de transformation. Il y était souligné que cet équipement était désuet et installé de manière irrégulière ou inefficace. De plus, le rapport estimait que la scierie, telle qu’elle avait été mise en place, était fort inefficace quant à la quantité de bois de construction qu’elle pouvait produire à partir du bois qu’elle recevait.

 

[531]       Comme il a été mentionné plus tôt, une vérification de la scierie distincte a été effectuée en mars 2001 par MM. Van Leeuwen et Russell Taylor, de R.E. Taylor & Associates Ltd. Ce rapport a été établi pour KFR et payé par KFR, LPL et le MAINC. Cette vérification avait pour objet de déterminer si le projet de scierie pouvait être soutenu par l’investissement précédemment mentionné de 5,5 millions de dollars du Ministère.

 

[532]       Selon les vérificateurs, les opérations de sciage étaient freinées par un manque d’approvisionnement en bois garanti, des pertes d’exploitation constantes et croissantes ainsi qu’un affaiblissement du marché du bois d’œuvre. Il était également mentionné qu’entre les mois de janvier et d’août 2000 la scierie avait subi une perte nette de 2 millions de dollars.

 

[533]       Les vérificateurs ont souligné que les capitaux de démarrage restreints qui avaient été investis avaient donné lieu à une capacité de production restreinte et à des installations sans valeur ajoutée, plus précisément, aucun séchoir ou aucune raboteuse. Ils ont aussi sous-entendu que les capitaux de démarrage restreints étaient la raison pour laquelle la scierie recourait à une technologie de sciage ancienne et inefficace. Les vérificateurs ont conclu qu’à cause de l’équipement et des procédures, la scierie était une productrice de bois d’œuvre à coût élevé et incapable d’exercer une concurrence sur les marchés nord-américains.

 

[534]       Les vérificateurs ont souligné notamment que la capacité d’obtenir un approvisionnement en bois constant, fiable, de bonne qualité et rentable était devenue un problème. Il était peu probable que ce projet puisse évoluer sans qu’une part importante de l’approvisionnement soit garantie au moyen d’une tenure. Le rapport de vérification contenait des commentaires au sujet de l’impact de l’Accord sur le bois d’œuvre résineux sur les opérations futures de la scierie. Enfin, les vérificateurs ont fait remarquer qu’il allait falloir implanter des installations à valeur ajoutée, soit des séchoirs et des raboteuses, si la scierie rouvrait ses portes.

 

[535]       Le 8 mai 2001, M. David Loeks, de TransNorthern Management, a produit un document intitulé « Final Report : Timber Harvest Agreement Consultations and Analysis » (le rapport Loeks), déposé en tant que pièce P‑6. Ce rapport a été établi pour M. Ballantyne, directeur des Ressources renouvelables, région du Yukon du MAINC, ainsi que pour M. Gay, gestionnaire régional, Ressources forestières, région du Yukon du MAINC. M. Loeks avait été engagé à contrat par le MAINC pour effectuer des travaux de consultation et d’analyse concernant l’ébauche de DP qui avait été lancée en septembre 2000.

 

[536]       M. Loeks a recommandé de lancer une DP pour deux CRB d’un volume de 30 000 m3 seulement. Il a suggéré que l’AAF à court terme existante, qui comportait un volume maximal de 128 000 m3 de bois par année, constituait un frein pour la délivrance de n’importe quel CRB. Cependant, il a fait remarquer aussi que [traduction] « sans un approvisionnement en bois garanti, plusieurs entreprises fermeront vraisemblablement leurs portes ».

 

[537]       Il ressort clairement de la preuve, y compris la fermeture de la scierie, que cet avertissement au sujet de la fermeture d’entreprises vise spécifiquement SYFC.

 

[538]       Ce rapport a été suivi par un courriel, le 11 mai, de M. Loeks à M. Ballantyne, au sujet de la YCS. Ce courriel a été envoyé dans le cadre des fonctions qu’il exerçait pour le MAINC. Ce document a été déposé en tant que pièce P‑76.

 

[539]       Dans son courriel, M. Loeks fait état de ses préoccupations à l’égard d’une [traduction] « guerre des médias » possible avec la YCS. Il inclut dans son message adressé à M. Ballantyne le courriel qu’il a envoyé à la YCS. Dans ce courriel, M. Loeks explique à la YCS que le bureau régional du MAINC a souscrit à sa recommandation au sujet de la façon de s’acquitter de l’engagement du ministre en matière de CRB. Il déclare de plus à la YCS que le MAINC va donner suite à ses plans à cause de l’engagement du ministre Nault.

 

[540]       M. Loeks a fait savoir ce qui suit à la YCS :

[traduction] Le comité [de Watson Lake] représente la meilleure chance collective que nous ayons de bien faire les choses. Si le projet échoue, nous revenons tous à la case où nous nous trouvions en septembre, mais à une grande différence près : le MAINC ira de l’avant, indépendamment d’une guerre des médias, parce qu’il peut montrer de façon convaincante qu’il a investi le temps et l’argent dans des plans de processus et de consultation impartiaux et de bonne foi. Le Ministère sera forcé d’aller de l’avant à cause de l’engagement du ministre Nault. Le fondement d’une action en justice est devenu mince, car le MAINC a en réalité fait les bonnes choses depuis l’automne.

[...]

Conformément aux nombreuses discussions que nous avons eues ainsi qu’aux conclusions des deux ateliers, j’ai recommandé qu’une nouvelle AAF était nécessaire pour les unités Y02 et Y03

[...]

La Ville de Watson Lake souhaite aussi que l’on affermisse son économie. Nous savons tous qu’offrir 60 % de 128 000 m3 par année garantira que seules deux exploitations de taille modeste et les petites scieries seront capables d’ouvrir leurs portes. Les exploitations de grande taille et les intérêts de la Ville resteront en plan.

 

[541]       La situation qui existait en septembre 2000 concernait quatre CRB différents, dont un d’environ 100 000 m3 de bois par année. Cela est très différent du CRB maximal de 30 000 m3 que proposait M. Loeks. Il ne fait aucun doute que les exploitations de grande taille auxquelles M. Loeks faisait allusion englobaient SYFC.

 

[542]       Le 15 juin 2001, M. Loeks a envoyé à M. Ballantyne une lettre, portant cette fois-ci sur la question de l’AAF. Cette lettre figure dans la pièce P‑80, onglet 82. M. Loeks a écrit ce qui suit :

[traduction] Le MAINC sera en mesure de lancer une DP pour deux CRB de 30 000 m3/année durant 5 ans dans le sud-est du Yukon avant la fin du mois de juin. Cela aidera à libérer le ministère d’un engagement embêtant et d’une sérieuse controverse publique. Mais cela ne résoudra pas dans une large mesure le problème auquel fait face l’industrie, car les CRB sont limités par rapport à la demande prévue de l’industrie.

[...]

À l’heure actuelle, on dispose de nouvelles données sur les inventaires et les hypothèses sont fondées sur des idées mieux éclairées. Le MAINC, le gouvernement du Yukon, l’industrie et les intervenants conviennent donc qu’une nouvelle AAF est nécessaire pour donner plus de certitude et guider ainsi les travaux de planification et de gestion qui concernant toutes les parties du sud‑est du Yukon. Un objectif important est aussi d’accorder une AAF à laquelle toutes les parties peuvent souscrire.

Plusieurs entreprises – et une bonne part de la ville de Watson Lake – insistent pour dire qu’il est indispensable que l’AAF soit faite rapidement. On leur a promis des CRB il y a plus d’un an de cela et elles ont le sentiment que la taille du CRB qui est offert est, au mieux, insuffisante et, au pire, qu’il s’agit d’une preuve de mauvaise foi. Dans une réunion récente avec le MAINC et le GTY, South Yukon Forest Corporation a déclaré qu’elle sera obligée de fermer si le MAINC demeure limité par le plafond de récolte existant.

[...]

Comparativement aux districts forestiers situés ailleurs, le sud-est du Yukon n’est pas un secteur où il est compliqué d’évaluer les ressources. En tant que secteur de planification, ses contraintes topographiques ainsi que les niveaux relativement faibles de concurrence en matière de ressources simplifient encore plus les choses.

[...]

Si SYFC perd une offre de CRB équitable, qu’il en soit ainsi. En revanche, il y aura d’aigres récriminations si l’entreprise s’effondre parce que le gouvernement prend six mois de plus pour assurer sa planification.
[Non souligné dans l’original.]

 

[543]       À cette époque, la scierie de la coentreprise était fermée depuis le 4 août 2000, faute d’un approvisionnement en bois suffisant.

 

[544]       M. Pat MacDonell, expert-forestier respecté, a été engagé par le MAINC pour s’occuper du processus de CRB. Le 19 juin 2001, il a envoyé un courriel à M. Gay, au MAINC. Il a fait remarquer que le plafond de récolte de 128 000 m3 avait été fixé à la suite du rapport Henry et il a dit que ce chiffre était prudent, en partie à cause des revendications territoriales non réglées.

 

[545]       M. MacDonell a également recommandé qu’il était temps de procéder à une nouvelle AAF. Il a reconnu qu’un certain nombre d’AAF avaient été établies depuis 1998. Il a déclaré que toutes ces AAF étaient valables, y compris le rapport Timberline no 2 dans lequel des contraintes d’accès avaient été éliminées et un approvisionnement en bois de 400 000 m3 avait été trouvé. Il a également souligné que le MAINC n’effectue pas d’études de viabilité économique; c’est à l’industrie de déterminer si elle peut agir avec succès. Ce courriel figure dans la pièce P‑79, onglet 340.

 

[546]       En septembre 2001, le Ministère a lancé une seconde ébauche de DP, nettement réduite, en vue d’accorder un CRB. Cette ébauche était conforme à la proposition de M. Loeks concernant l’octroi de CRB de petite taille, qui ne répondraient pas aux besoins de SYFC mais qui allégeraient [traduction] « l’engagement embêtant » qui avait été pris. Chaque CRB a été offert avec un volume maximal de 150 000 m3 sur cinq ans, soit 30 000 m3 par année. Ce document figure dans la pièce 79, onglet 349.

 

[547]       La demande [traduction] « véritable » de propositions pour les CRB de Watson Lake a été lancée par le MAINC le 2 octobre 2001. Le document intitulé « Timber Harvest Agreements : Request for Proposals Watson Lake, Final Version » (Contrats de récolte de bois : demande de propositions - Watson Lake, version finale) a été déposé en tant que pièce D‑73. Cette demande ne concernait que les unités Y02 et Y03 et se limitait à un volume de 30 000 m3 sur cinq ans. Le bois récolté devait être transformé par une scierie située à Watson Lake. Ce document imposait des obligations détaillées au détenteur du CRB, en échange d’un très maigre bénéfice.

 

[548]       Toutefois, à ce moment, des modifications réglementaires détaillées avaient été introduites le 2 mai 2001, par le DORS/2001‑162. Des PCC étaient maintenant disponibles pour un volume de 20 000 à 40 000 m3 de bois par année. Les obligations imposées aux auteurs de propositions relatives aux CRB n’étaient pas imposées aux détenteurs des PCC nouveaux et majorés.

 

[549]       Cette DP « véritable » offrait en fait moins de bois qu’il n’était possible d’en obtenir au moyen d’une catégorie particulière de PCC. Même le plus faible volume possible, en vertu du PCC révisé, ne représentait que 10 000 m3 de moins que le CRB. Notamment, ces PCC n’étaient pas soumis aux obligations importantes et excessives auxquelles l’auteur d’une proposition relative à un CRB serait assujetti.

 

[550]       Le 18 octobre 2001, M. Oulton, de SYFC, a écrit au nouveau DGR du MAINC au Yukon, M. John Brown. Cette lettre figure dans la pièce D‑11, onglet 70. Dans sa lettre, M. Oulton écrit que si une scierie n’a jamais été construite avant que SYFC bâtisse la sienne, c’est parce qu’il a été impossible d’obtenir un contrat de bois à long terme du gouvernement fédéral.

 

[551]       M. Oulton fait remarquer que le MAINC s’est engagé à accorder un approvisionnement en bois garanti avant la construction de la scierie. Il ajoute que la scierie a fermé parce qu’elle était incapable d’exploiter ses activités sans le bois promis. Cette lettre, qui fait partie de la pièce D‑11, a été déposée pour faire foi de la véracité et de l’exactitude de son contenu.

 

[552]       Le 9 novembre, la présente action a été introduite par le dépôt d’une déclaration de SYFC.

 

[553]       Le 11 novembre, le ministre Nault a écrit à M. Dennis Fentie, le MAL représentant Watson Lake, en réponse à la lettre du 24 octobre de M. Fentie. Cette lettre figure dans la pièce P‑80, onglet 86.

 

[554]       Le ministre Nault dit dans sa lettre qu’un CRB d’un volume de 30 000 m3 satisfait aux [traduction] « principes de durabilité, de viabilité économique et d’acceptabilité sociale ». La lettre qui a été déposée en tant que pièce n’est pas signée. Je lui accorde donc peu de poids.

 

[555]       Peu après cette lettre, une réunion a été tenue à Watson Lake le 14 novembre entre des membres de la YFIA et le ministre Nault. Les notes sténographiques de cette réunion figurent dans la pièce P‑79, onglet 357. À cette occasion, les participants ont discuté de nombreuses erreurs et de nombreux problèmes quant à la façon dont le bureau régional du MAINC avait traité la délivrance de PCC.

 

[556]       Quelques jours après cette réunion, par un courriel daté du 19 novembre, M. MacDonell a écrit à M. Wortley à propos d’une AAF établie pour le ministre. Dans ce courriel, qui figure dans la pièce P‑80, onglet 87, M. MacDonell recommande que le ministre attende et reçoive le rapport et qu’il examine ensuite toutes les options présentées en vue de déterminer la PCA.

 

[557]       M. MacDonell était en voie d’établir une nouvelle AAF, qui allait prendre en considération les critères proposés par l’industrie, les piégeurs, les écologistes et d’autres utilisateurs forestiers. Son souci était de veiller à ce que le ministre ait en main un tableau équilibré de la situation, et pas seulement ce que l’industrie préférait. M. MacDonell a également souligné qu’il lui restait six semaines avant de terminer le rapport d’AAF.

 

[558]       Même s’il a été dit que le rapport était presque prêt, ce dernier n’a pas été produit avant janvier 2003, quand le Comité technique d’approvisionnement du bois du MAINC/GTY a rendu public le rapport MacDonell.

 

[559]       Ce rapport concluait que les unités Y02 et Y03 contenaient environ 5,1 millions d’hectares de terre. Le potentiel biologique maximal, c’est-à-dire la récolte scientifiquement durable, abstraction faite des facteurs d’ordre sociologique et environnemental, était de 1,6 million m3 de bois par année. Tous les intervenants consultés, à l’exception de la Trappers Association, estimaient que le CRB de 128 000 m3 était insuffisant. Il a également été souligné que ce n’était que dans deux provinces au Canada que l’on recourait à des politiques de récolte basées sur une contrainte d’uniformité.

 

VI. ANALYSE

A. Introduction

[560]       J’aurais un commentaire à faire avant de commencer mon analyse.

 

[561]       Dans la décision Carrier Lumber Ltd. c. British Columbia (1999), 30 C.E.L.R. (N.S.) 219 (C.S.C.-B.), le juge du procès a déclaré ceci :

[traduction]

479      À certains égards, les avocats des deux parties à la présente action sont, à mon humble avis, tombés dans le piège dans lequel se font souvent prendre les avocats, surtout ceux qui s’occupent de questions contractuelles. La majeure partie de leurs plaidoiries a principalement porté sur une série de questions hautement subtiles et étroitement centrées dans lesquelles ils se sont arrêtés à des points que le grand public pourrait fort bien considérer comme du « coupage » de cheveux en quatre.

480      Je ne voudrais pas que l’on pense, par ces propos, que je critique les avocats ou les efforts qu’ils ont faits; en réalité, il est question ici d’une affaire dans laquelle la Cour devrait faire part de sa gratitude aux avocats qui ont comparu au procès. Pour accomplir leur tâche, les avocats sont tenus d’affiner et d’exposer les positions de leurs clients respectifs en tentant de les faire valoir. Il s’agit d’un processus qui, de par sa conception et sa nécessité, est partisan et dans lequel, en théorie, la vérité ressort du processus contradictoire.

481      La nature de la discipline du droit et les techniques de l’analyse juridique mènent habituellement à une forme d’analyse centrée et étroite qui concentre l’attention sur des questions fort précises.

482      La tâche du juge du procès doit consister à considérer tout d’abord l’affaire dans son ensemble d’une manière détachée, avant d’examiner à la loupe une question particulière quelconque.

[...]

484      Ces caractérisations font passer le conflit du niveau personnel au niveau théorique; elles mettent en jeu des questions d’intérêt public vastes et amorphes et ciblent l’attention sur des points de nature technique.

485      Ceci étant dit avec respect, ce n’est pas vraiment de cela dont il est question en l’espèce. La présente action a trait à une question bien plus profonde, mais toutefois simple. La défenderesse peut-elle inciter un simple citoyen, une société de personnes en l’occurrence, à conclure un marché qui offre à la demanderesse un paiement à des conditions bien précises par la livraison de 5 000 000 mètres cubes de bois et ensuite, en recourant à son pouvoir et à sa capacité législative, modifier radicalement, des années plus tard, l’affaire qui a été conclue?

 

[562]       Bien qu’il y ait des différences de nature factuelle entre la décision Carrier Lumber Ltd. et la présente espèce, il existe quelques similitudes, dont la [traduction] « série de questions hautement subtiles et étroitement centrées [...] que le grand public pourrait fort bien considérer comme du coupage de cheveux en quatre » que la défenderesse a plaidées. Comme l’a déclaré le juge du procès dans la décision Carrier Lumber Ltd., la manière dont la défenderesse a caractérisé cette affaire a fait [traduction] « passer le conflit du niveau personnel au niveau théorique ». La présente action porte aussi sur des questions de nature [traduction] « plus profonde, mais pourtant simple ».

 

[563]       La présente action a trait à la construction d’une scierie à Watson Lake, une localité située dans le sud-est du Yukon. Les questions auxquelles il est nécessaire de répondre sont les suivantes : pourquoi les demanderesses ont-elles construit la scierie, pourquoi la scierie a-t-elle fermé et quelles en sont les conséquences en droit? Les réponses à ces questions dépendent de la manière dont j’apprécie les éléments de preuve qui ont été présentés.

 

[564]       Avant d’appeler ses témoins, chaque partie a fait une déclaration d’ouverture et indiqué, chacune sous son angle respectif, les questions de droit qui étaient en jeu.

 

[565]       Les demanderesses déclarent que leurs revendications s’inscrivent dans les catégories de la négligence, de la déclaration inexacte faite par négligence, de l’inexécution d’un contrat, d’un manquement à l’obligation fiduciaire ainsi que de la faute dans l’exercice d’une charge publique.

 

[566]       Pour sa part, la défenderesse a plaidé un déni de toutes les revendications présentées par les demanderesses. Elle a ensuite invoqué des moyens de défense subsidiaires : mandat, cession, coût, dommages, estoppel, fiducia, coentreprise, retards indus, prescriptions, malveillance, faute dans l’exercice d’une charge publique, négligence, déclaration inexacte faite par négligence, société de personnes, prérogative de la Couronne, recours collectif et confiance. Même si elle a indiqué dans sa déclaration d’ouverture qu’il s’agissait là des questions en litige, la défenderesse n’a pas traité de la totalité d’entre elles dans ses observations finales.

 

B. Les questions en litige préliminaires

[567]       Dans la mesure où certains des moyens de défense que la défenderesse a soulevés sont susceptibles de réfuter les prétentions de LPL, relativement aux questions de cession et de prescription, et les prétentions des deux demanderesses, relativement aux arguments liés à la disponibilité d’un contrôle judiciaire, je traiterai de ces questions en premier.

 

[568]       Comme il a été souligné dans l’historique des procédures judiciaires, la présente action n’a été engagée au départ que sous le nom de SYFC. LPL est devenue partie à la suite de l’ordonnance que la Cour d’appel fédérale a rendue le 27 janvier 2006. Dans ses motifs du jugement, la Cour d’appel a fait des commentaires sur la nécessité de joindre LPL en tant que partie, au cas où l’on ne pourrait pas établir une présumée cession de ses droits d’action à SYFC. À cet égard, je renvoie au passage suivant, extrait de la décision de la Cour d’appel fédérale, aux paragraphes 28 à 30 :

[28]      Ces considérations ne sont pas pertinentes. La question que la juge saisie des requêtes devait trancher ne consistait pas à déterminer si LPL avait effectivement cédé ses droits à l’appelante, mais plutôt à déterminer si, dans les circonstances, il était nécessaire d’autoriser l’appelante à constituer LPL codemanderesse pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige en l’espèce. À mon avis, la réponse à cette question ne peut être qu’affirmative.

[29]      Les arguments soulevés par l’appelante et LPL sont clairement exposés aux paragraphes 6 et 7 de la deuxième version modifiée de leur déclaration telle que proposée, que j’ai déjà reproduits. L’appelante et LPL soutiennent que les droits d’action de LPL contre l’intimée ont été cédés à l’appelante. Si cette allégation s’avérait exacte, l’appelante serait alors habilitée, dans l’éventualité où la responsabilité de l’intimée est établie, à obtenir les réparations qu’elle demande. Cependant, si la cession était déclarée invalide, il deviendrait impossible d’obtenir réparation de l’intimée, à moins que LPL n’ait été constituée partie à l’instance.

[30]      En de telles circonstances, donc, contrairement à ce qu’affirme l’intimée, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas suffisant que l’appelante allègue, au soutien de sa requête en vue de constituer LPL codemanderesse, la cession qui aurait été faite par LPL. Que l’appelante obtienne ou non-gain de cause, au bout du compte, n’est pas une question pertinente dans le présent appel, pas plus qu’elle n’aurait dû l’être devant la juge saisie des requêtes.

 

[569]       Dans ses observations finales écrites, qui ont été déposées à l’audience, la défenderesse a invoqué expressément l’argument de prescription visant la demanderesse LPL, à l’égard des motifs d’action allégués pour inexécution de contrat et pour manquement à une obligation fiduciaire. Dans sa seconde déclaration et demande reconventionnelle modifiée, qui a été déposée à la suite de l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale, Sa Majesté a invoqué un moyen de défense fondé sur la prescription à l’encontre de LPL.

 

[570]       Malgré le silence des observations écrites de la défenderesse sur la question de la prescription en rapport avec les motifs d’action fondés sur la responsabilité délictuelle qu’invoquait LPL, j’examinerai la disponibilité de ce moyen de défense en rapport avec tous les motifs d’action que LPL a invoqués.

 

[571]       La loi sur la prescription qui s’applique en l’espèce est la Loi sur la prescription, L.R.Y. 2002, ch. 139. Cela est dû au paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, dont le texte est le suivant :

 

Prescription — Fait survenu

 

 

39 (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette  province.

 

Prescription and limitation on proceedings

 

39 (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

 

 

[572]       La Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, définit à l’article 35 le mot « province » comme suit :

« province » Province du Canada, ainsi que le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le territoire du Nunavut.

“province” means a province of Canada, and includes Yukon, the Northwest Territories and Nunavut;

 

[573]       L’application du paragraphe 39(1), de même que la définition du mot « province » dans la Loi d’interprétation, signifient que la Loi sur la prescription du Yukon s’applique en l’espèce.

 

[574]       La défenderesse se fonde sur le paragraphe 2(1) de la Loi sur la prescription, dont les dispositions applicables sont les suivantes :

 

Délais de prescription

 

2 (1) Sous réserve du paragraphe (3), les actions suivantes se prescrivent par les délais respectivement indiqués ci-après :

 

f) l’action en recouvrement d’une somme, sauf l’action relative à une créance grevant

un bien-fonds, que cette somme soit recouvrable notamment à titre de créance ou de dommages-intérêts, ou que cette somme découle d’un engagement, d’un cautionnement, d’un covenant ou autre contrat formaliste, ou d’un contrat nu verbal, exprès ou tacite, se prescrit par six ans à compter de la naissance de la cause d’action; il en est de même de l’action en reddition de comptes ou pour non-reddition de comptes;

[...]

h) l’action fondée sur un accident, une erreur, un autre moyen en equity ou une

autre mesure de redressement en equity, sauf ceux susmentionnés, se prescrit par six ans à compter de la découverte de la cause d’action;

[...]

j) toute autre action qui ne fait pas explicitement l’objet d’une disposition de la présente loi ou d’une autre loi se prescrit par six ans à compter de la naissance de la cause d’action.

Periods of limitations

 

2 (1) Subject to subsection (3), the following actions shall be commenced within and not

after the times respectively hereinafter mentioned

 

(f) actions for the recovery of money, except in respect of a debt charged on land, whether

recoverable as a debt or damages or otherwise, and whether on a recognizance,

bond, covenant, or other specialty or on a simple contract, express or implied, and actions for an account or for not accounting, within six years after the cause of action

arose;

 

 

 

 

 

[...]

(h) actions grounded on accident, mistake or other equitable ground or relief not

hereinbefore specially dealt with, within six years from the discovery of the cause of

action;

 

 

[...]

(j) any other action not in this Act or any other Act specially provided for, within six years after the cause of action arose.

 

 

[575]       Il est utile, à mon avis, d’analyser en même temps les arguments de la défenderesse à propos d’un moyen de défense fondé sur une prescription et l’absence d’une cession valable, car ces deux questions sont liées.

 

[576]       Si j’ai bien compris, la défenderesse soutient qu’il faudrait réfuter les revendications de LPL parce que cette dernière n’a pas engagé la présente action dans le délai que prévoit la Loi sur la prescription susmentionnée. Le paragraphe 2(1) de cette dernière dispose que toutes les causes d’action qui sont alléguées en l’espèce doivent être engagées dans les six années qui suivent la naissance de la cause d’action. Cela amène à déterminer le moment où la cause d’action de LPL contre la défenderesse a pris naissance.

 

[577]       Pour répondre à cette question, les demanderesses se fondent sur la décision rendue dans l’affaire Stewart c. Canadian Broadcasting Corp. (1997), 152 D.L.R. (4th) 102 (D.G. Ont.), où la Cour a conclu qu’une cause d’action prend naissance au moment où ses éléments constitutifs sont survenus. Dans la mesure où LPL invoque comme causes d’action la négligence, des déclarations inexactes faites par négligence, une inexécution de contrat, un manquement à une obligation fiduciaire et l’exercice fautif d’une charge publique, la Cour se doit de déterminer à quel moment chacune de ces causes a pris naissance.

 

[578]       Il me suffit de dire, à ce stade-ci, que les causes d’action en négligence, en fausses déclarations faites par négligence, en inexécution de contrat, en manquement à une obligation fiduciaire et en exercice fautif d’une charge publique ont pris naissance au moment où la scierie de Watson Lake a fermé. Tel est le fait qui a donné naissance au préjudice pour lequel un dédommagement est réclamé dans la présente action.

 

[579]       Il est un fait admis, conformément à la réponse à la demande de reconnaissance, que la scierie de Watson Lake a fermé le 4 août 2000. Si on applique le délai de prescription pertinent qui est spécifié dans la Loi sur la prescription, c’est-à-dire six ans, le délai prévu pour l’introduction de l’action aurait expiré le 4 août 2006.

 

[580]       La seconde déclaration modifiée présentée pour le compte des demanderesses a été déposée auprès du greffe de la Cour le 6 février 2006, comme l’indique le répertoire des inscriptions enregistrées qui se rapporte à la présente cause.

 

[581]       La défenderesse soutient que le délai de prescription qui s’applique à toute action engagée contre elle a commencé le 4 juin 1996, soit la date d’une lettre que M. Ivanski a écrite à LPL.

 

[582]       Je rejette cet argument. Cette lettre, que j’analyserai plus loin, n’est pas un « élément constitutif » de l’une quelconque des causes d’action qu’invoquent LPL ou, en fait, les deux demanderesses.

 

[583]       Dans la mesure où SYFC a déposé une requête en vue d’obtenir la jonction de LPL à titre de demanderesse, cette requête a été déposée le 16 février 2004. Par des directives que le protonotaire John Hargrave a données le 8 juin 2004, la requête a été mise au rôle en vue d’une audition devant un juge de la Cour siégeant à Whitehorse. La requête a été entendue à Whitehorse le 1er novembre 2004. Elle a été rejetée par une ordonnance déposée le 24 novembre 2004. Un avis d’appel contre cette ordonnance a été déposé le 15 décembre dans le dossier de la Cour d’appel A‑641-04.

 

[584]       Pour une raison quelconque, l’appel n’a pas été entendu avant le 1er décembre 2005 et la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision le 27 janvier 2006.

 

[585]       Dans ses motifs de jugement, la Cour fédérale d’appel a déclaré que la juge des requêtes s’était trompée et elle a entrepris de rendre l’ordonnance que « la juge saisie des requêtes aurait dû rendre », comme suit :

[42]      [...] Rendant la décision qui aurait dû être rendue, j’accueillerais la requête de l’appelante en vue de modifier sa déclaration, dans son intégralité. En conséquence, je modifierais l’ordonnance du 23 novembre 2004 comme suit :

La requête présentée par la demanderesse en vue de constituer LPL codemanderesse, de modifier la déclaration pour ajouter un droit d’action de nature contractuelle et d’apporter diverses modifications accessoires concernant les causes d’action existantes est accueillie.

 

[586]       Comme j’ai conclu que les causes d’action n’ont pas pris naissance avant la fermeture de la scierie, qui, est-il reconnu, a eu lieu le 4 août 2000, il est évident que le statut de LPL à titre de demanderesse se situait bien à l’intérieur du délai de prescription, car la seconde déclaration modifiée, désignant LPL en tant que demanderesse, a été déposée le 6 février 2006. Il est inutile que j’en dise plus que la Cour d’appel.

 

[587]       Ma décision sur ce point règle toute contestation concernant la validité de n’importe quelle cession enregistrée, par LPL, de ses causes d’action à SYFC. La validité d’une cession, voire l’existence d’une cession, importe peu si LPL a engagé son action contre la défenderesse en temps opportun. Les observations de la défenderesse à l’égard de ces deux questions ne peuvent être retenues.

 

[588]       Dans sa déclaration préliminaire, la défenderesse a fait référence à un grand nombre de questions, ainsi que je l’ai mentionné plus tôt. Elle n’a pas traité de toutes ces questions directement dans ses observations finales, tant orales qu’écrites. Toutefois, elle a fait particulièrement mention dans ses remarques préliminaires, à la page 2202 des notes sténographiques, d’un recours collectif, comme suit :

[traduction]

[...] recours collectif, et confiance.

LA JUGE :       Recours collectif... je ne pensais pas que cela était prévu. Je pensais que cette question avait été écartée avant que les requêtes soient plaidées à Whitehorse en novembre 2004.

Me WHITTLE :            Les actes de procédure que je vais plaider dans mes observations finales dénotent l’existence d’un tel recours.

 

[589]       La référence faite à « novembre 2004 » concerne l’avis de requête déposé le 16 février 2004 dans lequel SYFC sollicitait diverses réparations, dont la désignation des demanderesses pour représenter les coentrepreneurs exploitant leurs activités sous le nom de SYFC, conformément aux Règles.

 

[590]       SYFC a plus tard abandonné cet élément de son avis de requête, et la défenderesse s’est opposée à cet abandon partiel, comme l’indique le répertoire des inscriptions enregistrées.

 

[591]       Je souligne que ce n’est que dans sa déclaration préliminaire que la défenderesse a fait référence à un recours collectif en rapport avec le présent procès. Jamais une requête, déposée pour le compte de LPL, de SYFC ou, en fait, par la défenderesse, indiquant que LPL ou SYFC agissait à titre de représentante, conformément à l’article 114 des Règles n’a été tranchée. Dans ces circonstances, il me suffit de prendre en considération la présence de LPL et de SYFC, à titre de demanderesses, devant la Cour.

 

[592]       Voyons maintenant les arguments de la défenderesse, invoqués seulement dans les observations finales, et selon lesquels il y aurait lieu de rejeter l’action parce qu’il s’agit d’une contestation incidente d’une décision administrative pour laquelle les demanderesses auraient dû solliciter une réparation par la voie d’un contrôle judiciaire.

 

[593]       À cet égard, la défenderesse se fonde sur l’arrêt Grenier c. Canada, [2006] 2 R.C.F. 287 (C.A.), dans lequel la Cour d’appel fédérale mentionne ce qui suit :

20        Pour les raisons que j’exprimerai ci-après, je crois que la conclusion à laquelle en est venue notre collègue, la juge Desjardins dans l’affaire Tremblay, est la bonne en ce qu’il s’agit de la conclusion recherchée par le législateur et mandatée par la Loi sur les Cours fédérales. Elle y affirmait que le justiciable qui veut s’attaquer à une décision d’un organisme fédéral n’a pas le libre choix d’opter entre une procédure de contrôle judiciaire et une procédure d’action en dommages- intérêts : il doit procéder par contrôle judiciaire pour faire invalider la décision.

21        En vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale possède une compétence concurrente avec les tribunaux des provinces pour entendre une demande en dommages‑intérêts formée au titre de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif [L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21)]. Je reproduis en partie l’article 17 :

[Article 17 non reproduit.]

22        Par contre, le Parlement a cru opportun de réserver et d’octroyer à la Cour fédérale une compétence exclusive de contrôler la légalité des décisions rendues par tout office fédéral :

[Article 17 non reproduit.]

23        Dans l’affaire Canada c. Capobianco, 2005 QCCA 209, la Cour d’appel du Québec a reconnu cette compétence exclusive et a conclu que le recours en dommages institué devant la Cour supérieure du Québec était prématuré puisque la réclamation du demandeur reposait essentiellement sur la prémisse que les décisions prises à son endroit par les offices fédéraux, desquelles résultait son préjudice, étaient illégales : seule la Cour fédérale avait compétence pour sanctionner cette illégalité qui, au terme du paragraphe 18(3), s’exerce par la procédure de contrôle judiciaire prévue par le Parlement.

24        En créant la Cour fédérale et en édictant l’article 18, le législateur fédéral a voulu mettre un terme au morcellement existant du contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux. À l’époque, ce [page299] contrôle était effectué par les tribunaux des provinces : voir Patrice Garant, Droit administratif, 4e éd., vol. 2, Yvon Blais, 1996, aux pages 11 à 15. L’harmonisation des disparités dans les décisions judiciaires devait se faire au niveau de la Cour suprême du Canada. Par souci de justice, d’équité et d’efficacité, sous réserve des exceptions de l’article 28 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8; 2002, ch. 8, art. 35], le Parlement a confié à une seule Cour, la Cour fédérale, l’exercice du contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux. Ce contrôle doit s’exercer et s’exerce, aux termes de l’article 18, seulement par la présentation d’une demande de contrôle judiciaire. La Cour d’appel fédérale est le tribunal investi du mandat d’assurer l’harmonisation en cas de décisions conflictuelles, dégageant ainsi la Cour suprême du Canada d’un volume considérable de travail, tout en lui réservant la possibilité d’intervenir dans les cas qu’elle juge d’intérêt national.

 

[594]       Premièrement, je souligne que la défenderesse n’a pas plaidé cette question-là. Dans la défense additionnelle qu’elle a déposée, elle ne dit pas que les demanderesses, ou l’une ou l’autre d’entre elles, auraient dû poursuivre un recours en droit administratif. Cette question a été soulevée pour la première fois par la défenderesse dans ses observations finales.

 

[595]       Deuxièmement, je fais remarquer que la défenderesse n’a pas demandé que l’on radie la déclaration pour ce motif. En fait, il est presque étonnant qu’au stade des observations finales, la défenderesse ait invoqué l’arrêt Grenier comme une sorte de réponse ou de défense à l’action des demanderesses.

 

[596]       Il ressort du répertoire des inscriptions enregistrées que, le 29 mai 2002, la défenderesse a déposé un avis de requête en vue d’obtenir une ordonnance radiant certaines parties de la déclaration originale, ainsi qu’une ordonnance en vue d’obtenir de plus amples précisions. Cette requête a été plaidée devant la Cour, à Whitehorse, le 16 août 2002.

 

[597]       Par une ordonnance datée du même jour, le protonotaire Hargrave a fait droit à la requête en partie et les demanderesses ont obtenu l’autorisation de déposer une déclaration modifiée, supprimant toute mention du recours discrétionnaire que constitue une ordonnance de mandamus, et qui n’est disponible que dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

 

[598]       Tant les demanderesses que la défenderesse ont traité de cette question, c’est-à-dire la poursuite de recours en droit administratif, dans leurs observations finales en juillet 2008 et, de nouveau, conformément à une directive de la Cour, le 17 septembre 2008. Le motif a été traité de manière appropriée et véridique, et chaque partie a eu la possibilité d’examiner la jurisprudence de la présente Cour et de la Cour d’appel fédérale qui date d’après la décision rendue dans l’arrêt Grenier.

 

[599]       Le 17 septembre 2008, la défenderesse a exposé en détail ses observations au sujet du défaut des demanderesses de poursuivre des recours en droit administratif.

 

[600]       La défenderesse a fait valoir que dans la mesure où les demanderesses contestaient la réduction de la PCA pour les UAF Y01, Y02 et Y03 de 350 000 m3 à 128 000 m3, elles auraient dû recourir à un contrôle judiciaire. Elle a fait valoir aussi que dans la mesure où les demanderesses considéraient que cette réduction de la PCA était une violation des clauses d’un contrat implicite, elles auraient dû solliciter une ordonnance de mandamus pour obliger la défenderesse à faire quelque chose.

 

[601]       Les arguments de la défenderesse à cet égard sont dénués de tout fondement.

 

[602]       Dans la présente action, les demanderesses invoquent des motifs d’action en common law : négligence, fausse déclaration faite par négligence, inexécution de contrat, manquement à une obligation fiduciaire et exercice fautif d’une charge publique. Dans la mesure où la défenderesse s’appuie sur la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans Grenier, elle est malvenue à le faire. En aucun cas les demanderesses ne contestent-elles la légalité d’une décision administrative.

 

(i) La nature de l’instance

[603]       Il serait utile, à ce stade, que je fasse quelques commentaires sur la nature de l’instance.

 

[604]       Il s’agit d’une action civile, engagée en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. 50 et de la Loi sur les Cours fédérales. Les articles 3 et 10 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif sont pertinents et mentionnent ce qui suit :

Responsabilité

 

3. En matière de responsabilité, l’État est assimilé à une personne pour :

 

a) dans la province de Québec :

 

(i) le dommage causé par la faute de ses préposés,

 

 

(ii) le dommage causé par le fait des biens qu’il a sous sa garde ou dont il est propriétaire ou par sa faute à l’un ou l’autre de ces titres;

 

 

b) dans les autres provinces :

 

 

(i) les délits civils commis par ses préposés,

 

(ii) les manquements aux obligations liées à la propriété, à l’occupation, à la possession ou à la garde de biens.

 

[...]

Liability

 

3. The Crown is liable for the damages for which, if it were a person, it would be liable

 

(a) in the Province of Quebec, in respect of

 

(i) the damage caused by the fault of a servant of the Crown, or

 

(ii) the damage resulting from the act of a thing in the custody of or owned by the Crown or by the fault of the Crown as custodian or owner; and

 

(b) in any other province, in respect of

 

(i) a tort committed by a servant of the Crown, or

 

(ii) a breach of duty attaching to the ownership, occupation, possession or control of property.

 

...

 

Responsabilité quant aux actes de préposés

 

10. L’État ne peut être poursuivi, sur le fondement des sous-alinéas 3a)(i) ou b)(i), pour les actes ou omissions de ses préposés que lorsqu’il y a lieu en l’occurrence, compte non tenu de la présente loi, à une action en responsabilité contre leur auteur, ses représentants personnels ou sa succession.

Liability for acts of servants

 

 

10. No proceedings lie against the Crown by virtue of subparagraph 3(a)(i) or (b)(i) in respect of any act or omission of a servant of the Crown unless the act or omission would, apart from the provisions of this Act, have given rise to a cause of action for liability against that servant or the servant’s personal representative or succession.

 

(ii) Le fardeau de la preuve

[605]       Il s’agit d’une action civile dans laquelle le fardeau de prouver l’infraction pèse sur les épaules des demanderesses. Dans une telle action, le fardeau de preuve est la preuve selon la prépondérance des probabilités, un fardeau qu’a récemment analysé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41 :

46        De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. Dans le cas d’une allégation grave comme celle considérée en l’espèce, le juge peut être appelé à apprécier la preuve de faits qui se seraient produits de nombreuses années auparavant, une preuve constituée essentiellement des témoignages du demandeur et du défendeur. Aussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était à ses yeux suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.

[...]

49        En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.

 

[606]       La présente action est fondée sur les faits. L’issue dépendra des conclusions de fait, que ces faits aient été admis ou qu’il s’agisse de conclusions que j’aurai tirées après avoir pris en considération les éléments de preuve. L’affaire repose sur la crédibilité ainsi que sur les inférences qui sont raisonnablement tirées de la preuve.

 

[607]       À certains égards, on peut dire de la présente espèce qu’il s’agit d’une affaire « circonstancielle » car la preuve m’invite à tirer des conclusions qui cadrent avec la totalité de la preuve. Je renvoie à la décision Folch c. Ligne aérienne Canadien Internationale (1992), 17 C.H.R.R. D/261 (T.C.R.H.), au paragraphe 50, où le tribunal explique que : « [u] une preuve circonstancielle est une preuve compatible avec le fait que l’on cherche à prouver et incompatible avec toute autre conclusion logique ».

 

[608]       Dans le même ordre d’idées, le juge MacGuigan, dans l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.), déclare ceci :

La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l’arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la p. 45, 144 L.T. 194, à la p. 202 (H.L.):

[traduction] Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible, mais elle n’a aucune valeur en droit puisqu’il s’agit d’une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J’estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction.

 

[609]       J’ai tiré des inférences de la preuve, comme l’indiqueront mes motifs.

 

C. L’évaluation de la crédibilité

(i) Généralités

[610]       La crédibilité d’un témoin ne dépend pas de l’état matrimonial, de l’appartenance ou de la pratique religieuse, d’une désignation professionnelle ou de distinctions civiques. Elle doit être déterminée d’un manière conforme aux facteurs qui ont été relevés dans la jurisprudence, lesquels facteurs sont résumés dans l’arrêt de principe portant sur l’évaluation de la crédibilité : Faryna c. Chorny (1951), 4 W.W.R. (N.S.) 171 (C.A.C.-B.).

 

[611]       Dans cet arrêt la Cour a déclaré ce qui suit, à la page 174 :

[traduction] La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances. Ce n’est qu’ainsi que le tribunal peut évaluer de façon satisfaisante la déposition des témoins expérimentés, confiants et vifs d’esprit tout autant que le témoignage des personnes habiles qui manient avec facilité les demi-vérités et qui ont acquis une solide expérience dans l’art de combiner les exagérations habiles avec la suppression partielle de la vérité. Là encore, une personne peut témoigner de ce qu’elle croit sincèrement être la vérité tout en étant honnêtement dans l’erreur. Le juge du fond qui dit : « Je crois cette personne parce que j’estime qu’elle dit la vérité » tire en fait une conclusion après avoir examiné seulement la moitié du problème. Le juge qui agit ainsi s’expose en réalité à faire fausse route.

 

(ii) Les témoins des demanderesses

[612]       J’ai trouvé les témoins des demanderesses honnêtes, sincères et dignes de foi. Leur témoignage est étayé par les pièces documentaires, y compris les documents émanant de la défenderesse, et il concorde avec elles.

 

[613]       Il y a bien eu quelques points « faibles » dans le témoignage de M. Bourgh, par exemple, à propos de la date du Gold Show tenu à Dawson City en 1996, mais cela n’a pas miné le fond de son témoignage à propos des événements qui sont survenus dans les premiers jours d’existence de LPL et du rôle qu’il a joué en rapport avec la scierie de Watson Lake. Dans l’ensemble, je reconnais qu’il a été un témoin honnête et digne de foi.

 

[614]       M. Gartshore a eu lui aussi quelques trous de mémoire, mais il les a expliqués. Il a été victime d’une grave maladie en 1997. Cependant, son témoignage au sujet du rôle qu’il a joué dans l’établissement du premier plan d’affaires a été étayé par la production des documents en question.

 

[615]       Le témoignage de M. Staffen sur sa participation à la réunion tenue avec le ministre Irwin et M. Doughty et au Gold Show ne cadre pas avec la preuve qui a été fournie dans la réponse à l’avis de reconnaissance des demanderesses, et il en sera fait abstraction.

 

[616]       M. Gurney est un homme d’apparence simple. Il a témoigné de manière franche et crédible. Je souligne qu’il n’a jamais été un investisseur, un cadre, un administrateur ou un employé des demanderesses. Il a été un témoin vraisemblable.

 

[617]       M. Heit m’a semblé bien informé et compétent. Même s’il ne détenait pas tous les titres de compétence officiels que possédaient certains autres témoins, il savait de quoi il parlait quand il était question de récolter du bois. Il a été un témoin très crédible.

 

[618]       M. Spencer a été un témoin catégorique. Il s’agit d’un homme franc et direct, qui a témoigné de manière franche et directe. Il a franchement reconnu qu’il est un entrepreneur, en affaires pour faire de l’argent et prêt à prendre des risques calculés à la poursuite d’occasions à saisir. Il a été un témoin digne de foi.

 

[619]       M. Fehr a été un témoin persistant et digne de foi. Lui aussi est un homme d’affaires. Les réponses qu’il a données aux questions posées durant son interrogatoire principal et en contre‑interrogatoire étaient vraisemblables.

 

[620]       M. Brian Kerr a témoigné de manière cohérente et digne de foi, et a traité de questions pertinentes. En contre-interrogatoire, il n’a pas été ébranlé lorsqu’on lui a posé des questions sur des questions importantes telles que les lettres [traduction] « sans garantie ».

 

[621]       M. Alan Kerr a témoigné de manière franche, directe et cohérente. Il a été un témoin digne de foi dont le témoignage était fiable.

 

[622]       M. Gerry Van Leeuwen, le témoin expert cité pour le compte des demanderesses a témoigné de manière directe et crédible. Quand on lui a demandé d’expliquer l’incohérence manifeste entre son rapport sur les économies de la scierie qu’il avait établi en 2001 et son rapport récent projetant un manque à gagner futur par suite de la fermeture de la scierie, il l’a fait d’une manière franche et directe. Il n’a pas été ébranlé en contre-interrogatoire. Il a été convaincant et fiable.

 

(iii)      Les témoins de la défenderesse

[623]       En général, les témoins de la défenderesse ont été moins satisfaisants.

 

[624]       M. Ronald Irwin, anciennement ministre, a été le premier témoin à témoigner pour le compte de la défenderesse. La manière dont il a témoigné et les incohérences de son témoignage, comparativement au témoignage d’autres témoins de la défense et aux pièces documentaires, m’amène à conclure qu’il n’était pas un témoin digne de foi.

 

[625]       M. Irwin a fait montre d’une mémoire sélective. En contre-interrogatoire, il a eu des prises de bec inutiles avec les avocats pour éviter de répondre à des questions. Il a souvent décidé d’éviter la question qui lui était posée; il ajoutait plutôt des commentaires peu pertinents, conçus pour masquer les points principaux. Son témoignage a également été contradictoire en soi. Cela est arrivé à plusieurs occasions à cause de sa tendance à répondre aux questions par des phrases intéressées. Un exemple, parmi d’autres, figure aux pages 2263 et 2264 des notes sténographiques, où l’échange suivant est enregistré :

[traduction]

Q.        Étiez-vous au courant qu’il existe une forme d’industrie forestière au Yukon pendant que vous étiez ministre?

R.         Toutes insolvables. Il n’y avait donc aucune industrie, elle était insolvable.

Q.        Étiez-vous au courant qu’il existait des opérations forestières au Yukon?

R.         Je ne pourrais pas vous donner de détails. L’information que j’avais à l’époque, et c’était du ouï-dire, était que l’industrie du bois d’œuvre était insolvable au Yukon.

Q.        Non — M. Irwin, veuillez écouter les questions que je vous pose. Étiez-vous au courant qu’il existait des opérations forestières au Yukon à l’époque où vous étiez ministre?

R.         Oui.

Q.        Oui ou non?

R.         Oui, parce qu’ils m’ont envoyé une lettre disant qu’ils voulaient exporter 75 % de leur bois.

 

[626]       M. Irwin a été un témoin fort insatisfaisant et son témoignage sera évalué comme tel.

 

[627]       M. Doughty était un ancien adjoint spécial de M. Irwin, à l’époque où ce dernier était ministre. Comme M. Irwin, M. Doughty n’était pas crédible, notamment parce qu’il n’avait manifestement aucune idée de ses fonctions et qu’il s’est décrit comme étant une [traduction] « boîte aux lettres ». Le souvenir qu’il avait des événements liés à LPL en 1996 était mauvais. Son témoignage ne concordait pas avec celui des autres témoins de la défense. J’accorderai peu de poids à son témoignage.

 

[628]       M. Michael Ivanski a été un témoin prudent. Une bonne part de son témoignage n’était pas pertinent. Il a parlé de ses rapports avec LPL avant qu’il quitte le bureau régional du MAINC en juillet-août 1997. Il a jugé que les représentants de LPL étaient des personnes dignes de foi qui n’avaient pas fourni de renseignements erronés au Ministère. Cependant, M. Ivanski a lui aussi fait parfois montre d’une mauvaise mémoire, surtout en rapport avec la pièce P-38, la version finale du rapport Sterling Wood.

 

[629]       M. Fillmore a eu des problèmes de mémoire, comme l’indiquent les notes sténographiques. Il s’était censément rafraîchi la mémoire avant le procès en consultant un journal qui n’a pas été produit au procès. Sa fiabilité générale est amoindrie par les signes d’une mémoire défaillante, mais sélective.

 

[630]       La réponse que M. Monty a donnée le plus souvent est : [traduction] « je ne m’en souviens pas ». La fréquence avec laquelle il a donné cette réponse est visible dans les notes sténographiques. Ces dernières montrent aussi la fréquence avec laquelle il a fait référence à des sujets qui étaient sans rapport avec les questions en litige dans la présente action, par exemple les revendications territoriales non réglées et les consultations menées avec la collectivité. M. Monty a été un témoin peu fiable.

 

[631]       M. Peter Henry a été un témoin sincère. Il était un employé subalterne du Ministère à l’époque où LPL est entrée en jeu. Il a effectué le travail relatif à l’AAF conformément aux instructions qu’on lui a données.

 

[632]       Je ne lui attribue pas une connaissance personnelle de la manière dont, plus tard, son travail a été manipulé par d’autres employés du bureau régional du MAINC à Whitehorse. Dans la mesure où son témoignage portait sur des questions pertinentes, il était digne de foi.

 

[633]       M. Madill est un autre témoin qui ne m’a pas donné l’impression d’être digne de foi. Il ne se souvenait pas d’avoir vu la pièce P-38. Il ne se souvenait pas à qui il avait demandé des renseignements sur un PAF pour le Yukon. Il ne se souvenait pas si quelqu’un lui avait fourni l’ébauche du rapport Sterling Wood ou le rapport final.

 

[634]       M. Madill ne se souvenait pas s’il avait été mis au courant de l’existence des rapports Sterling Wood, soit l’ébauche, soit la version finale. Il ne se souvenait pas si un PAF avait été établi pour le Yukon ou non. Il ne se souvenait pas s’il avait été informé, à l’époque où il était le gestionnaire des ressources forestières, que la PCA concernant le sud-est du Yukon, entre le début et le milieu des années 1999, était de 350 000 m3.

 

[635]       M. Madill a fait référence à un journal qu’il avait tenu à l’époque où il travaillait pour le MAINC mais ce document n’était pas disponible au moment où il a témoigné au procès. Il a expliqué de deux façons différentes pourquoi son journal n’était pas disponible.

 

[636]       À la page 4027, M. Madill a déclaré qu’il ne se souvenait pas du rôle joué par LPL dans l’exploitation de la scierie de Watson Lake, indépendamment de la coentreprise. Du même souffle, ou presque, il a dit se souvenir que le ministre Irwin avait participé à des réunions sur des activités de sciage dans le sud du Yukon, pour ensuite ajouter qu’il ne se souvenait pas d’où il avait obtenu cette information.

 

[637]       M. Madill a été un témoin très insatisfaisant. Il n’était pas digne de foi. Il est revenu sur ses pas, a fait machine arrière et a essayé de faire du remplissage.

 

[638]       M. Terrence Sewell était le représentant désigné de la défenderesse pour les besoins de la présente action. Il était le témoin de la défenderesse qui a été présenté pour l’interrogatoire préalable tenu en vertu du paragraphe 237(1) des Règles.

 

[639]       M. Sewell a été lui aussi un témoin prudent. Il n’a pas été lent à rectifier son témoignage quand il le fallait, relativement au moment, par exemple, où il a pris connaissance de l’existence de la scierie.

 

[640]       M. Sewell n’est pas celui qui a eu les contacts les plus fréquents avec les demanderesses après qu’il a commencé à travailler pour le MAINC à Whitehorse en décembre 1997, mais, à titre d’employé supérieur de ce bureau-là, il était au courant de l’existence des demanderesses, de leurs activités et des difficultés qui avaient mené à la fermeture de la scierie. Il a conclu que les représentants de la demanderesse avaient agi de manière honorable dans leurs rapports.

 

[641]       Son témoignage, au sujet des questions en litige, y compris la nature de la relation entre les demandeurs et le MAINC, l’historique des interactions entre les demandeurs et le MAINC et les mesures prises par les employés du MAINC, est pertinent et sera évalué sous l’angle de sa crédibilité.

 

[642]       Cependant, M. Sewell, étonnamment, était peu au courant de la pièce P‑38, la version finale du rapport Sterling Wood, compte tenu du fait qu’il était le DGR à l’époque où les demanderesses avaient commencé à bâtir la scierie et que c’était lui qui avait été choisi comme représentant désigné de la défenderesse pour l’interrogatoire préalable ainsi qu’au procès.

 

[643]       Compte tenu de ces faits, je mets en doute les mesures qu’il a prises pour s’informer des questions pertinentes. Cela est important au vu du témoignage qu’il a fait, en contre‑interrogatoire, à propos de ce document et d’autres, et cela a une incidence sur sa crédibilité.

 

[644]       En fait, le témoignage de tous les témoins de la défenderesse a été ponctué par des [traduction] « je ne m’en souviens pas » et [traduction] « je ne me le rappelle pas ». Ces réponses amènent à se demander ce que la défenderesse a fait pour préparer ses témoins à traiter des questions qui sont en litige dans la présente action.

 

D. Les motifs d’action

[645]       Il y a des questions cruciales à régler. La défenderesse a-t-elle fait des annonces, fait des promesses et pris des engagements à l’endroit des demanderesses ou de l’une d’entre elles? Quelle est la relation entre les parties? Quelles sont les conséquences juridiques de cette relation?

 

[646]       Comme je l’ai dit au début, la présente action concerne une scierie. Cela amène à poser une question clé : pourquoi les demanderesses ont-elles bâti la scierie à Watson Lake?

 

[647]       J’ai mentionné les cinq motifs d’action qu’invoquent les demanderesses. Dans la mesure où les motifs de négligence et de fausse déclaration par négligence se chevauchent, je commencerai par la question générale de la négligence.

 

[648]       Comme il a été mentionné plus tôt, les demanderesses invoquent plusieurs motifs d’action et chacun sera analysé à tour de rôle. Cependant, il est utile de souligner, à ce stade, que l’idée de relation est un point commun à ces cinq motifs.

 

[649]       Au cours de leur plaidoyer, les demanderesses ont traité de la façon dont leurs intérêts étaient alignés sur ceux de la défenderesse.

 

[650]       [traduction] « Alignement d’intérêts » est un moyen de décrire une relation, c’est‑à‑dire une relation entre les parties. L’existence d’une relation entre les demanderesses et la défenderesse, dans la présente action, est un élément qui se retrouve dans les cinq motifs d’action. Cet alignement d’intérêts ou cette relation seront analysés en rapport avec chacun de ces motifs d’action, à tour de rôle.

 

1. La négligence

[651]       Le critère juridique de la responsabilité pour négligence comporte quatre éléments : la défenderesse a une obligation de diligence envers la demanderesse, il y a eu manquement à l’obligation de diligence, la demanderesse a subi des dommages prévisibles, et les dommages subis sont imputables au manquement de la défenderesse.

 

(i) Existe-t-il une obligation de diligence?

[652]       Dans l’arrêt Premakumaran c. Canada, [2007] 2 R.C.F. 191 (C.A.), au paragraphe 16, la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’avant de procéder à une analyse complète de l’obligation de diligence il est nécessaire d’examiner d’abord si la jurisprudence a déjà établi l’existence d’une obligation.

 

[653]       Dans l’arrêt Design Services c. Canada, [2008] 1 R.C.S. 737, la Cour suprême du Canada a reconfirmé les « cinq catégories différentes de réclamations pour négligence dans lesquelles une obligation de diligence est imposée à l’égard de pertes purement financières », qu’avait reconnues le juge La Forest dans l’arrêt Cie des chemins de fer nationaux du Canada. c. Norsk Pacific Steamships Co., [1992] 1 R.C.S. 1021. Au nombre de ces catégories figure la responsabilité indépendante des autorités publiques légales.

 

[654]       Toujours dans Design Services, le juge Rothstein a conclu que la responsabilité indépendante des autorités publiques légales ne s’appliquait pas dans cette affaire parce que le gouvernement « ne fait pas une inspection, il n’accorde pas, ne délivre pas ou n’applique pas quelque chose que la loi prescrit ».

 

[655]       En l’espèce, les demanderesses ont allégué qu’il y avait eu négligence dans la délivrance des PCC et un retard excessif à mettre en œuvre la politique permettant d’obtenir une tenure à long terme. Dans ce contexte, je conclus que la présente affaire tombe dans une catégorie existante et qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse détaillée.

 

[656]       Néanmoins, après avoir procédé à une analyse exhaustive de l’obligation de diligence ci‑après, je conclus qu’une telle obligation existait.

 

[657]       L’existence d’une obligation de diligence dépend de la nature de la relation qu’entretiennent la partie demanderesse et la partie défenderesse, ainsi que de la question de savoir si cette relation est suffisamment étroite.

 

[658]       Ce critère a été énoncé dans la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’arrêt Kamloops (Ville de) c. Nielson et al., [1984] 2 R.C.S. 2, où la Cour a adopté le critère relatif à la responsabilité des autorités publiques pour négligence qui a été énoncé dans la décision Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.). Le critère, adopté initialement dans l’arrêt Kamloops, à la page 10, comporte deux volets :

1) y a-t-il des relations suffisamment étroites entre les parties (les autorités locales et la personne qui a subi les dommages) pour que les autorités aient pu raisonnablement prévoir que leur manque de diligence pourrait causer des dommages à la personne en cause? Dans l’affirmative,

2) existe-t-il des motifs de restreindre ou de rejeter a) la portée de l’obligation et b) la catégorie de personnes qui en bénéficie ou c) les dommages auxquels un manquement à l’obligation peut donner lieu?

 

[659]       Le critère relatif à l’obligation de diligence qui a été énoncé dans la décision Anns a été précisé davantage au Canada dans l’arrêt Cooper c. Hobart, [2001] 3 R.C.S. 537 où la Cour suprême du Canada a formulé comme suit le critère en question au paragraphe 30 :

En résumé, nous sommes d’avis que dans l’état actuel du droit, tant au Canada qu’à l’étranger, il convient d’interpréter l’analyse établie dans l’arrêt Anns comme suit. À la première étape du critère de l’arrêt Anns, deux questions se posent : (1) le préjudice subi était‑il la conséquence prévisible de l’acte du défendeur; (2) malgré la proximité des parties qui a été établie dans la première partie de ce critère, existe‑t‑il des motifs pour lesquels la responsabilité délictuelle ne devrait pas être engagée en l’espèce? L’analyse relative à la proximité que comporte la première étape du critère de l’arrêt Anns met l’accent sur les facteurs découlant du lien existant entre la demanderesse et le défendeur.  Ces facteurs comprennent des questions de politique, ce terme étant pris dans son sens large.  Si l’on fait la preuve de la prévisibilité et de la proximité à la première étape, il y a une obligation de diligence prima facie.  À la deuxième étape du critère de l’arrêt Anns, il reste toujours à trancher la question de savoir s’il existe des considérations de politique étrangère au lien existant entre les parties qui sont susceptibles d’écarter l’obligation de diligence.  Il se peut, comme le Conseil privé le laisse entendre dans Yuen Kun Yeu, que de telles considérations ne l’emportent pas souvent.  Nous estimons cependant qu’avant d’imposer une nouvelle obligation de diligence, il est utile de se demander si, malgré la prévisibilité et la proximité des parties, il existe des raisons de politique générale pour lesquelles l’obligation ne devrait pas être imposée.

 

 

[660]       Dans l’arrêt Childs c. Desormeaux, [2006] 1 R.C.S. 643, la Cour suprême du Canada a reformulé comme suit le critère énoncé dans la décision Anns au paragraphe 11 :

Dans l’arrêt Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.), lord Wilberforce a proposé un critère en deux volets permettant de déterminer s’il existe une obligation de diligence. Le premier volet met l’accent sur le lien entre le demandeur et le défendeur et consiste à se demander s’il est suffisamment étroit ou [traduction] « proche » pour donner naissance à une obligation de diligence (p. 742). Le second volet consiste à décider s’il existe des considérations de politique générale dominantes susceptibles d’écarter l’obligation de diligence. Dans l’arrêt Kamloops (Ville de) c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2, p. 10-11, cette Cour a adopté la démarche en deux étapes de l’arrêt Anns et l’a reformulée de la façon suivante :

1)   y a-t-il un lien « suffisamment étroi[t] entre les parties » ou un rapport de « proximité » justifiant l’imposition d’une obligation, et dans l’affirmative,

2)   existe-t-il des considérations de politique générale exigeant de restreindre ou de rejeter la portée de l’obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages auxquels un manquement à l’obligation peut donner lieu?

 

[661]       Une fois qu’un demandeur a démontré l’existence d’une obligation de diligence, il incombe alors au défendeur de démontrer qu’il existe des considérations de politique générale qui peuvent annuler l’imposition d’une telle obligation. Dans l’arrêt Childs, la Cour écrit ce qui suit au paragraphe 13 :

Le demandeur doit s’acquitter de la charge ultime d’établir l’existence d’une cause d’action valide, et donc d’une obligation de diligence : Odhavji. Mais une fois que le demandeur a établi l’existence d’une obligation de diligence prima facie, le fardeau de prouver qu’il existe des considérations de politique générale dominantes incombe alors au défendeur, conformément à la règle générale voulant que la partie qui affirme un fait doit en établir l’existence.

 

[662]       Ces décisions de politique générale doivent avoir été prises de bonne foi pour que le défendeur soit dispensé de l’obligation de diligence; voir l’arrêt Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228, aux pages 1242 à 1245.

 

2. Le lien étroit (ou de proximité)

[663]       En l’espèce, comme dans Brewer Bros. et al c. Canada (procureur général) (1991), 129 N.R. 3 (C.A.F.), il existe un lien étroit et précis entre les demanderesses et la défenderesse. Ce lien étroit, voire intime, a été entretenu pendant de nombreuses années.

 

[664]       La défenderesse a soutenu qu’il n’existait aucun lien spécial avec les demanderesses qui puisse étayer la reconnaissance d’une obligation de diligence. Elle se fonde sur la décision rendue dans l’arrêt Hercules Managements c. Ernst & Young, [1997] 2 R.C.S. 165, au paragraphe 24, où la Cour suprême a déclaré qu’il n’existe pas de lien étroit d’une nature « telle qu’on peut affirmer que le défendeur est tenu de se soucier des intérêts légitimes du demandeur dans la gestion de ses affaires ».

 

[665]       La défenderesse a soutenu qu’étant donné que l’obligation de diligence, en vertu des lois et des règlements applicables, existe envers le public en général, les demanderesses ne peuvent pas établir l’existence d’un lien étroit, qui est le premier élément essentiel de la reconnaissance d’une obligation de diligence.

 

[666]       En outre, la défenderesse a soutenu que les demanderesses n’entretenaient pas avec elle un lien plus étroit que n’importe quel autre demandeur d’une PCA ou d’un CRB et que, de toute façon, les intérêts économiques des demanderesses [traduction] « doivent être subordonnés à l’objectif supérieur de la loi, qui avantage le public dans son ensemble ».

 

[667]       Par ailleurs, la défenderesse a cité la décision A.O Farms Inc. c. Canada (2000), 28 Admin. L.R. (3d) 315 (C.F. 1re inst.) pour faire valoir que c’est dans les lois applicables qu’il faut trouver la justification d’une conclusion d’obligation de diligence.

 

[668]       En se fondant sur la décision rendue dans A.O. Farms, la défenderesse commet une erreur. Dans Renova Holdings Ltd. et al. c. Office canadien du blé (2006), 286 F.T.R. 201 (C.F.), le juge Blanchard a expliqué en ces termes, au paragraphe 46, la pertinence restreinte de la décision A.O. :

[46]      Les défendeurs affirment qu’on ne trouve dans la jurisprudence aucune affaire de même nature où une relation étroite entre la Commission et les demandeurs aurait été reconnue. Les défendeurs s’appuient sur Riske, précité, M-Jay Farms Enterprises Ltd. c. Commission canadienne du blé, [1997] M.J. no 462 (QL) et A.O. Farms Inc. c. Canada, [2000] A.C.F. no 1771 (QL), pour affirmer qu’il n’existe aucune obligation de diligence de droit privé en ce qui concerne la Commission et la Loi. Selon moi, on peut établir une distinction entre ces décisions et les circonstances de l’espèce. Dans A.O. Farms, même si le juge Hugessen a déclaré qu’il n’existait aucun lien de proximité entre « le gouvernement et l’entité administrée », la question dont la Cour était saisie concernait une décision législative prise par un ministre et non une décision opérationnelle de la Commission. En outre, soulignons que ni dans Riske, ni dans M-Jay Farms, la Cour n’a conclu à l’absence de toute relation étroite entre les demandeurs et la Commission défenderesse. [...]

 

 

[669]       De plus, la défenderesse a fait valoir que les régimes législatifs applicables qui sont énoncés dans la Loi, la Loi sur les terres territoriales et le Règlement sur le bois du Yukon ne créent pas une obligation de droit privé en faveur des demanderesses; il s’agit plutôt de régimes législatifs qui s’appliquent au public en général. La défenderesse s’est fondée, à l’appui de cet argument, sur les décisions rendues dans les arrêts Cooper et Edwards c. Barreau du Haut‑Canada, [2001] 3 S.C.R. 562.

 

[670]       La défenderesse a tort de se fonder sur les décisions rendues dans les arrêts Cooper et Edwards pour soutenir l’existence d’un lien étroit, ou de proximité, entre les parties à la présente action.

 

[671]       Les arrêts Cooper et Edwards traitent de questions de négligence réglementaires à l’égard desquelles la Cour suprême du Canada a conclu que les défendeurs entretenaient des relations de tiers avec les demandeurs et qu’il n’y avait aucun lien de proximité. La Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Attis c. Canada (Ministre de la Santé) (2008), 300 D.L.R. (4th) 415 (C.A. Ont.), autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada refusée par (2009), 303 D.L.R. (4th) vi, a traité de la différence entre les cas de négligence réglementaire et ceux de négligence directe.

 

[672]       Dans l’arrêt Heaslip Estate c. Mansfield Ski Club Inc. (2009), 310 D.L.R. (4th) 506 (C.A. Ont.), la Cour d’appel de l’Ontario a fait des observations aux paragraphes 19 et 20 sur les cas de négligence réglementaire :

[traduction
19        La présente affaire se distingue d’affaires telles que Cooper et Attis. Dans ces dernières, les demandeurs avaient subi un préjudice aux mains d’une partie engagée dans une activité assujettie à un pouvoir réglementaire, et ils ont ensuite allégué que l’autorité gouvernementale chargée de réglementer l’activité qui avait donné lieu à leur perte avait fait preuve de négligence. Les arrêts Cooper et Attis concluent que ces demandeurs n’ont pas de lien direct avec l’autorité gouvernementale et ne peuvent, pas plus que n’importe quel autre membre du public, revendiquer une obligation de diligence supérieure.

20        La revendication que l’on fait valoir en l’espèce ne réside pas uniquement dans une loi qui confère des pouvoirs de nature réglementaire, comme c’est le cas dans les arrêts Cooper et Attis, mais elle est plutôt axée sur les rapports précis qu’il y a eus entre Patrick Heaslip et l’Ontario au moment où la demande d’une ambulance aérienne a été faite. En l’espèce, la relation entre Patrick Heaslip et l’autorité gouvernementale est de nature directe, plutôt que faite par l’entremise d’une partie assujettie au contrôle réglementaire de l’autorité gouvernementale.

 

[673]       La Cour d’appel de l’Ontario a fait remarquer que lorsqu’on examine la question du lien de proximité en vue de reconnaître l’existence d’une obligation de diligence, l’accent est mis sur le lien direct entre les parties.

 

[674]       Dans le même ordre d’idées, la défenderesse a tort de se fonder sur l’arrêt Design Services pour vicier le lien de proximité pour des questions de politique générale. Dans cette décision, la Cour suprême du Canada a rejeté une obligation de diligence prima facie en raison de sa conclusion concernant une question de politique générale. Cette question était le défaut de l’appelante de se protéger par contrat contre la perte économique.

 

[675]       L’affaire Design Services a pris naissance dans un contexte factuel nettement différent de celui de la présente action.

 

[676]       Design Services était une affaire d’appel d’offres dans laquelle les sous-traitants cherchaient à imputer une responsabilité aux propriétaires. Il s’agissait d’une affaire de responsabilité d’une tierce partie. En l’espèce, il n’y a aucune responsabilité de ce genre.

 

[677]       De plus, je souscris au témoignage des demanderesses selon lequel ces dernières ont tenté d’obtenir des garanties écrites du Ministère; voir, par exemple, la pièce D‑11, onglet 106, entre autres éléments de preuve figurant dans le dossier.

 

[678]       Vu les différences considérables qu’il y a entre le contexte factuel de la présente espèce et celui de l’affaire Design Services, l’absence de responsabilité d’une tierce partie et les efforts faits par les demanderesses pour obtenir des garanties du Ministère, je suis d’avis que l’arrêt Design Services ne s’applique pas ici.

 

[679]       Dans la présente action, il y a amplement de preuves pour démontrer que la relation entre les demanderesses et la défenderesse est directe et étroite. Il est impossible de faire référence à tous les éléments de preuve précis qui sous-tendent et étayent mes conclusions quant au lien de proximité. La preuve figure dans le dossier. J’analyserai quelques exemples des preuves à l’appui à l’égard de chaque demanderesse.

 

[680]       Je traiterai tout d’abord de la relation entre LPL et la défenderesse.

 

[681]       Cette relation a commencé en 1996 et s’est approfondie à la longue, mais les intérêts de LPL et ceux de la défenderesse étaient parallèles depuis le début. LPL voulait construire une scierie et la défenderesse voulait que l’économie se développe. Cet alignement d’intérêts était nécessaire pour mettre en application la règle des 60 %/40 %, vu que KFR n’était pas parvenue à construire une scierie.

 

[682]       LPL a été constituée en société le 26 janvier 1996. Peu après, des représentants de LPL étaient en communication constante avec le bureau régional à Whitehorse, par exemple, en transmettant des plans d’affaires et en demandant des informations sur la façon d’avoir accès à un approvisionnement en bois. Une réunion a eu lieu avec des représentants du MAINC le 18 avril 1996 et une réunion prévue avec le ministre Irwin et des représentants de LPL a eu lieu au Gold Show, à Dawson City, en juin 1996.

 

[683]       À la suite du Gold Show, le 4 juin, M. Ivanski a écrit une lettre, déposée en tant que pièce D‑81, onglet 13, à M. Bourgh, pour le compte de LPL, au sujet du projet d’installation de sciage de Watson Lake. Dans sa lettre, M. Ivanski a fait part à M. Bourgh, pour le compte de LPL, des mesures à prendre pour recevoir un CRB. Il a déclaré aussi que le fait de remplir toutes les exigences pertinentes ne garantissait pas l’octroi d’une tenure. En outre, M. Ivanski a informé M. Bourgh que :

[traduction] [c]omme vous le savez, depuis un certain temps nous essayons de garantir que le bois soit transformé localement, et de créer ainsi des emplois lors du processus à valeur ajoutée. Nous avons créé un système de droit de coupe à deux volets – le bois transformé localement ne représente que la moitié de la valeur sur pied du bois d’exportation, ce qui offre donc un incitatif financier pour des activités de transformation locales. Si j’ai bien compris votre concept, deux des éléments fondamentaux sont un CRB et une scierie. Vu la concordance apparente, nous serions intéressés à voir une proposition concrète qui comporterait plus de détails. [Non souligné dans l’original.]

 

[684]       Pour faciliter la « concordance apparente », le Ministère a demandé à LPL d’établir une proposition d’affaires exhaustive. En réponse, LPL a entrepris une importante étude de faisabilité pour se conformer à la demande du Ministère; voir la pièce D‑81, onglet 14.

 

[685]       En novembre 1996, la défenderesse savait que LPL avait loué à bail un [traduction] « site de scierie » sur un terrain d’une superficie de dix-sept hectares, à deux kilomètres à l’ouest de Watson Lake, à côté de la route de l’Alaska.

 

[686]       Le 4 novembre 1996, il y a eu une autre réunion entre LPL et le MAINC. Cette réunion a eu lieu pour que LPL puisse informer le MAINC de son nouveau plan d’affaires, qui découlait de l’étude de faisabilité qu’elle avait effectuée.

 

[687]       Les communications constantes entre les parties ont inclu des lettres échangées entre le Ministre et LPL, ainsi que des réunions supplémentaires. Un fait particulièrement important est la réunion de juillet 1997, à Whitehorse. À cette occasion, que j’analyserai plus en détail plus loin, des représentants de LPL, du Groupe B.I.D. et du Ministère ont discuté d’approvisionnement en bois.

 

[688]       M. Brian Kerr a témoigné, sans être contesté, qu’il avait fixé cette réunion de juillet avec le MAINC, dans les bureaux de ce dernier. Il a témoigné que le MAINC avait déclaré que [traduction] « vous êtes exactement le type d’entreprise que nous cherchions ». Il a cru que cela avait à voir avec les changements réglementaires qui favorisaient la production locale.

 

[689]       À cette réunion, les témoins des demanderesses, MM. Fehr et Spencer ainsi que les frères Kerr, ont tous convenu que le MAINC avait indiqué que s’ils construisaient une scierie on leur donnerait accès au bois nécessaire pour l’exploiter.

 

[690]       Il est clair, d’après les témoins des demanderesses, que c’est sur la foi de cette garantie que la construction de la scierie s’est déroulée. Leur témoignage n’a pas été contesté en contre‑interrogatoire, pas plus que par le témoignage de l’un quelconque des témoins de la défenderesse.

 

[691]       Il y a eu d’autres réunions et d’autres lettres entre LPL et la défenderesse. Au vu de la totalité de la preuve, je conclus que ces réunions ont eu lieu dans le but mutuellement bénéfique d’établir une scierie à Watson Lake. Pour dire les choses simplement, ce projet était important aux yeux du MAINC; voir aussi la pièce P‑79, onglet 109.

 

[692]       Une réunion a été tenue le 9 avril 1998 entre LPL et 391605 B.C. Ltd., qui, à l’époque, étaient les parties à la coentreprise qui exploitait la scierie. Le procès-verbal de cette réunion a été déposé en tant que pièce D‑11, onglet 111.

 

[693]       Le sujet de conversation a été l’approvisionnement en bois. Il a été dit que la coentreprise obtiendrait [traduction] « 20 000 m3 à court terme, aux dépens des titulaires de permis locaux (ils ne sont manifestement pas heureux de cette décision) ». Je souligne que ce document fait partie de la pièce D‑11 et qu’il a été déposé comme preuve de la véracité et de l’exactitude de son contenu.

 

[694]       En juillet 1998, M. Brian Kerr, agissant pour le compte de LPL, est entré en contact avec M. Fillmore au sujet d’un site de CRB possible, dans un secteur situé près de la rivière Hyland où il y avait eu un incendie de forêt; ces secteurs portent le nom de « brûlis ». C’est ainsi que M. Kennedy, expert-forestier professionnel employé par le Ministère à Whitehorse, a visité et effectué en personne une reconnaissance aérienne du brûlis de la rivière Hyland. Cette reconnaissance avait pour but de déterminer la faisabilité d’un approvisionnement en bois à long terme pour SYFC dans ce secteur. M. Kennedy a noté que le brûlis [traduction] « [n]’était pas économique à moins d’être utilisé comme appât ou incitation à l’égard de l’option du CRB ». [Non souligné dans l’original].

 

[695]       Il s’agissait d’une relation dans laquelle les intérêts étaient à la fois alignés et entremêlés. Il s’agissait d’une relation dans laquelle le lien de proximité était suffisant pour qu’il faille reconnaître l’existence d’une obligation de diligence prima facie s’il était prévisible que cette demanderesse subirait un préjudice.

 

[696]       Il y a une preuve que certains des fonctionnaires de la défenderesse n’étaient pas au courant que LPL avait un lien avec la scierie de Watson Lake. Cela n’est pas surprenant, vu le constant roulement de personnel qu’il y avait à Whitehorse.

 

[697]       Cependant, il est surprenant qu’ils n’aient pas pris de mesures appropriées pour prendre connaissance de la situation. La connaissance d’employés nouvellement arrivés n’est pas la question. La question est : [traduction] « la défenderesse elle-même savait-elle que LPL était engagée dans la construction et l’exploitation de la scierie »?

 

[698]       À mon avis, oui. Pour cette raison, mes conclusions concernant la relation entretenue entre LPL et la défenderesse justifient que l’on examine la relation entre SYFC et la défenderesse.

 

[699]       SYFC a été constituée en société le 5 novembre 1997 et les travaux relatifs à la construction des éléments de la scierie qui devaient être transportés jusqu’à Watson Lake ont commencé.

 

[700]       Pendant toute l’année 1998, avant l’ouverture de la scierie en octobre 1998, les demanderesses sont restées en communication avec le MAINC. La défenderesse était au courant que le projet de scierie allait de l’avant, comme l’indiquent les pièces documentaires et les témoignages, car de nombreux membres du personnel du MAINC ont visité la scierie, par exemple, dont MM. Henry, Sewell et Rick Dale.

 

[701]       Le 28 août, M. Dale a envoyé un courriel décrivant sa visite à la scierie des demanderesses, à Watson Lake. Ce courriel a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 76. Dans son courriel, M. Dale décrit la scierie comme suit :

[traduction] [...] Cette scierie est une installation moderne et elle est très impressionnante (pour moi, car j’ai eu plusieurs occasions de travailler avec et dans divers types de scierie) [...]

 

[702]       L’importance de la scierie pour l’économie locale ressort clairement du témoignage selon lequel au Yukon, et plus encore à Watson Lake, le taux de chômage était fort élevé. Selon M. Brian Kerr, la scierie était le plus gros employeur du secteur privé au Yukon. L’importance de la scierie pour le MAINC a été reconnue en tout temps. Voir aussi la pièce D‑81, onglet 166.

 

[703]       Ce taux de chômage élevé, ainsi que le désir de la défenderesse de l’atténuer, sont la raison pour laquelle des fonds fédéraux ont été versés afin d’aider à former des personnes à travailler dans la scierie. La défenderesse a fourni 450 000 $ à SYFC par l’entremise du FTCE. Cet argent a été accordé pour la création de 24 emplois à temps plein permanents; voir la réponse à la demande de reconnaissance. En outre, la preuve documentaire inclut des lettres de SYFC à cet égard.

 

[704]       La défenderesse a également fourni une somme d’environ 100 000 $, au printemps de 1999, pour aider à remettre en marche la scierie après que celle-ci eut fermé en décembre à cause d’un manque de bois.

 

[705]       M. Fillmore, gestionnaire régional des Ressources forestières pendant un an depuis le mois de mars ou d’avril 1998, a déclaré que [traduction] « mon engagement auprès de SYFC consistait à chercher, ou à essayer de trouver un approvisionnement en bois pour sa scierie »; voir les pages 2847 et 2848 des notes sténographiques.

 

[706]       Il ressort également de la preuve qu’en septembre 1998, le bureau régional de Whitehorse faisait la promotion de la participation de KFR au projet de scierie de Watson Lake. M. Sewell a plus tard reconnu que, en tant que fonctionnaire supérieur du Ministère au Yukon, il avait [traduction] « fait pression » pour que KFR et SYFC participent toutes deux à ce projet de scierie; voir la pièce P‑79, onglet 144, page 1386.

 

[707]       En fait, la défenderesse a autorisé la dépense de 500 000 $ de fonds de fiducie, à partir du fonds pour scierie, afin de permettre à KFR de [traduction] « se rallier » à la coentreprise. Le Ministère a également financé une étude pour déterminer le caractère approprié de la scierie à Watson Lake, en tant que condition préalable à la participation de KFR au projet.

 

[708]       Je conclus que ces mesures ont été prises pour s’assurer que l’on atteignait les buts du Ministère. Ces buts étaient également ceux de la défenderesse.

 

[709]       La proximité de la relation est corroborée par les commentaires que M. Sewell a faits à la réunion du 7 avril 1999. Les notes sténographiques textuelles, déposées en tant que pièce P‑79, onglet 144, révèlent l’échange suivant, entre Mme Clark, de SYFC et M. Sewell, le DGR :

[traduction
JUNE CLARK :           Je suppose que ce que nous devons comprendre, c’est : est-ce que nous voulons que cette scierie réussisse? Est-ce une priorité?

TERRY SEWELL :      Oui, c’est une question souvent posée et je crois qu’on y a toujours répondu par l’affirmative.

 

[710]       Le 6 mai 1999, Mme Jane Stewart, alors Ministre, a répondu à une lettre de M. Fentie, le Commissaire aux forêts du GTY. Cette réponse a été déposée en tant que pièce P‑79, onglet 162. Mme Stewart a écrit :

[traduction] J’ai demandé aux fonctionnaires de mon Ministère de la région du Yukon de travailler de près avec la compagnie car je suis du même avis que vous quant à l’importance de cette scierie pour l’économie du Yukon.

On m’a informée qu’un certain nombre de réunions récentes, auxquelles ont participé mon personnel, le gouvernement du Yukon et SYFC, ont été positives et productives.

J’espère que ce partenariat entre nos gouvernements respectifs et l’industrie permettra de régler de manière satisfaisante les difficultés, et qu’il mènera à une scierie prospère et durable.

 

[711]       Je souligne également qu’il existe une preuve documentaire démontrant que SYFC a eu un [traduction] « accès spécial » à des informations concernant l’approvisionnement en bois et que le MAINC modifiait ses procédures pour s’assurer que la scierie des demanderesses continue d’être approvisionnée en bois.

 

[712]       Voir, par exemple, la pièce P‑79, onglet 181. Il s’agit d’un courriel interne du MAINC, envoyé le 2 juin par Mme Guscott à Mme Snider et M. Casey, à Ottawa. Mme Guscott écrit ce qui suit dans ce document :

[traduction] L’appel s’est déroulé nettement mieux que prévu et, en fait, June, moi-même et les représentants de la compagnie avons discuté des problèmes lors de notre conférence téléphonique hebdomadaire, et l’approvisionnement en bois estival va bon train. June était la représentante de SYFC lors de l’appel de lundi (peut‑être un bon signe – tout le monde était occupé à travailler).

[...]

7. Nous avons informé la compagnie que nous conservions une réserve pour scierie de 30 000 m3 à laquelle il était possible d’avoir accès pour combler toute pénurie, mais nous leur avons demandé de ne pas le faire savoir????

8. Nous avons dit carrément à la compagnie que, tant qu’un CRB n’était pas établi, l’achat local était la seule véritable option et surprise, ils n’ont pas encore plongé??? Mais la plupart de leur sorte d’actionnaires ont des réserves de bois d’hiver et d’été. Nous avons aussi convenu de simplifier nos processus chaque fois que possible pour assurer le maintien de l’approvisionnement, mais la compagnie doit travailler avec les titulaires de permis pour obtenir le volume nécessaire.

9. Si nous parvenons à maintenir le rythme, nous avons finalement June dans les cordes et mon intention est de maintenir le rythme et de tenir June dans les cordes. Je ne prévois aucune lettre de récrimination.

10. Nous avons commencé à établir un climat de confiance avec la compagnie; il faut maintenant que la compagnie donne des résultats.

[Non souligné dans l’original.]

 

[713]       Fait important, ce courriel souligne aussi que le bureau régional avait une [traduction] « conférence téléphonique hebdomadaire » avec SYFC au sujet de l’approvisionnement en bois.

 

[714]       Comme je l’ai mentionné plus tôt, M. Madill a été le gestionnaire régional des Ressources forestières pendant un an, de juin 1999 à juillet 2000. Dans un courriel envoyé le 7 juin 1999, déposé en tant que pièce P‑79, onglet 182, M. Sewell a indiqué à SYFC que, pour M. Madill, le fait de travailler avec la société serait une [traduction] « priorité élevée ».

 

[715]       Il est un fait, et c’est ce que je conclus, que le Ministère se comportait d’une manière telle qu’il semblait, même aux yeux de ses propres employés, que SYFC bénéficiait d’un traitement spécial. Comme l’a indiqué M. Ballantyne dans un courriel adressé à Mme Clark :

[traduction] Nous pensons que la réunion avec les représentants de SYFC a été positive et a permis d’éclaircir notre position au sujet de l’élaboration d’un CRB. En particulier, que la situation évolue de la manière décrite à la réunion tenue à Watson Lake il y a quelques semaines. Cependant, après la réunion, nous avons dû assurer au personnel régional que l’on continuerait de se conformer à la procédure établie et qu’aucun favoritisme n’était envisagé.

[Non souligné dans l’original.]

 

[716]       Le Ministère a également payé pour que des consultants produisent des rapports qui bénéficiaient directement à SYFC, ou même versé des sommes d’argent considérables à de tels consultants; voir, par exemple, la pièce D‑11, onglet 187, la pièce D‑16, ainsi que la pièce P‑79, onglet 226.

 

[717]       Par une lettre datée du 4 février 2000, le ministre Nault a dit à Mme Clark, en réponse à la lettre du 8 octobre 1999 de cette dernière, de travailler avec la région. Au deuxième paragraphe de cette lettre, M. Nault dit : [traduction] « le processus, dans le cadre du mandat du programme, qui vise à aider à assurer à votre entreprise un approvisionnement en bois avance ». Cette lettre figure dans la pièce D‑81, onglet 88.

 

[718]       Il ne s’agit pas là de la relation occasionnelle qu’entretiendraient un ministère désintéressé et un simple titulaire de permis éventuel. Ces faits, et de nombreux autres figurant dans le dossier, démontrent qu’il y avait une relation fort étroite entre les parties à la présente action. Je conclus qu’il existait un lien proche et étroit entre les demanderesses et la défenderesse.

 

b) La prévisibilité d’un préjudice

[719]       La question suivante qu’il faut examiner est celle de savoir s’il était prévisible que les demanderesses subiraient un préjudice. À mon avis, compte tenu de la totalité de la preuve, y compris la nature de l’entreprise, la réponse à cette question est « oui ».

 

[720]       La position principale de la défenderesse en rapport avec la question de la prévisibilité du préjudice est exposée dans ses observations écrites :

[traduction] Même s’il était peut-être raisonnablement prévisible que si des PCC ou des CRB n’étaient pas délivrés aux demanderesses, ces dernières subiraient des dommages, on peut dire la même chose de n’importe quel demandeur de PCC ou de CRB. En ce sens, la prévisibilité n’est pas suffisante pour fonder une obligation de diligence prima facie (paragraphe 10, ch. 4).

 

[721]       La défenderesse savait ce que les demanderesses construisaient, quand, pourquoi et où. Elle était au courant que ces dernières prévoyaient effectuer un important investissement de capitaux. Elle était au courant que n’importe quelle scierie capable de transformer du bois dans le sud-est du Yukon aurait besoin d’un tel investissement. Elle était au courant qu’une scierie, comme celle qui était proposée et qui a été construite, avait besoin d’un approvisionnement en bois fiable pour fonctionner et que l’absence d’un tel approvisionnement porterait un coup fatal à la viabilité de la scierie. Elle était également au courant qu’une scierie de cette taille aurait besoin d’un approvisionnement en bois nettement supérieur à celui qu’il était possible d’obtenir dans le cadre d’un PCC distinct.

 

[722]       Les témoins de la défenderesse ont déclaré qu’une scierie sans bois n’allait pas avoir de succès. En outre, la défenderesse était consciente qu’il s’agissait de la seule scierie de sa taille au Yukon. À mon avis, il était prévisible que les demanderesses subiraient personnellement un préjudice à cause d’une négligence quelconque qui perturberait l’approvisionnement en bois.

 

[723]       Je souligne aussi que l’engagement selon lequel un approvisionnement en bois serait disponible a été fait à LPL, et ensuite à SYFC, et qu’il a été l’objet d’encouragements et d’incitations supplémentaires. Dans ces circonstances, il est évident que des retards négligents dans la formulation du processus par lequel le bois serait livré allaient porter préjudice à ces demanderesses.

 

[724]       La transcription de la réunion du 20 mai 2000, déposée en tant que pièce P‑79, onglet 282, établit aussi que le Ministère savait qu’il était raisonnablement prévisible que les demanderesses subiraient un préjudice s’il y avait un retard excessif dans la mise en œuvre d’une tenure de longue durée.

 

[725]       À la réunion du 20 mai 2000, le ministre Nault a reconnu que les demanderesses prévoyaient des expansions futures. Il était au courant des plans d’affaires des demanderesses ainsi que de leur plan d’action futur. Il a discuté avec les demanderesses de l’aménagement de futures installations à valeur ajoutée afin de pouvoir utiliser de manière complète le bois récolté. À mon avis, cela montre que l’on savait qu’une fermeture de la scierie occasionnerait des pertes liées à une expectative.

 

[726]       À mon avis, la prévisibilité du préjudice découlant de ces faits n’est pas la même que celle qui s’appliquerait à n’importe quel autre demandeur.

 

[727]       Quoi qu’il en soit, après la première fermeture de la scierie, en décembre 1998, il n’est plus question de la prévisibilité raisonnable du préjudice, mais de la prévision réelle d’un préjudice, c’est-à-dire la fermeture de la scierie et la responsabilité qui en découlerait. C’est ce qui ressort clairement de notes de services internes du MAINC ainsi que des demandes de conseils juridiques du Ministère au sujet de sa responsabilité. Il y a de nombreux exemples de cette prévision dans le dossier, mais je ne ferai référence qu’à quelques-uns d’entre eux à ce stade-ci, dans les prochains paragraphes.

 

[728]       M. Kennedy a envoyé une note de service manuscrite confidentielle à Mme Guscott le 2 juin 1998. Cette note de service a été déposée en tant que pièce P‑79, onglet 71. M. Kennedy, manifestement soucieux de la conduite de ses collègues de travail et de la responsabilité du Ministère, a exprimé les préoccupations suivantes :

[traduction] [...] J’ai commis l’erreur de croire que des professionnels respecteraient leurs engagements, lesquels consistent à s’assurer que des documents et des examens préalables étaient faits. J’aurais dû m’en douter mais je croyais que des particuliers feraient passer la déontologie et leurs fonctions avant leur agenda personnel et qu’ils respecteraient les engagements pris. J’ai été stupide. Après la réunion d’hier et la réunion juridique d’aujourd’hui au sujet des obligations, je crois que Ressources forestières ne s’est pas acquittée de nos engagements et de nos obligations comme promis, dans les délais fixés.

[...]

Ressources forestières, dont je fais partie, ne peut pas concrétiser ses actions au sujet de l’approvisionnement en bois à l’industrie, d’ici vendredi. Vous, en tant qu’amie et pour protéger la crédibilité de votre poste de directrice, devez à tout prix vous protéger et vous préparer pour la réunion de vendredi.

[...]

Protégez vous-même et le poste de directeur, je ne pense pas que nous méritons actuellement, par inaction, le même sort. Prenez soin de vous.

[Non souligné dans l’original.]

 

[729]       Dans une note de service écrite par Mme Guscott le 8 juin 1998, déposée en tant que pièce P‑79, onglet 72, cette dernière a fait part de son sentiment de frustration à l’égard des critiques de son effectif. Elle a reconnu aussi qu’avant que SYFC obtienne son PCC, il se serait écoulé quatre mois. Dans ces notes manuscrites signées, elle indique ce qui suit :

[traduction] Dans un effort pour aller de l’avant, nous avons décidé de tenir une réunion publique afin que la compagnie, etc. puissent traiter des préoccupations « importantes » du public, du gouvernement, des PN, des intervenants clés, etc. J’ai une réunion avec Justice à 14 h 30 pour qu’on me donne de nouveau les meilleurs conseils juridiques sur notre processus, au cas où nous soyons l’objet d’une contestation « quelconque ».

 

[730]       Cette prévision de responsabilité s’est poursuivie, comme on peut le voir dans la pièce P‑44. Dans cette note de service, pièce P-44. M. Ballantyne, en commentant la disponibilité de l’approvisionnement en bois, demande s’il faut en informer SYFC, et il ajoute :

[traduction] Étant donné que South Yukon Forest Corporation prévoit des améliorations de 17 millions de dollars, vous devriez établir une stratégie à court terme sur la façon dont nous devrions leur annoncer la nouvelle, qu’il n’y a pas assez de bois. Vous pourriez aussi examiner avec Justice quelles seraient les conséquences si l’on n’informait pas la compagnie de la situation avant son expansion prévue.
[Non souligné dans l’original.]

 

[731]       La reconnaissance du risque de responsabilité juridique pour la conduite du Ministère a aussi été exprimée dans un rapport que KPMG a établi, le 18 juillet 2000, pour le MAINC. Ce rapport est intitulé « Yukon Timber Permit Process » (le rapport KPMG) et a été déposé en tant que pièce P‑47.

 

[732]       Dans le même ordre d’idées, M. Loeks a informé le Ministère qu’il y aurait de [traduction] « très vives récriminations si elle [SYFC] s’effondre parce que le gouvernement prend six mois de plus pour assurer la certitude de la planification ». Cette mise en garde démontre que le Ministère savait qu’il y avait une possibilité que SYFC échoue à cause du retard excessif dans la mise en œuvre d’une tenure à long terme. Cette mise en garde montre aussi que le Ministère était au courant qu’il y aurait des conséquences en cas d’effondrement.

 

[733]       Je conclus que pendant toute la durée de cette relation, il y a eu une prévisibilité raisonnable de préjudice, ou une prévision réelle de préjudice, à l’endroit des demanderesses si l’on délivrait des PCC de façon négligente ou si la mise en œuvre de la tenure à long terme était retardée de manière excessive.

 

1) La conclusion sur l’obligation de diligence prima facie

[734]       Je suis persuadée que les demanderesses ont établi que la défenderesse avait envers elles une obligation de diligence prima facie, qui découlait de la relation étroite ainsi que de la prévisibilité du préjudice. Cette relation était directe et étroite. La scierie avait besoin de bois pour réussir. Le Ministère avait besoin d’une scierie pour assurer le développement économique d’une industrie forestière et le Ministère contrôlait l’accès à l’approvisionnement en bois. La preuve que j’ai mentionnée prouve la relation. Il y a dans le dossier d’autres éléments de preuve qui étayent cette conclusion.

 

[735]       L’obligation de diligence a pris naissance en rapport avec LPL en 1997 à la suite de la réunion de « diligence raisonnable » qui a eu lieu à Whitehorse au cours de l’été de 1997, et c’est ce que je conclus.

 

[736]       L’obligation de diligence à l’égard de SYFC n’a pas pu prendre naissance avant la constitution en société de cette entité. Je conclus que l’obligation de diligence envers SYFC a pris naissance en février 1998 quand le Ministère a dit à Me Terry Boylan, un avocat représentant les demanderesses, que [traduction] « SYFC n’a qu’à aller de l’avant et à créer une scierie fonctionnelle, après quoi le bois deviendra disponible »; voir la pièce D‑11, onglet 109.

 

[737]       Quoi qu’il en soit, je conclus qu’à l’époque où la défenderesse a décidé de se mêler de la composition de cette entreprise, en « poussant » KFR à se joindre à la coentreprise en septembre 1998, les parties entretenaient un lien suffisamment étroit pour reconnaître l’existence d’une obligation de diligence de la part de la défenderesse envers les deux demanderesses, et je conclus qu’une telle obligation de diligence existait.

 

[738]       Tous les faits auxquels j’ai fait référence, qui sont survenus après le moment où j’ai conclu que l’obligation de diligence avait pris naissance, servent à illustrer que la conduite constante de la défenderesse dénote l’existence de la relation qu’elle croyait entretenir.

 

(ii) Les considérations de politique générale

[739]       Dans ces circonstances, il incombe maintenant à la défenderesse de démontrer qu’aucune obligation de diligence ne devrait être imposée, conformément au second volet du critère Cooper/Childs, parce qu’il existe des raisons de principe pour lesquelles il ne faudrait pas imposer une obligation de diligence à la défenderesse.

 

[740]       En l’espèce, où la question de principe prend-elle naissance?

 

[741]       Il ne fait aucune doute que la défenderesse, par l’intermédiaire du MAINC, peut faire des choix quant à la façon dont l’approvisionnement en bois, à long ou à court terme, est attribué. La Loi sur les terres territoriales autorise l’adoption de dispositions réglementaires à cet égard. Les dispositions du Règlement sur le bois du Yukon qui se rapportent au régime des PCC sont une déclaration d’intention. La disposition de la Loi sur les terres territoriales qui autorise l’octroi d’un CRB est elle aussi une déclaration d’intention.

 

[742]       La défenderesse a produit, à titre de pièces documentaires, de nombreux exemplaires de documents de discussion concernant un [traduction] « projet de processus de CRB », de même que des ébauches de ces documents. De plus, la défenderesse a produit, à titre de pièces documentaires, des documents de discussion concernant des processus de consultation se rapportant au projet de processus de CRB. Bien que l’on puisse fort bien considérer ces documents comme des déclarations d’intention, ils ne sont pas pertinents à l’égard des principales questions dont la Cour est saisie, c’est-à-dire le fait de savoir si la défenderesse est responsable envers les demanderesses, pour un motif quelconque, de la fermeture de la scierie de Watson Lake.

 

[743]       Ces pièces documentaires, y compris la pièce D‑59, sont pertinentes dans la mesure où elles illustrent la conduite qu’a eue la défenderesse au cours des années qui se sont écoulées entre la présentation, par LPL, de sa première proposition concernant la scierie de Watson Lake et la fermeture de cette dernière en août 2000.

 

[744]       La défenderesse renvoie à la décision qu’a rendue la Cour suprême du Canada dans Brown c. Colombie-Britannique (Ministre des Transports et de la Voirie), [1994] 1 R.C.S. 420, où le juge Cory, s’exprimant au nom de la majorité, décrit à la page 441 du recueil les différences qu’il y a entre les décisions de politique générale et les décisions de nature opérationnelle :

Pour distinguer les questions de politique générale des opérations, il peut être utile de passer en revue quelques‑uns des facteurs pertinents à cet égard. Ces facteurs se dégagent des arrêts de notre Cour Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705, Barratt c. District of North Vancouver, [1980] 2 R.C.S. 418, et Just, précité, et peuvent se résumer comme suit :

Les véritables décisions de politique générale comportent des facteurs sociaux politiques et économiques. Lorsqu’elle prend des décisions de cette nature, l’autorité publique s’efforce d’établir un équilibre entre l’efficacité et l’économie, dans le cadre de la planification et de la détermination préalable des limites de ses engagements et de leur mise en œuvre réelle. Les véritables décisions de politique générale seront habituellement dictées par des considérations ou des contraintes d’ordre financier, économique, social et politique.

L’aspect opérationnel est celui de la mise en œuvre pratique des politiques ainsi formulées; il concerne principalement l’exécution ou l’implantation d’une politique.  Les décisions opérationnelles sont habituellement le produit d’une directive administrative, de l’opinion d’un expert ou d’un professionnel, ou encore de normes techniques ou de la norme générale de ce qui est raisonnable.

 

[745]       Se fondant sur ces indications, la défenderesse soutient que les décisions que le MAINC a pu prendre au sujet de la délivrance de PCC ou en d’autres situations étaient des décisions de politique générale et, donc, à l’abri d’un examen de la part de la Cour dans la présente instance. Je ne suis pas d’accord.

 

[746]       Les décisions, par exemple, qui portent sur les types de permis qui doivent être autorisés ou sur les critères de sélection sont des décisions de politique générale. La mise en œuvre proprement dite de ces décisions est une décision de nature opérationnelle. En voici un exemple, tiré de la présente affaire.

 

[747]       En 1995, par souci d’équité, le Ministère a décidé qu’il choisirait au hasard les personnes ou les entreprises qui obtiendraient des PCC. Il s’agit là d’une décision de politique générale. Pour mettre en application cette décision, le Ministère a utilisé une salle communautaire locale et son « urne de bingo » et a choisi, dans cette urne, les noms des candidats retenus. Si l’argument de la défenderesse est exact, le choix d’un nom à partir de cette « urne de bingo » serait considéré comme une « véritable décision de politique générale » et exonérerait le gouvernement de toute responsabilité pour négligence. Cet argument est erroné en principe.

 

[748]       Dans l’arrêt Just, à la page 1242, le juge Cory explique ceci :

Une autorité publique est assujettie à l’obligation de diligence à moins d’un motif valable de l’en exempter. Un motif valable d’exemption est le cas d’une véritable décision de politique prise par un organisme gouvernemental. Or ce qui constitue une décision de politique peut varier à l’infini et être prise à divers échelons, bien que ce soit normalement à un haut niveau.
[Non souligné dans l’original.]

 

[749]       La défenderesse a invoqué une série de jugements rendus en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14, pour faire valoir que la gestion des ressources forestières au Yukon est, à l’instar de la gestion des pêches, une question laissée à la discrétion du ministre dans le cadre de la préservation et de la gestion d’une ressource publique. Cet argument est mal fondé et les nombreuses décisions que la défenderesse a citées ne sont pas pertinentes à l’égard des questions qui sont en jeu en l’espèce.

 

[750]       À cet égard, la défenderesse s’est fondée sur la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1995] 2 C.F. 467 (C.A.). La défenderesse a invoqué cette décision, ainsi que d’autres rendues en rapport avec la Loi sur les pêches, pour faire valoir que les réclamations des demanderesses dans la présente action sont toutes axées sur des choix de politique générale et qu’elles ne sont donc pas justiciables.

 

[751]       Comme le fait remarquer le juge Major dans la décision finale qu’a rendue la Cour suprême du Canada au sujet de Comeau’s Sea Foods, publiée dans [1997], 1 R.C.S. 12, l’article 7 de la Loi sur les pêches, qui se rapporte au pouvoir qu’exerce le ministre sur les permis, confère à ce dernier des « pouvoirs uniques ». Je me reporte aux paragraphes 24 et 25 de cet arrêt :

24        La Loi précise les circonstances dans lesquelles un permis délivré peut être révoqué, mais est muette quant à celles dans lesquelles le Ministre peut révoquer une autorisation de délivrer un permis. Le juge de première instance et la Cour d’appel ont statué qu’un permis autorisé équivaut à un permis délivré. Dans ce cas, une fois qu’il aurait autorisé la délivrance d’un permis, le Ministre ne pourrait pas révoquer cette autorisation même si, en vertu de l’art. 9, il pourrait révoquer le permis délivré.

25        Il y a une « lacune » dans la Loi sur les pêches dans la mesure où le texte ne donne aucune directive quant à savoir si le Ministre peut révoquer une autorisation. Le pouvoir à deux volets conféré au Ministre par l’art. 7 remonte à l’art. 2 de l’Acte des Pêcheries, S.C. 1868, ch. 60, et est unique en ce sens que, à la différence de toute autre loi fédérale, le Ministre est habilité à la fois à délivrer le permis et à autoriser sa délivrance.
[Non souligné dans l’original.]

 

[752]       La Loi sur le MAINC et la Loi sur les terres territoriales ne confère aucun pouvoir spécial de ce genre au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. La défenderesse ne peut se fonder avec succès sur la Loi sur les pêches ainsi que sur la jurisprudence établie en rapport avec la délivrance de permis, ou autrement, en vertu de ce régime législatif.

 

[753]       Les faits de l’espèce se distinguent également de ceux dont il est question dans Comeau’s Sea Foods. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a fait remarquer, au paragraphe 53, que « [l]e seul motif de négligence invoqué par l’appelante était le manquement à [traduction] “l’obligation légale de la défenderesse” ». La Cour a conclu que le ministre avait exercé son pouvoir de manière légitime. Elle a conclu, de ce fait, qu’il n’y avait pas d’obligation de diligence et qu’il n’y avait pas eu de manquement à cette obligation. En l’espèce, les demanderesses n’allèguent pas qu’il y a eu manquement à l’obligation légale de la défenderesse.

 

[754]       Dans la présente affaire, les demanderesses ne constestent pas les décisions de politique générale de la défenderesse : l’introduction de la règle des 60 %/40 %, le régime des droits de coupe à deux volets, l’utilisation de tenures à long terme au Yukon comme moyen d’établir un processus de transformation locale, pas plus que l’établissement, pour les PCC, du plafond de récolte fixé dans les AAF. Les demanderesses fondent plutôt leur réclamation sur la délivrance négligente de PCC et les retards excessifs dans la mise en œuvre de la politique visant à établir une tenure à long terme.

 

[755]       Les demanderesses se sont plaintes de la négligence qu’il y avait eue dans la délivrance de PCC pour les approvisionnements en bois à court terme. Par exemple, les retards dans la délivrance des PCC, l’absence de reconnaissance sur le terrain adéquate, qui a eu pour résultat la délivrance de PCC pour des secteurs dans lesquels il n’y avait pas de bois, ainsi que le défaut général du MAINC sur le plan de la gestion de son personnel et des ressources, sont des problèmes opérationnels.

 

[756]       L’opinion selon laquelle la conduite contestée de la défenderesse n’était pas une décision de politique générale est étayée par la preuve documentaire de la défenderesse et le témoignage de ses témoins. Il y a dans le dossier amplement de preuves qui étayent cette prétention. Je ne mentionnerai que deux exemples.

 

[757]       Premièrement, je fais référence au témoignage qu’a fait M. Monty en contre‑interrogatoire, où on lui a posé des questions sur les exigences à remplir pour obtenir un PCC. À la page 3264 des notes sténographiques, voici ce qu’on peut lire :

[traduction
Q.        Lorsque vous êtes arrivé sur la scène, une personne qui était âgée de 18 ans, qui était vivante et qui avait la citoyenneté canadienne était admissible. Est-ce à peu près exact?

R.         Absolument, oui, Madame la juge.

 

[758]       Il est évident que la délivrance d’un PCC était simplement une mesure administrative, et c’est ce je conclus.

 

[759]       Je fais également référence au courriel daté du 4 janvier 2000 que M. Moore a envoyé à Mme Clark, et qui est déposé en tant que pièce D‑81, onglet 166. Dans ce courriel, M. Moore répondait aux préoccupations de SYFC selon lesquelles des PCC retardés causeraient, pour la scierie, un manque de bois équivalant à un mois. M. Moore a déclaré qu’il y avait des [traduction] « [l]imites à ce qui peut être fait dans les limites d’une bonne gestion de programme et de la saine mise en œuvre d’une politique » [Non souligné dans l’original].

 

[760]       Je conclus que la délivrance négligente de PCC était une mesure administrative ou la mise en œuvre d’une politique. La décision de mettre en œuvre une politique est de nature opérationnelle. La défenderesse n’est pas à l’abri d’une conclusion selon laquelle il existe une obligation de diligence pour la façon dont ses politiques ont été mises en œuvre.

 

[761]       Selon la décision qu’a rendue la Cour d’appel de la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador dans l’affaire Atlantic Leasing Ltd. c. Newfoundland (1998), 164 Nfld & P.E.I.R. 119 (C.A. T.‑N.), un retard excessif ne peut pas être une politique. Dans cette affaire, la Cour a conclu que le gouvernement de Terre-Neuve était responsable envers la demanderesse du retard excessif avec lequel il avait renouvelé un bail commercial concernant des locaux à bureaux.

 

[762]       Je fais mienne la conclusion de la Cour d’appel de la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, à savoir qu’un retard excessif ne peut pas être une politique. Dans la mesure où les demanderesses se plaignent du retard excessif de la défenderesse, ce retard excessif n’est pas une politique qui peut mettre la défenderesse à l’abri d’une obligation de diligence envers les demanderesses.

 

[763]       En outre, la défenderesse soutient qu’il existe des questions de politique générale résiduelles qui devraient invalider l’imposition d’une obligation de diligence, notamment la perspective d’une responsabilité indéterminée, avec la possibilité que toute personne à qui l’on a refusé un permis ou une licence de récolte intenterait une action en dommages-intérêts.

 

[764]       Je rejette les arguments de la défenderesse selon lesquels il existe de telles raisons de politique générale, y compris le risque d’une responsabilité indéterminée. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Heaslip, cet argument omet de reconnaître la [traduction] « nature très précise de la réclamation » présentée par les demanderesses. Ces dernières fondent leur action sur la nature précise d’une annonce spécifique que la défenderesse a faite. Les circonstances sont uniques à ces parties. Il n’y a pas de risque de responsabilité indéterminée.

 

[765]       Ce point a été analysé également par les tribunaux de Terre-Neuve-et-Labrador dans l’affaire Atlantic Leasing où, au paragraphe 86, la Cour d’appel de la Cour suprême de Terre‑Neuve-et-Labrador a déclaré ce qui suit :

[traduction
[86]
     La principale question de politique générale qui a une incidence sur la pertinence de savoir s’il faut reconnaître l’existence d’une obligation de diligence pour éviter une perte économique est le problème de la responsabilité indéterminée. Il s’agit nettement plus d’un problème dans le contexte d’une perte économique relationnelle. Dans les circonstances de l’espèce, il ne s’agit pas réellement d’une préoccupation. La relation qui existait entre la Couronne et Atlantic était une relation connue et définie, et l’étendue de la responsabilité à laquelle pourrait s’exposer la Couronne était définie par cette relation connue et limitée. La Couronne savait que son inaction aurait une incidence défavorable sur une partie déterminée, plutôt que sur un groupe indéterminé. Pour ce motif, je ne vois aucune question de politique générale qui devrait limiter l’obligation de diligence prima facie qui prend par ailleurs naissance dans ces circonstances.

 

[766]       Compte tenu des éléments de preuve présentés, la défenderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau, selon la prépondérance des probabilités, de prouver qu’il existe des raisons de politique générale pour lesquelles il ne faudrait pas imposer une obligation de diligence.

 

1) La mauvaise foi

[767]       Comme je l’ai mentionné plus tôt, dans l’arrêt Just, au paragraphe 29, le juge Cory a conclu que les décisions de politique générale qui peuvent dispenser le gouvernement d’une obligation de diligence doivent être prises de bonne foi. J’ai conclu que la conduite dont il est question en l’espèce était de nature opérationnelle et non fondée sur une politique générale. Je conclus également qu’il y avait également dans cette conduite une absence de bonne foi.

 

[768]       Pendant tout l’été de 1998, le Ministère n’a pu autoriser adéquatement un approvisionnement en bois à l’industrie forestière. Je considère que cette incapacité était attribuable à l’inconduite d’employés du MAINC. Un exemple de conduite douteuse figure dans le courriel que M. Kennedy a envoyé à M. Fillmore le 25 mai 1998. Ce courriel a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 70. M. Kennedy déclare à M. Fillmore, son superviseur et le gestionnaire régional des Ressources forestières, que :

[traduction] Le 17 mai, une lettre a été envoyée aux districts pour les aviser que les demandes de permis des secteurs seraient acceptées. Depuis ce temps, trois nouvelles listes d’approvisionnement en bois sont apparues. La seule façon dont j’ai reçu une copie de cette cible mouvante des Pratiques forestières est en recevant de vous, cet après-midi, ce qui est censément la copie la plus récente. Ce système de circulation de l’information est inacceptable pour ceux qui sont chargés d’accepter et d’approuver les secteurs qui recevront un permis. Le fait que les secteurs d’approvisionnement en bois changent si radicalement en une semaine m’amène à croire qu’en fait nous devinons quel sera l’approvisionnement en bois et que, dans le meilleur des cas, il n’y a pas eu de préparatifs pour les secteurs avant ma lettre du 15 mai 1998. Je trouve incroyable l’attitude que l’on a envers les besoins de l’industrie, les promesses faites publiquement et l’absence totale de participation des intervenants clés dans le processus.
(Non souligné dans l’original.)

[...]

Le document le plus récent fait état du bois de Rancheria mais, à 13 h aujourd’hui, nous nous sommes finalement rendus compte que le bois n’est pas là – nous avons donc maintenant un plan situé le long de la route Campbell.

[...]

Nous n’avons pas respecté notre parole à l’industrie, nous sommes en état de panique et nous choisissons du bois n’importe où. J’ai vérifié avec Ken et Peter, des intervenants clés dans le processus d’approvisionnement en bois, et ils n’étaient pas au courant du sommaire d’approvisionnement en bois le plus récent. Nous devons nous réunir pour éliminer ce bordel. Le déplacement constant des secteurs d’approvisionnement en bois fait qu’il est impossible d’accepter des demandes de manière ordonnée et d’être crédibles. Shirley et moi avons maintenant, au cours de la semaine écoulée, utilisé trois listes officielles différentes des Pratiques de récolte pour accepter des demandes.

 

[769]       M. Kennedy, manifestement insatisfait du résultat de son courriel daté du 25 mai, a envoyé une note de service manuscrite confidentielle à Mme Guscott le 2 juin. Ce document a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 71. M. Kennedy, visiblement mécontent de la conduite de ses collègues de travail, a exprimé les préoccupations suivantes :

[traduction] Nous, aux Ressources forestières, et je dis bien nous, avec peu de fierté, à cause du manque d’esprit d’équipe manifesté pour atteindre les objectifs fixés en matière d’approvisionnement en bois, n’avons pas respecté les promesses que nous vous avions faites à vous-même, ou publiquement à l’industrie. Notre engagement à délivrer 1 000 m3 et moins en avril est en retard de deux mois. La promesse d’avoir du bois près pour la récolte, pour l’AAF, d’ici le mois de juin est, à franchement parler, un rêve à moins que l’on fasse un effort urgent et coordonné pour atteindre cet objectif. Après une réunion tenue hier sur l’approvisionnement en bois et une réunion juridique tenue aujourd’hui sur le financement et la sélection préliminaire, les obligations en matière de consultation, je suis d’avis que nous ne nous sommes pas acquittés de notre mandat.

En date de samedi, j’ai approuvé les demandes de 1 000 m3 et moins dans tous les districts, à l’exception des Y02 et Y03, parce que, dans ces unités, aucun bois n’a été fourni avant hier. Je n’ai pas pu accorder la limite de 20 % dans l’unité Y04 car les Pratiques de récolte n’avaient aucun plan dans cette UAF... Les mesures que j’ai prises pour approuver les demandes jusqu’à concurrence de 20 % des exigences d’admissibilité concernant un volume de <1 000 m3 ont été une tentative pour ne pas retarder davantage la possibilité qu’a l’industrie d’obtenir du bois.

[...]

J’ai commis l’erreur de croire que des professionnels respecteraient leurs engagements, lesquels consistaient à s’assurer que des documents et des examens préalables étaient faits. J’aurais dû m’en douter mais je croyais que des particuliers feraient passer la déontologie et leurs fonctions avant leur agenda personnel et qu’ils respecteraient les engagements pris. J’ai été stupide. Après la réunion d’hier et la réunion juridique d’aujourd’hui au sujet des obligations, je crois que Ressources forestières ne s’est pas acquittée de nos engagements et de nos obligations comme promis, dans les délais fixés.

[...]

Je m’inquiète cependant de mon comportement déontologique, en faisant partie d’une « équipe » qui ne s’est pas acquittée de ses obligations envers vous-même (ou le MAINC); du fait de retarder l’accès de l’industrie à un approvisionnement en bois (ainsi que des problèmes familiaux et financiers connexes qui en découlent) et les promesses que j’ai faites au personnel, à l’industrie et à la direction (y compris Justice) d’offrir des conditions équitables en vertu du Règlement en remplissant nos fonctions dans le délai et les paramètres définis.

Ressources forestières, dont je fais partie, ne peut pas concrétiser ses actions au sujet de l’approvisionnement en bois à l’industrie, d’ici vendredi. Vous, en tant qu’amie et pour protéger la crédibilité de votre poste de directrice, devez à tout prix vous protéger et vous préparer pour la réunion de vendredi.

1) Demandez par UAF une copie écrite documentée des mesures fiduciaires et de sélection préalable, et consultations menées. Si les documents sont disponibles, ils devraient être fournis avant 17 h aujourd’hui (mercredi); s’ils ne le sont pas, vous avez jusqu’à demain (jeudi) pour préparer le DG, solliciter des conseils juridiques et faire affaire avec nous de manière décisive. Si ces documents ne sont pas disponibles, et exacts, vous devez protéger le Ministère et la crédibilité du directeur en nous laissant tomber et en nous traitant comme un problème disciplinaire. Le MAINC, au niveau de la direction, ne doit pas perdre la confiance de l’industrie, c’est tout ce qui reste.

2) Les efforts pour s’en tenir aux règlements pour tout, par souci d’équité, doivent être appliqués. Il s’agit de mesures qui sont soutenues par l’industrie légitime, et qui élimineront à la longue les éléments corrompus et le bois mort au sein de l’industrie et du personnel. (Tant Ressources forestières que [...])

[...]

L’industrie n’est pas stupide, elle sait que ce processus n’a pas eu lieu, car il est public, et elle sait qu’il faut au moins 30 jours.

[...]

7) Agir immédiatement pour empêcher la « 5e » colonne qui manipule les réactions des Premières nations contre nos processus. Les mesures n’aident pas, à long terme, la PN; elles ne sont pas productives et causent des divisions internes et provoqueront, si elles se poursuivent, un effet de rebond dans l’industrie. Enfin, ces mesures violent le code de déontologie du MAINC, pour les employés.

Je tiens aussi à préciser que je ne souhaite pas sous-entendre que Russ Fillmore est de quelque façon responsable de l’inaction de notre section, ou impliqué dans cette dernière. Franchement, je crois que l’étendue du problème l’a dépassé, il a été induit en erreur et on lui a menti aussi, et il n’a pas eu le temps de corriger une situation, partiellement masquée. Le reste d’entre nous n’avons aucune excuse en tant qu’employés de Ressources forestières. Je savais ce qui se passait et j’aurais dû supplier plus longtemps et plus fort. Un trop grand nombre d’employés ont préféré se soumettre tranquillement plutôt que de mettre en question le manque d’évolution et de processus. Le manque de bois pour 1998 n’était et n’est pas un accident, il a été bien planifié par inaction, complaisance, manque de respect à l’égard de la direction et des besoins de l’industrie et désobéissance subtile (à partir du niveau de Forester, et pas au niveau des « abeilles » ouvrières).

[...]

Je tiens aussi à préciser que je ne souhaite pas sous-entendre que Russ Fillmore est de quelque façon responsable de l’inaction de notre section, ou impliqué dans cette dernière. Franchement, je crois que l’étendue du problème l’a dépassé, il a été induit en erreur et on lui a menti aussi, et il n’a pas eu le temps de corriger une situation, partiellement masquée.

[...]

Protégez vous-même et le poste de directeur, je ne pense pas que nous méritions actuellement, par inaction, le même sort. Prenez soin de vous.

[Non souligné dans l’original.]

 

[770]       La note de service de M. Kennedy est particulièrement dommageable pour la défenderesse.

 

[771]       Les pièces documentaires comportent d’autres exemples de mauvaise foi. Il y a de nombreux cas où le bureau régional présente de façon inexacte la situation à l’Administration centrale du Ministère à Ottawa ainsi qu’à d’autres ministres.

 

[772]       Un document de base régional du MAINC, écrit par M. Fillmore le 3 février, a été déposé en tant que pièce D‑33. Dans ce document, M. Fillmore appelle par erreur SYFC South East Yukon Forest Product. Le bureau régional indique ce qui suit :

[traduction] Des hauts fonctionnaires du MAINC se sont réunis par conférence téléphonique à 16 h hier après-midi afin d’élaborer une stratégie pour la scierie, South Yukon Forest Products, afin d’avoir accès à un approvisionnement en bois à long terme et à court terme et garder ainsi la scierie ouverte. Dans l’intervalle, la compagnie a choisi les médias comme mécanisme pour faire pression en vue d’avoir accès à un approvisionnement en bois. En fait, South East Yukon Forest Products n’a jamais fait de démarches auprès du MAINC et des personnes responsables de la délivrance des permis avant tout récemment.

[...]

Le MAINC reconnaît le souhait qu’ont les Yukonnais de promouvoir et d’exploiter une industrie de transformation et à valeur ajoutée locale. Cependant, dans le cas présent, une partie du problème est que la réduction des prix du bois a une incidence négative sur l’industrie forestière au Yukon. Cela a entraîné une diminution du nombre d’exploitants demandant des permis, ou cela les amené à retarder leur description de projet avant d’avoir garanti un marché pour leur bois. En outre, d’autres ont décidé de ne pas récolter du bois car ce n’est pas économiquement faisable. De plus, une partie du problème est peut-être aussi les bas prix que South East Yukon Forest Product est prête à payer pour du bois.
[Non souligné dans l’original.]

 

[773]       Au vu de la totalité de la preuve, les coentrepreneurs, soit LPL soit SYFC, ont été en constant contact avec le Ministère depuis 1995. J’ai accepté plus tôt la preuve des demanderesses selon laquelle c’était à cause d’un manque de bois que la scierie a fermé en décembre 1998. Les hypothèses et les explications qu’offre M. Fillmore s’inscrivent dans la conduite constante par laquelle le bureau régional tente d’imputer à d’autres ses lacunes. En outre, dans le premier paragraphe du document que je viens de citer, M. Fillmore fait un énoncé manifestement inexact. Les demanderesses s’enquéraient de l’accès au bois auprès du MAINC longtemps avant le 3 février 1999.

 

[774]       M. Kennedy, chef, Politique et industrie forestière, a écrit à son supérieur, M. Monty, le 18 juin 2000. Sa note de service a été déposée en tant que pièce P‑45. M. Kennedy y fait part de ses préoccupations au sujet du processus des CRB.

 

[775]       Dans cette note de service, M. Kennedy explique que, le 13 mars 2000, on lui a demandé d’établir une stratégie concernant la réinscription au calendrier du processus relatif aux CRB. Il a proposé, à cette fin, trois options. En ce qui concerne le déplacement des délais relatifs aux CRB, il fait remarquer ce qui suit :

[traduction] Les premières modifications ont touché l’échéancier avant la publication du rapport « The Development of Yukon Timber Harvest Agreements, A Framework for THA’s in the Yukon », lorsque nous avons repoussé le délai au mois de septembre 2000. L’atelier qui a eu lieu les 4 et 5 avril 2000 avait pour but de réunir tous les intervenants afin de les consulter sur un processus raisonnable et, ensuite, de donner suite à la demande de propositions, à propos d’une assise foncière particulière située dans le sud-est du Yukon, en temps opportun. Des engagements à respecter les délais indiqués ont été pris vis-à-vis des instances supérieures. À la suite d’une réunion conjointe Yukon-MAINC tenue au début de janvier 2000, on nous a donné instruction de procéder en sachant que le processus de planification de l’aménagement forestier ferait partie de l’élaboration des critères imposés au promoteur, et de ne pas précéder le processus de sélection. Cela ne semble pas être clair aux yeux de tous les membres du groupe de travail, et cela m’amène à me demander, compte tenu des changements apportés au gouvernement du Yukon, ainsi que des changements de direction internes, si nous suivons la même direction compte tenu de cette réunion de janvier.

[...]

En tant que chef, Politique et Industrie, et conformément aux directives antérieures, je m’inquiète du fait que le processus tente de revenir au processus d’aménagement forestier et qu’il ne s’agit pas de la concentration requise pour la DP.

[...]

Nous devons prêter l’oreille aux consultations, et intégrer les résultats où il le faut, mais nous devons aussi commencer à créer un climat de confiance avec l’industrie, et les intervenants, en respectant nos engagements. Les délais sont devenus un engagement crucial.

[...]

À chaque occasion, nous semblons ajouter un autre palier de consultation au processus relatif aux CRB

[...]

J’ai souvent l’impression que les pressions qui sont exercées pour que l’on consulte davantage les groupes sur le moindre élément représente soit une instruction indécise de procéder, soit un moyen de retarder le processus afin d’intégrer davantage de planification des ressources du gouvernement avant que l’on invite les promoteurs à soumettre des propositions.

[...]

À franchement parler, nous n’atteindrons jamais le stade où nous connaîtrons tous les éléments, et les discussions constantes atteignent un point de rendement dégressif.
[Non souligné dans l’original.]

 

[776]       Le 31 août 2000, le bureau régional du MAINC a rédigé une note d’information dans laquelle il a signalé que l’opposition officielle avait demandé la tenue d’une enquête sur la mauvaise gestion flagrante des ressources forestières au Yukon. Ce document figure dans la pièce P‑79, onglet 323. La note d’information, rédigée par Mme Stewart et approuvée par M. Sewell, indique ce qui suit :

[traduction] La fermeture de la scierie de South Yukon Forest Corporation (SYFC) est attribuable à un certain nombre de facteurs :

·        Le faible prix du bois de construction en Amérique du Nord.

·        Les incertitudes associées à la fin de l’Accord sur le bois d’œuvre résineux entre le Canada et les États-Unis ainsi que les avantages qui y étaient associés pour SYFC.

·        La scierie de SYFC aurait à étendre ses capacités en vue de fabriquer des produits finis pour demeurer rentable après la fin de l’Accord sur le bois d’œuvre résineux. Cela inclurait des économies de sciage additionnelles pour pouvoir transformer les arbres de petite taille disponibles au Yukon.

·        Même si SYFC pouvait disposer d’un CRB basé sur un territoire, il serait nécessaire de faire un investissement en infrastructure routière pour avoir accès au bois. Cela représenterait des fonds d’investissement additionnels, en sus de l’expansion nécessaire de la scierie.

·        Le plafond de récolte inférieur, dans les unités d’aménagement forestier situées près de Watson Lake, a bel et bien eu un effet négatif additionnel sur la scierie. Cependant, il semble que ce soient les conditions du marché en général qui ont eu le plus d’effets sur SYFC et sa décision de fermer.

 

[777]       Le bureau régional du Yukon n’a pas relevé le facteur unique que les coentrepreneurs ont indiqué comme motif de fermeture de la scierie. Il en a plutôt suggéré plusieurs, dont aucun n’a été accepté par les demanderesses. Je souligne en outre que les facteurs de causalité que la région a relevés dégagent commodément cette dernière de toute responsabilité.

 

[778]       Je conclus aussi que l’AAF de M. Henry a été irrégulièrement manipulée. À cet égard, je me reporte au témoignage de ce dernier sur les multiples [traduction] « impressions » de données, aux pages 3694 à 3696 des notes sténographiques :

[traduction
Q.    Êtes-vous retourné voir de temps à autre les experts pour obtenir plus d’information ou des informations additionnelles?

R. :  Oui, et pour transmettre les... essentiellement prendre les résultats et les montrer à des gens, parce que cela documente les éléments d’entrée finaux que nous utilisions.

Q.    Avez-vous obtenu des données d’entrée différentes après avoir revu vos collègues?

R.    Si je me souviens bien, oui, nous avons modifié des choses en cours de route.

Q.    Et, Monsieur, ce serait après que vous aviez déjà effectué une impression jusqu’à ce moment-là, est-ce exact?

R.    C’est exact.

Q.    Donc, qu’est-ce qui justifierait que l’on change des données d’entrée après avoir effectué une impression?

R.    Les... eh bien, d’après les résultats que nous obtenions, que nous les aimions ou pas, ou si ces données causaient des points de pincement dans le modèle en rapport avec l’approvisionnement en bois.

Q.    Quand vous dites : si vous les aimiez ou pas, ce que cela me dit c’est, pour bien comprendre, vous appuyiez sur le bouton d’exécution et cela imprimait un résultat, est-ce exact?

R.    C’est exact.

Q.    Et vous preniez ensuite la décision de savoir si vous aimiez les résultats ou non et, ensuite, vous faisiez marche arrière et introduisiez des informations différentes, est-ce exact?

R.    On évaluait les résultats et on apportait des modifications fondées sur ces résultats, oui.

Q.    Donc, nous avons ici devant nous, dans le document que vous avez devant vous, cet onglet 61, ce qui serait, selon vous, une version seulement parmi plusieurs autres, êtes-vous d’accord?

R.    Oui.

Q.    Et celle-ci qui se trouve devant la Cour est celle qui a été établie à la longue après avoir modifié des données d’entrée pour lesquelles vous collaboriez avec vos collègues, êtes-vous d’accord?

R.    Oui.

[Non souligné dans l’original.]

 

[779]       Il ressort de cette preuve que les résultats de l’AAF ont été manipulés. Après chaque [traduction] « impression » du modèle informatique de l’AAF, le personnel du MAINC examinait s’il [traduction] « aimait » le volume de bois durable disponible qui en résultait. Quand il n’aimait pas les résultats, le personnel du MAINC changeait les données d’entrée et exécutait de nouveau le modèle informatique jusqu’à ce qu’il obtienne un résultat qu’il « aimait ». Le volume qui a finalement été obtenu, après la manipulation des « impressions », était de 128 000 m3. Cela a donné lieu à un chiffre fondé sur les préférences personnelles des employés du MAINC, et non sur des éléments scientifiques.

 

[780]       Cela est particulièrement suspect au vu de la pétition datée de 1995. Les auteurs de cette dernière se plaignaient de la décision qu’avait prise le Ministère d’établir une PCA de 450 000 m3. Les pétitionnaires demandaient que l’on revienne aux niveaux de récolte de bois précédents. Le Ministère a expressément refusé de changer la PCA en revenant à ces niveaux.

 

[781]       En réponse à cette pétition, la pièce P‑75, le Ministère a souligné que le volume de 128 000 m3 était le volume historique de bois rond réellement coupé en 1992. La PCA était fondée sur un [traduction] « inventaire de bois exhaustif et elle était justifiée par le fait qu’elle représentait une petite fraction du bois durable disponible.

 

[782]       Les manipulations susmentionnées de l’AAF ont fait passer le plafond de récolte à 128 000 m3. Ce changement était fondé sur les résultats de l’AAF concernant le volume de bois durable disponible. Le nouveau niveau de récolte de 128 000 m3 était le même que celui qui avait été expressément rejeté dans la réponse à la pétition de 1995. Par cette manipulation, les employés du MAINC ont contourné l’établissement d’une PCA fondée sur des éléments scientifiques, et non sur des niveaux de récolte historiques, et y ont substitué le niveau qu’ils préféraient.

 

[783]       Ce changement au niveau de récolte a été fait sans consultation.

 

[784]       En ce qui concerne les manipulations, je me reporte aussi à la note de service du 2 juin 1998 de M. Kennedy, dans laquelle il dit s’inquiéter de la manipulation des réponses des Premières nations. Des passages de cette note de service ont été reproduits plus tôt. Cette dernière a été déposée en tant que pièce P‑79, onglet 71.

 

[785]       Dans une note de service datée du 16 juin 2000, déposée en tant que pièce P‑44, M. Ballantyne répond à l’affirmation de M. Monty selon laquelle il n’y a pas assez de bois pour  la scierie des demanderesses; une copie a également été envoyée à Mme Guscott et à M. Sewell. Dans cette note de service, M. Ballantyne indique ce qui suit :

[traduction] Étant donné que South Yukon Forest Corporation prévoit des améliorations de 17 millions de dollars, vous devriez établir une stratégie à court terme sur la façon dont nous devrions leur annoncer la nouvelle, qu’il n’y a pas assez de bois. Vous pourriez aussi examiner avec Justice quelles seraient les conséquences si l’on n’informait pas la compagnie de la situation avant son expansion prévue.

Les renseignements que vous avez fournis dans votre lettre revêtent une importance cruciale pour les décisions que prend la direction, mais je trouve assez extraordinaire qu’à ce stade avancé, nous allons encore nous servir une autre grosse tranche d’humilité. Il y en a plusieurs qui pourraient demander pourquoi nous avons pris tant de temps pour cerner le problème.

 

[786]       Malgré le lien très étroit qu’entretenait la défenderesse et les demanderesses, le Ministère était prêt à garder le silence, sachant que les demanderesses prévoyaient se lancer dans une vaste expansion de la scierie. Le Ministère était prêt à ne rien dire sur sa découverte subite qu’il n’y avait pas assez de bois. Il n’y a aucune preuve que le Ministère a informé les demanderesses de cette « découverte » avant 2001.

 

[787]       Le 9 août 2000, M. Kennedy a signalé à Mme Guscott que le rapport Timberline no 2 avait été reçu. Ce courriel a été déposé en tant que pièce P‑80, onglet 77. Dans son courriel, M. Kennedy a expliqué à Mme Guscott qu’elle devait passer en revue le nouveau document. À propos du volume indiqué dans l’AAF précédente, M. Kennedy a déclaré qu’il y avait eu [traduction] « [q]uelques changements de chiffres importants après avoir supprimé quelques contraintes de gestion dissimulées qui étaient là auparavant » [Non souligné dans l’original.].

 

[788]       Ces « contraintes de gestion dissimulées » sont la raison pour laquelle M. Monty a indiqué à M. Ballantyne, comme je l’ai mentionné plus tôt, qu’il n’y avait pas assez de bois pour la scierie de Watson Lake

 

[789]       L’ébauche de DP, c’est-à-dire le « premier ballon d’essai » selon les demanderesses, a été lancée en septembre 2000. Cette DP était fondée sur l’analyse du rapport Timberline no 2. Cependant, avant que la DP réelle soit lancée en 2001, la taille et le nombre des CRB ont été modifiés sans explication. La nouvelle DP est revenue à l’ancien rapport Timberline no 1, qui avait été fondé sur l’AAF préliminaire et ses « contraintes de gestion dissimulées »

 

[790]       Le « premier ballon d’essai » contenait pour les CRB plusieurs options différentes, notamment des CRB à grand volume et à petit volume. La DP réelle, lorsqu’elle a été lancée, comportait deux CRB, chacune d’un volume maximal de 30 000 m3 par année de bois.

 

[791]       Ce changement a été accepté par le MAINC dans le but exprès de régler ce que le Ministère appelait un [traduction] « engagement embêtant ». Les mots « engagement embêtant » ont été employés par M. Dave Loeks, consultant auprès du MAINC, dans la lettre datée du 15 juin 2001 qu’il a envoyée à M. Joe Ballantyne, directeur des Ressources renouvelables du MAINC. L’« engagement embêtant » désigne un engagement pris par le ministre.

 

[792]       Il n’y a pas de preuve directe sur l’engagement que le ministre Nault a pris parce que ce dernier n’a pas témoigné.

 

[793]       Le changement de volume de bois qui est indiqué dans la DP est nettement inférieur au volume analysé dans le rapport Timberline no 2 et l’ébauche de DP. Il semble que le bureau régional contournait concrètement l’engagement pris par le ministre en réduisant le volume de l’offre à deux CRB de 30 000 m3.

 

[794]       M. Sewell a déclaré qu’il n’était pas au courant qu’on avait donné des instructions pour revenir au niveau du rapport Timberline no 1 et de ne pas suivre les recommandations faites dans le rapport Timberline no 2. Le retour au niveau du rapport Timberline no 1 posait des difficultés car la première ébauche de DP, fondée sur le rapport Timberline no 2, était la DP sur laquelle le Ministère avait mené des consultations de septembre 2000 à septembre 2001. En septembre 2001, la seconde ébauche de DP a été lancée sans explication.

 

[795]       Il est un fait que le Ministère savait que les volumes envisagés étaient insuffisants pour la scierie existante. Je me reporte à la pièce P‑79, onglet 116, un courriel interne que M. Sewell a envoyé à d’autres membres du personnel du MAINC en mars 1999. Dans ce document, M. Sewell déclare : [traduction] « Je pense que nous sommes tous conscients que les CRB sont la solution, pas une augmentation de 5 000 mètres cubes et une tenure de trois ans, alors que la scierie cherche  à avoir 200 000 mètres cubes ».

 

[796]       En me fondant sur la preuve, je conclus que le Ministère savait que le volume que prévoyait la DP était insuffisant pour la scierie des demanderesses. Un exemple de plus est la pièce P‑46. Je conclus également que la défenderesse a intentionnellement décidé d’utiliser cette DP insuffisante sans aucune raison valable. C’était pour se débarrasser de l’« engagement embêtant » et atténuer les pressions politiques qui s’exerçaient sur le [traduction] « front intérieur ».

 

[797]       En prenant la décision d’« éliminer l’engagement embêtant » en réduisant le volume offert dans la DP, le Ministère savait que cela aurait un effet direct et négatif sur la scierie des demanderesses. En tirant cette conclusion, je me reporte au courriel, déposé en tant que pièce P‑76, que M. Loeks, un consultant du MAINC, a envoyé à M. Ballantyne. Dans ce document, il inclut un message qu’il avait envoyé à la YCS. Dans ce courriel, M. Loeks expliquait à la YCS que le bureau régional du MAINC avait accepté sa recommandation concernant la façon de s’acquitter de l’engagement du ministre à l’égard du CRB. M. Loeks a expliqué à la YCS que :

[traduction] La Ville de Watson Lake veut aussi l’espoir que l’on affermira son économie. Nous savons tous que le fait d’offrir 60 % de 128 000 m3/année garantira que seules 2 exploitations de taille modeste et les petites scieries seront capables d’ouvrir leurs portes. Les exploitations de grande taille et les intérêts de la Ville seront laissés en plan.

 

[798]       Il ressort clairement de la preuve que la scierie des demanderesses était la scierie la plus importante. La référence qui est faite aux « exploitations de grande taille » inclut certainement la scierie que les demanderesses possédaient à Watson Lake.

 

[799]       Il vaut la peine de mentionner que M. Monty avait donné auparavant des conseils à son supérieur, M. Ballantyne, au sujet des bénéficiaires de ces CRB plus restreints. Les conseils de M. Monty étaient fondés sur la [traduction] « capacité de sciage confirmée ». M. Monty a nommé les scieries locales qui avaient une capacité confirmée. Même si la scierie des demanderesses était la plus grosse installation de transformation au Yukon et même si cette dernière avait une capacité confirmée, elle ne faisait pas partie des exploitations énumérées par M. Monty. À la pièce P‑46, M. Monty déclare ce qui suit :

[traduction] Nous proposons de délivrer un petit CRB aux personnes qui ont une capacité de sciage confirmée depuis les deux dernières années (c.-à-d. : Bowie, Dakawada, YRT, quelques autres).

 

[800]       Depuis le début de la relation entre les parties, le Ministère avait systématiquement soutenu qu’il n’y aurait pas d’entente de tenure à long terme avant qu’un PAF ait été établi.

 

[801]       De plus, M. Monty a déclaré qu’il fallait que toutes les revendications territoriales soient réglées avant que l’on puisse accorder un CRB. Cependant, cela ne concorde pas avec le témoignage de M. Sewell, qui a déclaré que les revendications territoriales étaient un problème pour le GTY, mais pas pour le MAINC.

 

[802]       Néanmoins, la DP finale a été lancée avant qu’un PAF ait été établi ou que les revendications territoriales aient été réglées. Cela dénote que le PAF et les revendications territoriales réglées n’étaient pas de véritables exigences, que le Ministère avait renoncé à ces conditions ou alors que la DP avait été lancée de mauvaise foi en vue de dégager le Ministère de ses engagements.

 

[803]       Au bout du compte, il n’y a jamais eu de suite à cette DP.

 

[804]       Il est clair aussi qu’il existait un certain degré d’animosité de la part de Mme Guscott envers la coentreprise, et Mme Clark de SYFC en particulier. Mme Guscott s’est lancée dans ce que l’on pourrait qualifier de campagne de dénigrement.

 

[805]       En prévision de la réunion du 7 avril 1999, Mme Guscott a répondu à un courriel de M. Moore, SMA, le 23 mars 1999; ce courriel figure dans la pièce P-‑79, onglet 128. Elle y a déclaré ce qui suit :

[traduction] C’est ce que je préférerais, car je travaille de près avec l’entreprise et je connais toutes ses façons de procéder. Je suggère qu’à cause de ce qui s’est passé avec cette entreprise, quelqu’un (région) prenne l’initiative de veiller à ce que l’on prenne de bonnes notes et que l’on tienne des comptes rendus.

 

[806]       Elle a aussi envoyé un courriel à M. Beaubier, à Ottawa, en prévision de cette même réunion. Ce courriel a été déposé en tant que pièce P‑80, onglet 48. Mme Guscott y écrit :

[traduction] Je vous transmets avec prudence les renseignements de base qui suivent, mais j’ai jugé juste et équitable que vous ayez les renseignements de base appropriés. La compagnie a construit la scierie sans même consulter ou rencontrer le MAINC, elle a choisi de faire toutes ses affaires avec le GTY, la partie était déjà bien avancée quand elle s’est adressée à nous.
[Non souligné dans l’original.]

 

[807]       Comme je l’ai mentionné plus tôt, cela est factuellement inexact. Plus important encore, il ressort clairement de la preuve documentaire que Mme Guscott savait que cela était inexact. Dans le même courriel, elle admet ensuite que :

[traductionOui, nous avons tardé à délivrer des permis mais il y avait plein de bois disponible à acheter en décembre; la compagnie a décidé de nous blâmer, et je suppose que si j’étais une compagnie qui tentait de mettre la communauté de mon côté j’en ferais de même, mais elle a rompu une certaine quantité d’affaires pour acheter du bois et ce n’est pas tous les membres de la collectivité qui sont satisfait d’elle; en définitive, elle ne pouvait pas exploiter la scierie sur la base de son analyse de 28 cm et elle a dû repenser à son affaire, et tenter d’obtenir des concessions du gouvernement afin d’avoir un monopole sur la totalité du bois??
[Non souligné dans l’original.]

 

[808]       À mon avis, les opinions qu’exprime Mme Guscott dans ce courriel ne sont rien de moins qu’une tentative de sa part pour vicier les impressions des bureaux d’Ottawa du MAINC à l’égard des demanderesses, avant la réunion prévue pour le 7 avril 1999 entre des représentants du MAINC et les demanderesses.

 

[809]       Dans les jours suivant la date où SYFC a déposé sa déclaration, le 15 novembre 2001 Mme Jennifer Guscott a envoyé un courriel à M. John Brown, qui était à l’époque le DGR de la région du Yukon. Ce courriel figure dans la pièce P‑79, onglet 361. Dans ce document, Mme Guscott indique ceci :

[traduction] Pour SYFC, cela n’est pas une surprise; la compagnie nous menace depuis des années. Nous avons un long dossier sur ces gens-là, et je suis sûre que nos gestes sont défendables. Ils ne sont pas nets.

[...]

Une partie du problème, c’est que le ministre n’a pas été convenablement informé avant qu’il rencontre l’industrie forestière – il avait en main toutes les informations, il lui fallait seulement l’explication. Je suppose qu’il n’y a pas grand-chose que nous pouvons faire avec des réunions de dernière minute, mais j’aurais espérer que l’on aurait trouvé un peu de temps avant qu’il les rencontre, car ces gens peuvent être habiles.

[...]

J’estime encore qu’il ne serait que juste que la véritable histoire soit dite. Mais les gens qui connaissent la véritable histoire le pourront-ils un jour parce que les événements les dépassent – j’aurais aimé être là pour donner un coup de main, il s’agit d’un dossier difficile, mais nous avons déjà subi les mêmes pressions, il suffit d’appeler Mike Ivanski, Hiram Beaubier, John Rayer, Bruce Chambers, Lois Craig et une liste de gestionnaires régionaux qui ont été court-circuités par de mauvais acteurs et certaines personnes de la même industrie. Il peut-être temps d’imposer un autre moratoire pendant que l’on règle les questions de travail importantes et ne délivrer que des permis d’un volume de 5 000 mètres cubes??? Si tout le monde est si malheureux, peut‑être que le moratoire devrait durer jusqu’en avril 2003 ha ha
[Non souligné dans l’original.]

 

[810]       Il s’agit là d’un courriel extraordinaire et fort dommageable pour la défenderesse. Il vaut la peine de souligner que ce courriel n’a pas été produit volontairement par la défenderesse mais qu’il a été obtenu par les demanderesses à la suite d’une demande d’accès à l’information. Il est utile de souligner aussi que le courriel est un « message transmis à d’autres » et que l’on n’a pas fourni le message original.

 

[811]       Fait surprenant, malgré son souhait de voir la [traduction] « véritable histoire racontée » et le fait d’avoir admis qu’elle était en partie responsable, Mme Guscott n’a pas été appelée à témoigner et à s’expliquer.

 

[812]       Le défaut de la défenderesse de citer Mme Guscott ressort encore davantage lorsqu’on l’examine à la lumière du témoignage de M. Sewell, selon lequel Mme Guscott a été présente pendant au moins une partie de l’interrogatoire préalable de M. Alan Kerr; voir les notes sténographiques, aux pages 4210-4211. En outre, Mme Guscott est la seule personne à avoir travaillé de façon constante au bureau régional du MAINC de 1996 à 2000; voir le témoignage de M. Madill, à la page 4028 des notes sténographiques.

 

[813]       J’infère raisonnablement que si Mme Guscott avait été appelée à témoigner, son témoignage aurait été préjudiciable à la cause de la défenderesse. Aucune explication satisfaisante n’a été offerte ou donnée au sujet de son absence.

 

[814]       Le droit est bien établi : le défaut d’une partie de citer un témoin qui a une connaissance personnelle des faits qu’elle allègue donnera lieu à une inférence défavorable de la partie du juge des faits, à savoir que le « témoignage manquant » serait préjudiciable à la partie qui a omis d’appeler le témoin en question, en l’occurrence la défenderesse.

 

[815]       Je me reporte à la décision WCC Containers Sales Ltd. c. Haul-All Equipment Ltd. (2003), 238 F.T.R. 45 (C.F.), au paragraphe 42, où le juge Kelen écrit ce qui suit :

[...] Cette déclaration n’a pas été contredite ni n’a fait l’objet d’un contre-interrogatoire. La Cour en déduira naturellement que la défenderesse n’a pas contre-interrogé l’auteur de l’affidavit parce qu’elle ne voulait pas que celui-ci explique davantage et étaye des faits défavorables à sa thèse en ce qui a trait à la fonctionnalité du plan incliné. Comme l’a dit le juge Pigeon dans Levesque c. Comeau, [1970] R.C.S. 1010, à la page 1012, (1970), 16 D.L.R. (3d) 425, à la page 432 (C.S.C.), où une partie, comme c’est le cas en l’espèce, n’avait pas fait témoigner un témoin dont le témoignage était manifestement pertinent :

À mon avis, il faut appliquer la règle que dans de telles circonstances un tribunal doit présumer que ces éléments de preuve lui seraient défavorables.

 

[816]       La Cour d’appel fédérale a également analysé cette question dans l’arrêt Milliken & Company et al. c. Interface Flooring Systems (Canada) Inc. (2000), 251 N.R. 358 (C.A.F.), où le juge Rothstein déclare ce qui suit aux paragraphes 11 à 13 :

[11]      [...] Toutefois, même si la présomption pouvait s’appliquer, l’inférence pouvant le plus naturellement être tirée de l’omission de présenter le témoignage de Mme Iles quant à la date de création de l’œuvre est que les appelantes craignaient de la citer comme témoin et que cette crainte établit en quelque sorte que si elle avait été citée, elle aurait mis à jour des faits jouant contre les appelantes. Pour tirer l’inférence défavorable, le juge de première instance a invoqué le passage suivant de Wigmore on Evidence (note de bas de page no 8), qui est instructif, quant à la question sous examen :

[Traduction] L’omission de présenter au tribunal une circonstance, un document, ou un témoin, alors que la partie elle-même ou son adversaire allègue que les faits seraient ainsi éclaircis, sert à montrer ce qui est la déduction la plus naturelle que la partie craint de le faire, et cette crainte prouve d’une certaine façon que la circonstance, le document ou le témoin, s’ils avaient été présentés, auraient mis à jour des faits défavorables à la partie. Ces déductions ne peuvent être faites à juste titre qu’à certaines conditions; de plus, il est toujours possible qu’elles s’expliquent par des circonstances qui rendent plus naturelle une autre hypothèse que la crainte de divulgation. Cependant, le bien-fondé de pareille déduction en général n’est pas remis en question.

Je crois que cela suffit à repousser toute présomption. L’intimée n’avait pas à soumettre d’éléments de preuve sur ce point.

[12]      Aux motifs exposés par le juge de première instance pour tirer une inférence défavorable, que j’estime suffisants par eux-mêmes, il convient en outre d’ajouter le fait digne de mention que les appelantes ont refusé de divulguer avant l’instruction la liste de leurs témoins. Comme ces dernières ont plaidé que l’œuvre avait été créée au mois de septembre 1988 et que, dans sa défense, la défenderesse avait requis les appelantes de faire la preuve de leur allégation, il était raisonnable que celle-ci s’attende à que ce les appelantes présentent des éléments de preuve à ce sujet. Vu les circonstances, les appelantes ne sauraient se justifier en faisant valoir que le témoin était également disponible pour l’intimée. Le fait que le témoin se soit trouvé à l’extérieur du ressort de la Cour n’est pas non plus une excuse (Voir Lévesque c. Comeau – note de base de page no 9).

[13]      Je ne vois rien d’erroné dans le raisonnement du juge de première instance et dans la conclusion qu’elle a formulée. Elle avait le droit de tirer une inférence défavorable dans ces circonstances, et de conclure que l’œuvre Harmonie avait été créée avant le 8 juin 1988.

 

[817]       Je souligne également que les témoins de la défenderesse, M. Sewell et M. Ivanski, ainsi que d’autres, ont convenu que, dans tous les rapports qu’ils ont eus avec les demanderesses, les représentants de ces dernières étaient honnêtes et francs. Mme Guscott, en revanche, a souvent dénigré les représentants des demanderesses, le tout sans justification.

 

[818]       Le dossier recèle d’exemples de la mauvaise foi avec laquelle les employés du Ministère se sont comportés. Dans la mesure où toute décision ou toute conduite peut être considérée comme une « véritable politique », je conclus que cette dernière reposait sur de la mauvaise foi et qu’il n’y a pas d’exemption de l’obligation de diligence.

 

2) La conclusion sur l’obligation de diligence

[819]       Après avoir déterminé qu’il existait une obligation de diligence prima facie à cause de la relation directe et proche qu’entretenaient les demanderesses et la défenderesse, et déterminé qu’il n’existe aucune raison de principe pour écarter cette obligation, je conclus que la défenderesse avait une obligation de diligence envers les demanderesses.

 

[820]       Quoi qu’il en soit, toute exemption possible de l’imposition d’une obligation de diligence pour des raisons de politique générale est viciée par la mauvaise foi des fonctionnaires de la défenderesse.

 

(iii) Le manquement à la norme de diligence

[821]       Dans l’arrêt Keeping c. Canada (Procureur général) (2003), 226 D.L.R. (4th) 285 (C.S. T.-N.), une autre décision de la Section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve-et-Labrador, la Cour a déclaré que la norme de diligence à laquelle on doit s’attendre de la part d’un mandataire de la Couronne est d’exécuter ses fonctions d’une manière raisonnablement compétente.

 

[822]       Les demanderesses allèguent que la défenderesse a fait preuve de négligence dans la façon dont elle a délivré les PCC et que cette négligence incluait des retards dans le processus d’octroi des permis. Ces retards ont une incidence sur la capacité des demanderesses d’acheter du bois pour alimenter leur scierie. Les retards n’ont pas eu lieu qu’une seule fois, mais sont survenus pendant une certaine période. Cela a créé une situation, comme dans l’affaire Brewer Bros., où la négligence n’était pas un acte ou une omission unique commise à un moment bien précis, mais où elle était cumulative.

 

[823]       Dans leur réponse à la demande de reconnaissance, les demanderesses ont défini [traduction] « l’époque en cause » comme la période débutant le 1er avril 1999 et prenant fin le 4 août 2000. L’« époque en cause » a été peu mentionnée durant le procès; voir les pages 144 à 149 et 5732 et 5733. Il semble que l’« époque en cause » soit liée au processus relatif aux PCC.

 

[824]       Au vu de la preuve soumise, la preuve documentaire en particulier, je conclus qu’il y a eu en l’espèce une négligence cumulative. Je vais d’abord analyser deux rapports qui figurent dans le dossier.

 

[825]       Premièrement, le rapport KPMG, déposé en tant que pièce P‑47, a été établi pour le MAINC afin d’[traduction] « évaluer et formuler des recommandations au sujet des processus d’octroi de permis de récolte de bois utilisés au Yukon ». Ce document a été établi au moyen d’entretiens menés uniquement avec des employés du gouvernement fédéral. KPMG a interrogé des employés du MAINC, dont M. Monty, M. Ballantyne, M. Kennedy et d’autres. En outre, KPMG a interrogé M. Malcolm Florence, avocat, chef de groupe, au ministère de la Justice à Whitehorse.

 

[826]       Dans ce rapport, il est souligné qu’il y avait trois grands problèmes : premièrement, l’insatisfaction des clients à cause : [traduction] « du respect des échéances liées à la délivrance des permis de récolte de bois et de l’octroi de l’autorisation de débuter la récolte de bois »; deuxièmement, [traduction] « de la responsabilité de la Couronne ou de l’exposition du gouvernement à une action civile » pour ne pas voir délivré convenablement des PCC; troisièmement, la qualité et l’exactitude des documents relatifs aux permis étaient inférieures à des niveaux raisonnables.

 

[827]       Il est important de se rappeler que KPMG n’a interrogé que des employés du MAINC et du ministère de la Justice. Dans son rapport, KPMG a exprimé les opinions et les convictions de la défenderesse à ce moment‑là.

 

[828]       KPMG a relevé trois grands secteurs à améliorer. Revêt une importance pour la présente espèce l’observation selon laquelle la fonction de planification n’étayait pas le processus d’octroi de permis et d’attribution de bois. En outre, KPMG a souligné que la fonction de contrôle de la qualité n’avait pas été intégrée au processus d’octroi de permis. Il a été souligné qu’un certain nombre de cas avaient été relevés dans lesquels la qualité ou l’exactitude avaient été en deçà de limites raisonnablement acceptables.

 

[829]       Deuxièmement, le ministre a commandé un rapport à M. George Tough en 2001, après la réunion de novembre 2001 avec la YFIA. En avril 2002, le rapport Tough a été produit. Ce document a été déposé en tant que pièce P‑79, onglet 379.

 

[830]       Plusieurs témoins ont fait des commentaires sur ce rapport, dont MM. Irwin et Sewell. Les deux ont dit que ce rapport était digne de foi et que M. Tough l’était aussi. Dans son rapport, M. Tough a fait remarquer que le paysage yukonnais inclut un trop grand nombre d’entreprises forestières ratées. Il a posé une question critique : [traduction] « Où était le MAINC? »

 

[831]       Détail particulièrement important, M. Tough a fait remarquer ce qui suit :

[traduction] [b]ien que les problèmes liés à l’industrie forestière dans la région de Watson Lake soient peut-être le motif immédiat du présent mandat, il est devenu évident qu’un grand nombre de ces problèmes étaient, d’une façon ou d’une autre, applicables à l’ensemble du Yukon. Il s’agissait de symptômes de problèmes plus vastes dans la politique forestière et dans le système de gestion.

Au nombre des facteurs internes que M. Tough a relevés figuraient les faiblesses et les vacances au sein de la direction, le moral et le roulement du personnel, ainsi que le manque de personnel.

 

[832]       À mon avis, les lacunes qu’ont relevées KPMG et M. Tough sont des manquements à la norme de diligence, et c’est ce que je conclus.

 

[833]       Tant le rapport KPMG que le rapport Tough ont été écrits en dehors de l’« époque en cause » pour les plaintes concernant le processus des PCC. Cependant, ils ont été rédigés pour régler les problèmes qu’avait le MAINC au cours de l’« époque en cause ». Le fait que la Cour prenne en considération ces rapports ne porte pas préjudice à la défenderesse.

 

[834]       Même si ces rapports décrivent une bonne part de la conduite négligente de la défenderesse, il suffit que j’y fasse référence sous forme sommaire. La preuve concernant la conduite de la défenderesse se trouve dans le dossier et je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la défenderesse a manqué à la norme de diligence. La conduite du MAINC à cet égard est établie et documentée dans les documents de la défenderesse.

 

[835]       Il y a eu des retards constants de la part du bureau régional pour ce qui était de traiter les rapports et les demandes nécessaires avant de délivrer des PCC. Le bureau régional autorisait la coupe de bois dans des secteurs où il n’y avait pas de bois. À maintes reprises, il n’a pas respecté .les délais à l’égard desquels le MAINC s’était engagé. Il y a eu de nombreuses autres difficultés à cause desquelles la scierie n’a pas reçu un approvisionnement en bois suffisant; voir la pièce D‑11, onglet 19, onglet 20 et onglet 74; la pièce D‑63; la pièce P‑79, onglet 170 et onglet 173; la pièce P‑80, onglet 48; la pièce D‑81, onglet 480, pour ne citer que quelques exemples.

 

[836]       Dans la pièce P‑79, onglet 170, M. Kennedy, dans un courriel interne, a fait remarquer que SYFC avait évoqué des préoccupations légitimes à l’égard de l’approvisionnement en bois, des préoccupations qu’il aurait été facile de régler si le MAINC était à jour.

 

[837]       Je conclus que les retards, les permis inadéquats et le non-respect des délais sont imputables à la négligence du personnel du Ministère. Ce dernier ne s’est pas acquitté de ses fonctions avec la diligence raisonnable que l’on attend d’un fonctionnaire.

 

[838]       Je conclus également que le personnel supérieur du Ministère ne s’est pas familiarisé avec ses rôles et ses responsabilités, ou a négligé de chercher les renseignements les plus fondamentaux qui étaient essentiels pour qu’il exécute ses fonctions, ou les deux.

 

[839]       Par exemple, dans son témoignage, M. Irwin a semblé au début ne pas connaître le mandat du Ministère en matière de développement économique, M. Doughty n’a jamais pris connaissance de la situation économique au Yukon, M. Ivanski et M. Monty n’ont pas lu le rapport Sterling Wood final, la pièce P‑38, et M. Sewell et d’autres employés du bureau régional n’étaient même pas au courant de l’existence de la pièce P‑38 pendant le temps où ils ont travaillé pour le bureau régional.

 

[840]       M. Madill a semblé ne pas être conscient de son obligation qui, selon M. Sewell, consistait à accorder une [traduction] « grande priorité » à SYFC. Il existe de nombreux autres exemples de cette négligence, et même remarquablement, dans un courriel daté du 29 janvier 1999 où Mme Guscott fait état de sa confusion et de son manque de connaissance du volume de bois que la scierie demandait depuis 1995; voir la pièce P‑79, onglet 103.

 

[841]       Il existe aussi une preuve abondante que le processus a été retardé par la conduite de mauvaise foi du personnel du ministère. Je déduis de cette preuve que les gestionnaires du MAINC ont négligé de superviser convenablement les employés dont ils étaient responsables; voir, par exemple, les pièces P 47 et P‑79, onglets 71 et 302. Il s’agit là d’une conséquence prévisible du fait que le personnel supérieur n’ait pas pris connaissance des renseignements de base nécessaires pour s’acquitter de leurs fonctions.

 

[842]       Il est également manifeste qu’il existait un degré d’animosité, non fondé et inconnu des demanderesses, de la part de Mme Guscott à l’endroit de ces dernières. À cet égard, je conclus que la mauvaise gestion du personnel du MAINC, et cela inclut le fait de ne pas avoir retiré Mme Guscott du dossier de SYFC, a constitué une conduite qui ne satisfaisait pas à la norme de diligence dont doit faire preuve un fonctionnaire raisonnable.

 

[843]       M. Sewell, le fonctionnaire occupant le rang le plus élevé au sein du bureau régional, était au courant du comportement de Mme Guscott, car celle-ci lui a envoyé de nombreux courriels qui reflétaient son hostilité à l’endroit des demanderesses. En concluant son premier témoignage au procès, M. Sewell a déclaré qu’il aurait fait les choses différemment.

[traduction

Q. Très bien. Loin de moi l’idée de vous dénigrer, mais je présume que vous reconnaîtriez que si vous aviez des choses à refaire pendant que vous étiez là, vous auriez fait bien des choses différemment en rapport avec ces problèmes.

R. Je suis d’accord avec cela, monsieur, oui.

 

[844]       Comme dans Brewer Bros., la conduite cumulative des fonctionnaires de la défenderesse se situait en deçà de la norme de diligence qu’observerait un fonctionnaire raisonnablement compétent. Je conclus que la défenderesse a été négligente.

 

[845]       Je conclus également que le défaut du Ministère d’établir un processus pour avoir accès à un approvisionnement en bois à long terme a été attribuable à des retards excessifs. Comme la preuve l’a établi, y compris la preuve documentaire que la défenderesse a produite, il y a eu des retards excessifs dans la mise en œuvre de la politique.

 

[846]       À maintes reprises, les fonctionnaires et les mandataires de la défenderesse ont déclaré aux demanderesses et à d’autres parties que la mise en œuvre d’une tenure à long terme exigeait un PAF et que la première chose à faire pour introduire un PAF était l’exécution d’un inventaire à jour. En 1997, le ministre a indiqué que le délai prévu pour exécuter un PAF était de deux à trois ans.

 

[847]       Les discussions avec LPL au sujet de la tenure à long terme ont débuté en 1996. L’échéance fixée pour la délivrance de CRB, tel qu’il a été indiqué aux demanderesses en 1999, était avril 2000. Les délais ont été continuellement retardés. Au mois d’août 2000, quand la scierie a fermé, le ministère n’avait pas mis la dernière main au processus administratif qui mettrait en marche la demande d’un CRB. En novembre 2001, date à laquelle la présente action a débuté, aucun CRB n’avait encore été délivré.

 

[848]       L’inventaire n’a pas été commandé avant janvier 2000 et, même à la date du procès, aucun PAF n’avait été mis en place pour le sud-est du Yukon. Un PAF avait été créé en 1991, mais, selon ce qu’ont déclaré les témoins de la défenderesse, ce plan, Sterling Wood, n’a pas été retenu. La seule chose que l’on peut dire des gestes de la défenderesse c’est qu’il s’agit d’une manifestation de retards excessifs. Il s’agit là d’un manquement à la norme de diligence. Comme dans Atlantic Leasing, je conclus que ces retards constituent de la négligence et qu’ils ne sont qu’un acte de négligence de plus dans la présente affaire.

 

1) Le préjudice prévisible

[849]       Dans Keeping, la Cour a conclu qu’à cause de la négligence du mandataire de la Couronne, les demandeurs n’ont pas obtenu un permis de pêche. Il a été calculé que les dommages-intérêts représentaient la perte des profits que les demandeurs auraient reçus. La Cour a qualifié les dommages de pertes liées à une expectative. M. Van Leeuwen, le témoin expert dont les demanderesses ont retenu les services, a lui aussi parlé de ces pertes.

 

[850]       Comme je l’ai mentionné plus tôt, dans le cadre de l’analyse relative à l’obligation de diligence, il ne fait aucun doute qu’il était raisonnablement prévisible que les demanderesses subiraient un préjudice du fait de ne pas obtenir un approvisionnement en bois suffisant. À mon avis, la prévisibilité du préjudice était présente indépendamment de la conduite par laquelle la défenderesse a manqué à la norme de diligence. Dans tous ces cas, il était prévisible aux yeux de la défenderesse que les demanderesses subiraient un préjudice personnel.

 

[851]       Le fait que la scierie avait auparavant fermé est particulièrement pertinent à l’égard des pertes liées à une expectative. Le Ministère savait que le manque d’approvisionnement en bois avait causé une fermeture antérieure. En outre, les demanderesses avaient clairement indiqué à la défenderesse, à de nombreuses reprises, que sans un approvisionnement en bois la scierie ne pouvait pas être financée et ne pouvait pas être exploitée. Enfin, il ressort clairement de la preuve que les mandataires de la défenderesse étaient au courant de la thèse logique selon laquelle une scierie sans bois va fermer ses portes. Dans ces circonstances, j’ai déjà conclu que non seulement le préjudice était prévisible, mais que la défenderesse avait une prévision véritable des conséquences de ses gestes.

 

[852]       Je conclus qu’il était raisonnablement prévisible à la défenderesse que sa conduite causerait des pertes liées à une expectative aux demanderesses.

 

2) Le lien de causalité

[853]       La prochaine question à examiner est les effets de cette négligence. La négligence de la défenderesse a-t-elle causé préjudice aux demanderesses? Selon l’arrêt de la Cour suprême du Canada Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, pour évaluer le lien de causalité le tribunal doit aborder de façon décisive et pragmatique les faits principaux non contestés de l’affaire. Autrement dit, cette évaluation exige que l’on applique le bon sens aux faits établis.

 

[854]       Pour établir le lien de causalité, la partie demanderesse doit prouver selon la prépondérance des probabilités que la partie défenderesse a causé le préjudice ou y a contribué. Cependant, il n’est pas nécessaire que la partie défenderesse soit la seule cause. La Cour suprême du Canada a expliqué ce concept dans l’arrêt Athey c. Leonetti, [1996] 3 R.C.S. 458, aux paragraphes 16 à 17 :

Dans Snell c. Farrell, précité, notre Cour a récemment confirmé que le demandeur doit prouver que la conduite délictueuse du défendeur a causé ou contribué à causer le préjudice. Le critère en matière de causalité ne doit pas être appliqué de façon trop rigide. La causalité n’a pas à être déterminée avec une précision scientifique. Comme l’a dit Lord Salmon dans Alphacell Ltd. c. Woodward, [1972] 2 All E.R. 475, à la p. 490, passage cité par le juge Sopinka à la p. 328, il s’agit « essentiellement [d’]une question de fait pratique à laquelle on peut mieux répondre par le bon sens ordinaire ». Bien que la charge de la preuve incombe au demandeur, une inférence de causalité peut être tirée, dans certaines circonstances, même en l’absence de preuve scientifique positive.

Il n’est pas et il n’a jamais été nécessaire que le demandeur établisse que la négligence du défendeur a été la seule cause du préjudice. Fréquemment, une myriade d’autres facteurs ont été des préalables nécessaires à la réalisation du préjudice. Pour reprendre un exemple du professeur Fleming, (The Law of Torts (8e éd. 1992), à la p. 193), [traduction] « un incendie dans une corbeille à papier est [...] causé non seulement par le fait d’y jeter une allumette enflammée, mais aussi par la présence de matériaux combustibles et d’oxygène, par l’omission du nettoyeur de vider le panier et par d’autres facteurs du genre ». Dans la mesure où le défendeur est en partie la cause du préjudice, il engage sa responsabilité, même si son acte était insuffisant à lui seul pour concrétiser le préjudice. Il n’y a aucune raison de réduire la responsabilité parce qu’il existait d’autres préalables : le défendeur reste responsable de tout préjudice qu’il a causé ou contribué à causer par sa négligence.

 

 

[855]       Dans notre système juridique, une partie défenderesse n’échappe pas à sa responsabilité parce que d’autres facteurs ont contribué au préjudice. Comme il est indiqué dans l’arrêt Athey aux paragraphes 19 et 20 :

En droit, la responsabilité du défendeur n’est pas écartée du seul fait que d’autres facteurs qui ne lui sont pas imputables ont contribué au préjudice: Fleming, op. cit., à la p. 200. Il suffit que la négligence du défendeur ait été une cause du préjudice : School Division of Assiniboine South, No. 3 c. Greater Winnipeg Gas Co., [1971] 4 W.W.R. 746 (C.A. Man.), à la p. 753, conf. par [1973] 6 W.W.R. 765 (C.S.C.), [1973] R.C.S. vi; Ken Cooper-Stephenson, Personal Injury Damages in Canada (2e éd. 1996), à la p. 748.

Il s’agit d’un principe consacré dans notre droit, et il n’existe, à ce moment-ci, aucune raison d’y déroger. Si le droit permettait de répartir la responsabilité entre les causes délictuelles et non délictuelles, le demandeur ne pourrait recouvrer la totalité de ses pertes que si la négligence du défendeur était la seule cause du préjudice. Comme la plupart des événements résultent d’un ensemble complexe de causes, il arrive fréquemment que des facteurs non délictuels contribuent au préjudice. Par conséquent, dans bien des cas, le défendeur pourrait facilement trouver des causes non délictuelles, et le demandeur obtiendrait rarement une indemnité complète, même après avoir prouvé que le défendeur a causé le préjudice. Ce résultat serait contraire aux principes établis et au but essentiel du droit de la responsabilité civile délictuelle, qui est de rétablir le demandeur dans la situation où il aurait été n’eût été la négligence du défendeur.

 

 

[856]       Dans l’arrêt Athey, au paragraphe 14, la Cour suprême conclut que : « [l]e critère général, quoique non décisif, en matière de causalité est celui du “facteur déterminant” (but for test), selon lequel le demandeur est tenu de prouver que le préjudice ne serait pas survenu sans la négligence du défendeur [...] ».

 

[857]       En définitive, il me suffit de décider qu’en l’espèce la négligence de la défenderesse a été une cause importante. Il n’est pas nécessaire que la défenderesse soit la seule cause. Si, sans la négligence de la défenderesse, les demanderesses n’auraient pas subi de préjudice, la responsabilité de cette négligence en découlera. Comme je l’ai analysé plus tôt, dans la présente affaire le préjudice était les pertes liées à une expectative qui sont survenues quand la scierie a fermé à cause du manque d’approvisionnement en bois.

 

[858]       J’ai conclu qu’il y a eu de nombreux manquements à la norme de diligence qui ont donné naissance à un préjudice raisonnablement prévisible. À mon sens, ces manquements sont tous assimilables à une négligence qui a donné lieu à la mise à la disposition de la scierie d’un approvisionnement en bois insuffisant. C’est cet approvisionnement insuffisant qui a provoqué la fermeture de la scierie.

 

[859]       Je conclus que si la défenderesse avait convenablement respecté la norme de diligence, la scierie des demanderesses n’aurait pas fermé. Il y aurait eu du bois dans le parc à bois et des produits seraient sortis de la ligne de sciage.

 

[860]       La défenderesse a attiré l’attention de la Cour sur le fait que la scierie avait reçu un volume de 215 000 m3 entre le mois de mai 1999 et le mois d’août 2000. Il est clair, d’après le représentant de la défenderesse, M. Sewell, et la preuve documentaire, que le Ministère savait que le volume de bois nécessaire pour exploiter la scierie était de 200 000 m3 par année.

 

[861]       Selon le témoignage de M. Spencer, ainsi que la preuve contenue dans la réponse à la demande de reconnaissance, la scierie a été construite pour transformer efficacement des billes de bois d’une taille moyenne de sept pouces. La preuve documentaire confirme qu’au Yukon les billes de petite taille sont les plus courantes. Ces billes, dans un grand nombre des rapports, sont appelées « billes de bois à pâte ».

 

[862]       Il est un fait que la défenderesse connaissait le profil du bois pour lequel la scierie avait été construite; voir la page 2922 des notes sténographiques et la pièce D‑11, onglet 196. En fait, SYFC et le Ministère avaient discuté du profil nécessaire pour la scierie; voir la pièce D‑11, onglet 111.

 

[863]       J’accepte la preuve que le MAINC délivrait des permis dans des [traduction] « anciens secteurs », c’est-à-dire des secteurs où du bois avait déjà été coupé, ainsi que dans des secteurs où le bois était d’une taille inférieure à la moyenne; voir, par exemple, la pièce P‑79, onglet 316. À cause de cela, le profil de bois erroné - une bille d’une taille inférieure à la moyenne - a été livré au parc à bois de la scierie; voir la pièce D‑11, onglet 127, ainsi que la réponse à la demande de reconnaissance.

 

[864]       Il ressort de la preuve que les scieries sont conçues en fonction d’une bille d’une certaine taille. La transformation de billes trop grandes ou trop petites amoindrit l’efficacité de la scierie. Pour ces deux raisons, même s’il est vrai qu’un volume de 215 000 m3 a été récolté et livré à la scierie, entre les mois de mai 1999 et de juin 2000, je conclus qu’il ne s’agissait [traduction] « pas d’un approvisionnement suffisant ».

 

[865]       La défenderesse n’a pas plaidé que la scierie a été mal conçue ou construite. Néanmoins, au vu de la totalité de la preuve, j’accepte que la conception de la scierie était appropriée.

 

[866]       Je suis embrouillée par les arguments qu’invoque la défenderesse en rapport avec le caractère censément inadéquat de la scierie. Il est un fait, pertinent à l’égard de l’espèce, que la défenderesse a poussé KFR à se joindre à la coentreprise qui possède la scierie de Watson Lake. Il est également un fait que la défenderesse a autorisé à utiliser à cette fin des fonds de fiducie. Dans ces circonstances, si la scierie n’était pas adéquate, les conséquences seraient sérieuses pour la défenderesse, qui était la fiduciaire de ces fonds.

 

[867]       Selon le témoignage de M. Sewell, celui-ci n’a jamais considéré que la scierie était inadéquate. En contre-interrogatoire, il a admis que s’il avait jugé que la scierie ne convenait pas, jamais il n’aurait recommandé que l’on dépense la somme additionnelle de 5,5 millions de dollars pour la scierie dans le cadre du Fonds régional pour les partenariats et le Programme de développement de grands projets d’entreprise.

 

[868]       De plus, selon la recommandation formulée dans le cadre du Fonds régional pour les partenariats et le Programme de développement de grands projets d’entreprise, la scierie disposait de dirigeants et d’employés d’expérience. En contre-interrogatoire, M. Sewell a admis qu’il n’aurait pas formulé la recommandation s’il avait jugé qu’à la scierie il y avait une [traduction] « mauvaise direction ». Cette recommandation est la pièce P‑79, onglet 334.

 

[869]       Cette conduite, et cela inclut l’examen qu’on fait des avocats du ministère de la Justice, ne donnent pas à penser que la défenderesse n’a jamais pensé que la scierie était inadéquate. Cela semble être un argument non fondé, comme un moyen de défense opportuniste contre la présente action.

 

[870]       Je conclus que la scierie des demanderesses a été conçue par des hommes d’affaires chevronnés de l’industrie forestière dans le but précis de scier du bois du Yukon; voir le témoignage de MM. Spencer et Fehr. Cette conclusion est également étayée par la pièce P‑79, onglet 226. Il s’agit du rapport Anthony-Seaman daté du 2 décembre 1999, un rapport que le MAINC a commandé et payé. Ce document conclut que [traduction] « l’actuel niveau de technologie [...] convient aux circonstances et à l’approvisionnement en billes ». Ce rapport mentionne aussi que [traduction] « la scierie de Watson Lake contient les installations, l’équipement et les personnes qui sont tous nécessaires pour produire du bois vert brut d’une taille exacte [...] ».

 

[871]       De plus, la conception de la scierie et les conclusions du rapport Anthony-Seaman concordaient avec les conseils qui avaient été donnés au MAINC dans le cadre de l’étude d’avril 1997 portant sur le projet de scierie Kaska Forest Products. Cette étude a été menée avant que les demanderesses entreprennent la construction de leur scierie.

 

[872]       M. Madill a déclaré n’avoir entendu aucune plainte au MAINC à propos de la conception ou de la construction de la scierie.

 

[873]       Je suis au courant de l’existence du rapport Woodline, déposé en tant que pièce D‑77, mais je lui accorde peu de poids, car aucune preuve n’a été produite au sujet des titres de compétence ou de l’expérience de son auteur, pas plus que ce dernier n’a été contre-interrogé sur ce rapport. En outre, même si la conception de la scierie a été mise en doute dans la vérification de cette dernière, je conclus que cela a été convenablement expliqué dans le témoignage qu’a fait M. Van Leeuwen au procès. En me fondant sur la preuve, je conclus que la scierie était appropriée pour scier du bois du Yukon.

 

[874]       Cependant, le fait que l’on ait livré à la scierie 215 000 m3 de bois démontre que les demanderesses avaient conclu avec des entrepreneurs forestiers des contrats appropriés pour un approvisionnement en bois suffisant. J’attribue à la négligence avec laquelle le MAINC a délivré des PCC les lacunes de cet approvisionnement, relativement au profil.

 

[875]       De plus, je fais référence à la recommandation qui a été formulée dans le cadre du Fonds régional pour les partenariats et le Programme de développement de grands projets d’entreprise, déposée en tant que pièce P‑79, onglet 334. Dans cette recommandation, que Mme Guscott a signée, la scierie [traduction] « présente un risque moyen à élevé, qui dépend de la capacité d’obtenir une tenure forestière adéquate pour répondre à la demande des marchés ». Il s’agit là du seul risque qui a été relevé au moment de recommander l’investissement de 5,5 millions de dollars.

 

[876]       La défenderesse avait le contrôle exclusif de la forêt. La preuve documentaire de la défenderesse et le témoin représentatif, M. Sewell, ont admis que le seul risque était l’obtention d’une tenure forestière adéquate. À mon avis, la défenderesse a été la cause de la fermeture de la scierie.

 

[877]       La défenderesse soutient que d’autres facteurs peuvent avoir contribué à la fermeture de la scierie. Cela n’est pas étayé par la preuve. Néanmoins, comme je l’ai mentionné plus tôt, il suffit que la défenderesse soit une cause. J’accepte que la scierie ait fermé à cause d’un approvisionnement en bois insuffisant. Je conclus que cette fermeture a été causée en tout ou en partie par la négligence de la défenderesse.

 

[878]       En définitive, je conclus que, sans la négligence cumulative dont la défenderesse a fait preuve en négligeant de délivrer convenablement des PCC, les demanderesses n’auraient pas été contraintes de fermer la scierie et les pertes liées à l’expectative n’auraient pas eu lieu.

 

[879]       Il a également été établi selon la prépondérance des probabilités que la défenderesse a été négligente en tardant de manière excessive à régler un processus concernant un accès à long terme à du bois.

 

[880]       Les demanderesses ont prouvé que le financement et l’exploitation continus de la scierie dépendaient essentiellement d’un approvisionnement en bois suffisant. Au mois d’août 2000, il était évident que la fin du processus de demande d’une tenure à long terme n’était pas en vue. En réalité, les premières étapes de ce processus ont eu lieu en 1995. En 2000, quand les demanderesses ont finalement [traduction] « jeté la serviette », le Ministère était encore en train d’élaborer un processus. Il était également évident que les problèmes à obtenir du bois suffisant à court terme allaient se poursuivre.

 

[881]       Il est important de garder à l’esprit que les CRB n’étaient rien de nouveau pour le Ministère et que ce dernier avait délivré un CRB de 75 000 m3 à la PNL dans un délai d’environ six mois.

 

[882]       Selon ma compréhension de la conduite de l’affaire par la défenderesse et de ses observations, cette dernière a fait valoir que l’octroi d’un CRB est une décision de nature discrétionnaire. Il n’y avait aucune garantie que les demanderesses seraient le candidat retenu à la suite d’une DP quelconque. La défenderesse conclue en faisant valoir qu’un lien de causalité ne peut pas être établi.

 

[883]       Je rejette cet argument pour deux motifs. Il me semble que la défenderesse a manqué une distinction subtile dans les arguments des demanderesses. Il ressort de la preuve que ces dernières ont construit leur scierie après s’être fait dire par le ministre qu’un nouveau processus serait en place dans un délai de deux à trois ans. Il ne fait aucun doute que le processus a été entrepris. Le cœur de la présente demande est le retard excessif avec lequel la décision de politique générale d’accorder une tenure à long terme a été mise en application.

 

[884]       Cela n’est pas une contestation d’une décision de politique générale, car la demande concerne la mise en application de la politique. Néanmoins, comme je l’ai fait remarquer plus tôt, un retard excessif n’est pas une politique. Il y a aussi une preuve de mauvaise foi dans le fait d’avoir retardé le processus.

 

[885]       De plus, je suis d’avis que l’argument de la défenderesse n’aborde pas la preuve de manière logique et pragmatique. Il s’agit d’une approche hautement technique qui fait abstraction des faits fondamentaux. Le Ministère disposait d’une politique qui exigeait une capacité de transformation locale, sans quoi il ne pouvait y avoir aucune récolte de bois. Cette politique avait pour objet explicite d’encourager le développement économique, conformément au mandat énoncé dans la Loi sur le MAINC.

 

[886]       Plus précisément, il est évident que la défenderesse voulait une scierie à Watson Lake. En outre, la preuve démontre qu’un consultant a conseillé à la défenderesse qu’une scierie, ayant une conception, une capacité, des produits et des marchés fort semblables à ceux de la scierie des demanderesses, était la solution appropriée; voir la pièce P‑79, onglet 55.

 

[887]       Malheureusement, pour une raison quelconque, KFR n’a pas construit une telle scierie. Mais les demanderesses oui. Je conclus que la scierie de ces dernières étaient la seule d’une capacité suffisante pour donner effet aux politiques susmentionnées de la défenderesse.

 

[888]       Cette scierie était le plus gros employeur privé au Yukon. Elle était dotée d’un effectif entièrement local, elle dépendait d’entrepreneurs forestiers locaux, à l’exception d’un cas seulement, et elle avait un niveau garanti de travailleurs membres de Premières nations. En fait, la scierie appartenait en partie à la PNL, par l’entremise de son entité exploitante KFR. Cette scierie avait aussi fait la preuve de sa capacité de récolter et de transformer du bois.

 

[889]       Je souligne également que lorsque la DP a été finalement lancée, ces facteurs faisaient partie de ceux qui allaient être pris en considération au moment de sélectionner les proposants qui seraient retenus. Il n’y avait pas d’autres personnes, entreprises ou sociétés qui pouvaient répondre à ces exigences mieux que les demanderesses.

 

[890]       La proximité du lien et les efforts que le Ministère a faits pour garantir un approvisionnement en bois à cette scierie ne peuvent être négligés. Je fais également référence à la réunion du 7 avril 1999, dans laquelle il a été concrètement proposé que les PCC des demanderesses qui seraient délivrées engloberaient les terres qui seraient plus tard visées par le CRB.

 

[891]       À mon avis, il est contraire au bon sens et à la raison de laisser entendre que les demanderesses n’auraient pas été du nombre des proposants retenus. Il est également contraire au bon sens et à la raison de laisser entendre que les demanderesses seraient incapables de présenter une demande pour le retard excessif qui les a obligés à fermer la scierie.

 

[892]       La défenderesse semble également soutenir que les retards ont été causés par l’obligation de consulter les Premières nations. Là encore, je ne souscris pas à cet argument.

 

[893]       La présente affaire ne concerne pas le niveau de consultation nécessaire. Le retard excessif ne peut être excusé par l’obligation de consulter de bonne foi. Comme je l’ai analysé plus tôt, à certains égards le processus a débuté en 1995. Dans la mesure où la défenderesse était insatisfaite de l’inventaire forestier produit dans le Rapport final du groupe Sterling Wood, il lui a fallu jusqu’en 2000 pour dresser un nouvel inventaire. La consultation n’explique pas ce retard.

 

[894]       De plus, la preuve donne à penser que l’on a utilisé les consultations pour manipuler le processus. Il y a aussi une preuve que le Ministère était disposé à manipuler les réponses des Premières nations. Je souligne que la DP finale a été lancée en 2001 avec fort peu de consultations et sans un PAF.

 

[895]       Je conclus qu’il est tout simplement logique, lorsqu’on considère la situation selon la prépondérance des probabilités, de dire que, sans le retard excessif à établir un processus pour un approvisionnement en bois à long terme, la scierie des demanderesses n’aurait pas fermé et ces dernières n’auraient pas subi les pertes liées à l’expectative.

 

3) La négligence contributoire

[896]       La défenderesse invoque la Loi sur la négligence contributoire, L.S.Y. 2002, c. 42, pour faire valoir que la responsabilité en matière de dommages causés à la partie demanderesse devrait être répartie entre la partie défenderesse et la partie demanderesse.

 

[897]       Si j’ai bien compris son argument, la défenderesse présente au moins deux motifs pour lesquels les demanderesses ont fait preuve d’une négligence contributoire. Il me semble qu’elle se plaint de la conception de la scierie ainsi que de la décision de continuer à exploiter cette dernière malgré le défaut du Ministère de garantir un approvisionnement en bois suffisant.

 

[898]       En ce qui concerne les lacunes de la conception et de la construction de la scierie, la défenderesse n’a pas plaidé cette allégation. Néanmoins, mon analyse et mes conclusions suffisent à renoncer à cette allégation. La scierie a été convenablement conçue et construite.

 

[899]       La question qui reste à trancher est la suivante : malgré de constants délais qui étaient assimilables à un retard excessif en l’espèce, était-il raisonnable pour les demanderesses de continuer d’exploiter leur entreprise jusqu’à ce qu’elles [traduction] « ferment boutique » finalement le 30 août?

 

[900]       Dans l’arrêt Atlantic Leasing, la Cour d’appel de la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a eu l’occasion d’examiner cette question. Dans cette affaire, la Cour a analysé s’il était raisonnable qu’Atlantic Leasing, la demanderesse, ne signifie pas un avis de congé pour mettre fin à un bail relatif à un bâtiment, occupé par un service du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, et d’attendre l’achèvement du processus de renouvellement.

 

[901]       La question qui se pose en l’espèce est la même. Les demanderesses ont-elles agi raisonnablement lorsqu’elles ont rouvert la scierie en avril 1999, après l’avoir fermé en décembre 1998? Ont-elles agi raisonnablement en continuant d’exploiter la scierie depuis le mois d’avril 1999 jusqu’à la fermeture définitive en août 2000?

 

[902]       Dans l’arrêt Atlantic Leasing, la Cour, au paragraphe 67, a souscrit aux conclusions suivantes du juge du procès :

[traduction] [...] si, pour une raison quelconque, il est devenu évident aux yeux des décideurs qu’ils ne pouvaient pas donner suite aux problèmes de manière opportune, il existait une obligation, à tout le moins, de détromper Atlantic qui s’attendait à ce qu’une décision soit rendue, afin qu’Atlantic puisse agir de manière expéditive en cherchant peut-être d’autres locataires pour les locaux et en sauvant ainsi le bâtiment. Il faut se souvenir que le juge du procès a conclu qu’« en l’absence d’une communication de la part du gouvernement selon laquelle le bail était douteux » il aurait été déraisonnable pour Atlantic d’avoir signifié au gouvernement un avis de congé; le fait de continuer d’attendre était plutôt, dans les circonstances, une position « tout à fait raisonnable » à adopter. Je souscris à cette évaluation.

 

[903]       À mon avis, en l’espèce il était également tout à fait raisonnable pour les demanderesses de « garder le cap ».

 

[904]       LPL avait été informée en 1997 qu’un processus d’octroi d’une tenure à long terme était en cours et qu’il serait terminé dans deux ou trois ans. Les demanderesses savaient qu’il s’agissait là d’un délai raisonnable pour effectuer un tel processus. LPL savait également que le MAINC avait approuvé un CRB pour une PNL dans un délai d’environ six mois. Les demanderesses avaient investi une somme considérable en construisant la scierie à Watson Lake en 1997-1998. La scierie a été exploitée pendant près de trois mois entre octobre et décembre 1998, date à laquelle elle a fermé à cause d’un manque de bois.

 

[905]       Pendant toute l’année 1998, les demanderesses ont tenu le MAINC au courant des problèmes d’approvisionnement en bois. À cause de la pénurie de bois, la scierie a fermé en décembre 1998. En janvier 1999, une réunion a eu lieu entre la Ville de Watson Lake, SYFC, Finning, le GTY et le MAINC.

 

[906]       Après cette réunion, M. Kerr a écrit à M. Sewell une lettre, datée du 26 janvier, où il disait qu’il avait l’impression que le MAINC comprenait l’importance de SYFC pour le Yukon. Cette lettre a été déposée en tant que pièce P‑79, onglet 102.

 

[907]       Un autre résultat de cette réunion a été un échange de lettres entre Finning et M. Sewell. La réponse de M. Sewell à Finning est datée du 8 février. Elle a été déposée en tant que pièce P‑79, onglet 109. Dans sa réponse, M. Sewell a informé Finning, un fournisseur d’équipement et bailleur de fonds de la scierie des coentrepreneurs que [traduction] « [n]ous partageons votre enthousiasme à l’égard d’un projet fructueux et nous avons hâte de travailler en collaboration étroite avec vous et les autres intervenants clés de façon à atteindre cet objectif ».

 

[908]       Il y a eu un échange de lettres constant entre les demanderesses et la défenderesse au cours de la période de janvier à mars 1999, au sujet du problème de l’approvisionnement en bois. Par une lettre datée du 16 février 1999, Mme Guscott a écrit à M. Brian Kerr, de SYFC, pour donner suite à une réunion tenue le 16 février. Cette lettre a été déposée en tant que pièce D‑81, onglet 33. Dans cette lettre, Mme Guscott indique ce qui suit :

[traduction] Nous allons continuer de vous fournir des renseignements sur les sujets de préoccupation suivants aussitôt qu’ils deviendront disponibles :

·        l’approvisionnement en bois l’été;

·        le processus et les délais relatifs aux contrats de récolte du bois.

 

[909]       Mme Guscott a également déclaré qu’elle espérait que la relation de travail positive avec SYFC se poursuivrait. Cependant, SYFC ne s’est pas contentée de limiter ses communications avec le bureau régional.

 

[910]       Par une lettre datée du 2 mars 1999, SYFC a écrit directement à Mme Jane Stewart, qui était à l’époque à l’époque la Ministre. Mme Clark a déclaré qu’à cause de problèmes d’approvisionnement pressants, la scierie avait dû fermer. Les problèmes d’approvisionnement étaient directement liés aux retards subis dans la délivrance de permis de coupe aux détenteurs de permis auprès desquels SYFC achetait des billes de bois. Mme Clark a déclaré dans sa lettre que [traduction] « si nous devons fermer une autre fois à cause d’un approvisionnement insuffisant de billes, il sera difficile de convaincre les actionnaires de continuer à faire des affaires au Yukon ».

 

[911]       Par une lettre datée du 19 mars 1999, M. Paul Heit, gestionnaire des ressources forestières auprès de SYFC, a écrit à Mme Guscott. Il a dit, notamment, que la réouverture de la scierie avait été retardée à cause de l’insécurité de l’approvisionnement en bois. Il a également indiqué qu’il recommandait vivement aux propriétaires que la scierie ferme définitivement et déménage dans une province plus favorable aux entreprises, s’il n’existait aucun optimisme raisonnable au sujet de l’approvisionnement en bois.

 

[912]       SYFC a envoyé une autre lettre au MAINC le 23 mars 1999. Cette lettre figure dans la pièce D‑11, onglet 16. SYFC a relevé une série de questions qui nécessitaient des réponses.

 

[913]       Manifestement, la situation était sombre en mars 1999. La réponse du Ministère, aux lettres que SYFC avait envoyées à la Ministre et au bureau régional, a consisté à convoquer une réunion avec le SMA, M. James Moore. Cette réunion a eu lieu par conférence téléphonique entre Ottawa et Whitehorse le 7 avril 1999. Une transcription textuelle de la réunion est la pièce P‑79, onglet 144. Selon cette transcription, le MAINC a convenu de [traduction] « favoriser le développement économique ». Le Ministère a également pris des engagements quant au moment où une tenure à long terme serait disponible. Il ressort clairement de la discussion que la scierie des demanderesses était fort importante pour le MAINC et que ce dernier prendrait toutes les mesures juridiques nécessaires pour l’aider.

 

[914]       Il est également pertinent de souligner que lorsque la scierie de Watson Lake a rouvert en 1999, le MAINC a autorisé à libérer le fonds pour scierie afin de permettre à KFR d’investir dans la scierie des demanderesses; voir la pièce P‑80, onglet 55.

 

[915]       Au printemps de 1999, le Ministère a informé les demanderesses qu’un volume de 190 520 m3 de bois serait disponible pour la prochaine saison de récolte. Ce volume était nettement supérieur à celui qui, comme le Ministère l’avait indiqué plus tôt, pouvait être récolté. Il s’agissait presque aussi de la quantité dont la scierie avait besoin, soit 200 000 m3. Cette augmentation du bois disponible était un facteur positif pour ce qui était d’examiner s’il était raisonnable que les demanderesses continuent d’exploiter la scierie.

 

[916]       Dans ce contexte et dans ces circonstances, il était raisonnable pour les demanderesses de rester à Watson Lake et de continuer à exploiter la scierie. Lorsque SYFC a évoqué pour la première fois la possibilité de déménager, la réponse de la défenderesse a consisté à convoquer une réunion à un échelon élevé, comprenant à la fois l’Administration centrale à Ottawa et le bureau régional à Whitehorse, et de prendre des engagements très précis envers les demanderesses au sujet des délais relatifs à la délivrance d’un CRB. Comme il est mentionné dans l’arrêt Atlantic Leasing, la défenderesse était tenue de [traduction] « détromper » les demanderesses, qui croyaient que des mesures imminentes seraient prises en rapport avec une tenure à long terme.

 

[917]       Cela était particulièrement le cas, compte tenu de l’expansion privée, d’une valeur de 17 millions de dollars, de la scierie de Watson Lake. M. Sewell a déclaré, à la page 4373 des notes sténographiques, qu’il savait que la scierie ne pouvait pas prendre de l’expansion sans une garantie de tenue à long terme.

 

[918]       En outre, je conclus que la défenderesse était tenue de [traduction] « détromper » les demanderesses, qui croyaient qu’il y avait un inventaire de bois adéquat. En juin 2000, les employés du Ministère ont affirmé que, pour les scieries existantes, la quantité de bois disponible dans le sud-est du Yukon était insuffisante. M. Sewell a dit ne jamais avoir informé les demanderesses des préoccupations du Ministère au sujet du volume disponible pour une tenure à long terme.

 

[919]       Si la défenderesse avait [traduction] « détrompé » les demanderesses au sujet des délais ou d’un problème concernant le caractère suffisant du bois, les demanderesses auraient peut être donné suite à la possibilité dont M. Heit avait fait état dans sa lettre du 19 mars 1999, c’est-à-dire déménager leurs opérations ailleurs.

 

[920]       En l’espèce, la défenderesse a fait exactement le contraire. Elle a encouragé et incité les demanderesses à rester là où elles étaient.

 

[921]       La défenderesse a également soutenu que l’échec de la scierie était imputable au [traduction] « gestionnaire » de cette dernière. Les ententes de coentreprise contenaient toutes un contrat de gestion distinct par lequel 391605 B.C. Ltd. se voyait confier le pouvoir de prendre toutes les décisions de gestion, y compris les fermetures de la scierie.

 

[922]       La défenderesse a fait valoir que [traduction] « les pertes subies à cause de la première ouverture et fermeture sont attribuables à la décision du gestionnaire et non à une mesure que la défenderesse aurait prise ou omise de prendre »; observations finales écrites de la défenderesse.

 

[923]       J’ai déjà décidé qu’il était raisonnable de rouvrir la scierie au vu des communications qui avaient eu lieu avec le Ministère, y compris les incitations à rouvrir.

 

[924]       De plus, le « gestionnaire » n’est pas partie à la présente instance. Si elle avait voulu avancer l’argument que le « gestionnaire » était responsable de la perte, la défenderesse aurait dû prendre les mesures nécessaires de constituer ce dernier comme partie à l’action. Néanmoins, étant donné que le « gestionnaire» n’est pas partie à la présente instance, je ne puis lui imputer une partie de la responsabilité. Cet argument est rejeté.

 

[925]       Enfin, comme je l’ai analysé plus tôt, dans ma recommandation concernant l’octroi de la somme de 5,5 millions de dollars du Fonds régional pour les partenariats et du Programme de développement de grands projets d’entreprise, le Ministère a déclaré que le risque que comportait le projet de scierie de Watson Lake était le fait d’obtenir une tenure forestière adéquate afin de pouvoir répondre aux demandes des marchés. Je conclus qu’en décrivant le risque de cette façon, le Ministère a accepté qu’il existait bel et bien une demande de marché pour les produits de la scierie des demanderesses. Il est tout aussi clair que le Ministère n’a pas cru qu’il y avait un risque quelconque à continuer d’exploiter la scierie si l’on accordait pour le bois une tenure à long terme adéquate. Comme il a été mentionné plus tôt, le Ministère contrôlait les ressources forestières.

 

[926]       C’est à la défenderesse qu’il incombe de prouver la négligence contributoire. Je conclus qu’elle ne s’est pas acquittée de son fardeau. Je conclus selon la prépondérance des probabilités que les demanderesses n’ont pas fait preuve de négligence contributoire.

 

[927]       À mon avis, les conclusions que j’ai tirées au sujet de la négligence contributoire suffisent également pour contrer toute allégation selon laquelle les demanderesses ont omis d’amoindrir leurs pertes. La défenderesse ayant encouragé et incité les demanderesses à demeurer en activité, je conclus que l’on ne peut soutenir de façon valable que ces dernières ont omis d’amoindrir leurs dommages.

 

4) La conclusion sur la négligence

[928]       Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la défenderesse avait une obligation de diligence envers les demanderesses, qu’elle a manqué à sa norme de diligence et qu’elle a fait preuve de négligence d’une manière qui a donné lieu, pour les demanderesses, à des pertes liées à une expectative raisonnablement prévisible.

 

3. Les déclarations inexactes faites par négligence

[929]       Les demanderesses font également état de déclarations inexactes faites par négligence. Le critère relatif aux déclarations de cette nature est énoncé dans un arrêt de la Cour suprême du Canada : Queen c. Cognos Inc., [1993] 1 R.C.S. 87. Il existe cinq conditions générales :

1  il doit y avoir une obligation de diligence fondée sur un « lien spécial » entre l’auteur et le destinataire de la déclaration;

2) la déclaration en question doit être fausse, inexacte ou trompeuse;

3) l’auteur doit avoir agi d’une manière négligente;

4) le destinataire doit s’être fié d’une manière raisonnable à la déclaration inexacte faite par négligence, et

5) le fait que le destinataire s’est fié à la déclaration doit lui être préjudiciable en ce sens qu’il doit avoir subi un préjudice.

 

[930]       Je souligne que, dans Cognos, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’une action fondée sur une déclaration inexacte faite par négligence peut être intentée même s’il existe un lien contractuel entre les parties, ce qui est le cas en l’espèce.

 

(i) L’obligation de diligence

[931]       Étant donné que la réclamation fondée sur des déclarations inexactes faites par négligence est invoquée contre la Couronne à titre de défenderesse, il est nécessaire de prendre en considération le critère de Cooper/Childs. Selon la décision qu’a rendue la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Premakumaran c. Canada, [2007] 2 R.C.S. 191 (C.A.), la Cour a indiqué qu’il est inutile de procéder à une analyse complète de l’obligation de diligence lorsque l’affaire a trait à une déclaration inexacte faite par négligence. Aux paragraphes 16 à 19, la Cour d’appel fédérale déclare ce qui suit :

[16]      La Cour suprême a toutefois réitéré dans Childs, avant de se livrer à l’analyse préconisée dans les arrêts Anns et Cooper, qu’une « question préliminaire » se pose. En effet, la Cour doit décider si la jurisprudence impose déjà une obligation de diligence. Si l’affaire cadre dans une catégorie qui contient un précédent dans lequel une obligation a été reconnue ou dans une catégorie analogue, « une analyse préconisée dans l’arrêt Anns ne serait plus nécessaire », cette analyse étant réservée aux situations où l’obligation invoquée est [page 201] nouvelle (au paragraphe 15). L’arrêt Cooper n’a pas aboli la doctrine du précédent. Comme la Cour suprême l’a indiqué dans Childs, « [l]a mention des catégories reprend simplement la notion fondamentale de précédent » (au paragraphe 15). Ainsi, c’est seulement lorsqu’on a affaire à une situation d’obligation nouvelle, qui ne cadre pas avec les catégories établies et les catégories analogues, qu’on doit procéder à une analyse en fonction du critère récemment élaboré (Childs, au paragraphe 15).

[17]      Il appert de cet examen de l’état actuel du droit qu’il n’était pas nécessaire en l’espèce de se livrer à l’analyse complète préconisée dans les arrêts Anns et Cooper. La demande en l’espèce reposait essentiellement sur des « déclarations inexactes faites avec négligence », soit l’une des catégories énumérées dans Cooper c. Hobart, où on peut affirmer l’existence de la proximité (au paragraphe 36). Deux décisions de la Cour suprême du Canada, soit Queen c. Cognos Inc., [1993] 1 R.C.S. 87, et Hercules Managements Ltd. c. Ernst & Young, [1997] 2 R.C.S. 165, ont bien exposé le droit canadien en la matière avant l’arrêt Cooper c. Hobart.

[18]      Depuis la célèbre affaire Hedley Byrne & Co., Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1963] 2 All E.R. 575 (H.L.), les tribunaux reconnaissent qu’une action en responsabilité délictuelle peut être intentée, lorsque les circonstances le justifient, pour un préjudice découlant d’une déclaration inexacte faite par négligence. Dans Queen c. Cognos Inc., la Cour suprême du Canada a fait la synthèse de la jurisprudence en la matière et a exposé cinq conditions générales pour imposer une responsabilité quant à des déclarations faites par négligence [à la page 110] :

[...] (1) il doit y avoir une obligation de diligence fondée sur un « lien spécial » entre l’auteur et le destinataire de la déclaration; (2) la déclaration en question doit être fausse, inexacte ou trompeuse; (3) l’auteur doit avoir agi d’une manière négligente; (4) le destinataire doit s’être fié d’une manière raisonnable à la déclaration inexacte faite par négligence, et (5) le fait que le destinataire s’est fié à la déclaration doit lui être préjudiciable en ce sens qu’il doit avoir subi un préjudice.

[19]      Dans Cognos, la Cour suprême a confirmé l’obligation de diligence à l’égard d’une déclaration lorsqu’il existe un « lien spécial » entre son auteur et le destinataire. Comme il ressort de l’arrêt Hercules, où la Cour suprême a appliqué le critère formulé dans Anns c. Merton, ce « lien spécial » existe à première vue lorsque le destinataire s’y est fié d’une manière raisonnable dans les circonstances. Cinq indices généraux de confiance raisonnable sont exposés dans l’arrêt Hercules (au paragraphe 43) : [...].

 

[932]       Pour les motifs susmentionnés, j’ai déjà conclu qu’il existe, entre les demanderesses et la défenderesse, un lien spécial qui donne lieu à une obligation de diligence. Cependant, je souligne également que la déclaration inexacte faite par négligence est une catégorie existante que l’on reconnaît dans l’arrêt Cooper. Cela étant, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il existe une obligation de diligence prima facie, dans les affaires de déclaration inexacte faite par négligence, lorsque, « le destinataire s’y est fié d’une manière raisonnable dans les circonstances »; voir Premakumaran, au paragraphe 19.

 

[933]       Dans la mesure où la défenderesse s’est fondée sur l’arrêt Design Services pour contester l’argument de l’existence d’une obligation de diligence dans le cas d’une déclaration inexacte faite par négligence, il s’agit d’une erreur. Dans Design Services, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’existe pas d’obligation de diligence prima facie, dans le cas d’une considération de politique générale. Cette considération était le défaut de l’appelante de se protéger par contrat contre la perte économique. Cependant, en ce qui concerne les déclarations inexactes faites par négligence, cet arrêt ne s’applique pas.

 

[934]       Comme je l’ai expliqué, la déclaration inexacte faite par négligence est une catégorie existante qui est reconnue dans l’arrêt Cooper. En outre, j’ai conclu qu’il y avait eu une déclaration inexacte faite par négligence, par les fonctionnaires de la défenderesse, à l’endroit de la demanderesse LPL. J’ai conclu que l’on s’est raisonnablement fondé sur cette déclaration inexacte et qu’il était raisonnablement prévisible qu’on le ferait. De ce fait, une obligation de diligence prima facie (« à première vue ») existe; voir l’arrêt Premakumaran, au paragraphe 19.

 

[935]       Je me reporte également aux commentaires que j’ai faits plus tôt, dans le cadre de l’analyse relative à la négligence, quant à la raison pour laquelle l’arrêt Design Services est à distinguer de la présente espèce ou ne s’applique pas aux faits de cette dernière.

 

[936]       La défenderesse peut éviter cette obligation de diligence prima facie au moyen de considérations de politique générale comme une responsabilité indéterminée; voir l’affaire Hercules Managements. En outre, il n’existe aucune responsabilité à l’égard des décisions de politique que prend le gouvernement; voir Premakumaran, au paragraphe 20.

 

[937]       Comme je l’ai analysé plus tôt, il n’existe aucune considération de politique générale qui devrait dispenser la défenderesse de l’obligation de diligence prima facie. Il n’y avait aucune responsabilité indéterminée, car il s’agissait d’une annonce spéciale faite à l’occasion d’une réunion prévue, à deux parties précises.

 

[938]       La défenderesse avait pour politique d’encourager le développement économique dans l’industrie forestière. La décision de disposer d’un régime de tenures à long terme est également une décision de politique. La présente action ne vise pas à contester une décision de nature politique ou législative. Au vu des faits de l’espèce, je conclus que l’annonce faite le 15 juillet 1997 était la mise en œuvre des politiques de la défenderesse, et qu’il ne s’agissait pas en soi d’une décision de politique. La mise en œuvre d’une politique est une décision de nature opérationnelle et elle n’est pas dispensée d’une obligation de diligence.

 

(ii) L’annonce

[939]       Les demanderesses soutiennent que la défenderesse a annoncé que si l’on construisait une scierie, on mettrait à sa disposition un approvisionnement en bois suffisant.

 

[940]       Selon la preuve produite, cette annonce a été faite à l’occasion de la réunion de « diligence raisonnable » tenue le 15 juillet 1997 quand MM. Alan Kerr et Brian Kerr, au nom de LPL, et MM. Spencer et Fehr se sont rendus à Whitehorse pour rencontrer des représentants du MAINC en vue de discuter du projet de scierie. MM. Monty et Gladstone ont assisté à cette réunion pour le compte du MAINC. Seul M. Monty a témoigné au procès au sujet de cette réunion, pour le compte du MAINC.

 

[941]       À cette date, c’est-à-dire le 15 juillet 1997, l’annonce a été faite à LPL. SYFC n’a été constituée en société que quelques mois plus tard. Cependant, le lien entre LPL et la défenderesse a débuté en avril 1996, au moment de la première réunion tenue entre LPL et des employés du MAINC à Whitehorse le 18 avril 1996. Comme je l’ai dit plus tôt, ce lien a été encouragé et alimenté au cours des mois suivants par le MAINC. Il n’est pas nécessaire que je conclue à une « consommation » quelconque de ce lien; il s’agissait d’un lien continu dans le cadre duquel il y a eu un alignement d’intérêt de plus en plus étroit entre LPL et la défenderesse.

 

[942]       Même si la lettre datée du 13 mars 1997 que LPL a reçue de M. Irwin, qui était alors le ministre, fait partie des informations de base et du contexte, la réunion tenue en juillet 1997 a été cruciale. C’est sur le fondement de cette dernière que MM. Spencer et Fehr, agissant pour le compte du Groupe B.I.D., ont décidé de participer.

 

[943]       M. Spencer a déclaré qu’à cette époque il avait déjà examiné des pro forma d’affaires pour voir si le projet valait la peine de dépenser le temps et l’argent nécessaire. À son avis, il y avait deux critères critiques auxquels il fallait satisfaire pour décider d’aller de l’avant. Il s’agissait de l’approvisionnement en bois et de son prix, ainsi que de la récupération du bois et des marchés. Le Groupe B.I.D. s’intéressait au projet, mais il y avait des doutes qui subsistaient au sujet de la garantie de fibre.

 

[944]       M. Brian Kerr a déclaré que le Groupe B.I.D. était prêt à prendre part au projet de scierie, sauf qu’il avait des doutes au sujet de la [traduction] « garantie de bois ». Il a déclaré que ces doutes ont conduit à la tenue d’une réunion, à Whitehorse en juillet 1997, entre le Groupe B.I.D., LPL et des représentants du Ministère.

 

[945]       M. Brian Kerr a déclaré que cette réunion a été capitale. Avant cette dernière, il y avait des [traduction] « trous flagrants » dans le projet, surtout sur le plan de la construction et des champs d’expertise de la direction. Cette réunion a été capitale parce qu’elle allait permettre de déterminer si le Groupe B.I.D. allait contribuer son expertise au projet. C’était la réunion qui allait déterminer si le projet irait de l’avant.

 

[946]       C’est pour cette réunion que MM. Fehr et Spencer, deux hommes d’affaires compétents, ont fait le trajet de dix-sept heures en automobile jusqu’à Whitehorse en juillet 1997, depuis Vanderhoof. Cette réunion avait été organisée par M. Brian Kerr avec le Groupe B.I.D., LPL et des représentants du Ministère, et elle était censée avoir lieu aux bureaux du MAINC.

 

[947]       M. Monty, représentant la défenderesse, a confirmé que cette réunion a eu lieu en juillet 1997 à Whitehorse, dans les bureaux du MAINC. Il a décrit cette dernière comme un simple échange d’informations. Cependant, le souvenir qu’il a de cette réunion et tout à fait insatisfaisant.

 

[948]       L’unique objet de cette réunion, selon M. Spencer, était de [traduction] « prendre connaissance du souhait de mettre du bois à la disposition de la scierie ». Il a ajouté que la discussion tout entière, ainsi que le but principal de la réunion, était le [traduction] « souhait de mettre du bois à la disposition de la scierie », c’est-à-dire un volume de 200 000 m3 par année.

 

[949]       Selon le témoignage de M. Fehr, cette réunion a eu lieu parce qu’il s’inquiétait du fait que [traduction] « nous avions besoin d’un approvisionnement en bois garanti si un investissement allait être fait ».

 

[950]       M. Brian Kerr a témoigné que le MAINC a déclaré : [traduction] « vous êtes exactement le type d’entreprise que nous cherchions ». Il a cru que cela avait à voir avec les changements réglementaires qui favorisaient la production locale.

 

[951]       Il a déclaré également que le MAINC s’est dit préoccupé par le fait que, dans le passé, le rendement des exploitants forestiers avait été mauvais. Il a ajouté que le MAINC [traduction] « a indiqué très clairement qu’il n’était pas prêt à donner carte blanche à qui que ce soit et à accorder du bois avant qu’une installation soit construite, à cause d’expériences antérieures ». Il a également témoigné que M. Gladstone a déclaré : [traduction] « vous construisez la scierie, vous obtiendrez le bois ».

 

[952]       Cette préoccupation au sujet du rendement antérieur de l’industrie forestière et cette obligation de prouver la capacité de la scierie sont étayées par le témoignage de M. Fillmore, ainsi que par les modifications qui ont été apportées au processus relatif aux PCC. Après 1995, il est devenu nécessaire de prouver la capacité de sciage pour obtenir ne serait-ce qu’un PCC très restreint.

 

[953]       Je conclus qu’il s’agissait d’une réunion officielle et prévue, qui a été convoquée dans le but de discuter de la disponibilité d’un approvisionnement en bois, de la construction proposée de la scierie ainsi que de la disposition du Ministère à s’engager à accorder un approvisionnement en fibre.

 

[954]       MM. Spencer et Fehr ont déclaré qu’ils sont sortis de la réunion en étant confiants que s’ils construisaient la scierie, le bois viendrait ensuite. Lors de son interrogatoire principal, M. Spencer a déclaré que le Groupe B.I.D. voulait savoir [traduction] « quel serait l’engagement quant à la disponibilité de bois pour la scierie ». Il a déclaré que [traduction] « au cours de cette réunion les commentaires ont été fort positifs et il y a eu un intérêt, un vif intérêt » de la part du MAINC à l’égard de la construction d’une scierie.

 

[955]       M. Spencer a témoigné qu’il y a eu une discussion au sujet de la crédibilité de la proposition. Les représentants du Ministère se préoccupaient des intentions du Groupe B.I.D. Selon M. Spencer, le Ministère n’était pas intéressé à discuter de l’approvisionnement en bois si l’entreprise allait être présente au Yukon pendant une courte durée, et ce, uniquement pour faire des bénéfices et retourner en Colombie-Britannique.

 

[956]       Lors de son interrogatoire principal, M. Fehr a déclaré que [traduction] « les représentants du fédéral ont affirmé catégoriquement qu’il n’y aurait pas de bois accordé s’il n’y avait pas d’installation de production. Lorsque nous sommes partis, nous croyions donc que si une installation était construite, le bois serait accordé à cette installation ». Ce qu’il avait compris à l’issue de cette réunion était que [traduction] « si nous construisions une installation, ils veilleraient à ce qu’elle reçoive l’approvisionnement en bois nécessaire ». Il a déclaré que cette compréhension était fondée sur ce que les représentants de la défenderesse avaient déclaré à cette réunion.

 

[957]       Lors de son interrogatoire principal, M. Alan Kerr a déclaré que les représentants du MAINC avaient dit qu’un volume de 200 000 m3 de bois semblait être raisonnable pour un CRB. Lorsqu’on leur avait demandé de mettre cela par écrit, les représentants du Ministère avaient refusé parce que [traduction] « ils avaient accordé des CRB ou du bois dans le passé à des gens qui avaient dit qu’ils allaient faire des choses qui ne s’étaient pas matérialisées avec leurs engagements et qu’ils étaient échaudés ». Il a ajouté qu’on lui avait dit que [traduction] « le prochain CRB qui serait accordé au Yukon, les gens auraient à donner une preuve. Il faudrait qu’ils construisent essentiellement une installation et prouvent qu’ils avaient la capacité de l’exploiter ». M. Alan Kerr croyait qu’à cette réunion on avait pris l’engagement que si l’on construisait la scierie, le bois serait là.

 

[958]       M. Brian Kerr n’a pas du tout été contre-interrogé à propos de la réunion tenue en juillet 1997. M. Fehr n’a pas été contre-interrogé quant au fond de la réunion de juillet 1997. La seule question a été celle de savoir si M. Fehr avait demandé que les représentants du Ministère mettent leurs déclarations par écrit; voir la page 1688 des notes sténographiques. Dans le même ordre d’idées, on n’a pas posé à M. Spencer de questions en contre-interrogatoire au sujet des engagements pris par le MAINC. On lui a posé des questions sur le secteur géographique d’où proviendrait l’approvisionnement et s’il avait été demandé de mettre l’engagement par écrit; voir les pages 1561 à 1563 des notes sténographiques.

 

[959]       M. Alan Kerr a été contre-interrogé au sujet des communications antérieures avec LPL, relativement aux conditions à remplir avant la délivrance d’un CRB. Voir les pages 1782 à 1791 des notes sténographiques. Cependant, on ne lui a jamais posé de questions directes au sujet de l’engagement que MM. Monty et Gladstone avaient pris à la réunion de juillet 1997. Dans une question connexe, on a demandé à M. Kerr si l’un quelconque des fonctionnaires de la défenderesse ne l’avait jamais informé que le fait de remplir les conditions préalables à l’octroi du CRB n’était pas une garantie de délivrance d’un CRB. M. Kerr a répondu : [traduction] « ce que j’avais compris depuis le tout début était que la compagnie devait construire une scierie et recruter le plus possible des gens de l’endroit et qu’un CRB serait délivré à la compagnie ».

 

[960]       M. Gladstone n’a pas été cité à témoigner par la défenderesse. M. Sewell, le représentant de la défenderesse au procès, a déclaré qu’il n’avait fait aucun effort pour trouver M. Gladstone.

 

[961]       M. Monty a témoigné pour la défenderesse. Pendant son interrogatoire principal, il a déclaré qu’il ignorait qui était M. Fehr et qu’il n’était pas sûr de qui était M. Spencer, sauf pour dire que ce dernier avait pris part d’une certaine façon au projet; voir la page 3034 des notes sténographiques. Il a confirmé que M. Gladstone et lui étaient les représentants de la défenderesse qui avaient été présents à cette réunion. Il ne s’est pas souvenu si MM. Fehr, Brian Kerr ou Alan Kerr étaient présents. Cependant, il croyait que M. Spencer avait été présent et, dans une identification en salle d’audience, il a jouté que M. Don Oulton était présent à la réunion.

 

[962]       M. Monty a déclaré qu’il aurait dit à LPL que l’octroi d’une tenure à long terme aurait obligé à procéder à une planification de l’utilisation des terres ainsi que le règlement des revendications territoriales. Cependant, il ne s’est pas souvenu d’avoir réellement fait cette déclaration et ne s’est pas rappelé exactement ce qui avait été dit. Il ne s’est pas rappelé s’il y avait eu des discussions au sujet d’un CRB ou du volume dont la scierie aurait besoin. Il ne s’est pas souvenu non plus si M. Gladstone ou lui-même avait informé LPL qu’il était nécessaire de construire une scierie avant qu’une tenure à long terme puisse être accordée. En fait, il n’avait aucun souvenir de cette réunion; voir les pages 3204 à 3211 des notes sténographiques.

 

[963]       En contre-interrogatoire, M. Monty a convenu qu’il était convaincu qu’à sa connaissance il avait fait état des souvenirs quelconques qu’il pouvait avoir de cette réunion.

 

[964]       Dans l’ensemble, le témoignage de M. Monty a été insatisfaisant. Ses souvenirs étaient très mauvais, au point d’être peu fiables. Le témoignage de M. Monty était également intrinsèquement contradictoire. Enfin, mes observations concernant la façon dont il a témoigné en rapport avec cette question m’amènent à conclure que son témoignage n’est pas digne de confiance, et je lui accorderai fort peu de poids. Il n’y a pas de problème d’iniquité à l’égard de ce témoin, car toutes les affirmations qui ont été mises de l’avant par les demanderesses ont été soumises à M. Monty par les propres avocats de la défenderesse et il n’en a eu aucun souvenir.

 

[965]       Le témoignage du témoin de la défenderesse au sujet de la réunion du 15 juillet n’a pas été convaincant et il n’y a aucune preuve qui contredit la version des faits de LPL. Je prends également note du défaut de la défenderesse de citer M. Gladstone ainsi que du défaut de contre‑interroger les témoins des demanderesses à propos des déclarations faites lors de la réunion de juillet 1997. De ce fait, j’infère négativement que ce témoignage aurait été préjudiciable à la cause de la défenderesse; voir Milliken & Company et al. et WCC Containers Sales Ltd.

 

[966]       Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que M. Gladstone a fait une annonce, et pris un engagement, à la réunion tenue en juillet 1997 : si une scierie était construite, LPL recevrait la quantité de bois nécessaire pour l’exploiter. Cette conclusion concorde avec la totalité de la preuve.

 

[967]       Comme je l’ai analysé plus tôt dans mes observations portant sur les témoins des demanderesses, ces derniers ont témoigné de manière franche et honnête. Leur témoignage concorde avec les autres éléments de preuve qui figurent dans le dossier.

 

[968]       Ma conclusion au sujet de l’annonce est étayée par le contexte factuel que le MAINC connaissait à l’époque. Le CRB qui avait été attribué à KFR était assujetti à la condition que KFR construise une scierie. Cette condition faisait partie de l’entente conclue avec la défenderesse. Cela ne s’est pas réalisé et le défaut de KFR de construire une scierie était une question qui préoccupait grandement le MAINC et qui a été l’objet de discussions à l’interne.

 

[969]       Dans la pièce P‑80, onglet 5, M. Chambers exprime le sentiment de frustration du Ministère à l’égard du fait qu’aucune scierie n’avait été construite. Dans la pièce P‑79, onglet 48, M. Aubin déclare qu’il avait [traduction] « l’impression que le CRB (et tous les CRB au Yukon) avait pour but de garantir l’implantation d’une industrie locale de transformation du bois ». Voir également la pièce P‑80, onglet 26, un exposé interne du MAINC, dans lequel le défaut de construire la scierie est qualifié de [traduction] « grave manquement ».

 

[970]       Il était nécessaire de construire une scierie pour donner effet à la règle des 60/40 qui a été introduite à titre de règlement en 1995. Comme il a été mentionné plus tôt, le MAINC a publiquement reconnu dans le REIR qui accompagnait le règlement modifié, pris en vertu de la Loi sur les terres territoriales, en 1995, que cette « modification va dans le sens des objectifs de promotion du développement de l’industrie forestière au Yukon ».

 

[971]       Les témoins de la défenderesse ont clairement indiqué que, sans une usine de transformation au Yukon, il ne pouvait pas y avoir de récolte de bois. La preuve indique tout aussi clairement qu’à cette époque la capacité de transformation était insuffisante. Une scierie était nécessaire.

 

[972]       En octobre 1999, il n’y avait qu’une seule autre scierie en exploitation dans la région de Watson Lake. Les autres scieries étaient [traduction] « fermées, ou partiellement démolies ». Les anciennes scieries locales, comme il a été décrit, [traduction] « utilisaient de l’équipement et des procédés anciens, inefficaces et peu sûrs »; voir la pièce P‑79, onglet 210.

 

[973]       En outre, le fait que le MAINC exigeait que KFR contribue à un fonds pour scierie confirme également l’importance que le Ministère accordait au fait d’avoir au Yukon une scierie en exploitation.

 

[974]       Le MAINC a informé KFR que la transformation locale de bois était une condition clé qu’il fallait remplir avant qu’un nouveau CRB soit recommandé au Ministre; voir la pièce P‑80, onglet 56. En outre, advenant une fermeture de la scierie des demanderesses, KFR était tenue de prendre des dispositions de rechange afin de transformer sur place le bois récolté dans le cadre de son CRB. Ces deux exigences du MAINC soulignent l’importance qu’accordait le Ministère au fait de transformer le bois sur place; voir la pièce P‑80, onglets 33 et 35.

 

[975]       Le 26 février 1998, il y a eu une réunion entre les coentrepreneurs. Le procès-verbal de cette réunion a été déposé en tant que pièce D‑11, onglet 109. À cette occasion, M. Alan Kerr a relaté que Me Terry Boylan, l’avocat de SYFC, s’était fait dire par le MAINC que [traduction] « SYFC n’a qu’à aller de l’avant et mettre en place une scierie fonctionnelle, après quoi le bois sera disponible ». Ce document a été déposé par la défenderesse pour établir la véracité et l’exactitude de son contenu. Cette preuve étaye également ma conclusion selon laquelle une annonce a été faite.

 

[976]       La défenderesse a attiré l’attention de la Cour sur les déclarations que M. Brian Kerr a faites, à savoir qu’aucun gouvernement n’avait garanti un approvisionnement en bois; voir, par exemple, la pièce D‑11, onglet 117; ainsi que la pièce D‑63. Je souscris à l’explication qu’a donnée M. Kerr en contre-interrogatoire, aux pages 1284 à 1286 des notes sténographiques :

[traduction
R.         Ouais, je le ferais parce que le contexte de cette déclaration, ou qu’on la lise, est – là encore, j’étais à Watson Lake avant que ce projet entre en existence, et le mauvais rendement du passé empêchait le gouvernement de prendre ce genre d’engagement direct. Il a toujours été essentiellement question d’un scénario du genre : vous nous le montrez et nous le ferons. Cela n’est pas une garantie. Cela n’est pas une garantie. Nous devions agir et nous comprenions que, et c’est là le contexte dans lequel s’inscrivent ces déclarations, dans n’importe quel document que vous le voyez, c’était que leurs mesures, les mesures du gouvernement, elles étaient toujours fondées sur le rendement de notre société et sur le fait que nous faisions ce que nous avions dit que nous ferions.

 

[977]       Je conclus que cette déclaration concorde avec le témoignage de M. Kerr au sujet de la réunion du 15 juillet 1997. Je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l’annonce a été faite le 15 juillet 1997.

 

[978]       Ma conclusion à l’égard de cette annonce est également étayée par des faits qui sont survenus à la réunion du 1er octobre 1999, entre des représentants de l’industrie forestière et le ministre Nault, à Whitehorse. Mme Clark y a assisté pour le compte de la scierie. MM. Nault et Sewell ainsi que Mme Guscott représentaient le MAINC. À cette réunion, June Clark a réitéré que SYFC avait besoin d’une garantie d’approvisionnement en bois ainsi que d’un volume de 200 000 m3 pour que la scierie soit viable. Un résumé de cette réunion figure dans la pièce D‑81, onglet 257.

 

[979]       Dans son exposé, dont une copie a été déposée en tant que pièce D‑11, onglet 203, Mme Clark a affirmé que le Ministère avait [traduction] « clairement indiqué à la compagnie il y a plus de deux ans qu’il n’y aurait pas d’engagement à l’égard d’un CRB au Yukon avant que nous construisions d’abord une installation. Nous avons construit l’installation et l’exploitons à Watson Lake ». Elle a de plus affirmé que la scierie s’était acquittée de tous ses engagements, sinon plus. Il n’y a aucune indication que le ministre a contesté l’une ou l’autre affirmation. Les documents figurant dans la pièce D‑11 ont été déposés pour établir la vérité et l’exactitude de leur contenu.

 

[980]       Je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités et après avoir tenu compte de la preuve qui m’a été soumise, qu’à la réunion du 14 novembre 2001, en compagnie de représentants de l’industrie forestière à Whitehorse, le ministre Nault a reconnu qu’il avait été promis de fournir du bois si une scierie était construite. Je conclus que le ministre Nault a reconnu qu’une promesse avait été faite. Les notes sténographiques, déposées en tant que pièce P‑79, onglet 357, comportent l’échange suivant entre le ministre Nault et M. Peterson, le propriétaire d’une autre scierie à Watson Lake :

[traduction]
Peterson : Nous ne sommes pas arrivés en ville et nous ne sommes pas descendus d’un camion en pensant que nous allions obtenir une tenure jusque parce que nous construisions une scierie. On nous a dit que nous allions obtenir une tenure si nous avions ici une scierie.

Nault : Je sais que cela a été le cas.

 

[981]       Dans un échange ultérieur lors de cette réunion et enregistré dans la même transcription, le ministre Nault déclare :

[traduction
Nault : Mais je ne peux pas accepter l’argument que nous exerçons tellement de pression sur l’industrie qu’il n’y a pas d’industrie; parce que si nous voulions le faire, nous aurions dû le faire il y a cinq ans. Nous aurions dû juste dire : « oubliez cela, les gars. Ne venez pas ici et ne dépensez pas tout cet argent, parce que nous n’avons pas d’industrie ». Mais cela me semble si exagéré que nous suggérons presque qu’il n’y aura pas d’industrie, mais que, en réalité, nous ne vous le disons pas directement.

 

[982]       J’ai deux remarques à faire au sujet des propos de M. Nault, enregistrés à la réunion tenue le 14 novembre 2001.

 

[983]       Tout d’abord, même si cet échange ne concerne pas spécifiquement la promesse que la défenderesse a faite à LPL, elle concorde avec son affirmation selon laquelle une telle promesse lui a été faite aussi et elle l’étaye fortement.

 

[984]       M. Sewell, lorsqu’il a été cité à témoigner pour le compte de la défenderesse, a déclaré que l’« engagement » mentionné par M. Nault était un engagement à l’égard d’un processus.

 

[985]       Il s’agit là d’un point critique.

 

[986]       Ceci étant dit avec respect, M. Sewell n’est pas le témoin qui peut dire ce que M. Nault voulait dire. C’est M. Nault qui est ce témoin et il n’a pas été cité à témoigner, même si des dispositions avaient été prises pour tenir compte de son calendrier. Les avocats des demanderesses avaient convenu de reporter le début de son contre-interrogatoire afin de lui permettre de témoigner. L’extrait suivant figure à la page 4206 des notes sténographiques de la séance du vendredi 30 mai 2008 :

[traduction] Si cela convient à Me Whittle et à la Couronne, nous entendrons le témoignage de M. Nault avant que Me Sali commence à contre-interroger M. Sewell. Et il s’agit du contre‑interrogatoire, parce que le sien était un – son interrogatoire préalable était un interrogatoire, même s’il a été mené comme il l’a été en vertu de l’effet combiné de la Loi sur la preuve au Canada et British Columbia Rules of Procedure.

 

[987]       Aucune explication n’a été offerte ou fournie par la défenderesse quant au défaut d’appeler M. Nault à témoigner, comme l’indiquent les notes sténographiques, à la page 4207, concernant la séance du lundi 2 juin 2008 :

[traduction
Me SALI :        Je crois savoir, madame la juge, que M. Nault ne sera pas un témoin; nous allons donc passer au contre-interrogatoire de M. Sewell.

LA JUGE :       M. Nault ne témoignera pas du tout? Est-ce exact, Me Whittle?

Me WHITTLE :            C’est exact, madame la juge.

 

[988]       À mon avis, M. Nault était un témoin crucial qui aurait pu expliquer la preuve hautement pertinente et préjudiciable qui a été citée plus tôt, et enregistrée dans la pièce P‑79, onglet 357. Je tire l’inférence naturelle que son témoignage aurait été préjudiciable à la cause de la défenderesse; voir Milliken & Company et al. et WCC Containers Sales Ltd.

 

[989]       Je tire une inférence défavorable du fait que M. Nault n’ait pas témoigné alors que l’on avait pris des dispositions pour l’heure de son témoignage. Je note la suggestion faite dans le dossier selon laquelle M. Nault avait été physiquement présent à Vancouver la fin de semaine précédent sa comparution prévue le lundi 2 juin. Je me reporte à cet égard au contre‑interrogatoire de M. Sewell qui a eu lieu le 2 juin, notes sténographiques, page 4269, lignes 20 à 22.

 

[990]       Deuxièmement, je souligne que M. Nault a fait expressément référence à [traduction] « il y a cinq ans ». Selon moi, il ne s’agit pas d’une coïncidence, eu égard aux faits figurant dans le dossier du présent procès, notamment le fait que cinq ans avant la réunion, LPL entretenait déjà un lien étroit avec la défenderesse, en rapport avec la scierie des demanderesses à Watson Lake.

 

[991]       J’attire l’attention sur le courriel daté du 7 novembre 1996, que M. Ivanski, en sa qualité de DGR, a envoyé à Ottawa à M. Doughty, adjoint spécial du ministre Irwin, ainsi qu’à M. James Moore, SMA. Il a déjà été fait référence dans mes motifs à ce courriel, la pièce P‑79, onglet 38.

 

[992]       Au 7 novembre 1996, M. Ivanski avait reçu de LPL une proposition réduite concernant le projet d’installation à Watson Lake. Il est entré en contact avec le cabinet du ministre à Ottawa pour demander des conseils au sujet de cette proposition la plus récente, en utilisant les mots [traduction] « ondes positives ou négatives ».

 

[993]       Jamais quelqu’un du MAINC n’a transmis des [traduction] « ondes négatives » à LPL. Au contraire, il n’y a eu que des mesures incitatives. Il est tentant de conclure que, comme M. Nault l’a laissé entendre, le MAINC suggérait [traduction] « presque qu’il n’y aura pas d’industrie, mais, en réalité, sans vous le dire directement ». Cependant, ce n’est pas à moi qu’il appartient de tirer cette conclusion en général; ma tâche se borne à trancher les arguments avancés par LPL contre la défenderesse pour déclarations inexactes faites par négligence.

 

[994]       Ces propos de M. Nault concordent avec le témoignage des demandeurs et la preuve tirée des propres documents de la défenderesse. Cette preuve de M. Nault satisfait aux critères des preuves circonstancielles auxquelles j’ai fait référence plus tôt.

 

[995]       La défenderesse a eu la possibilité de produire des preuves afin de répondre aux questions, aux demandes de renseignements et aux inférences qui, devait-elle le savoir, auraient été soulevées par ces propos d’un ministre du MAINC, au sujet des questions qui sont en jeu dans le présent litige. Elle ne l’a pas fait. Elle doit donc vivre avec les conséquences de ses choix à cet égard.

 

[996]       De plus, M. Sewell a déclaré que lui aussi avait été informé, par l’industrie forestière, que le Ministère avait déclaré à des membres de l’industrie que s’ils construisaient une scierie ils obtiendraient alors une tenure; voir la page 4371 des notes sténographiques.

 

[997]       La défenderesse a fait valoir que la promesse faite en l’espèce était une promesse à venir et non une annonce concernant des faits en cours. Cet argument ne peut être retenu.

 

[998]       Je conclus, au vu de la totalité de la preuve, que la promesse selon laquelle [traduction] « si vous construisez une scierie, nous vous donnerons du bois » contenait l’annonce implicite qu’il existait un engagement à fournir un volume de bois suffisant à long terme à quiconque construisait une scierie dans le sud-est du Yukon, de même que la capacité de fournir ce bois; voir les arrêts Cognos et Moin c. Collingwood (Township) (2000), 135 O.A.C. 278 (C.A.).

 

[999]       Cette annonce implicite est en réalité une déclaration concernant des faits existants, et pas simplement une promesse à venir.

 

1) L’annonce était-elle trompeuse, inexacte ou fausse?

[1000]   Je suis persuadée que l’annonce faite à cette époque était trompeuse, dans la mesure où les mandataires et les employés du MAINC savaient qu’en date de juillet 1997, le Ministère n’était pas en mesure de mettre ce volume de bois à la disposition de LPL, à titre de promoteur de la scierie. En outre, elle était fausse, comme l’indique clairement la preuve selon laquelle la scierie des demanderesses n’a pas reçu un approvisionnement en bois suffisant pour mener ses activités.

 

[1001]   La défenderesse a attiré l’attention de la Cour sur le fait que la scierie avait reçu un volume de 215 000 m3 entre les mois de mai 1999 et d’août 2000. Il est clair d’après le représentant de la défenderesse, M. Sewell, et la preuve documentaire, que le Ministère était au courant que le volume de bois nécessaire pour exploiter la scierie était de 200 000 m3 par année.

 

[1002]   Comme je l’ai analysé plus tôt, le bois disponible était insuffisant à cause du profil très petit des billes de bois. J’attribue cette insuffisance à la conduite du Ministère. Je conclus que l’annonce selon laquelle un approvisionnement en bois suffisant serait fourni était fausse.

 

[1003]   Au cours de l’été de 2000, les demanderesses ont recommencé à avoir de la difficulté à obtenir un approvisionnement en bois. Elles ont également appris que l’échéance fixée pour les demandes de proposition concernant les CRB ne serait pas respectée.

 

[1004]   Comme l’a expliqué le juge Linden, dans l’arrêt Spinks c. Canada, [1996] 2 C.F. 563 (C.A.), au paragraphe 29 :

[...] Une personne peut être « induite en erreur » tant par l’omission de divulguer que par des avis inexacts ou faux. De même que l’absence de renseignements peut être assimilable à des renseignements « erronés », comme il a été discuté ci-dessus, des renseignements manquants peuvent être trompeurs. [...]

 

[1005]   Je conclus que l’annonce faite était fausse ou trompeuse parce que le bois fourni était insuffisant. Il convient de signaler que l’insuffisance de ce bois était due aux propres gestes du MAINC. Cette annonce était également fausse ou trompeuse parce que, en date du mois d’août 2000, la pénurie de l’approvisionnement en bois a amené la scierie à fermer pour de bon.

 

2) L’annonce a-t-elle été faite avec négligence?

[1006]   Il est maintenant nécessaire de décider si la déclaration a été faite avec négligence. Cette décision repose sur la norme de la décision raisonnable. Il ne suffit pas qu’elle était inexacte, trompeuse ou fausse, car cette conclusion n’est qu’un seul des éléments que comporte le critère énoncé dans l’arrêt Hercules.

 

[1007]   Dans l’arrêt Cognos, la Cour suprême du Canada a reconnu que dans certaines situations la norme de diligence comportera l’obligation de révéler des renseignements très pertinents. Aux pages 122 à 124 du recueil, le juge Iacobucci explique ce qui suit :

Contrairement au juge Finlayson, je n’interprète pas les motifs du juge de première instance comme laissant entendre que l’intimée et son représentant étaient tenus de faire une « divulgation complète » au sens décrit ci-dessus, et que l’intimée devait répondre de l’omission de respecter cette obligation. J’interprète plutôt ses motifs comme donnant à entendre que, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, M. Johnston a violé l’obligation de faire preuve d’une diligence raisonnable, notamment en décrivant la perspective d’emploi comme il l’a fait, sans en même temps informer l’appelant de la nature précaire de l’engagement financier pris par l’intimée à l’égard du développement de Multiview. En réalité, le juge de première instance n’a pas imposé à l’intimée et à son représentant l’obligation de faire une divulgation complète. Il a simplement imposé une obligation de diligence qui, pour être respectée, exigeait en l’occurrence, entre autres choses, qu’on fournisse à l’appelant des renseignements très pertinents au sujet de la nature et de l’existence de l’emploi auquel il s’était porté candidat.

Il existe de nombreux arrêts dans lesquels l’omission de divulguer des renseignements très pertinents a été prise en considération lorsqu’il s’est agi de déterminer si une déclaration inexacte avait été faite par négligence: voir, par exemple, Fine’s Flowers Ltd. c. General Accident Assurance Co. (1974), 5 O.R. (2d) 137 (H.C.), à la p. 147, conf. par (1977), 17 O.R. (2d) 529 (C.A.); Grenier c. Timmins Board of Education, précité; H.B. Nickerson & Sons c. Wooldridge, précité; Hendrick c. De Marsh (1984), 45 O.R. (2d) 463 (H.C.) conf. pour d’autres motifs par (1986), 54 O.R. (2d) 185 (C.A.); Steer c. Aerovox, précité; W. B. Anderson & Sons Ltd. c. Rhodes (Liverpool), Ltd., [1967] 2 All E.R. 850 (Liverpool Assizes); et V.K. Mason Construction, précité. Dans ce dernier arrêt, le juge Wilson, qui parlait au nom de notre Cour, a dit (à la p. 284) :

La déclaration a été faite avec négligence parce que la Banque n’a pas révélé qu’elle donnait cette assurance en fonction des seules conditions du prêt que Mason avait déjà considérées comme une garantie insuffisante de l’existence d’un financement adéquat.

Ce faisant, ces arrêts et le jugement rendu en première instance en l’espèce n’appliquent pas la norme de l’uberrima fides aux opérations en cause. À vrai dire, cette notion n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer si l’auteur de la déclaration a violé l’obligation de diligence en matière délictuelle qui existe en common law. Ces décisions traduisent simplement le droit applicable en [page 124] tenant compte de toutes les circonstances pertinentes lorsqu’il s’agit de déterminer si l’auteur de la déclaration a agi d’une manière négligente. Dans certains cas, cela comprend l’omission de divulguer des renseignements très pertinents.

 

[1008]   Dans l’arrêt Spinks, la Cour d’appel fédérale a traité de ce principe. Le juge Linden déclare, au paragraphe 33, ce qui suit :

Je pourrais insister sur le fait que la norme de diligence en l’espèce est celle qu’on attend raisonnablement d’un agent de dotation dans les circonstances. Je ne suggère pas que l’omission de divulguer chaque renseignement non pertinent et ésotérique viole la norme de diligence. La responsabilité d’un conseiller ne consiste pas dans une divulgation complète ou parfaite. On n’a pas à mentionner les futilités. L’obligation est plutôt celle de divulgation raisonnable, et ce qui est raisonnable varie selon les circonstances. La simple omission de divulguer n’est qu’un facteur parmi tant d’autres dont il faut tenir compte pour décider s’il y a eu négligence. Ce point de vue a été confirmé dans l’arrêt Cognos, où le juge Iacobucci a tenu les propos suivants :

Il existe de nombreux arrêts dans lesquels l’omission de divulguer des renseignements très pertinents a été prise en considération lorsqu’il s’est agi de déterminer si une déclaration inexacte avait été faite par négligence.

Ainsi donc, lorsqu’un conseiller qui possède ou peut obtenir facilement des renseignements importants et pertinents omet de les divulguer dans des circonstances où on s’attend raisonnablement à ce qu’il y ait perte économique, la norme de diligence est violée. [...]

 

[1009]   Comme dans les arrêts Cognos et Spinks, je conclus que les représentants de la défenderesse, à la réunion du 15 juillet 1997, ont omis de révéler des renseignements nécessaires et hautement pertinents. Plus précisément, je conclus que le Ministère croyait que l’inventaire figurant dans le rapport Sterling Wood était trop élevé. Les renseignements selon lesquels l’inventaire, croyait-on, était trop élevé, relevaient du contrôle exclusif de la défenderesse. Cette dernière savait que LPL s’était fondée sur l’inventaire du rapport Sterling Wood pour dresser ses plans d’affaires. Le fait que la défenderesse n’est pas communiquée cette information exclusive est aggravée par le fait qu’elle avait fait des déclarations publiques à l’appui de l’inventaire forestier. Je reviendrai à ces déclarations publiques sous peu.

 

[1010]   Le rapport Sterling Wood est le seul PAF qui a été établi pour le territoire du Yukon. Il englobait un [traduction] « inventaire forestier exhaustif » du sud-est du Yukon. Ce PAF a été établi complètement, sauf pour ce qui est des consultations requises. Selon ce rapport, l’inventaire de bois récoltable selon un rendement durable à long terme s’élevait à plus de 1 600 000 m3 par année. Le PAF, et l’inventaire qu’il comprenait n’a jamais été mis en œuvre.

 

[1011]   L’ébauche de rapport Sterling Wood que la défenderesse a produite, laquelle est déposée en tant que pièce D‑81, onglet 3, comporte de nombreuses notations manuscrites. Ces notations critiquent de façon exceptionnelle l’ébauche du rapport Sterling Wood. Même si l’auteur de ces notes n’a jamais été nommé au procès, cette production provenait des dossiers de la défenderesse. À tout le moins, ces notes indiquent qu’une ou plusieurs personnes associées au Ministère avaient des doutes au sujet de l’ébauche du rapport Sterling Wood.

 

[1012]   M. Ivanski a été contre-interrogé au sujet du rapport Sterling Wood. La déposition suivante au sujet de ce rapport figure à la page 2696 des notes sténographiques :

[traduction
Q. Bien que – je vais vous suggérer que bien qu’il ait été établi, il n’avait – simplement pas été appliqué officiellement. Est-ce exact? C’est ce qui est dit? Si –

R. Je ne suis pas très sûr – il y a une grande différence entre faire établir un rapport et mettre en œuvre les recommandations du rapport, et je ne suis pas sûr que le fait de dire qu’il n’a pas tout simplement été mis en œuvre est tout à fait exact. Nous avions des commentaires. Le Ministère avait reçu quelques commentaires sur ce rapport. Les recommandations n’avaient pas été mises en œuvre, et il y a un certain nombre de raisons qui aurait pu mener à cette conclusion-là.

[Non souligné dans l’original.]

 

[1013]    Il s’agissait plus que de simples [traduction] « commentaires » à propos du rapport. Le témoignage ultérieur de M. Ivanski a révélé qu’il y avait, dans le rapport Sterling Wood, des préoccupations au sujet de l’inventaire. Le témoignage suivant à propos de l’inventaire figurant dans le rapport Sterling Wood figure aux pages 2702 et 2703 des notes sténographiques :

[traduction
Q. Donc l’inventaire que nous devrions présumer comme calculé en tout, est de plus de 1,6 million de mètres cubes.

R. C’est exact.

Q. Je vous remercie. Maintenant, ce que vous avez ensuite à la page 795 des mêmes documents, est ce qui suit. Sous la rubrique « Coupe admissible annuelle », il y a deux scénarios de présentés. Les voyez-vous?

R. C’est exact.

Q. Et, selon vous, il s’agit des deux options qui étaient envisagées à cette époque-là. Est-ce exact?

R. Que nous avons déposé pour discussion, oui.

Q. Maintenant, avant de passer à d’autres documents, pour ce qui est de la question de l’inventaire, ou du rendement soutenu, je présume, monsieur, que rien n’a changé quant à votre banque d’information jusqu’au moment où vous avez entamé vos discussions avec LPL en 1996. Êtes-vous d’accord?

R. En ce qui concerne les renseignements dont je dispose –

Q. Oui.

R. – Non, mais des questions ont été posées à propos des renseignements que j’avais.

                        [Non souligné dans l’original.]

 

[1014]   Dans une réponse ultérieure qui figure à la page 2772 des notes sténographiques, M. Ivanski a déclaré ce qui suit au sujet de l’inventaire :

[traduction
R. Avec une mise en garde : à l’époque, dans mon esprit, il y avait des questions importantes au sujet de l’exactitude ou de la fiabilité de ces données, et c’est la raison pour laquelle je suis allé à l’Administration centrale et j’ai obtenu des fonds additionnels pour obtenir une interprétation photo faire le tour de la forêt, etc., afin de dire, en me fondant sur une base scientifique quelle devrait être la coupe admissible annuelle. 

 

[1015]   Comme il a été mentionné plus tôt, le MAINC n’a jamais mis en œuvre le rapport Sterling Wood. Le défaut de mettre en œuvre ce document concorde, selon moi, aux préoccupations du Ministère selon lesquelles l’inventaire était trop élevé.

 

[1016]   Indépendamment des préoccupations sous-jacentes à l’égard de l’inventaire, le bureau régional s’est fondé sur l’inventaire du rapport Sterling Wood pour ébaucher pour le ministre la réponse à la pétition de la Yukon Forest Coalition qui avait été présentée au parlement le 6 juillet 1995. La réponse à cette pétition a été déposée en tant que pièce P‑75. En rédigeant cette réponse, les fonctionnaires de la défenderesse ont fourni les renseignements qui suivent au public et au Parlement :

[traduction] Ce niveau de récolte ne représentait que 4 % de la PCA estimative du territoire. Un niveau de récolte récemment évalué, soit 354 000 mètres cubes (1994-1995) ne représente que 10,5 % de la limite estimative de la PCA. La plupart des autres provinces et territoires au Canada récolte nettement plus de 50 % de leurs limites de PCA.

La PCA estimative de 1,8 million de mètres cubes pour le sud-est du Yukon est basée sur un inventaire exhaustif du bois présent dans trois unités d’aménagement forestier du sud-est (les unités Y01-LaBiche; Y02-Coal; et Y03-Liard).

 

[1017]   Le témoignage de M. Monty concordait aussi avec l’opinion selon laquelle la défenderesse s’inquiétait du fait que l’inventaire était trop élevé. Contre-interrogé sur la raison d’être de l’AAF préliminaire, M. Monty a déclaré ce qui suit, à la page 3319 des notes sténographiques :

[traduction
Q. Et, au meilleur de votre souvenir aujourd’hui, et en reconnaissant qu’il y a longtemps de cela, et loin de moi l’idée de vous mettre dans l’embarras, dites-nous seulement ce qui était, selon votre souvenir, le mandat de M. Henry, le mandat qui a donné lieu à la préparation de ce document?

R. Le mandat consistait essentiellement à déterminer un niveau de coupe durable dans les unités Y02, Y03 et d’utiliser des techniques modernes et appropriées – les renseignements les plus récents.

Q. Maintenant, monsieur, prenons un peu de recul. Jusqu’au moment où il a reçu ce mandat, et je ne vais pas revoir la totalité de l’historique que nous avons passé en revue jusqu’ici, compte tenu de la nature de la lettre du ministre Irwin, y avait-il une raison pour laquelle vous vouliez réduire le chiffre ou augmenter le chiffre?

R. Non, madame la juge, la raison était d’assurer une bonne gestion.

 

[1018]   Le rapport Sterling Wood avait fourni un inventaire de la production durable de bois. Il a été rejeté. La fiabilité ou l’exactitude de cet inventaire, comme nous l’avons vu plus tôt, était mise en doute. Le témoignage de M. Monty, l’AFF préliminaire étaient nécessaires pour [traduction] « assurer une bonne gestion ». Je conclus, compte tenu du reste du témoignage de M. Monty, que cette « bonne gestion » se rapporte à la diminution de l’inventaire de bois durable.

 

[1019]   J’ai également conclu plus tôt que les versions de l’AAF que M. Henry a exécutées ont été manipulées en vue de produire une quantité inférieure de bois disponible.

 

[1020]   Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la défenderesse croyait que l’inventaire de bois durable figurant dans le rapport Sterling Wood était trop élevé.

 

[1021]   Comme M. Monty n’a pas un souvenir fiable de la réunion du 15 juillet 1997, il ne peut pas dire ce qu’il a fait pour se préparer ou ce qu’il a dit à cette réunion.

 

[1022]   Comme il a été mentionné plus tôt, M. Gladstone n’a pas témoigné. J’ai déjà tiré une inférence défavorable du fait qu’il n’ait pas témoigné au sujet de l’annonce qu’il a faite. J’ai également tiré une inférence défavorable au sujet de la non-divulgation de la préoccupation du Ministère à l’égard du niveau trop élevé de l’inventaire et, en outre, je tire une inférence défavorable au sujet des mesures que M. Gladstone a prises en prévision de la réunion.

 

[1023]   Je conclus que la défenderesse était au courant que LPL avait fait expressément référence – et s’était fiée – au rapport Sterling Wood et à l’inventaire qui y était associé dans son plan d’affaires. Il a été fait référence au rapport Sterling Wood et à l’inventaire dans les plans d’affaires que LPL a envoyés à la défenderesse.

 

[1024]   Je conclus que des renseignements hautement pertinents, c’est-à-dire la préoccupation du ministère à l’égard du fait que l’inventaire de bois était trop élevé, auraient dû être divulgués à LPL à la réunion du 15 juillet 1997. Ils ne l’ont pas été.

 

[1025]   Il ressort clairement de la preuve que les coentrepreneurs étaient au courant que l’approvisionnement en bois suscitait des préoccupations. C’est pour cette raison même que la réunion de « diligence raisonnable » de juillet 1997 a eu lieu. Cependant, à la suite des assurances données à cette occasion, il a été décidé d’aller de l’avant avec le projet de scierie de Watson Lake.

 

[1026]   Compte tenu de la preuve, je conclus que les demanderesses ont pris connaissance en 1998 de la réduction proposée du plafond de récolte pour les unités Y02 et Y03 de 350 000 m3 par année à 128 000 m3 par année; voir la réponse à la demande de reconnaissance et, en plus, il existe d’autres éléments de preuve à cet effet. Je conclus que cet état de connaissances concorde avec le défaut de la défenderesse de révéler ses préoccupations au sujet de l’inventaire.

 

[1027]   Il est important aussi de se souvenir que, comme je l’ai analysé plus tôt, la défenderesse s’était publiquement fondée sur l’inventaire contesté. À cause de ce fait, le défaut de la défenderesse de divulguer des renseignements hautement pertinents qui étaient de son ressort exclusif est encore plus inacceptable.

 

[1028]   Étant donné que l’objet même de la réunion de juillet 1997 était de décider si l’on fournirait du bois à une scierie proposée, et compte tenu de l’investissement considérable qui était proposé, et eu égard aux liens de plus en plus étroits avec LPL, la défenderesse était tenue d’informer LPL que le Ministère croyait que l’inventaire était trop élevé. Les renseignements qui ont été retenus avaient trait à la nature et à l’étendue de l’inventaire de bois. Il ne suffisait pas que LPL sache que l’inventaire pouvait changer.

 

[1029]   Au vu des faits de l’espèce, je conclus que l’on s’inquiétait au bureau régional du fait que l’inventaire, tel qu’établi dans le rapport Sterling Wood, était trop élevé. Dans ce contexte, le bureau régional aurait dû informer LPL de ce fait à la réunion du 15 juillet 1997. Le défaut de le faire constituait un manquement à l’obligation de diligence.

 

[1030]   Cette conclusion ne repose pas sur le fait que la défenderesse pouvait changer la PCA, ce qui est une décision de politique discrétionnaire relevant de la défenderesse. Ma conclusion repose sur le fait que la défenderesse savait de manière exclusive que l’inventaire était trop élevé. LPL s’est fiée à cet inventaire pour formuler ses plans d’affaires. Le simple fait que la PCA découle de l’inventaire ne signifie pas qu’un changement dans l’inventaire est une « décision de politique », qui peut être à l’abri d’un examen.

 

[1031]   En outre, je souligne que M. Monty, le seul témoin de la défenderesse qui était présent à la réunion de juillet 1997, a déclaré qu’il n’était pas habilité à faire l’annonce qui a été faite. Au vu de mes conclusions, c’est-à-dire qu’il était prévisible que l’on s’y fierait, et que la défenderesse savait que LPL fondait ses plans d’affaires prévus sur l’inventaire existant, je conclus qu’au vu des faits de l’espèce, il y a eu manquement à la norme de diligence.

 

3) Y a-t-il eu confiance raisonnable?

[1032]   En quittant la réunion du 15 juillet 1997, M. Fehr a déclaré à M. Spencer et aux frères Kerr [traduction] « nous l’avons ». Les témoins des demanderesses ont systématiquement déclaré que la scierie a été construite à cause de cette réunion; voir les pages 1144, 1495, 1651, et 1715 à 1716 des notes sténographiques.

 

[1033]   La défenderesse a adopté dans sa défense une position déraisonnable et hautement technique. Selon ma compréhension des observations formulées, elle soutient que c’est parce que M. Fehr a déclaré [traduction] « nous l’avons » que LPL a décidé de construire la scierie. Essentiellement, la défenderesse soutient que l’on a eu confiance à M. Fehr et non à l’annonce du MAINC. Je rejette cet argument.

 

[1034]   Pour déterminer s’il y a eu confiance, il est nécessaire d’examiner de manière pragmatique si la conduite ultérieure de LPL a été attribuable à la confiance accordée à l’annonce.

 

[1035]   Le ministère a annoncé que si une scierie était construite, on mettrait à sa disposition un approvisionnement en bois suffisant. Il ressort clairement du témoignage des témoins de la demanderesse que la garantie d’un approvisionnement en bois était le dernier obstacle à surmonter avant que le Groupe B.I.D. se joigne au projet. À la suite de l’annonce, le dernier morceau du casse-tête s’est mis en place pour LPL. Cette dernière, en compagnie du Groupe B.I.D., a commencé à concevoir et à construire la scierie.

 

[1036]   Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, LPL a eu confiance dans les engagements et les annonces qui ont été faits lors de la réunion de juillet 1997, pour décider de construire la scierie à Watson Lake.

 

[1037]   Qu’est-ce que la confiance raisonnable?

 

[1038]   La jurisprudence donne une indication de ce qui constitue une « confiance raisonnable ». Dans l’arrêt Hercules Managements Limited, au paragraphe 43, la Cour suprême du Canada relève cinq indices généraux d’une confiance raisonnable :

1)      Le défendeur avait directement ou indirectement un intérêt financier dans l’opération visée par la déclaration.

2)      Le défendeur était un professionnel ou une personne possédant des aptitudes, une capacité de discernement ou des connaissances particulières.

3)      Le conseil ou le renseignement a été donné dans le cours des affaires du défendeur.

4)      Le renseignement ou le conseil a été donné délibérément, et non dans le cadre d’un événement social.

5)      Le renseignement ou le conseil a été donné en réponse à une question précise.

 

1) Un intérêt financier direct ou indirect

[1039]   Les affaires clés portant sur les déclarations inexactes faites par négligence ont pris naissance dans le contexte commercial, entre intervenants privés. Dans ce contexte, l’analyse des facteurs indiquant qu’il y avait eu une confiance raisonnablement prévisible est axée sur ce contexte financier. Quand on a affaire au gouvernement, les facteurs sont quelque peu différents.

 

[1040]   Dans l’arrêt Meates v. Attorney-General, [1983] NZLR 308, la Cour d’appel de la Nouvelle-Zélande a conclu que, dans toutes les affaires, un intérêt financier n’est pas nécessaire. Dans l’arrêt Meates, la Cour a pris en considération l’avantage politique pour le gouvernement. Pour dire les choses simplement, quand on a affaire au gouvernement, on peut conclure qu’un intérêt politique est analogue à un intérêt financier pour déterminer s’il y a eu confiance raisonnable. Je souscris à cette thèse.

 

[1041]   Le mandat législatif qui est énoncé dans la Loi sur le MAINC confère à ce ministère la responsabilité du développement économique au Yukon. Pour des raisons évidentes, il est difficile de conclure que la défenderesse a un « intérêt financier » à promouvoir une opération ou une entreprise à l’égard de laquelle l’annonce a été faite, mais, dans les circonstances particulières de l’espèce, il est indubitable que la défenderesse avait un intérêt particulier et spécial dans la création de la scierie.

 

[1042]   La défenderesse avait un intérêt politique direct dans l’exécution du projet de scierie. La question de l’exploitation forestière au Yukon était peut-être un enjeu politique de faible envergure pour le reste du Canada, mais, au Yukon, et pour le Ministère, il s’agissait d’un enjeu de la plus haute importance. Cela ressort clairement du dossier.

 

[1043]   Il y a eu des pétitions, des manifestations, des blocus du bureau régional, ainsi que des rencontres avec plusieurs ministres. Le nombre de lettres qui ont été envoyées au bureau régional et à Ottawa témoigne aussi de l’importance de l’enjeu pour les Yukonnais. Il existe dans le dossier de nombreux autres exemples qui illustrent le caractère politiquement chargé de la question de l’exploitation forestière au Yukon. Voir, par exemple, la pièce P‑46; ainsi que la pièce P‑80, onglet 82.

 

[1044]   Pour s’attaquer à un grand nombre des préoccupations soulevées, le MAINC a introduit des changements d’ordre réglementaire qui exigeaient que le bois soit transformé à l’échelon local. Cela exigeait une scierie locale. Dans le dossier relatif au présent procès, il y a des preuves qui démontrent que l’une des conditions à l’octroi du CRB à KFR était la construction d’une scierie. Le fait que KFR n’ait pas construit une scierie a été considéré comme un grave manquement aux conditions jointes au CRB. Il est clair que le MAINC avait besoin d’un investisseur privé pour mettre en application sa politique.

 

[1045]   J’accepte l’idée qu’il y avait, pour le gouvernement ainsi que pour le bureau régional, un avantage politique à ce qu’un investisseur privé à Watson Lake entreprenne la construction d’une scierie. C’est ce qui ressort de la communication de M. Ivanksi à M. Doughty, l’adjoint spécial au développement économique du ministre Irwin, dans un courriel, déposé en tant que pièce P‑79, onglet 38 et daté du 7 novembre 1996. Le texte de ce courriel a déjà été cité, mais, par souci de commodité, je le reproduis de nouveau :

[traduction] La meilleure nouvelle, c’est qu’ils travaillent avec les entrepreneurs forestiers locaux et ont signé un contrat en vue d’obtenir le bois du niveau 1 pour répondre à leurs besoins pour les premières années d’exploitation. Grâce à cela, notre système de niveaux a l’air pas mal efficace, et cela ouvre un marché qui permettra aux entrepreneurs forestiers de vendre à l’échelon national. L’étape suivante consistera à inclure une installation de fabrication de granules et à finir la transformation sur place, et il faudra pour cela attendre un an ou deux. Cependant, il y aura des pressions car ils ont déjà indiqué que les bailleurs de fonds auront besoin d’une attribution de bois et d’une tenure avant de faire un autre investissement important. Mais le moment choisi n’est pas mauvais. Dans le cadre de la consultation sur une nouvelle politique, la tenure et les attributions constitueront sans aucun doute des éléments critiques. Le fait d’avoir un exploitant sur place, qui travaille et qui règle les factures dans un délai de quelques mois permettra certainement de préciser cette discussion, d’autant plus qu’ils promettront plus d’emplois, etc., mais il leur faut une tenure.

 [...]

 

[1046]   De plus, il existe une preuve dans le présent procès qu’à Watson Lake le taux de chômage est fort élevé. Au Yukon, l’industrie forestière est principalement exploitée à partir de Watson Lake. Une scierie procurant des emplois grandement nécessaires procurerait des avantages politiques et sociaux véritables. La scierie que les coentrepreneurs ont construite à Watson Lake était le plus gros employeur privé du Territoire quand elle a fermé ses portes en 2000.

 

[1047]   Je conclus que les avantages politiques et sociaux que la défenderesse a obtenus étaient importants et, compte tenu des faits de l’espèce, font pencher la balance vers la confiance raisonnable.

 

[1048]   Outre les avantages politiques et sociaux, il faut se souvenir que le gouvernement allait tirer un avantage financier direct ou indirect de la scierie. La règle de 60/40 exigeait que le bois soit transformé à l’échelon local afin de pouvoir récolter du bois. Une scierie, comme celle dont il a été discuté à la réunion de juillet 1997, aurait nettement accru la capacité de transformation locale.

 

[1049]   Une augmentation de la capacité de transformation aurait fait augmenter la récolte admissible. Il ressort de la preuve qu’une redevance de coupe était payée sur tout le bois récolté. La création de cette scierie offrait la possibilité d’augmenter considérablement les redevances que recevait la défenderesse en augmentant le volume de bois qui pouvait être récolté.

 

[1050]   Le REIR qui accompagne le DORS/95‑387 estimait que les changements réglementaires qui haussaient les droits de coupe engendreraient pour le gouvernement des recettes moyennes de 3 000 000 $ à 5 000 000 $ par année. Ce changement réglementaire s’inscrivait dans le cadre d’une série de réponses à la « Ruée verte ».

 

[1051]   Dans un REIR ultérieur, accompagnant le DORS/95-580, qui mettait en œuvre la règle des 60/40, on soulignait que des retards dans l’attribution des permis de récolte ferait perdre à la Couronne la somme de 3,7 millions de dollars en droits de coupe. Cette déclaration dans le REIR a été faite avant qu’il existe une scierie capable de transformer le reste de la PCA cette année-là. Compte tenu des deux mentions faites dans des REIR différents, je tire la conclusion que ses droits de coupe étaient un élément important pour la défenderesse.

 

[1052]   En définitive, je conclus qu’il y avait un avantage financier direct ou indirect pour la défenderesse.

 

2) Des professionnels possédant des aptitudes, une capacité de jugement ou des connaissances particulières

[1053]   Les représentants de la défenderesse qui ont assisté à cette réunion et qui ont fait l’annonce, MM. Monty et Gladstone, étaient des professionnels, des personnes possédant des aptitudes, une capacité de discernement ou des connaissances particulières. M. Monty était le gestionnaire régional des Ressources forestières. M. Gladstone était l’expert forestier du groupe des Ressources forestières, et il travaillait avec M. Monty.

 

[1054]   Par ailleurs, il n’y a aucun doute dans mon esprit que le personnel du Ministère possédait une capacité de discernement ou des connaissances particulières. À cet égard, je fais mienne la déclaration suivante de la Cour d’appel de la Nouvelle-Zélande, dans l’arrêt Meates, à la page 335 :

[traduction] [...] de plus, il s’agissait à la fois d’une situation dans laquelle la probabilité que la politique se matérialise relevait particulièrement de la connaissance du gouvernement ainsi que du contrôle de ce dernier et aussi d’une situation dans laquelle il était essentiel pour les actionnaires de savoir s’il pouvait se lancer de façon responsable dans la mission et la poursuivre.

 

Dans ce contexte, je conclus que les fonctionnaires de la Couronne étaient des professionnels possédant des aptitudes, une capacité de discernement ou des connaissances particulières.

 

3) Renseignement donné dans le cours des affaires du défendeur

[1055]   Je suis tout aussi convaincue que l’annonce a été faite dans le cours des affaires de la défenderesse. Il s’agissait de représentants du bureau régional du MAINC dont l’emploi particulier les obligeait à connaître les ressources forestières au Yukon, en particulier dans le sud-est de ce territoire.

 

[1056]   Il n’est pas contesté que la défenderesse exerçait un contrôle sur les ressources forestières. La défenderesse avait pour mandat législatif d’encourager le développement économique. En conséquence, je conclus que cette réunion s’inscrivait carrément dans le « cours des affaires du défendeur ».

 

4) Renseignement donné délibérément, et non dans le cadre d’un événement social

[1057]   Il ne peut pas y avoir non plus de doute que les renseignements ou les conseils ont été donnés délibérément, et non dans le cadre d’un événement social. Cette réunion du 15 juillet 1997 était une réunion prévue et fixée, expressément pour discuter de la disponibilité de bois en vue du projet de scierie de Watson Lake.

 

5) Le renseignement a été donné en réponse à une question précise

[1058]   Là encore, ce renseignement ou ce conseil a été en réponse à une demande précise. Il ne s’agissait pas d’une occasion ad hoc. LPL a assisté à la réunion, de pair avec des représentants du Groupe B.I.D., afin d’obtenir des renseignements pertinents et importants sur lesquels il pourrait se fonder pour décider de procéder ou non à la construction de la scierie proposée pour Watson Lake.

 

6) La conclusion sur la confiance raisonnable

[1059]   M. Sewell, le DGR, qui était à l’époque le fonctionnaire le plus élevé en grade du Ministère à Whitehorse, a déclaré au procès qu’il croyait que les membres du public peuvent avoir confiance en ce que les fonctionnaires de l’État leur disent. Il s’agissait là d’une déclaration subjective de la part de M. Sewell et cette déclaration est hautement pertinente à la question de savoir maintenant si la demanderesse LPL aurait pu avoir une confiance raisonnable à l’égard de l’annonce, des renseignements et des conseils que lui avait donnés des représentants et les employés du MAINC à cette réunion de juillet 1997.

 

[1060]   Je suis d’accord avec M. Sewell en général, surtout dans les circonstances entourant cette annonce. L’examen que j’ai fait des facteurs énoncés dans l’arrêt Hercules m’amène à conclure qu’il était raisonnable pour LPL de se fier à l’annonce qui lui avait été faite. Je conclus également qu’il était raisonnablement prévisible que LPL se fierait à cette annonce.

 

4) La confiance à l’égard de l’annonce a-t-elle causé des dommages?

[1061]   Le lien de causalité a été expliqué par la Cour suprême dans l’arrêt Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, où la Cour déclare ce qui suit, à la page 326 du recueil :

La causalité est une expression du rapport qui doit être constaté entre l’acte délictueux et le préjudice subi par la victime pour justifier l’indemnisation de celle‑ci par l’auteur de l’acte délictueux. L’exigence que le demandeur démontre que la conduite délictueuse du défendeur a causé le préjudice du demandeur ou y a contribué est‑elle trop onéreuse? Un rapport moins important est‑il suffisant pour justifier une indemnisation?

 

[1062]    Dans l’arrêt Snell, la Cour suprême a dit qu’en évaluant le lien de causalité un tribunal doit aborder de manière décisive et pragmatique les faits principaux non contestés de l’affaire. Autrement dit, l’évaluation du lien de causalité oblige à appliquer le bon sens aux faits établis. Le lien de causalité doit quand même être prouvé selon la prépondérance des probabilités.

 

[1063]   Dans l’arrêt Athey, au paragraphe 14, la Cour suprême conclut que « [l]e critère général, quoique non décisif, en matière de causalité est celui du “facteur déterminant” (but for test), selon lequel le demandeur est tenu de prouver que le préjudice ne serait pas survenu sans la négligence du défendeur [...] ».

 

[1064]   Bien qu’il soit nécessaire d’appliquer le critère du facteur déterminant (le « but for ») selon la prépondérance des probabilités, il n’est pas nécessaire de prouver que la défenderesse a été la seule cause du préjudice; voir l’arrêt Athey, aux paragraphes 17 à 19.

 

[1065]   Le préjudice qu’a subi LPL était les pertes liées à une expectative qui découlaient de la fermeture de la scierie. Selon la prépondérance des probabilités et eu égard à la totalité de la preuve, je conclus que si la défenderesse avait fait savoir à LPL qu’elle avait des doutes précis au sujet de l’inventaire contenu dans le rapport Sterling Wood, il n’y aurait pas eu de suite à la coentreprise.

 

[1066]   Je conclus selon la prépondérance des probabilités que « sans » la déclaration inexacte faite par négligence de la défenderesse, les demanderesses n’auraient pas construit la scierie, la scierie n’aurait pas fermée et les demanderesses n’auraient pas subi les pertes liées à leur expectative.

 

(iii)      La négligence contributoire

[1067]   La défenderesse se fonde sur la Loi sur la négligence contributoire pour faire valoir qu’il faudrait répartir entre la défenderesse et les demanderesses la responsabilité relative aux dommages causés aux demanderesses.

 

[1068]   Si je comprends bien l’argument de la défenderesse, celle-ci se fonde sur la décision A.O. Farms pour faire valoir que LPL n’aurait pas dû se fonder sur les annonces du gouvernement. Dans cette décision le juge Hugessen déclare, au paragraphe 9, que :

Sans vouloir paraître trop cynique, je pense que très peu de gens aujourd’hui diraient qu’il est raisonnable de se fonder sur des promesses formulées par des politiciens, surtout en période préélectorale.

 

[1069]   Il n’est pas clair à mes yeux si la défenderesse étend cet argument aux employés du Ministère ou uniquement au ministre. Quoi qu’il en soit, dans l’arrêt Avco Financial Services Realty Ltd. c. Norman (2003), 64 O.R. (3d) 239 (C.A.), autorisation d’interjeter appel refusée (2003), 68 O.R. (3d) xvii, la Cour déclare, au paragraphe 27 :

[traduction] [...] en fait, si l’allégation de négligence contributoire est fondée sur la prétention selon laquelle la partie lésée a agi de manière déraisonnable en se fondant sur la déclaration inexacte, la question aura déjà été tranchée dans le cadre de la demande principale, et le plaidoyer de négligence contributoire ne sera pas accueilli. [...]

 

[1070]   J’ai déjà décidé que LPL s’était fondée raisonnablement sur l’annonce de la défenderesse et qu’il était raisonnablement prévisible qu’elle le ferait. Cet argument est sans fondement.

 

[1071]   Dans la mesure où la défenderesse a consacré une énergie considérable à discuter du caractère approprié de la scierie, je répéterai qu’il ne s’agit pas là d’une défense qui a été plaidée. Néanmoins, j’ai conclu plus tôt qu’au vu de la preuve, la scierie a été convenablement conçue et construite.

 

[1072]   Enfin, en ce qui concerne le caractère raisonnable de la réouverture de la scierie, j’ai conclu plus tôt que cette mesure était raisonnable. La défenderesse a fait de grands efforts pour encourager les demanderesses à rester à Watson Lake après la première fermeture de la scierie. Ces efforts ont inclus d’autres garanties et incitations. Dans ces circonstances, la défenderesse ne peut se fonder sur la réouverture de la scierie comme moyen de défense.

 

[1073]   La défenderesse a également fait valoir que la faute revient au « gestionnaire », ainsi qu’il est indiqué en détail dans l’attente de gestion que contient l’entente de coentreprises, pour avoir négligé de fermer la scierie. Cet argument est rejeté pour les deux motifs que j’ai expliqués plus tôt. J’ai déjà conclu qu’il était raisonnable de rouvrir la scierie. J’ai également expliqué que je ne peux pas attribuer en partie la responsabilité au gestionnaire, car cette société n’est pas partie à la présente instance.

 

[1074]   Il incombe à la défenderesse de prouver la négligence contributoire. Je conclus que la défenderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que LPL n’a pas fait preuve de négligence contributoire.

 

(iv) La conclusion sur la déclaration inexacte faite par négligence

[1075]   Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la défenderesse a fait une déclaration inexacte par négligence à LPL, que LPL s’est fondée sur cette déclaration à son détriment et qu’il s’en est ensuivi des pertes liées à une expectative.

 

4. L’inexécution de contrat

[1076]   Subsidiairement, les demanderesses allèguent que la défenderesse a rompu un contrat conclu avec elles. Elles se fondent sur l’existence d’un contrat qui a pris naissance à la suite d’une promesse que la défenderesse a faite, c’est-à-dire une promesse concernant l’attribution à long terme d’un approvisionnement en bois suffisant pour alimenter la scierie, à la condition que les demanderesses construisent cette dernière. Autrement dit, les demanderesses plaident l’existence d’un contrat unilatéral. Une responsabilité en matière contractuelle et une responsabilité en matière délictuelle peuvent prendre naissance simultanément; voir l’arrêt Atlantic Leasing Ltd.

 

[1077]   L’existence d’un contrat suppose une offre, une acceptation et une prise en considération. Ici, les demanderesses soutiennent que l’offre était un engagement de la part de la défenderesse à fournir du bois pour la scierie si les demanderesses la construisaient. Ces dernières soutiennent qu’une fois qu’elles ont construit la scierie, le contrat a été formé, invoquant la reconnaissance des contrats unilatéraux dans la décision rendue dans l’affaire United Dominions Trust (Commercial), Ltd. c. Eagle Aircraft Services Ltd., [1968] 1 All E.R. 104 (C.A.). La décision United Dominions Trust a été suivie par les tribunaux canadiens; voir Hubrisca Enterprises Ltd. c. Canada (Procureur général) (2001), 85 B.C.L.R. (3d) 126 (C.S.) et Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le), [1999] 1 R.C.S. 265.

 

[1078]   Les arguments qu’invoque la défenderesse au sujet de la question du contrat sont nombreux et variés. Cependant, ils ne répondent pas aux observations des demanderesses selon lesquelles un contrat a pris naissance, en droit, à partir des affaires que les parties ont conclues entre elles. La prémisse de base de l’argument des demanderesses est simple. Elles disent qu’une annonce a été faite : si elles construisaient une scierie, un approvisionnement en bois suffisant serait alors mis à sa disposition.

 

[1079]   La défenderesse nie qu’un contrat ait pris naissance à partir des interactions entre les parties. Elle allègue de plus que le cadre législatif pertinent, lequel est prévu par la Loi sur les terres territoriales, et l’absence d’un CRB délivré par le Conseil privé par la voie d’un décret, mine tout à fait tout motif pour conclure à l’existence d’un contrat. Elle soutient que des lettres envoyées par M. Ivanski le 4 juin 1996 et le 13 mars 1997 par le ministre Irwin ne peuvent pas constituer – et ne constituent pas – un motif de conclure à l’existence d’un contrat.

 

[1080]   La défenderesse met l’accent sur l’absence d’un CRB et soutient que sans cet accord le plaidoyer de contrat des demanderesses subit un coup fatal.

 

[1081]   Les demanderesses n’affirment pas qu’il y avait avec la défenderesse un contrat portant qu’un CRB serait accordé. Elles invoquent un motif d’action dont elle dispose en se fondant sur les faits connus et la preuve soumise dans le cadre de l’instruction de la présente affaire.

 

[1082]   Les demanderesses, en commençant par LPL en 1996, ont abordé les mandataires et les employés de la défenderesse en leur posant des questions au sujet de l’obtention de bois pour approvisionner une scierie à construire à Watson Lake. Les premières ouvertures faites en 1996 ont mené à la présentation de M. Brian Kerr aux membres du Groupe B.I.D., dont le siège se trouve à Vanderhoof (Colombie-Britannique). Cette présentation est survenue entre la fin de 1996 et le début de 1997. En juillet 1997, MM. Spencer et Fehr du Groupe B.I.D. se sont rendus à Whitehorse pour prendre part à une réunion avec des représentants du MAINC. MM. Alan Kerr et Brian Kerr ont assisté à cette réunion eux aussi, pour le compte de LPL.

 

[1083]   MM. Spencer et Fehr ont déclaré qu’à la suite de cette réunion, ils étaient convaincus que la défenderesse s’était engagée à fournir un approvisionnement de bois suffisant si la scierie était construite.

 

[1084]   MM. Alan Kerr et Brian Kerr, représentants de LPL, ont également déclaré qu’ils avaient compris que la défenderesse s’était engagée à fournir le bois qui était nécessaire pour exploiter la scierie.

 

[1085]   Se fondant sur cette annonce, LPL a décidé d’aller de l’avant, dans une coentreprise, dont SYFC a été choisie comme entité exploitante. Les demanderesses ont construit la scierie en 1997 et en 1998, et elle a commencé à être exploitée en octobre 1998.

 

[1086]   Pour ce qui de la question d’un contrat, le point de départ est, une fois de plus, la relation qu’entretiennent les parties. La défenderesse était la gardienne des ressources forestières du sud‑est du Yukon et les demanderesses étaient des entreprises privées désireuses de poursuivre des intérêts commerciaux dans cette région, dont la construction et l’exploitation d’une scierie qui procureraient des emplois dans une région présentant des taux de chômage chroniquement élevés, et cela permettrait aux politiques intégrées dans le règlement concernant la règle des 60/40 de s’appliquer, ce qui donnerait aussi des emplois aux bûcherons et exploitants forestiers. Il y avait un alignement d’intérêts.

 

[1087]   Comme je l’ai conclu plus tôt, la défenderesse a fait une annonce à LPL à l’occasion de la réunion de « diligence raisonnable » du 15 juillet 1997. En bref, il a été annoncé que [traduction] « si vous construisez une scierie, nous vous donnerons du bois ». Cette annonce contient les indications implicites qu’il existait un engagement à fournir un volume de bois suffisant à long terme à quiconque construisait une scierie dans le sud-est du Yukon, de même que la capacité de fournir le bois nécessaire.

 

[1088]   Je répète ici que mon opinion concernant l’annonce est étayée par le contexte factuel, tel qu’il était connu du MAINC à l’époque; voir l’analyse effectuée sous la rubrique de la déclaration inexacte faite par négligence. La conclusion est la suivante : à l’automne de 1998, il n’y avait aucun doute que les fonctionnaires du MAINC à Ottawa savaient que la scierie avait été construite par les demanderesses et qu’elle souffrait d’une pénurie de bois.

 

[1089]   Je fais de nouveau référence à la réunion du 14 novembre 2001, avec des représentants de l’industrie forestière à Whitehorse. Lors de cette réunion, le ministre Nault a admis qu’il avait été promis de fournir du bois si l’on construisait une scierie.

 

[1090]   Comme je l’ai fait remarquer plus tôt, M. Nault n’a pas été appelé à témoigner par la défenderesse. J’ai inféré de manière défavorable que son témoignage serait préjudiciable à la cause de la défenderesse.

 

[1091]   J’ai conclu, en fait, qu’une annonce a été faite à LPL au cours de l’été de 1997. L’annonce concernant la fourniture d’un approvisionnement en bois suffisant était une annonce continue. À mon avis, cette annonce a incité les demanderesses à construire la scierie et à poursuivre leurs activités en rouvrant la scierie en avril 1999, après avoir été exploitées au début d’octobre à décembre 1998. Dans l’arrêt Esso Petroleum Co. Ltd. c. Mardon, [1976] 2 All E.R. 5 (C.A.), la Cour a reconnu qu’une annonce qui mène à la conclusion d’un contrat peut donner lieu à une responsabilité.

 

[1092]   En l’espèce, je conclus que la défenderesse a fait une annonce qui, lorsque les demanderesses y ont donné suite, a donné lieu à l’existence d’un contrat entre les parties.

 

[1093]   Vu la nature d’un contrat unilatéral, je conclus que le contrat exécutoire a été conclu entre les demanderesses et la défenderesse. Il ressort de la preuve que le Ministère, en tentant de s’acquitter de son mandat législatif de développement économique au Yukon, avait pris cet engagement unilatéral envers n’importe quelle partie intéressée; par exemple, voir la page 4371 des notes sténographiques et la pièce P‑79, onglet 357. Comme l’engagement semble avoir été de nature générale, il était exécutoire entre la défenderesse et quiconque acceptait l’offre et construisait une scierie. Il est clair que tant LPL que SYFC ont pris part de manière concertée à la construction de la scierie de Watson Lake.

 

[1094]   De plus, l’engagement ne liait pas la défenderesse avant que les demanderesses construisent une scierie. En définitive, le fait que SYFC n’existait pas à l’époque où l’engagement initial a été pris n’empêche pas de conclure à l’existence d’un contrat.

 

[1095]   Dans la décision United Dominions Trust, lord Diplock a traité des contrats « unilatéraux » aux pages 109 et 110 du recueil, comme suit :

[TRADUCTION] Dans le cadre des contrats qui ne sont qu’unilatéraux, une partie que j’appellerai l’« auteur de la promesse », s’engage à faire ou à s’abstenir de faire quelque chose de son côté si une autre partie, le « bénéficiaire de la promesse », fait ou s’abstient de faire quelque chose, mais le bénéficiaire de la promesse ne s’engage pas à faire ou à s’abstenir de faire la chose en question. En droit anglais, les contrats de ce type les plus courants sont des options, moyennant une contrepartie valable, d’acheter ou de vendre ou d’accorder ou de prendre un bail, les concours menant à l’obtention d’un prix et les contrats du type de ceux qui sont analysés dans Carlill c. Carbolic Smoke Ball Co. (9). Un contrat unilatéral ne donne pas lieu à une obligation immédiate quelconque de la part de l’une ou l’autre partie de faire ou de s’abstenir de faire quelque chose, sauf peut-être une obligation de la part de l’auteur de la promesse de s’abstenir de se mettre dans une position où il ne pourra pas s’acquitter de son engagement dans l’avenir. À part cela, un contrat unilatéral ne peut jamais donner lieu à une obligation quelconque de la part de l’auteur de la promesse; cela ne se fera qu’à la survenue du fait précisé dans le contrat, c’est-à-dire l’acte de faire (ou de s’abstenir de faire), par le bénéficiaire de la promesse, d’une chose particulière. Le contrat unilatéral ne donne jamais lieu, cependant, à une obligation quelconque de la part du bénéficiaire de la promesse de faire naître le fait en faisant ou en s’abstenant de faire cette chose particulière. En fait, un contrat unilatéral ne donne jamais lieu en soi à une obligation quelconque de la part du bénéficiaire de la promesse de faire ou de s’abstenir de faire quelque chose. Dans sa forme la plus simple (p. ex., « si vous acquittez les frais d’entrée et gagnez la course, je vous paierais 100£ »), il n’en résulte aucune obligation que ce soit de la part du bénéficiaire de la promesse. Mais, dans sa forme plus complexe et plus usuelle, à titre d’option, l’engagement de l’auteur de la promesse peut consister à conclure un contrat synallagmatique avec le bénéficiaire de la promesse à la survenue du fait précisé dans le contrat unilatéral et, dans ce cas, le fait ainsi précisé doit être, ou à tout le moins inclure, la communication par le bénéficiaire de la promesse à l’auteur de cette dernière de l’acceptation, par le bénéficiaire de la promesse, de ses obligations en vertu du contrat synallagmatique. En concluant le contrat synallagmatique subséquent au moment où survient le fait précisé, l’auteur de la promesse s’acquitte de son obligation en vertu du contrat unilatéral et accepte de nouvelles obligations en vertu du contrat synallagmatique. Les obligations du bénéficiaire de la promesse prennent naissance, non pas à partir du contrat unilatéral, mais du contrat synallagmatique ultérieur qu’il n’était pas obligé de conclure, mais a décidé de le faire.

Il en résulte deux conséquences. La première est qu’il n’y a pas de place pour examiner si une mesure que prend le bénéficiaire de la promesse pour exécuter censément un contrat unilatéral équivaut à une violation d’une garantie ou une violation d’une condition de sa part, car il n’est pas tenu de prendre ou de s’abstenir de prendre une mesure quelconque. La seconde est que, en ce qui concerne l’auteur de la promesse, l’examen initial consiste à savoir si le fait, qui, en vertu du contrat unilatéral donne lieu à des obligations de la part de l’auteur de la promesse, a eu lieu. La réponse à cet examen ne peut être qu’un simple « oui » ou « non ». Le fait doit être désigné par sa description dans le contrat unilatéral; cependant, si ce qui est survenu n’est pas conforme à cette description, cela met fin à l’affaire. Il n’appartient pas au tribunal d’attribuer des conséquences différentes en cas de non-conformité à une partie de la description du fait, pas plus qu’à n’importe quelle autre partie, si les parties, par leur contrat, ne l’ont pas fait. Voir les affaires concernant les options : Weston c. Collins (10); Hare c. Nicoll, (11). La question qui se pose ici est : « de quoi les parties ont-elles convenu? » – pas « quelles sont les conséquences du fait de ne pas avoir posé les gestes qu’elles avaient convenu de poser? » comme c’était le cas dans l’affaire Hong Kong Fir (12). Une telle question ne peut se poser dans le cas d’un contrat unilatéral sauf si le fait donnant lieu aux obligations de l’auteur de la promesse a eu lieu.

 

[1096]   Les demanderesses soutiennent que ce sont les mêmes principes et la même analyse qui s’appliquent en l’espèce. Elles disent qu’à la suite de l’annonce que la défenderesse a faite au cours de l’été de 1997, elles sont allées de l’avant et ont construit la scierie.

 

[1097]   La défenderesse a raison de dire qu’il n’existe aucun décret accordant un CRB. Le contrat entre les parties n’avait pas trait à un CRB; il avait trait à un approvisionnement en bois suffisant à long terme. Il n’appartient pas à la Cour de dire aux parties à un contrat comment s’acquitter de leurs obligations contractuelles. La défenderesse a affirmé pendant toute sa relation avec les demanderesses que le processus d’approvisionnement en bois changeait. Il relevait du pouvoir de la défenderesse de changer le processus ou d’obtenir l’autorisation nécessaire, conformément à ses obligations contractuelles.

 

[1098]   À mon avis, la défenderesse n’avait pas le droit de ne pas prendre les mesures nécessaires pour achever un contrat, et se fonder ensuite sur son incapacité à l’achever. Cela était particulièrement le cas après que les demanderesses eurent construit la scierie de Watson Lake.

 

[1099]   Il est crucial de garder à l’esprit les circonstances entourant l’annonce que la défenderesse a faite. Cette dernière avait besoin de la scierie des demanderesses.

 

[1100]   M. Sewell a déclaré que le bureau régional allait respecter ses engagements verbaux. Il est clair qu’il savait que les demanderesses avaient besoin d’une tenure à long terme pour exploiter avec succès leur scierie. En outre, il a déclaré que l’obtention d’un décret [traduction] « devrait être assez simple ».

 

[1101]   En 1996, la PNL s’est vue accordé un CRB dans un délai d’environ six mois. Cela incluait un décret.

 

[1102]   Le 20 mai 2000, une réunion a eu lieu entre la YFIA et le MAINC, y compris le ministre Nault. À cette réunion, le ministre a qualifié de [traduction] « petit obstacle » les difficultés qu’avait l’industrie à avoir accès à un approvisionnement en bois suffisant à long terme. SYFC était représentée à cette réunion; voir la pièce P‑79, onglet 282.

 

[1103]   Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que l’absence d’un décret ne porte pas un coup fatal à la cause d’inexécution contractuelle des demanderesses, et c’est ce que je conclus.

 

La défenderesse se plaint qu’il n’y a pas eu de contrepartie pour le contrat présumé. Je ne suis pas d’accord.

[1104]   Dans le cas de ce contrat unilatéral, la « contrepartie » était la construction de la scierie. Comme l’explique la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sail Labrador, au paragraphe 33 :

[...] un contrat unilatéral est un contrat par lequel une seule partie fait une promesse. Cette promesse prend la forme d’une offre qui ne peut être acceptée qu’au moyen de l’exécution ou de la non‑exécution de l’acte visé. Une telle exécution donne à l’autre partie une contrepartie lui permettant de faire exécuter la promesse originale (Treitel, aux pp. 35 et 36; Waddams, à la p. 111; United Dominions Trust (Commercial), Ltd. c. Eagle Aircraft Services, Ltd., [1968] 1 All E.R. 104 (C.A.)).

 

[1105]   La construction de la scierie est l’acte qui a servi de contrepartie à la défenderesse et qui a mené à la cristallisation du contrat unilatéral. À l’appui de cette conclusion, je me reporte à la décision rendue dans l’affaire Daulia Ltd. c. Four Millbank Nominees Ltd., [1978] 2 All E.R. 557 (C.A.), aux pages 560 et 561 :

[TRADUCTION] Le concept d’un contrat unilatéral est quelque peu atypique parce qu’il est évident que, tant que le destinataire de l’offre n’a pas commencé à exécuter la condition, il n’existe aucun contrat, mais simplement une offre que l’auteur de cette dernière a le loisir de révoquer. Des doutes ont été exprimés au sujet de la question de savoir si l’auteur de l’offre devient lié aussitôt que le destinataire de cette dernière commence à exécuter ou à remplir la condition, ou uniquement lorsqu’il l’a fait entièrement. À mon avis, toutefois, nous n’avons pas affaire en l’espèce à un tel problème parce que je suis d’avis que les demanderesses avaient pleinement exécuté ou rempli la condition lorsqu’elles se sont présentées à l’heure et à l’endroit désignés avec une traite bancaire pour le dépôt et leur partie du contrat de vente écrit dûment remplie et signée, de même que le nouvel appel d’offres, ce qui signifie, d’après ce que j’ai compris, qu’elles l’ont présenté pour échange. L’échange proprement dit, qui n’a jamais eu lieu, n’aurait pas fait partie selon moi de la réalisation de la condition, mais de quelque chose de plus qu’il était nécessaire en soi que les demanderesses fassent pour permettre aux défenderesses d’exécuter le contrat unilatéral et non pas les y obliger.

En conséquence, à mon avis, la réponse à la première question doit être affirmative.

Même si mon raisonnement jusqu’ici est erroné, la conclusion est, selon moi, toujours la même pour les motifs suivants. Bien que je crois qu’il faut en général considérer, dans le cas d’un contrat unilatéral, que l’auteur de l’offre a le droit d’exiger la réalisation complète de la condition qu’il a imposée et que, sans cela, il n’est pas lié, ce fait doit faire l’objet d’une nuance importance, qui découle du fait qu’il doit y avoir une obligation implicite de la part de l’auteur de l’offre de ne pas empêcher que la condition soit réalisée, laquelle obligation, me semble-t-il, doit prendre naissance aussitôt que le destinataire de l’offre commence à réaliser la condition. Jusque-là, l’auteur de l’offre peut révoquer l’affaire tout entière, mais, une fois que le destinataire de l’offre s’est lancé dans la réalisation de la condition, il est trop tard pour l’auteur de l’offre de révoquer cette dernière.

 

[1106]   Les avantages de la scierie n’étaient pas censés être unilatéraux. Des emplois allaient être créés, car les bûcherons locaux auraient eu la possibilité de travailler dans l’industrie forestière conformément au règlement qui exigeait que 60 % de tout le bois coupé au Yukon soit transformé sur place, avant qu’une seule bille de bois puisse être transformée à l’extérieur du Territoire. La défenderesse en tirerait un avantage politique parce qu’elle serait en mesure de faire valoir qu’elle avait pris des mesures propices au développement économique au Yukon. En outre, grâce à une installation de transformation du bois, il serait possible de récolter plus de bois et le gouvernement toucherait des millions de dollars en redevances tirées des droits de coupe.

 

[1107]   De plus, la défenderesse soutient qu’aucune déclaration d’un ministre seul n’était suffisante pour donner naissance à un contrat. À cet égard, elle soutient que le contrat présumé est lié à un droit sur des terres et que, de ce fait, il doit être mis par écrit, conformément à l’article 4 de la Statute of Frauds, 1677 (Eng.), 29 Car 2, c. 3, comme suit :

[traduction] Aucune action ne peut être intentée [...] sur tout contrat de vente de terres [...] ou tout droit relatif à ces dernières [...] à moins que l’entente sur laquelle se fonde l’action en justice, ou une note de service connexe, soit écrite et signée par la partie visée ou par une autre personne légalement autorisée par elle.

 

[1108]   La réponse des demanderesses à cet argument est que la Statute of Frauds ne peut avoir pour effet de faire échec à un contrat verbal exécuté en partie. À cet égard, elles se fondent sur l’arrêt Hill c. Nouvelle-Écosse (Procureur général), [1997] 1 R.C.S. 69, dans lequel la Cour suprême du Canada a reconnu le principe d’equity de l’exécution partielle. Au paragraphe 8, la Cour écrit ce qui suit :

La province a promis à M. Hill l’accès à la route. Elle a rempli cette promesse en construisant et en entretenant pendant 27 ans des rampes donnant accès à la route à partir du bien-fonds de M. Hill. Par conséquent, M. Hill a acquis ce qu’on pourrait appeler une «permission en equity» (ou intérêt) l’autorisant à accéder à la route et à la traverser. Il est vrai que l’al. 21(1)a) de la Public Highways Act, R.S.N.S. 1954, ch. 235, exige qu’une telle permission soit consignée par écrit, et il est bien possible que cette exigence ait été satisfaite en l’espèce. Toutefois, même en supposant qu’elle ne l’a pas été, l’exigence d’un écrit découle simplement du Statute of Frauds, qui vise à prévenir [traduction] «un grand nombre de pratiques frauduleuses, généralement soutenues par le parjure et la subornation de témoin». Voir Steadman c. Steadman, [1976] A.C. 536 (H.L.), à la p. 558, où l’on cite le préambule du Statute of Frauds, 1677 (Angleterre).

 

[1109]   Au paragraphe 18, la Cour résume ses conclusions :

Bref, des représentants autorisés de la Couronne ont, de vive voix et dans des lettres, déclaré que Hill aurait un intérêt foncier lui permettant de traverser la route avec son bétail et son matériel. La Couronne s’est conformée à ces déclarations par ses travaux de construction et d’entretien. Il était prévisible que Hill se fierait à cette déclaration. C’est ce qu’il a fait, mais à son détriment. Les paroles et les actions de la Couronne ont créé un intérêt foncier en equity qui a pris la forme d’un droit de passage permettant de traverser la route. La Couronne entendait que ce droit soit exercé, et il l’a effectivement été pendant plus de 27 ans. Il serait injuste de ne pas reconnaître les déclarations et les actions de la Couronne qui ont créé l’intérêt foncier en equity, alors que Hill s’y est fié. Cet intérêt en equity est visé par la définition de bien‑fonds dans l’Expropriation Act, et les dommages découlant de l’expropriation de cet intérêt sont, en règle générale, indemnisables. Il ne reste qu’à déterminer si la renonciation signée par Ross Hill fait obstacle à leur recouvrement.

 

[1110]   En définitive, la Cour suprême a conclu que le principe d’equity de l’exécution partielle s’appliquait à l’égard de la Couronne, même s’il s’agissait de la Couronne du chef de la province de la Nouvelle-Écosse et non de la Couronne fédérale. Il n’y a, selon moi, aucune raison de principe pour laquelle la Couronne fédérale est dispensée de l’application de ce principe d’equity et je fais référence au paragraphe 16 de l’arrêt Hill, où la Cour suprême indique ceci :

Dans la mesure où l’arrêt de la Chambre des lords Howell c. Falmouth Boat Construction Co., [1951] A.C. 837 est à l’effet contraire, je suis d’avis de ne pas le suivre. Il est vrai qu’on ne peut invoquer la préclusion contre la Couronne lorsqu’un texte de loi exige le contraire. Malgré cela, l’exigence d’un écrit ne peut faire obstacle à l’application de la doctrine de l’exécution partielle. Comme l’indique clairement l’arrêt de la Chambre des lords Steadman, précité, l’objet même de cette doctrine est d’éviter que le Statute of Frauds ne soit appliqué de façon inéquitable. De plus, le fait qu’en l’espèce la Couronne soit l’une des parties ne change rien. L’exigence d’un écrit n’a pas un caractère plus impératif à l’endroit de la Couronne qu’à l’égard de particuliers. Il convient toutefois de préciser que ce raisonnement ne peut être étendu de manière à permettre l’application de la préclusion à d’autres lois que le Statute of Frauds (et ses équivalents). L’exigence d’un écrit doit exceptionnellement être écartée en cas d’exécution partielle ou de préclusion fondée sur la conduite, parce que l’exécution partielle ou la conduite en question satisfont l’objet même visé par l’écrit. Néanmoins, il est possible que d’autres dispositions législatives visent des fins à ce point différentes que l’obligation qu’elles font relativement à l’utilisation d’une formule ou d’un autre document aura généralement un caractère impératif.

 

[1111]   Il y a eu exécution partielle et la défenderesse ne peut invoquer la Statute of Frauds pour se soustraire aux conséquences de son inexécution contractuelle.

 

[1112]   La défenderesse allègue également que s’il existait un contrat, elle a été incitée à le conclure par les fausses déclarations de LPL. Cet argument ne peut être retenu.

 

[1113]   Même si les propositions d’affaires initiales envisageaient la construction d’une installation d’une taille nettement supérieure à celle de la scierie qui a été construite, la défenderesse a été informée, par M. Gurney, pour le compte de LPL, que ces propositions étaient un [traduction] « sujet de conversation ou un point de départ »; voir la pièce D-81, onglet 222. Je souligne également que M. Ivanski était au courant que l’on avait réduit l’ampleur du projet. Il a transmis des informations à cet égard au cabinet du ministre Irwin le 7 novembre 1996; voir la pièce P-79, onglet 38 :

[traduction] Juste une note sur le groupe que vous avez rencontré à Dawson au cours du Gold Show. Leur concept initial était un méga-projet coûtant 150 millions de dollars et plus, si vous vous en rappelez. Ce groupe a réduit quelque peu l’ampleur de son projet et va de l’avant. Il nous a présenté il y a quelques jours un aperçu, c’est-à-dire une scierie capable de transformer de 150 à 200 mille mètres cubes de bois par année, qui serait ensuite finie à Vancouver et expédiée au Japon.

 

[1114]   La défenderesse se fonde sur la thèse selon laquelle un entrepreneur faisant affaire avec le gouvernement est présumé être au courant des exigences législatives applicables; voir The Queen c. Woodburn (1898), 29 R.C.S. 112, à la page 123.

 

[1115]   La défenderesse soutient également qu’il ne peut pas y avoir de contrat avant que les parties aient convenu de la totalité des conditions, à l’exception de celles que la loi fournira. Elle ajoute qu’il n’y a aucune certitude quant aux conditions essentielles.

 

[1116]   Les conditions qui, selon la défenderesse, sont nécessaires pour conclure à l’existence d’un contrat sont les suivantes :

1)   le volume de bois;

2)   la durée de l’entente;

3) le lieu où le bois sera récolté;

4) la protection de l’environnement;

5) les normes de sécurité;

6) les normes d’emploi;

7) les normes d’utilisation;

8) les droits de coupe;

9) les exigences sylvicoles;

10) le nombre d’emplois à créer;

11) la participation des Premières nations;

12) l’équipement de récolte et de sciage à utiliser;

13) les étapes, les délais et le financement des phases du projet;

14) les avantages de la cogénération.

 

[1117]   À mon avis, certaines de ces conditions sont essentielles. Cependant, je ne souscris pas à l’argument de la défenderesse selon lequel ces conditions sont toutes essentielles. Je me reporte au fait que le contrat qui avait été conclu avec KFR ne traitait pas comme il faut d’un grand nombre des conditions que la défenderesse considère maintenant comme essentielles; voir la pièce P‑80, onglet 35.

 

[1118]   À mon avis, un grand nombre de ces conditions sont souhaitables pour le Ministère, mais il n’y a aucune preuve qu’elles seraient nécessaires; c’est le cas, par exemple, du degré de participation des Premières nations et du nombre d’emplois à créer.

 

[1119]   J’ai conclu que l’engagement que la défenderesse a pris à l’endroit des demanderesses comportait la promesse implicite de procurer un volume de bois suffisant à long terme à quiconque construisait une scierie.

 

[1120]   La défenderesse savait que les demanderesses avaient besoin de 200 000 m3 par année pour exploiter la scierie d’une manière économiquement efficace. M. Sewell, le représentant de la défenderesse, a reconnu que le Ministère savait que le volume requis était de 200 000 m3. Il n’y a aucune incertitude en ce qui concerne le volume.

 

[1121]   Je conclus qu’il était une condition implicite du contrat unilatéral que le volume annuel de bois prévu par l’entente était de 200 000 m3.

 

[1122]   En ce qui concerne la durée de l’entente, l’annonce implicite d’un approvisionnement suffisant à long terme concernait une période de vingt ans.

 

[1123]   M. Sewell a témoigné qu’un CRB [traduction] « existait » depuis les années 1960 et avait été attribué à diverses entreprises avant d’être cédé à KFR.

 

[1124]   Selon la pièce P‑80, onglet 26, un document interne du MAINC, le CRB qui a été assigné à KFR en 1992, a été signé en 1979. Ce document indique également que le CRB de KFR expirerait en 1999. Ce CRB confirme la conduite qu’avait antérieurement le Ministère d’accorder des CRB d’une durée de vingt ans.

 

[1125]   Je fais également référence au contexte qui régnait dans le sud-est du Yukon à l’époque où LPL est [traduction] « entrée sur la scène » en 1996. À cette époque, comme je l’ai relaté plus tôt, des changements d’ordre réglementaire concernant l’accès au bois étaient envisagés et en cours. Le Ministère s’inquiétait sérieusement du défaut de KFR de construire une scierie, ce qui était au départ une condition préalable à l’assignation du CRB à KFR. Le temps était avenu d’encourager l’industrie privée à intervenir et à construire une scierie. Cet encouragement a été étendu à LPL et, plus tard, à SYFC.

 

[1126]   Selon le témoignage de M. Sewell, à la page 4128 des notes sténographiques, la tenure à long terme était nécessaire pour assurer le développement économique futur.

 

[1127]   Selon la preuve, une tenure à long terme d’une durée d’au moins vingt ans concorde avec les pratiques de l’industrie dans d’autres provinces.

 

[1128]   M. Gartshore a également témoigné, aux pages 1062 à 1063 des notes sténographiques, que lorsqu’il a été question du [traduction] « long terme », la durée serait de vingt ans, compte tenu surtout de l’importance du financement nécessaire pour la phase 2.

 

[1129]   Compte tenu de l’important investissement de capitaux que comporte la construction d’une scierie, compte tenu du fait que le CRB de KFR existait depuis la fin des années 1960 et du fait que sa version la plus récente s’appliquait sur vingt ans, et compte tenu du fait que les changements réglementaires que le Ministère avait introduits au milieu des années 1990 exigeaient que l’on construise une scierie locale, je conclus qu’il était une condition implicite du contrat unilatéral que la durée de ce contrat serait de vingt ans.

 

[1130]   Le fait qu’il a été question dans diverses ébauches de propositions concernant le processus de CRB d’une durée de cinq ans renouvelable pour un CRB ne change pas mon opinion à cet égard. Les ébauches de propositions ont été créées après que l’engagement a été pris, et après que la scierie a été construite.

 

[1131]   L’accent que met la défenderesse sur le lieu de la récolte est un autre signe qu’elle a mal compris que la réclamation pour inexécution contractuelle ne découlait pas de la non-délivrance d’un CRB. Le lieu de la récolte de bois n’est pas une condition essentielle. À mon avis, la fourniture d’un approvisionnement en bois suffisant à long terme ne se limite pas forcément à une région géographique précise au sein des UAF Y02 et Y03.

 

[1132]   La défenderesse allègue également que de nombreuses questions, qui sont en fait des décisions d’affaires des demanderesses, étaient des conditions essentielles. Elle soutient qu’il ne pouvait pas y avoir de contrat sauf si des conditions réglées, tels que l’équipement à utiliser, les phases, les délais et le financement du projet de scierie, et les avantages de la cogénération. Je conclus que ces questions sont toutes des décisions d’affaires qui relèvent exclusivement des demanderesses. Ces conditions n’étaient pas nécessaires pour conclure à l’existence d’un contrat entre les demanderesses et la défenderesse.

 

[1133]   L’argument de la défenderesse est contraire à la preuve qui figure dans le dossier. La preuve documentaire de la défenderesse, ainsi que le témoignage de ses témoins, démontrent que le Ministère ne prend pas de décision d’affaires pour les promoteurs d’un projet.

 

[1134]   À mon avis, les conditions essentielles présumées qui subsistent sont tirées des dispositions législatives et réglementaires ou des politiques ministérielles en vigueur. Les demanderesses sont réputées connaître les lois et les règlements applicables. Il est clair aussi que les demanderesses étaient au courant des politiques du Ministère.

 

[1135]   En définitive, je conclus qu’il n’y avait aucune incertitude quant aux conditions nécessaires.

 

[1136]   La défenderesse a également attiré l’attention de la Cour sur le fait que M. Fehr a déclaré qu’il n’existait aucun contrat. La conclusion relative à l’existence d’un contrat est une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher, et non à M. Fehr.

 

[1137]   Je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu un contrat unilatéral entre les parties et que la défenderesse a rompu cette entente en négligeant de fournir 200 000 m3 de bois approprié.

 

[1138]   Dans une certaine mesure, l’approvisionnement en bois des demanderesses dépendait de la capacité de ces dernières d’acheter du bois auprès de détenteurs de PCC. Pendant que le MAINC tardait à traiter les demandes de PCC, il n’y avait pas de bois à acheter. Dans l’ensemble, le processus d’élaboration d’un régime de récolte de bois à long terme s’est embourbé dans un fatras de mesures de rédaction et de nouvelle rédaction ainsi que de demandes de consultation. Il y a une atmosphère perceptible de « surcharge » administrative qui n’a pas contribué au traitement ordonné des PCC ou à la détermination de délais raisonnables pour répondre aux nombreuses demandes d’information des demanderesses au sujet des délais dans lesquels agir.

 

[1139]   Néanmoins, la défenderesse a conclu cette affaire. Il n’appartient pas à la Cour de déterminer le degré de prudence dont il faut faire preuve en promettant de faire une chose, chose dont des éléments ne sont peut-être pas du ressort de la défenderesse.

 

[1140]   Une fois qu’un contrat a pris naissance entre les demanderesses et la défenderesse, les demanderesses avaient droit à ce qu’on les traite équitablement, c’est-à-dire de bonne foi. D’après les éléments de preuve présentés, cela n’a pas été le cas.

 

[1141]   Dans l’arrêt Carrier Lumber Ltd., la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu à la responsabilité de la défenderesse pour inexécution contractuelle et, aux paragraphes 460 et 461 de sa décision, elle a déclaré ce qui suit :

[traduction] Dans les circonstances de l’espèce, je conclus que la défenderesse a violé les conditions de l’entente qu’elle a conclue avec Carrier; premièrement, en négligeant de fournir le volume de bois qu’exigeait le permis; deuxièmement, en manipulant les procédures administratives de son ressort pour retenir irrégulièrement des permis de coupe et utiliser irrégulièrement ses pouvoirs de suspension et d’annulation pour empêcher l’exécution du contrat; troisièmement, vis-à-vis des Premières nations, en faisant des promesses et en prenant des engagements qui ont eu manifestement pour effet de faire obstacle à tout règlement raisonnable du litige et qui ont donc fait obstacle à l’exécution du contrat conclu avec Carrier.

Ces manquements étaient au cœur du contrat conclu entre les parties et constituaient une violation fondamentale de ce dernier.

 

[1142]   Ces commentaires sont pertinents en l’espèce. Tout d’abord, la défenderesse a négligé de procurer l’approvisionnement en bois aux demanderesses, conformément à la promesse qui avait donné naissance au contrat conclu avec ces dernières. Deuxièmement, il y a une preuve que des fonctionnaires et des représentants de la défenderesse, c’est-à-dire des employés du MAINC en poste au bureau régional de Whitehorse, ont manipulé les processus de façon à ce que le bois ne puisse pas être mis à la disposition des demanderesses. À cet égard, je fais référence à la méthode par laquelle l’AAF a été créée et la DP a été modifiée. Je fais également référence aux commentaires que j’ai faits sur la mauvaise foi lors de l’analyse de la négligence.

 

[1143]   En outre, je prends note des nombreuses déclarations fallacieuses que le bureau régional a faites à l’Administration centrale du MAINC à Ottawa en ce qui concerne les antécédents, la conduite et le rendement des demanderesses.

 

[1144]   Il semble qu’au Canada l’état actuel du droit ne reconnaisse pas une obligation indépendante de bonne foi fondée sur le droit des contrats. Dans la décision Schluessel c. Maier (2001), 85 B.C.L.R. (3d) 239 (C.S.), infirmée en partie pour d’autres motifs (2003), 15 B.C.L.R. (4th) 209 (C.A.), aux paragraphes 129 et 130, le juge Harvey de la Cour suprême de la Colombie-Britannique déclare ce qui suit :

[traduction] [...] À mon avis, il est donc impossible de souscrire à l’opinion voulant qu’il existe en droit une obligation générale de bonne foi. L’obligation de bonne foi, là où elle existe, est une question de fait qui figure dans les conditions expresses du contrat ou qui est implicitement dérivée des attentes raisonnables des parties.

Il est toutefois possible de souscrire à une thèse connexe et un peu plus étroite – à savoir qu’une partie à un contrat ne peut pas agir, en rapport avec ce dernier, d’une manière qui annule l’objectif ou l’avantage négocié dont bénéficie l’autre partie en vertu du contrat. Cette thèse est expressément adoptée par la Cour d’appel de la C.‑B. dans l’arrêt Mannpar Enterprises c. Canada (1999), 173 D.L.R. (4th) 243 (C.A.C.-B.). Les parties n’ont pas cité cet arrêt, peut-être parce qu’il porte spécifiquement sur les exigences de bonne foi dans le contexte d’ententes à négocier et qu’il déclenche donc des considérations qui ne sont pas directement pertinentes à l’égard de contrats entièrement « cristallisés ». Je crois néanmoins que la Cour d’appel confirme un principe général du droit des contrats, indépendamment du contexte de son application.

 

[1145]   Ce point de vue du droit concorde avec les propos du lord-juge Goff dans l’arrêt Daulia. Il n’est pas loisible à une partie à un contrat de recourir à un comportement qui ferait échec à l’objet du contrat. En l’espèce, l’objet était de disposer d’une scierie dans le sud-est du Yukon avec un approvisionnement en bois à long terme de 200 000 m3 qui permettrait à cette scierie d’exécuter ses activités de manière efficace et économique.

 

[1146]   En l’espèce, je conclus que la défenderesse s’est livrée à un comportement qui correspond au comportement dont il est question dans la décision Schluessel.

 

[1147]   En résumé, j’ai conclu qu’il existait un contrat unilatéral, que les demanderesses ont donné suite à l’annonce de la défenderesse et ont construit la scierie, et que la défenderesse a rompu ce contrat.

 

5. Le manquement à une obligation fiduciaire

[1148]   Subsidiairement, les demanderesses allèguent que la défenderesse a manqué à une obligation fiduciaire qui leur était due. À cet égard, elles soutiennent qu’une relation fiduciaire proprement dite a découlé du fait que la défenderesse, en sa qualité de fiduciaire du fonds pour scierie, a autorisé l’investissement d’une somme d’environ 500 000 $ dans la scierie de Watson Lake, un investissement qui a été officialisé par une modification à l’entente de coentreprise qui est entrée en vigueur en date du 14 avril 1999. L’investissement a été fait pour le compte de KFR, l’entité exploitante de la PNL, et qui a fait de KFR une participante à la coentreprise.

 

[1149]   Les demanderesses soutiennent qu’une fois que l’investissement a été fait, la défenderesse avait envers les autres participants à la coentreprise la même obligation qu’envers KFR, soit d’agir au profit de tous les participants à la coentreprise. Les demanderesses soulignent que la relation étroite entre elles et la défenderesse est un facteur qui fait pencher la balance en faveur de l’existence d’une relation fiduciaire. Se fondant sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’affaire Guérin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, les demanderesses disent que, d’après les tribunaux, les catégories de relations fiduciaires ne sont pas fermées et qu’il est nécessaire d’examiner de près les faits de chaque affaire pour déterminer s’il existe une telle relation.

 

[1150]   Dans l’arrêt Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, la Cour suprême du Canada a développé davantage son analyse concernant la genèse et l’existence d’une relation fiduciaire. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a examiné l’évolution des conclusions de responsabilité pour manquement à des obligations fiduciaires et a fait remarquer que la vulnérabilité respective des parties, bien qu’il ne s’agisse pas d’une « marque distinctive », est une « indication importante de son existence [...]. Ces en fait le “fil d’or” qui unit les causes d’action connexes comme le manquement à une obligation fiduciaire, l’abus d’influence, l’iniquité et la déclaration inexacte faite par négligence ». La Cour a relevé les indicateurs pertinents qui permettent de conclure à l’existence d’une relation fiduciaire, comme la possibilité d’exercer unilatéralement un pouvoir discrétionnaire quelconque.

 

[1151]   Cependant, il m’est impossible de conclure que la défenderesse agissait dans le cadre d’une relation fiduciaire avec les demanderesses en rapport avec l’approvisionnement en bois de la scierie de Watson Lake.

 

[1152]   Le critère juridique est clair : le fiduciaire doit agir dans l’intérêt du bénéficiaire, à l’exclusion de ses propres intérêts. Au vu des faits de l’espèce, cette obligation ne peut être imposée à la défenderesse. Cette dernière a pour mandat de gérer les ressources forestières au profit d’un grand nombre de personnes et d’entités, et pas seulement pour les demanderesses.

 

[1153]   Les demanderesses ne prétendent pas qu’elles ont un droit exclusif sur un approvisionnement en bois suffisant; leur réclamation est bien précise et se limite à un approvisionnement de 200 000 m3 par année. La condition selon laquelle un fiduciaire doit agir au profit des demanderesses créerait un conflit avec l’acquittement des obligations de droit public de la défenderesse en général, une question qu’a analysée le juge Rothstein (avant d’être nommé à la Section d’appel) dans la décision Première nation de Fairford c. Canada (Procureur général), [1999] 2 C.F. 48 (1re inst.), au paragraphe 67 :

On placerait ainsi le gouvernement dans une situation où il y aurait conflit entre la responsabilité qui lui incombe d’agir dans l’intérêt public et l’obligation fiduciaire de loyauté qu’il a envers la bande indienne à l’exclusion des autres intérêts. En l’absence de dispositions législatives ou constitutionnelles contraires, le droit des obligations fiduciaires, dans le contexte autochtone, ne peut pas être interprété comme plaçant la Couronne dans la situation impossible d’avoir à renoncer à ses obligations de droit public lorsque pareilles obligations sont contraires aux intérêts des Indiens.

 

[1154]   Même s’il était question dans la décision Première nation de Fairford d’une analyse de l’obligation fiduciaire dans un contexte autochtone, il s’agit là d’un énoncé correcte du droit lorsqu’il est question de la Couronne à titre de fiduciaire en général; voir Harris c. Canada, [2002] 2 C.F. 484 (1re inst.).

 

[1155]   Dans les circonstances de l’espèce et compte tenu de la décision qu’a récemment rendue la Cour suprême du Canada dans Galambos c. Perez, [2009] 3 R.C.S. 247, au sujet des exigences essentielles pour fonder une relation fiduciaire, je conclus qu’aucune relation de cette nature n’a pris naissance entre les demanderesses et la défenderesse au vu des faits de l’espèce. Cette cause d’action est rejetée.

 

6. La faute dans l’exercice d’une charge publique

[1156]   Comme autre et dernière option, les demanderesses plaident la faute dans l’exercice d’une charge publique, notamment en ce qui concerne certaines promesses qu’a faites Mme Guscott, qui était à l’époque la directrice des Ressources renouvelables du MAINC, à Allied Resources Ltd. La prétention est énoncée aux paragraphes 31 et 32, comme suit :

[traduction
31. Entre les mois de mars 1997 et août 2001, le MAINC, par l’entremise de son employée et représentante Jennifer Guscott, la directrice des Ressources renouvelables, région du Yukon, ainsi qu’en sa qualité de fonctionnaire de la défenderesse, a exercé ses pouvoirs de fonctionnaire dans le but et l’intention irréguliers et malveillants de causer un préjudice et des dommages aux demanderesses en promettant des bois de récolte de bois dans la région deWatson Lake à une tierce partie, soit Allied Resources Ltd., dans le but d’inciter cette dernière à établir une scierie dans la région de Watson Lake, alors qu’elle savait que la quantité de bois disponible était insuffisante pour s’acquitter des assurances, des annonces, des engagements et des promesses que la défenderesse avait faits aux demanderesses, ainsi que dans le but de priver ces dernières de droits de récolte de bois ou de bois, contrairement aux garanties, aux annonces, aux engagements et aux promesses susmentionnés qui ont été faits aux demanderesses, et en sachant que l’approvisionnement en bois avait été antérieurement garanti, annoncé, engagé et promis aux demanderesses, ce qui constituait un abus de charge publique.

32. À la suite des promesses faites à la tierce partie, Allied Resources Ltd., la tierce partie a établie une scierie dans la région de Watson Lake au cours de l’automne de 1999, et a fait l’acquisition d’environ 100 000 mètres cubes de bois par année pour sa scierie, privant ainsi les demanderesses de cet approvisionnement en bois pour sa propre scierie, ce qui lui a causé une perte et des dommages.

 

[1157]   Dans l’arrêt Succession Odhavji c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263, au paragraphe 23, la Cour suprême du Canada traite du critère à appliquer pour établir le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique :

Il existe à mon avis deux éléments communs. Premièrement, le fonctionnaire public doit avoir agi en cette qualité de manière illégitime et délibérée. Deuxièmement, le fonctionnaire public doit avoir été conscient du caractère non seulement illégitime de sa conduite, mais aussi de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur. C’est la manière dont le demandeur prouve les éléments propres au délit qui permet de distinguer les formes que prend la faute dans l’exercice d’une charge publique. Dans la catégorie B, le demandeur doit établir l’existence indépendante des deux éléments constituant le délit. Dans la catégorie A, le fait que le fonctionnaire public ait agi expressément dans l’intention de léser le demandeur suffit pour établir l’existence de chaque élément du [page 282] délit, étant donné qu’un fonctionnaire public n’est pas habilité à exercer ses pouvoirs à une fin irrégulière, comme le fait de causer délibérément préjudice à un membre du public. Dans les deux cas, le délit se caractérise par une insouciance délibérée à l’égard d’une fonction officielle conjuguée au fait de savoir que l’inconduite sera vraisemblablement préjudiciable au demandeur.

 

[1158]   Au paragraphe 32, le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour suprême, résume en ces termes les éléments de la faute dans l’exercice d’une charge publique :

Pour résumer, j’estime que la faute commise dans l’exercice d’une charge publique constitue un délit intentionnel comportant les deux éléments distinctifs suivants : (i) une conduite illégitime et délibérée dans l’exercice de fonctions publiques; et (ii) la connaissance du caractère illégitime de la conduite et de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur. À cela s’ajoute l’exigence pour le demandeur d’établir l’existence des autres conditions [page 287] communes à tous les délits. Plus précisément, le demandeur doit démontrer que les préjudices qu’il a subis ont pour cause juridique la conduite délictuelle, et que ces préjudices sont indemnisables suivant les règles de droit en matière délictuelle.

 

[1159]   Les demanderesses n’ont produit aucune preuve pour établir les allégations précises qu’elles ont alléguées dans leur déclaration modifiée quant à la promesse censément faite pour procurer à Allied Resources Ltd. un approvisionnement en bois d’un volume de 100 000 m3. Le fondement probant le plus proche est la réponse qu’ont donnée les demanderesses à l’avis de reconnaissance que la défenderesse a produit.

 

[1160]   Aucun des témoins n’a parlé de cette question de la promesse censément faite à Allied Resources Ltd. Mme Guscott n’a pas témoigné et les courriels qui ont été produits en son nom ne traite pas de la promesse d’un approvisionnement en bois à Allied Resources Ltd.

 

[1161]   Il existe une preuve d’inconduite de la part de Mme Guscott et d’autres personnes, une inconduite qui est documentée dans les pièces. Je me reporte aux paragraphes applicables de mon analyse antérieure sur la mauvaise foi. Il ne fait aucun doute que la conduite de ces fonctionnaires ne correspondait pas à la norme à laquelle le public canadien raisonnable s’attendrait.

 

[1162]   Cependant, cette preuve ne suffit pas pour prouver la faute dans l’exercice d’une charge publique, telle qu’elle est formulée dans la déclaration modifiée. Même si les règles régissant les actes de procédure accordent une certaine latitude dans la formulation de ces derniers, le facteur principal étant que la partie défenderesse sait ce qui est allégué, les preuves qui m’ont été soumises à l’appui de cette cause d’action sont insuffisantes.

 

[1163]   Les éléments de preuve présentés en l’espèce auraient peut-être été suffisants pour étayer la commission de la faute dans l’exercice d’une charge publique si les actes de procédure avaient été différents. Je ne suis toutefois pas convaincue que les demanderesses ont démontré que la faute précise, telle que plaidée, a été commise, et cette cause d’action est rejetée.

 

7. Les dommages causés

(i) Généralités

[1164]   Les demanderesses réclament des dommages-intérêts dans le cadre de l’une quelconque des causes d’action qu’elles ont invoquée. J’ai conclu qu’elles ont établi avec succès des réclamations fondées sur la négligence, sur des déclarations inexactes faites par négligence ainsi que sur une inexécution de contrat. Même si la déclaration modifiée fait état d’une réclamation, à l’alinéa 1.b), fondée sur le recouvrement de dommages-intérêts spéciaux, la réponse des demanderesses aux engagements découlant de l’interrogatoire préalable de M. Alan Kerr dénote clairement que cette réclamation n’est pas poursuivie.

 

[1165]   La réponse à l’engagement no 16 figure à la page 15 des [traduction] « Extraits de l’interrogatoire préalable des demanderesses à lire au procès », un document qui a été déposé au procès le 4 juillet 2008, dans le cadre de la preuve de la défenderesse, en application de l’article 288 des Règles. La réponse à l’engagement est la suivante :

[traduction] ENGAGEMENT NO 15 : Page 0075

FOURNIR UNE LISTE DES DOMMAGES-INTÉRÊTS SPÉCIAUX ET DES DOCUMENTS QUI SONT LIÉS À LA PRÉSENTE DEMANDE DE DOMMAGES-INTÉRÊTS SPÉCIAUX.

Les demanderesses n’ont relevé aucuns dommages-intérêts spéciaux. Les dépenses d’affaires engagées, la perte d’achalandage et les autres dommages plaidés aux alinéas 23a) à d) de la déclaration modifiée s’inscrivent dans la catégorie des dommages‑intérêts généraux, comme il est indiqué aux pages 648 à 651 de l’interrogatoire préalable d’Alan Kerr.

 

[1166]   Outre les dommages-intérêts généraux, les demanderesses sollicitent des dommages‑intérêts punitifs, comme il est mentionné à l’alinéa 1.c) de la déclaration modifiée.

 

[1167]   La seule preuve soumise à l’égard des dommages a été présentée par les demanderesses. Cette preuve était constituée du rapport d’expert établi par M. Van Leeuwen, du témoignage de M. Van Leeuwen et de M. Alan Kerr, ainsi que des documents financiers des demanderesses.

 

[1168]   La défenderesse n’a pas présenté de preuve au sujet des dommages-intérêts. Elle s’est plutôt fondée sur les contre-interrogatoires de MM. Van Leeuwen et Alan Kerr. M. Alan Kerr avait été rappelé le 6 mai 2008 uniquement pour traiter de la question des dommages-intérêts.

 

[1169]   Le rapport d’expert a été fourni à la défenderesse en janvier 2009, et M. Van Leeuwen n’a pas témoigné avant le 5 mai suivant. Néanmoins, la défenderesse a décidé de ne pas produire une preuve d’expert pour contrer le rapport de M. Van Leeuwen.

 

[1170]   C’est aux demanderesses qu’incombe le fardeau de prouver l’existence de dommages‑intérêts. La norme de preuve est la norme civile, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités.

 

[1171]   Le rapport de M. Van Leeuwen, daté de janvier 2008, et déposé en tant que pièce P‑15, traite des pertes liées à une expectative, c’est-à-dire la perte future de profits, qu’ont subie les demanderesses à cause de la fermeture de la scierie.

 

[1172]   Les documents financiers des demanderesses ont été déposés en tant que pièce P‑78. Cette dernière comporte 24 boîtes de documents financiers. Cette pièce a été numérotée P‑365 pour le processus d’interrogatoire préalable.

 

[1173]   Les documents financiers avaient été mis à la disposition de la défenderesse avant le dépôt de la pièce P‑78, comme l’indiquent les extraits suivants des notes sténographiques relatives à l’audience du 6 mai 2008 :

[traduction
Me WILSON : Madame la juge, avant que nous appelions M. Kerr, le dernier témoin des demanderesses, quelques questions de nature techniques, assorties de pièces à déposer.

La première est l’entente dont nous avons discuté hier dans votre cabinet, au sujet des états financiers établis par les demanderesses et la défenderesse.

LA JUGE :       Merci. Très bien, nous allons consigner cela dans le dossier, ce ne sera pas une pièce, mais un document versé dans le dossier. Maintenant, quel nom vais-je lui donner, greffier? Déposez-le à l’audience, et pendant la pause — est-ce que tous ont une copie de ceci?

Me FLORENCE :         Oui, Madame la juge.

[...]

Me WILSON : Maintenant, Madame la juge, conformément à cette entente, la plupart des états financiers visés par cette entente se trouvent déjà dans les documents, soit dans les boîtes de pièces des demanderesses ou les boîtes de pièces de la défenderesse, et vraisemblablement dans les deux, à l’exception de deux, que je propose de déposer maintenant, si cela convient à mes collègues, ou je peux les déposer par l’entremise du témoin. Je ne pense pas qu’il —

LA JUGE :       Ils seront de toute façon, n’est-ce pas? Me Florence?

Me FLORENCE :         Nous n’avons pas d’objection à ce qu’ils soient déposés maintenant.

LA JUGE :       Avez-vous remis des copies, Me Wilson, à vos collègues?

Me WILSON : Je viens de le faire.

 

[1174]   Le 17 juillet 2008, au cours de ses observations finales, la défenderesse a fait valoir que le contenu de la pièce P‑78 n’était pas une preuve appropriée et, en outre, qu’elle n’avait pas eu l’occasion de contre-interroger M. Kerr au sujet de ces documents financiers.

 

[1175]   Le texte qui suit figure dans les notes sténographiques des débats du 17 juillet 2008 :

Me WHITTLE :            Notre observation c’est qu’ils n’ont rien souligné là-dedans, ils ont tout simplement chargé une brouette et ils l’ont déposée devant vous. Cela, selon moi, n’est pas approprié. Il ne s’agit pas d’une preuve, selon la prépondérance des probabilités, de s’attendre à —

LA JUGE :       Attendez une minute.

Me WHITTLE :            Puis-je finir, s’il-vous-plaît? S’attendre à ce que vous parcouriez le tout et arriviez à une certaine décision sans donner à la défenderesse la possibilité de répliquer à ce qui, disent‑ils, dans ces documents constitue la preuve. Merci, Madame la juge.

LA JUGE :       Eh bien, permettez-moi de vous dire quelque chose, Me Whittle. Je suis bien consciente que ces documents, numéro un, ont été divulgués avant le procès, lors des interrogatoires préalables. Numéro deux, c’est une suggestion nouvelle — je ne dis pas que vous avez tort, mais je ne dis pas que vous avez raison non plus, qu’il est insuffisant de me remettre simplement des documents financiers. C’est une preuve comme n’importe quelle autre preuve documentaire que je dois évaluer et soupeser. C’est ce qu’il me semble. Je ne suis pas — je veux dire, c’est une autre chose que j’aurai à examiner. Je suis bien consciente de l’endroit où réside le fardeau de preuve ici.

Me WHITTLE :            Je vous remercie. Et juste pour répondre, Madame la juge, oui, j’ai indiqué au tribunal pendant toute la durée de ce procès que j’ai lu la totalité des documents figurant dans la pièce 365; je présume donc que tout le contenu de ces boîtes qui se trouvent dans la salle d’audience, je l’ai lu aussi. Je soutiens qu’il ne s’agit pas d’une preuve suffisante. Ils ne les ont pas reproduits pour nous donner la possibilité de contre-interroger M. Kerr sur eux. Ils les ont simplement amenés en cour et déclaré : « Madame la juge, c’est à vous de choisir les éléments de preuve sur lesquels vous allez vous fonder ».

LA JUGE :       Une minute, Me Whittle. Entente relative aux pièces, déposée à l’audience le 12 mai 2008. Suggérez-vous — il n’y a rien là-dedans au sujet — avez-vous cela en main?

Me WHITTLE :            Non, mais je le connais bien, Madame la juge.

LA JUGE :       Il n’y a rien là-dedans à propos d’avoir accès aux documents dans le but de procéder à un contre-interrogatoire ou du fait de profiter de l’occasion de faire un contre-interrogatoire. Et il est précisément mentionné là-dedans — il n’y a pas de mention précise dans ceci de ces documents financiers, mais il y a une mention précise des documents et des dossiers qui seraient déposés en tant que pièces.

Au cours de ce procès, nous avons discuté de la pièce — celle qui est maintenant le numéro 360 — excusez-moi, la pièce 78. Une minute, le temps que je trouve un autre registre que j’ai ici. Je crois que c’est la matinée où M. Kerr a été rappelé pour traiter des dommages-intérêts, et il s’agissait du 14 avril 2008.

Je vois maintenant que Me Sali est debout. Vous avez quelque chose à dire, Me Sali?

Me SALI :        Madame la juge, il est tout simplement erroné de laisser entendre que Me Whittle ou Me Florence n’ont pas eu la possibilité de contre-interroger M. Kerr lorsqu’il est revenu à la barre pour parler de ces documents. En outre, je cite Me Whittle. Il dit : « états financiers douteux ». Volume 5 de la pièce 11, les cartables noirs déposés par la défenderesse pour établir la véracité et l’exactitude de leur contenu; et nous entendons maintenant Me Whittle dire « des états financiers douteux ».

[...]

Me WHITTLE :            Je suis convaincu que la Cour fera ce que la Cour fera avec ces documents.

LA JUGE :       Vous dites ne pas avoir eu l’occasion de faire un contre-interrogatoire sur eux, et cela me préoccupe; cependant, je jetterai un coup d’œil aux notes sténographiques du 14 avril et, compte tenu de l’heure, nous lèverons la séance jusqu’à 9 h demain matin.

 

[1176]   Le 18 juin 2008, la défenderesse a éclairci sa position au sujet de la pièce P‑78 et de son occasion de contre-interroger M. Alan Kerr. Le texte qui suit figure aux pages 5863 à 5866 des notes sténographiques relatives aux débats du 18 juillet 2008 :

LA JUGE :       Avant de commencer, j’ai quelques remarques à faire. Premièrement, au sujet des observations qui ont été faites à la fin de la journée d’hier par Me Whittle au sujet des documents financiers qui ont été admis en tant que pièce 78 le 4 juillet. J’ai cru comprendre que cette pièce avait été déposée sur consentement. Et je demande aux avocats de passer en revue à un moment donné les notes sténographiques. Je ne m’attends pas à ce que ce soit fait dans les cinq prochaines minutes, ni même aujourd’hui, mais d’ici lundi, faites-moi part des numéros de page à cet égard.

[...]

Me WHITTLE :            Madame la juge, tous les avocats ont discuté des boîtes financières et tous les avocats ont discuté de la déclaration que j’ai faite au sujet du caractère douteux des états financiers, hier en fin de journée. Hier soir, Me Florence et moi avons examiné ce que nous comprenions au sujet des états financiers, premièrement, et hier j’avais oublié qu’il y avait une entente entre les avocats, c’est-à-dire que — ou les états financiers, qu’il y avait une entente qui avait été déposée devant la Cour et qui avait été convenablement établie conformément aux exigences des Comptables agréés du Canada. Je retire donc avec respect la déclaration que j’ai faite au sujet du caractère douteux de ces états et je m’excuse aux demanderesses pour avoir fait cette déclaration, à mon savant confrère, à mon confrère et à la Cour.

Me SALI :        Nous acceptons cela, Madame la juge.

LA JUGE :       Je vous remercie.

Me WHITTLE :            Deuxièmement, il a été convenu, et les quatre avocats sont d’accord, que la pièce contenue dans les 24 boîtes soit déposée le 4 juillet après que les demanderesses eurent terminé leur argumentation, et Me Florence et moi, nous en avons discuté encore hier soir, et nous sommes rendus compte que c’était la raison pour laquelle l’entente avait été conclue. Nous avons eu l’occasion de passer en revue tous ces documents quant ils se trouvaient dans la pièce de Me Sali pendant la durée du procès et nous avons eu entièrement l’occasion de les passer en revue en vue de contre-interroger M. Kerr lorsqu’il s’est présenté à la barre la seconde fois pour témoigner au sujet des dommages‑intérêts.

Je suis conscient que la Cour souhaite que nous examinions les notes sténographiques pour trouver ces références. S’il plaît à la Cour, les quatre avocats ont convenu qu’il s’agissait là de l’occasion qui m’a été donnée, que je n’ai pas profité de cette occasion quand M. Kerr s’est présenté à la barre des témoins. Cependant, c’est à vous de nous dire si vous souhaitez que nous passions en revue les notes sténographiques et que nous trouvions ces inscriptions. Mais en ce qui me concerne, en tant qu’avocat, j’ai eu l’occasion de le faire si j’avais voulu le faire.

LA JUGE :       Merci pour cette précision et il est indiqué dans le dossier que la Couronne a eu l’occasion de contre-interroger M. Kerr au sujet de ces documents et il ne l’a pas fait. Cela étant, il n’est pas nécessaire de revenir en arrière et de trouver les références exactes.

 

[1177]   Le dossier contient des états financiers qui ont été établis pour les demanderesses. Ces états financiers ont été l’objet d’une entente entre les avocats des parties. Cette entente a été déposée à l’audience le 6 mai 2008. Cette entente, signée par Me Sali, c.r., avocat des demanderesses, et Me G. Malcolm Florence, avocat de la défenderesse, indique ce qui suit :

[traduction
SYFC c. LA REINE – ENTENTE CONCERNANT LES ÉTATS FINANCIERS

Chacun des états financiers établis pour LPL et SYFC pour les années 1996 à 2003 inclusivement (tant vérifiés que non vérifiés) sont réputés être authentiques. En outre, il est convenu que ces états reflètent de manière exacte les éléments d’actif, les éléments de passif, l’avoir, les revenus et les dépenses des deux entreprises. Cependant, la description de certains des divers éléments inclus peut être inexacte, mais le montant correspondant inscrit est exact.

 

[1178]   Il a été entendu de plus que la défenderesse ne reconnaît pas que les dépenses ou les pertes indiquées dans l’état financier constituent des dommages s’il est conclu à une responsabilité de la défenderesse.

 

[1179]   En outre, un résumé des états financiers a été versé au dossier. Ce résumé a été fourni à la Cour par les demanderesses, avec l’accord de la défenderesse.

 

(ii) Les principes juridiques applicables

[1180]   Revenons maintenant au cœur de l’affaire. L’attribution de dommages-intérêts dans des affaires de faute, y compris la faute de déclaration inexacte faite par négligence et d’inexécution de contrat a pour motif de dédommager la partie lésée des pertes résultant de l’acte négligent ou de la rupture de contrat, selon le cas.

 

[1181]   Les demanderesses ont subi un préjudice et ont droit à un dédommagement. Je souscris à leurs observations selon lesquelles, compte tenu de la nature de leur entreprise et des causes d’action qui leur ont permis d’avoir gain de cause, il n’est pas nécessaire d’attribuer ces dommages-intérêts à une cause d’action précise.

 

[1182]   Dans l’arrêt Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147, la Cour suprême du Canada a décrété qu’une responsabilité contractuelle et délictuelle concurrente ou alternative ne sera pas admise si l’obligation de diligence découle des conditions du contrat. Je suis persuadée en l’espèce que les demanderesses ont établi une obligation de diligence qui est indépendante de leur relation contractuelle avec la défenderesse. Cela étant, je conclus qu’au vu des faits de l’espèce, les demanderesses ont le droit d’être dédommagées pour responsabilité soit contractuelle soit délictuelle.

 

[1183]   En l’espèce, la demande des demanderesses, qu’elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, concerne une perte purement financière.

 

[1184]   Dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021, la Cour suprême du Canada a reconnu le droit d’obtenir un dédommagement pour une perte purement économique pour les deux délits dont les demanderesses avaient établi l’existence.

 

[1185]   Dans l’arrêt V.K. Mason Construction c. Banque de Nouvelle-Écosse, [1985] 1 R.C.S. 271, le juge Wilson a fait les observations suivantes à la page 288 du recueil, au sujet des dommages-intérêts pour déclaration inexacte faite par négligence :

 

2) Bien que les dommages-intérêts pour déclaration inexacte faite par négligence soient normalement calculés en fonction de la perte réelle, y compris la perte de possibilité de profit, plutôt qu’en fonction de la perte de profits espérés, le contexte commercial dans lequel se trouvaient les parties en l’espèce commande que la perte de Mason soit calculée de la même façon en fonction de la responsabilité délictuelle que s’il s’était agi de responsabilité contractuelle. Mason a donc droit à des dommages-intérêts de 1 138 151,63 $, soit le solde complet dû en vertu du contrat intervenu avec Courtot, plus l’intérêt au taux annuel de 9 pour 100 du 7 octobre 1974 au 21 mars 1980.

 

[1186]   En outre, je conclus qu’il est question en l’espèce d’une action qui survient dans un contexte commercial. Les pertes des demanderesses peuvent être qualifiées équitablement et raisonnablement de « pertes liées à une expectative » et c’est ainsi qu’elles seront évaluées.

 

[1187]   Il n’est pas contesté que les demanderesses ont construit la scierie à Watson Lake à titre d’entreprise commerciale. Selon la preuve, cette scierie était censée réaliser un bénéfice. Il y avait aussi une preuve que les demanderesses étaient disposées à mettre fin aux activités de sciage s’il n’y avait aucune possibilité que la coentreprise devienne une entreprise viable.

 

[1188]   Il existe une preuve que les demanderesses étaient au courant des options qu’elles avaient de faire d’autres investissements. Par exemple, je fais référence à la lettre de M. Heit à Mme Guscott, datée du 19 mars 1999; voir la pièce D‑13. Dans sa lettre, M. Heit informe le Ministère que s’il n’y a pas un niveau raisonnable d’optimisme au sujet de la disponibilité de bois, il recommandera que la scierie ferme, et que l’entreprise déménage dans une province plus propice aux affaires.

 

[1189]   Je conclus, en me fondant sur la lettre du 19 mars de M. Heit ainsi que sur toutes les circonstances de l’affaire, que les demanderesses étaient disposées à fermer l’exploitation de sciage de Watson Lake et d’investir dans la construction d’une entreprise dans une province différente.

 

[1190]   J’ai déjà conclu que les demanderesses ont eu gain de cause dans leurs motifs d’action fondés sur l’inexécution de contrat, la négligence et la déclaration inexacte faite par négligence. Je conclus également qu’elles se sont acquittées de leur fardeau en ce qui concerne la preuve, selon la prépondérance des probabilités, des pertes qu’elles ont subies.

 

[1191]   La défenderesse a traité de la question des dommages-intérêts dans ses observations finales. Elle a fait valoir que les dommages-intérêts que réclamait la demanderesse étaient de nature conjecturale et qu’il était donc impossible d’y avoir droit. À cet égard, elle s’est fondée sur la décision rendue dans Marigold Hldg. Ltd. c. Norem Const. Ltd., [1988] 5 W.W.R. 710 (B.R. Alb.).

 

[1192]   Je ne suis pas d’accord. Les demanderesses ont déposé une preuve d’expert fondée sur des faits et des hypothèses raisonnables qu’étaye la totalité de la preuve. Ces dommages ne sont pas conjecturaux. Ils sont le résultat raisonnablement prévisible de la conduite de la défenderesse. Je traiterai plus loin du caractère suffisant de la preuve d’expert.

 

[1193]   La défenderesse a examiné séparément la question des dommages-intérêts pour inexécution de contrat, perte de profits, éloignement et dommages-intérêts pour déclaration inexacte faite par négligence, ainsi que du caractère approprié de la preuve que les demanderesses ont déposée.

 

[1194]   Il n’est pas nécessaire que j’examine en détail chacun des arguments que la défenderesse a invoqués. J’ai déjà fait référence à la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans V.K. Mason, où la Cour a indiqué qu’indépendamment du succès d’une réclamation pour inexécution de contrat ou faute, la façon d’aborder l’évaluation des dommages est la même.

 

[1195]   Dans la mesure où n’importe quel aspect du calcul de dommages-intérêts généraux n’est pas bien délimité, en ce sens que l’on ne dispose d’aucune certitude mathématique, je me fonde sur la décision qu’a rendue la Cour d’appel du Manitoba dans l’affaire Abraham c. Wingate Properties Limited [1986] 1 W.W.R. 568 (C.A. Man.). Dans Wingate, la Cour d’appel du Manitoba était chargée d’évaluer les dommages après avoir conclu qu’une rupture de contrat donnait lieu à des dommages-intérêts. Aux pages 574 et 575 du recueil, la Cour indique ce qui suit :

[traduction] [...] La difficulté qu’il y a à fixer un montant de dommages-intérêts ne doit pas nous empêcher de rendre justice dans la présente affaire. Dans l’arrêt Chaplin v. Hicks, [1911] 2 K.B. 786, à la page 795, la Cour d’appel d’Angleterre a traité de cette difficulté en ces termes, sous la plume du juge Fletcher Moulton :

[...] lorsqu’une perte réelle résultat de la rupture d’un contrat n’est pas douteuse mais difficile à estimer en argent, le jury doit faire pour le mieux; il n’est pas nécessaire qu’il y ait dans chaque cas une mesure absolument précise des dommages.

Ce commentaire a été cité en y souscrivant par la Division d’appel de la Cour suprême de l’Ontario dans l’affaire Wood c. Grand Valley Ry. Co. (1913), 30 O.L.R. 44, 16 D.L.R. 361, à la page 366. Lorsque l’affaire Wood v. Grand Valley Ry. Co. s’est rendue devant la Cour suprême, le juge Davies (tel était alors son titre), qui faisait partie de la majorité, a déclaré ce qui suit ( (1915) 51 S.C.R. 283, à la page 289), 22 D.L.R. 614) :

À la lumière des faits de cette cause, c’était vraiment impossible d’évaluer avec grande précision le préjudice subi par la demanderesse, mais il me semble que les savants juges ont clairement établi qu’une telle impossibilité ne « décharge pas pour autant l’auteur du préjudice de l’obligation de payer des dommages pour la rupture du contrat » et que d’autre part, le tribunal doit évaluer le préjudice même si, en pareilles circonstances, le jury ou le juge doit « agir au mieux », et sa conclusion ne sera pas infirmée même si le montant accordé n’est en fait que le fruit de conjectures.

Ces sources ont toutes été citées en y souscrivant dans une décision plus récente de la Cour suprême du Canada : Penvidic Contracting Co. c. Int. Nickel Co. of Can. Ltd., [1976] 1 R.C.S. 267, 53 D.L.R. (3d) 748, aux pages 756-757, 4 N.R. 1 [Ont.].

Évidemment, un tribunal ou un juge doit recourir à un certain fondement logique pour estimer les dommages subis, mais il est préférable que la partie lésée reçoive un montant raisonnable, sinon mathématiquement mesurable, que de ne pas être dédommagée de la perte subie.

 

[1196]   La Cour suprême du Canada a abordé l’évaluation des dommages de la même façon dans l’arrêt Cadbury Schweppes Inc. c. FBI Foods Ltd., [1999] 1 R.C.S. 142, au paragraphe 99, tout comme la Cour d’appel fédérale dans Redpath Industries Ltd. c. Cisco (Le), [1994] 2 C.F. 279 (C.A.), aux pages 295-296.

 

(iii) La preuve relative aux dommages subis

[1197]   Comme je l’ai mentionné plus tôt, seules les demanderesses ont produit des preuves au sujet des dommages subis : le témoignage de M. Alan Kerr, 24 boîtes de documents financiers ainsi que le témoignage de M. Van Leeuwen, l’expert dont les demanderesses avaient retenu les services, y compris son rapport.

 

[1198]   M. Kerr a parlé en général de la situation financière de SYFC, et cela incluait les profits, les pertes d’exploitation, les dépenses, les dettes et les immobilisations. Il a expliqué les fonds qu’avaient recueillis LPL et SYFC en rapport avec les coûts de démarrage. Il a témoigné aussi au sujet des activités de la scierie.

 

[1199]   Les boîtes de documents financiers qui ont été déposées en tant que pièce P‑78 contiennent des factures de services d’utilité publique, des relevés bancaires, des chèques annulés et des documents comptables. Un guide sur le contenu de la pièce P‑78 a été déposé à l’audience le 11 juillet 2008.

 

[1200]   Les demanderesses ont produit les documents financiers à titre de fondement subsidiaire pour l’évaluation que la Cour allait faire des dommages, au cas où le témoignage de M. Van Leeuwen ne serait pas retenu. Comme nous le verrons plus loin, je souscris au témoignage de M. Van Leeuwen, sous réserve des modifications mentionnées ci-après.

 

[1201]   Dans ses conclusions finales, la défenderesse a contesté certains aspects du témoignage de M. Van Leeuwen, des aspects sur lesquels elle ne l’avait pas contre-interrogé. Le défaut de l’avoir contre-interrogé est problématique et soulève deux questions.

 

[1202]   La première est la question de l’équité envers M. Van Leeuwen. Dans Browne v. Dunn (1893), 6 R. 67, à la page 70 (H.L.), la Chambre des lords indique ce qui suit :

[traduction] Vos Seigneuries, il m’a toujours semblé que l’avocat qui entend mettre en doute le témoignage d’une personne doit, lorsque cette personne se trouve à la barre des témoins, lui donner l’occasion d’offrir toute explication qu’elle est en mesure de présenter. De plus, il me semble qu’il ne s’agit pas seulement d’une règle de pratique professionnelle dans la conduite d’une affaire, mais également d’une attitude essentielle pour agir de façon loyale envers les témoins.

 

[1203]   La règle énoncée dans l’arrêt Browne v. Dunn s’applique aussi bien aux preuves contradictoires qu’aux conclusions finales.

 

[1204]   La règle n’est pas absolue mais, à mon avis, elle s’applique en l’espèce. M. Van Leeuwen est un expert dans son domaine et la défenderesse, dans ses conclusions finales, a contesté ses titres de compétences et ses capacités; toutefois elle n’a pas contesté ses titres de compétence au moment où il a été présenté comme un témoin-expert. Sa réputation, sinon sa crédibilité, ont été mises en doute. Dans cette situation, M. Van Leeuwen aurait dû avoir la possibilité d’expliquer son rapport et son témoignage.

 

[1205]   Deuxièmement, le défaut de contre-interroger M. Van Leeuwen sur ces questions a privé la Cour du bénéfice de son témoignage. Il faut se rappeler qu’un témoin-expert est présenté pour aider la Cour.

 

[1206]   En définitive, je conclus que le témoignage de M. Van Leeuwen, au sujet des aspects qui n’ont pas été vérifiés en contre-interrogatoire, demeure incontesté. Je considère que son témoignage est fiable et digne de foi.

 

[1207]   M. Van Leeuwen a décrit son mandat comme étant la préparation d’un [traduction] « scénario de rendement financier qui aurait pu avoir été mis au point pour l’entreprise [SYFC] si un approvisionnement en bois de 200 000 m3 par année » avait été fourni à la scierie de Watson Lake. Cette déclaration figure dans l’introduction de son rapport. Ce dernier porte sur des projections financières concernant SYFC, l’entité exploitante de la coentreprise.

 

[1208]   Lors de la rédaction de son rapport, M. Van Leeuwen a consulté de nombreux documents. Les principaux documents comprenaient les états financiers que les demanderesses avaient fournis, les propositions d’affaires, les plans d’entreprise, le Veco/Siemens Canada Technical Report de juillet 2000, le Règlement sur le bois du Yukon, des documents préparés par MAINC, l’AAF préliminaire préparée par M. Peter Henry pour le MAINC, ainsi qu’une Vérification et évaluation de la scierie, un document établi en mars 2001 en rapport avec la scierie de Watson Lake. La section 7.5 de ce document présente une bibliographie partielle des documents qu’il a examinés.

 

[1209]   De plus, M. Van Leeuwen s’est inspiré de sa longue expérience personnelle de l’industrie forestière. Son curriculum vitæ a été déposé en tant que pièce P‑14. Il a été accepté comme témoin-expert, sans contestation ou opposition de la part de la défenderesse, aux conditions suivantes :

[traduction] [...] Je suppose que ce je devrais faire, c’est résumer en disant, conformément aux discussions que j’ai eues avec Me Florence, que j’ai offert le témoignage de M. Van Leeuwen en tant que personne ayant la capacité de fournir un témoignage d’expert sur l’analyse des scieries, y compris les installations de cogénération, sous l’angle des opérations financières projetées et de la mise en marché de produits, et en particulier la scierie possédée et exploitée par les demanderesses à Watson Lake; en tant qu’homme ayant de l’expérience et de longs antécédents de travail dans le domaine de la vente et de la mise en marché de produits du bois, tant au pays qu’à l’étranger; de l’élaboration de plans d’affaires de scieries et de compagnies de produits de bois; ainsi que de l’analyse financière et opérationnelle de scieries et de compagnies de produits de bois.

Sous réserve de ce qui précède, à moins qu’il y ait des questions concernant cette dernière affaire, telles sont mes questions concernant M. Van Leeuwen.

LA JUGE :       Je vous remercie. Et, si j’ai bien compris, les avocats de la défense ont exprimé l’avis qu’ils ne contestaient pas les titres de compétence de M. Van Leeuwen à titre d’expert. Ai-je tort ou raison?

Me FLORENCE :         Nous ne contestons pas ses titres de compétences à titre d’expert. Il est possible que nous traitions de certains des renseignements qu’il a obtenus de —

LA JUGE :       Oh, oui. Mais cela, c’est juste comme à l’accoutumée.

Me FLORENCE :         Oui, d’accord.

 

[1210]   Je suis persuadée que, compte tenu de ses études et de son expérience professionnelle, lesquelles sont énoncées dans son curriculum vitæ qui a été déposé en tant que pièce P‑14, M. Van Leeuwen est habilité à offrir les opinions qui ont été exposées dans son rapport, pièce P‑15, et je considère que M. Van Leeuwen est un témoin-expert.

 

[1211]   Le témoignage de M. Van Leeuwen a été offert à l’appui de la demande en dommages‑intérêts des demanderesses, mais c’est à la Cour qu’il incombe de prendre la décision finale à cet égard. Il lui appartient d’évaluer la valeur et l’utilité du témoignage d’expert qui a été produit; voir la décision rendue dans Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Empire Tug Boats Ltd. et al. (1995), 95 F.T.R. 43 (1re inst.).

 

[1212]   Dans son témoignage de vive voix, M. Van Leeuwen a déclaré que son entreprise fournit des services de consultation à une clientèle diversifiée, et qu’elle consacre environ la moitié de son temps à des clients situés au Canada et aux États-Unis. Les 50 pour cent restants du temps sont passés à travailler avec des clients [traduction] « extraterritoriaux ». Sa société, IWMG, a des bureaux à Beijing (Chine) et à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

[1213]   M. Van Leeuwen a fait remarquer que, d’après l’aperçu relatif à l’approvisionnement en billes de bois à court terme et l’engagement pris par le gouvernement de fournir à SYFC un CRB à long terme, les demanderesses ont entrepris le plan de construction de la phase 1 en 1997-1998. Il s’agit là d’un fait. Les demanderesses se sont bel et bien lancées dans la construction de la scierie, compte tenu de ces facteurs.

 

[1214]   De plus, a déclaré M. Van Leeuwen aux pages 3 et 4 de son rapport, la phase 1 du projet de scierie a été entreprise en raison d’un certain nombre de facteurs favorables.

 

[1215]   M. Van Leeuwen a fait remarquer qu’en janvier 1998, la PCA concernant la récolte de bois commerciale était de 450 000 m3. L’ébauche de plan d’aménagement forestier, également appelée l’ébauche de PAF, estimait qu’une PCA de plus de 1,5 million de m3 était durable. Pour 1998, la PCA n’était que de 25 pour cent de la PCA potentielle. M. Van Leeuwen a dit de cela qu’il s’agissait d’une question de fait et, là encore, il a été faiblement contesté sur la source de son information. Il n’a pas été ébranlé.

 

[1216]   M. Van Leeuwen a fait remarquer que la PCA de 450 000 m3 au Yukon était presque entièrement attribuée à des détenteurs de permis particuliers, dont la plupart étaient à la recherche d’un marché viable pour leur bois. En contre-interrogatoire, on lui a demandé quelle était la source de cette information et, aux pages 1959 et 1960, il a répondu que l’information provenait [traduction] « directement d’un rapport publié par le gouvernement du Yukon, qui m’a été fourni par South Yukon Forest Corporation ».

 

[1217]   À mon avis, M. Van Leeuwen fondait son opinion sur des faits établis ou sur des présomptions raisonnables. La preuve concernant la « Ruée verte » qui est survenue au milieu des années 1990 étaye son opinion.

 

[1218]   M. Van Leeuwen a également déclaré qu’en 1997, les activités de transformation de billes de bois étaient minimes, moins de 100 000 m3. Il a ajouté que la majeure partie de la récolte de billes de bois était exportée vers des scieries situées dans le nord de la Colombie‑Britannique.

 

[1219]   Cette déclaration de M. Van Leeuwen est inexacte, car le règlement concernant la règle des 60/40 était en place en décembre 1995. Ce règlement empêchait d’exporter la première tranche de 60 pour cent des billes récoltées. Cependant, M. Van Leeuwen n’a pas été contre‑interrogé sur ce point. En outre, il s’agissait là de la situation qui a donné naissance à la règle des 60/40.

 

[1220]   À mon avis, cette erreur factuelle n’est pas pertinente à l’égard des projections de M. Van Leeuwen et n’a pas d’incidence sur les conclusions de son rapport.

 

[1221]   Il a fait remarquer dans son rapport qu’à la suite de changements réglementaires apportés en 1996-1997, au moins 60 pour cent du bois récolté au Yukon devait être transformé au Yukon. Il a ajouté que les propriétaires de SYFC croyaient que la nouvelle exigence réglementaire en faveur de la transformation locale augmenterait le bois dont SYFC pourrait disposer.

 

[1222]   En contre-interrogatoire, M. Van Leeuwen a déclaré que les changements réglementaires n’ont pas eu d’effet sur le CRB parce qu’ils s’appliquaient à une période différente. Il a ajouté que le régime réglementaire était avantageux pour la scierie parce que SYFC pourrait disposer d’un volume additionnel.

 

[1223]   M. Van Leeuwen a fait remarquer que SYFC avait pris des dispositions pour acheter des billes de bois auprès d’entrepreneurs forestiers locaux et de détenteurs de PCC. Il avait présumé que la nouvelle scierie achèterait le volume de bois requis aux prix du marché en vigueur auprès de détenteurs de PCC particuliers pendant une période de démarrage de deux à trois ans. À cet égard, il énonçait simplement un fait, car SYFC avait bel et bien pris des dispositions pour acheter des billes de bois auprès de détenteurs de PCC locaux.

 

[1224]   M. Van Leeuwen a souligné qu’en 1998 SYFC avait dressé des plans pour officialiser la conclusion de contrats d’achat de 140 000 m3 de billes de sciage par année et qu’elle envisageait d’établir des ententes d’achat de bois pour une période minimale de trois ans. Cela est factuellement exact et les demanderesses sont parvenues à obtenir 215 000 m3 de bois en 1999‑2000.

 

[1225]   Il y a aussi des copies d’ententes d’approvisionnement en bois dans la preuve documentaire.

 

[1226]   Dans la mesure où M. Van Leeuwen a déclaré que les demanderesses seraient en mesure d’acheter des billes de bois pendant une période de démarrage initiale de deux ou trois ans, cette présomption est raisonnable, selon moi, et non pertinente à l’égard de ses projections.

 

[1227]   M. Van Leeuwen a déclaré que les propriétaires de SYFC ont activement poursuivi l’objectif d’obtenir un CRB à long terme avant la construction de la scierie. J’accepte cette déclaration en me fondant sur les réunions, et les autres communications, qu’il y a eues avec le Ministère.

 

[1228]   Il a également considéré le facteur selon lequel les deux paliers de gouvernement ont indiqué qu’ils appuyaient l’attribution à long terme de bois pour les scieries du Yukon. Cette déclaration est contredite par certains éléments de preuve et étayée par d’autres. Néanmoins, M. Van Leeuwen n’a pas été contre-interrogé sur ce point. En outre, j’ai conclu que le Ministère s’était engagé à procéder à une telle attribution. Il est également un fait que seul le MAINC était autorisé à procéder à une telle attribution. Je suis d’avis que cette déclaration n’a pas d’effet négatif sur le rapport de M. Van Leeuwen.

 

[1229]   Pour déterminer les pertes liées à une expectative des demanderesses, M. Van Leeuwen a établi deux projections pro forma des gains de la scierie entre 2001 et 2010. Ces projections ont été fondées sur un nombre de quelque dix-sept hypothèses qui sont énoncées aux pages 11 et 12 de son rapport.

 

[1230]   Je ne traiterai pas de toutes les hypothèses de M. Van Leeuwen. Je conclus que ses hypothèses ont été fondées soit sur des faits établis soit sur des hypothèses raisonnables, en tenant compte de sa vaste expérience et de son expertise. J’analyserai certaines des hypothèses les plus importantes.

 

[1231]   L’hypothèse clé, commune aux deux projections, était qu’il y avait en place une entente d’approvisionnement en bois de vingt ans, concernant un volume de 200 000 m3 de bois par année. Je traiterai plus loin de l’hypothèse de M. Van Leeuwen selon laquelle les demanderesses auraient reçu un CRB d’une durée de vingt ans, concernant un volume de 200 000 m3 par année. Il suffit de dire à ce stade que, selon moi, il ne s’agissait pas d’une hypothèse, mais plutôt d’un fait. Cela étant, il était raisonnable d’utiliser cette hypothèse dans ses calculs.

 

[1232]   Un autre facteur commun aux deux projections est l’hypothèse selon laquelle la scierie, après avoir obtenu un approvisionnement en bois garanti, fonctionnerait douze mois par année et produirait une moyenne de 100 000 PP par quart de travail, à raison de deux quarts de travail.

 

[1233]   Je conclus qu’en fait, la scierie des demanderesses a été construite pour produire 100 000 PP. Je conclus aussi que lorsqu’un approvisionnement en bois était disponible, la scierie a fonctionné à deux quarts de travail et a bel et bien produit 100 000 PP par quart.

 

[1234]   Une autre hypothèse commune incluait un investissement de 5 millions de dollars en 2002 en vue d’améliorer l’efficacité et le facteur de récupération de bois de la scierie.

 

[1235]   Le facteur de récupération du bois (FRB), que M. Brian Kerr définit à la page 1320 des notes sténographiques, est [traduction] « essentiellement un chiffre que l’on obtient à partir du nombre de pieds-planche de produit fini que l’on tire d’une bille ronde, à partir de n’importe quelle scie particulière ».

 

[1236]   Pour ce qui est du réinvestissement de 5 millions de dollars, M. Van Leeuwen a déclaré, à la page 1923 des notes sténographiques, que :

[traduction] R.    Eh bien, j’ai présumé que la scierie était – ou présumé que la scierie était rentable, raisonnablement rentable, et les actionnaires de l’entreprise m’ont informé que, compte tenu des profits que l’entreprise aurait générés, que l’entreprise aurait continué de réinvestir une partie de ses profits, ce qui est une pratique très normale dans l’industrie du sciage. Quand vous faites de l’argent, vous réinvestissez et vous améliorez votre scierie.

            Ici, nous montrons donc que l’entreprise a réinvesti 5 millions de dollars de profits gagnés pour améliorer davantage la scierie. Et ces améliorations avaient principalement trait à l’amélioration du facteur de récupération du bois, un processus qui consiste essentiellement à utiliser des ordinateurs et des optimisations afin d’améliorer l’exactitude du sciage de la scierie.

 

[1237]   En me fondant sur le témoignage d’expert de M. Van Leeuwen, à savoir que cette amélioration constituait une pratique normale de l’industrie, je conclus que cette hypothèse était raisonnable et non conjecturale.

 

[1238]   M. Van Leeuwen a également présumé que la phase 2 du projet de scierie aurait été exécutée. Cette phase 2 envisageait des séchoirs, des raboteuses et une installation de cogénération qui brûlerait les produits de déchets de la scierie, produisant ainsi de l’électricité pour faire fonctionner la scierie et lui permettre de vendre l’électricité excédentaire au réseau local de Watson Lake

 

[1239]   Il y a amplement de preuves dans le dossier que la phase 2 faisait partie intégrante du plan d’affaire des demanderesses. Il y a aussi des preuves que ces dernières avaient pris les mesures initiales nécessaires pour débuter la phase 2. Je fais référence au rapport de consultation sur la cogénération qu’a créé Veco/Siemens. Je fais également référence aux éléments de l’interrogatoire préalable de M. Alan Kerr qui ont été intégrés au dossier. M. Kerr a été interrogé sur les dépenses relatives à la phase 2, aux pages 2933 et 2934 de ces notes sténographiques. Le témoignage était le suivant :

[traduction
Q.        Mais vous avez bel et bien dépensé de l’argent sur la phase II après la date de ce document, n’est-ce pas?

R.         Avec notre étude et nos coûts, oui, il y a probablement eu un peu d’argent.

 

[1240]   M. Van Leeuwen a présumé que SYFC emprunterait l’argent nécessaire pour procéder à la phase 2, c’est-à-dire l’ajout des séchoirs, des raboteuses et de l’installation de cogénération. Son rapport inclut, à l’annexe 7.8, un tableau des taux d’intérêt préférentiels de 1980 à 2005.

 

[1241]   M. Van Leeuwen a fait remarquer que SYFC avait obtenu d’EnerVest la garantie qu’elle serait capable d’obtenir les 14 millions de dollars nécessaires pour exécuter la phase 2, à la condition qu’un CRB de 200 000 m3 soit disponible. Cette observation de M. Van Leeuwen est fondée sur des faits, qui ressortent de la lettre d’EnerVest figurant dans la pièce D‑81, onglet 32. Il n’a pas été contesté au sujet de cette affirmation, en contre-interrogatoire.

 

[1242]   Je conclus, selon la prépondérance de la preuve, que les demanderesses auraient procédé à la phase 2 du projet de scierie, n’eût été d’une source garantie et adéquate de fibres pour la scierie. Il existe amplement de preuves dans le dossier à l’appui de cette conclusion.

 

[1243]   Une hypothèse commune connexe, sur laquelle étaient  fondées les projections de M. Van Leeuwen, était que les demanderesses auraient été capables de vendre de l’électricité excédentaire à la Yukon Power Authority.

 

[1244]   Selon la preuve, Watson Lake n’était pas reliée à un réseau électronique externe. À cause de cela, la ville produisait sa propre électricité au moyen de génératrices fonctionnant au diesel. M. Van Leeuwen a pris en compte le prix réel du diesel et le prix réel de l’électricité à Watson Lake. Il a conclu que ses calculs étaient très modérés, vu la hausse marquée des prix du pétrole qui était survenue depuis qu’il avait établi son rapport.

 

[1245]   Les projections de M. Van Leeuwen ont été fondées sur l’installation de cogénération qui aurait été construite si la scierie avait bénéficié d’un approvisionnement en bois garanti.

 

[1246]   Il a pris en considération les besoins d’électricité réels de Watson Lake et projeté la consommation d’électricité de la scierie. Dans son contre-interrogatoire, il a expliqué que cette information provenait du Veco/Siemens Technical Report ainsi que d’une réunion qu’il avait eue avec le directeur du bureau de Veco à Burnaby.

 

[1247]   Je souligne également que l’installation de cogénération figurait dans les plans d’affaires que les demanderesses fournissaient à la défenderesse depuis le début de 1996.

 

[1248]   Il a été recommandé aussi au MAINC, dans le rapport Anthony-Seaman qui figure à la pièce P‑79, onglet 226, par les consultants du Ministère engagés pour examiner la scierie de Watson Lake, que :

[traduction] L’utilisation de l’arbre entier et les prochaines étapes de l’ajout de valeur sont des objectifs nettement plus importants que l’ajout de quelques points de récupération de bois vert de plus. L’installation de cogénération utilisant les résidus de sciage que propose South Yukon Forest Corporation pour fournir la scierie et la localité en électricité sont des projets qu’il faudrait encourager et soutenir, dans le cadre du concept de l’utilisation de l’arbre entier.

 

[1249]   Au vu de la preuve, je suis d’avis qu’il était raisonnable de conclure que les demanderesses auraient été capables de vendre l’électricité excédentaire produite par l’installation de cogénération, comme il était envisagé dans la phase 2.

 

[1250]   M. Van Leeuwen a parlé de sa connaissance des installations de cogénération, à la page 1904 des notes sténographiques :

[traduction
Q.        Connaissez-vous bien le fonctionnement des installations de cogénération?

R.         Oui.

Q.        Et connaissez-vous bien le fonctionnement des installations de cogénération dans le contexte d’une scierie?

R.         Oui.

 

[1251]   En contre-interrogatoire, il a été interrogé au sujet de ses connaissances spécialisées dans l’évaluation de la valeur de l’installation de cogénération. Il a reconnu que sa société ne fournissait pas de services de consultation sur la cogénération ou sur la construction d’installations connexes. Comme je l’ai mentionné plus tôt, M. Van Leeuwen avait trouvé des informations dans le Veco/Siemens Technical Report et avait donné suite à ces informations de Veco en rencontrant le directeur du bureau de Burnaby.

 

[1252]   M. Van Leeuwen a déclaré que cette réunion avait eu pour objectif de revoir le rapport qu’il avait reçu, c’est-à-dire le Veco/Siemens Canada Technical Report, et d’obtenir des éclaircissements. En outre, selon son témoignage, M. Van Leeuwen avait posé des questions précises au sujet de l’électricité que consommait la scierie ainsi que de la disponibilité d’électricité excédentaire. Il avait utilisé ces informations dans son rapport.

 

[1253]   À mon avis, le fait que M. Van Leeuwen se soit fondé sur des renseignements factuels obtenus de sources compétentes, dont la Yukon Power Authority à Watson Lake, n’amoindrit pas le poids à accorder à son témoignage. Il a indiqué le contexte factuel dans lequel s’inscrivait ses calculs des revenus provenant de l’installation de cogénération. Son témoignage à cet égard n’a pas été ébranlé en contre-interrogatoire. Selon moi, M. Van Leeuwen a été digne de foi et fiable dans son témoignage à cet égard.

 

[1254]   En tout état de cause, M. Van Leeuwen a été présenté à titre d’expert comme suit :

[traduction
[...] sur l’analyse des scieries, y compris les installations de cogénération, sous l’angle des opérations financières projetées et de la mise en marché de produits [...] de l’élaboration de plans d’affaires de scieries et de compagnies de produits de bois; ainsi que de l’analyse financière et opérationnelle de scieries et de compagnies de produits de bois [...]

 

[1255]   La défenderesse n’a pas contesté les titres de compétence de M. Van Leeuwen à titre d’expert dans ces secteurs. La Cour reconnaît que M. Van Leeuwen est un expert dans ces secteurs. Cela étant, je souscris à son témoignage au sujet des profits prévus d’une entreprise de sciage comportant une installation de cogénération.

 

[1256]   Même s’il n’a fourni dans son rapport qu’une projection détaillée concernant les années 2001 à 2010, il a déclaré qu’il s’attendait à ce que le manque à gagner pour la période de dix ans s’étendant de 2010 à 2020 soit équivalent à celui qu’il avait calculé pour la période de 2001 à 2010, comme il est indiqué dans les schémas qui font partie de son rapport, pièce P‑15.

 

(iv) Les dommages subis de 2001 à 2010

[1257]   Je traiterai en premier lieu des dommages subis pour la période de 2001 à 2010.

 

[1258]   M. Van Leeuwen a fait remarquer dans son rapport qu’il avait produit deux pro forma. Ses deux documents traitaient de projections financières concernant SYFC sur une période de dix ans, s’étendant de 2001 jusqu’à 2010 inclusivement.

 

[1259]   Les demanderesses sollicitent un dédommagement dont le montant est fixé dans le pro forma no 1 du rapport qu’a produit M. Van Leeuwen. Le pro forma no 1 était fondé sur l’hypothèse additionnelle que la demanderesse SYFC aurait investi la somme d’environ 3 à 4 millions de dollars pour apporter un certain nombre d’améliorations à la scierie au milieu de l’année 1999, au cours de l’étape « construction » de la phase 2. En se fondant sur les hypothèses qu’il avait tirées, M. Van Leeuwen a projeté les résultats avant intérêts, impôts et amortissements (RAIIA) sur dix ans, de 2001 à 2010 inclusivement, ce qui a donné la somme de 48 906 893 $. Il a projeté les gains de la demanderesse SYFC sur la même période, en se fondant sur les résultats avant impôts et après amortissements et intérêts (RAI), et le montant s’élevait à 35 906 893 $.

 

[1260]   Son sommaire concernant le pro forma no 1 est le suivant :

[traduction] Sommaire de la projection financière no 1 :

·                    La projection des résultats avant intérêts, impôts et amortissements (RAIIA) non réalisés sur dix ans, de 2001 à 2010, égale à 35,5 millions de dollars. Les résultats avant impôts (RAI) non réalisés sur dix ans sont égaux à 28,6 millions de dollars.

·                    La projection sur dix ans des RAIIA non réalisés pour l’installation de cogénération de 2 mégawatts, de 2001 à 2010, équivaut à 13,4 millions de dollars. La projection des RAI non réalisés sur dix ans équivaut à 7,34 millions de dollars.

·                    Les RAIIA non réalisés de SYFC pour 2001 à 2010 équivalent en tout à 48,9 millions de dollars.

·                    La projection des RAI non réalisés sur dix ans est égale à 35,9 millions de dollars.

 

[1261]   M. Van Leeuwen a établi le pro forma no 2 en utilisant la même base que le pro forma no 1, pendant la même période, sauf qu’il a exclu l’investissement d’une somme de 3 à 4 millions de dollars. Il a présumé que les fonds qui étaient disponibles pour l’exécution de la phase 2, soit 14,5 millions de dollars, auraient été dépensés pour [traduction] « de nouveaux séchoirs, une raboteuse et une installation de cogénération alimentée au bois, comme prévu ».

 

[1262]   Dans les projections plus restreintes qui s’appliquent au pro forma no 2, M. Van Leeuwen a calculé que les RAIIA s’élevaient à 42 469 973 $. Il a projeté que les RAI applicables au pro forma no 2 s’élevaient à 30 069 973 $. Son rapport comporte le résumé suivant au sujet du pro forma no 2 :

[traduction] Sommaire de la projection financière no 2 :

·                    La projection des RAIIA non réalisés sur dix ans, de 2001 à 2010, est égale à 29,1 millions de dollars. La projection des RAI non réalisés sur dix ans est égale à 22,7 millions de dollars.

·                    La projection sur dix ans des RAIIA non réalisés pour l’installation de cogénération de 2 mégawatts, de 2001 à 2010, équivaut à 13,4 millions de dollars. La projection des RAI non réalisés sur dix ans équivaut à 7,34 millions de dollars.

·                    Les RAIIA non réalisés de SYFC pour 2001 à 2010 équivalent en tout à 42,5 millions de dollars.

·                    La projection des RAI non réalisés sur dix ans est égale à 30,1 millions de dollars.

 

[1263]   La pièce P‑15 contient une série de tableaux illustrant les calculs que M. Van Leeuwen a faits.

 

[1264]   Son hypothèse selon laquelle les demanderesses auraient investi la somme d’environ 3 à 4 millions de dollars pour apporter un certain nombre d’améliorations en 1999 était fondée uniquement sur l’avis que M. Oulton a donné à M. Van Leeuwen. Il n’y a aucune autre preuve à cet égard. Dans les circonstances, je suis d’avis qu’il est plus prudent de se fonder sur le pro forma no 2 que M. Van Leeuwen a établi.

 

[1265]   M. Van Leeuwen n’a pas inclus de revenus pour la phase 3 proposée du projet, c’est‑à‑dire l’installation à valeur ajoutée. Le [traduction] « concept à valeur ajoutée » signifie que l’on transforme du bois de faible valeur en quelque chose qui présente une valeur supérieure.

 

[1266]   Dans son rapport, M. Van Leeuwen a examiné les marchés potentiels des produits sortant de la scierie des demanderesses. Il a fondé ses hypothèses sur les revenus gagnés entre les années 2001 et 2007 sur les prix courants et réels du bois. M. Van Leeuwen a indiqué très clairement dans son rapport écrit et dans son témoignage de vive voix qu’il s’était servi de valeurs [traduction] « réelles » pour le bois dans son rapport concernant les années 2001 à 2007 inclusivement parce que c’était les chiffres dont il disposait. M. Van Leeuwen s’est servi de chiffres de revenus réels dans l’industrie, déclarés par Random Lengths.

 

[1267]   Pour ce qui est des années au cours desquelles les prix courants du bois n’étaient pas disponibles, M. Van Leeuwen a projeté ces prix en se fondant sur son expérience de l’industrie. Il a qualifié sa projection future des prix du bois à dimensions spécifiées de [traduction] « prudente ».

 

[1268]   Il a également fondé le coût du carburant diesel sur les prix réels jusqu’en 2007. Il a ensuite projeté le prix pour les trois années restantes. En ce qui concerne le coût élevé du pétrole, il a qualifié ses coûts en carburant diesel de [traduction] « prudents ».

 

[1269]   Je souligne que M. Van Leeuwen a déclaré que, pour projeter le cycle des prix du bois, il avait pris en considération une période de 50 ans. Je suis persuadée que les projections de M. Van Leeuwen étaient raisonnables. L’estimation des facteurs et des coûts du marché, relativement à l’exploitation de la scierie, relève du champ d’expertise de M. Van Leeuwen.

 

[1270]   Il a aussi utilisé, en produisant ses projections, les prix du bois sur pied. En contre‑interrogatoire, il a déclaré ne pas être au courant que les prix conclus entre les demanderesses et la défenderesse auraient été négociables.

 

[1271]   Les prix réels du bois sur pied, qui étaient prévus dans le Règlement sur le bois du Yukon, ont été modifiés en 1995 par le DORS/95‑387. La redevance de coupe pour les billes transformées au Yukon était de 5,00 $/m3. En 1996, La redevance, pour cette catégorie de bois, a été réduite à 2,62 $/m3, par le DORS/96‑549.

 

[1272]   Il y a dans le dossier une preuve concernant les droits payés par KFR pour le bois coupé dans le cadre de son CRB commercial; voir la pièce P‑80, onglet 26. Cette preuve indique que les redevances de coupe de KFR étaient fixées à 1,75 $/m3 pour des billes de pin, pour la période de 1995 à 1997.

 

[1273]   Il y a dans le dossier une preuve qui indique que la scierie de Watson Lake a été conçue pour les billes de pin de petite taille.

 

[1274]   Je suis donc convaincue qu’en étant fondées sur les droits de coupe réels, les projections de M. Van Leeuwen seraient prudentes. Cela étant, je conclus que le fait qu’il ne savait pas que le prix du bois sur pied était négociable n’a pas d’incidence sur la fiabilité de ses projections.

 

[1275]   M. Van Leeuwen a fondé ses projections concernant le manque à gagner des demanderesses sur l’hypothèse selon laquelle SYFC vendrait la totalité de sa production dans les marchés facilement accessibles du Yukon et de l’Alaska. Même s’il était au courant que les demanderesses songeaient aussi à vendre au marché japonais – et il a déclaré dans son témoignage de vive voix que probablement 15 pour cent environ de la production de la scierie serait exportée au Japon – il ne s’est pas servi de ventes au marché japonais dans le calcul de la valeur moyenne du produit de SYFC.

 

[1276]   M. Van Leeuwen a fondé son opinion concernant les ventes de la scierie sur le fait que 75 pour cent du bois raboté et séché serait vendu au marché de l’Alaska, et que, en général, les 25 pour cent restants seraient vendus sur le marché local, au Yukon. Le « bois raboté et séché » serait le produit que l’on obtiendrait après l’exécution de la phase 2 du plan d’immobilisations, une hypothèse fondamentale dans la préparation de son rapport.

 

[1277]   En ce qui concerne le marché de l’Alaska, M. Van Leeuwen a estimé que ce marché consommerait de 65 à 70 millions de pieds-planche par année. Il s’agit là d’une estimation raisonnable, qu’il a dérivée du rapport MacDowell. Il a été contre-interrogé (pages 1988-1989) sur les différents types de mesure, mais pas sur les répercussions d’une différence quelconque.

 

[1278]   En faisant des commentaires sur le marché de l’Alaska, M. Van Leeuwen a fait remarquer que ce marché n’avait consommé en 1998 que 20 pour cent d’épinette-pin-sapin (E‑P‑S) en 1998. Il a présumé que la consommation d’E‑P‑S augmenterait en raison de ses avantages marqués sur le plan du coût et il a présumé que 75 pour cent du bois que produisait SYFC serait vendu au marché de l’Alaska.

 

[1279]   En contre-interrogatoire, M. Van Leeuwen a légèrement réduit le volume qui serait vendu au marché de l’Alaska au chiffre de 50 à 60 pour cent. De ce fait, les pertes projetées des demanderesses seront réduites en conséquences.

 

[1280]   Il a étayé son opinion au sujet de la probabilité d’un marché [traduction] « local », ce qui inclut le marché de l’Alaska, en faisant référence à l’emplacement [traduction] « unique » de la scierie, sur un site adjacent à la Route de l’Alaska, un fait qui signifiait que les coûts du transport du bois jusqu’au marché de l’Alaska seraient nettement réduits. Le transport par route était disponible et ce moyen de transport coûtait nettement moins cher que le transport du bois à partir des sources habituelles de ce marché, c’est-à-dire le Washington et l’Oregon aux États‑Unis.

 

[1281]   Les observations de M. Van Leeuwen à cet égard sont fondées sur des faits. Il a été brièvement contre-interrogé, aux pages 1978 et 1979 :

[traduction
Q.        « Bois de charpente de haute qualité ». Là encore dans la même phrase, « ...l’E-P-S aurait, sur le coût du transport, un avantage considérable par rapport au bois importé ». Vous parlez bien d’un avantage pour l’Alaska?

R.         Oui, et pour le Yukon.

[...]

Q.        Cet avantage a-t-il été intégré dans la prime que vous avez intégrée dans vos pro formas, pour le chiffre?

R.         Oui. Oui, c’est le cas.

Q.        Donc, c’est là que résidait principalement la différence de prix, l’avantage sur le plan du coût du transport?

R.         Oui.

Q.        Je vous remercie.

R.         Et là encore, je suis prudent. Mais c’est exact.

 

[1282]   M. Van Leeuwen, tant dans son rapport que dans son témoignage de vive voix, a parlé de la valeur du fait que les ressources en bois du territoire du Yukon étaient exonérées des droits antidumping compensatoires de 20 à 25 pour cent qu’imposait le gouvernement des États-Unis, relativement au conflit qu’il y avait avec le Canada au sujet du bois d’œuvre résineux. Il a fait remarquer aussi que le bois du Yukon n’était pas assujetti à la taxe d’exportation de 15 pour cent que l’on a imposé à certains produits de bois canadiens lorsque les droits antidumping compensatoires ont pris fin en 2003. Ces caractéristiques signifiaient que la structure de coût du bois du Yukon était attrayante.

 

[1283]   Il me semble logique que le Yukon serait un marché prêt et consentant pour acheter du bois provenant de la scierie des demanderesses. La scierie emploierait des habitants de l’endroit et générerait des revenus à Watson Lake, peut-être ailleurs dans le sud-est du Yukon. Le travail offert par les activités de la scierie permettrait aux habitants d’acheter des produits de bois pour leur usage personnel.

 

[1284]   Vu le coup de fouet évident dont bénéficierait l’économie yukonnaise de l’exploitation constante de la scierie des demanderesses, l’avantage de prix découlant de la réduction des frais d’expédition et la possibilité d’acheter auprès d’un fabricant « local », je ne vois aucune raison de mettre en doute l’hypothèse de M. Van Leeuwen selon laquelle 25 pour cent de la production de SYFC serait achetée au Yukon.

 

[1285]   M. Van Leeuwen, lors du contre-interrogatoire, a été interrogé aussi sur le rôle qu’il a joué dans la vérification relative à la scierie de Watson Lake qui a été effectuée en mars 2001. Un exemplaire du rapport de vérification qu’a établi M. Van Leeuwen a été déposé en tant que pièce D‑16. Dans ce rapport, M. Van Leeuwen a décrit l’entreprise des demanderesses comme une scierie [traduction] « construite à moitié ».

 

[1286]   En contre-interrogatoire, M. Van Leeuwen a expliqué ce qu’il a voulu dire dans la Vérification de la scierie par les mots [traduction] « vieille, inefficace et peu rentable ». Il a aussi expliqué ce qu’il voulait dire par les mots [traduction] « moitié de la scierie ». Il a fait la distinction entre une [traduction] « scierie » et une [traduction] « installation de bois de sciage », et il a ajouté que [traduction] « la scierie n’est que l’élément de l’installation de bois de sciage qui transforme les billes en bois vert brut »; voir l’extrait qui suit, tiré des pages 1970 et 1971 des notes sténographiques :

[traduction
Q. Et, dans votre autre rapport, vous dites qu’elle est « vieille, inefficace et peu rentable ».

R. Parce qu’il ne s’agissait que de la moitié de l’installation. Je crois que j’examinais – dans cette expression – vous devez comprendre qu’il existe un terme pour une scierie et un terme pour une installation. Vous savez, elles ne sont pas la même chose. Elles ne veulent pas dire la même chose. L’installation de bois de sciage désigne l’installation tout entière, avec la scierie, les séchoirs, la raboteuse, la transformation des billes. Une scierie n’est que la partie de l’installation qui transforme les billes en bois vert brut.

 

[1287]   M. Van Leeuwen a déclaré qu’une [traduction] « demi-scierie » ne pouvait produire que du bois vert brut. Il a expliqué que la scierie n’utilisait pas de séchoir pour le bois, pas plus qu’une raboteuse qui est nécessaire pour produire du bois de construction de dimensions courantes. Il a déclaré, en rapport avec la pièce D‑16, qu’il décrivait ce qu’il avait vu lorsqu’il avait rédigé la Vérification de la scierie.

 

[1288]   Cette réponse, à mon avis, est raisonnable. Selon moi, son rapport, déposé en tant que pièce P‑15, est une opinion fondée sur d’autres facteurs et d’autres questions qui ont été examinées dans la Vérification de la scierie. Les deux documents concernent deux mandats très différents. Ses pertes liées à une expectative reposaient sur des hypothèses raisonnables selon lesquelles une amélioration de 5 millions de dollars et l’exécution de la phase 2 auraient lieu. De ce fait, l’évaluation qu’il a faite de la scierie avant l’amélioration et l’exécution de la phase 2 n’a pas d’incidence négative sur ses projections.

 

[1289]   M. Van Leeuwen a été interrogé en contre-interrogatoire sur le facteur de récupération du bois (FRB) utilisé dans ses projections.

 

[1290]   M. Van Leeuwen a déclaré qu’il ne savait pas précisément comment SYFC mesurait son FRB. La possibilité que le FRB présumé par M. Van Leeuwen ne soit pas exact pourrait influencer de 10 pour cent la quantité de bois produite. M. Van Leeuwen l’a lui-même reconnu; voir la page 2012.

 

[1291]   Cela pourrait vouloir dire une augmentation approximative des coûts de 300 000 $ par année, ce qui pourrait résulter en une diminution correspondante des profits; voir les pages 2013 et 2014.

 

[1292]   M. Van Leeuwen a également été interrogé sur son hypothèse selon laquelle le FRB s’améliorerait à la longue, même sans investissement additionnel. À mon avis, l’opinion de M. Van Leeuwen selon laquelle le FRB pourrait s’améliorer à la longue, sans investissement additionnel, était raisonnable. Une fois que la scierie serait exploitée de façon constante, c’est‑à‑dire à plein temps, sans fermetures causées par le manque d’un approvisionnement en bois garanti, les employés deviendraient plus efficaces et davantage capables de maximiser la production tirée des billes de bois.

 

[1293]   Plus la scierie serait exploitée longtemps, plus ses travailleurs acquerraient de l’expérience et de la compétence et cela entraînerait une augmentation correspondante de la productivité.

 

(v) Les dommages subis de 2011 à 2020

[1294]   Je vais maintenant traiter des pertes liées à une expectative pour 2011 à 2020.

 

[1295]   Une question se pose au sujet du délai applicable pour calculer les dommages subis. Est‑il raisonnable d’évaluer ces derniers en faisant référence à une période de vingt ans? À mon avis, la réponse à cette question est « oui ».

 

[1296]   M. Van Leeuwen a fourni des projections détaillées sur une période de dix ans, c’est‑à‑dire de 2001 à 2010. Il n’a pas procédé à la même analyse détaillée pour la décennie suivante : de 2011 à 2020. Cependant, il a émis l’avis écrit qu’il n’avait aucune raison de s’attendre à ce que les profits réalisés entre 2011 et 2020 seraient nettement différents de ceux qui auraient été réalisés de 2001 à 2010.

 

[1297]   Le rapport de M. Van Leeuwen traite comme suit de cette question, à la page 5 de la pièce P‑15 :

[traduction] Il est important de souligner que SYFC a demandé, et s’attendait à recevoir, un contrat de récolte de bois (CRB) de 200 000 m3 par année. IWMG n’a fourni qu’une projection financière détaillée sur dix ans (2001 à 2010). Cependant, on peut présumer que la scierie de SYFC aurait eu des revenus semblables entre 2011 et 2020, en se fondant sur une période caractéristique de dix ans et les tendances à long terme de l’offre et de la demande (prix ) concernant le bois nord-américain. Même s’il n’est pas possible de faire des projections financières annuelles détaillées pour la période de 2011 à 2020 (ces projections ne pourraient être fondées que sur des tendances relatives aux prix à long terme), on peut présumer, en prenant pour base les tendances à long terme relatives à l’offre/demande de l’industrie (prix) que la société pourrait réaliser des RAIIA et des RAI, entre 2011 et 2020, semblables à ceux qui ont été projetés pour la période de 2001 à 2010.
[Souligné dans l’original].

 

[1298]   Dans son témoignage de vive voix, il a déclaré qu’il était difficile de projeter ces résultats en raison du caractère cyclique de l’industrie du bois. Cependant, en contre-interrogatoire il a déclaré ce qui suit, aux pages 1905 à 2907 :

[traduction
R.         C’est très sombre aujourd’hui. Et les prix du bois sont probablement inférieurs de 50 pour cent à ce qu’ils étaient il y a deux ans de cela seulement. Donc, en définitive, les entreprises qui faisaient beaucoup d’argent il y a deux ans en perdent aujourd’hui beaucoup.

            Mais le concept auquel je faisais référence est que, même si en tant que société de consultation, nous nous sentions très mal à l’aise à l’idée d’élaborer une prévision sur dix ans, montrant année par année et en détail ce que serait le prix de vente du bois, ce que serait la valeur de la production d’électricité. Nous croyons toutefois que, depuis les cinquante dernières années, l’industrie du bois a fonctionné de manière très cyclique. En d’autres termes, le marché du bois évolue constamment à la hausse ou à la baisse. Il n’est jamais plat. Et ce mouvement à la hausse et à la baisse est cyclique et, si l’on examine la situation sur une période d’environ cinquante ans, vous constaterez qu’à tous les dix ans ou presque, il y a un pic et il y a un creux par bloc de dix ans, qui est lié aux mises en chantier aux États-Unis. Ce que je veux dire ici, c’est que les dix années que j’ai analysées et projetées comportent une période dans laquelle le – une période très caractéristique dans l’industrie du bois, où le marché a connu un pic en 2005, est passé à un creux en 2008 et est censé s’améliorer en 2009 et ensuite en 2010, et prendre graduellement de la vigueur de nouveau au début de 2011, 2012.

            Donc, ce que je soutiens, ou ce que nous soutenons, c’est que nous nous attendons à ce que la période de 2011 à 2020 contienne un cycle de pics et de creux semblable à celui que nous avons connu entre 2001 et 2010.

Q.        Donc, pour que les choses soient claires, Monsieur, même si le calendrier auquel nous allons faire référence dans quelques minutes projette des pertes ou des profits, quelle que soit la façon dont vous les caractérisez, jusqu’à la fin de 2010, ce que vous dites dans ce paragraphe particulier c’est que, si vous passez à la période suivante de dix ans, il s’agit alors d’une autre considération.

R.         Certainement. Parce que, comme je l’ai indiqué, nous sommes dans le creux. Nous nous attendons à ce que les prix du bois s’améliorent en 2011, 2012, 2013. Il est difficile de dire quand surviendra le pic suivant dans cette période de dix ans, mais nous croyons effectivement qu’il y aura un pic, et qu’il y aura ensuite un autre creux, quelque part au cours de cette période de 2011 à 2020.

 

[1299]   Le caractère raisonnable des projections sur vingt ans de M. Van Leeuwen est inexorablement lié au caractère raisonnable de son hypothèse selon laquelle les demanderesses auraient obtenu une tenure à long terme de vingt ans de la défenderesse, ainsi qu’un approvisionnement en bois garanti d’un volume de 200 000 m3 par année.

 

[1300]   M. Van Leeuwen a-t-il raisonnablement présumé que les demanderesses auraient reçu un CRB de vingt ans? Compte tenu de la totalité de la preuve, je suis d’avis que la présomption de M. Van Leeuwen au sujet d’un CRB d’une durée de vingt ans est raisonnable.

 

[1301]   À mon avis, il était raisonnable pour M. Van Leeuwen de fonder son opinion au sujet des pertes futures des demanderesses sur l’hypothèse selon laquelle ces dernières auraient obtenu une tenure à long terme. Après tout, c’est de cela qu’il est question dans la présente action et j’ai déjà conclu qu’un tel engagement a bel et bien été pris envers les demanderesses.

 

[1302]   Plus précisément, j’ai conclu que, pour les besoins de la scierie des demanderesses, un volume de 200 000 m3 était « un approvisionnement adéquat ». J’ai également conclu que l’engagement concernait un approvisionnement en bois pendant vingt ans.

 

[1303]   Au vu de ces faits, je conclus qu’il était raisonnable de présumer que les demanderesses avaient obtenu un contrat de 20 ans pour avoir accès à un approvisionnement de 200 000 m3 de bois par année. Je conclus également qu’il était raisonnable d’évaluer les pertes liées à une expectative sur une période équivalente.

 

[1304]   Dans son rapport, M. Van Leeuwen a déclaré que la demanderesse SYFC avait [traduction] « demandé – et s’attendait à recevoir – un CRB de 20 ans d’un volume de 200 000 m3 par année ». Comme je l’ai mentionné plus tôt, cela n’est pas vrai parce que SYFC n’avait pas demandé un CRB d’une durée de 20 ans; en fait, elle n’avait pas demandé un CRB d’une durée quelconque. Cependant, cette hypothèse est fondée sur l’affirmation des demanderesses selon laquelle la défenderesse s’était engagée à fournir un approvisionnement en bois suffisant et à long terme, si l’on construisait une scierie.

 

[1305]   J’ai conclu que cet engagement a été pris.

 

[1306]   Dans ces circonstances, le fait que M. Van Leeuwen se soit trompé à cet égard dans cette partie de son rapport importe peu.

 

(vi) La conclusion sur les dommages subis

[1307]   Comme je l’ai mentionné plus tôt, la défenderesse n’a pas produit de preuves indépendantes sur les dommages subis. Cela, il va s’en dire, est son droit car ce sont les demanderesses qui supportent le fardeau d’établir qu’elles ont subi une perte ainsi que le montant de cette perte, et ce, selon le fardeau qui s’applique habituellement en matière civile, soit la prépondérance des probabilités.

 

[1308]   La défenderesse a contre-interrogé M. Alan Kerr et M. Van Leeuwen. Dans aucun de ces deux cas n’a-t-elle sérieusement contesté la preuve qui a été présentée pour le compte des demanderesses.

 

[1309]   Dans le contre-interrogatoire de M. Van Leeuwen, la défenderesse lui a posé des questions sur certaines de ses hypothèses. Je suis convaincue que dans ses réponses M. Van Leeuwen a convenablement expliqué ce qu’il avait écrit dans son rapport. Dans les rares cas où il a rapporté les faits d’une manière inexacte, ces erreurs de faits n’ont aucune incidence importante.

 

[1310]   J’ai noté les points saillants du témoignage de M. Van Leeuwen. Il a été un témoin égal, qui n’a pas été ébranlé en contre-interrogatoire. Il a donné une explication raisonnable pour les opinions en apparence contradictoire qui étaient exprimées dans les pièces P-15 et D-16. Son témoignage, à la pièce P-15 et en contre-interrogatoire, est fondé sur sa connaissance personnelle des faits pertinents concernant l’industrie du bois ainsi que sur son examen de documents pertinents, de même que sur son opinion fondée sur ses compétences et son expérience professionnelles. Je considère que son témoignage est digne de foi, pertinent, utile pour déterminer les dommages subis et non soumis à une règle d’exclusion quelconque; voir R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9 et Merck & Co. c. Apotex Inc. et al. (2005), 274 F.T.R. 113 (C.F.).

 

[1311]   Je suis convaincue que les hypothèses qu’a utilisées M. Van Leeuwen pour établir ses projections financières sont raisonnables, sous réserve de mes observations au sujet d’une réduction des profits à la suite de la modification qu’il a faite dans son témoignage en rapport avec le volume des produits des demanderesses qui seront vendus sur le marché de l’Alaska et compte tenu aussi du degré d’incertitude que suscite le FRB.

 

[1312]   M. Van Leeuwen a tout d’abord calculé, dans le proformat no 2, que la scierie avait un RAIIA de 42 500 000 $ pour la période de 2001 à 2010. Comme je l’ai indiqué plus tôt, ce montant doit être réduit à cause du changement que M. Van Leeuwen a apporté, dans son témoignage, à propos du marché de l’Alaska. Il faut également le réduire pour tenir compte du FRB. Cela étant, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, les pertes liées à une expectative des demanderesses pour la période de 2001 à 2010 s’élevaient à 31 000 000 $. Les demanderesses ont le droit de récupérer ses pertes à titre de dédommagement.

 

[1313]   J’ai décidé de me fonder sur le calcul précis des pertes liées à une expectative dont M. Van Leeuwen a fait état dans son témoignage, mais, en tout état de cause, ces dommages, qui totalisent 31 000 000 $, représentent un dédommagement raisonnable pour les pertes liées à une expectative au cours de la période de 2001 à 2010. Toute difficulté de calcul ne devrait pas empêcher les demanderesses de recouvrer ce montant de dédommagement raisonnable; voir Wingate.

 

[1314]   De plus, j’ai accepté qu’il était raisonnable de projeter les pertes liées à une expectative sur 20 ans. Cependant, je considère que le calcul d’une période additionnelle de pertes liées à une expectative, c’est-à-dire de 2011 à 2020, ne peut pas faire l’objet d’un calcul mathématique précis. Je suis néanmoins d’accord avec ce que dit la Cour d’appel du Manitoba dans l’arrêt Wingate : il est [traduction] « préférable que la partie lésée reçoive un montant raisonnable, sinon mathématiquement mesurable, que de ne pas être dédommagée de la perte subie ».

 

[1315]   La défenderesse était au courant des intentions qu’avaient les demanderesses de construire les installations à valeur ajoutée. Cela étant, elle a été informée que l’inexécution de ses obligations empêcherait les demanderesses de réaliser leurs attentes en rapport avec la phase 3; voir la pièce P-79, onglet 282.

 

[1316]   De plus, la défenderesse avait été informée, dans l’étude relative au projet de scierie de Kaska Forest Products en avril 1997, que les principaux marchés d’une scierie à Watson Lake seraient le Japon, la Corée et Taiwan.

 

[1317]   M. Van Leeuwen n’a pas pris en considération les répercussions de toute amélioration future à la scierie, la construction de l’installation à valeur ajoutée prévue ou les ventes au marché japonais. Dans ce contexte, je crois que les pertes liées à une expectative raisonnables seraient quelque peu supérieures dans la seconde projection sur 10 ans, soit la période de 2011 à 2020.

 

[1318]   De ce fait, et compte tenu de la totalité de la preuve, je conclus selon la prépondérance des probabilités que les pertes liées à une expectative raisonnables que les demanderesses auraient subies pour la période de 2011 à 2020 s’élèvent à 36 000 000 $. Les demanderesses ont le droit de recouvrer ces pertes à titre de dédommagement.

 

[1319]   Je conclus que les demanderesses ont le droit de recouvrer leurs pertes liées à une expectative pour la période de 2001 à 2020, d’un montant de 67 000 000 $, de pair avec les intérêts avant jugement dont il est question ci-après.

 

7. Les dommages-intérêts punitifs

[1320]   Les demanderesses sollicitent également des dommages-intérêts punitifs. Il s’agit là d’une catégorie spéciale de dommages-intérêts, dont l’octroi est soumis à des considérations spéciales. Dans l’arrêt Honda Canada Inc. c. Keays, [2008] 2 R.C.S. 362, la Cour suprême du Canada a formulé la mise en garde suivante, au paragraphe 68 :

[68] Même si je déférais à l’avis du juge de première instance sur ce point, notre Cour a statué que « l’attribution de dommages‑intérêts punitifs doit toujours se faire après mûre réflexion et que le pouvoir discrétionnaire de les accorder doit être exercé avec une très grande prudence » (Vorvis, p. 1104‑1105).  Les tribunaux ne devraient en accorder qu’à titre exceptionnel (Whiten, par. 69), et la faute donnant elle-même ouverture à un droit d’action n’est qu’un des nombreux éléments qu’ils doivent alors examiner attentivement avant de le faire.  Un autre élément important est que le comportement en cause ait été « dur, vengeur, répréhensible et malicieux » et « de nature extrême et [qu’il] mérite, selon toute norme raisonnable, d’être condamné et puni » (Vorvis, p. 1108). [...]

 

[1321]   Le critère relatif à l’attribution de dommages-intérêts punitifs a été fixé par la Cour suprême dans l’arrêt Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] 1 R.C.S. 595, au paragraphe 36 :

Exceptionnellement, des dommages-intérêts punitifs sont accordés lorsqu’une conduite « malveillante, opprimante et abusive [. . .] choque le sens de la dignité de la cour » : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 196.  Ce critère limite en conséquence de tels dommages-intérêts aux seules conduites répréhensibles représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable.  Parce qu’ils ont pour objet de punir le défendeur plutôt que d’indemniser le demandeur (la juste indemnité à laquelle ce dernier a droit ayant déjà été déterminée), les dommages-intérêts punitifs chevauchent la frontière entre le droit civil (indemnisation) et le droit criminel (punition).

 

[1322]   Il est difficile de satisfaire à ce critère, mais je suis persuadée, eu égard à la preuve fourni en l’espèce, que les demanderesses y ont satisfait.

 

[1323]   Dans l’arrêt Whiten, au paragraphe 92, la Cour suprême déclare que « les dommages-intérêts punitifs sont liés à la nature de la conduite du défendeur et non à l’ampleur de la perte (si perte il y a) du demandeur ».

 

[1324]   En outre, au paragraphe 94, la cour relève les facteurs que le juge des faits doit prendre en considération pour accorder des dommages-intérêts punitifs :

Pour cela, non seulement les plaideurs devront-ils rédiger avec plus de rigueur leurs prétentions au sujet des dommages-intérêts punitifs dans les actes de procédure (voir le par. 87 ci-dessus), mais il serait également utile que le juge du procès fasse comprendre les points suivants au jury dans son exposé, en se répétant s’il le faut.  (1) Les dommages-intérêts punitifs sont vraiment l’exception et non la règle.  (2) Ils sont accordés seulement si le défendeur a eu une conduite malveillante, arbitraire ou extrêmement répréhensible, qui déroge nettement aux normes ordinaires de bonne conduite.  (3) Lorsqu’ils sont accordés, leur quantum doit être raisonnablement proportionné, eu égard à des facteurs comme le préjudice causé, la gravité de la  conduite répréhensible, la vulnérabilité relative du demandeur et les avantages ou bénéfices tirés par le défendeur, (4) ainsi qu’aux autres amendes ou sanctions infligées à ce dernier par suite de la conduite répréhensible en cause.  (5) En règle générale, des dommages-intérêts punitifs sont accordés seulement lorsque la conduite répréhensible resterait autrement impunie ou lorsque les autres sanctions ne permettent pas ou ne permettraient probablement pas de réaliser les objectifs de châtiment, dissuasion et dénonciation.  (6) L’objectif de ces dommages-intérêts n’est pas d’indemniser le demandeur, mais (7) de punir le défendeur comme il le mérite (châtiment), de le décourager — lui et autrui — d’agir ainsi à l’avenir (dissuasion) et d’exprimer la condamnation de l’ensemble de la collectivité à l’égard des événements (dénonciation).  (8) Ils sont accordés seulement lorsque les dommages-intérêts compensatoires, qui ont dans une certaine mesure un caractère punitif, ne permettent pas de réaliser ces objectifs.  (9) Leur quantum ne doit pas dépasser la somme nécessaire pour réaliser rationnellement leur objectif.  (10) Bien que l’État soit généralement le bénéficiaire des amendes ou sanctions infligées pour cause de conduite répréhensible, les dommages-intérêts punitifs constituent pour le demandeur un « profit inattendu » qui s’ajoute aux dommages-intérêts compensatoires.  (11) Dans notre système de justice, les juges et les jurys estiment que des dommages-intérêts punitifs modérés sont généralement suffisants, puisqu’ils entraînent inévitablement une stigmatisation sociale.

 

 

[1325]   Dans l’arrêt Whiten, une réclamation liée à une police d’assurance, la Cour suprême a conclu qu’il était justifié d’accorder des dommages-intérêts punitifs parce que la défenderesse avait manqué à l’obligation distincte de faire affaire de bonne foi avec ses détenteurs de police. Elle a conclu que ce manquement était indépendant du manquement à l’obligation contractuelle de payer la perte et qu’il s’y ajoutait.

 

[1326]   En l’espèce, j’ai conclu que la défenderesse a rompu à son contrat concernant la fourniture aux demanderesses d’un approvisionnement suffisant en bois, après que les demanderesses ont donné suite à la promesse de la défenderesse à cet égard et ont construit la scierie.

 

[1327]   Dans l’arrêt Whiten, la Cour suprême a conclu que l’octroi de dommages-intérêts punitifs obligeait les demandeurs à prouver qu’ils avaient subi une « faute donnant ouverture à action » qui est indépendante des motifs d’action pour lesquels ils seront dédommagés. Dans la présente action, j’ai conclu que les demanderesses ont obtenu gain de cause dans leurs réclamations pour inexécution de contrat, négligence et déclaration inexacte faite par négligence.

 

[1328]   Je suis d’avis que la conduite de la défenderesse en rapport avec l’inexécution de contrat est assimilable en l’espèce à une « faute donnant ouverture à action » dont il est question dans les arrêts Vorvis et Whiten. Au paragraphe 79 de l’arrêt Whiten, La Cour suprême indique ce qui suit :

En l’espèce, la société Pilot reconnaît qu’un assureur a l’obligation d’agir de bonne foi et équitablement, mais elle prétend qu’il s’agit d’une obligation contractuelle, alors que l’arrêt Vorvis exige l’existence d’une faute d’ordre délictuel.  À mon avis, toutefois, le manquement à l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi est indépendant du manquement à l’obligation d’indemniser l’assuré de sa perte et il s’y ajoute.  Il constitue une faute donnant ouverture à action au sens de la règle énoncée dans Vorvis, laquelle n’exige pas un délit indépendant.  Plusieurs raisons m’incitent à tirer cette conclusion.

 

[1329]   À mon avis, en l’espèce, la conduite de la défenderesse était une inconduite. Il s’agissait d’une conduite qui a causé le manquement au contrat. Ce manquement était le défaut de fournir un approvisionnement en bois suffisant pour la scierie de Watson Lake. Cependant, l’inconduite de la défenderesse était telle qu’elle l’a empêché de s’acquitter de ses obligations contractuelles.

 

[1330]   La défenderesse a essayé de caractériser la conduite de ses employés et mandataires en disant qu’ils agissaient dans l’intérêt des Canadiens en protégeant de manière responsable les ressources forestières. C’est là un argument que je rejette. Cette prétention de la défenderesse est semblable à l’argument qui a été présenté dans la décision LaPointe et al c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) et al (1992), 51 F.T.R. 161 (1re inst.). Le juge Collier, dans cette décision, a fait remarquer au paragraphe 64 que :

Tout au long du litige, les défendeurs ont soutenu qu’ils ne s’étaient pas comportés d’une manière tyrannique et arrogante, mais qu’ils avaient plutôt agi après mûre réflexion et dans le seul but de protéger l’industrie de la pêche. Cet argument ne me convainc nullement.

 

[1331]   Je conclus que la conduite de la défenderesse à cet égard équivaut à un manquement à l’obligation de s’acquitter d’une obligation contractuelle de bonne foi, une faute indépendante donnant ouverture à action, comme l’analyse la Cour suprême dans l’arrêt Whiten.

 

[1332]   Je conclus que le comportement de certains des employés et mandataires de la défenderesse a été « dur, vengeur, répréhensible et malicieux », les critères relevés par la Cour suprême dans l’arrêt Honda. J’ai revu de manière assez détaillée mon analyse concernant la mauvaise foi dans la partie du présent jugement qui concerne la négligence.

 

[1333]   J’ai également examiné la conduite de la défenderesse au cours du procès dans mon analyse concernant la conduite du procès.

 

[1334]   Dans l’arrêt Whiten, la Cour suprême du Canada a plafonné une attribution de dommages-intérêts punitifs à 1 M$.

 

[1335]   Je suis consciente du motif pour lequel on attribue des dommages-intérêts punitifs, c’est‑à-dire, punir les comportements qui offensent une société décente. En outre, je reconnais les conseils donnés dans l’arrêt Whiten, à savoir qu’une attribution de dommages-intérêts punitifs doit être proportionnée au besoin de dissuasion et le montant attribué doit être raisonnable et rationnel.

 

[1336]   Compte tenu de ces facteurs, je suis persuadée qu’en l’espèce une attribution de dommages-intérêts punitifs est justifiée, mais d’un montant inférieur au maximum. J’évalue ces dommages à une somme symbolique de 50 000 $, compte tenu de mon évaluation des dommages-intérêts compensatoires généraux qui s’appliquent aux pertes liées à une expectative des demanderesses.

 

[1337]   Le dossier recèle de preuves illustrant le comportement arbitraire et hautement répréhensible des fonctionnaires et des mandataires de la défenderesse. J’ai déjà mentionné plusieurs exemples de ce comportement.

 

[1338]   La défenderesse devrait être mise en garde contre la répétition future de ce genre de conduite. Au paragraphe 37 de l’arrêt Whiten, la Cour suprême a formulé les commentaires suivant sur l’objet des dommages-intérêts punitifs :

La punition est un objectif légitime non seulement en droit criminel, mais également en droit civil.  Les dommages-intérêts punitifs répondent à un besoin que ni le droit civil pur ni le droit criminel pur ne peuvent satisfaire. En l’espèce, par exemple, personne d’autre que l’appelante ne saurait raisonnablement être disposé à investir une somme d’environ 320 000 $ en frais de justice dans un long procès afin d’établir que l’assureur s’est conduit de façon abominable dans ce dossier. La surindemnisation d’un demandeur est accordée en contrepartie de ce service socialement utile.

 

 

8. Les intérêts

[1339]   Les demanderesses ont demandé que des intérêts s’ajoutent à tout jugement qu’on leur accorderait dans le cadre de la présente action. Tant la Loi sur les cours fédérales que la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif traitent de l’attribution d’intérêts avant jugement et d’intérêts sur les jugements, aussi appelés intérêts après jugement. Chacune de ces lois prévoit l’attribution d’intérêts en faisant référence au taux d’intérêt en vigueur dans la province au moment où le « fait générateur » survient dans la province. La question des intérêts avant jugement est visée au paragraphe 36(1) de la Loi sur les Cours fédérales, comme suit :

Intérêt avant jugement — Fait survenu dans une province

 

36 (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi fédérale, et sous réserve du paragraphe (2), les règles de droit en matière d’intérêt avant jugement qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale et dont le fait générateur est survenu dans cette province.

Prejudgment interest — cause of action within province

 

36 (1) Except as otherwise provided in any other Act of Parliament, and subject to subsection (2), the laws relating to prejudgment interest in proceedings between subject and subject that are in force in a province apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

 

[1340]   Les intérêts sur les jugements sont autorisés par le paragraphe 37(1) de la Loi sur les Cours fédérales, comme suit :

Intérêt sur les jugements —

Fait survenu dans une seule

province

37 (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi fédérale et sous réserve du paragraphe (2), les règles de droit en matière d’intérêt pour

les jugements qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale et dont le fait générateur est survenu dans cette province.

Judgment interest — causes of action within province

 

 

37 (1) Except as otherwise provided in any other Act of Parliament and subject to  subsection (2), the laws relating to interest on judgments in causes of action between subject and subject that are in force in a province apply to judgments of the Federal Court of Appeal or

the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

 

[1341]   Les articles 31 et 31.1 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif sont également pertinents. Le paragraphe 31(1) s’applique en l’espèce et indique ce qui suit :

Intérêt avant jugement — Fait survenu dans une province

 

31 (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi fédérale, et sous réserve du paragraphe (2), les règles de droit en matière d’intérêt avant jugement qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance visant l’État devant le tribunal et dont le fait générateur est survenu dans cette province.

 

Prejudgment interest, cause of action within province

 

31 (1) Except as otherwise provided in any other Act of Parliament and subject to subsection (2), the laws relating to prejudgment interest in proceedings between subject and subject that are in force in a province apply to any proceedings against the Crown in any court in respect of any cause of action arising in that province.

 

[1342]   Le paragraphe 31.1(1) est lui aussi pertinent et indique ce qui suit :

Intérêts sur les jugements — Fait survenu dans une province

 

31.1 (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi fédérale et sous réserve du paragraphe (2), les règles de droit en matière d’intérêt pour les jugements qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent aux jugements rendus contre l’État dans les cas où un fait générateur est survenu dans cette province.

Judgment interest, causes of action within province

 

31.1 (1) Except as otherwise provided in any other Act of Parliament and subject to subsection (2), the laws relating to interest on judgments in causes of action between subject and subject that are in force in a province apply to judgments against the Crown in respect of any cause of action arising in that province.

 

 

[1343]   Les causes d’action (ou les faits générateurs) qui sont en litige en l’espèce ont pris naissance au Yukon. Compte tenu de la définition d’une « province » que l’on trouve dans la Loi d’interprétation, qui a été citée plus tôt, c’est la loi en vigueur au Yukon qui s’applique. Dans ce contexte, le droit applicable est la Loi sur l’organisation judiciaire, L.R. Y. 1986, ch. 96, articles 35 et 36, dont les dispositions sont les suivantes :

Intérêts avant jugement

 

35 (1) Au présent article, « taux préférentiel » s’entend du taux d’intérêt le plus bas demandé

par une banque à charte à ses clients les mieux cotés pour un prêt commercial accordé au taux préférentiel tel que ce taux est déterminé et publié par la Banque du Canada.

 

(2) Pour établir le taux préférentiel, la publication intitulée Revue de la Banque du

Canada donnée comme publiée par la Banque du Canada est admissible en preuve et fait foi du taux préférentiel y indiqué, sans qu’il soit nécessaire de fournir une autre preuve de

l’authenticité de la publication.

 

 

(3) Sous réserve du paragraphe (7), le bénéficiaire d’un jugement portant paiement

d’une somme a le droit de réclamer et de faire ajouter au jugement des intérêts sur cette

somme au taux préférentiel en vigueur au cours du mois précédant celui où l’action a été

introduite. Ces intérêts sont calculés à compter de la date à laquelle la cause d’action a pris

naissance jusqu’à la date du jugement.

 

[...]

 

(5) Les intérêts calculés sous le régime du présent article ne sont pas accordés dans les cas

suivants :

a) sur les dommages-intérêts exemplaires ou punitifs;

b) sur les intérêts courus en vertu du présent article;

c) sur les dépens adjugés dans l’action;

d) sur la partie du jugement correspondant à la perte pécuniaire survenue après la date du jugement et déterminée par le tribunal.

 

 

[...]

 

(7) Dans la mesure où il l’estime juste, compte tenu de toutes les circonstances et à

l’égard de la totalité ou d’une partie du montant du jugement, le juge peut :

a) refuser d’accorder l’intérêt prévu au présent article;

b) fixer un taux d’intérêt différent du taux préférentiel;

c) accorder l’intérêt pour une période différente de celle que prévoit le présent article.

 

 

Intérêts postérieurs au jugement

 

36 (1) Au présent article, « taux préférentiel » a le même sens qu’à l’article 35.

 

(2) Un jugement condamnant au paiement d’une somme d’argent porte intérêt au taux

préférentiel à partir de la date où a été rendu le jugement ou à partir de la date fixée par le

jugement.

 

(3) Durant les six premiers mois de l’année, l’intérêt est calculé au taux préférentiel établi le

1er janvier. Pour les six derniers mois, l’intérêt est calculé au taux préférentiel en vigueur le

1er juillet.

 

[...]

 

(5) Si le tribunal l’estime indiqué, il peut, si la personne visée par le jugement ou que le jugement intéresse en fait la demande, modifier le taux d’intérêt applicable en application du présent article ou fixer une autre date à partir de

laquelle l’intérêt est calculé.

 

[...]

 

(9) Le présent article entre en vigueur à la

date où les articles 11 à 14 de la Loi sur l’intérêt (Canada) cessent d’avoir force de loi au territoire du Yukon.

Pre-judgment interest

 

35 (1) In this section, “prime rate” means the lowest rate of interest quoted by chartered

banks to the most credit-worthy borrowers for prime business loans, as determined and

published by the Bank of Canada.

 

 

(2) For the purpose of establishing the prime rate, the periodic publication entitled the Bank of Canada Review purporting to be published by

the Bank of Canada is admissible in evidence as

conclusive proof of the prime rate as set out therein, without further proof of the authenticity of the publication.

 

 

 

(3) Subject to subsection (7), a person who is entitled to a judgment for the payment of

money is entitled to claim and have included in the judgment an award of interest thereon at

the prime rate existing for the month preceding the month in which the action was commenced calculated from the date the cause of action arose to the date of judgment.

 

 

 

 

 

...

 

(5) Interest under this section shall not be awarded

 

 

(a) on exemplary or punitive damages;

(b) on interest accruing under this section;

(c) on an award of costs in the action; or

(d) on that part of the judgment that represents pecuniary loss arising after the

date of the judgment and that is identified by a finding of the court.

 

 ...

 

(7) The judge may, if considered just to do so in all the circumstances, in respect of the whole or any part of the amount for which judgment is given,

(a) disallow interest under this section;

(b) set a rate of interest higher or lower than the prime rate; or

(c) allow interest under this section for a period other than that provided.

 

 

Post-judgment interest

 

36 (1) In this section, “prime rate” has the same meaning as in section 35.

 

(2) A judgment for the payment of money shall bear interest at the prime rate from the day

the judgment is pronounced or the date money is payable under the judgment.

 

 

(3) During the first six months of a year interest shall be calculated at the prime rate as

at January 1 and during the last six months interest shall be calculated at the prime rate as

at July 1.

 

...

 

(5) If the court considers it appropriate, it may, on the application of the person affected by, or interested in a judgment, vary the rate of

interest applicable under this section or set a different date from which the interest shall be

calculated.

 

...

 

(9) This section comes into force on the date that sections 11 to 14 of the Interest Act

(Canada) cease to have effect in the Yukon Territory.

 

 

[1344]   En ce qui concerne le paragraphe 36(9) de la Loi sur l’organisation judiciaire, je souligne que les articles 11 à 14 de la Loi sur l’intérêt, L.R.C. 1985, ch. I-15, ont cessé d’avoir effet au Yukon le 30 septembre 1993; voir le TR/93-195.

 

[1345]   Aux termes de la Loi sur l’organisation judiciaire, les intérêts avant jugement sur les dommages-intérêts pécuniaires sont discrétionnaires, mais ils doivent être attribués sauf s’il existe des circonstances exceptionnelles ou si une exclusion est prévue au paragraphe 35(5); voir les conclusions de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Brooks c. Stefura (2000), 192 D.L.R. (4th) 40 (C.A. Alb.) en rapport avec une loi semblable. Les dispositions de la Loi sur les Cours fédérales et de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif sont elles aussi essentiellement les mêmes.

 

[1346]   En l’espèce, la défenderesse n’a pas fait état d’un motif pour s’écarter de la règle générale selon laquelle les intérêts avant jugement devraient être accordés.

 

[1347]   Lorsqu’une partie a subi un préjudice, les intérêts avant jugement font partie du dédommagement. L’objet de ces intérêts est de [traduction] « dédommager le fait d’avoir été privé de dommages-intérêts à partir de la date où ont les a subis »; voir Tridan Developments Ltd. c. Shell Canada Products Ltd. (2002), 154 O.A.C. 1 (C.A.).

 

[1348]   Si on n’accorde pas d’intérêts avant jugement à la partie, celle-ci peut alors être insuffisamment dédommagée de la perte subie. Ce principe repose sur l’hypothèse selon laquelle la partie lésée aurait investi l’argent.

 

[1349]   Dans le même ordre d’idées, la Cour doit s’assurer que la partie n’est pas dédommagée exagérément. C’est cet aspect qui constitue le fondement de l’exclusion prévue à l’alinéa 35(5)d) de la Loi sur l’organisation judiciaire. Cette disposition empêche d’attribuer des dommages‑intérêts pour toutes les pertes pécuniaires qui surviennent après la date du jugement. Il y aurait dédommagement excessif si l’on attribuait à la partie des intérêts sur les pertes pécuniaires à venir et que cette partie, par la suite, investit cet argent et touche des intérêts sur ce dernier.

 

[1350]   Comme l’a expliqué lord Denning dans l’arrêt Jefford c. Gee, [1970] 2 Q.B. 130 (C.A.), à la page 147 :

[traduction]

Lorsque la perte ou le dommage que subit le demandeur est une perte pécuniaire future, par exemple la perte d’un gain futur, il ne devrait y avoir en principe aucun intérêt. Les juges accordent toujours la valeur actuelle à la date du procès, c’est-à-dire la somme qui, investie avec intérêt, serait suffisante pour dédommager le demandeur de sa perte future, compte tenu de tous les imprévus. Il ne faudrait pas attribuer d’intérêt dans ce cas : parce que le demandeur n’aura pas été privé d’argent. Au contraire, il l’aura reçu à l’avance.

 

[1351]   Il n’y aura pas d’intérêts avant jugement sur les pertes qui, est-il projeté, surviendront dans l’avenir.

 

[1352]   Le paragraphe 35(3) de la Loi sur l’organisation judiciaire dispose que les intérêts doivent être calculés à compter de la date à laquelle la cause d’action a pris naissance jusqu’à la date du jugement.

 

[1353]   En définitive, je conclus que les intérêts avant jugement peuvent être attribués sur les dommages subis à partir de la date à laquelle la cause d’action a pris naissance, soit le 3 août 2000, jusqu’en date d’aujourd’hui. Ces intérêts sont attribués sur les dommages que j’ai évalués jusqu’en 2010.

 

[1354]   Les demanderesses ont demandé à la Cour d’attribuer des intérêts composés et, à cet égard, elles se fondent sur la décision rendue dans l’affaire Alberta c. Nilsson (2002), 288 W.A.C. 88 (C.A. Alb.).

 

[1355]   J’ai conclu que les causes d’action dont il est question en l’espèce ont pris naissance dans un contexte commercial. Selon la preuve, les demanderesses auraient cherché une province plus propice aux affaires dans laquelle investir. Cependant, il n’existe aucune preuve qu’elles auraient changé la forme de leur investissement, c’est-à-dire une scierie. Dans ce contexte, je conclus que des intérêts composés donneraient lieu à un dédommagement excessif et je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour accorder de tels intérêts.

 

[1356]   Les intérêts après jugement seront payés à compter de la date du jugement jusqu’à la date où le jugement est payé, conformément à l’article 36 de la Loi sur l’organisation judiciaire.

 

[1357]   La Loi sur l’organisation judiciaire prévoit que le taux d’intérêt, pour les intérêts avant jugement, est le taux d’intérêt commercial préférentiel qui s’applique au mois antérieur à la date à laquelle la cause d’action a pris naissance. Cependant, les demanderesses n’ont pas attiré mon attention sur le taux d’intérêt commercial préférentiel de la Banque du Canada qui s’appliquait au mois de juillet 2000.

 

[1358]   De plus, vu le changement radical qu’a connu la conjoncture économique nationale depuis les 10 dernières années, et le temps prolongé qu’il a fallu pour régler ce litige, il convient que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire en rapport avec le taux d’intérêt. J’ai l’intention de le faire afin d’éviter d’accorder un dédommagement excessif aux demanderesses en rapport avec la variabilité des taux d’intérêt.

 

[1359]   Les avocats des deux parties présenteront des observations sur la question des intérêts. Ces observations ne porteront que sur les questions suivantes :

a)                     le taux d’intérêt commercial préférentiel de la Banque du Canada, tel qu’envisagé par le paragraphe 35(1) de la Loi sur l’organisation judiciaire, mensuellement entre juillet 2000 et mai 2010;

b)                     le taux d’intérêt qu’il convient d’attribuer, eu égard à mes préoccupations au sujet de la variabilité des taux d’intérêt et d’un dédommagement excessif. Il n’y aura pas d’intérêts composés;

c)                     le montant d’intérêt sur les dommages-intérêts attribués jusqu’en 2010, conformément aux dispositions de la Loi sur l’organisation judiciaire ainsi qu’à mes conclusions.

 

[1360]   Ces observations sur les intérêts seront intégrées aux observations relatives aux dépens, et une directive sera rendue au sujet des délais de signification et du dépôt des dossiers de requête à cet égard.

 

9. La société de personnes ou la coentreprise

[1361]   La défenderesse a concentré de nombreux efforts, dans son contre-interrogatoire des témoins des demanderesses, ainsi que dans son argumentation écrite, sur la question de savoir si la scierie de Watson Lake avait été construite par une société de personnes ou une coentreprise.

 

[1362]   Dans ses observations écrites, l’avocate de la défenderesse a fait valoir que cette conclusion était importante pour les raisons suivantes :

[traduction]

a.         Il est allégué que, si la présente Cour rejette l’action avec dépens, chaque associé sera responsable, conjointement avec les autres associés, jusqu’au dernier vestige de ses biens, de la totalité des créances et des obligations de l’entreprise, ce qui inclut les dépens relatifs à la présente action.

 

b.         Il est allégué que les coentrepreneurs ont poursuivi la présente instance en sachant que, comme les demanderesses sont sans le sou, ils peuvent faire grimper les dépens relatifs à la présente action.

 

c.         La Cour devrait hésiter à permettre à des parties d’agir de cette façon.

 

d.         Une conclusion à l’existence d’une société de personnes servira de mesure dissuasive à d’autres « coentrepreneurs » aux vus similaires.

 

[1363]   Ces raisons pour demander une conclusion à l’existence d’une société de personnes ne sont pas liées à la responsabilité ou à une défense contre les causes d’action, pas plus qu’il ne s’agit d’une conclusion qu’il est nécessaire de tirer pour fixer les dépens. Comme il n’est pas exigé de tirer une telle conclusion, je refuse de le faire.

 

[1364]   Il semble, au vu de l’argument de la défenderesse, que cette conclusion est demandée afin qu’elle puisse demander le remboursement des dépens anticipés de la présente action, auprès des autres associés présumés, dans une cause d’action distincte. Le pouvoir de recouvrer une dette auprès d’un autre associé découle de la Loi sur les dénominations sociales et les sociétés de personnes, L.R.Y. 2002, c. 166. Cependant, il s’agira d’une action privée entre deux parties privées et il s’agit là d’une question qu’il convient de soumettre aux tribunaux du Yukon. La présente Cour n’a pas compétence pour formuler une telle conclusion.

 

[1365]   De plus, la défenderesse demande à la Cour de conclure à l’existence d’une société de personnes entre quatre personnalités juridiques distinctes. La conséquence d’une telle conclusion comporte en soi d’importantes obligations juridiques et, potentiellement, de graves conséquences. C’est pour cette raison qu’une décision concernant l’existence d’une société de personnes repose principalement sur l’intention des associés présumés; voir Perreault c. Churchill, [1994] Y.J. no 121 (C.S.)(Q.L.).

 

[1366]   Cependant, deux des quatre associés présumés ne sont pas partie à la présente action. L’absence de deux parties étaye ma décision de refuser de répondre à cette question.

 

[1367]   Cela ne veut pas dire que la Cour ne peut pas adjuger de dépens contre des non-parties. Elle peut le faire en se basant sur le pouvoir inhérent dont elle dispose pour éviter un abus de procédure; voir Richardson International Ltd. c. Navire Mys Chikhacheva et al (2002), 220 F.T.R. 81 (1re inst.) et Bande de la basse Similkameem c. Allison et al (1995), 99 F.T.R. 305 (1re inst.), deux décisions de feu le protonotaire Hargrave. Cependant, une telle ordonnance n’exige pas que l’on conclue à l’existence d’une société de personnes. Il est simplement inutile de tirer une conclusion qui a des effets aussi sérieux et lourds de conséquences sans pouvoir entendre les autres parties et au sein du forum approprié, de façon à protéger les droits des parties en l’espèce.

 

[1368]   En résumé, je ferai un seul commentaire à propos de cette demande de la Couronne. Il ressort clairement de la totalité de la preuve que les partenaires présumés comprennent LPL, SYFC, 18232 Yukon Inc. et KFR. Il est clair aussi que la Couronne a [traduction] « poussé » KFR à se joindre à la coentreprise. Je suis choquée de voir qu’à ce stade la Couronne tente d’obtenir une conclusion qui permettrait d’obtenir un recouvrement à l’encontre de KFR dans ces circonstances et sans avoir eu une occasion de présenter des arguments.

 

10. La demande reconventionnelle

[1369]   La défenderesse a déposé une demande reconventionnelle le 26 février 2003 contre la demanderesse SYFC, présentant diverses réclamations relatives à certaines terres situées près de la Route de l’Alaska au Yukon, conformément à un bail qui a été conclu le 21 octobre 1992 entre la défenderesse et The North Contracting Ltd. Selon la demande reconventionnelle, ce bail a par la suite été modifié, relativement à la description des terres louées.

 

[1370]   Il est allégué dans la demande reconventionnelle que le bail a été cédé par The North Contracting Ltd. à LPL le 15 novembre 1996.

 

[1371]   Il est de plus allégué dans la demande reconventionnelle, au paragraphe 42, que le 11 août 1997 la défenderesse et The North Contracting Ltd. ont apporté une autre [traduction] « modification au bail en vertu de laquelle il a été prévu de renouveler le bail et les parties ont expressément convenu que toutes les autres clauses et stipulations du bail sont confirmées ».

 

[1372]   Selon le paragraphe 43 de la demande reconventionnelle, LPL a cédé le bail à SYFC. Le paragraphe 43 de la demande reconventionnelle stipule de plus que :

[traduction]

[...] il a été expressément prévu dans ladite cession que la défenderesse reconventionnelle devra, de temps à autre pendant toute la partie restante du bail, acquitter le loyer et exécuter les engagements, les conditions et les ententes que contient le bail.

 

[1373]   Selon le paragraphe 44 de la demande reconventionnelle, une autre entente modifiant le bail a été conclue le 12 juillet 2000. Le paragraphe 44 en question indique ce qui suit :

[traduction]

Le 12 juillet 2000, la demanderesse reconventionnelle et la défenderesse reconventionnelle ont apporté au bail une modification en vertu de laquelle, notamment, la description des terres a été expressément modifiée, car les terres et l’énonciation des frais de location annuels ont été expressément annulées et remplacées de façon à ce que la défenderesse reconventionnelle paye à la demanderesse reconventionnelle annuellement et chaque année à l’avance un loyer de quatre mille soixante dollars (4 060,00 $), ou tout autre loyer que peut fixer le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien en vertu de la clause 26 du bail, et les parties ont expressément convenu que toutes les autres clauses et stipulations du bail sont confirmées.

 

[1374]   La défenderesse, au paragraphe 45, allègue que le 1er septembre 2001 la demanderesse SYFC n’a pas [traduction] « payé » le loyer de 4 060,00 $ plus la taxe sur les produits et services connexe.

 

[1375]   Au paragraphe 46, la défenderesse allègue qu’elle s’est acquittée des obligations que lui imposait le bail. Au paragraphe 47, elle allègue qu’elle avait [traduction] « exigé le paiement desdits arriérés à la défenderesse reconventionnelle [SYFC] et que cette dernière a refusé ou omis d’effectuer ledit paiement en tout ou en partie ».

 

[1376]   La défenderesse a confirmé, dans le dossier au procès, qu’elle n’exerçait un recours qu’à l’égard du paragraphe 30 B de la demande reconventionnelle, dont le texte est le suivant :

[traduction]

Sa Majesté la Reine du chef du Canada réclame à titre de demanderesse reconventionnelle, désignée ci-après dans la présente demande reconventionnelle comme la « demanderesse reconventionnelle », à l’encontre de South Yukon Forest Corporation à titre de défenderesse reconventionnelle, et désignée ci-après dans la présente demande reconventionnelle comme la « défenderesse reconventionnelle », ce qui suit :

30.

[...] B

Un jugement d’un montant de 4 060,00 $ plus la taxe sur les produits et services et les intérêts calculés au taux de 3 % par année ou, subsidiairement, les intérêts prévus par la Loi sur l’organisation judiciaire ci-dessous;

 

[1377]   Une défense à la demande reconventionnelle a été déposée pour le compte de SYFC le 30 octobre 2003. Même si la défenderesse a déposé une seconde défense et demande reconventionnelle modifiée le 17 décembre 2004 et une défense et demande reconventionnelle modifiée additionnelle le 6 février 2006, il n’y a pas eu de changement important à la demande reconventionnelle et SYFC a décidé de ne pas déposer une défense modifiée à la demande reconventionnelle et de se fier plutôt à l’acte de procédure qui avait été déposée le 30 octobre 2003.

 

[1378]   Dans la défense à la demande reconventionnelle qui avait été déposée le 30 octobre 2003, la demanderesse SYFC a répondu comme suit aux paragraphes 43 et 44 de la demande reconventionnelle :

[traduction]

6.         En réponse au paragraphe 43 de la demande reconventionnelle, la défenderesse reconventionnelle reconnaît que Liard Plywood and Lumber Manufacturing Inc. lui a cédé le bail, mais dit que l’engagement de la défenderesse reconventionnelle a acquitté le loyer et a exécuté les engagements, les conditions et les ententes contenues dans le bail était fait avec le cédant, Liard Plywood and Lumber Manufacturing Inc., et non la demanderesse reconventionnelle.

 

7.         En réponse au paragraphe 44 de la demande reconventionnelle, la défenderesse reconventionnelle reconnaît que le 2 juillet 2000, ou aux environs de cette date, la demanderesse reconventionnelle et la défenderesse reconventionnelle ont apporté au bail une modification dans laquelle, notamment, la description des terres a été modifiée, car les terres et le loyer annuel ont été changés pour 4 060,00 $ plus la TPS à payer annuellement à l’avance, mais la défenderesse reconventionnelle nie qu’il y ait eu dans ladite modification un engagement quelconque qui exigeait que la défenderesse reconventionnelle paye à la demanderesse reconventionnelle ledit loyer.

 

[1379]   La défense de la demanderesse au paragraphe 47 de la demande reconventionnelle est exposée au paragraphe 8 de sa défense :

[traduction]

8.         En réponse aux paragraphes 45 et 46 de la demande reconventionnelle, la défenderesse reconventionnelle reconnaît qu’elle n’a pas fourni à la demanderesse reconventionnelle le loyer de 4 060,00 $ plus la TPS ainsi qu’il est allégué, mais elle dit qu’il y avait une condition implicite du bail qui prévoyait que si la demanderesse reconventionnelle n’accordait pas de droit de récolte de bois à la défenderesse reconventionnelle, comme il est allégué dans la déclaration modifiée, la demanderesse reconventionnelle renoncerait au paiement du loyer annuel ou, subsidiairement, le paiement du loyer annuel serait reporté jusqu’à ce que lesdits droits de récolte de bois soient accordés par la demanderesse reconventionnelle à la défenderesse reconventionnelle. La demanderesse reconventionnelle a refusé ou omis d’accorder les droits de récolte de bois en question et, de ce fait, The North Contracting Ltd., Liard Plywood and Lumber Manufacturing Inc, ou la défenderesse reconventionnelle n’ont pas eu à payer le loyer annuel de 4 060,00 $ plus la TPS à la demanderesse reconventionnelle.

 

[1380]   Au cours de ses observations finales, la défenderesse a déclaré que le bail n’avait pas été produit au cours du procès, comme il est indiqué à la page 5929 des notes sténographiques :

[traduction]

[...] que nous sommes conscients que le contrat de location n’a pas été soumis à la Cour, nous n’avons donc aucun fondement sur lequel réclamer l’intérêt contractuel de 3 % par année et nous nous fondons donc uniquement sur la Loi sur l’organisation judiciaire pour tout intérêt que la Cour aura le plaisir d’attribuer à Sa Majesté. Le témoignage de M. Kerr, et je crois l’avoir lu à la Cour plus tôt cette semaine, dans laquelle il reconnaît que ce montant est en souffrance et à payer à la Couronne, c’est là mon observation sur ce qu’il a dit.

LA JUGE :       Tout ce que je veux maintenant – c’est juste pour avoir une idée bien claire sur la question, que Sa Majesté la... la défenderesse retire la demande reconventionnelle sauf pour sa demande de recouvrement de loyer dont le montant est indiqué au paragraphe B majuscule à la page 12 de la seconde défense et demande reconventionnelle modifiée de la défenderesse.

MWHITTLE :            Oui, madame la juge.

LA JUGE :                   Est-ce exact? Très bien.

ME WHITTLE :            C’est exact.

 

[1381]   Les références qui sont faites au témoignage de M. Alan Kerr figurent aux pages 5545 et 5546 des notes sténographiques, c’est-à-dire le 16 juillet 2008. À la page 5545, la défenderesse a fait référence au témoignage de M. Kerr qui figure aux pages 1830 et 1831 des notes sténographiques, c’est-à-dire celles qui se rapportent au contre-interrogatoire de M. Kerr le 14 avril 2008. Les lignes 24, page 1830, à 21, page 1831 sont les suivantes :

[traduction]

Q.        Vous reconnaîtrez aujourd’hui, pour le compte des deux entreprises, qu’elles ont conclu un bail avec le gouvernement du Canada pour le site où est située la scierie?

R.         Oui.

Q.        Et que, en vertu de ce bail, il y avait des paiements de location à effectuer?

R.         Oui.

Q.        Reconnaîtrez-vous aujourd’hui que ces paiements n’ont pas été intégralement versés?

R.         Je ne suis pas sûr du moment où on a cessé de les payer. Ils l’ont été. À en juger par votre question, je suppose qu’ils l’ont été. Je sais qu’ils ont été payés pendant toute l’exploitation et même après l’exploitation de la scierie jusqu’à une certaine date au moins.

Q.        Reconnaîtrez-vous aujourd’hui qu’il subsiste un montant en souffrance de 4 060,00 $ plus la taxe sur les produits et services, à l’égard du dernier paiement dû à Sa Majesté la Reine en vertu de ce bail?

R.         Je ne peux pas le vérifier d’une façon ou d’une autre, mais, là encore si vous présentez ces chiffres du gouvernement du Canada, je crois que c’est vrai.

 

[1382]   La défenderesse supporte le fardeau d’établir l’inexécution de contrat et le recouvrement des dommages-intérêts, ainsi qu’il est allégué au paragraphe 30B de la demande reconventionnelle.

 

[1383]   La demande reconventionnelle est présentée en vertu de l’article 189 des Règles. La défenderesse doit établir que, indépendamment de la compétence de la Cour à l’égard de la réclamation principale, elle est compétente à l’égard de la demande reconventionnelle. À cet égard, je renvoie à la décision Gaudet c. Canada et al (1998), 148 F.T.R. 13 (1re inst.).

 

[1384]   La réclamation de la défenderesse est fondée sur un contrat. Selon la demande reconventionnelle, le bail était assujetti aux dispositions de la Loi sur les terres territoriales et du Règlement sur les terres territoriales. Les deux correspondent au statut d’une « loi fédérale », comme il en est question dans la décision Mueller (Karl) Construction Ltd. c. Canada (1992), 59 F.T.R. 161 (1re inst.). En présumant que la présente Cour a compétence pour entendre la demande reconventionnelle de la défenderesse en rapport avec une présumée inexécution de contrat, mais sans trancher la question, je souligne que la compétence est une chose et que la preuve, selon la prépondérance des probabilités, en est une autre.

 

[1385]   La seule preuve que la défenderesse a produite est le témoignage indéfini de M. Alan Kerr, cité plus tôt. Si cette preuve constitue une admission, elle doit être soupesée en fonction de sa valeur probante et de sa pertinence. À cet égard, je renvoie à la décision Clarke c. Ministre du Revenu national (2000), 189 F.T.R. 76 (1re inst.), au paragraphe 46.

 

[1386]   À mon avis, le témoignage de M. Kerr au sujet d’un quelconque loyer en souffrance est équivoque, c’est le mieux que l’on puisse dire. Il n’a pas une connaissance personnelle de l’affaire. Il semble accepter d’emblée le montant qu’avance la défenderesse, mais il n’accepte pas l’idée que le loyer a cessé d’être versé.

 

[1387]   Il n’existe aucune preuve du tout sur les conditions du bail initial, sur l’une quelconque des modifications, ou sur l’une quelconque des cessions. Rien ne permet à la Cour de déterminer si l’une quelconque des modifications ou des cessions a eu un effet sur la responsabilité de SYFC à l’égard du paiement d’un loyer en vertu du bail original. En fait, le paragraphe 6, cité plus tôt, de la défense à la demande reconventionnelle offre une réponse complexe à la responsabilité de SYFC à cet égard. La défenderesse n’a présenté aucune observation à ce sujet.

 

[1388]   Pour ce qu’il vaut, le paragraphe 4 de la demande reconventionnelle, lui aussi cité plus tôt, dénote un manque de certitude au sujet des conditions concernant le montant du loyer, et fait état de [traduction] « quatre mille soixante dollars (4 060,00 $) ou tout autre montant que peut fixer le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien [Non souligné dans l’original.].

 

[1389]   La seule preuve qu’offre la défenderesse au sujet de la demande reconventionnelle n’est pas suffisante. La réponse que M. Kerr a donnée en contre-interrogatoire, le 14 avril 2008, n’était rien de plus qu’une « supposition », selon moi, et elle ne satisfait pas au fardeau de preuve qui est exigée dans une instance civile, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités.

 

[1390]   En définitive, la demande reconventionnelle est rejetée. Les parties traiteront plus tard des dépens connexes.

 

11. La conduite de l’affaire

[1391]   En terminant, il convient de faire quelques remarques succinctes au sujet de la conduite de la présente affaire.

 

[1392]   Cette affaire a exigé un temps considérable. L’horloge du temps peut être fixée à 1996, quand LPL a fait ses premières démarches auprès du MAINC et la sonnerie a retenti quand la scierie a fermé en août 2000. L’horloge du temps a été remise en marche au moment du dépôt de la déclaration en novembre 2001; une autre sonnerie a retenti lorsque le procès a débuté le 31 mars 2008.

 

[1393]   Il y a eu de nombreux témoins et un nombre énorme de pièces documentaires. Un grand nombre des documents ont été produits par la défenderesse à partir de ses dossiers, mais cette production, malgré le grand nombre de documents, n’a pas été complète.

 

[1394]   À cet égard, je souligne que les courriels de certains employés clés de la défenderesse n’ont pas été produits. Les copies de courriel de ces personnes ont été introduites à partir des comptes des destinataires et non pas des comptes des expéditeurs; il s’agit, plus précisément, des comptes courriel de Mme Guscott et de M. Sewell.

 

[1395]   De plus, certains des courriels qui ont été produits indiquent qu’il s’agit de messages retransmis à d’autres. Cela signifie que les courriels déposés en tant que pièces, qui constituent des pièces commerciales aux termes de la Loi sur la preuve au Canada, montrent à la Cour ce que le destinataire-répondant dit, mais non ce que dit l’expéditeur-auteur. La pièce P-79, onglet 161 et l’onglet 313 en sont des exemples.

 

[1396]   En outre, certains documents clés concernant la présente affaire n’ont pas été produits du tout par la défenderesse, mais ont été récupérés par les demanderesses à la suite de demandes d’accès adressées à la fois au GTY et au gouvernement fédéral. Ces pièces comprennent la pièce P-79, onglets 24, 48 et 361.

 

[1397]   Cela amène à se demander pourquoi la défenderesse n’a pas communiqué elle-même ces documents.

 

[1398]   Ensuite, je me dois de faire des remarques sur la non-divulgation de la pièce P-38, la version finale du rapport Sterling Wood datée d’août 1991. La défenderesse a communiqué l’ébauche de ce rapport dans ses documents relatifs au procès, déposés plus tard en tant qu’élément de la pièce D-81, à l’onglet 3. 

 

[1399]   La pièce P-38 a été déposée en tant que pièce le 19e jour du procès. La pièce P-38, le rapport Sterling Wood, est un PAF. Elle a été déposée en tant que pièce lors du contre-interrogatoire du témoin de la défenderesse, M. Monty. Ce dernier était le sixième témoin appelé pour le compte de la défenderesse. Au dernier jour d’audience du procès, soit le 17 septembre 2008, la pièce P-38 était le seul PAF qui avait été produit en tant que pièce dans la présente action.

 

[1400]   Pourquoi ce document n’a-t-il pas été communiqué avant le début du procès? Pourquoi n’a-t-il pas été produit quand la défenderesse a commencé à présenter ses arguments?

 

[1401]   M Ivanski, qui occupait le poste de DGR quand LPL a fait ses premières démarches auprès du MAINC à propos de la construction d’une scierie à Watson Lake, a été le quatrième témoin appelé par la défenderesse. M. Ivanski a témoigné, en contre-interrogatoire, au sujet de la pièce P-38.

 

[1402]   À mon avis, le témoignage de M. Ivanski est en soi contradictoire. D’une part, il a déclaré à la page 2655 des notes sténographiques :

[traduction]

Q.        Et, monsieur, vous avez parlé hier d’un plan d’aménagement forestier; est-ce que vous vous en souvenez?

R.         Oui.

Q.        Et vous saviez qu’il existait à cette époque un plan d’aménagement forestier. C’est ce que vous avez dit.

R.         Je savais qu’il existait – oui.

Q.        Merci. Maintenant, avez-vous compris, monsieur, qu’une entreprise du nom de Stirling, ou le groupe Stirling, avait pris part à la création ou à l’élaboration de ce plan d’aménagement forestier?

R.         Je ne me souviens d’aucun nom en particulier.

 

[1403]   Il a plus tard déclaré, à la page 2669 des notes sténographiques, ce qui suit :

[traduction]

Q.        Maintenant, monsieur, quelqu’un vous a-t-il montré un exemplaire du plan d’aménagement forestier qui existait?

R.         Je ne me souviens pas d’en avoir vu un, non.

Q.        Avez-vous jamais demandé d’en voir une copie?

R.         Je ne me souviens pas d’en avoir demandé une.

 

[1404]   En revanche, il a déclaré que le Ministère avait [traduction] « contribué au rapport » et déclaré que les options contenues dans le rapport avaient été déposées. Cette preuve figure à la page 2702 des notes sténographiques :

[traduction]

Q.        Merci. Maintenant, ce qu’il y a à la page 795 des mêmes documents est ceci. Sous la rubrique « coupe admissible annuelle », il y a deux scénarios de présentés. Le voyez-vous?

R.         Exact. 

Q.        Et, selon vous, il s’agit des deux options qui étaient examinées à l’époque. Exact?

R.         Que nous avons déposées pour discussion, oui.

 

[1405]   Ces contradictions internes minent la fiabilité du témoignage de M. Ivanski.

 

[1406]   M. Sewell, qui a occupé le poste de DGR au bureau de Whitehorse entre décembre 1997 et décembre 2001, a lui aussi été contre-interrogé au sujet de la pièce P-38 quand il a été appelé comme témoin pour la défenderesse. Le témoignage suivant figure aux pages 4218 à 4222 des notes sténographiques :

[traduction]

Q.        Maintenant, monsieur, au cours du témoignage que vous avez fait en répondant aux questions que vous posait Me Whittle, on vous a posé quelques questions au sujet du rapport Sterling Wood. Est-ce que vous vous en souvenez?

R.         Je m’en souviens.

Q.        Et, si j’ai bien compris, monsieur, la première fois que vous avez personnellement pris connaissance de l’existence d’un tel document ou rapport, c’était au cours du litige et au cours des interrogatoires préalables, est-ce exact?

R.         C’est ce dont je me souviens, oui.

Q.        Si je vous disais que cela a probablement eu lieu longtemps après votre interrogatoire préalable, mais au cours de l’interrogatoire de M. Kerr, cela concorderait-il aussi avec votre souvenir?

R.         Je ne suis pas tout à fait sûr du moment où au cours de la période d’interrogatoire, j’ai vu pour la première fois ce document.

Q.        Voyons si je peux vous aider sur ce plan. Et Me Whittle aura sans aucun doute un meilleur souvenir de cela que moi, mais ceci est conçu pour rafraîchir votre mémoire sur la question, monsieur.

Dans un interrogatoire préalable, qui a eu lieu en février 2003, M. Alan Kerr, le déclarant des demanderesses, a fait référence au rapport Sterling Wood et on lui a ensuite demandé de produire ce rapport. Les demanderesses ont été incapables de le faire et ensuite, quelques années plus tard, en janvier 2007, M. Kerr a été interrogé plus en détail par Me Whittle qui, à ce moment-là, a produit une copie du rapport ou de rapports lors du processus d’interrogatoire préalable.

Maintenant, est-ce que cela concorde généralement avec votre souvenir?

R.         Oui, monsieur.

Q.        Maintenant, ce que je veux faire, c’est déterminé à quel document vous faites référence, s’il s’agit ou non de l’ébauche du mois de mars ou du rapport du mois d’août.

Et je demanderais que l’on montre au témoin le volume blanc de la défenderesse, onglet 3 ainsi que la pièce P-28 – P-38, pardon.

Maintenant, monsieur, vous avez devant vous le classeur blanc de la défenderesse, volume, onglet 3. Il devrait s’agir d’un document portant comme date le 1er juin 1991, du groupe Sterling Wood. Est‑ce que vous le voyez?

R.         Je l’ai à l’onglet 3 du volume 1 des classeurs blancs, oui.

Q.        Et il y a tout un tas de notes manuscrites sur ce document, les voyez-vous?

R.         Je les vois, oui.

Q.        Et ensuite, monsieur, vous voyez la pièce P-38, c’est-à-dire le document daté du mois d’août 1991. Le voyez-vous?

R.         Je le vois, oui.

Q.        Maintenant, la pièce P-38 n’a pas fait surface dans ce procès avant que je contre-interroge M. Monty. Vous souvenez‑vous de cela?

R.         Je ne m’en souviens pas, non.

Q.        Maintenant, monsieur, parmi les deux documents qui se trouvent devant vous, lequel est celui dont vous avez pris connaissance à la fin du processus d’interrogatoire préalable? Où avez-vous pris conscience des deux pendant le processus d’interrogatoire préalable?

R.         Je ne me souviens pas d’avoir vu celui – je ne me souviens pas de celui sur lequel figure la note de service du 3 juin. Je me souviens de l’avoir vu sous forme de document autonome, il ressemblait peut-être davantage à la version d’août 1991.

Q.        Vous souvenez-vous d’avoir vu la pièce P-38 au cours du processus d’interrogatoire préalable à la fin de 2006, au début de 2007.

R.         Je le crois, oui monsieur.

Q.        Donc c’est ce document, plutôt que celui du 1er juin, que vous avez vu au cours du processus d’interrogatoire préalable. Ai‑je raison?

R.         Celui que j’aurais vu lors du processus d’interrogatoire préalable serait celui, comme vous l’avez décrit, que Me Whittle a présenté, je crois que c’est ici à Vancouver, lors de l’interrogatoire préalable. Donc je ne suis pas – je crois qu’il s’agit du document P‑38, mais il s’agirait de celui qui a été produit à cette époque.

Q.        Très bien. Une partie de la raison pour laquelle je vous pose la question est que vous y faites référence dans votre témoignage et que je cherchais pourquoi la pièce P-38 ne figurait pas dans les classeurs blancs. Et quel que soit le cas, nous le savons maintenant – votre souvenir de la situation telle qu’elle existe aujourd’hui. D’accord?

R.         Oui, monsieur.

Q.        Maintenant, monsieur, quelle que soit la façon dont vous le caractérisez, je présume qu’en tant que directeur général régional, vous n’étiez pas au courant, vous n’étiez pas au courant de l’existence de ce document avant la fin de 2006, le début de 2007; est-ce exact?

R.         J’ai peut-être entendu le titre du document, mais je ne l’ai certainement pas vu pendant mon – je ne me souviens pas d’avoir vu le document pendant la période où j’étais directeur général régional.

LA JUGE :       Excusez-moi, Me Sali, vous dites « ce document » de quoi parlez-vous?

ME SALI :        L’un ou l’autre des documents.

LA JUGE :       Merci.

ME SALI :

Q.        Serait-il vrai, monsieur –

R.         Ma réponse serait la même, oui.

 

[1407]   Ce témoignage est troublant. Le rapport Sterling Wood est un document important. M. Sewell a déclaré avoir vu pour la première fois ce document, soit le rapport final soit l’ébauche, au cours de l’interrogatoire préalable de M. Alan Kerr en janvier 2007. Pourquoi M. Sewell, en tant que DGR, ne connaissait-il pas ce document? Pourquoi ce document n’a-t-il pas été produit dans les documents de la défenderesse?

 

[1408]   Pourquoi M. Ivanski et M. Sewell, qui occupaient chacun le poste de DGR à l’époque qui est pertinente à la présente action, disent-ils tous deux ne pas avoir été au courant de l’existence et du contenu de la pièce P-38?

 

[1409]   Enfin, je passe à la pièce D-11, une pièce constituée de six classeurs de documents que les demanderesses avaient produits au cours des interrogatoires préalables au procès. Il y a été fait référence le 2 avril 2008, au 3e jour d’un procès qui s’est étendu sur plusieurs mois, en tant que pièce contenant des documents qui avaient été prouvés en vue d’établir la véracité et l’exactitude de leur contenu. L’extrait suivant figure à la page 550 des notes sténographiques du 2 avril :

[traduction]

ME WHITTLE : Selon moi, une pièce est une pièce qui a été prouvée comme admissible en cours, soit pour établir la véracité du contenu, soit pour établir le fait que le document a été établi. Maintenant, nous avons – dans nos documents, nous avons préparé six classeurs qui, disons-nous, sont prouvés pour établir leur contenu et leur authenticité. Et les documents qui s’y trouvent sont aussi des documents que je vois apparaître dans certains de ces documents et ensuite, bien sûr, vous avez aussi des classeurs blancs de la Couronne, qui sont là à des fins d’identification.

 

[1410]   La discussion qui suit figure dans les notes sténographiques du 4 avril 2008, aux pages 792 à 798 :

ME WHITTLE: Très bien. Les documents blancs sont les documents que nous présentons à la Cour pour identification. Nous dirions qu’il faudrait les consigner en tant que pièce aux fins d’identification. Nous avons informé notre collègue lorsqu’il est intervenu dans le dossier que nous avons environ 223 documents au sujet desquels nous avons obtenu des admissions en interrogatoire préalable. Et nous avons invité notre collègue – nous l’avons informé de cela. Nous lui avons dit que nous avions l’intention de les soumettre en tant que documents, qui ont été prouvés pour établir à la fois l’authenticité et la véracité du contenu.

Il y a une entente appelée Protocole 1 au sujet de l’interrogatoire préalable qui en traite. En outre, il y a des documents que les demanderesses ont admis comme étant vrais et exacts.

Donc oui, nous pouvons activer les choses en consignant cela comme une pièce complète, tous les 223. Je ne suis pas sûr que mon collègue soit prêt à l’accepter.

ME SALI :        Me Whittle, madame la juge, il n’y a jamais eu d’occasion, à ce que je sache, où les demanderesses ont laissé entendre que l’un quelconque des documents de cette nature ne sont pas des copies conformes d’originaux. Ça c’est la première chose.

Deuxième chose, s’il y avait un protocole établi entre Me Preston, mon prédécesseur et Me Whittle, il s’agit d’un protocole exécutoire tout à fait acceptable, et il traite d’autres questions.

Maintenant, il n’en reste pas moins que, comme vous l’avez souligné hier, madame la juge, lorsqu’il y a des documents qui font parties des pièces commerciales d’une société, et que ces documents sont considérés comme des copies conformes, manifestement, à moins que quelqu’un prenne ses distances par rapport à ces documents, il existe une présomption, et nous sommes liés par cette présomption et je ne vais adopter aucune position autre que celle-là.

[...]

ME WHITTLE :            Mon collègue va-t-il reconnaître que le contenu est véridique et exact?

ME  SALI :       Votre collègue va reconnaître que les règles de preuve qui s’appliquent, comme je viens tout juste de le mentionner, régissent chacun de ces – chacun d’entre nous dans la présente instance. Et, pour ce qui est de la question de savoir si le contenu est véridique ou non, si vous voulez aller jusque-là pour une autre raison, c’est-à-dire si étant vous obtenez l’occasion de faire valoir vos arguments, faites-le.

LA JUGE :       Me Whittle, je dois jeter un coup d’œil à la Loi sur la preuve au Canada, mais d’après ce dont je me souviens, les pièces commerciales, je dois souscrire à ce que dit Me Sali.

ME WHITTLE: Madame la juge, nous avons passé beaucoup de temps en interrogatoire préalable à obtenir les admissions que nous avons. Nous sommes satisfaits de ces observations. Il y a peut-être là-dedans des documents qui ne sont pas assujettis à la Loi sur la preuve au Canada, et nous avons pris le temps de faire tout cela en interrogatoire préalable. Et nous sommes d’avis que chacun des documents dans ce classeur est véridique et exact, et admis comme tel par les demanderesses.

LA JUGE :       Voulez-vous dire dans vos classeurs noirs?

ME  WHITTLE:            Oui, madame.

LA JUGE :       Dans vos six classeurs noirs. Et bien, si c’est – je veux dire une admission de la demanderesse demeure une admission de la demanderesse, et une admission faite en interrogatoire préalable, qui est une nouvelle – je ne dirai pas qu’une admission en interrogatoire préalable c’est une nouveauté pour moi. Les documents qui ont été admis en interrogatoire préalable demeurent admis pour les besoins de ce procès. L’interrogatoire préalable lui-même, ça, c’est une autre histoire. Cela est assujetti aux limites de nos règles, qui diffèrent sur certains points des règles de procédure provinciales sur l’utilisation des interrogatoires préalables. Mais, à ce moment-ci, cela ne nous pose pas de problèmes.

Mais en ce qui concerne – je veux dire, MSali hoche la tête. Les admissions faites lors du processus d’interrogatoire préalable demeurent des admissions, et si cela peut aider les choses, pourquoi ne faisons-nous pas admettre tout de suite cette collection de classeurs noirs. Me Sali?

ME SALI:         Madame la juge, cela accélérera les choses, oui.

LA JUGE :       Me Whittle?

ME WHITTLE :            Si mon collègue dit qu’il admet que le contenu de ces documents et véridique et exact, je serais heureux de poursuivre.

LA JUGE :       Mais ne venez-vous pas juste de nous dire que cela était – vous avez parcouru tout cela à l’interrogatoire préalable?

ME WHITTLE: Oui.

LA JUGE :       Alors, pourquoi le refaisons-nous encore? Les admissions faites en interrogatoire préalable lient toujours le demandeur.

Me Sali, ai-je raison de dire cela?

ME SALI :        Oui, madame la juge.

LA JUGE :       Et bien, si j’ai raison, j’ai raison, et – bien, la question n’est pas de savoir si j’ai raison. Les admissions faites à l’interrogatoire préalable au sujet des documents, ou n’importe quoi d’autre qui a été admis en interrogatoire préalable, s’appliquerait toujours et lierait les demanderesses.

ME WHITTLE :            Oui, madame la juge. Et – j’en suis conscient.

LA JUGE :       Et bien, alors quoi – pourquoi –

[...]

ME WHITTLE :            Très bien. Comme mon collègue n’a jamais dit avant aujourd’hui qu’il était disposé à admettre ces documents. Je ne voulais pas me tenir ici à la fin du procès et lire 223 références à des documents. Je ne suis pas convaincu à ce stade-ci de l’application de la Loi sur la preuve au Canada à la mesure dans laquelle le contenu est véridique et exact de tous ces documents qui se trouvent là-dedans, et c’est la raison pour laquelle j’ai pris le temps nécessaire au stade de l’interrogatoire préalable pour le faire.

Je suis satisfait de ce que j’ai entendu. S’il était possible que ces documents soient admis en tant que la prochaine pièce, alors je suis satisfait.

LA JUGE :       Ce que je dis – je vais le redire à nouveau. Si l’on fait abstraction de la question de la Loi sur la preuve au Canada et de la façon dont elle s’applique aux pièces commerciales, pour le but très restreint de ce dont nous parlons, c’est-à-dire le contenu des six classeurs de – les six classeurs noirs préparés par la défenderesse, si j’ai bien compris ces classeurs contiennent des documents qui ont été admis, dont la vérité et l’exactitude ont été admises lors de l’interrogatoire préalable des demanderesses. Selon moi il s’agit d’une question de droit, une admission de cette sorte, faite lors du processus d’interrogatoire préalable, lie la demanderesse immédiatement pour les besoins de ce procès, et il sera juste et expéditif, ainsi que dans l’intérêt de la justice, que ces documents soient admis immédiatement en tant que pièce, parce qu’ils n’ont pas été contestés par les demanderesses, et manifestement les demanderesses, les ayant admis, ne peuvent pas maintenant les contester.

Me Sali, êtes-vous d’accord?

ME SALI :        Je le suis.

 

[1411]   Le 14 avril, 11e jour du procès, la défenderesse a contre-interrogé M. Alan Kerr au sujet d’une lettre datée du 29 mai 2000, qui figure dans la pièce D-11, onglet 219. Cette lettre a été soumise à M. Kerr de la manière suivante, comme il est indiqué aux pages 1847 à 1849 des notes sténographiques :

[traduction]

Q. Volume noir numéro 6, et c’est noir – le noir de la défenderesse. Et M. Kerr, onglet 219, s’il vous plaît.

R. Je l’ai, oui.

[...]

Q. Vous devriez avoir devant vous de nouveau une lettre sans en‑tête datée du 29 mai 2000, avec le numéro de page d’identification 9745. Est-ce que c’est ce document que vous avez?

R. Oui, c’est lui.

[...]

Q. Je veux juste que vous confirmiez qu’il s’agit d’une lettre qui a été envoyée.

R. J’ignore si elle a été envoyée ou non. Ce que je dis, c’est que le montant est resté le même. Il s’agissait – je crois qu’il s’agissait de cette somme, 4 M$. Mais le contenu de la lettre a peut-être changé. Je ne suis pas sûr s’il s’agit d’une version finale ou non.

Q. Et juste pour que vous le sachiez, M. Kerr, vous vous souviendrez que pendant toute la durée de l’interrogatoire préalable je vous ai demandé, au sujet d’un certain nombre de documents, s’ils étaient véridiques et exacts, et nous avons ensuite établi le protocole 1. Vous vous rappelez tout cela, évidemment.

R. Oui, je m’en souviens.

Q. Et, dans la présente instance, ce document a été introduit comme preuve de la vérité de son contenu. Autrement dit, il s’agit d’un document que vous avez admis à un moment donné lors de l’interrogatoire préalable. [Non souligné dans l’original.]

 

[1412]   Le 12 mai, 17e jour du procès, lors du contre-interrogatoire de M. Ivanski, témoin pour la défenderesse, la déclaration suivante a été faite par la défenderesse au sujet du statut de la pièce 11, à la page 2743 des notes sténographiques :

[traduction]

ME WHITTLE :            À l’exception des classeurs noirs que la Couronne a produits en vue de prouver la véracité du contenu, c’est ce que j’ai toujours compris.

 

[1413]   Le 30 mai, 24e jour du procès, lors de l’interrogatoire principal de M. Sewell, lorsque ce dernier a comparu comme témoin pour la défenderesse, la déclaration suivante a été faite au sujet de la pièce D-11, à la page 4162 :

[traduction]

ME WHITTLE :            Non, madame la juge. Les classeurs noirs, comme nous le savons tous, sont présentés pour prouver la véracité du contenu.

 

[1414]   La défenderesse a par la suite tenté de revenir sur l’introduction de la pièce D-11 en tant que documents ayant été admis pour établir la véracité et l’exactitude de leurs contenus. Je me re porte au commentaire suivant qui apparaît aux pages 4317 et 4318 des notes sténographiques du 2 juin, 25e jour du procès :

[traduction]

ME FLORENCE :        Madame la juge, j’aimerais parler d’une question en premier. J’ai mentionné à mon collègue que j’allais soulever cette question.

Avant la pause-déjeuner, Me Sali a posé quelques questions à M. Sewell au sujet des classeurs noirs de la défenderesse, qui constituaient une admission de la part de la défenderesse que leur contenu est une preuve de la véracité du contenu. Je voulais juste ajouter au dossier que la défenderesse est d’avis que ce n’est pas pour cela que ces documents ont été introduits. Ils ont été introduits à titre d’admissions faites lors de l’interrogatoire préalable par la demanderesse, et je crois que les notes sténographiques l’indiqueront.

LA JUGE :       Je vous remercie.

ME SALI :        Madame la juge, pour qu’il n’y ait aucun malentendu, la position est double. On ne peut pas déposer des documents pour la véracité et le contenu et s’attendre à ce que ce soit unilatéral. Deuxièmement, je vais citer un extrait de l’observation qu’a faite Me Whittle, à la page 795 des notes sténographiques.

LA JUGE :       Est-ce que j’en ai besoin ou est-ce qu’il suffit que je prenne note de la page? Je veux dire, j’ai moi aussi ces livres, mais vous lisez le moi.

ME SALI :        Oui. Je vais juste – mais ce n’est qu’une observation d’une phrase :

« et nous croyons que chacun des documents figurant dans ce classeur est véridique et exact et admis comme tel par les demanderesses. »

 

[1415]   Dans ses observations finales, l’avocat de la défenderesse a fait les commentaires suivants, aux pages 5895 et 5896 des notes sténographiques, au sujet de la pièce D-11 :

[traduction]

ME FLORENCE :        J’aimerais traiter brièvement de la pièce D‑11. J’ai présenté brièvement la position de la défenderesse devant la cour le 25 juin, lors du contre-interrogatoire de Terry Sewell, par Me Sali. Cela figure dans le volume 25, page 4317, lignes 11 à 24. Je ne souhaite pas relire ce passage à la cour à ce moment-ci. Je souhaite réitérer notre position.

La défenderesse est d’avis que ces documents ont été introduits en tant que pièce le 3 avril, lors du contre-interrogatoire de M. Bourgh. À la page 798, volume 4, notes sténographiques, vous, madame la juge, avez déclaré, aux lignes 11 à 28, et je ne vais pas lire le passage tout entier.

« ... D’après ce que j’ai compris, en droit, une admission de cette nature, faite dans un interrogatoire préalable, lie immédiatement la demanderesse pour les besoins du procès, et il sera juste et expéditif et dans l’intérêt de la justice que ces documents soient admis sur-le-champ en tant que pièce, parce qu’ils n’ont pas été contestés par les demanderesses et, manifestement, les demanderesses les ayant admis, elles ne peuvent plus les contester. »

L’intention de la défenderesse était que ces documents soient déposés en tant que pièce à cette fin. Ce n’était pas la position de la défenderesse que la défenderesse admettait la preuve de la véracité du contenu de ces documents, mais simplement que les demanderesses l’avaient admis. En outre, comme le montre le témoignage des témoins de la défenderesse, aucun d’entre eux n’a admis avoir fait une promesse, pris un engagement ou signé un contrat en vue d’une tenure à long terme avec les demanderesses, ou une quelque autre garantie de tenure.

LA JUGE :       Ou une quelque autre?

ME FLORENCE :        Une quelque autre garantie de tenure. Et nous demandons simplement que vous preniez ce fait en considération au moment de décider quel poids accorder aux documents qui figurent dans cette pièce là.

 

[1416]   La défenderesse a systématiquement adopté la position que la pièce D-11 a été introduite en vue d’établir la véracité et l’exactitude de son contenu. Les pièces comprennent six classeurs contenant 223 documents. La défenderesse a cherché à obtenir des demanderesses qu’elles admettent, au procès, que les documents étaient véridiques et exacts. Une fois que cette admission a été faite, la défenderesse a déposé cette collection de documents en tant que pièce.

 

[1417]   Lors de ses observations finales, la défenderesse ne peut pas répudier la preuve qu’elle a adoptée comme étant la sienne. Elle ne peut pas non plus décider de se fonder sur les parties de la pièce qu’elle préfère et répudier les autres éléments qui peuvent lui être moins utiles. Je souscris à l’observation, citée plus tôt, qui a été faite pour le compte des demanderesses à la page 4318 des notes sténographiques.

 

12. Les dépens

[1418]   Au cours du procès, les avocats des demanderesses ont demandé d’avoir la possibilité de présenter des observations au sujet des dépens. J’ai accepté. Une directive sera rendue au sujet des délais relatifs à la signification et au dépôt de documents de requête à cet égard.

 

VII. CONCLUSION

[1419]   Au début des présents motifs, j’ai déclaré que la présente action concernait une scierie qui avait été construite à Watson Lake, une ville située dans le sud-est du Yukon.

 

[1420]   J’ai dit aussi que les présents motifs répondraient à trois questions : pourquoi la scierie a‑t-elle été construite, pourquoi a-t-elle fermé et quelles en sont les conséquences en droit?

 

[1421]   Les demanderesses ont invoqué cinq motifs d’action : inexécution de contrat, négligence, déclarations inexactes faites par négligence, manquement à une obligation fiduciaire et faute dans l’exercice d’une charge publique. Les demandes relatives au manquement à une obligation fiduciaire et à une faute dans l’exercice d’une charge publique ont été rejetées et aucun commentaire additionnel n’est requis.

 

[1422]   Je reviens aux trois questions mentionnées ci-dessus. Elles se rapportent directement aux motifs d’action qui subsistent : inexécution de contrat, négligence et déclarations inexactes faites par négligence.

 

[1423]   Les questions sont simples. Au bout du compte, après un procès de 39 jours, le témoignage de 19 témoins et le contenu de plus d’un millier de documents distincts, les réponses sont simples elles aussi.

 

[1424]   Les demanderesses ont construit la scierie parce que la défenderesse avait pris un engagement. Cet engagement consistait à fournir un approvisionnement en bois suffisant, si on construisait une scierie. La formulation de l’engagement, en soi, ne comportait pas de conséquences en droit. Cependant, une fois que les demanderesses y ont donné suite, un contrat unilatéral a pris naissance, entre les demanderesses et la défenderesse.

 

[1425]   J’ai tiré une conclusion fondée sur la preuve qui m’a été soumise, à savoir que l’engagement consistait à fournir un approvisionnement en bois suffisant pendant une longue période qui, selon ce que j’ai conclu, s’étalait sur 20 ans.

 

[1426]   L’existence d’un contrat donne naissance à des obligations légales.

 

[1427]   La défenderesse a rompu le contrat en ne fournissant pas l’approvisionnement en bois suffisant, soit le volume de 200 000 m3 par année, pendant 20 ans. À cause de ce défaut de fournir l’approvisionnement en bois nécessaire, la scierie a fermé.

 

[1428]   La rupture de contrat de la défenderesse était directement attribuable à la négligence et à la mauvaise foi de ses fonctionnaires et mandataires qui travaillaient au bureau régional du Yukon. J’ai exposé plus tôt mes conclusions à cet égard.

 

[1429]   La rupture de contrat a causé une perte financière directe aux demanderesses.

 

[1430]   La promesse de la défenderesse de fournir un approvisionnement en bois suffisant à la scierie n’a pas seulement été le fondement d’un contrat entre LPL, SYFC et la défenderesse; il s’est agi aussi d’une déclaration inexacte faite par négligence à l’égard de LPL. Ce type de déclaration est un motif d’action que LPL a invoqué et établi.

 

[1431]   L’engagement, autrement appelé une « promesse », a été pris au cours de la réunion de « diligence raisonnable » du 15 juillet 1997. L’engagement a été pris envers LPL.

 

[1432]   La promesse de la défenderesse était destinée à inciter à construire la scierie. Cette promesse a été faite par négligence par les fonctionnaires de la défenderesse qui savaient, à l’époque, que l’annonce n’était pas vraie et que l’on y ferait confiance. J’ai traité plus tôt des éléments constitutifs d’une déclaration inexacte faite par négligence, et exposé mes conclusions à cet égard.

 

[1433]   Dans les observations finales, les avocats des demanderesses ont fait valoir que les propres documents de la défenderesse prouvaient le bien-fondé de la cause des demanderesses. Je suis d’accord. Par les « propres documents de la défenderesse », je veux dire les documents créés par la défenderesse, y compris ceux qu’elle n’a pas produits. Je fais référence à cet égard aux documents que les demanderesses ont obtenus à la suite de demandes d’accès, et autrement.

 

[1434]   Ces documents montrent clairement que le MAINC voulait qu’une scierie soit construite dans le sud-est du Yukon. Les décisions de politique générale de la défenderesse, qui sont exprimées dans les dispositions réglementaires que j’ai mentionnées plus tôt, exigeaient une scierie. Le mandat du MAINC, obligeait à promouvoir le développement économique au Yukon. Le fonds pour scierie avait été constitué en vue de construire une scierie.

 

[1435]   Je me reporte, une fois de plus, à la décision Carrier Lumber dans laquelle la Cour a fait remarquer que les questions en litige avaient été obscurcies par une démarche exagérément technique.

 

[1436]   On peut en dire autant en l’espèce.

 

[1437]   La défenderesse a décidé de structurer sa défense en caractérisant les actes de ses fonctionnaires et mandataires comme des décisions de « politique générale ». Elle a ensuite compliqué et dissimulé les questions en litige en mettant tardivement l’accent sur des recours en droit administratif au sujet desquels elle n’avait rien dit depuis longtemps.

 

[1438]   La défenderesse n’a pas invoqué cela comme défense pas plus qu’elle n’a proposé de faire radier pour ce motif la déclaration modifiée des demanderesses.

 

[1439]   Au lieu de cela, la défenderesse a décidé d’invoquer cette défense au cours des conclusions finales. Elle a décidé d’invoquer des arguments techniques et compliqués. Elle a décidé de dépeindre les représentants comme des aventuriers frivoles. Je suis arrivée à une autre conclusion.

 

[1440]   La présente affaire s’appuyait sur des faits. J’ai fondé mes conclusions de fait sur la preuve, c’est-à-dire à partir du témoignage des témoins et des documents, ainsi que sur des inférences raisonnables, dont des inférences négatives.

 

[1441]   La relation entre les demanderesses et la défenderesse a donné naissance à des obligations légales. Le fait que la défenderesse ait manqué à ses obligations a donné lieu à des conséquences que la loi reconnaît comme des dommages qui donnent ouverture, selon la loi, à des dommages-intérêts; autrement dit, un dédommagement pécuniaire.

 

[1442]   En fin de compte, je suis convaincue que les demanderesses se sont acquittées de leur fardeau légal et de leur fardeau de preuve. Elles ont droit à ce qu’un jugement soit rendu contre la défenderesse, conformément aux présents motifs.

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 5 mai 2010

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B

 


TABLE DES MATIÈRES

 

Numéros de paragraphe

 

 

I.          PRÉAMBULE                         1-6

 

 

II.         L’HISTORIQUE DES PROCÉDURES JUDICIAIRES                                       7-27

 

 

III.       LA PREUVE                                                                                                              

 

A.        Généralités                                                                                              28-36

 

B.         Les témoins des demanderesses                                                            37-127

 

C.        Les témoins de la défenderesse                                                            128-195

 

 

IV.       « L’EXPLORATION DU TERRAIN » : LE CONTEXTE                              196-254

 

 

V.        CE QUI S’EST PASSÉ : UNE CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS

 

            A.        1995                                                                                                   255-258

 

            B.         1996                                                                                                   259-310

 

            C.        1997                                                                                                   311-340

 

            D.        1998                                                                                                   341-383

 

            E.         1999                                                                                                   384-452

 

            F.         2000                                                                                                   453-528

 

            G.        2001                                                                                                   529-559

 

 

VI.       ANALYSE

 

            A.        Introduction                                                                                        560-566

 

 

            B.         Les questions en litige préliminaires                                                      567-602

 

(i)                  La nature de l’instance                                                          603-604

 

(ii)                Le fardeau de la preuve                                                        605-609

 

            C.        L’évaluation de la crédibilité                                                                             

 

(i)                  Généralités                                                                            610-611

 

                        (ii)        Les témoins des demanderesses                                            612-622

 

                        (iii)       Les témoins de la défenderesse                                             623-644

 

            D.        Les motifs d’action                                                                              645-650

 

                        1. La négligence                                                                                          651

 

                        (i)         Existe-t-il une obligation de diligence?                                 652-662

 

                                    a)         La proximité                                                                663-718

 

                                    b)         La prévisibilité d’un préjudice                                      719-733

 

                                    c)         La conclusion sur l’obligation de diligence
prima facie
                                                                734-738

 

                        (ii)        Les considérations de politique générale                              739-766

 

                                    a)         La mauvaise foi                                                           767-818

 

                                    b)         La conclusion sur l’obligation de diligence                    819-820

                        (iii)       Le manquement à la norme de diligence                               821-848

 

                                    a)         Le préjudice prévisible                                                849-852

 

                                    b)         Le lien de causalité                                                      853-895

 

c)         La négligence contributoire                                          896-927

 

d)         La conclusion sur la négligence                                            928

 

 

2. Les déclarations inexactes faites par négligence                                929-930

 

(i)         L’obligation de diligence                                                       931-938

 

(ii)        L’annonce                                                                              939-999

 

a)         L’annonce était-elle trompeuse, inexacte
ou fausse?
                                                               1000-1005

 

b)         L’annonce a-t-elle été faite avec négligence?            1006-1031

 

c)         Y a-t-il eu confiance raisonnable?                            1032-1038

 

1)         Un intérêt financier direct ou indirect            1039-1052

 

2)         Des professionnels possédant des aptitudes,
une capacité de jugement ou des
connaissances particulières                          1053-1054

 

3)         Renseignement donné dans le cours
des affaires du défendeur                            
1055-1056

 

4)         Renseignement donné délibérément,
et non dans le cadre d’un événement
social                                                                    1057

 

5)         Le renseignement a été donné en réponse
à une question précise                                           1058

 

6)         La conclusion sur la confiance
raisonnable                                                  1059-1060

d)         La confiance à l’égard de l’annonce a-t-elle
causé des dommages?                                            
1061-1066

 

(iii)       La négligence contributoire                                              1067-1074

 

(iv)       La conclusion sur la déclaration inexacte faite
par négligence            
                                                                            1075

 

3. L’inexécution du contrat                                                              1076-1148

 

4. Le manquement à une obligation fiduciaire                                    1149-1156

 

5. La faute dans l’exercice d’une charge publique                             1157-1164

 

6. Les dommages causés

 

(i)         Généralités                                                                        1165-1180

 

(ii)        Les principes juridiques applicables                                  1181-1197

 

(iii)       La preuve relative aux dommages subis                           1198-1257

 

(iv)       Les dommages subis de 2001 à 2010                                1258-1294

 

(v)        Les dommages subis de 2011 à 2020                                1295-1307

 

(vi)       La conclusion sur les dommages                                       1308-1320

 

7. Les dommages-intérêts punitifs                                                    1321-1339

 

8. Les intérêts                                                                                 1340-1361

 

9. La société de personnes ou la coentreprise                                  1362-1369

 

                        10. La demande reconventionnelle                                                   1370-1391

 

11. La conduite de l’affaire                                                              1392-1418

 

12. Les dépens                                                                                         1419

 

 

VII.      Conclusion                                                                                         1420-1443


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-2012-01

 

INTITULÉ :                                       SOUTH YUKON FOREST CORPORATION et
LIARD PLYWOOD et LUMBER MANUFACTURING INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             Le 31 mars 2008

Les 1er au 4, 7 au 11 et 14 avril 2008

Les 5 au 9, 12 au 16 et 28 au 30 mai 2008

Les 2, 3 et 21 juin 2008

Les 4, 7 au 10, 11, 14 au 18 et 21 juillet 2008

Le 17 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 5 mai 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Lenard M. Sali, c.r.

Andrew Wilson

 

POUR LES DEMANDERESSES

Gary Whittle

Malcolm Florence

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bennett Jones
Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Whittle & Company

Whitehorse (Yukon)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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